FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 10 - juillet-décembre 2005


SOUS LE SIGNE DE DIDON : MAGIE ET SUPERSTITIONS
EN AFRIQUE ROMAINE (II)

par Michaël MARTIN

Docteur en Histoire.

Membre du Centre de Recherches des civilisations anciennes (Clermont-Ferrand)
<magika2000@hotmail.com>


On trouvera ci-dessous une étude en trois parties de Michaël Martin sur la magie et les superstitions en Afrique romaine (bibliographie à la fin de la troisième partie). Un autre de ses articles, intitulé « Le matin des Hommes-Dieux. Étude sur le chamanisme grec »,  a déjà été publié dans les FEC (fascicule 8 -2004).

Michaël Martin est l'auteur d'une thèse sur « Pankratos le magicien. La magie et ses praticiens dans le monde gréco-romain », défendue en décembre 2003 à l'Université Jules Verne d'Amiens. Aux Éditions Manuscrit-Université (Collection Histoire), il a publié en 2002 « Les papyrus grecs magiques » (284 p.), et en 2004 « Sorcières et magiciennes dans le monde gréco-romain » (560 p.). Son dernier livre est sorti en 2005 : « Magie et magiciens dans le monde gréco-romain », Paris, Éditions Errance, 2005, 296 p. (Collection des Hespérides). On lui doit sur la Toile un site spécialisé intitulé Ephesia Grammata. Le lecteur intéressé par la magie pourra également se reporter à la page consacrée au sujet dans la BCS.

[Note de l'éditeur - 29 octobre 2005]


Plan

Première partie : Les témoignages littéraires
       A. La malédiction de Didon - B. Les témoignages littéraires - C. Le cas de Cyprien

Deuxième partie : Envoûtements et protection
       A. Les tablettes africaines - B. Les phylactères - C. Les maisons qui se protègent

Troisième partie : Un procès pour magie en Afrique romaine, L'affaire Apulée
       A. Le contexte de l'affaire - B. La défense d'Apulée - C. Un philosophe dans l'Afrique romaine du IIe siècle

Bibliographie


DEUXIEME PARTIE : ENVOUTEMENTS ET PROTECTIONS

Or, les découvertes archéologiques, ainsi que nous allons le voir, attestent elles aussi de la vitalité de la magie en Afrique. Faut-il pour autant en conclure que cette partie de l’Empire fait exception par ses pratiques irrationnelles ? D'ores et déjà on peut avancer que non. La magie était pratiquée indifféremment aux quatre coins de l’Empire et au cœur même de Rome comme en atteste le célèbre lot de tablettes séthiennes. Il convient donc de s’interroger sur les formes spécifiques ou originales que prennent ces pratiques en ces lieux et ce qu’elles nous apprennent de supplémentaire.

A.     Les tablettes africaines

Tout comme le reste du monde romain, l’Afrique a livré son lot de tablettes de defixio, ou d’envoûtement. Ainsi les sites de Carthage et d’Hadrumète se sont montrés particulièrement riches en découvertes de ce type. Les defixiones africaines reprennent en général les formes traditionnelles de l’envoûtement dans le monde gréco-romain, à savoir des tablettes de plomb pliées ou roulées. Le plomb, métal sombre, facile à se procurer et à graver, répondait aux aléas de ce type d’opération. Parfois il arrive que les lamelles soient transpercées d’un clou, comme cela était l’usage et comme en attestent plusieurs exemplaires conservés au musée Bargoin de Clermont-Ferrand, dont l’origine africaine ne fait aucun doute. On peut aussi y admirer une petite boîte de plomb de provenance carthaginoise, véritable trousse de magicien, qui, outre une tablette brisée à l’intérieur, contenait un stylet de bronze qui servait à graver les textes magiques sur les feuilles de plomb (Audollent 1933.2). Quant aux lieux de découvertes, ils sont aussi, en général, conformes à ce qui se pratiquait ailleurs, c’est-à-dire en relation avec le monde chtonien. Ainsi de très nombreuses tablettes proviennent de sépultures, que ce soit à Carthage dans le cimetière des officiales de Bir-ez-Zitoun et de Bir-el-Djebbana, à Hadrumète dans la nécropole située des deux côtés de la route qui mène à Kairouan, ou pour d’autres découvertes plus isolées (Hamman-Lif, Ammaedara, Sbeitla, Cirta, Chullu). S. Reinach nous offre la description de l’une d’elles, description qui nous permet du même coup de mieux saisir la manière dont les praticiens opéraient afin d’introduire les tablettes à l’intérieur des tombes :

« L’intérieur contenait, noyés dans la maçonnerie et placés verticalement selon l’axe du cippe, trois tuyaux en terre cuite emboutis l’un dans l’autre. Celui de dessus conduisait à l’orifice supérieur du tombeau, celui de dessous à une urne funéraire remplie d’ossements calcinés. Le fond de cette urne, de forme hémisphérique, était percé de trous ; elle était presque complètement encastrée dans la maçonnerie ; seul, le fond reposait sur du sable fin [...] En examinant les tuyaux encastrés, on y trouva deux plaques de plomb roulées, portant des incantations gravées sur les deux côtés de la feuille et présentant, sur une face, une figure magique (un monstre nu, à la tête de serpent, tenant dans chaque main une pique et ayant les pieds terminés par des griffes). Dans l’urne, au-dessus des ossements, il y avait une seconde plaque de plomb, roulée sur un os calciné et très friable ; M. Hannezo put reconnaître qu’elle portait aussi des caractères d’écriture. Ce tombeau n’est pas isolé ; il est entouré d’autres cippes carrés à peu près de la même forme, et de même dimensions [...]. Ces monuments contenaient presque tous une ou plusieurs incantations, gravées sur des feuilles de plomb entières ou fragmentées. » (Reinach 1898, p. 353-354)

Véritables boîtes aux lettres avec le monde d’en-bas, les tombes étaient donc particulièrement prisées pour contraindre l’âme du défunt, un démon. Les lieux en contact avec le monde aquatique, à l’image de la fontaine aux mille amphores à Carthage, étaient aussi recherchés. Enfin de nombreuses tablettes africaines, de manière plus originale, ont été découvertes dans des édifices de jeux comme les cirques de Carthage et de Lepcis Magna ou l’amphithéâtre de Carthage. Leur destination n’était pas sans relation avec de telles localisations.

Car c’est dans un contexte agonistique qu’il revient de placer l’essentiel des documents qui ont été découverts à ce jour. En effet, de nombreuses tablettes, découvertes aussi bien à Carthage qu’à Hadrumète, ont trait aux courses de chars comme en témoigne la tablette suivante de provenance carthaginoise  :

« SEMESILAM DAMATAMENEUS IÊSNNALLELAM LAIKAM ERMOUBELÊ IAKOUB IA IÔERBÊTH IÔPAKERBÊTH ÊÔMALTHABÊTH ALLASAN. Un envoûtement. Je vous invoque par les grands noms afin que vous puissiez lier chaque membre et chaque nerf de Victorius — le conducteur des Bleus, à qui la terre, mère de chaque chose vivante, a donné naissance — et de ses chevaux avec qui il est en course ; sous Secundus sont Iuvenis, Advocatus et Bubalus ; sous Victoricus sont Pompêianus, Baianus, Victor, Eximius et aussi Dominator qui appartient à Messala ; liez aussi les autres qui pourront être alliés avec eux. Liez leurs jambes, leur foulée, leur saut, et leur course ; liez leurs yeux afin qu’ils ne puissent voir et altérez leur esprit et leur cœur afin qu’ils ne puissent respirer. Juste comme ce coq a été attaché par ses pattes, ailes et tête, que soient liés les jambes, les mains, la tête et le cœur de Victoricus le cocher de l’équipe bleue, pour demain ; et aussi les chevaux qu’il aura pour la course ; sous Secundinus, Iuvenis, Atvocatus, Bubalus et Lauriatus ; sous Victoricus, Pompéianos, Baianus, Victor, Eximius et Dominator qui appartient à Messala et certains autres qui sont unis avec eux. Je vous invoque aussi par le dieu qui est dessus le ciel, qui est assis sur le chérubin, qui a divisé la terre et séparé la mer, IAÔ, ABRIAÔ, ARBATHIAÔ, ADÔNAI, SABAÔ, afin que vous liez Victoricus le cocher de l’équipe bleue et les chevaux qu’il aura pour la course ; sous Secundinus, Iuvenis, Advocatus, et sous Victoricus Pompéianus, Baianus, Victor, Eximius et Dominator qui appartient à Messala ; afin qu’ils ne puissent pas remporter la victoire demain au cirque. Maintenant, maintenant, vite, vite. » (Audollent 1904, n° 241)

ou bien encore celle-ci provenant d’Hadrumète :

a) CUIGEU
CENSEU
CINBEU
PERFLEU
DIARUNCO
DEASTA
BESCU
BEREBESCU
ARURA
BEZAGRA

Dessin du démon ; sur sa poitrine :
Je lirais Antmo

 

 

au dessous :
Noctiuagus
Tiberis Oceanus

b) « Je t’adjure, démon, qui que tu sois, et je te demande à partir de cette heure, de ce jour et de ce moment, de crucifier et de tuer les chevaux des verts et des blancs, de tuer et de briser les cochers Clarus et Felix et Primulus et Romanus et de ne pas leur laisser la vie ; je t’adjure par celui qui t’a libéré aux temps des dieux de la mer et de l’air. IAÔ, IASDAÔ, OORIÔ, AÊIA. » (Audollent 1904, n° 286)

Dans ce contexte de rivalité entre les différentes factions, c’est tout autant les conducteurs que les chevaux qui se trouvent envoûtés. Pourtant il y a fort à penser que plus que des compétiteurs eux-mêmes, ces textes sont l’œuvre de spectateurs enflammés, voire de parieurs pour qui les jeux du cirque prenaient une dimension particulière.

L’autre groupe important de tablettes est constitué par les tabellae amatoriae, qui ont trait à des passions amoureuses contrariées comme l’illustre cette lamelle provenant de Carthage :

« Kataxin, tu es un grand esprit en Égypte, empare-toi du sommeil d’une telle afin qu’elle puisse venir à moi et donner satisfaction à mon âme. Trabaxian, tout-puissant esprit, conduis-la à moi passionnément, brûlante d’amour et de désir pour moi. Nokhthiriph, esprit irrésistible, oblige-la à avoir des relations sexuelles avec moi. Bibipixi, qui est l’esprit le plus solide, pousse-la et oblige-la à venir à moi passionnément brûlant d’amour et de désir pour moi. Rikhourith, le plus rapide esprit d’Egypte, brise son lien avec ses parents, son lit, l’air qu’elle chérit, et oblige-la à m’aimer et à succomber à mon désir. » (Audollent 1904, n° 230)

Toutefois, des tablettes offrent un aspect plus original. Ainsi, une tablette provenant d’une nécropole située au sud d’El Jem, et datée de la seconde moitié du IIIe siècle ap. J.-C. offre une double originalité : il s’agit d’une part d’une tablette inscrite sur une plaque de terre cuite ; de plus, elle mentionne, fait rare, l’existence d’une officina magica, sorte d’atelier spécialisé dans la magie dont nous est révélé le nom du potier (Foucher 2000). À n’en point douter, de tels ateliers devaient aussi réaliser les gravures sur plomb dont nous avons parlé plus haut. À Volubilis, ce sont des figurines d’envoûtement qui ont été découvertes dans le collecteur principal du decumanus maximus (Souville 1957). Les tablettes africaines font souvent preuve d’une grande originalité iconographique comme l'atteste la tablette décrite par S. Reinach avec cet être à tête de serpent ou encore le fac-similé reproduit plus haut. En dehors de ces motifs, A. Audollent souligne une autre particularité propre à l’Afrique : « Fréquemment, surtout en Afrique, les magiciens cherchaient au moyen de certains symboles, à rendre sensible aux yeux l’idée d’obligation, d’enchaînement qui constitue essentiellement la défixion » (Audollent 1906). D’autres tablettes présentent quant à elles un contenu qui souvent nous échappe en partie ou en totalité. Ainsi, une curieuse tablette découverte dans une tombe à incinération d’Hadrumète et déposée au musée du Louvre (Villefosse 1905), possède ce qui semble être un bâtiment, représenté très schématiquement et inscrit dans une sorte de cercle qui pourrait être un anneau. À l’intérieur de celui-ci sont disposés des mots magiques dont IAÔ, transcription grecque de Jahweh, dont la référence au sein de documents magiques est abondante. Le fait que ce terme soit inscrit dans l’édifice pourrait indiquer que celui-ci lui est dédié et en faire un temple. Une autre tablette, provenant elle aussi d’Hadrumète (Audollent 1908, n° IV, 6-10), offre un bien curieux document ; en effet, le texte d’exécration s’insère dans une grande figure géométrique dont, hélas, ne nous est parvenue que la partie droite, composée d’une pyramide centrale enserrée dans un rectangle, lui-même divisé en six compartiments. Le rectangle est surmonté de différentes figures géométriques formant une sorte de chapeau et se terminant par un petit triangle. Sans doute faut-il mettre ce document en relation avec des pratiques astrologiques et le fait que la tablette soit censée agir contre un certain Hésichius « dans les sept jours ». Le terme employé (Enemeresepta) est lui-même porteur d’une symbolique magique très forte (Jordan 1977). Et si bien souvent l’on pressent un caractère magique à de telles tablettes, il est difficile d’en préciser la destination exacte.

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B. Les phylactères

Répondant aux tablettes de defixio, les phylactères avaient un but inverse, à savoir protéger celui qui était leur propriétaire. Les phylactères sous forme de tablettes inscrites ont été découverts en nombre infiniment moins important que les tablettes d’envoûtement. À cela plusieurs raisons : la première, et non la moindre, est que là où la defixio use de plomb, métal sans grande valeur marchande, les phylactères utilisent le plus souvent des métaux précieux tels l’or ou l’argent. Ces objets pouvaient susciter la convoitise et se voir « recycler » de différentes manières. Fait aggravant, ces derniers étaient le plus souvent portés et non dissimulés comme l’étaient les lamelles de plomb. Ceci explique en partie le petit nombre d’objets découverts à ce jour. Néanmoins quelques exemples témoignent de leur existence. Un petit phylactère en argent découvert parmi les stèles dédiées à Saturne à Thysdrus (El Jem), témoigne de l’influence juïve dans la magie, même dans cette partie de l’Empire :

« GABR[IEL], SABAOT-, EL, MIKAEL » (Cagnat 1930)

Un autre phylactère, sur plomb cette fois et provenant d’Ammaedara, offre sur l’une de ses faces l’image d’un hibou - animal souvent associé au mauvais œil - et de l’autre le texte suivant :

« Mauvais œil, il te sera impossible d’agir contre une âme pure et immaculée ! » (Merlin 1940)

C’est donc bien essentiellement la lutte contre le mauvais œil que cherchent à mener les phylactères. D’autres supports pouvaient remplir une fonction identique. Il en va ainsi des intailles, gemmes gravées (S.E.G. IX, 2, n° 818), dont certaines ont une destination clairement magique et un but de protection pour leur détenteur.

Mais l’Afrique a fourni un autre document d’une grande originalité. Il s’agit en effet d’un texte épigraphique, fait rare puisque ce dernier était lisible par le plus grand nombre alors que la magie est le plus souvent une chose secrète. Cette inscription, provenant de la région de Bou Aradea en Tunisie, concerne un cas de protection d’un domaine contre toute atteinte météorologique ou physique. En voici le texte :

« (Charactères) OREBAZAGRA OREOB[AZAGRA] ABRASAX MACHAR SEMESILAM STENACHTA LORSACHTHÊ KORIAUCHÊ ADÔNAIE, dieux souverains, arrête, détourne de cette propriété et de ce qui pousse dessus - dans les vignes, les oliveraies, dans les terres ensemencées - la grêle sur les productions, de même que la rouille du blé, la furie des vents typhoniens, un essaim de méchants criquets, afin qu’aucune de ces choses pernicieuses touche cette terre ou quelque produit de celle-ci ; mais conserve-les tous ensemble intacts et intègres, aussi longtemps que ces pierres gravées avec tes noms sacrés seront ici disposées sur cette terre. » (Trad. et ill. Ferchiou-Gabillon 1985)

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C. Les maisons qui se protègent

Enfin bien souvent, la magie se faisait simple superstition et se réduisait au port d’amulettes comme cela avait cours dans le reste de l’Empire. Cette lutte contre le mauvais œil, qui relève plus de la superstition populaire que de la magie pure, se retrouve dans un autre domaine où l’Afrique a révélé aux archéologues de nombreux témoignages, à savoir des signes apotropaïques qui étaient présents sur les murs et les sols des demeures. Ainsi, une célèbre mosaïque de seuil provenant d’Hadrumète (Sousse, Tunisie) présente un œil entouré de deux serpents qui l’attaquent et de ce que l’on a pris, dans un premier temps, pour un poisson. En fait il s’agit là d’un phallus en érection destiné à combattre le mauvais œil. P. Perdrizet rajoute même que le phallus est représenté en éjaculation, tel un œil ouvert afin de lutter contre l’invidus (Perdrizet 1922).

(Perdrizet 1922, p. 31, fig. 11 d’après Glauckler, Musée de Sousse, p. 36, pl. IX, fig. 5)

Mais c’est sans doute la ville de Lepcis Magna qui offre en la matière le choix de représentations des plus variées. Ainsi plusieurs bas-relief(s) mettent-ils en scène le phallus dans un but apotropaïque, censé attirer, comme le faisaient par ailleurs les célèbres amulettes phalliques, le regard de l’envoûteur pour l’empêcher de se fixer sur le lieu où pourrait s’exercer l’invidus. Ainsi, par exemple, une stèle avec un gros phallus et une main fermée, le pouce entre l’index et le médius, figure ce geste destiné à écarter le mauvais œil, la mano fica. À un autre endroit de la ville, une table ansée montre une sorte de centaure doté d’un énorme phallus et dont le nez lui-même est un phallus, attaquant à la lance et avec ses deux attributs un œil maléfique que sont en train d’attaquer aussi un serpent, un oiseau et un scorpion. Un autre bas-relief représente une sorte de volatile dont la tête est un phallus qui attaque lui aussi le mauvais œil. Il arrive que le phallus soit absent sans que le sens diffère ; ainsi, sur une tombe d’Aumale, en Algérie, au-dessous d’un bas-relief représentant le défunt et sa famille, avait été sculpté un œil qu’un oiseau aux ailes déployées tente de crever, recevant l’aide d’un serpent, d’un scorpion, d’un colimaçon, d’un lézard et d’un coq.

D’autres figures, au sens assez obscur au premier abord, semblent aller dans un sens identique, comme en témoignent plusieurs mosaïques d’Afrique. Comme l’illustrent les deux mosaïques tunisiennes reproduites ci-dessous, il en va ainsi des couronnes, armées de deux ou trois, voire cinq pointes, le plus souvent garnies de boules, pouvant occuper le centre de mosaïques de pavement, ou bien être sculptées sur des clefs de voûtes comme c’est le cas dans les thermes de Bulla Regia en Tunisia. Des feuilles, une figure représentant un croissant monté sur une sorte de pied auquel deux barres sont adjointes, remplissent un rôle identique de protection pour le lieu où ces signes sont placés. Car si les personnes font l’objet d’attaques maléfiques, les lieux aussi peuvent être la proie des envoûteurs comme en témoignent deux tablettes retrouvées dans la « Fontaine aux mille Amphores » de Carthage (Audollent 1933.1) et dont voici le texte :

« ARTHU LAILAM SEMESEILAM AEÊIOYO BACHUCH BAKAXICHUCH MENE BAICHUCH ABRASAX BAZABACHUCH MENE BAICHUCH ABRASAX maîtres Dieux, contraignez et entravez les bains falerniens, de peur que quelqu’un puisse être capable d’approcher ce lieu ; liez et attachez les bains falerniens à compter de ce jour, de peur que quelqu’un puisse approcher de ce lieu » (Audollent, 1933, c et d).

La société romaine de l’Afrique avait donc à sa disposition toute une série de moyens pour contraindre un rival, un adversaire, un être aimé, et tout autant afin de lutter contre le mauvais œil et autres attaques maléfiques. Or nous sommes là dans un schéma tout à fait conforme à ce que l’on peut trouver dans le reste de l’Empire. Seule l’étude au cas par cas révèle des particularités qui ne modifient en rien la vision d’ensemble. Or cette société qui usait et abusait de la magie pouvait aussi se retourner contre ceux qui étaient supposés la pratiquer. C’est ce que nous allons voir avec le procès dont fut victime Apulée.

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Troisième partie : Un procès pour magie en Afrique romaine, L'affaire Apulée


FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 10 - juillet-décembre 2005

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