FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 7 - janvier-juin 2004
La frontière entre le civilisé et le sauvage
dans l'imaginaire de l'Occident latin :
usages et mésusages des critères antiques
par
Monique Mund-Dopchie
Professeur à l'Université de Louvain
Les Folia Electronica Classica ont à deux reprises déjà fait écho aux colloques organisés dans le cadre du projet EUxIN (coord. scientifique : prof. Bernard Coulie, UCL). Prenant en compte quelques-uns des imaginaires qui ont fait l'Europe, ce projet, réunissant cinq universités européennes, tente de définir des outils de décision culturelle utilisables par les instances de l'Union européenne. Le premier colloque était consacré à l'utopie, le deuxième aux langues.
Le troisième et dernier, qui s'est tenu à Bruxelles les 4 et 5 décembre 2003, était intitulé « Les frontières pour ouvrir l'Europe ». Outre la contribution du prof. Monique Mund-Dopchie (ci-dessous), les FEC publient deux textes du prof. Paul-Augustin Deproost, d'une part l'adresse qu'il a prononcée en introduction au colloque, d'autre part sa communication sur les paradoxes de la frontière romaine. [17 décembre 2003]
Les actes du colloque sont aujourd'hui publiés : Frontières. Imaginaires européens. Études réunies et présentées par P.-A. Deproost et B. Coulie, Paris, Budapest, Turin, L'Harmattan, 2004, 187 p. (Structure et pouvoirs des imaginaires). La communication du Prof. M. Mund-Dopchie se trouve aux p. 51-73 [11 mars 2005]
Introduction
La réflexion sur les valeurs constitutives de l’Europe et sur les frontières de celle-ci ne date pas d’aujourd’hui. Elle a été véritablement inaugurée à la Renaissance [1], qui a intégré le mot Europe dans le langage courant et qui a donné de la consistance à l’ensemble ainsi désigné en lui associant une idéologie dynamique et conquérante, propre à lui faire surmonter ses divisions internes et à diffuser son modèle à l’extérieur [2]. Mais, contrairement à ce qui se passe actuellement, cette réflexion durant le « long seizième siècle » n’a pas été confiée à des groupes de spécialistes, tels que la Convention pour une Constitution européenne [3] ; elle a été menée de façon diffuse et par différents canaux. Ainsi, on constate, à travers leurs divers témoignages, que les voyageurs percevaient l’existence d’une entité Europe, dotée d’un centre et de limites ; néanmoins, leurs représentations étaient variées, sinon contradictoires [4].
De même, les cartographes ont joué un rôle essentiel dans l’émergence de l’Europe en produisant leurs cartes des continents, car ils visualisaient de la sorte des unités territoriales ; cependant leur vision ici aussi était loin d’être univoque, eu égard aux contradictions auxquelles ils étaient confrontés. Pour n’en donner qu’un seul exemple, l’utilisation qu’ils faisaient de la Géographie de Ptolémée et des cartes d’Agathodémon [5] pour délimiter les trois anciens continents leur posait des problèmes quasi insolubles. En ce qui concerne plus particulièrement l’Europe, si les mers et océans constituaient des frontières naturelles au nord, au sud et à l’ouest, - encore fallait-il donner un statut aux îles océanes et méditerranéennes -, seul le Tanais (le Don) marquait une séparation à l’est, séparation qui, selon Ptolémée, pouvait être prolongée au-delà des sources de ce fleuve par un méridien. Mais le choix d’un fleuve comme frontière naturelle et l’emplacement de ce méridien n’étaient pas évidents: d’une part, les cours d’eaux constituaient des frontières poreuses, vu l’importance du trafic fluvial [6], d’autre part, les cartographes avaient des avis divergents sur le tracé d’un méridien qui tantôt situait Moscou en Asie, tantôt en Europe [7]. Les critères politiques - changeants du fait des guerres, des conquêtes et des héritages dynastiques - n’étaient pas davantage pertinents. Quant aux critères religieux, ils faisaient également difficulté : certes, la Chrétienté englobait la Moscovie, mais que faire de la Tartarie qui venait d’être annexée par cette dernière ou de la Roumélie et des autres terres grecques placées sous le pouvoir ottoman ?
Outre les voyageurs et les cartographes, les humanistes ont également contribué à définir l’Europe, dans la mesure où ils ont constitué consciemment et volontairement une République des Lettres, qui transcendait les limites des États et des entités territoriales [8]. Partie de l’Italie du Trecento, cette communauté de savants avait progressivement conquis tout l’Occident latin et s’arrêtait aux territoires contrôlés par les Ottomans et par les Moscovites [9]. Elle avait pour fondements l’utilisation d’une langue commune, le latin classique, et la fréquentation régulière des textes antiques. Or ces derniers avaient amené les humanistes non seulement à redécouvrir à travers les sources originales un passé qu’ils admiraient et imitaient, mais aussi à élaborer des critères constitutifs de l’état civilisé et une échelle de valeurs qui permettait de déterminer le degré de civilisation atteint par les uns et les autres.
L’ensemble des sources relatives à l’émergence d’un concept laïc de l’Europe à l’époque de la Renaissance et aux limites de son extension est donc très vaste et n’a pas fini d’être étudié. Dans le cadre de ce colloque, je me contenterai d’analyser et d’illustrer par quelques textes emblématiques l’apport des humanistes en la matière et l’influence qu’ils ont exercée à travers leur enseignement sur ceux qui fréquentaient les allées du pouvoir.
Les critères d’évaluation de l’état civilisé
Un premier critère inspiré par les Anciens aux humanistes et à leurs élèves et cercles d’amis a été la vie menée à l’intérieur de vastes communautés dans des espaces urbains organisés, regroupant des habitations et des constructions en dur. Ces ensembles architecturaux de l’Antiquité ne répondaient pas uniquement à des contraintes pratiques : ils répondaient également à une philosophie et à une idéologie politiques ; d’une part, ils manifestaient une habileté technique (murs en pierres taillées, ornementations sculptées, fresques), qui établissait la suprématie de l’artificiel sur le naturel ; d’autre part, ils évoquaient en même temps, par leur intégration dans un plan urbanistique, l’ordre et les lois qui président à la vie en commun et permettent l’organisation d’un État ; ainsi s’explique l’intérêt porté à l’aménagement de temples et de places publiques (agora, forum), qui symbolisaient dans la cité l’ordre religieux et la loi. L’extrait que voici du traité De architectura de Vitruve atteste l’importance, dans une telle perspective, de la sédentarisation des groupes humains et du progrès technique, envisagé en particulier dans la construction :
« Dans les temps anciens, les hommes naissaient comme des bêtes sauvages dans les forêts, les grottes et les bocages et survivaient en mangeant des aliments crus. Un jour, quelque part, cependant, de vieux arbres, secoués par les vents et les tempêtes, et frottant leurs branches les unes contre les autres, prirent feu. Terrifiés par les flammes, ceux qui étaient près de cet endroit s’enfuirent. Quand la tempête se calma, ils revinrent et, constatant que la chaleur du feu était agréable à leur corps, ils empilèrent du bois. Le feu ainsi entretenu, ils firent venir certains de leurs semblables et, montrant le feu avec de grands gestes, ils leur indiquèrent l’usage qu’ils pouvaient en faire. Puis, donnant des noms aux choses les plus fréquemment utilisées, ils commencèrent à parler grâce à cet événement fortuit, et à avoir des conversations entre eux. Ainsi, depuis la découverte du feu, un début d’association humaine s’est formé, et aussi d’union et d’échanges mutuels ; et depuis, beaucoup se sont rassemblés en un seul lieu, dotés par la nature d’un don qui allait au-delà de celui des autres animaux, de sorte qu’ils marchaient, non pas en regardant par terre, mais droit, et voyaient la magnificence de l’univers et des étoiles. De plus, ils faisaient facilement avec leurs doigts ce qu’ils voulaient, et certains, dans cette société, commencèrent à faire des toits de feuilles, d’autres à creuser des grottes dans les collines ; certains, imitant les nids et les constructions des hirondelles, bâtirent des abris avec de la boue et des branchages. Puis, trouvant d’autres refuges et inventant des choses nouvelles grâce au pouvoir de leur pensée, ils construisirent avec le temps de meilleures habitations » [10].
Un autre texte, emprunté cette fois à la biographie d’Agricola rédigée par Tacite, explicite a contrario ce critère en affirmant que pour civiliser un « sauvage », il faut lui apprendre à construire des monuments en matériau solide autour d’une place publique. Il sous-entend dès lors une condamnation de la vie nomade et de l’habitat adapté au milieu naturel (huttes de palmes, maisons de torchis, de bois…) :
« Afin que ces hommes (i.e. les Britanniques) dispersés, sauvages et par là même toujours prêts à la guerre, s’accoutumassent, par les plaisirs, au repos et à la tranquillité, Agricola les exhorta en son nom particulier, les aida des deniers publics à construire des temples, des forums, des maisons […]. De plus il faisait instruire les enfants des chefs dans les arts libéraux [11] ».
Cet éloge de la vie urbaine pouvait évidemment être appliqué par les humanistes à la réalité de leur époque, à cette différence près que les constructions symboliques de la ville y comprenaient également des espaces célébrant le commerce et l’industrie : marchés, halles, maisons de corporations etc. Quant à l’importance du développement technique, elle fut à ce point intégrée dans la conscience intellectuelle de la Renaissance que beaucoup de lettrés furent peu à peu amenés à célébrer la supériorité de leur temps sur l’Antiquité. Je n’en veux pour preuve que cette réflexion exprimée en 1620 par Alessandro Tassoni dans sa Comparaison entre les talents des Anciens et des Modernes :
« Qu’ont inventé les Grecs et les Romains qui puisse se comparer à l’imprimerie ? … Passons au compas et à la carte maritime… Quelle joie pour celui qui a appris aux Portugais à naviguer vers un pôle inconnu, d’un horizon à un autre !… Quelle invention aussi terrible a-t-on jamais imaginé qui puisse rivaliser avec nos artilleries ?… Qu’auraient dit les Grecs et les Latins de la brillante invention des horloges mécaniques, qui sonnent et montrent les heures dans une ronde perpétuelle contre les mouvements des planètes ? À lui seul, le télescope, qui vous permet de voir les choses éloignées de quinze ou vingt milles comme si elles étaient devant vous, et qui découvre des étoiles invisibles dans le ciel, surpasse de loin n’importe quelle invention des Grecs et des Latins tout au long de ces siècles tant vantés [12]»
Par ailleurs, cette réaction emblématique de Tassoni atteste une confiance dans l’avenir que n’éprouvaient pas nécessairement les Anciens : car l’idée de progrès, attestée dans des textes aussi célèbres que le Prométhée enchaîné, le chœur d’Antigone célébrant la merveille humaine, le mythe de Prométhée exposé dans le Protagoras ou encore le dénigrement des temps primitifs exprimé dans le prologue de l’histoire de Diodore de Sicile, était demeurée le fait d’une minorité, face à la conception infiniment plus répandue du temps cyclique et de l’éternel retour.
Un deuxième critère de civilisation développé par les Anciens a été la domestication de la nature et l’exaltation de l’agriculture et de la viticulture : il suffit d’évoquer les « Mangeurs de pain », qu’Ulysse souhaitait à tout prix retrouver au cours de ses errances dans un monde de merveilles et de monstruosités, et de rappeler à l’inverse la condescendance des Grecs à l’égard des Scythes, buveurs de lait fermenté et de vin pur, sans respect pour les règles grecques de bienséance, qui imposaient de couper le vin d’eau. Adoptant une perspective semblable, les humanistes de la Renaissance considérèrent qu’être civilisé, c’est apprivoiser la nature et la mettre au service de l’homme. Ils encourageaient de la sorte leurs disciples à promouvoir une campagne cultivée et à aménager autour des maisons des jardins structurés et soigneusement dessinés à l’antique. En revanche, on n’éprouvait que du mépris pour les reliquats de nature sauvage : marais, forêts, landes, déserts, comme en témoignent le sort tragique réservé par Edmund Spenser dans sa Reine des fées (1594) à Dame Belge, partageant le triste destin des Pays-Bas dévorés par le monstre espagnol, l’enchantement ressenti par le futur doge de Venise Niccolò Contarini (1620) face à la campagne vénitienne ou encore le vœu utopique proféré par Robert Burton (1621) :
« Adieu, sols cultivés et villes joyeuses,
Dans lesquels elle (sc. Belge) promenait son bonheur !
[…]
Seuls ces marais et ces sombres marécages
Où les terribles lézards bâtissent leur repaire
M’offrent l’hospitalité parmi les grenouilles croassantes » [13].« Ces champs qui avaient été les plus affreux des marais, ces lacs et ces étangs profonds étaient transformés par le savoir-faire, l’effort et l’investissement en terrains fertiles, belles prairies et jardins charmants… Les forêts et les collines étaient devenues le règne non seulement de la cognée mais aussi de la charrue » [14].
« Je ne veux pas de marécages, de marais, de tourbières, de vastes forêts, de déserts, de landes… Je ne veux pas un seul arpent aride sur tous mes territoires, même au sommet des montagnes : là où la Nature échoue, que l’art la remplace ! » [15].
Mais ici encore la similitude du propos cache des divergences dans la représentation du monde durant l’Antiquité et à la Renaissance. Pour les Anciens, la nature appartenait davantage au monde des apparences qu’il fallait traverser pour parvenir à une réalité accessible seulement à la raison ; pour les hommes du « long seizième siècle », la nature était, conformément au message de la Genèse, au service de l’homme, qui était de la sorte invité à l’observer pour avoir prise sur elle et pour la transformer. C’est la conclusion que tirait, par exemple Francis Bacon en cette fin du « long seizième siècle » (1623-1624) :
« Dans tous les cas il faut trouver la science dans la lumière de la nature et ne pas essayer de la retrouver dans l’obscurité de l’Antiquité. Peu importe ce qui a été fait ; ce qui compte, c’est ce qui peut être fait » [16].
Un troisième critère emprunté aux Anciens a été le culte de la « civilité » ou « urbanité ». Comme l’avait d’emblée proclamé un Lorenzo Valla, l’utilisation d’un latin expurgé de ses médiévismes contribuait au progrès des lettres, des sciences et des arts. Le retour aux sources antiques inspirait par ailleurs un nouvel art de vivre, fait de douceur, de mœurs raffinées, de contrôle - extérieur tout au moins - de soi et posait les jalons d’une culture universelle, qui permettait d’exprimer ses expériences et de les mettre en perspective :
« La langue de Rome se distingue par les contributions les plus importantes au bien-être général de l’humanité (publicae hominum utilitati ac saluti) : c’est le latin qui a éduqué les peuples dans les arts libéraux, qui leur a donné les lois les meilleures, qui leur a ouvert le chemin ‘vers toute sagesse’ (ad omnem sapientiam) ; en somme, c’est le latin qui les a libérés de la barbarie. Le latin ne s’est pas imposé aux barbares par la force des armes, mais à force de bienfaits, grâce au pouvoir de l’amour, de l’amitié et de la paix (beneficiis, amore, concordia). On trouve en effet, embrassés par le latin, tous les arts et sciences propres à l’homme libre ; dès lors, quand le latin fleurit, tous les savoirs fleurissent, quand au contraire il décline, tous à leur tour déclinent » [17].
On comprend dès lors aisément pourquoi les princes et leurs cours, les marchands et les riches bourgeois ont soutenu les humanistes : ceux-ci leur ouvraient les portes d’un otium érudit, pendant lequel on discutait dans des formes raffinées, à la manière des cercles lettrés évoqués par Cicéron [18], de choses de l’esprit, d’art, de politique et de philosophie morale, et ils confirmaient par ce biais le statut d’élite réservé aux membres de la classe supérieure face au commun marqué par la grossièreté et par la barbarie. En témoigne notamment cet éloge du mode de vie adopté par Niccolò Niccoli, qui fut l’arbitre des élégances du début du Quattrocento et un célèbre collectionneur de manuscrits :
« Il avait la plus agréable des présences au point qu’il paraissait toujours souriant, absolument charmant dans la conversation. Il était toujours vêtu de magnifiques étoffes dorées qui lui descendaient jusqu’au pied […]. C’était l’homme le plus raffiné du monde. De même, sa table était pleine de vases de porcelaine et d’autres tout aussi précieux. Pour boire, il utilisait des coupes de cristal ou d’autres pierres précieuses. Le voir à sa table, ‘antique’ comme il était, c’était un vrai délice » [19].
En revanche, les discours des humanistes et de leur entourage, à l’instar des Anciens, traitaient dédaigneusement ceux qui ne se livraient pas aux activités de l’esprit, à savoir les travailleurs manuels - paysans et ouvriers - [20], assimilés par eux à des sauvages, voire à des bêtes. On ne manquera pas de rappeler à ce propos les imprécations insultantes proférées par Luther à l’égard des paysans qui s’étaient révoltés en 1525 et qui devaient, selon lui, être écrasés sans pitié. Comme leurs modèles antiques, certains humanistes allaient même jusqu’à vouer à l’esclavage ceux qui travaillaient pour les autres, tel Balthasar Castiglione reprenant à son compte dans son traité Le Courtisan les affirmations d’Aristote. La confrontation des textes suivants est suffisamment éloquente pour ne pas être commentée :
« Tous les êtres donc qui sont aussi différents des autres que l’âme l’est du corps et l’homme de la brute (tel est le cas de tous ceux dont l’activité se réduit à user de leur corps et qui tirent par là le meilleur parti de leur être) sont par nature esclaves […]. Ainsi celui-là est esclave par nature qui peut appartenir à un autre [...] et qui n’a part à la raison que dans la mesure seulement où il peut la percevoir, mais non pas la posséder lui-même » [21].
« Il y a beaucoup d’hommes qui n’ont que des activités physiques et ceux-là diffèrent autant des hommes versés dans les choses de l’esprit que l’âme diffère du corps. En tant que créateurs raisonnables, cependant, ils participent assez à la raison pour être capables de la reconnaître ; mais ils ne la possèdent pas eux-mêmes et n’en tirent pas profit. Ce sont donc essentiellement des esclaves et il est plus bénéfique pour eux d’obéir que de commander » [22].
On observe cependant que tous les intellectuels de la Renaissance ne partageaient pas ce mépris pour le travail manuel et technique dévolu aux classes « inférieures » face aux activités désincarnées de l’esprit qui étaient recommandées au philosophe et au citoyen. Car le christianisme s’opposait sur ce point aux conceptions antiques en affirmant le caractère rédempteur du travail, même manuel, même presté pour une autre personne. Cette vision chrétienne du labeur sous-tendait, par exemple, « le sarcasme libérateur d’un texte brillant du seizième siècle », dû à la plume de Georg Agricola, ami d’Érasme et de Mélanchthon :
« Assurément, si la métallurgie […] est une activité honteuse et déshonorante pour un noble au motif que les serfs jadis ont extrait les métaux, alors l’agriculture ne sera pas plus honorable puisque les serfs l’ont jadis pratiquée et puisque les Turcs la pratiquent aujourd’hui, et pas davantage l’architecture, parce que des serfs s’y sont employés, ni la médecine parce qu’un bon nombre de médecins ont été serfs, et ce que je dis là à propos de ces arts peut être dit de beaucoup d’autres qui ont été bien souvent exercés par des captifs » [23].
Application des critères de civilisation aux confins de l’Europe et aux autres continents
Il convient à présent d’évaluer le poids de ces critères sur la représentation de l’Europe et des autres continents dans l’imaginaire des humanistes et de ceux qui les ont fréquentés.
De la représentation de l’Asie, de l’Amérique et de l’Afrique, on retiendra essentiellement les stéréotypes suivants. Si l’Asie apparaît autre, et de plus en plus autre au fur et à mesure qu’on s’avance vers l’Extrême-Orient, elle se révèle néanmoins civilisée selon les critères des Anciens et des humanistes : ses territoires septentrionaux mis à part, elle est dotée de villes somptueusement bâties, de campagnes cultivées et d’élites citadines pratiquant un art de vivre qui n’a rien à envier aux Européens. Même l’Empire ottoman trouve grâce aux yeux des lettrés européens : bien que cruels et ennemis de la foi, les Turcs apprécient indiscutablement la science et les arts et ils consacrent beaucoup de soins aux raffinements de l’existence quotidienne (propreté des maisons, soin apporté à l’hygiène corporelle, netteté des vêtements), lesquels raffinements sont trop souvent ignorés des Européens. Quant au Japon situé à l’opposite de l’Europe, il se voit attribuer la quintessence de la civilisation, une civilisation néanmoins caractérisée par une radicale altérité, que met en avant ce témoignage d’Alessandro Valignano :
« On peut dire en vérité que le Japon est un monde à l’inverse de l’Europe ; tout y est si différent et si opposé qu’ils sont le contraire de nous. Si grande est la différence dans leur manière de se nourrir, de se vêtir, dans leurs honneurs, leurs cérémonies, leur langage, l’ameublement de leurs maisons, leur façon de négocier, de s’asseoir, de bâtir, de soigner les malades et les blessés, d’enseigner et d’élever les enfants, et dans tout le reste, que cela ne peut être décrit ni compris. Tout cela ne serait pas surprenant s’ils étaient comme tant de barbares, mais ce qui m’étonne est qu’ils se conduisent dans tous ces domaines comme des gens très prudents et très raffinés. Voir à quel point tout est à l’inverse de l’Europe, malgré le fait que leurs cérémonies et leurs coutumes sont tellement élaborées et fondées sur la raison, n’est pas une mince surprise pour celui qui comprend ces choses » [24].
Les stéréotypes véhiculés à propos de l’Amérique nous demeureraient à jamais incompréhensibles si nous ne nous rappelions pas que la première rencontre eut lieu dans les Caraïbes, paradis naturel dont les habitants mi-horticoles mi-chasseurs ne répondaient à aucun des critères constitutifs de l’état civilisé. Les indigènes des îles représentaient au contraire, selon les diverses grilles d’interprétation utilisées par les Découvreurs, tantôt l’âge d’or perpétué tantôt l’animalité primitive. La conquête des empires fortement urbanisés des Mexica et des Inca porta assurément un coup à la double représentation du « bon sauvage » et du « cannibale », sans cependant parvenir à l’éliminer totalement. C’est pourquoi les Amérindiens incarnèrent pour certains humanistes l’enfance de l’humanité, dont les Européens étaient sortis depuis longtemps et que l’éducation prodiguée par les missionnaires dominicains, franciscains et jésuites transformerait en un âge adulte - on rappellera à ce propos que les élites indiennes furent jugées dignes d’apprendre le latin [25] - ; pour d’autres, les Amérindiens étaient manifestement privés de raison et dotés uniquement de la vie instinctive des animaux ; ils correspondaient ipso facto aux esclaves définis par Aristote et pouvaient par conséquent être utilisés comme des instruments de travail animés [26]. Est-il besoin de rappeler que ces interprétations divergentes du statut des Amérindiens alimentèrent de nombreux débats, dont la controverse de Valladolid en 1550 constitua l’exemple le plus célèbre ?
L’Afrique noire, à peine effleurée par l’exploration de ses côtes, fut perçue, pour sa part, de façon fort négative et ne suscita aucun débat sur le sort que méritaient ses habitants. Ployant déjà sous le poids de la malédiction biblique proférée à l’égard de son ancêtre-fondateur Cham, le fils irrespectueux de Noé, elle ne fut pour les Européens de la Renaissance qu’une terre riche en or et pourvoyeuse d’esclaves renommés pour leur endurance au travail [27]. Les hommes et les femmes arrachés à leurs terres lointaines dans des conditions effroyables n’inspirèrent aucune compassion aux lettrés et ne furent même pas jugés dignes de bénéficier du sauvetage de leurs âmes [28]. Car le lien entre l’esclavage et une moindre humanité établi par Aristote et réaffirmé par de nombreux penseurs à la Renaissance s’était trouvé inversé à propos des Africains noirs : au lieu d’affirmer qu’une « moindre humanité » prédisposait à l’esclavage, on considéra que l’état d’esclave signifiait « une moindre humanité ». C’est pourquoi leur ignorance des lieux et des gens n’empêcha pas certains voyageurs de raconter «que les habitants de la région sont des gens qui vivent comme des bêtes, sans dieu, sans loi, sans religion ni sens de l’intérêt public » [29]. C’est pourquoi Las Casas, si soucieux de défendre la cause indienne, ne s’intéressa pas au travail forcé des Africains. C’est pourquoi enfin, comme le recommandait du reste Las Casas, de nombreux Noirs furent envoyés en Amérique remplacer les Indiens dont la santé ne résistait pas aux durs traitements qui leur étaient infligés.
On aurait pu penser que, face aux continents « autres », l’Europe se présenterait comme un bloc homogène : il n’en fut rien, du fait que ses parties constitutives n’étaient pas égales dans leur « européanité ». Car, selon un schéma classique de l’altérité, l’« européanité » se révélait particulièrement forte au centre et très diluée à la périphérie ; encore fallait-il s’accorder sur ce qui constituait le centre et sur ce qui était relégué à la périphérie. Disons d’emblée que la position des lettrés fut fluctuante à cet égard. S’il ne fait pas de doute que l’Italie, la France et l’Empire germanique appartenaient au centre, sans que ce choix soit exclusif, le centre du centre varia en fonction des circonstances et de la zone géographique de ceux qui en parlaient [30). Rome bénéficia longtemps de cette position du fait de ses prestigieuses racines antiques et de la présence du siège de saint Pierre ; cette primauté fut toutefois disputée par d’autres villes italiennes et elle ne fut en tout cas plus reconnue par l’ensemble du monde lettré, lorsque la Réforme eut triomphé au Nord de l’Europe et lorsque le roi Henry VIII fit sortir l’Angleterre du giron de l’Eglise. Face à un centre quelque peu mouvant, la représentation de la périphérie fut tout aussi floue. Les humanistes et leurs élèves avaient tendance à considérer comme des marges de l’Europe les régions qui échappaient à leur influence et qui leur étaient mal connues ou difficilement accessibles : telle était la situation des îles océanes - excepté la Grande-Bretagne - et de la Moscovie dont ils ne savaient, faute de frontière naturelle évidente, si elle était d’Europe ou d’Asie. Mais ils furent parfois contraints de remettre en cause leurs classements grâce à l’action vigoureuse menée avec leurs propres armes par des lettrés issus de contrées « marginalisées ». Ceux-ci utilisèrent avec succès le latin et des références antiques pour démontrer que leurs patries répondaient aux exigences de la République des Lettres et qu’elles devaient y être intégrées au même titre que les autres pays cultivant les bonae litterae ; ils ne parvinrent pas pour autant à éliminer des stéréotypes qui se transmettaient de générations en générations.
Les Irlandais, les Islandais et les Moscovites furent ainsi, pour reprendre une formule heureuse de John Hale [31], « les Amérindiens de l’Europe chrétienne ». Car les uns et les autres ne répondaient pas - ou presque pas - aux critères de civilisation élaborés par les humanistes. Situés par les Anciens dans le même environnement britannique au bout du monde, occupant des îles qui portaient des noms presque semblables (Irlande, Islande), les Irlandais et les Islandais apparaissaient quasiment interchangeables [32]. Ils s’occupaient peu d’agriculture, ce qui leur était reproché sans qu’il soit tenu compte des contraintes climatiques, et vivaient essentiellement de chasse et/ou de pêche. Pour se loger, ils se contentaient d’aménager la nature : grottes, igloos, cabanes en bois et ne connaissaient pas (ou peu) les constructions en dur et le regroupement en agglomérations. Leurs mœurs se révélaient conformes à la rudesse de leur cadre de vie. Qu’il soit dressé par des lettrés italiens ou anglais, le portrait moral des Irlandais était loin d’être flatteur : « il y a chez eux une race sauvage, inculte, sotte, rude, qui à cause de sa culture particulièrement indigente et de ses mœurs rustiques est appelée ‘sylvestre’ » faisait remarquer en 1534 l’historiographe des Tudor, Polydore Virgile [33] ; « les Irlandais méprisent et dédaignent tout ce qui est nécessaire à la vie civile de l’homme » renchérissait en 1615 Sir John Davies, qui connaissait pourtant bien le pays et s’efforçait en général d’être équitable [34]. Les Islandais n’étaient guère mieux lotis. Certes, on leur reconnaissait une certaine culture, puisqu’ils gravaient sur des roches les hauts faits de leurs ancêtres et des autres ; ils n’en restaient pas moins primitifs et rustauds, allant jusqu’à préférer leurs chiots à leurs enfants et ne pratiquant aucun art digne de mention, comme le résumait méchamment Arnold Mercator en 1554 :
« Il en est qui disent que le peuple est à ce point capable de jouer de la lyre qu’il séduit les poissons et les oiseaux par la douceur de son chant. Je suis d’autant moins porté à croire en une telle affirmation, que j’ai compris combien cette race est barbare (quantum barbarum sit hominum genus), elle qui ne s’adonne à aucun autre art que prendre des poissons » [35].
Les Irlandais et les Islandais n’étaient cependant pas totalement irrécupérables. D’une part, leurs mœurs s’adoucissaient au contact des marchands du continent. D’autre part, leur caractère naturellement superstitieux leur inspirait un grand respect pour les autorités religieuses, ce qui en faisait des ouailles très soumises, une fois qu’elles étaient christianisées. On comprend dès lors pourquoi ces îles océanes ont été associées au Nouveau Monde au point de constituer avec lui une même zone de confins de l’œcoumène, semblable à celle des Anciens, avec toutefois plus d’épaisseur : l’imaginaire de l’Europe humaniste considérait en quelque sorte que les découvertes ethnologiques en Amérique avaient été précédées par des découvertes équivalentes dans les îles lointaines de l’Océan occidental, où des groupes humains avaient été conservés dans l’état d’enfants avant d’être pris en charge par l’Eglise et de bénéficier d’échanges commerciaux avec le continent [36].
À l’autre extrémité de l’Europe, la Moscovie, terre de culture métisse du fait de sa position, apparaissait plus barbare que civilisée. Certes, ses habitants avaient conquis sur la forêt des champs sur lesquels ils produisaient du blé en abondance et des cultures maraîchères admirées par les voyageurs occidentaux : ils connaissaient donc une campagne aménagée à côté de vastes étendues marécageuses ou boisées, dont l’immensité, l’uniformité et les dangers rebutaient ces mêmes voyageurs. Certes, les Moscovites s’étaient regroupés dans des villages et dans des villes ; mais ces dernières étaient constituées essentiellement de maisons de bois séparées les unes des autres par des enclos et des rues sales et boueuses tracées sans plan urbanistique ; les bâtiments en pierres et en briques y étaient suffisamment rares pour être l’objet de mentions particulières dans les récits de voyage. Sans être ramenés au premier stade de l’évolution technique, celui des habitations « naturelles », les Moscovites se trouvaient ainsi classés de facto dans un stade intermédiaire, selon le schéma développé par Vitruve. C’est néanmoins sur le plan de leurs mœurs que les Moscovites se révélèrent particulièrement dépourvus d’ « européanité ». L’ensemble des lettrés qui les ont décrits ne partageaient sans doute pas le jugement excessif de George Tuberville, qui s’était rendu en Moscovie et qui éprouvait à l’égard des Irlandais un sentiment largement partagé par les sujets de la reine Elizabeth au moment de la colonisation de l’Irlande par les Anglais :
« Les sauvages Irlandais sont aussi civils
Que des Russes, entre les deux il est difficile
De dire ce qui vaut le mieux, tant ils sont
Sanglants, grossiers et aveugles.
Si tu as un peu de sagesse, et de la sagesse
Tu en as, et si tu veux m’en croire,
Reste tranquillement à la maison,
Ne te mets pas dans la tête
D’aller visiter ces côtes barbares » [37].Il n’empêche qu’ils ont signalé régulièrement leur penchant immodéré pour l’alcool, dont la population tirait une très grande fierté, la grossièreté de leurs manières à table et ailleurs, qu’il s’agisse des humbles ou de la cour du tsar, et l’inculture de toutes les catégories sociales, y compris le clergé, comme le constata, par exemple, le père jésuite Campana :
« Une telle ignorance a envahi ces populations que même dans les monastères on trouvera avec difficulté des gens qui sachent lire » [38].
Là où un enseignement était organisé, il l’était uniquement dans la langue des Moscovites et il ignorait superbement le latin, le grec et l’hébreu ; il ne s’occupait du reste pas davantage des lilterae humaniores [39]. En revanche, deux qualités ont été reconnues à ces populations, à savoir leur endurance dans la vie civile et au combat et leur profond amour de la religion, dont certains aspects ont toutefois été considérés avec un regard différent, selon que l’observateur était catholique ou réformé : le respect des rites et le culte des icônes ont ainsi laissé croire aux uns que les sujets du tsar pourraient sans trop de difficulté accepter l’union avec Rome, tandis qu’il démontrait aux autres la superstition et l’idolâtrie de ceux qui s’y livraient. À bien des égards, les Moscovites méritaient donc de figurer parmi les « Amérindiens » de l’Europe, moins primitifs toutefois dans leur gestion de la nature que les indigènes du Nouveau Monde ; ils étaient également moins faciles à « éduquer » en raison du schisme dans lequel ils se complaisaient et de l’autoritarisme du tsar qui contrôlait les allées et venues de ses sujets et des étrangers sur l’ensemble de ses territoires, empêchant de la sorte l’acculturation de son peuple.
Conclusion
Comme on peut le constater, les hommes de la Renaissance éprouvèrent les mêmes difficultés que nous face à la définition et à la délimitation de l’Europe. Les frontières naturelles ne leur étaient d’aucune utilité, sauf si elles constituaient des obstacles qui entravaient la circulation des personnes et des biens ; c’est pourquoi les mers à traverser leur semblaient aptes à distinguer les continents les uns des autres. Il est permis de se demander comment ils réagiraient devant la multiplication et la massification des moyens de transport s’ils tentaient aujourd’hui de cerner l’essence de l’ « européanité ».
On observe de même que leur concept « Europe » et ses contours flous résultent du croisement de plusieurs critères, dont chacun a sa propre histoire. La chrétienté, malgré le schisme d’Orient, a en effet continué à différencier l'Europe des autres continents : elle a créé un préjugé favorable en faveur de l’intégration de la Moscovie, même si cette dernière n’avait pas de frontière naturelle qui la sépare de l’Asie, même si ses populations présentaient aux yeux des Occidentaux des traits qui les apparentaient aux Mongols, leurs anciens envahisseurs. Le retour à l’Antiquité a fourni d’autres critères, qui influencèrent la représentation cartographique des continents et qui contribuèrent à établir une discrimination entre les différentes cultures découvertes ou redécouvertes par les Occidentaux. L’Europe constitua en quelque sorte la version profane de la chrétienté, version qui apparut plus pertinente après la rupture radicale de la Réforme et le renforcement des États. Mais la première ne supprima pas totalement la seconde.
On note enfin que bien des critères de civilisation élaborés à la Renaissance et bon nombre de stéréotypes ont influencé notre perception des autres et l’influencent aujourd’hui encore. L’importance du progrès technique, la conquête et la maîtrise de la nature, la primauté de la ville ou du paysage rurbain, l’existence de l’écrit ont été l’aune à laquelle les différentes cultures ont été mesurées, avec les conséquences inévitables que l’on sait : mépris éprouvé à l’égard des peuples nomades, incompréhension face aux peuples qui privilégiaient une intégration à l’environnement plutôt que sa maîtrise, condescendance témoignée à des peuples dits « sans histoire », parce que leur passé était transmis uniquement par tradition orale. La mondialisation est sans doute en train de modifier la donne : modifiera-t-elle pour autant les paramètres évaluateurs forgés en Occident et favorisera-t-elle l’émergence d’une culture métisse? Face à cette interrogation, qu’il me soit permis de faire mien le souhait exprimé par Amin Maalouf : « Il faudrait faire en sorte que personne ne se sente exclu de la civilisation commune qui est en train de naître, que chacun puisse y retrouver sa langue identitaire et certains symboles de sa culture propre, que chacun là encore, puisse s’identifier, ne serait-ce qu’un peu, à ce qu’il voit émerger dans le monde qui l’entoure, au lieu de chercher refuge dans un passé idéalisé » [40].
Notes
[1] Ce qui n’empêche pas que de nombreuses valeurs constitutives de son identité remontent au Moyen Age, ainsi que vient de le démontrer J. LE GOFF, L’Europe est-elle née au Moyen Age ?, Paris, Seuil, 2003. [Retour au texte]
[2] Cf. J. HALE, La civilisation de l’Europe à la Renaissance. Traduit de l’anglais par R. GUYONNET, Paris, Perrin, 1998 (1e éd. en anglais 1993), p.3. Sur la conscience de l’Europe à la Renaissance, voir notamment La conscience européenne au XVe et au XVIe siècle, Paris, L’Ecole, 1982. [Retour au texte]
[3] Le « long seizième siècle » cher aux historiens de la Renaissance, qui l’enclosent entre 1450 et 1625 (cf. J. HALE, op.cit. (n.2), p.XI) s’oppose en quelque sorte au « long Moyen Age », cher aux médiévistes, qui lui font englober le XVe siècle ; cf. J. LE GOFF, op.cit. (n.1), pp.255-257. [Retour au texte]
[4] Cf. p.ex. S.O.T. CHRISTENSEN, The Image of Europe in Anglo-German Travel Literature, dans Voyager à la Renaissance. Actes du Colloque de Tours 30 juin-13 juillet 1983, éd. J. CEARD et J.-C. MARGOLIN, Paris, Maisonneuve et Larose, 1987, pp.257-280. [Retour au texte]
[5] De nombreuses études ont été consacrées à l’influence de Ptolémée. Cf. p.ex. N. BROC, La géographie de la Renaissance, Paris, Les éditions du C.T.H.S. 1986 (1e éd. 1980), pp.9-15 ; J. BABICZ, La résurgence de Ptolémée, dans Gérard Mercator cosmographe. Le temps et l’espace, Anvers, Fonds Mercator Paribas, 1994, pp.50-69. [Retour au texte]
[6] Cf. J. HALE, op.cit. (n.1), p.34. [Retour au texte]
[7] Cf. p.ex. J. HALE, op.cit. (n.1), pp.27-28 ; S. MUND, Orbis Russiarum. Genèse et développement de la représentation du monde « russe » en Occident à la Renaissance, Genève, Droz, 2003, p.290. [Retour au texte]
[8] Je donne au terme « humaniste » la définition qu’en propose Jean-Claude Margolin : « L’humaniste est celui qui enseigne, qui aime ou qui pratique les studia humanitatis ou les litterae humaniores (encore appelées bonae litterae), ces ‘humanités’ ou ces ‘lettres qui accroissent votre humanité’. Celles-ci représentent un ensemble de disciplines - et, à la limite, elles peuvent s’étendre à toutes les disciplines qui ont l’ambition de rendre compte du savoir dans sa diversité et son intégralité -, mais la base de cet enseignement demeure la grammaire, la rhétorique, la dialectique, le commentaire des auteurs (poètes et prosateurs), et leur finalité propre, c’est de permettre aux jeunes gens d’acquérir ou de faire fructifier leur humanitas, c’est-à-dire de devenir des hommes, au sens plein du terme, en combinant harmonieusement un idéal de connaissance et un idéal d’action », cf. J.-C. MARGOLIN, Les humanistes et l’Amérique, dans F. ARGOD-DUTARD éd., Histoire d’un Voyage en la terre du Brésil. Jean de Léry : Journées d’étude (10-11 décembre 1999), Bordeaux, Centre Montaigne, 2000, p.10. [Retour au texte]
[9] Si la Russie orthodoxe demeura fermée à l’humanisme, l’ouverture fut plus grande du côté laïc : ainsi, le tsar Ivan III invita des architectes italiens à construire la cathédrale de l’Assomption, le palais à facettes et les remparts du Kremlin. [Retour au texte]
[10] VITRUVE, II, cap.1, cité par J. HALE, op.cit. (n.1), pp.368-369. [Retour au texte]
[11] TACITE, Agricola, 21, cité par J. HALE, op.cit. (n.1), p.369. [Retour au texte]
[12] Cité par J. HALE, op.cit. (n.1), pp.611-612. [Retour au texte]
[13] E. SPENSER, La reine des fées, L.V, chant X, 22-23 cité par J. HALE, op.cit. (n.1), p.529. [Retour au texte]
[14] Cité par J. HALE, op.cit. (n.1), p.529. [Retour au texte]
[15] Cité par J. HALE, op.cit. (n.1), p.530. [Retour au texte]
[16] F. BACON, De principiis atque originibus secundum fabulas Cupidinis et Coeli : siue Parmenidis, et Telesii et praecipue Democriti philosophia, tractata in fabula de Cupidine (1623-1624), cité par A. SCHIAVONE, L’histoire brisée. La Rome antique et l’Occident moderne, traduit de l’italien par J. et G. BOUFFARTIGUE, Paris, Belin, 2003 (éd. ital. 1996), p.237. [Retour au texte]
[17] Prologues aux Elegantiae de Lorenzo Valla (vers 1440), tels qu’ils sont résumés par F. RICO, Le rêve de l’humanisme. De Pétrarque à Erasme, traduction française de J. TELLEZ, revue par A.-P. SEGONDS, Paris, Les Belles Lettres, 2002 (1e éd. esp. 1993 ; 2e éd. rev. ital. 1998), p.20. [Retour au texte]
[18] Cf. CICERON, De off., I, 42 et 150, De oratore, III, 32, Pro Sex.Rosc., 46 et 134. [Retour au texte]
[19] V. da BISTICCI, Le vite, cité par F. RICO, op.cit. (n.13), p.49. [Retour au texte]
[20] Même les statuts d’artisan et d’artiste ne bénéficiaient pas automatiquement d’une considération sociale, comme le démontre remarquablement A. CHASTEL, « L’artiste », dans L’homme de la Renaissance, éd. E. GARIN, trad. franç. de M. AYMARD et de P.-A. LESORT, Paris, Seuil, 1990 (et 1992 pour la bibliographie ; 1e éd. en anglais et en italien, 1988), pp.255-288. La mention de Giotto et de Cimabue au chant XI du Purgatoire de Dante mis en parallèle avec des poètes choqua les commentateurs parce qu’elle glorifiait des « gens de basse classe », dépourvus de culture littéraire. Quant aux artisans, ils étaient tout simplement ignorés des clercs et l’écart entre les deux s’accrût durant la Renaissance (pp.282-284). [Retour au texte]
[21] ARISTOTE, Politique, I, v, 8-9, commenté par T. TODOROV, La conquête de l’Amérique. La question de l’autre, Paris, Seuil, 1972, p.194. [Retour au texte]
[22] Cité par J. HALE, op.cit. (n.1), p.369. [Retour au texte]
[23] G. AGRICOLA, De re metallica lib. XII, Bâle, 1561, p.17 ; cité par A. SCHIAVONE, op.cit. (n.12), p.166. [Retour au texte]
[24] Cité par J. HALE, op.cit. (n.1), pp.45-46 ; sur la représentation de l’Afrique en occident, voir l’ouvrage fondamental de F. de MEDEIROS, L’Occident et l’Afrique (XIIIe-XVe siècle). Images et représentations, Paris, Karthala, 1985. [Retour au texte]
[25] Ce point a été développé à l’occasion du colloque EUXIN organisé à Louvain-la-Neuve sur l’imaginaire des langues ; cf. M. MUND-DOPCHIE, La langue, instrument de la conquête de l’Autre à la Renaissance, dans Imaginaires européens. Les langues pour parler en Europe. Dire l'unité à plusieurs voix, études réunies et présentées par P.-A. DEPROOST & B. COULIE, Paris, L’Harmattan, 2003, pp.111-128. [Retour au texte]
[26] Ce point a été développé à l’occasion du colloque EUXIN organisé à Louvain-la-Neuve sur l’utopie ; cf. M. MUND-DOPCHIE, De l’âge d’or à Prométhée : le choix mythique entre le bonheur naturel et le progrès technique, dans Imaginaires européens. L'utopie pour penser et agir en Europe, études réunies et présentées par P.-A. DEPROOST & B. COULIE, Paris, L’Harmattan, 2002, pp.39-52. [Retour au texte]
[27] Cf. p.ex. J. HEERS, Christophe Colomb, Paris, Marabout, 1981, pp.102-116. [Retour au texte]
[28] Cf. J. HALE, op.cit. (n.1), pp.46-47. [Retour au texte]
[29] Cité par J. HALE, op.cit. (n.1), p.371. [Retour au texte]
[30] Voir à ce propos les remarques pertinentes de P. BURKE, La Renaissance européenne. Traduit de l’anglais par P. CHEMLA, Paris, Seuil, 2000, pp.21-22. [Retour au texte]
[31] J. HALE, op.cit. (n.1), p.373, qui toutefois ne qualifie ainsi que les Irlandais et les Moscovites. [Retour au texte]
[32] Sur les Irlandais, voir notamment E. HAYWOOD, Is Ireland Worth Bothering About ? Classical Perceptions of Ireland Revisited in Renaissance Italy, dans International Journal of the Classical Tradition, 2.4 (1996), pp.1-20 et « La divisa dal mondo Ultima Irlanda » ossia la riscoperta umanistica dell’Irlanda, dans Giornale storico della letteratura italiana, CLXXVI, fasc.575 (1999), pp.363-387 ; sur les Islandais, voir notamment M. MUND-DOPCHIE, Les étranges Islandais des confins de l’Europe : genèse et développement d’une représentation de l’autre dans l’Occident latin à la Renaissance, dans Revue des Lettres et de Traduction, 9 (2003), pp.159-180. [Retour au texte]
[33] P. VERGILIUS, Anglicae historiae libri vigintiseptem, Bâle, 1570 (1e éd. 1534), p.594, cité et commenté par E. HAYWOOD, « La divisa dal mondo Ultima Irlanda »…, op.cit. (n.25), p.375. [Retour au texte]
[34] J. DAVIES (1612), cité et commenté par J. HALE, op.cit. (n.1), pp.373-374. [Retour au texte]
[35] Arnold MERCATOR (1558), carte de l’Islande. [Retour au texte]
[36] Sur le rapprochement entre l’Irlande et l’Amérique, voir E. HAYWOOD, « La divisa dal mondo Ultima Irlanda »…, op.cit. (n.25), p.373 ; sur le rapprochement entre l’Islande et l’Amérique, voir M. MUND-DOPCHIE, Les étranges Islandais…, op.cit. (n. 5), p.174-176. [Retour au texte]
[37] G. TUBERVILLE (1568), cité par J. HALE, op.cit. (n.1), p.373. [Retour au texte]
[38] G.P.CAMPANA (ca 1581) cité par S. MUND, op.cit. (n.7), p.138. [Retour au texte]
[39] C. ADAMS (1554), cité par S. MUND, op.cit. (n.7), p.130. [Retour au texte]
[40] A. MAALOUF, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p.210. [Retour au texte]
FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 7 - janvier-juin 2004
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