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Métamorphoses d'Ovide : Avant-Propos - Notices - Livre I (Plan) - Hypertexte louvaniste - Iconographie ovidienne - Page précédente - Page suivante
OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE I
[Trad. et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2005]
L'humanité renouvelée (1, 253-415)
Le déluge
Jupiter choisit l'eau plutôt que le feu pour anéantir le genre humain. Il met en branle vents, pluies et eaux des fleuves et des mers, qui provoquent un déluge. Suit une description très imagée et plutôt exagérée des effets de ce cataclysme dévastateur pour la nature, les animaux et les hommes. Ceux qui échappent à la noyade meurent de faim. (1, 253-312)
Iamque erat in totas
sparsurus fulmina terras ; |
Déjà Jupiter
était prêt à lancer ses foudres partout
sur la terre ; |
|
1, 255 |
conciperet flammas longusque
ardesceret axis : |
risque de s'enflammer, et pour la voûte du ciel de se consumer. |
1, 260 |
poena placet diuersa, genus
mortale sub undis Protinus Aeoliis Aquilonem
claudit in antris |
et décide un
châtiment
tout différent :
anéantir le genre humain Aussitôt
il enferme dans l'antre d'Éole
l'Aquilon |
1, 265 |
terribilem picea tectus
caligine uultum ; |
son visage effrayant
est couvert d'une poix noire ; |
nuntia Iunonis uarios induta
colores |
Messagère de Junon,
revêtue d'un éventail de couleurs, |
|
caeruleus frater iuuat
auxiliaribus undis. |
son
frère
bleu de mer l'aide de ses flots. Il convoque les
fleuves. |
|
1, 280 |
fluminibus uestris totas
inmittite habenas ! » |
lâchez la bride
à tous vos courants. » Tel était son
ordre. |
1, 285 |
Exspatiata ruunt per apertos
flumina campos |
Les fleuves, sortis de leur
lit, se répandent dans la rase campagne ; |
1, 290 |
unda tegit, pressaeque latent sub gurgite turres. Iamque mare et tellus nullum
discrimen habebant : |
et ses tourelles écrasées disparaissent sous le tourbillon. Désormais, plus rien
ne distinguait la mer de la terre ; |
1, 295 |
ille supra segetes aut
mersae culmina uillae |
Cet autre navigue sur ses
moissons ou sur sa villa aux toits inondés |
nunc ibi deformes ponunt sua
corpora phocae. |
des phoques posent
maintenant leurs corps informes. |
|
1, 305 |
unda uehit tigres ; nec
uires fulminis apro, |
et emporte des tigres ;
le sanglier ne tire rien de sa force foudroyante |
1, 310 |
pulsabantque noui montana
cacumina fluctus. |
et des flots inconnus
venaient frapper les sommets des montagnes. |
Deucalion et Pyrrha : Métamorphose de pierres en humains (1, 313-415)
Ovide ramène alors son lecteur en Béotie, où ont échoué sur les cimes du mont Parnasse les seuls humains survivants, Deucalion et Pyrrha. Jupiter, les voyant pieux et justes, décide de mettre fin au déluge. Le retour à la normale est décrit avec autant d'imagination que la catastrophe. (1, 313-347)
Désespéré par la solitude, Deucalion prend conscience du rôle que les dieux ont fixé à leur couple pour effectuer le renouvellement de l'humanité. Pieusement, les deux rescapés apprennent de l'oracle de la déesse Thémis qu'ils doivent jeter derrière eux les os de la grande mère. D'abord hésitants, ils déduisent, après réflexion, que la grande mère est la terre et que ses ossements sont en fait des pierres. (1, 348-394)
Suit la description de la métamorphose en hommes et en femmes des pierres lancées respectivement par Deucalion et Pyrrha. (1, 395-415)
Separat Aonios Oetaeis
Phocis ab aruis, |
La
Phocide
sépare l'Aonie
des campagnes de l'Oeta ; |
|
pars maris et latus
subitarum campus aquarum. |
elle faisait partie de la
mer, large plaine d'eaux soudain apparues. |
|
Corycidas nymphas et numina
montis adorant |
Ils invoquent les
Nymphes
Coryciennes, les
divinités de la montagne, |
|
1, 325 |
et superesse uirum de tot
modo milibus unum, |
que, de tant de milliers
d'hommes, il n'en subsiste qu'un seul, |
Nec maris ira manet,
positoque tricuspide telo |
La mer renonce à sa
colère, le maître de l'océan pose son
trident |
|
1, 335 |
iam reuocare dato :
caua bucina sumitur illi, |
et les fleuves : Triton
saisit sa trompe creuse en spirale, |
1, 340 |
contigit et cecinit iussos
inflata receptus, |
toucha la conque
gonflée d'air, sonnant l'ordre de la retraite, |
1, 345 |
surgit humus, crescunt sola
decrescentibus undis, |
les sols s'accroissent
tandis que décroissent les eaux ; |
1, 350 |
Deucalion lacrimis ita
Pyrrham adfatur obortis : |
Deucalion fondit en larmes
et s'adressa à Pyrrha : |
1, 355 |
nos duo turba sumus ;
possedit cetera pontus. |
nous constituons toute
la population ; le reste appartient à la
mer. |
ferre modo
posses ? quo consolante doleres ! |
Seule, comment
supporterais-tu la peur ? Qui consolerait ta douleur ? |
|
1, 365 |
Nunc genus in nobis restat
mortale duobus. |
Aujourd'hui le genre humain
repose sur nous deux, d'invoquer
la puissance
céleste et l'aide d'oracles sacrés. |
ut nondum liquidas, sic iam
uada nota secantes. |
troubles encore, mais
reprenant déjà leurs routes
familières. |
|
Vt templi tetigere gradus,
procumbit uterque |
Dès qu'ils eurent
atteint les degrés du temple, tous deux se
prosternèrent, |
|
arte sit, et mersis fer
opem, mitissima, rebus ! » |
et, dans ta grande
bonté, viens en aide à notre monde
submergé. » |
|
1, 385 |
Pyrrha prior iussisque deae
parere recusat, |
prend d'abord la
parole ; elle refuse d'obéir aux ordres de la
déesse |
Inde Promethides placidis
Epimethida dictis |
Puis le fils de
Prométhée apaise la fille
d'Épiméthée |
|
1, 395 |
Coniugis augurio quamquam
Titania mota est, |
Bien
qu'ébranlée par l'interprétation de son
époux, la
Titanienne |
1, 400 |
Saxa (quis hoc credat, nisi
sit pro teste uetustas ?) |
Ces pierres - qui le
croirait, si l'antiquité n'en
témoignait ? - |
1, 405 |
forma potest hominis, sed
uti de marmore coepta |
mais semblable à des ébauches de marbre, qui ne seraient pas assez achevées et ressembleraient fort à
des statues grossières. |
1,410 |
quae modo uena fuit, sub
eodem nomine mansit, |
ce qui naguère
était veine,
reste veine, et conserve donc son nom. |
1, 415 |
et documenta damus qua simus
origine nati. |
et nous donnons la preuve de l'origine de notre naissance. |
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NOTES
la masse du monde, entourée de flammes (1, 254-258). Ce passage évoque la thèse stoïcienne de l'ekpurôsis, selon laquelle le monde un jour serait détruit par le feu. Mais les lecteurs d'Ovide devaient également songer à l'épisode de Phaéton, qui sera raconté plus loin dans les Métamorphoses (2, 1-400).
Cyclopes (1, 259). Dans la mythologie, les Cyclopes appartiennent à la première génération divine, celle des Géants. Ils n'ont qu'un oeil au milieu du front (d'où leur nom) et se caractérisent par leur force et leur habileté manuelle. Ils sont au nombre de trois, Brontès, Stéropès et Argès. C'est eux qui ont permis aux Olympiens de remporter la victoire sur les Titans ; ils ont notamment fourni à Zeus la foudre et le tonnerre, ce qui explique que la légende les présente toujours comme les forgerons de la foudre divine. C'est le cas ici. - « Dans la poésie alexandrine, les Cyclopes ne sont plus considérés que comme des démons subalternes, forgerons et artisans de toutes les armes des dieux. Ils habitent les îles Éoliennes ou la Sicile. Là, ils possèdent une forge souterraine et travaillent à grand bruit » (P. Grimal). Virgile leur attribuera la construction des murs entourant les Champs Élysées (Én., 6, 630-631). Callimaque (Hymne à Artémis, 46-86) semble avoir été le premier à avoir fait des Cyclopes les ouvriers de Héphaistos. Quant aux Cyclopes d'Homère avec lesquels Ulysse dut se mesurer dans l'Odyssée (9, 170-540), ils n'ont pas grand-chose en commun, sinon le nom, avec les forgerons divins. Sur les Cyclopes, voir par exemple Ovide, Fastes, 4, 287 et note ; Virgile, Én., 3, 569 et note ; et surtout au huitième livre de l'Énéide, l'épisode célèbre de Vulcain dans l'antre des Cyclopes (8, 416-453).
châtiment tout différent (1, 260). Ovide annonce le déluge (l'eau est l'opposé du feu), qu'il décrira avec beaucoup d'imagination dans le passage qui suit. Voir, pour une évocation moins emphatique du déluge, Sénèque, Questions naturelles, III, 27 (tout particulièrement les paragraphes 12 à 15, où Sénèque commente Ovide). Voir aussi Horace, Odes, I, 2 (qui aurait peut-être suggéré l'une ou l'autre image à Ovide). On n'oubliera pas que la Genèse, 6, 1 à 8, 22, comporte un célèbre récit de déluge, inspiré de celui de l'épopée de Gilgamesh.
Éole... Aquilon... Notus (1, 262-263). Éole, fils de Poséidon, est le dieu des vents. L'image qu'en donne Virgile, Én., 1, 52-80, est célèbre : on s'y reportera. Les antres d'Éole étaient situés dans les îles Lipari, au nord de la Sicile. - L'Aquilon est un vent du nord, sans doute moins chargé de pluies que le Notus, vent du sud.
Iris (1, 271). De la race d'Océan, Iris assure la liaison entre la Terre et le Ciel et est symbolisée par l'arc-en-ciel. Comme Hermès, elle porte les messages des dieux, notamment ceux de Héra-Junon. Voir par exemple Virgile, Én., 4, 700-705 ; 5, 657-8.
frère (1, 275). Il s'agit de Poseidon-Neptune, frère de Jupiter, et maître des océans, et donc aussi des fleuves. Il a la couleur bleu sombre (caeruleus en latin) comme la mer. Cfr aussi Triton, en 1, 333.
demeures (1, 279). « Les cavernes et les abîmes où leurs eaux sont amassées. » (G. Lafaye)
dégagent les bouches (1, 281). Métaphore assimilant les sources à des chevaux débridés.
autels (1, 287). Les autels domestiques, abritant par exemple les statues des dieux du foyer (Lares, Pénates) et les objets du culte (vases, patères servant aux libations).
tourelles (1, 290). Petites tours pouvant éventuellement servir de pigeonniers.
Néréides (1, 301). Cinquante divinités marines, filles de Nérée (cfr 1, 187) et petites-filles d'Océan, qui vivaient au fond de la mer. Certaines d'entre elles, Amphitrite, Galatée, Thétis... sont très connues.
Phocide... Aonie... Oeta (1, 313). La Phocide est une région de Grèce centrale, voisine de la Béotie, désignée souvent par les poètes par le terme Aonie (en réalité, une partie seulement de la Béotie). L'Oeta est une montagne voisine. Ovide va donc situer en Grèce l'histoire de Deucalion et Pyrrha. La localisation de l'épisode varie. Ainsi Hygin (Fables, 153) parle de la Sicile et des pentes de l'Etna.
Parnasse (1, 317). Imposante montagne (elle culmine à 2457 mètres) au nord de Delphes, considérée comme le séjour d'Apollon et des Muses. Il est inexact qu'elle possède deux sommets. Cette erreur géographique, qui se rencontre ailleurs dans la littérature latine (Mét., 2, 221 par exemple) semble devoir son origine à une mauvaise compréhension d'un passage de Sophocle (Antigone, 1126).
Deucalion... (1, 318-319). Deucalion, fils de Prométhée (cfr 1, 364 et 1, 390), époux de sa cousine Pyrrha, fille d'Épiméthée. C'est en quelque sorte l'homologue grec du Noé de la Bible, le seul, avec son épouse, à avoir échappé à la destruction générale du déluge. Ovide ne retient que certains aspects de sa légende. Ainsi, par exemple il ne dira pas que Jupiter a expressément voulu les sauver parce qu'ils étaient les seuls êtres pieux dans l'humanité dégénérée et maudite de l'époque. Ovide ne dit pas non plus que Prométhée avait prévenu son fils de la catastrophe imminente et l'avait invité à s'enfermer dans un coffre avec sa femme. Ovide va se concentrer sur les circonstances de la recréation d'une humanité nouvelle.
Nymphes Coryciennes (1, 320). « Nymphe aimée par Apollon, Corycie donne son nom à une caverne située sur le mont Parnasse, au nord de Delphes, où les nymphes ont l'habitude de se réunir. » (J. -Cl. Belfiore, DMGR, 2003, p. 159-160). On appelle ces nymphes « Coryciennes » ou « Corycides ».
Thémis (1, 321). Fille du Ciel et de la Terre, épouse de Zeus (première épouse pour Pindare ; seconde épouse pour Hésiode), Thémis est la déesse de la justice. Elle passait notamment pour avoir inventé les oracles, les rites et les lois, et pour avoir enseigné à Apollon l'art de la divination. Astrée (1, 150), avec qui elle est parfois confondue, est sa fille. Elle est aussi liée à l'oracle de Delphes. D'après Eschyle, Euménides, 2-8, cet oracle fut tenu en premier lieu par la Terre, puis par Thémis, ensuite par Phébé et enfin par Apollon.
trident (1, 330). Attribut traditionnel de Poéidon-Neptune.
Triton (1, 332). Dieu marin, fils de Poséidon et d'Amphitrite, souvent représenté avec la conque qui est son instrument ; il a lui aussi (comme Poséidon, en 1, 275) la couleur bleu sombre de la mer (caeruleus). Cfr Virgile, Én., 1, 144 ; 6, 173.
du levant au couchant (1, 338). Littéralement : les rivages qui s'étendent « sous l'un et l'autre Phébus », ce que G. Lafaye traduit « aux deux bouts de la carrière de Phébus ».
ma soeur (1, 351). Pyrrha était la cousine germaine de Deucalion. Voir 1, 319 n. et 1, 390.
lever et coucher (1, 354). Autre métaphore pour désigner l'Orient et l'Occident.
arts de mon père (1, 363). Allusion à la légende de Prométhée, créateur du genre humain. Voir plus loin 1, 390 et la note à 1, 82.
puissance céleste (1, 367-368). Sans plus de précision. Il s'agit probablement de Thémis (cfr 1, 321 et 1, 379).
Céphise (1, 369). Cours d'eau coulant de l'ouest vers l'est, au nord du mont Parnasse et se jetant dans le Lac Copaïs. Il passe pour le père de Narcisse, dont l'histoire est racontée en 3, 339-401.
déesse (1, 372). Thémis (voir 1, 321). Ovide dans tout ce passage insiste sur la piété des personnages, qui respectent les formules de prières et les rites.
Titanienne (1, 395). Pyrrha, fille d'Épiméthée, est la petite-fille du Titan Japet.
se voilent la tête, dénouent leurs tuniques (1, 398). « Dans toute cérémonie religieuse, il fallait se voiler la tête, sauf le visage, et dénouer les noeuds des ceintures, des bandelettes, etc., qu'on avait sur soi. L'opération qui se prépare, inspirée par la divinité, a un caractère sacré. » (G. Lafaye)
veine (1, 410). En latin comme en français, le mot peut revêtir les deux significations de « filon » et de « vaisseau sanguin ».
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