FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 22  - juillet-décembre 2011


Le Virgile de Jean d'Outremeuse. IV. Le séjour napolitain

par

Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet


[ I. Introduction ]   [ II. Origine, enfance, formation ]  [ IV. Le séjour romain ]  [ V. Conclusion et perspectives ]  [ VI. Bibliographie sélective ]


   

            Virgile, qui a abandonné Rome, va s’installer définitivement à Naples. Une nouvelle vie commence pour lui, mais, comme précédemment, Jean d’Outremeuse va mélanger la vie de son héros à Naples avec les événements de l’histoire universelle. Sauf exceptions, ici aussi, nous ne considérerons toutefois que les éléments de la biographie virgilienne.

 

1. Les réalisations à Naples d’un magicien bon et souvent facétieux

 

a. La fondation de Naples et le Château de l’Œuf (p. 255)

Le récit commence par la fondation de Naples et une allusion à l’œuf-talisman de la ville. Le 11 juillet 551 (38 a.C.), selon le chroniqueur, Virgile commence à construire près de la mer une magnifique cité, qu’il appela Naples. Elle fut édifiée noblement sor I port de mere et sour I oef de ostriche (autruche). Puis Virgile bâtit un château, également près de Naples, pour abriter cet œuf de fondation, qu’il dépose dans un pilier sculpté. Il l’appelle Castel d’Œuf. L’œuf s’y trouve encore, précise Jean d’Outremeuse : il garantit la stabilité de la ville et celui qui le déplacerait ferait, dit-on, trembler la cité (et dist-ons qui moveroit l'oef la citeit croleroit).

L’évocation des créations de Virgile s’interrompt une fois de plus pour céder la place à la relation des faits contemporains concernant la Syrie d’Hérode et la Hongrie. Puis la Chronique revient à notre héros.

 

b. Un pont dans les airs (p. 255)

            Une autre réalisation de Virgile en l’an 553 (36 a.C.) fut un pont suspendu, dont personne ne pouvait expliquer comment il tenait en l’air. Et pourtant beaucoup de gens l’utilisaient, et on y faisait passer des charges très lourdes, aussi bien et même mieux que sur un autre pont. Cette construction relevait de la nigromanche (magie).

Item, l'an Vc et LIII, fist Virgile I pont parmy une aighe (au-dessus de l’eau) tout pendant en aire par nigromanche, qui fut li plus grans de monde et li plus beal ; mains ilh n'awoit et n'at ovriers ne jometriens en monde qui saroit aviseir par queile manere ilh astoit fais li commenchemens en aighe ne en terre (commet il commençait sur l’eau ou sur terre). Et pendoit tot en aere, et ne savoit nuls dire comment ilh soy sortenoit ; si passoit-ons tout parmy à grans gens, et mult de pessans faus (et on y passait nombreux, avec beaucoup de fardeaux pesants) enssi bien et mies (aussi bien et mieux) que sour I altre pont.

 

c. Le jardin merveilleux d’un magicien malicieux (p. 255-257)

            Cet enchanteur architecte réalisa aussi cette année-là un jardin magique, qu’il avait entouré entièrement d’air pur, une clôture qui fonctionnait comme un mur mais qui n’était pas visible. Dans ce jardin extraordinaire, poussait tout ce que le monde connaissait et avait connu comme plantes et comme fruits. Le jardin n’avait qu’une seule entrée, connue du seul Virgile et de ceux à qui il la montrait :

En cel an meismes fist Virgile unc jardin et l'enfermat, se l'encloyt tot altour de pure aire ; et astoit fait par teile manere que chu sembloit à cheaux qui le regardoient que che fust I mure. Et fist dedens venir toutes herbes, tous fruis de monde queilconques qui est par tous tempstemps floris, espanis et meurs (fleuris, épanouis et morts). Et si fist murs à li visible, qui à tous aultres fut invisible, car nuls n'y veioit ne murs ne pires (pierres) ; et si avoit I subtilh (secrète) entrée que nuls ne savoit, fours que Virgile et cheaux à cuy ilh le monstroit.

Dans ce jardin Virgile recevait des hôtes privilégiés qu’il distrayait à sa manière, avec une certaine bonhomie. Et ici Jean d’Outremeuse donne libre cours à son imagination, prêtant à son héros des pouvoirs dignes de l’Enchanteur Merlin. Il nous décrit diverses plaisanteries imaginées par le magicien pour amuser ses convives.

 

- Métamorphoses de convives en lions et dragons (p. 256)

Un jour – raconte-t-il – alors que Virgile festoyait dans cet eden avec une centaine de chevaliers napolitains et leurs dames, dix chevaliers, qui n’avaient pas été priés, désiraient être de la fête, mais ne trouvaient pas l’entrée. Virgile les fit entrer et lança soudain un jeu pour distraire la foule de ses invités : Là pot-ons veir I beal jeux que Virgile fist subitement. Les nouveaux venus sont aussitôt transformés en dragons, tandis qu’à leurs yeux, les convives prennent l’apparence de lions. Tout le monde a très peur ; la panique pousse les deux groupes à s’enfuir à travers le jardin. Finalement, Virgile met fin au sortilège ; personne n’a été blessé, les nouveaux venus s’intègrent aux convives et la fête peut se poursuivre. Ce type de jeux, précise Jean d’Outremeuse, Virgile en organisait souvent, mais ils n’étaient jamais méchants, si honiestement qu’ilh ne meffaisoit (ne faisaient pas de tort) à hommes ne à femmes (p. 256). Puis le chroniqueur décrit une autre farce.

 

- Un ânier dupé (p. 256-257)

Ce jour-là, pour continuer à distraire ses hôtes, Virgile charge son valet d’enlever pendant son sommeil les ânes d’un paysan du voisinage, et de les introduire dans le jardin merveilleux. Les ânes font leurs délices de chardons qu’ils ne trouvent que là, tandis que, à travers le mur d’air devenu transparent par magie, les convives peuvent voir le paysan se réveiller et se désespérer de la perte de ses bêtes. Il les cherche partout, jusqu’au moment où, arrivé près du mur, toujours invisible pour lui, qui le séparait des animaux, il les entend braire. Il se met alors à courir dans tous les sens, toujours sans les voir, ce qui amuse beaucoup les assistants. Finalement ceux-ci, apitoyés, obtiennent de Virgile qu’il rende les ânes à leur malheureux propriétaire.

Mais notre farceur, en verve, imagina de prolonger la plaisanterie. Sortis du jardin, les ânes s’étaient dispersés dans les champs, puis étaient tombés, comme morts. C’est dans cet état que le paysan les retrouve. Le malheureux retourne chez lui, où sa femme et lui pleurent de désespoir. Mais, Virgile, par un dernier tour de magie, avait, à l’insu de l’ânier, ramené les bêtes à leur étable où elles avaient retrouvé leurs habitudes. Ainsi tout finit bien ! Le couple cesse de se plaindre et rend grâce aux dieux. Bref,  des jeux anodins et facétieux.

 

d. Cierges et lampe perpétuels (p. 257)

            La chronique signale encore que, la même année, Virgile fit deux cierges ardant perpetueis (que rien ne pouvait éteindre) ainsi qu’une lampe brûlant elle aussi toujours sens estindre et sens amenrir (diminuer). Ces objets magiques, il les enferma dans un endroit souterrain de son fameux jardin.

 

e. Une tête parlante (p. 257-258)

            Virgile conçoit aussi une tête parlante dans laquelle il a placé ses esprits ; elle répondait à toutes ses questions et pouvait le tenir informé de tout ce qui se passait dans le monde :

Item, Virgile fist I tieste qui parloit et respondoit à ly de tout chu qu'ilh ly demandoit que ilh avenoit par tout le monde, car ilh mist dedens des espirs priveis (des esprits qui lui étaient particuliers).

            Ainsi apprit-il notamment que les Romains débattaient beaucoup à propos des femmes mariées, soupçonnées d’adultère, et qu’ils allaient venir solliciter son aide pour régler problème.

Celle tieste li dest I jour que grans debas astoit à Romme por lez dammes mariées, qui soy lassoient en adulteire cognostre à aultres hommes que à leurs maris, sicom ilh avoit esteit esproveit par veue (comme cela avait été prouvé par des témoins oculaires), et ilh est veriteit. « Si venrat chi maistre Grigoire ly senateur, qui vos requierat depart les Romans que vos les veulhiiés subvenir. » (p. 257- 258)

            Cette annonce plut à Virgile, qui se mit à rire. La raison de cette hilarité n’est pas précisée, mais le lecteur est en droit de songer à l'épisode de  Phébille.

 

2. Une fructueuse ambassade romaine à Naples

(Myreur, p. 258-260)

 

            Dès ce moment Virgile s’emploie à de nouvelles créations, dans le but d’aider les Romains.

 

 a. Deux remèdes contre l’adultère : une « Bouche de la vérité » avant la lettre et un « Cavalier à l’épée » (p. 258)

Sans attendre l’arrivée des ambassadeurs, Virgile fabrique un buste en cuivre, qui avait une grant geule et tout ovierte (p. 258), et aussi un cheval monté d’un cavalier brandissant une épée, capable de chevaucher où il voulait, comme s’il était vivant (p. 258). La suite du récit montrera à quoi serviront ces deux œuvres.

            En 554 (35 a.C.), Virgile accueille très aimablement les envoyés des Romains. D’emblée il leur dit sa défiance à l’égard des femmes, et il suggère un remède qui n’est pas sans évoquer pour nous la fameuse Bocca della verità romaine, bien connue aujourd'hui de tous les touristes. Cette tête à la bouche béante était capable de dénoncer les actes inconvenants des femmes mariées et des jeunes filles. Que les Romains la placent, dit Virgile, sur la tour où Phébille avait cru jadis le hisser dans la corbeille :

toutes femmes mariées et à marier, qui sieront mescreue (soupçonnées) de fornication et d'adulteir, seront amyneez devant la tieste, et butteront (placeront) leur main dedens la boche ; s'ilh est sens coulpe del fait, elle s'en partirat tantoiste (aussitôt), et s'elle en est culpauble, elle ne porat sa main oisteir (ôter) de la bouche, si aurat gehit (que si elle a avoué) tout la veriteit del fait de mot à mot (p. 258).

            Virgile conseilla aussi à ses visiteurs, pour éviter les adultères qui se passaient surtout la nuit, de proclamer un couvre-feu à Rome, et de placer la statue du cheval et du cavalier à l’épée, al coron del peron (dans la cour du perron ?), sans doute un endroit bien précis de Rome ; et il laissa entendre, sans plus, que cette statue aurait un rôle à jouer pour le redressement moral à Rome. On la retrouvera un peu plus tard.

 

b. Travaux d’utilité publique (p. 258-259)

Pendant les huit semaines de leur séjour à Naples, les délégués romains cherchent à convaincre Virgile de revenir à Rome, arguant de la longueur et de la dangerosité de la route reliant Rome et Naples (six journées à travers les montagnes) et répétant qu’ils voulaient réparer tout le mal qu’il avait subi par leur faute dans le passé. Virgile leur répond qu’il persiste dans sa décision de ne jamais retourner à Rome, mais qu’il est et sera jusqu’à sa mort aux ordres des Romains. Aussi accepte-t-il de les aider. C’est ainsi qu’il réalisera de grands travaux, qui faciliteront les échanges entre Naples et Rome.

 

- Deux canalisations pour le vin et l’huile

Il promet ainsi de faire installer la nuit même deux buses (canalisations), une sorte de pipe-line, permettant d’envoyer en une heure de temps de l’huile et du vin, entre Rome et Naples, distantes pourtant de plus de quatre-vingt lieues.

 

- Un tunnel dans la montagne

Mais ce n’est pas la seule facilité offerte par Virgile aux habitants des deux villes. Il ordonne en effet à ses esprits de creuser un tunnel à travers la montagne, assez large pour accepter deux bandes de circulation, pouvant chacune accueillir deux chars de front avec leurs charretiers, ainsi que quatre hommes à pied ou à cheval. Une inscription placée à chaque entrée imposera ce que nous appellerions aujourd’hui la conduite à droite : on pourra donc circuler dans les deux sens dans le tunnel sans se gêner. Le passage sera totalement sûr, car les convois seront surveillés.

Et si soit cascons segure (Et qu'ainsi chacun soit à l'abri) de tous murdreurs (meurtriers), laurons (voleurs) ne altre vilain cas, car ilhs en sieront bien gardeis (p. 259).

Le chroniqueur, qui envisage manifestement, sans le nommer, le tunnel antique du Pausilippe, le voit long de plus de deux lieues, d’une obscurité totale et totalement sûr. L’ensemble, dit-il, existe encore à son époque :

Et deveis savoir que la voie est de lonc dois lieues ou plus, et si fait si obscure c'on n'y perchoit nulluy ; et n'y fut oncques homme murdrit ne desrobeit. Ancors durent les chenais et la voie à jour d'huy, chu dient cheaux (ce que disent ceux) qui les ont veyut ; et passent bien en demy-heure dont parmy la montangne mettoient VI jourz ou VII (p. 259).

Ces importants travaux furent réalisés en une seule nuit de septembre, avant l’aube du lendemain.

 

c. Redressement moral à Rome (p. 259-260)

Grâce à la voie nouvelle, le retour à Rome des délégués est plus facile et plus rapide que l’aller. Fêtés à leur arrivée, ils font à l’empereur et aux sénateurs l’éloge de Virgile :

saige cleire, et ly plus subtilh de monde, et vous salue tous, car jamais ilh ne revenrat plus à Romme ; ilh l'at jureit (p. 260).

Puis, après un rapport détaillé de leur séjour napolitain, ils  en viennent à l’objet même de leur mission et expliquent le rôle de la tête de cuivre et du cavalier à l’épée dans le redressement moral de la ville :

Quant ilhs orent tout chu dit, si ont dit le fait por lequeile ilhs astoient là aleis, et monstrarent la tieste d'erain, et comment ons le doit atachier en mure, enssi com j'ay dit desus, et apres de cheval ; et ont tout dit par queile maniere ons en doit faire del tout (p. 260).

            Les autorités romaines proclament l’interdiction pour tous les hommes de sortir de leur demeure la nuit, apres le son del cloque. Ceux qui se risquaient à violer le couvre-feu étaient tués par le cavalier à l’épée, car le cheval courait toute la nuit à travers Rome, et ne réintégrait son abri qu’au soleil levant. Quant aux dames et aux demoiselles soupçonnées de mauvaise conduite, beaucoup ne réussirent pas le test de la Bocca della verità ; beaucoup d’hommes aussi n’échappèrent pas à l’épée du cavalier :

Apres ont fait le bant crieir (proclamer) qu'ilh ne soit homs, ne vies (ni vieux) ne jovenes, qui isse (sorte) de sa maison del nuit apres le son del cloque ; et se ilh y vat, chu serat sor son perilh. En teile maniere fut useit à Romme de la tieste et de cheval que nos disons. Si en furent acuseez maintes dammes et damoiselles par la tieste, et mains hons ochis par le cheval qui tout nuit coroit aval (à travers) Romme. Et ne poioit nuls escappeir, et lendemain à soleal levant ralloit esteir à peron (p. 260).

 

3. Autres réalisations et activités de Virgile à Naples

(Myreur, p. 260- 261)

 

Fidèle à son souci de chronologie, Jean d’Outremeuse, lorsqu’il relate des événements de l’an 555 (34 a.C.), signale à cette date la mort à Rome de Salluste, un grand poète latin ! Puis il revient à Naples.

 

a. Le cheval guérisseur (p. 260)

En cette même année de la mort de Salluste, écrit-il, le 25 août, Virgile fit un cheval d’airain, qui avait la propriété de guérir toutes les maladies des chevaux, qui se laveraient dans l’eau de son bain. Il l’installa à Naples.

 

b. La maison de Virgile sur la mer (p. 261)

Le 17 décembre 557 (32 a.C.), Virgile posa la première pierre de la maison qu’il édifia à Naples sur la mer. Toute ronde, très belle et très légère, elle n’avait qu’une entrée, et on y accédait par un pont-levis desus la mere devant la maison. Pour en défendre l’accès, Virgile fabriqua deux vilains de cuivre, qui, armés chacun d’un fléau, frappaient sans relâche devant eux comme des forcenés, sens cesseir ne targier (sans arrêter ou ralentir le rythme) :

batoient enssi si fort pres qu’ilhs ne debrisassent le piers de la porte que ilhs defendoient que nuls n’oisast entreir dedens, s’ilh ne vosist eistre ochis ou tous defrossiés (meurtri, brisé) (p. 261).

C’est dans cette demeure que Virgile passera les quatorze dernières années de sa vie, surprotégé par ses deux « vilains » de métal. Ces derniers restèrent d’ailleurs à leur poste, continuant à manier sans interruption leurs fléaux, bien après la mort de Virgile, jusqu’à l’arrivée sur les lieux de saint Paul, comme la suite le dira.

 

4. Virgile se déclare chrétien

(Myreur, p. 261-262)

 

a. Les ambassadeurs égyptiens et le nombre d’or de la lune (p. 261)

            En avril 558 (31 a.C.), des Égyptiens viennent solliciter Virgile pour qu’il leur révèle I compte d’oir (un nombre d’or) de la lune, celui qu’avaient déterminé les calculs de Ptolémée, mais qui était resté secret. Ils lui demandent donc, pour honorer leur dieu Mars, de faire I compte d’or qui indique la nouvelle lune. Il s'agit là d'une donnée importante, sur laquelle le chroniqueur est peu explicite, pour la réforme du calendrier et spécialement la détermination de la fête de Pâques.

Item, l'an Vc et LVIII, en mois d'avrilhe, envoiarent les Egyptiiens une noble abbatiait (ambassade) de nobles gens à Virgile, aportans lettres de creanches et disant que, enssi com Ptholomes avoit fait I compte d'oir de la lune, qui à son temps l'avoit mis et ensereit là, ons ne le poioit troveir ; si voloient priier les Egyptiiens à Virgile, en l'honeur de March leur Dieu, qu'ilh vosist (veuille) faire I compte d'or qui assengne (indique) la lune prenans (p. 261).

 

b. Réponse : profession de foi réitérée et exposé doctrinal (p. 261-262)

Cette requête fournit à Virgile une occasion de faire à nouveau état de ses convictions religieuses. Il précise d’emblée aux délégués égyptiens qu’il ne fera rien en l’honneur de Mars, ni de Jupiter ou de Vénus d’ailleurs. Ce ne sont pour lui, dit-il, que des étoiles ou des planètes, qui tiennent leur pouvoir du vrai Dieu créateur universel et tout puissant et éternel. Il ajoute que ce Dieu en trois personnes est l’Unité dans la Trinité et que le fils s’incarnera vingt ans après sa mort. Et sa prophétie se termine par une profession de foi solennelle :

Et chu venrat à XXe ans apres chu que je seray mors (vingt ans après ma mort), lequeis (celui en qui)  j'ay creyut, croy et creray ; si me[ts] mon arme (ainsi je mets mon âme) à son commandement, à la grasce et loienge de luy (p. 262).

Les conceptions de Virgile et ses affirmations théologiques suscitent la curiosité des auditeurs, qui reçoivent aussitôt un long exposé mêlant la Sainte Trinité, la perfection divine, la naissance virginale de Jésus, sa vie sur terre durant 32 ans et 3 mois, sa mort salvatrice et sa descente dans les enfers pour délivrer et emmener au paradis ceux qui, comme lui, Virgile, étaient victimes de la désobéissance d’Adam et Ève. Puis, dans la foulée, il renouvelle, si l’on ose dire, le baptême qu’il s’était jadis donné à Rome et il refait la profession de foi qu’il avait déjà faite jadis en présence des sénateurs romains.

et en nom del sainte baptisement de Peire et de Fis et de Sains-Epirs, je preng celle aighe(eau) qui est la triniteit enssi bien que je fuisse adont vivant (afin que je sois encore vivant), quant ilh serat sa foy prechant (quand il viendra prêcher sa foi). Enssiment je l'ay dit à Romme aux senateurs que je le dy à vos (j’ai dit à Rome aux sénateurs ce que je vous dis ici à vous) (p. 262).

            Les Égyptiens demandent alors à Virgile, cette fois au nom de son Dieu à lui, de leur fournir le fameux nombre d’or, por avoir perpetuel mémoire, entendez pour mettre au point un calendrier correct. Dans ces conditions, leur répond-il, il le fera volontiers en unc kalendier solonc la novelle loy advenir (à venir) :

Enssi fist-ilh le compte d'or, et les Egyptiens en virent la coppie et le portarent en Egypte. Et Virgile envoiat la coppie à Romme, et li principaul demorat à Napple (p. 262).

 

5. Suite des activités de Virgile à Naples

 (Myreur, p. 262-264)

 

a. Virgile et les bains de Pouzzoles (p. 262-263)

 En 559 (30 a.C.), Virgile construit une petite ville, Pouzzoles, avec des bains qui ont la propriété de guérir toutes les maladies. Chaque bain porte une inscription spécifiant le mal qu’il soigne. Les malades qui s’y baignent, s’ils ne meurent pas, en sortent guéris.

Ces bains, qui sont toujours là, précise-t-il encore, fonctionnèrent longtemps, mais furent abandonnés après que les médecins (phisichiens) de Salerne eurent fait disparaître toutes les inscriptions, empêchant les patients de choisir celui qui leur convenait.

 

b. Une vie d’étude agrémentée de mondanités (p. 263)

            Généralement, Virgile passait sa vie à étudier dans son hôtel particulier. Toutefois il en sortait parfois pour aller dîner ou souper avec les Napolitains. Il organisait aussi des jeux merveilleux qu’il serait, précise Jean d’Outremeuse, trop long de raconter.

            En tout cas les pouvoirs de l’enchanteur s’y donnaient libre cours : apparitions soudaines de veneurs cornant, d’animaux, biches, cerfs et braques se promenant parmi les tables sans toucher aux viandes, et se transformant en damoiselles et en damoiseaux ; de musiciens et de danseurs de toute sorte ; de fruits exotiques impossibles à trouver à Naples en mars et offerts en dégustation.

 

c. Un banquet fastueux dans un jardin merveilleux (p. 263-264)

            En avril 561 (28 a.C.), Virgile offre un dîner à près de 200.000 Napolitains et Napolitaines, qui purent tous, négromancie aidant, s’attabler bien à l’aise dans le jardin et bénéficier d’un service efficace et d’une abondance de mets. Et pourtant le jardin ne tenoit que I journal de terre (une surface de terre correspondant à un jour de travail d’un laboureur).
            Jean d’Outremeuse s’étend sur la nourriture. Du pain, du vin et du sel, bien sûr, mais aussi pas moins de vingt-trois mets et entremets, venant de contrées lointaines, comme l’Inde, la Perse, la Libye, l’Éthiopie, la Nubie, Babylone, l’Ybernie (Ibérie ?), l’Aquilone (les régions du Nord ?). Ainsi par exemple Virgile servit, rôties et piquées de baumes d’Égypte, des annettes d’Ybernie, c’est-à-dire des oiseaux aquatiques, vivant dans des arbres le long des rivières et considérés comme des fruits, puisque
, explique-t-il, c’est une viande qu’on peut manger de nos jours en carême et le vendredi. Au menu, il y avait aussi des pommes de Nubie (Leptis ?), de si noble sawour sont que les gens en vivent del oudeur (les gens peuvent vivre rien qu’en respirant leur odeur, p. 264) .

            Du pain et aussi des jeux bien sûr. Le festin était agrémenté de nombreux jeux rendus possibles par la magie du maître de maison. On assiste ainsi, au grand émerveillement et à la joie de tous, à des scènes de travestissements, les femmes s’habillant en hommes et les hommes en femmes :

Virgile fist que toutes les femmes vestirent les vestimens et les braies des hommes, et les hommes les vestimens des femmes, et n'avoient point de barbes, mains les femmes avoient barbes ; de chu orent grant mervelhe et grant joie (p. 264).

Sans compter quelques spectacles plus lascifs :

Apres tantoist (aussitôt) se vinrent tous nus danseir, salhans et trippans (sautant et trépignant) à grant joies, et leurs membres natureis, que ons se doit honstier (qu'on doit avoir honte) del monstreir, veirent tout clers (on les voyait clairement) (p.264).

Mais attention : rien de tout cela n’était réel. C’était de la magie, les convives n’ayant même pas quitté leurs tables. Car quand l’enchantement se brise :

ilhs se voient seant (assis) à tauble, mangnant et bevant, car ilhs n'astoient encors movis (bougés) de la table, mains li jeux astoit fais par semblanche (magie) (p. 264).

            Puis Jean d’Outremeuse oublie un moment Virgile, pour revenir à l’histoire plus générale : Octave et Antoine, l’Égypte, la Gaule, etc., à des événements se situant grosso modo entre 561 (28 a.C.) et 564 (25 a.C.) et que nous ne présenterons pas. Vient alors le dernier chapitre de la biographie de Virgile : sa mort.

 

6. Autour de la fin de Virgile

(Myreur, p. 269-277)

 

a. Une mort annoncée (p. 269-270)

            En 564 (25 a.C.), Virgile, qui se sentait usé par sa vie de travail, interrogea la tête qu’il avait fabriquée et qui répondait à toutes ses questions. Le Maître lui demanda combien de temps il lui restait à vivre. Il lui fut répondu qu’il devait désormais protéger sa tête du soleil. Virgile ne saisit pas le sens véritable de la phrase : il crut qu’il s’agissait de la tête de cuivre et se promit bien de la garder toujours à l’abri du soleil. Le chroniqueur prend alors soin d’expliquer que Virgile se méprit profondément : c'était de sa propre tête qu’il s’agissait, et s’il avait compris, il aurait mieux prévu l’avenir :

Et ilh ly demandat tout erant (immédiatement) queile temps ilh poroit encors vivre ; et ilh ly respondit une chouse, de laqueile ilh dechuite (trompa) Virgile, car ilh n'entendit mie la glouse (le sens) de la parolle qu'ilh dest : elle dest que Virgile dedont en avant (dorénavant) gardast sa tieste de solea. Quant Virgile l'oiit, si dest que jamais sa tieste ne venroit à soleal, et ilh entendit (comprit) la tieste qui li donnoit responsion ; car s'ilh entendist (s'il avait compris qu'il s'agissait de) sa propre tieste, ilh sawist bien entendre et prenostigier le fait (il aurait bien compris et fait un pronostic correct).

 

b. Le château de Ventoise - Virgile malade libère ses esprits (p. 270)

            L’année suivante, en 565 (24 a.C.), Virgile, loin des rivalités entre Octoviain et Anthone (Octave et Antoine), fait édifier le château de Ventoise, entouré d’un bourg. Il n’est achevé que quatre ans plus tard, en 569 (28 a.C.), la magie cette fois n’intervenant pas dans la construction : car ilh ne fut mie fais par nigromanche, ains (mais) fut fais par ouvriers.

            Les travaux terminés en 569, en plein mois de juillet, Virgile fut victime d’une insolation qui l’accabla beaucoup. C'est elle qui causera sa mort deux ans plus tard.

en mois de julet que ly soleal est chaux, se ly enchafat son cerveal qui mult li grevat, car ilh en morut dedens II ans apres.

            Quand il s’était senti malade, il avait demandé à la tête où li espir astoit la cause de sa maladie et le remède à y apporter. L’esprit présent dans la tête lui répondit qu’il devrait mourir parce qu'il n’avait pas protégé sa propre tête.

Tu es venus à ton finement : tu as maul gardeit ta tieste de soleal qui l'at si enchauffeit qu'ilh t'en covient (il te faut) morir (p. 270).

Et ce même esprit, se faisant le porte-parole de tous les autres esprits, ajouta que la nature ne pouvait plus souffrir que Virgile les utilise encore :

nature ne puet soffrir que tu nos puisse plus avant travelhier (accabler) car oncques (jamais) ne fummes si travelhiés par homme (p. 270).

Irrité par cette réponse, Virgile rappela tous les espirs priveis (particuliers) qu’il avait entreclous (placés) un peu partout, dans le feu, l’air, la terre et l’eau ; il les enferma comme des malfaiteurs, pour les empêcher dorénavant d’être utilisés :

Sachiés que je vos loie (lie), sicom larons qui tout aveis dechuit (trompé) le monde, que jamais ne soiez travelhiet creatures d'ors en avant (que les créatures ne soient plus accablées dorénavant) ; soiés tous loiés en abisme sens partir (sans vous échapper) (p. 270)

puis il brise la tête et les autres objets contenant des esprits, qui tous s’en allèrent.

 

c. Virgile apprend la date de sa mort et se résigne dans l’espérance en Dieu (p. 275-276)

          Après une longue interruption relatant des événements contemporains sans rapport avec Virgile (p. 270-275), Jean d’Outremeuse revient à son héros. Celui-ci, tombé malade en l’an 569 (28 a.C.), est inquiet, comme tout homme, à l’idée de devoir mourir et désire retarder le plus possible cette inévitable échéance :

Et ilh est veriteit que nuls ne meurt volentiers, et si astarge cascon (chacun retarde) cel heure tant qu’ilh puet. Adont commenchat Virgile fort à estudier, por savoir se ilh poroit troveir remeide al encontre (p. 275).

Mais les recherches auxquelles il se livre lui confirment les prédictions de la tête : il lui reste exactement vingt-deux mois à vivre :

Ilh trovat, par le jugement d’astronomie, chu que la tieste ly avoit dit qu’ilh ne viveroit plus II ans, mais viveroit tout à point XXII mois, et puis se renderoit l’espir (p. 275).

         Résigné à l’évidence, Virgile reprend courage et implore le vrai Dieu créateur de l’univers, créateur aussi d’Adam et Ève, lesquels, suite à leur désobéissance, furent condamnés à l’enfer, avec toute leur descendance (et lui, Virgile, en fait partie). Il annonce encore que le Dieu Rédempteur, à la fois Dieu et homme, naîtra d’une vierge, exactement quatre ans quatre mois et deux jours après sa mort. Et il rappelle qu’à cet instant s’écroulera la statue de la vierge qu’il avait dressée à Rome.

ilh est certains que la Virge, qui toy porterat, si nascerat apres mon trespas IIII ans IIII mois et II jours ; et quant elle enfanterat, si chierat l'ymaige que j'ay fait à Romme, meire (mère) sierat de Dieu et d'homme (p. 275-276).

            Il réaffirme sa croyance indéfectible en ce Dieu, et il implore sa pitié. Puis il consigne par écrit toute la foi catholique, enserre le document dans une armoire, et se prépare à la mort.

 

d. Des préparatifs funèbres peu ordinaires (p. 276)

 

      - Un pot de plantes immortelles      

Virgile fabrique en terre cuite un grand pot, qu’il remplit del terre apparelhié à son manire (d’un terreau de sa composition). Il y met une multitude de plantes, que le chroniqueur se dit incapable de nommer, fours tant qu’ilh y oit balme (sauf qu’il y avait des plantes odoriférantes) et aussi d’herbes à la nature si fraîche qu’elles restaient toujours vertes, sans être arrosées.

 

- Une chaire richement décorée

            Il fabrique en outre une chaire en bois de cyprès, rehaussée de pierres précieuses et de bas-reliefs. Jean d’Outremeuse cite nommément onze types de pierres, dont des rubis, des saphirs et des émeraudes. On y trouvait sculptées, outre les hauls noms de Dieu, des scènes tirées de la vie de la Vierge : la salutation de l’ange Gabriel à Marie, la visitation de Marie à Élisabeth, et d’autres événements jusqu’à l’Assomption.

 

 - Un banquet d’adieu

            C’était le 5 mai 571 (18 a.C.). Virgile savait sa mort fixée au lendemain. Il offre dans sa demeure un banquet plantureux et agrémenté de jeux, après avoir, pour le passage des invités, arrêté momentanément le mécanisme des fléaux qui barraient sa porte : ilh fist estargier [retarder] les vilains de batre de leurs flaieis (p. 276).

 

e. Ultimes messages du prophète chrétien (p. 276-277)

            À la fin du repas, Virgile avertit ses invités qu’il mourrait le lendemain à none et qu’il les recommandait tous à Dieu. Il annonce en même temps la prochaine venue sur terre du vrai Dieu fait homme, la nature incorruptible de la Vierge sa mère, qui naîtra exactement quatre ans et quatre mois et deux jours après sa mort à lui, et qui à l’âge de quinze ans donnera naissance au Dieu de la Trinité :

Sachiés que celle nascerat de demain en IIII ans IIII mois et Il jours, et dedens XV ans elle aurat enfant qui sierat Dieu le Peire, le Fis et le Sains-Esperit, la parfaite Triniteit de trois dieux en une uniteit, en laqueile je croy et croray, et toudis y ay creyut (p. 276).

Ensuite, il leur explique toutes les scènes représentées sur sa chaire et prie les chevaliers et les bourgeois de se faire baptiser dès que sera prêché le baptême, afin d’assurer le salut de leurs corps et de leurs âmes :

et les priat tous, chevaliers et borgois, qu'ilh pensent bien à chu qu'ilh dist, et si (aussi) prendent baptesme tantoist (aussitôt) que ilh l'oront (entendront) prechier ; si (ainsi) auront sainteit et salvement de corps et d'armes (p. 277).

Et pour donner l’exemple, il se fait une nouvelle fois baptiser (recreies), demandant à un chevalier nommé Constantin de verser de l’eau sur lui, puis il prononce à nouveau une formule attestant de sa foi chrétienne :

En nom de Pere, de Fis et de Saint-Espir, ch'est Triniteit, prenge-je (je reçois) bapteme en l'esperanche que Dieu moy rachaterat awec ses aultres amis, et moy monrat (me mènera) en sa glore (p. 277).

 

f. Une mort exempte de décomposition immédiate (p. 277)

            Après le départ de ses hôtes, Virgile retrouve sa solitude et remist ches vilains à labure (au travail) qui commencharent à flaieleir (agiter leurs fléaux). Puis il place son pot de plantes odorantes sous la chaire, dont il avait percé le fond, et installe un tuyau reliant le pot et la chaire : un bout servait de couvercle au pot, et l’autre traversait le siège percé et lui pénétrait le fondement sur une longueur de deux paumes. Nous dirions aujourd’hui, un rien irrévérencieusement, que c’était là une « chaire percée » peu banale.

            Virgile, qui avait garni son pupitre de tous les livres scientifiques et surtout d’un livre de théologie, avait pris place sur la chaire, noblement vêtu d’une robe bleue. La fenêtre à sa gauche était ouverte et, de l’extérieur, on pouvait le voir assis à son habitude, en train d’étudier, et le croire vivant.

Et Virgile s'asit sour le trau ; se li entrat la buse en trou de son fondement, si qu'ilh entrat bien dedens son ventre plus de II palmes. Si astoit noblement vestus d'onne bleu robe. Si avoit à son seniestre bras une grant fenestre tout ovierte, par où les gens le regardoient cascon (chaque) jour, et disoient que ilh n'astoit mie mors, ains (mais) estudioit com devant, car ilh avoit son capiron (bonnet) sour ses eux (sur les yeux) (p. 277).

Pourtant Virgile, li gran clers, était bien mort, et il restera intact, assis sur sa chaise, offert aux regards du public napolitain, fenêtre ouverte, durant cinquante-neuf ans, jusqu’à l’arrivée à Naples de saint Paul.

 

7. Saint Paul et Virgile à Naples

(Myreur, p. 277-278)

 

a. Saint Paul arrivé à Naples rencontre Virgile mort

            En effet saint Paul aurait lu en Syrie, en Halape (à Alep), un livre d’épîtres écrit par Virgile, et avait décidé de venir à Naples. S’étant fait indiquer la demeure du maître, il crut le voir par la fenêtre en train d’étudier. Il l’appela doucement : Maistre Virgile, beal amis, lais-moy entreir là-dedens por parleir à toy, sans recevoir de réponse, et pour cause, le beal ami était mort.

            Alors, de part Dieu (avec l’aide de Dieu), saint Paul réduisit à l’inaction les vilains aux fléaux, entra et tira sur le bonnet de Virgile, un simple geste qui suffit à réduire en cendres le corps du maître, à la grande surprise du visiteur.

Si l'attireit par le chapiron (bonnet), et tantost li corps est tous cheiiut en cendre, demorant là sens plus les oussiauz (les os). Quant sains Paul le veit, si en fut tout enbahis (p. 278).

 

b. Jugement porté par saint Paul sur Virgile (p. 278)

L’apôtre examina ce qui se trouvait autour de lui : le pot de terre et les plantes, aussi vivantes et odorantes qu’au premier jour, ainsi que tous les écrits profanes de Virgile (astronomie, sciences de la nature) ainsi que les livres de magie, qu’il fit brûler sur le champ.

si at regardeit le terrien (le terreau dans le vase) enssi vers (aussi vert) et bien odorant que à promier jour que ilh y fut mys, puis at regardeit les escriptures Virgile d'astronomie et de nature, et cheaux (ceux) de nygromanche et de teils ars ilh ardit tantoist (p. 278).

Il jugea très positivement le livre de théologie où étudiait Virgile de même que les représentations de l’écriture sainte sculptées sur la chaire. Il pensa que Virgile n’était pas chrétien, malgré ses prophéties concernant la foi nouvelle, tout en affirmant que ce païen aurait mérité d’être baptisé, et il implora pour lui la miséricorde de Dieu, car ses écrits ne s’opposaient en rien à la loi chrétienne.

Tres gratieux maistre Virgile, qui fus li fis à roy Gorgile, se en vie t'awisse troveit (si je t’avais connu vivant), tant que merchi awisse robeit à Dieu et ton corps baptisiet (si bien que j’aurais arraché la miséricorde de Dieu et baptisé ton corps), e Dieu creyut et deproiet (j’aurais cru en Dieu et l’aurais imploré), queile homme awisse (aurais-je) à Dieu rendut ! Vray Dieu, par le vostre vertut aiez de luy misericorde, car à nostre loy fortement s'acorde son escripture et tous ses dis, ilh n'y at de riens contraible (p. 278).

Mais quand il eut pris connaissance du contenu d’une lettre écrite par Virgile et trouvée dans une armoire, saint Paul fut bien aise de constater l’orthodoxie de Virgile, disant qu’ilh creioit oussi parfaitement com ons devoit croire.

 

c. Dispositions prises par saint Paul (p. 278)

            Il distribua alors à ses gens les livres de Virgile, puis, dans un coffre qu’il posa sur la chaire, il plaça les ossements avec la lettre du maître. Il confia l’ensemble aux Napolitains avec interdiction de regarder à l’intérieur.

            Avant le départ de saint Paul, on déposa les ossements de Virgile dans la demeure qu’il avait fait construire sur la mer, comme un château. C’est là qu’ils se trouvent toujours, provoquant bien des tempêtes, car si on remuait le coffre les contenant, la mer enflait et arrivait jusqu’au château ; et si on le soulevait, elle devenait si grosse qu’elle inondait le château, ne s’apaisant qu’une fois ces reliques remises en place :

Encors y sont-ilhs, qui font là mult de tourmens ; car quant on les soloit remueir de la chaire, la mere enfloit tantoist et venoit à casteal et se ons les levoit en hault, la mere cressoit si haultement que ly casteal noiast, se ons ne raseist (remettait en place) le couffre. Et quant ilh astoient en leur droit lieu, la mere se rapaisoit (p. 278).

C’est ici que Jean d’Outremeuse arrête sa longue « digression » sur Virgile : Enssi fut Virgile mors ; sy m'en teray à tant, et revenray à ma mateire droit chi (p. 278), avant de reprendre le fil de son histoire universelle, en 569 (20 a.C.), à l’époque où Antoine était à Athènes auprès de la reine Cléopâtre.

*

            Virgile ne sera plus mentionné par le chroniqueur qu'occasionnellement, pour des événements qui n’ajoutent rien de fondamental à sa biographie. Ainsi, en Myreur, t. II, p. 34, dans son histoire de la Rome médiévale, Jean d’Outremeuse signale que les princes de Rome buvaient du vin qui venoit de Napples par les buses que Virgile fist por astronomie. Ailleurs (Myreur, t. II, p. 104-105), dans le récit des événements de l’an 393 de l’Incarnation, il rapporte qu'au mois de mai, un violent orage éclata sur Rome, qui abatit à terre pluseurs des ymages que Virgile avoit faites. Il s’agissait notamment de la statue qui tenait la balance, dont ons vendoit et achatoit justement.Cette destruction provoqua la colère des Romains et même celle du pape :

Et oussi fut li pape [irrité] jásoiche (bien que) qu’elles fussent faites par nygromanche, car elles fasoient bien à peuple et nient mal (rien de mal).

Et nous terminerons par un passage de Myreur, t. IV, p. 55-56, où il est question des enchanteurs et des enchanteresses. Jean d’Outremeuse dit avoir lu l’histoire d’une femme, du nom de Partoutnoppeit, qui faisoit ches invocacion des esperis par les hals (hauts) nom de Dieu, et les distraindoit (contraignait) à faire sa volonteit contre leur greit. Et dans la longue liste des enchanteurs, entre cette dame et Merlin, on voit apparaître Virgile qui aussi les constraindoit oultre leur greit, et les fasoit faire et edifier citeis, casteais (châteaux) et mult de chouses.

Mais tout cela ne nous apporte rien de bien neuf concernant les activités de Virgile à Rome et à Naples.

 

[suite]


FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 22 - juillet-décembre 2011