FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 20 - juillet-décembre 2010


Carmen ad quendam senatorem : texte et traduction

par

Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet


Vers : Introduction | Notes de commentaire | Bibliographie
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Le texte a été emprunté à l'édition M. Corsano - R. Palla, Ps-Cipriano. Ad un senatore convertitosi dalla religione cristiana alla schiavitù degli idoli. Introduzione di M. Cordano e R. Palla. Testo critico di R. Palla. Traduzione e commento di M. Cordano, Pise, ETS, 2006, 144 p. (Poeti cirstiani, 7). Qelques légères modifications ont toutefois été apportées dans l'orthographe (-u- au lieu de -v- par exemple) et dans la ponctuation.


Introduction (v. 1-5) [Comm]

L'auteur, peiné de voir son destinataire retombé dans le polythéisme, veut lui reprocher son aveuglement. Connaissant son goût pour la poésie, il lui écrit en vers.

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Cum te diuersis iterum uanisque uiderem

inseruire sacris priscoque errore teneri,

obstipui motus. Quia carmina semper amasti,

carmine respondens, properaui scribere uersus
 

Quand je t'ai vu à nouveau esclave de rites divers et vains,

et retenu dans ton erreur d'antan, j'en ai été stupéfait

et ému. Comme tu as toujours aimé la poésie,

je me suis empressé de te répondre en vers
 

05 ut te corriperem tenebras praeponere luci. pour te reprocher de préférer les ténèbres à la lumière.
 

 

Première partie : Critiques et reproches (v. 6-50)

La première partie du poème, la plus étendue, est constituée de critiques et de reproches. L'auteur fustige d'abord les cultes de Cybèle et d'Isis, contraires à la décence, à la dignitas romaine et à la raison ; ensuite il vise plus spécifiquement l'apostasie du destinataire et insiste sur les risques de la versalité.

1. L'auteur présente le destinataire comme un adepte de Cybèle. Selon lui, Cybèle est indigne de porter le titre de déesse et d'être vénérée ; ses prêtres sont dépravés et marqués d'infamie, et leur comportement extérieur traduit bien leurs vices intérieurs. (v. 6-20). [Comm]

2. Il lui reproche à lui, un ancien consul, d'avoir été prêtre d'Isis, et il met en parallèle cette activité dégradante avec la dignité d'un haut magistrat romain. Il tente de le convaincre que son retour à Isis est absolument contraire au bon sens et conclut ironiquement qu'il est insensé de suivre des insensés (v. 21-39) [Comm].

3. Enfin, il lui reproche sa versatilité et son apostasie, d'autant plus coupable qu'il a connu la vraie foi : être apostat est plus grave que vivre dans l'erreur sans avoir voulu connaître le vrai Dieu. Un pareil manque de bon sens et une telle versatilité sont inexplicables de la part d'un ancien croyant (v. 40-50). [Comm]

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Quis patiatur enim te Matrem credere magnam

posse deam dici rursusque putare colendam,

cuius cultores infamia turpis inurit ?

Namque sacerdotes tunicis muliebribus idem
 

Qui supporterait en effet que tu croies que la Grande Mère puisse

être appelée déesse et qu'à nouveau tu la penses digne d'un culte,

elle dont une honteuse infamie marque au fer rouge les adorateurs ?

Ses prêtres avec leurs tuniques féminines révèlent en effet
 

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interius uitium cultu exteriore fatentur,

idque licere putant quod non licet ; unde per urbem

leniter incedunt mollita uoce loquentes

laxatosque tenent extenso pollice lumbos

et proprium mutant uulgato crimine sexum.
 

une dépravation intérieure identique à celle de leur tenue extérieure,

et ils estiment licite ce qui n'est pas licite. D'où, à travers la ville

ils s'avancent mollement en parlant d'une voix efféminée,

ils tiennent, en tendant le pouce, leurs flancs déhanchés

et, par un crime connu de tous, ils changent leur propre sexe.
 

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Cumque suos celebrant ritus, his esse diebus

se castos memorant : at si tantummodo tunc sunt,

ut perhibent, casti, reliquo iam tempore quid sunt ?

Sed quia coguntur saltim semel esse pudici,

mente fremunt, lacerant corpus funduntque cruorem.
 

Ils rappellent que lorsqu'ils célèbrent leurs rites, ces jours-là

ils restent chastes, mais s'ils sont chastes seulement alors

comme ils le prétendent, que sont-ils donc le reste du temps ?

Cependant, parce qu'ils sont contraints d'être chastes au moins une fois,

ils enragent intérieurement, mutilent leur corps et répandent leur sang.
 

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Quale sacrum est uero quod fertur nomine sanguis ?

Nunc etiam didici quod te non fecerit aetas,

sed tua religio, caluum, caligaque remota

gallica sit pedibus molli redimita papyro.

Res miranda satis deiectaque culmine summo !
 

En fait, quel est le rite sacré qui est désigné par le nom de "sang" ?

Je viens même d'apprendre que tu es devenu chauve, non à cause de ton âge

mais à cause de ta religion et que, après avoir remisé tes chaussures militaires,

tu portes aux pieds de simples sandales, enveloppées de délicat papyrus.

C'est assez étonnant, d'être ainsi retombé de si haut !
 

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Si quis ab Isiaco consul procedat in urbem,

risus orbis erit ; quis te non rideat autem,

qui fueris consul, nunc Isidis esse ministrum ?

Quodque pudet primo te non pudet esse secundo !

Ingeniumque tuum turpes damnare per hymnos,
 

Si un ancien prêtre d'Isis s'avance dans la ville en consul,

il sera la risée du monde entier ; qui alors ne se moquerait pas de toi,

un ancien consul, en te voyant maintenant ministre d'Isis ?

Ce qui est honteux dans le premier cas ne te fait pas honte dans le second !

Tu condamnes ton intelligence en chantant des hymnes scandaleux

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respondente tibi uulgo et lacerante senatu,

teque domo propria pictum cum fascibus ante

nunc quoque cum sistro faciem portare caninam.

Haec tua humilitas et humilitatis imago est !

Aedibus illa tuis semper monumenta manebunt !
 

tandis que le commun te répond et que le sénat démembre [l'effigie du dieu].

Auparavant, dans ta propre maison tu étais peint avec les faisceaux,

maintenant avec le sistre tu portes même un masque de chien.

Voilà ta bassesse, et c'est une image de la bassesse !

Dans ta demeure, ces objets resteront des témoignages éternels !
 

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Rumor et ad nostras peruenit publicus aures

te dixisse : « Dea, erraui ; ignosce, rediui ».

Dic mihi si ualeas : cum talia saepe rogares

et ueniam peteres, quae tecum uerba locuta est ?

Vere mente cares, sequeris qui mente carentes.
 

Un bruit répandu dans le public est parvenu à mes oreilles :

tu as dit : « Déesse, je me suis trompé, pardonne-moi, me voici revenu ».

Dis-le-moi si tu en es capable : quand tu l'invoquais souvent de la sorte

et que tu lui demandais pardon, quelles paroles t'a-t-elle adressées ?

Vraiment, tu manques de sens, toi qui suis des gens insensés.
 

 

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Haec iterum repetis nec te delinquere sentis.

Quid mereare uide. Minus esses forte notandus

si tantum hoc scires et in hoc errore maneres,

at cum uericolae penetraueris ostia legis,

et tibi nosse deum paucis prouenerit annis,
 

Une nouvelle fois, tu reprends ces erreurs, sans sentir que tu es en faute.

Vois ce que tu gagnes. Peut-être serais-tu moins blâmable,

si tu ne connaissais que cette doctrine et persistais dans cette erreur,

mais puisque tu as franchi les portes de la Loi qui honore la vérité,

et que tu as eu l'occasion de connaître Dieu durant quelques années,
 

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cur linquenda tenes, aut cur retinenda relinquis ?

Nilque colis dum cuncta colis, nec corde retractas

uera quid a falsis, quid ab umbris lumina distent.

Philosophum fingis, cum te sententia mutet

 – nam tibi si stomachum popularis mouerit ira,

pourquoi t'attaches-tu à ce qu'il faut rejeter et rejettes-tu ce qu'il faut retenir ?

Tu ne vénères rien si tu vénères tout, et en ton coeur tu ne réfléchis pas

à la distance qui sépare le vrai du faux, la lumière de l'ombre.

Tu te poses en philosophe, puisque une simple opinion te fait changer :

– qu'une colère populaire vienne à t'exciter la bile,
 

50 et Judaeus eris – totusque incertus haberis. tu en viendras même à être Juif – et tu passes pour totalement indécis.

 

Deuxième partie. Exhortations (v. 51-73) [Comm]

L'auteur exhorte le destinataire à pratiquer la vraie sagesse et à assurer son salut éternel.

1. La véritable sagesse, c'est-à-dire le respect de la loi du juste milieu, est exemplifiée par une série de lieux communs, recommandant de se garder des extrêmes. C'est une règle préconisée par le christianisme, et non par la religion d'Isis (v. 51-65). [Comm]

2. Pour assurer son salut éternel, il est indispensable d'avoir de la fermeté (mens stabilis), de la droiture (simplicitas) et une foi sincère (sincera fides). En outre, le pardon est assuré plus facilement à un vrai païen qu'à un apostat (v. 66-73). [Comm]

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Indulge dictis ! Sapientia non placet alta.

Omne quod est nimium contra cadit. Vnum operantur

et calor et frigus : sic hoc, sic illud adurit.

Sic tenebrae uisum, sic sol contrarius aufert,
 

Écoute bien les proverbes ! La sagesse ne plaît pas, si elle est élevée.

Tout ce qui est excessif échoue, aboutissant à son contraire.

Le chaud et le froid ont le même effet : l'un brûle, l'autre aussi.

L'obscurité empêche de voir, tout comme le soleil frappant de face,
 

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et pariter laedunt gelidum feruensque lauacrum.

Esca alitur corpus, corpus corrumpitur esca,

uimque suam minuit si quid protenditur ultra.

Denique si sedeas requies est magna laboris,

si multum sedeas, labor est ; Maro namque poeta
 

et un bain, glacé ou bouillant, blesse tout autant.

La nourriture nourrit le corps, la nourriture nuit aussi au corps.

Une chose, si elle se prolonge trop, perd de sa puissance.

Ainsi c'est très reposant d'être assis après un effort, mais

rester assis longtemps, c'est une épreuve ; le poète Maro en effet
 

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pro poena posuit : « Sedet aeternumque sedebit

infelix Theseus ». Semper nocet utile longum :

prandia longa nocent, ieiunia longa fatigant.

Sic nimium sapere stultum facit. « Improba secta

me, dea, sic docuit, moderamen amabile dixit.
 

a affirmé y voir une punition : « Il est et restera assis éternellement,

l'infortuné Thésée ». L'utile, à la longue, devient toujours nuisible :

les longs repas sont nocifs, les longs jeûnes épuisants.

Ainsi trop de sagesse rend stupide. « Une doctrine perverse,

déesse, m'a enseigné qu'il faut aimer la modération.
 

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Sed tu nec sectam modo nec moderamina curas ».

Mens autem stabilis nullo peruertitur aestu

ipsaque simplicitas nunquam mala cogitat ulla.

Hinc sincera fides aeterna sede fruetur,

et dolus e contra longo cruciabitur igni.
 

Mais toi, tu ne te soucies ni de cette doctrine ni de modération. »

Aucune agitation n'abat un esprit stable

et la simplicité elle-même ne songe jamais en rien au mal.

Dès lors, la foi sincère jouira de l'éternel séjour,

et, à l'inverse, la tromperie subira les tourments d'un feu sans fin.
 

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Elige quid uelis, ut digna piacula uites.

Sic tamen hanc ueniam mereatur traditor inquam !

Vt leue crimen erit si nolis noscere uera,

non leue crimen erit si cognita uera relinquas.
 

Choisis ce que tu veux, pour éviter des châtiments mérités.

Pourtant, dirais-je, le traître pourrait ainsi mériter ce pardon !

Ne pas vouloir connaître la vérité est faute légère,

ce n'est pas faute légère d'abandonner une vérité connue.
 

 

Conclusion (v. 74-85) [Comm]

Dans ces vers de conclusion, l'auteur réitère son espoir de voir le destinataire revenir à plus de sagesse, en évitant de retomber dans l'apostasie. Il l'encourage en l'assurant de la miséricorde de Dieu pour les gens qui se repentent.

74 Sed te correctum forsan matura senectus
 

Mais peut-être la maturité de la vieillesse t'a-t-elle corrigé
 

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in melius reuocat satiatum erroribus istis ;

tempus enim mutat, mala digerit omnia tempus.

Tunc igitur cum te consulta reduxerit aetas,

disce deo seruare fidem, ne forte bis unum

incurras lapsum, quia uere dicitur illud :
 

et te ramène-t-elle, dégoûté de tes erreurs, à un meilleur comportement ;

le temps en effet change les choses, le temps dissipe tous les maux.

Dès lors, lorsque l'âge de la réflexion t'aura ramené à toi-même,

apprends à garder la foi en Dieu, de peur de retomber deux fois

dans la même erreur. Car le proverbe suivant dit justement :
 

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qui pedis offensi lapidem uitare secundo

nescit et incautus iterum uexauerit artus,

imputet ipse sibi nec casibus imputet ullis.

Corrige delictum fidamine, corrige mentem ;

suffecit peccare semel. Desiste uereri :
 

qui ne sait éviter une seconde fois la pierre lui ayant heurté le pied

et qui par imprudence s'est à nouveau blessé un membre,

qu'il s'en accuse lui-même sans incriminer les circonstances.

Par la foi corrige ta faute, rectifie ta façon de penser ;

avoir péché une fois, c'est bien suffisant. Cesse d'avoir peur :
 

85 non erit in culpa, quem paenitet ante fuisse. il ne restera pas coupable, celui qui regrette de l'avoir été précédemment.

 


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