FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 20 - juillet-décembre 2010
Poema ultimum : texte et traduction
par
Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet
Vers : Présentation générale | Notes de commentaire
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traduction : [1-9] [10-18] [19-31]
[32-51] [52-64]
[65-79]
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[117-127] [128-150]
[151-163] [164-216]
[217-255]
Sauf exceptions signalées, nous avons suivi le texte latin de l'édition R. Palla - M. Corsano, Ps.-Paolino Nolano <Poema ultimum> [carmen 32]. Introduzione di Marinella Corsano e Roberto Palla. Testo critico di Roberto Palla. Traduzione e commento di Marinella Corsano, Pise, Edizioni ETS, 2003, 180 p. (Poeti Cristiani, 5). Quelques légères modifications ont toutefois été apportées dans l'orthographe (-u- au lieu de -v- par exemple) et dans la ponctuation.
Discussi (fateor !) sectas, Antonius, omnes, plurima quaesiui, per singula quaeque cucurri, sed nihil inueni melius quam credere Christo. Haec ego disposui leni
conscribere uersu, |
Moi Antoine, (je l'avoue !), j'ai étudié toutes les doctrines ; j'ai enquêté sur de très nombreux points, les ai parcourus un à un, mais je n'ai rien trouvé de mieux que de croire dans le Christ. J'ai décidé d'exposer ces réflexions en
usant de la douceur des vers, |
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5 |
et ne displiceat quod talia carmine pando : Dauid ipse deum modulata uoce rogauit. Quo nos exemplo pro magnis parua canemus, dicentes quae sunt fugienda, sequenda, colenda, cum tamen in cunctis et res et causa probetur. |
et qu'on ne s'offusque pas si je publie
de telles vérités dans un poème : David lui-même a prié Dieu en s'accompagnant de musique. À son exemple, nous chanterons en vers modestes de grands sujets, disant les choses à éviter, à rechercher, à vénérer, examinant toutefois dans chaque cas le sujet
et la cause. |
Première partie : Dénonciation des cultes païens (10-150)
Critique contre les Juifs (10-18) [Comm]
Iudaicum primo populum nec gratia mouit mira Dei ; nam tum Pharaoni ereptus iniquo et mare transgressus pedibus, lucente columna cum duce, qui mergi infestos uidit equestres et cui desertis nihil umquam defuit agris, |
En premier lieu, le peuple juif n'a pas été touché par l'admirable faveur de Dieu à son égard. À une époque en effet, il fut arraché à l'inique Pharaon. Il traversa la mer à pied sec, guidé par une colonne lumineuse, il vit les cavaliers ennemis engloutis par les flots, il ne manqua jamais de rien
dans le désert, |
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15 |
manna cui e coelo et fons de rupe
cucurrit, post haec ipse deum praestantem tanta negauit, dumque aliud numen dementi pectore quaerit, ignibus incensis quod misit perdidit aurum. |
la manne lui étant tombée du ciel et l'eau
ayant jailli du rocher ; après cela il renia le Dieu qui lui offrait de si grands bienfaits, et, dans la folie de son coeur cherchant une autre divinité, il perdit l'or qu'il avait jeté dans le feu embrasé. |
Critiques contre les païens (pratiques rituelles romaines) (19-31) [Comm]
19 |
Par quoque paganus :
lapides quos sculpsit adorat |
Le païen aussi vaut
le Juif ; il adore les pierres qu'il a sculptées, |
20 |
et facit ipse sibi quod debeat ipse timere. Tum simulacra colit, quae sic ex aere figurat ut, quando libitum est, mittat confracta monetae aut magis in species conuertat saepe pudendas. Hinc miseras mactat pecudes mentesque deorum, |
et c'est lui qui se fabrique un objet qu'il
devra lui-même redouter. Tantôt, il vénère des statues qu'il façonne en bronze, pour pouvoir, à sa guise, les briser en pièces de monnaie ou plutôt les transformer en objets souvent honteux.
Tantôt, il
immole de malheureux animaux, cherche à lire |
25 |
quos putat irasci,
calido in pulmone requirit atque hominis uitam pecoris de morte precatur. Quid petit ignosci ueniam qui sanguine poscit ? Illud enim quale est ? Quam stultum quamue notandum ! Cum deus omnipotens hominem formauerit olim, |
dans leurs poumons tièdes les pensées des
dieux qu'il croit irrités et prie pour la vie d'un homme en causant la mort d'un animal. Comment demander à être pardonné en le demandant par le sang ? Quel est donc ce comportement ? Comme il est stupide ou blâmable ! Alors que c'est le Dieu tout puissant qui
jadis a façonné l'homme, |
30 |
audet homo
formare deum ; ne crimina desint, hunc etiam uendit : dominum sibi comparat emptor. |
l'homme ose donner forme à un dieu ; et pour
faire bonne mesure à ses crimes, il va jusqu'à le vendre : l'acheteur s'achète un maître. |
Critique contre les philosophes (32-51) [Comm]
32 |
Philosophos credam quicquam rationis habere, qui ratione carent, quibus est sapientia uana ? Sunt Cynici, canibus similes, quod nomine produnt ; |
Pourrais-je croire que les philosophes possèdent un peu de raison, eux qui manquent de jugement et dont la sagesse est vaine ? Il y a les Cyniques, semblables à des
chiens, ce qu'ils révèlent par leur nom. |
35 |
sunt et sectantes incerti dogma Platonis, quos quaesita diu animae substantia turbat, tractantes semper nec definire ualentes, unde Platonis amant de anima describere librum, qui praeter titulum nil certi continet intus. |
Il y a aussi ceux qui suivent
les doctrines de Platon l'indécis, agités par leurs longues recherches sur la substance de l'âme, toujours en train d'en discuter, sans parvenir à la définir ; d'où leur goût à transcrire le traité de Platon sur l'âme, qui, au-delà de son titre, ne renferme
rien de certain. |
40 |
Sunt etiam Physici, naturae nomine dicti, quos antiqua iuuat rudis atque incondita uita. Namque unus baculum quondam et uas fictile portans, utile quod solum solumque putaret habendum, illud ut auxilii, hoc esset causa bibendi, |
Il y a aussi les Physiciens, qui
tiennent leur nom de celui de la nature, qui se complaisent dans une vie à l'ancienne, rude et inconfortable. Un jour en effet, l'un d'eux portait un bâton et un pot en terre, les seuls objets utiles à ses yeux, les seuls qu'il fallait avoir, le premier pour s'y appuyer, le second
pour boire. |
45 |
cum stare agricolam manibusque haurire supinis potandas uidisset aquas, uas fictile fregit, quo procul abiecto remouenda superflua dixit : rusticus hunc docuit quod spernere posset et istud ! Hi neque uina bibunt nec uictu panis aluntur |
Après avoir vu un paysan puisant
au creux de ses mains de l'eau pour la boire, il cassa son pot de terre, le jeta au loin et déclara qu'il fallait se débarrasser du superflu : un campagnard lui avait appris qu'il pouvait aussi se passer de ce pot ! Ces gens ne boivent pas de vin et ne mangent pas de pain, |
50 |
nec lecto recubant
nec frigora uestibus arcent ingratique deo quae praestitit ille recusant. |
ne couchent pas dans un lit, ne portent pas
de vêtements contre le froid ; ingrats envers Dieu, ils refusent les dons que celui-ci leur a offerts. |
Critiques contre Jupiter, et digressions sur Janus, Cybèle et Saturne (52-112)
Immoralité flagrante de Jupiter (52-64) [Comm] - Jupiter, le roi des dieux subordonné à Janus (65-79) [Comm] - Jupiter, né de Cybèle, dont la personnalité immorale se transmet dans les rites suivis par ses adeptes (80-95) [Comm] - Jupiter et Saturne (96-112) [Comm]
52 |
Quid dicam diuersa sacra et dis atque deabus condita templa ? Loquar quae sint Capitolia primum : his deus <est> uxorque dei, ipsamque sororem |
Que dire de leurs rites divers et des temples qu'ils ont érigés aux dieux et aux déesses ? Je parlerai d'abord de ce qu'est le Capitole : ces gens ont un dieu et l'épouse
de ce dieu, et ils veulent |
55 |
esse uolunt, quam Vergilius notat auctor eorum dicendo 'et soror et coniunx'. Plus de Ioue fertur et natam stuprasse suam fratrique dedisse, utque alias caperet propriam uariasse figuram –
nunc serpens, nunc taurus erat, nunc cygnus et aurum – |
qu'elle soit aussi sa soeur, celle que
leur poète Virgile désigne en disant 'et soeur et épouse'. Sur Jupiter on rapporte en outre et qu'il a violé sa fille et qu'il l'a donnée à son frère, et que, pour séduire d'autres filles, il a changé son propre aspect – tantôt serpent, tantôt taureau, tantôt
cygne et or –, |
60 |
seque immutando qualis fuit indicat ipse : plus aliena sibi quam propria forma placebat. Turpius his aquilam finxit puerique nefandos uenit in amplexus. Quid dicit turba colentum ? Aut neget esse Iouem aut
fateatur dedecus istud ! |
et en se transformant il révèle ce qu'était sa vraie nature : il préférait de loin une forme étrangère à la sienne. Chose plus vile encore, il prit l'aspect d'un aigle et en vint à l'abominable étreinte d'un enfant. Qu'en dit la foule de ses adorateurs ? Qu'ils nient qu'il est Jupiter, ou admettent que ce
comportement est ignoble ! |
65 |
Nomen habet certe quod nec ratione probetur. Sacra Ioui faciunt et 'Iuppiter optime' dicunt huncque rogant, et 'Iane pater' primo ordine ponunt. Rex fuit hic Ianus, proprio qui nomine fecit Ianiculum, prudens homo, qui cum multa futura |
Assurément Jupiter porte un nom que ne peut
approuver la raison. On lui fait des sacrifices, on l'appelle Iuppiter très bon, on l'invoque, et au premier rang on place Ianus pater. Ce Janus fut un roi, qui donna son nom au Janicule, un homme sage, qui non seulement <...> bien des choses à venir |
70 |
*** posset respicere, duplici hunc pinxere figura et Ianum geminum ueteres dixere Latini. Hic quia nauigio Ausonias aduenit ad oras, nummus huic primum tali est excussus honore, |
<....> pouvait regarder en arrière ; ainsi est-ce avec un double visage que l'ont représenté les anciens Latins, l'appelant le Janus double. Comme ce Janus était arrivé en bateau aux rivages d'Ausonie, on frappa pour la première fois en
son honneur une monnaie, |
75 |
ut pars una caput,
pars sculperet altera nauem : cuius nunc memores, quaecumque nomismata signant, ex ueteri facto 'capita' haec et 'nauia' dicunt. De Ioue quid sperant, qui est a rege secundus quique sacrificiis apponitur ore precantum ?
|
dont une face représentait sa tête et l'autre un navire ; en souvenir de cela, toutes les pièces frappées aujourd'hui, sont appellées têtes et nauires, à cause de ce fait ancien. Qu'espère-t-on d'un Jupiter, qui vient en second après un roi
et qui, lors des sacrifices, est mis après lui dans la bouche des suppliants ?
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Hic habet et matrem captam pastoris amore (nam prior est pastor quam Iuppiter, haut Iouis ipse) sed melius pastor, castum seruare pudorem qui uoluit spreuitque deam, cui saeua uiriles abscidit partes, ne quando tangeret ille |
Ce Jupiter a aussi une mère, captive de sa passion pour un berger ; (en effet c'est le berger qui a la préséance, non Jupiter lui-même), mais le berger eut un meilleur comportement, car il voulut garder sa pudeur intacte et repoussa la déesse ; celle-ci, dans sa cruauté, lui coupa les parties viriles pour l'empêcher d'approcher à l'avenir |
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85 |
alterius thalamum, qui noluit eius adire. Hoc tamen, hoc egit sententia iusta deorum : ne fieret coniunx, qui non est factus adulter ! Nunc quoque semiuiri mysteria turpia plangunt nec desunt homines quos haec
contagia uertant |
la couche d'une autre femme, lui qui avait refusé
d'entrer dans la sienne. Telle fut pourtant, telle fut la juste sentence des dieux : que ne se marie pas un homme qui n'a pas été adultère ! De nos jours encore, lors de mystères éhontés, des eunuques se lamentent, et il ne manque pas d'hommes qu'influence cette contagion : |
90 |
intus et arcanum quiddam quasi maius
adorant idque uocant sanctum quo si uelit ire pudicus iste profanus erit, si castior ipse sacerdos femineos uitat coitus patiturque uiriles. O mens caeca uirum ! De sacris semper eorum |
ils adorent à l'intérieur une chose secrète, comme
particulièrement grande, et appellent sacré cet endroit ; si un homme chaste veut s'en approcher, il sera considéré impie, puisque le prêtre lui-même, plus chaste, évite les rapports sexuels avec des femmes et les tolère avec des hommes. O intelligence aveugle des hommes ! Sur la scène leurs rites sacrés |
95
|
scena mouet risus, nec ab hoc errore
recedunt !
Saturnum perhibent Iouis esse patrem huncque uorasse natos ante suos et mox e uentre nefandas euomuisse dapes, sed postea coniugis arte pro Ioue suppositum mersisse in uiscera
saxum : |
suscitent toujours le rire,
mais ne les font pas renoncer à leur erreur.
Saturne est le père de Jupiter. On raconte qu'il avait dévoré ses premiers enfants pour, aussitôt après, expulser de son ventre son infâme repas, mais que ensuite, grâce à un artifice de son épouse, il avait englouti dans ses entrailles une
pierre qu'elle avait substituée à Jupiter. |
100 |
quod nisi fecisset, consumptus Iupiter esset. Huncque Cronon dicunt ficteque Chronon, quia tempus quae creat absumit rursusque absumpta promittit. Cur tamen oblique nomen pro tempore fingunt ? Hunc etiam – quod saepe sibi de
prole timebat – |
Si elle n'avait pas agi de la sorte, Jupiter
aurait été dévoré. Saturne, ils l'appellent Cronos, et par artifice Chronos, car le Temps absorbe ce qu'il crée et à nouveau rejette ce qu'il a absorbé. Pourquoi donc inventer indirectement un nom pour le temps ? On dit aussi – chose qu'il redoutait sans
cesse de sa descendance – |
105 |
ab Ioue deiectum caelo, latuisse per agros Italiae Latiumque ideo tunc esse uocatum. Magnus uterque deus ! Terris est abditus alter, alter non potuit terrarum scire latebras ! Hinc Latiare malum prisci statuere Quirites, |
que
Saturne, chassé du ciel par Jupiter, vécut caché
dans les champs d'Italie, ce qui valut alors son nom au Latium. Quels grands dieux, l'un et l'autre ! L'un s'est caché sur terre, l'autre n'a pas pu connaître les cachettes de la terre ! Ensuite les anciens Quirites ont
établi le mal latial : |
110 |
ut mactatus homo nomen satiaret inane. Quae nox est animi, quae sunt improuida corda ! Quod colitur nihil est <et> sacra cruenta geruntur ! |
un homme était sacrifié afin d'apaiser un nom vide de sens. Quelle nuit obscurcit les esprits ! Que les coeurs humains sont irréfléchis ! On honore ce qui n'est rien, et on pratique des sacrifices sanglants ! |
Inanité des cultes orientaux (Mithra et Isis/Sérapis ) (113-127) [Comm]
Mithra (113-116) [Comm] - Isis et Serapis (117-127) [Comm]
113 |
Quid quod et Inuictum spelaea sub atra recondunt quemque tegunt tenebris audent hunc dicere Solem ? |
Et que dire du fait qu'ils cachent l'Invaincu dans de sombres cavernes,
et osent affirmer que celui qu'ils couvrent de
ténèbres est le Soleil ? |
115
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Quis colat occulte lucem
sidusque supernum celet in infernis nisi rerum causa malarum ?
Quid quod et Isiaca sistrumque caputque caninum non magis abscondunt, sed per loca publica ponunt ? Nescio quid certe quaerunt gaudentque repertum |
Qui
pourrait honorer la lumière dans l'obscurité et cacher un astre céleste dans les enfers, si ce n'est par des pratiques mauvaises ?
Que dire aussi du fait que le sistre et la tête de chien, attributs d'Isis, ils ne les dissimulent plus, mais ils les exposent dans les lieux publics ? En tout cas, ils cherchent je ne sais quoi, se réjouissent de l'avoir trouvé, |
120
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rursus et amittunt quod rursus quaerere possint.
Quis ferat hoc sapiens : illos quasi claudere solem, hos proferre palam propriorum monstra deorum ? Quid Serapis meruit, qui sic laceratur ab ipsis per uarios turpesque locos ? Hic denique semper |
puis le perdent à nouveau, pour pouvoir à
nouveau le chercher.
Quel être sensé supporterait cela : que les uns en quelque sorte enferment le soleil, que d'autres portent au grand jour les attributs monstrueux de leurs dieux ? Qu'a fait Sérapis pour mériter d'être ainsi déchiré par ses dévots à travers tant de lieux infâmes ? Et puis celui-ci sans cesse
devient |
125 |
fit fera fitque canis, fit putre cadauer aselli, nunc homo, nunc pannis, nunc corpore languidus aegro. Talia dum faciunt, nihil hunc sentire fatentur. |
bête sauvage, ou chien, ou cadavre d'âne en
putréfaction, ou homme, au corps tantôt enveloppé d'étoffes, tantôt épuisé de maladie. Pendant qu'ils lui font tout cela, Sérapis ne sent rien, à ce qu'ils disent. |
Vesta et les Vulcanalia (128-150) [Comm]
128 |
Quid loquar et Vestam, quam se negat ipse sacerdos scire quid est ? Imisque tamen penetralibus intus |
Et que dirai-je de Vesta dont le prêtre même prétend ignorer ce qu'elle est ? Toutefois, au plus profond de son sanctuaire, |
130 |
semper inextinctus seruari fingitur ignis. Cur dea, non deus est ? Cur ignis femina fertur ? Ista quidem mulier, sicut commendat Hyginus, stamine prima nouo uestem contexuit olim nomine de proprio dictam, quam tradidit ipsa |
on l'imagine gardée sous la
forme d'un feu toujours allumé. Pourquoi une déesse et non un dieu ? Pourquoi le feu est-il dit femme ? Cette femme en vérité, comme le fait savoir Hygin, fut autrefois la première à tisser avec un fil nouveau un vêtement qui fut appelé de son nom, vêtement qu'elle remit
personnellement |
135 |
Vulcano, qui tunc illi monstrarat opertos custodire focos ; hic rursum munere laetus obtulit hanc Soli, per quem deprenderat ante Martis adulterium. Nunc omnis credula turba
suspendunt Soli per Vulcanalia uestes, |
à Vulcain,
qui alors lui avait montré comment surveiller les foyers couverts. À son tour ce dieu, heureux du présent, offrit au Soleil ce vêtement qui lui avait permis de surprendre un jour l'adultère de Mars. Aujourd'hui toute une foule de gens crédules suspendent des vêtements en l'honneur du
Soleil lors des Vulcanalia ; |
140 |
utque notent Venerem, tunc et portatur Adonis : stercora tunc mittunt, ipsum pro stercore iactant. Omnia si quaeras, magis et ridenda uidentur. Additur hic aliud. Vestae quas uirgines aiunt quinquennis epulas audio portare
draconi, |
et pour discréditer Vénus, on porte alors
aussi Adonis en procession : on jette alors du fumier, puis on le lance lui-même comme du fumier. Si l'on s'interroge sur tous les rites, on en voit de plus ridicules encore. En voici un autre. J'apprends que les vierges, dites de Vesta, apportent tous les cinq ans de la
nourriture à un dragon. |
145 |
qui tamen aut non est aut si est diabolus
ipse est, humano generi contrarius antea suasor ; et uenerantur eum, qui nunc in nomine Christi et tremit et pendet suaque omnia facta fatetur. Quae mens est hominum, ut pro ueris falsa loquantur, |
Celui-ci
pourtant n'existe pas, ou, s'il existe, il
est le diable en personne, qui fut autrefois un conseiller funeste pour le genre humain. Les Vestales vénèrent ce serpent, qui maintenant, entendant le nom du Christ se met à trembler, devient anxieux et avoue tous ses méfaits. Qu'est-ce donc que l'intelligence des hommes ?
Ils disent le faux pour le vrai, |
150 |
qui linquenda colunt contraque colenda relinquunt ! |
adorent ce qu'ils devraient délaisser, et délaissent ce qu'ils devraient adorer ! |
Transition : La conversion de l'auteur (151-163) [Comm]
151 |
Iam sat erit nobis uanos narrare timores. Haec ego cuncta prius. Clarum cum lumen adeptus meque diu incertum et tot tempestatibus actum sancta salutari suscepit
ecclesia portu |
En voilà assez pour moi maintenant avec le récit de vaines craintes. Tout cela c'est mon passé. Depuis lors j'ai accédé à la claire lumière et, longtemps en proie au doute, mené à travers tant de tempêtes, j'ai été accueilli au port salvateur
par la sainte église |
155 |
postque uagos fluctus tranquilla sede
locauit, ut mihi iam liceat, detersa nube malorum, tempore promisso lucem sperare serenam, iam prior illa salus, quam perdidit immemor Adam tunc uento suadente malo,
nunc remige Christo |
qui, après mes errances sur les flots, m'a placé dans un havre tranquille. Aussi, une fois dissipée la nuée de mes malheurs, il m'est permis maintenant d'espérer, au temps promis, la lumière sereine. Désormais, ce salut des premiers temps, perdu par l'oublieux Adam poussé alors par un vent mauvais, a été
arraché aux écueils, |
160 |
eruta de scopulis semper mansura resurget. Rector enim noster sic undique cuncta gubernat ut modo qui nobis errorem mentis ademit hic meliore uia paradisi limina pandat. |
maintenant que le Christ est à la barre, et
il resurgira pour durer toujours. Celui qui nous dirige en effet gouverne toutes choses en tous lieux, et dès lors, lui qui naguère a extirpé l'erreur de notre esprit nous ouvre, par une meilleure voie, les portes du paradis. |
Deuxième partie: Profession de foi de l'auteur (164-255)
Vers 164-216 : La foi en la toute puissance du Dieu créateur et organisateur de l'univers [Comm]
164 |
Felix nostra fides, uni certoque dicata ! Vnus enim deus est, substantia filius una unus, in utroque est unus uigor, una potestas. Namque dei uerbum patrio de pectore Christus emicuit semperque fuit ; qui, non quasi natus, ore sed egressus, chaos illud
inane remouit |
Heureuse notre Foi, vouée à l'unique et au certain ! Dieu est un en effet, un Fils un, une seule substance, en l'un et l'autre est une force unique, une puissance unique. Car le Verbe de Dieu, le Christ, a jailli du sein paternel comme l'éclair. Il a toujours existé. Et lui – non pas comme s'il était né, mais simplement sorti de sa bouche –, il a écarté ce chaos
vide |
170 |
et tulit informem contextae noctis hiatum distribuitque locis mare, terras, aëra, caelum, hisque dedit geminam pulsa caligine lucem. Ast ubi cuncta nouum stupuerunt surgere solem, quattuor haec auxit uariis
exordia rebus : |
et fait disparaître l'abîme informe de la
nuit qui y régnait. Puis il a réparti à leur juste place la mer, les terres, l'air, le ciel, et, l'obscurité chassée, il leur a donné un double éclairage. Mais dès que l'univers stupéfait vit surgir le nouveau soleil, il [= le Christ] enrichit ces quatre éléments de créatures variées : |
175 |
sunt homines terris, sunt addita sidera caelo, pendent <aëre> aues, liquido nant aequore pisces. Sic elementa suis decorauit singula formis ; nexuit haec diuersa licet discretaque iunxit iunctaque discreuit, quae nunc diuisa cohaerent. |
les hommes
furent ajoutés à la terre, les astres au ciel, les oiseaux sont suspendus dans l'air, les poissons nagent dans la mer. Ainsi il orna chaque élément de formes appropriées à chacun ; il les entrelaça malgré leur diversité, unit ce qui était séparé et sépara ce qui était lié, éléments
divisés qui maintenant sont cohérents. |
180
|
Claudit enim Oceanus terram, aëre clauditur
ipse, axe sub aetherio medius concluditur aër.
Hoc etiam caelum, quod nos sublime uidemus, sex aliis infra est spatio surgentibus aequo ; postque thronos septem, post tot caelestia regna, |
En effet, l'océan entoure la terre, et est
lui-même enfermé par l'air, l'air, au centre, est enfermé sous la voûte éthérée du ciel.
Ce ciel même que nous voyons bien au-dessus de nous se trouve sous six autres cieux qui s'élèvent à intervalles égaux ; au-delà des sept trônes, des sept royaumes célestes, |
185 |
cetera pars omnis, quae cunctis eminet ultra, quae super excedit, quae passim tendit in altum, quae sine fine patet, quam nec mens colligit ulla, lucis inaccessae domus est sedesque potentis sancta dei, unde procul quae fecit subdita cernit. |
toute
la partie restante, qui s'élève au-delà de tout, qui dépasse tout, qui de toutes parts tend vers le haut, qui s'étend sans fin, que nulle intelligence ne peut comprendre, c'est la demeure de la lumière inaccessible et le séjour sacré du Dieu puissant, qui de loin regarde les créatures qui lui sont soumises. |
190 |
Omnia sic constant, dum spiritus omnia cingit. Haec itidem, quorum nobis conceditur usus, quae polus inferior magna complectitur orbe, cuncta licet distent, una cum pace tenentur, denique nomen habent unum : sunt omnia
mundus. |
Tout ainsi
se tient, tandis que l'Esprit enveloppe l'univers. De la même façon, ces choses dont l'usage nous est concédé, que le ciel inférieur embrasse en un grand cercle, toutes distinctes qu'elles soient, sont maintenues ensemble en harmonie, et, finalement portent un seul nom : toutes constituent le monde. |
195 |
Hunc etiam Graeci cosmon dixere priores : hinc ita compositum distinguens utraque lingua cosmon ab ornatu, mundum de lumine dixit. Nam quod sole nitet hoc totum sordebat in umbra, et manet exemplum quotiens nox
omnia foedat |
Ce monde, les
Grecs les premiers l'ont même appelé cosmos : d'où, soulignant ainsi sa composition, les deux langues l'ont appelé, l'une - cosmos - pour sa beauté, l'autre - monde - pour sa lumière. En effet, tout ce que le soleil fait briller, restait sale dans l'ombre. Et il en subsiste un exemple, chaque fois que
la nuit avilit toutes choses, |
200
|
et docet ex tenebris quae sit data gratia lucis.
Tot bona qui fecit, qui sic operatus ubique est, hic dominus de corde dei, hic spiritus oris, sancti sermo patris, tantarum fabrica rerum. Nec se paganus laudet, si
qui idola uitat |
et que
l'obscurité nous montre quelle
faveur nous est donnée avec la lumière.
L'auteur de tant de bienfaits, qui a ainsi oeuvré partout, c'est le Seigneur qui procède du coeur de Dieu, l'Esprit de sa bouche, la parole du Père saint, la source créatrice de choses si grandes. Et que le païen ne se vante pas, s'il néglige les idoles |
205 |
ac satis esse putat quod numine credat in uno. Qui colet ille deum, qui uerbum non colit eius, qui non uirtutem simili ueneratur honore ? Quique inuisibilem incomprehensibilemque fatetur esse deum, hic etiam Christum, si cogitet, idem |
et pense qu'il est suffisant de croire en un
seul dieu. Comment honorera-t-il Dieu celui qui n'honore pas son Verbe, celui qui ne vénère pas sa puissance avec un égal respect ? Et celui qui proclame que Dieu est invisible et incompréhensible, découvrira aussi, s'il réfléchit, qu'il en est de même
pour le
Christ, |
210 |
inueniet, quoniam uerbum comprendere nemo, nemo uidere potest : opera eius sola uidentur. In patre natus enim, in nato pater omnia fecit et quicquid uirtute dedit pietate tuetur. Sic fuit, est et erit uerus
saluator in aeuum, |
puisque personne ne peut comprendre le Verbe, puisque personne ne peut le voir : seules ses oeuvres sont visibles. En effet, en son Père le Fils, en son Fils le Père a tout fait, et tout ce que sa puissance a donné, sa bienveillance le protège. Ainsi il a été, il est et il sera à jamais le véritable sauveur, |
215 |
qui tulit errores, qui fecit uera uideri placatoque patri pereuntem reddidit orbem. |
celui qui a
effacé les erreurs, celui qui a fait paraître la vérité, et a rendu à son Père apaisé l'univers qui était en perdition. |
La foi dans la miséricorde de Dieu, qui a sauvé les hommes (217-255) [Comm]
217 |
Nec mirum si cuncta regit qui cuncta creauit, qui dedit ex nihilo totum lucique tenebras reppulit atque diem iussit
succedere nocti |
Il n'est pas étonnant que tout soit régi par celui qui a tout créé, qui a tout donné à partir de rien, qui a repoussé les ténèbres pour la lumière, qui a ordonné que le jour
succède à la nuit, |
220
|
quodque in carne fuit carnis peccata
remittit.
Cernit enim fragilem faciles incurrere lapsus corripiensque tamen ueniam dabit omnibus unam, remque nouam dicam nec me dixisse pigebit, plusque pius quam iustus erit. Si denique iustus |
et qui, parce qu'il a été incarné, remet les
péchés de la chair.
Il voit en effet que le faible tombe facilement dans l'erreur, et pourtant, tout en blâmant, il accordera à tous un même pardon. Je vais dire une chose inattendue, et je ne regretterai pas de l'avoir dite : il sera plus bienveillant que juste.
Finalement, si Dieu voulait être juste, |
225 |
esse uelit, nullus fugiet sine crimine
poenam : iustus enim mala condemnat, pius omnia donat. Hoc facit ut rata sint uenturae munera uitae et quod culpa tulit rursum indulgentia reddat. Quae si non fuerit plebi concessa roganti, |
personne n'étant sans
faute, nul
n'échapperait au châtiment : en effet, juste, il condamne le mal, bienveillant, il pardonne tout. Il fait cela afin de garantir les récompenses de la vie future et afin que sa miséricorde rende ce que la faute a emporté. Si cette indulgence n'est pas accordée au peuple en prières, |
230 |
tunc prope nullus erit delicto liber ab
omni : quis poterit meritus promissa luce potiri ? Tangere tunc laetis caelorum regna licebit, tunc poterit mors ipsa mori, cum tempore toto uita perennis erit, qua tunc in sede beata |
alors, presque personne ne sera absolument exempt de faute : qui aura mérité de pouvoir accéder à la lumière promise ? Alors les humains, heureux, pourront atteindre le royaume des cieux, alors la mort elle-même pourra mourir, quand pour toujours la vie sera éternelle : alors dans ce
séjour bienheureux |
235 |
nullus peccandi locus est, ubi nulla cupido est. Gloria tanta manet populo seruata fideli. Amplius hoc tribuit, maius dedit hoc quoque munus, quod peccatorem quem paenitet antea lapsum non facit in numero
turbae peccantis haberi. |
le péché n'a pas sa place, là où il n'y
a pas le moindre désir. C'est une si grande gloire qui est réservée au peuple fidèle. Dieu accorde un présent plus ample, un don plus grand même : il ne veut pas que le pécheur, se repentant d'avoir été renégat dans le passé soit compté au nombre de la
foule des pécheurs. |
240
242
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Quippe satis poena est, cum sit sua culpa dolori ; supplicium proprium timor <est> ; tormenta reatus tam ueluti patitur qui se meruisse fatetur.
Quid poterit melius uel quid moderatius esse ? Iudicat inquirit castigat parcit
honorat |
En effet,
celui qui souffre de sa faute éprouve une peine suffisante ; la crainte qu'il éprouve est son propre supplice ; celui qui reconnaît les avoir mérités subit autant de tourments qu'un coupable condamné.
Que pourrait-il y avoir de meilleur ou de plus mesuré ?
Celui qui juge, enquête, châtie, épargne, honore, |
245 |
omnia qui uincit nec ab ipsa uincitur ira. Quod de praesenti iam cernimus esse futurum ; nam cum saepe minax horrentia nubila cogit et terrore pio rutilo nimis igne coruscat tristibus et pluuiis et nubibus intonat atris, |
c'est lui qui vainc tout, sans être vaincu par la colère même. Le présent nous permet déjà de distinguer le futur. En effet souvent, quand menaçant il rassemble d'horribles nuages, quand il nous agite dans une sainte terreur, à coup d'éclairs de feu
et de pluies sinistres, quand il fait retentir le tonnerre dans de
sombres nuées, |
250 |
omne genus timet interitum ; sed uiua potestas desinit et pariter coelum mentesque serenat. Hoc quoque tunc sperare iubet qui se modo cuncta perdere posse probat, sed perdere uelle recusat. Sic iteranda salus uenturo ostenditur aeuo aeternique dei pietas aeterna manebit. |
tout le
genre humain
craint la mort ; mais la puissance vivante prend fin et ramène la sérénité à la fois dans le ciel et dans les esprits. Voilà l'espoir qu'ordonne celui qui vient de prouver qu'il peut tout détruire, mais qui refuse aussi de vouloir tout détruire. Ainsi apparaît le salut qui doit se répéter pour le temps à venir et la bonté du Dieu éternel demeurera éternellement. |
FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 20 - juillet-décembre 2010