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Tite-Live: Encyclopédie livienne - Plan de l'Histoire romaine - Hypertexte louvaniste

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Tite-Live - Histoire Romaine 

 

Livre XXVIII : Les événements des années 207 à 205 a.C.n.

 

1ère partie: [28,1 à 8] Campagnes d'Espagne et de Grèce (207)

2ème partie: [28,9 à 16] Situation en Italie. Fin de la guerre d'Espagne (206)


 

Chapitres

 

[I] [II] [III] [IV] [V] [VI] [VII] [VIII] [IX] [X]

[XI] [XII] [XIII] [XIV] [XV] [XVI

[XVII à XLVI]


Plan

  • 1ère partie: [28,1 à 8] Campagnes d'Espagne et de Grèce (207)
  • 2ème partie: [28,9 à 16] Situation en Italie. Fin de la guerre d'Espagne (206)
  • 3ème partie: [28,17 à 37] Activité diplomatique et militaire de Scipion en Espagne et en Afrique (206-205)
  • 4ème partie: [28,38 à 46] Situation en Italie (205)

 

Crédits

Tite-Live. Histoire romaine. Tome sixième. Traduction nouvelle de Eugène Lasserre, Paris, 1949. La traduction de E. Lasserre a parfois été très légèrement modifiée. Quant aux intertitres, ils ont été repris à A. Flobert, Tite-Live. La Seconde Guerre Punique. II. Histoire romaine. Livres XXVI à XXX, Paris, 1994 (Garnier- Flammarion - GF 940).


1ère partie: [28,1 à 8] Campagnes d'Espagne et de Grèce (207)

 

[28,1] Situation en Espagne (automne)

(1) Alors que le passage d'Hasdrubal en Italie, faisant peser sur ce pays une partie de la guerre, semblait avoir d'autant soulagé les Espagnes, on vit soudain renaître là une guerre égale à la première. (2) Les Espagnes, à ce moment, étaient occupées par les Romains et les Carthaginois de la façon suivante: Hasdrubal, fils de Gisgon, s'était retiré jusqu'à la côte la plus reculée de l'Océan et à Gadès; (3) le rivage de notre mer et presque toute l'Espagne, du côté tourné vers l'Orient, étaient sous les ordres de Scipion et de Rome. (4) Un nouveau général, Hannon - venu d'Afrique, à la place d'Hasdrubal descendant de Barca, avec une nouvelle armée, et uni à Magon - ayant dans la Celtibérie, qui se trouve au centre, entre les deux mers, armé rapidement un grand nombre d'hommes, (5) Scipion envoya contre lui Marcus Silanus avec dix mille hommes au plus, et cinq cents cavaliers.

(6) Silanus, grâce à des étapes aussi longues que possible, quoique gêné par le mauvais état des chemins et par des gorges au milieu de bois épais, comme il arrive le plus souvent en Espagne, devança non seulement les messagers, mais le bruit même de son arrivée, et, guidé par des déserteurs de cette même région, de Celtibérie, parvint à l'ennemi. (7) On apprit aussi de ces guides, alors que l'on était à dix milles environ de l'ennemi, qu'il y avait deux camps près de la route qu'on suivait: à gauche celui des Celtibères, troupe récente de plus de neuf mille hommes, à droite celui des Carthaginois. (8) Ce dernier, des postes, des sentinelles, tout un service de garde régulier le rendaient sûr et solide; l'autre était indiscipliné et négligé, comme il est naturel avec des barbares, des recrues, des gens qui ont moins de craintes à la pensée qu'ils sont sur leur terre. (9) Pensant que c'était le premier à attaquer, Silanus ordonne à ses troupes d'appuyer le plus possible à gauche, de peur d'être aperçu par quelque poste carthaginois; et lui-même, après avoir envoyé des éclaireurs, se dirige rapidement vers l'ennemi.

[Début]

 

[28,2] Silanus bat et met en fuite l'armée de Magon

(1) Il était à trois milles environ des ennemis, qu'aucun d'eux ne s'en était encore aperçu. Le pays était difficile, occupé par des collines couvertes de broussailles; (2) là, dans une vallée profonde, et, pour cela, cachée aux regards, il ordonne à ses soldats de faire halte et de manger. Cependant les éclaireurs revinrent, confirmant les dires des déserteurs. (3) Alors, ayant entassé sur place leurs bagages, les Romains prennent les armes, et, en formation régulière, marchent au combat. Ils étaient à mille pas quand l'ennemi les aperçut, et commença à s'agiter; de son côté Magon, au galop, arrive de son camp au premier cri, au premier tumulte.

(4) Il y avait dans les troupes celtibères quatre mille hommes armés de boucliers longs et deux cents cavaliers; cette légion régulière - force de cette armée - Magon la met en première ligne; les autres soldats, l'infanterie légère, il les place en réserve. (5) Comme il les faisait, ainsi rangés, sortir du camp, à peine avaient-ils franchi le retranchement que les Romains lancèrent sur eux leurs javelots; (6) les Espagnols se baissent devant les javelots envoyés par l'ennemi, puis se lèvent pour envoyer les leurs; les Romains les ayant reçus, comme d'habitude, en se serrant, sur leurs boucliers rapprochés, on engagea le combat pied à pied, et l'on commença à se battre à l'épée. (7) Mais les difficultés du terrain rendaient inutile l'agilité des Celtibères, accoutumés, dans la bataille, à courir tantôt sur un point, tantôt sur un autre, et n'était nullement défavorable aux Romains, habitués au combat de pied ferme, (8) si ce n'est que l'étroitesse des passages, et les buissons qui y poussaient, rompaient les rangs, et forçaient de combattre un à un ou deux à deux, comme entre adversaires appariés. (9) Les difficultés qui empêchaient l'ennemi de fuir l'offraient, comme enchaîné, au carnage; (10) et déjà, presque tous les Celtibères armés de boucliers longs ayant été tués, les troupes légères, et les Carthaginois qui, de l'autre camp, étaient venus à leurs secours, repoussés, étaient massacrés. (11) Deux mille fantassins au plus, et toute la cavalerie - celle-ci alors que le combat était à peine engagé - s'enfuirent avec Magon; Hannon, l'autre général, fut pris vivant avec les troupes arrivées les dernières, quand la bataille était déjà perdue; (12) Magon, que, dans sa fuite, presque toute la cavalerie et les vétérans de l'infanterie avaient suivis, arriva neuf jours après dans la province de Gadès, auprès d'Hasdrubal; les Celtibères, soldats novices, après s'être dispersés dans les forêts les plus proches, se réfugièrent ensuite chacun chez eux. (13) Cette victoire si opportune avait étouffé moins une guerre déjà formée que les éléments de la guerre qui aurait eu lieu, si l'on avait laissé les Carthaginois, après avoir soulevé la nation celtibère, appeler aux armes d'autres peuples encore. (14) Aussi, après avoir félicité de grand coeur Silanus, Scipion, trouvant là un espoir de terminer la guerre, à condition de ne pas l'écarter lui-même par ses hésitations, marche vers les restes de la guerre, vers l'extrémité de l'Espagne, contre Hasdrubal. (15) Le Carthaginois, qui se trouvait alors avoir son camp dans la Bétique pour maintenir ses alliés dans la fidélité, part brusquement et emmène ses troupes, en fuite plutôt qu'en marche, jusqu'au fond de l'Espagne, à l'Océan et à Gadès. (16) Mais pensant que tant qu'il tiendra son armée rassemblée, il sera pour les Romains un objectif de guerre, sans attendre de passer le détroit de Gadès, il la répartit toute, çà et là, dans des villes, pour que leurs murs en même temps la protègent et soient protégés par ses armes.

[Début]

 

[28,3] Prise d'Orongis (fin de l'été 207)

(1) Quand Scipion s'aperçoit que l'objet de la guerre s'est ainsi dispersé, et qu'aller assiéger des villes l'une après l'autre, c'est une opération plus longue que difficile, il rebrousse chemin. (2) Cependant, pour ne pas abandonner cette région aux ennemis, il envoie son frère Lucius Scipion, avec dix mille fantassins et mille cavaliers, attaquer la ville la plus riche de ces contrées - les barbares l'appellent Orongis. (3) Elle se trouve dans le pays des Maesessi, [peuple espagnol], territoire fertile; ses habitants retirent en outre du sol de l'argent. Elle avait servi de citadelle à Hasdrubal pour faire des expéditions sur les confins des peuples de l'intérieur. (4) L. Scipion, ayant établi son camp près de la ville, sans l'investir encore d'un retranchement, envoya vers ses portes des émissaires pour sonder les sentiments des habitants, en leur parlant de près, et leur conseiller d'éprouver l'amitié plutôt que la force des Romains. (8) N'obtenant aucune réponse pacifique, il divisa, après avoir entouré la ville d'un fossé et d'une double palissade, son armée en trois parties, de sorte que l'une attaquât toujours la ville pendant que deux se reposaient. (6) Quand la première division entreprit l'attaque, la lutte fut affreuse et incertaine: il n'était facile ni d'arriver au pied des remparts, ni d'y apporter des échelles, à cause des traits qui tombaient; (7) même ceux qui avaient dressé des échelles contre le mur, les uns étaient renversés avec des fourches faites pour cela, les autres voyaient s'abattre sur eux des grappins de fer, qui les mettaient en danger d'être soulevés et tirés à l'intérieur des murs. (8) Alors, L. Scipion, remarquant que le trop petit nombre des siens rendait la lutte égale, et que même l'ennemi avait l'avantage parce qu'il se battait du haut de ses murs, attaqua avec deux divisions à la fois, après avoir retiré la première. (9) Cela inspira tant d'épouvante aux assiégés, déjà fatigués par le combat avec les premiers assaillants, que les gens de la ville, s'enfuyant soudain, abandonnèrent les remparts, et que la garnison punique, craignant qu'une trahison n'eût déjà livré la place, abandonna ses divers postes pour se rassembler. (10) Puis la crainte saisit les assiégés que, si l'ennemi entrait dans la ville, il ne massacrât, sans distinction de Carthaginois ou d'Espagnols, tous ceux qu'il rencontrerait çà et là; (11) aussi, par une porte brusquement ouverte, ils se jetèrent en grand nombre hors de la place, tenant devant eux leurs boucliers pour éviter que, de loin, on ne leur lançât des traits, et montrant avec insistance leur main droite nue, pour qu'on vît bien qu'ils avaient jeté leurs épées. (12) Le vit-on mal de loin, ou soupçonna-t-on là une ruse, ce point n'est pas éclairci; on chargea ces déserteurs, on les massacra comme une troupe ennemie; et par la porte par où ils étaient sortis, les enseignes, comme pour une attaque, pénétrèrent dans la ville. (13) Sur d'autres points, les haches et les dolabres coupaient et brisaient les portes, et chaque cavalier, sitôt entré, allait au galop - suivant l'ordre reçu - occuper le forum. (14) On avait ajouté aux cavaliers un corps de triaires; les légionnaires se répandent dans le reste de la ville. Ils s'abstinrent de piller, et de tuer les personnes qu'ils rencontraient, sauf celles qui résistaient les armes à la main. (15) Tous les Carthaginois furent emprisonnés, et aussi trois cents habitants environ, qui avaient fermé les portes; aux autres, on confia l'administration de leur ville, on rendit leurs biens.(16) Il tomba à l'attaque de cette place environ deux mille ennemis, et quatre-vingt-dix Romains au plus.

[Début]

 

[28,4] La flotte romaine ravage le littoral africain (courant de l'été 207)

(1) Agréable fut la prise de cette ville à ceux qui l'emportèrent comme au général en chef et au reste de l'armée; brillante aussi fut l'arrivée des vainqueurs, à cause de la foule de prisonniers qu'ils poussaient devant eux. (2) Ayant comblé son frère d'éloges en égalant - honneur le plus grand qu'il pût lui accorder en paroles - à la prise de Carthagène, accomplie par lui, la prise d'Orongis accomplie par son frère, (3) Scipion, comme l'approche de l'hiver ne rendait possible ni tentative sur Gadès, ni poursuite de l'armée d'Hasdrubal dispersée çà et là dans la province, ramena toutes ses troupes dans l'Espagne citérieure; (4) puis, après avoir réparti ses légions dans leurs cantonnements d'hiver et envoyé à Rome son frère, Lucius Scipion, avec le général ennemi Hannon et les autres prisonniers nobles, il se retira lui-même à Tarragone.

(5) La même année, la flotte romaine commandée par le proconsul Marcus Valerius Laevinus, étant passée de Sicile en Afrique, dévasta sur une large étendue les territoires d'Utique et de Carthage. Aux frontières de Carthage, autour des murs mêmes d'Utique, on enleva du butin. (6) Comme les Romains regagnaient la Sicile, la flotte punique - elle comptait soixante-dix vaisseaux de guerre - se présenta. On lui prit dix-sept navires, on en coula quatre; on dispersa et mit en fuite le reste de la flotte. (7) Vainqueur sur terre et sur mer, le Romain, avec un important butin de toute sorte, regagne Lilybée. Par la mer désormais sûre, les navires ennemis ayant été chassés, de grands convois de blé furent amenés à Rome.

[Début]

 

[28,5] Événements de Grèce (207)

(1) Au début de la campagne d'été où se passèrent ces événements, le proconsul. Publius Sulpicius et le roi Attale, ayant hiverné (comme on l'a dit) à Égine, passèrent à Lemnos avec leurs flottes réunies - vingt-cinq quinquérèmes romaines et trente-cinq royales. (2) Philippe, lui, pour être prêt - qu'il dût aller à l'ennemi par terre ou par mer - à tous les efforts, descendit vers la mer, à Démétriade; il fixa à son armée une date pour se rassembler à Larissa. (3) De tous côtés, au bruit de la venue du roi, des délégations de ses alliés affluèrent à Démétriade. (4) En effet, les Étoliens avaient repris courage grâce à l'alliance de Rome, et surtout après l'arrivée d'Attale, et ils pillaient les peuples voisins; (5) non seulement les Acarnaniens, les Béotiens et les habitants de l'Eubée éprouvaient de grandes craintes, mais aussi les Achéens, qu'effrayait, outre la guerre avec les Étoliens, Machanidas, tyran de Lacédémone, avec son camp établi non loin de la frontière Argienne. (6) Tous ces députés, exposant chacun quels dangers, sur terre et sur mer, s'annonçaient ainsi pour sa ville, demandaient du secours au roi. (7) Son royaume même, d'après les nouvelles, n'était pas tranquille: Scerdilaedus et Pleuratus s'étaient soulevés, et, parmi les Thraces, les Maedi, en particulier, étaient prêts, si quelque guerre lointaine retenait le roi, à faire des incursions sur les confins de la Macédoine. (8) En tout cas, les Béotiens et les peuples de l'intérieur de la Grèce annonçaient que le défilé des Thermopyles, où une gorge resserrée rétrécit le chemin, avait été coupé par les Étoliens d'un fossé et d'un retranchement, pour ne pas livrer passage à Philippe allant protéger les villes de ses alliés.

(9) Même un général sans énergie aurait pu être poussé à l'action en voyant tant de soulèvements s'étendre autour de lui. Philippe renvoie les ambassades en leur promettant, dans la mesure où les circonstances et la situation le permettraient, de porter secours à tous; (10) pour le moment - c'était le plus urgent - il envoie des troupes à Peparethus, à la ville d'où on lui annonçait qu'Attale, venu de Lemnos avec sa flotte, avait dévasté tout le territoire alentour. (11) Il envoie Polyphantas avec un petit détachement en Béotie, et aussi un certain Ménippe - un de ses généraux - avec mille peltastes (la pelta ne diffère guère de la cetra) à Chalcis; (12) on ajouta à ceux-ci cinq cents Agriani, pour pouvoir défendre toutes les parties de l'île. Le roi lui-même partit pour Scotusa, où il fit passer aussi, de Larissa, les troupes macédoniennes. (13) Là, on lui annonça qu'une assemblée des Étoliens était convoquée à Héraclée, et que le roi Attale y viendrait délibérer sur l'ensemble des opérations. (14) Pour troubler cette réunion par son arrivée soudaine, il conduit son armée à grandes étapes vers Héraclée. (15) L'assemblée était déjà dispersée quand il y arriva; il dévaste cependant les moissons, qui étaient déjà presque mûres, surtout dans le golfe des Aeniani, puis ramène ses troupes à Scotusa. Laissant là toute l'armée, il se retire avec la garde royale à Démétriade. (16) Puis, pour pouvoir accourir à tout mouvement de l'ennemi, il envoie en Phocide, en Eubée et à Peparethus choisir des sommets, d'où des feux allumés soient visibles; (17) il établit lui-même sur le Tisaeus - montagne dont la cime s'élève très haut - un observatoire, afin de recevoir en un moment un signal, grâce aux feux qui s'élèveraient au loin, quand les ennemis entreprendraient quelque opération.

(18) Le général en chef romain et le roi Attale firent passer leurs forces de Peparethus à Nicée; de là ils envoient leur flotte en Eubée prés de la ville d'Oreus: pour qui gagne, du golfe de Démétriade, Chalcis et l'Euripe, c'est, sur la gauche, la première des villes de l'Eubée. (19) Il fut convenu entre Attale et Sulpicius que les Romains l'attaqueraient par la mer, les gens du roi par la terre.

[Début]

 

[28,6] Prise d'Oréos. Les Romains renoncent à attaquer Chalcis

(1) Quatre jours après que la flotte eut abordé, ils assaillirent la ville: ce délai avait été employé à des conciliabules secrets avec Plator, mis par Philippe à la tête de la ville. (2) La place a deux citadelles, l'une dominant la mer; l'autre est au milieu de l'agglomération. De là, par un tunnel, un chemin mène à la mer; du côté de la mer, une tour à cinq étages, défense exceptionnelle, le barrait. (3) C'est là que s'engagea d'abord une lutte terrible, la tour étant pourvue de projectiles de toute sorte, et des machines de jet et de siège ayant été débarquées des vaisseaux pour l'attaquer. (4) Comme ce combat avait attiré l'attention et les regards de tous, par la porte de la citadelle située au bord de la mer Plator fit entrer les Romains, et en un moment cette citadelle fut prise. Les habitants chassés de là se dirigèrent vers le milieu de la ville, du côté de l'autre citadelle; (5à il y avait encore là des hommes postés pour leur en fermer les portes. Laissés ainsi à l'extérieur, les habitants sont massacrés ou pris sur la voie publique. (6) La garnison macédonienne, groupée au pied du mur de la citadelle, résista, sans prendre la fuite en désordre, sans engager non plus un combat très acharné. (7) Plator, avec la permission de Sulpicius, fit monter ces troupes sur des bateaux et les débarqua à Demetrium de Phthiotide; lui-même se retira auprès d'Attale.

(8) Sulpicius, emporté par le succès si facile d'Oréos, part tout droit de là pour Chalcis avec sa flotte victorieuse; mais l'événement n'y répondit pas du tout à ses espoirs. (9) Après s'être étendue largement des deux côtés, la mer, resserrée à cet endroit en un défilé, peut offrir d'abord à qui la regarde l'aspect d'un port double, tourné vers deux entrées; mais il serait difficile de trouver un mouillage plus dangereux pour une flotte; (10) car les vents, venant des montagnes très élevées des deux terres qui le bordent, s'abattent en tempêtes soudaines, et par lui-même, le détroit de l'Euripe ne voit pas sept fois par jour, comme on le raconte, monter et descendre la marée; mais, au hasard, la mer, à la façon d'un vent tournant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, s'y précipite, comme un torrent roulant du haut d'une montagne escarpée. Ainsi ni jour, ni nuit elle ne laisse de repos aux navires. (11) Ce mouillage si dangereux reçut la flotte; quant à la ville, d'un côté fermée par la mer, de l'autre, du côté de la terre, remarquablement fortifiée et fermement défendue par une forte garnison, et surtout par la loyauté des chefs militaires et des notables, qui avait été flottante et trompeuse à Oréos, elle était solide et inexpugnable. (12) Étant donnée la témérité de l'entreprise, le Romain agit du moins prudemment en ceci, qu'ayant vu ses difficultés, il l'abandonna rapidement pour ne pas y perdre son temps, et fit passer de là sa flotte à Cynus de Locride - c'est le marché de la ville des Opuntii, qui est située à mille pas de la mer.

[Début]

 

[28,7] Vains efforts de Philippe pour contrôler la situation en Grèce

(1) Quant à Philippe, les signaux de feu d'Oréos l'avaient bien averti, mais, par la perfidie de Plator, ils avaient été émis trop tard de l'observatoire; d'autre part, l'infériorité de ses forces maritimes ne rendait pas facile à sa flotte l'accès de l'île; ainsi les retards firent abandonner l'affaire. (2) Pour Chalcis, au contraire, au premier signal, il marcha sans hésiter à son secours; car quoique Chalcis soit, elle aussi, une ville de la même île, elle est séparée par un bras de mer si étroit du continent, qu'un pont l'y rattache, et que l'accès en est plus facile par terre que par mer. (3) Donc Philippe, parti de Démétriade pour Scotusa, et de cette ville à la troisième veille, après avoir chassé les troupes, et dispersé les Étoliens établis dans le défilé des Thermopyles, refoulant ses ennemis sur Héraclée, gagna lui-même en un seul jour Elatia de Phocide, à plus de soixante milles de là. (4) À peu près le même jour, le roi Attale pillait la ville des Opuntii, qu'on avait prise: Sulpicius avait abandonné au roi ce butin, parce qu'Oréos, quelques jours avant, avait été pillé par les soldats romains, à l'exclusion de ceux du roi. (5) La flotte romaine s'était retirée à Oréos, et Attale, ignorant l'arrivée de Philippe, passait son temps à tirer de l'argent des notables; (6) l'arrivée de Philippe fut si imprévue que si certains Crétois, qui, par hasard, étaient allés assez loin de la ville faire du fourrage, n'avaient aperçu de loin l'armée ennemie, Attale aurait pu être surpris. (7) Sans armes, dans le désordre, il gagne en une fuite éperdue la mer et ses vaisseaux; tandis qu'on s'efforce de les éloigner du rivage, Philippe survient, et, même de la terre, inspire l'effroi aux marins. (8) De là, il revint à Oponte, accusant dieux et hommes de lui avoir fait perdre l'occasion d'une affaire si importante, qu'on lui avait ravie presque à ses yeux. (9) La même colère lui fit blâmer aussi les Opuntii, car, au lieu de faire traîner le siège jusqu'à son arrivée - comme ils le pouvaient, d'après lui - sitôt vu l'ennemi, ils en étaient presque venus à une capitulation volontaire.

Après avoir réglé les affaires de la région d'Oponte, Philippe partit pour Toronè. (10) Attale, lui, partit d'abord pour Oréos; puis, au bruit que Prusias, roi de Bithynie, avait envahi son royaume, laissant ses opérations contre les Romains et la guerre d'Étolie, il passa en Asie. (11) Sulpicius aussi retira sa flotte, à Égine, d'où il était parti au début du printemps. Sans avoir à lutter beaucoup plus qu'Attale pour prendre Oponte, Philippe prit Toronè. (12) Cette ville avait pour habitants des réfugiés de Thèbes en Phthiotide: leur patrie prise par Philippe, ils étaient venus se mettre sous la protection des Étoliens, qui leur avaient donné comme séjour cette ville dévastée et dépeuplée par la première guerre du même Philippe. (13) Puis de Toronè, prise à nouveau, comme on l'a dit plus haut, il partit, et prit Tithronion et Drumias, petites places peu connues de la Doride.

De là il vint à Elatia, où on avait dit aux ambassadeurs de Ptolémée et des Rhodiens de l'attendre. (14) Comme on y parlait de terminer la guerre étolienne, - ces ambassadeurs venaient d'assister à Héraclée à l'assemblée des Romains et des Étoliens - on apporte la nouvelle que Machanidas, tandis que les Éléens préparent la solennité des Jeux Olympiques, a décidé de les attaquer. (15) Pensant que cette affaire devait passer avant les autres, Philippe, ayant renvoyé les ambassadeurs avec cette réponse favorable "qu'il n'avait pas été cause de cette guerre, et ne retarderait pas la paix, pourvu qu'il fût permis de la faire à des conditions équitables et honorables", (16) partit avec une colonne légère, descendit à travers la Béotie à Mégare, puis à Corinthe, d'où, après avoir pris des vivres, il gagne Phlionte et Phénée. (17) Il était déjà arrivé à Heraea, quand il entend dire que Machanidas, effrayé par la nouvelle de sa venue, s'est réfugié à Lacédémone; il se rend à Aegium à l'assemblée des Achéens, pensant en même temps trouver là la flotte punique qu'il avait demandée pour avoir aussi quelque force sur mer. (18) Quelques jours avant, les Carthaginois étaient passés aux îles d'Oxeae; de là ils avaient gagné les ports des Acarnaniens, en apprenant qu'Attale et les Romains étaient partis d'Oréos, de peur qu'on ne marchât contre eux et qu'on ne les surprît dans le détroit de Rhium - c'est l'embouchure du golfe de Corinthe.

[Début]

 

[28,8] Philippe à l'assemblée des Achéens

(1) Philippe était, à la vérité, chagrin et anxieux en voyant que, malgré sa rapidité à marcher en toutes circonstances, il n'était arrivé à temps pour aucune affaire, et que la fortune, lui ravissant toutes les occasions sous ses yeux, s'était jouée de sa célérité; (2) mais, à l'assemblée, dissimulant son dépit, il parla avec une fière assurance, attestant les dieux et les hommes qu'en aucun lieu, à aucun moment, il n'avait manqué, là où résonnaient les armes ennemies, d'aller le plus vite possible; (3) mais on avait peine, ajouta-t-il, à calculer si, dans cette guerre, c'était lui qui montrait plus d'audace, ou les ennemis plus d'ardeur à la fuite; ainsi d'Oponte s'était échappé Attale, ainsi Sulpicius de Chalcis, ainsi, ces derniers jours, Machanidas lui avait échappé des mains. (4) Mais la fuite n'était pas toujours heureuse, et l'on ne devait pas tenir pour difficile une guerre dans laquelle, à condition de rencontrer l'ennemi, on était vainqueur. (5) L'essentiel, c'était que les ennemis avouaient ne pas être égaux à lui; bientôt il aurait une victoire indiscutable, et ses adversaires n'obtiendraient pas, de leur lutte contre lui, de meilleurs résultats qu'ils n'en espéraient.

Avec plaisir, les alliés écoutèrent le roi. (6) Il rendit ensuite aux Achéens Heraea et Triphylia; quant à Aliphera, il la restitua aux Megalopolitains, parce qu'ils prouvaient clairement qu'elle avait appartenu à leur territoire. (7) Ensuite, ayant reçu des Achéens des bateaux - trois quadrirèmes et autant de birèmes - il passa à Anticyre.

(8) Puis, avec sept quinquérèmes et plus de vingt barques (qu'il avait envoyées, pour s'y joindre à la flotte carthaginoise, dans le golfe de Corinthe), étant parti pour Erythrae des Étoliens, près d'Eupalium, il y fit une descente. (9) Il ne trompa pas les Étoliens: ce qu'il y avait d'hommes dans les champs ou dans les châteaux forts voisins de Potidania et d'Apollonia se réfugia dans les forêts et les montagnes; (10) mais les troupeaux, qu'ils n'avaient pu emmener dans leur hâte, furent enlevés et poussés dans les bateaux. Après avoir envoyé, avec eux et le reste du butin, Nicias, préteur des Achéens, à Aegium, Philippe, ayant gagné Corinthe, fit emmener de là, par terre, son infanterie à travers la Béotie; (11) lui-même, de Cenchrei, longeant en bateau l'Attique et remontant au-delà du cap Sunium, en traversant presque les flottes ennemies, parvint à Chalcis. (12) Puis, après avoir comblé d'éloges la loyauté et le courage des habitants, dont ni la crainte, ni l'espoir n'avait fait fléchir les âmes, et les avoir exhortés à rester, à l'avenir, aussi fidèles à l'alliance, s'ils préféraient leur sort à celui des Oritani et des Opontii, (13) il va par mer de Chalcis à Oréos; et, ayant remis à ceux des notables qui, après la prise de leur cité, avaient mieux aimé fuir que se livrer aux Romains, l'ensemble des affaires et la garde de leur ville, il passa lui-même d'Eubée à Démétriade, premier point d'où il était parti pour secourir ses alliés. (14) Ensuite, après avoir mis en chantier, à Cassandrea, cent coques de bateaux de guerre, et réuni pour ce travail une foule d'ouvriers navals, comme la situation, en Grèce, était tranquille grâce au départ d'Attale, et à l'aide que lui-même il avait portée, à temps, à ses alliés dans la peine, il retourna dans son royaume, pour porter la guerre chez les Dardani.

[Début]

 


2ème partie: [28,9 à 16] Situation en Italie. Fin de la guerre d'Espagne (206)

 

[28,9] Célébration du triomphe à Rome (début de l'année 206)

(1) À la fin de l'été où ces faits se passèrent en Grèce, le légat Quintus Fabius, fils de Maximus, envoyé par le consul Marcus Livius au sénat, à Rome, ayant annoncé que, d'après ce consul, pour garder la province de Gaule, il suffisait de Lucius Porcius et de ses légions, et que lui-même pouvait en revenir et en ramener son armée consulaire, (2) les sénateurs invitèrent à rentrer à Rome non seulement Marcus Livius, mais son collègue Caius Claudius. (3) La seule différence dans les décrets du sénat fut que à Marcus Livius il ordonnait de ramener son armée, à Néron de laisser, dans sa province, ses légions en face d'Hannibal. (4) Les consuls convinrent par lettres que, comme ils avaient dirigé les affaires d'un même coeur, ainsi, quoique venant de directions opposées, ils arriveraient à Rome en même temps: (5) celui qui se trouverait le premier à Préneste devrait y attendre son collègue. Le hasard fit qu'ils y arrivèrent tous deux le même jour. Après avoir, de là, envoyé un édit pour que, le surlendemain, le sénat en nombre se trouvât réuni au temple de Bellone, ils s'avancèrent vers Rome. (6) Tous les citoyens, répandus autour d'eux, non seulement les saluaient, mais, désirant chacun toucher leurs mains victorieuses, les uns les félicitaient, les autres leur rendaient grâce d'avoir, par leur action, sauvé l'État. (7) Au sénat, après avoir, comme tous les généraux, rendu compte de leurs actes, quand ils eurent demandé, en récompense de leur administration vaillante et heureuse des affaires publiques, des honneurs pour les Immortels, et, pour eux-mêmes, l'entrée en triomphe dans Rome, (8) les Pères conscrits répondirent qu'assurément ils décrétaient ce qu'ils demandaient, comme l'avaient bien mérité d'abord les dieux, puis, après les dieux, les consuls. (9) Quand on eut décrété des prières publiques au nom de tous deux et le triomphe pour chacun d'eux, ils convinrent - pour éviter, après avoir mené la guerre en pleine communauté d'idées, de séparer leurs triomphes - (10) que, la bataille s'étant livrée dans la province de Marcus Livius, celui-ci se trouvant, le jour où l'on avait combattu, avoir les auspices, et son armée revenant à Rome, tandis que celle de Néron n'avait pu être ramenée de sa province, Marcus Livius entrerait en ville sur un quadrige, suivi de ses soldats, et que Caius Claudius irait à cheval, sans soldats.

(11) Ce triomphe ainsi partagé accrut la gloire des deux consuls, mais surtout de celui qui, dépassant son collègue en mérite, lui cédait d'autant les honneurs. (12) Ce cavalier, disait-on, avait, en six jours, parcouru l'Italie dans toute sa longueur, et livré une bataille rangée à Hasdrubal, en Gaule, un jour où Hannibal croyait qu'il avait son camp en Apulie, en face de lui; (13) ainsi ce consul, seul, avait, des deux côtés de l'Italie, à deux généraux, à deux commandants en chef, opposé ici son adresse, là sa personne. (14) Le renom de Néron avait suffi pour retenir Hannibal dans son camp; quant à Hasdrubal, qu'était-ce, sinon l'arrivée de Néron, qui l'avait écrasé et fait périr? (15) Aussi l'autre consul pouvait s'avancer, élevé sur un char attelé de tous les chevaux qu'il voulait; un seul cheval portait dans Rome celui qui obtenait le vrai triomphe, et Néron, même s'il allait à pied, serait illustre ou par la gloire qu'il avait acquise dans la guerre, ou par celle qu'il dédaignait dans ce triomphe. (16) Voilà les propos dont les spectateurs accompagnèrent Néron jusqu'au Capitole.

 La somme versée au trésor public fut de trois millions de sesterces et quatre-vingt mille as. (17) À chacun de ses soldats Marcus Livius distribua cinquante-six as. Caius Claudius en promit autant à ses soldats absents, quand il serait revenu à son armée. (18) On remarqua que, ce jour-là, les soldats, dans leurs plaisanteries, lancèrent plus de chansons en l'honneur de Caius Claudius (Néron) que de leur propre consul; (19) les cavaliers mirent très haut par leurs louanges les légats Lucius Veturius et Quintus Caecilius, et exhortèrent la plèbe à les nommer consuls l'année suivante; (20) à ce premier suffrage des cavaliers s'ajouta l'autorité des consuls, qui, le lendemain, dans une réunion publique, racontèrent quelle aide courageuse et sûre ils avaient trouvée en particulier chez ces deux lieutenants.

[Début]

 

[28,10] Début d'une nouvelle année de guerre (206)

(1) Comme l'époque des comices approchait, et que le sénat avait décidé de les faire présider par un dictateur, le consul Caius Claudius nomma dictateur son collègue Marcus Livius, Livius nomma maître de la cavalerie Quintus Caecilius. (2) Le dictateur Marcus Livius proclama consuls Lucius Veturius et Quintus Caecilius, celui-là même qui était maître de la cavalerie. (3) Puis on élut les préteurs; on nomma Caius Servilius, Marcus Caecilius Metellus, Tiberius Claudius Asellus, Quintus Mamilius Turrinus, alors édile de la plèbe. (4) Les élections faites, le dictateur, ayant abdiqué sa magistrature et licencié son armée, partit pour sa "province" d'Étrurie en vertu d'un sénatus-consulte, afin de rechercher (5) quelles tribus des Étrusques ou des Ombriens avaient, à l'approche d'Hasdrubal, discuté le projet d'abandonner Rome pour Hasdrubal, (6) quelles tribus l'avaient aidé au moyen de renforts, de vivres, ou de secours quelconques.

Voilà ce qu'on fit cette année-là à l'intérieur et à l'extérieur. (7) Les jeux Romains furent entièrement recommencés trois fois par les édiles curules Cneius Servilius Caepio et Servius Cornelius Lentulus; les Jeux Plébéiens furent recommencés aussi entièrement, mais une seule fois, par les édiles de la plèbe Marcus Pomponius Matho et Quintus Mamilius Turrinus.

(8) La treizième année de la guerre punique, sous le consulat de Lucius Veturius Philo et de Quintus Caecilius Metellus, on leur donna à tous deux, pour mener la guerre contre Hannibal, le Bruttium comme province". (9) Puis les préteurs tirèrent au sort, Marcus Caecilius Metellus, la préture urbaine, Quintus Mamilius, la préture pérégrine, Caius Servilius, la Sicile, Tiberius Claudius, la Sardaigne. (10) Les armées furent ainsi réparties: à l'un des consuls, l'ancienne armée de Caius Claudius, consul l'année précédente, à l'autre, celle du propréteur Quintus Claudius - elles avaient l'une et l'autre deux légions; (11) en Étrurie, le propréteur Caius Terentius passerait ses deux légions de volontaires esclaves au proconsul Marcus Livius, à qui son commandement était prorogé pour un an; (12) on décréta aussi que Quintus Mamilius, ayant laissé sa juridiction à son collègue, tiendrait la Gaule avec l'armée qu'avait commandée le propréteur Lucius Porcius, et il reçut l'ordre de dévaster les terres des Gaulois qui étaient passés aux Carthaginois au moment de l'approche d'Hasdrubal. (13) À Caius Servilius, avec les deux légions de soldats de Cannes, on confia la défense de la Sicile, dans les conditions où l'avait tenue Caius Mamilius. (14) De Sardaigne, on ramena la vieille armée qu'avait commandée Aulus Hostilius; une nouvelle légion, que Tiberius Claudius dut y emmener, fut enrôlée par les consuls. (15) Afin de laisser à Quintus Claudius Tarente, à Caius Hostilius Tubulus Capoue comme "provinces", on les prorogea pour un an dans leur commandement. (16) Le proconsul Marcus Valerius, qui avait commandé la défense des côtes autour de la Sicile, reçut l'ordre, après avoir laissé trente navires à Caius Servilius, de revenir à Rome avec tout le reste de sa flotte.

[Début]

 

[28,11] Conjuration des prodiges. Les consuls encouragent le retour à la terre

(1) Dans une cité troublée par une période de guerre si critique, où l'on faisait remonter aux dieux les causes de tous les événements, favorables ou contraires, on annonçait beaucoup de prodiges: (2) à Terracine le temple de Jupiter, à Satricum celui de Mater Matuta avaient été frappés de la foudre; ce qui n'effrayait pas moins les Satricani, c'était que dans le temple de Jupiter, par la porte même, deux serpents s'étaient glissés; d'Antium, on annonça que des moissonneurs avaient vu des épis sanglants; (3) à Caerè étaient nés un porc à deux têtes et un agneau à la fois mâle et femelle. À Albe, rapportait-on encore, on avait vu deux soleils, et, pendant la nuit, à Frégelles, le jour avait soudain paru; (4) sur le territoire de Rome, un boeuf avait parlé, disait-on, et l'autel de Neptune avait ruisselé de sueur dans le cirque Flaminius; et les sanctuaires de Cérès, de Salus, de Quirinus, avaient été frappés de la foudre. (5) On invita les consuls à détourner l'effet de ces prodiges par des victimes adultes et à présider des prières publiques pendant une journée. C'est ce qu'on fit, conformément au sénatus-consulte. (6) Mais, plus que tous les prodiges soit annoncés de l'extérieur, soit vus à Rome, ce qui effraya les esprits, ce fut l'extinction du feu dans le temple de Vesta, et l'on frappa du fouet la Vestale de garde cette nuit-là, sur l'ordre du pontife Publius Licinius. (7) Quoiqu'il n'y eût là aucun avertissement des dieux, mais un accident venant d'une négligence humaine, on décida et d'en détourner l'effet par le sacrifice de victimes adultes, et de faire des prières publiques au temple de Vesta. (8) Sans attendre que les consuls partissent pour la guerre, le sénat les invita à s'inquiéter de ramener la plèbe aux champs: par la bienveillance des dieux, la guerre avait été écartée de Rome et du Latium, et l'on pouvait sans crainte habiter les champs: il était bien peu logique de s'inquiéter davantage de la culture de la Sicile que de celle de l'Italie. (9) Mais la chose était loin d'être facile à la population, les cultivateurs libres ayant été enlevés par la guerre, les esclaves manquant, le bétail ayant été pillé, les fermes ruinées ou brûlées; pourtant une grande partie des paysans, poussée par l'ascendant des consuls, retourna à ses champs. (10) Ceux qui avaient soulevé cette affaire, c'étaient les députés de Plaisance et de Crémone, qui se plaignaient de voir leur territoire en butte aux incursions et aux ravages des Gaulois, leurs voisins, une grande partie de leurs colons dispersée, leurs villes déjà dépeuplées, leurs campagnes dévastées et désertes. (11) On chargea le préteur Mamilius de protéger ces colonies contre l'ennemi; et les consuls, conformément à un sénatus-consulte, ordonnèrent aux citoyens de Crémone et de Plaisance, de retourner dans ces colonies avant un jour fixé. Puis, au début du printemps, eux-mêmes partirent pour la guerre.

(12) Le consul Quintus Caecilius reçut son armée de Caius Néron, Lucius Veturius du propréteur Quintus Claudius; Veturius compléta la sienne avec les recrues qu'il avait lui-même enrôlées. (13) Les consuls menèrent leurs armées sur le territoire de Consentia; et, l'ayant ravagé çà et là, alors que leur colonne était déjà alourdie par le butin, ils furent, dans un étroit ravin boisé, mis en désordre par les Bruttii et les lanceurs de javelots numides, (14) au point que non seulement le butin, mais les soldats se trouvèrent en péril. Ce fut là pourtant une alarme plus qu'un combat, et, le butin envoyé en avant, les légions, intactes elles aussi, débouchèrent dans une plaine cultivée. (15) De là les consuls partirent pour le pays des Lucani; cette nation tout entière revint, sans combat, sous les ordres du peuple romain.

[Début]

 

[28,12] Situation des armées carthaginoises à la fin de 207

(1) Contre Hannibal, on ne fit rien cette année-là. Car, de lui-même, il ne se présenta pas au combat, après le coup si récent porté à sa patrie et à sa famille, et les Romains ne troublèrent pas son repos: tant ils croyaient de force, quoique tout croulât autour de lui, en ce seul général. (2) Et peut-être a-t-il été plus étonnant dans les revers que dans le succès, (3) lui qui, faisant la guerre en territoire ennemi, pendant treize ans, si loin de chez lui, avec des fortunes diverses, à la tête non d'une armée nationale, mais d'un mélange trouble d'hommes de toutes nations qui n'avaient ni lois, ni coutumes, ni langue communes, différents par l'extérieur, différents par le vêtement, différents par les armes, différents par leurs rites, différents par leurs cérémonies, différents presque par leurs dieux, (4) les unit tous si bien par un véritable lien, qu'il ne se produisit aucune sédition ni entre eux, ni contre leur général, (5) quoiqu'on manquât souvent, en territoire ennemi, d'argent pour la solde et de vivres, faute de quoi, dans la première guerre punique, mainte abomination avait été commise entre généraux et soldats. (6) Et après la destruction de l'armée d'Hasdrubal et de son chef, sur qui reposait tout espoir de victoire, après qu'en se retirant dans un coin du Bruttium on eut abandonné tout le reste de l'Italie, qui ne trouverait étonnant qu'il n'y ait eu aucune émeute dans le camp d'Hannibal? (7) Car, à toutes les autres difficultés, il s'était ajouté qu'on espérait seulement, même pour nourrir cette armée, sur le territoire du Bruttium, qui, même cultivé tout entier, était petit pour nourrir une si grande armée; (8) or à ce moment une grande partie de sa jeunesse, enlevée à la culture des champs, était prise par la guerre; et il y avait encore la coutume - défaut inné chez la nation des Bruttii - de piller le pays en faisant campagne. (9) D'autre part, de Carthage on n'envoyait rien à Hannibal, les Carthaginois s'inquiétant de garder l'Espagne, comme si tout allait bien pour eux en Italie!

(10) En Espagne, la situation était en partie la même qu'en Italie, en partie bien différente: la même, en ce que les Carthaginois, vaincus au combat, ayant perdu leur général, avaient été refoulés sur les côtes extrêmes de l'Espagne, jusqu'à l'océan; (11) différente, en ce que l'Espagne, plus que l'Italie, plus même que toute autre partie du monde, était capable de préparer à nouveau une guerre, grâce aux caractères du pays comme des hommes. (12) C'est ainsi qu'en fait cette province, la première où aient pénétré les Romains, du moins sur le continent, a été la dernière de toutes, et seulement à notre époque, sous la conduite et les auspices de César Auguste, à être complètement domptée. (13) Alors Hasdrubal fils de Gisgon, le plus grand et le plus célèbre des généraux de cette guerre, après ceux de la famille Barca, revenant de Gadès dans l'espoir de reprendre la guerre, avec l'aide de Magon fils d'Amilcar, grâce à des levées faites dans l'Espagne ultérieure, arma environ cinquante mille fantassins et quatre mille cinq cents cavaliers. (14) Sur les troupes de cavalerie, les auteurs sont à peu près d'accord; pour les fantassins, certains écrivent que soixante-dix mille furent amenés à Silpia. (15) Là, sur un point dominant des plaines ouvertes, les deux généraux carthaginois campèrent, dans l'intention de ne pas refuser le combat.

[Début]

 

[28,13] Accrochages entre l'armée de Scipion et l'armée d'Hasdrubal fils de Gisgon

(1) Au bruit qu'une si grande armée avait été réunie, Scipion pensant qu'avec les légions romaines il serait inférieur à une telle multitude, si on ne lui opposait pas, ne fût-ce que pour l'apparence, des auxiliaires barbares, (2) mais qu'il ne fallait pas leur donner assez de force pour que leur trahison, qui avait été cause de la défaite de son père et de son oncle, fût d'un grand poids, (3) envoya en avant Silanus chez Culchas, qui régnait sur vingt-huit cités, pour recevoir de lui les fantassins et les cavaliers qu'il avait promis d'enrôler pendant l'hiver, (4) et, partant lui-même de Tarragone, en tirant, sur sa route, de petits contingents des alliés qui la bordaient, il arriva à Castulon. (5) Là Silanus lui amena des renforts, trois mille fantassins et cinq cents cavaliers. De là il s'avança jusqu'à Baecula avec toutes ses troupes de citoyens et d'alliés, soit, fantassins et cavaliers, quarante-cinq mille hommes.

(6) Comme ils établissaient leur camp, Magon et Masinissa les attaquèrent avec toute leur cavalerie, et ils auraient mis le désordre parmi les travailleurs, si, placés par Scipion derrière un tertre fort opportunément disposé pour cela, des cavaliers n'avaient chargé à l'improviste ces ennemis dispersés. (7) Les plus résolus, ceux qui, les premiers, s'étaient portés, tout près du retranchement, contre les travailleurs mêmes, furent chassés, le combat à peine engagé. Avec les autres, ceux qui s'étaient avancés sous leurs enseignes et en ordre de marche, la lutte fut plus longue et longtemps incertaine. (8) Mais comme d'abord, des avant-postes, des cohortes sans bagages, puis des soldats enlevés aux travaux et invités à s'armer venaient, toujours plus nombreux, et sans blessures, relever les Romains fatigués, et que déjà une forte colonne se précipitait du camp au combat, Carthaginois et Numides tournèrent franchement le dos. (9) D'abord ils se retiraient par escadrons, sans que la peur ou la hâte troublassent en rien leurs rangs; puis, quand les Romains tombèrent plus vivement sur les derniers d'entre eux, quand ils ne purent soutenir leurs charges, oubliant leurs rangs, ils se mirent à fuir çà et là, chacun par la voie la plus proche. (10) Et quoique ce combat eût sensiblement augmenté le courage des Romains, et diminué celui de leurs ennemis, pas un instant, pendant les quelques jours suivants, les escarmouches de cavalerie et de troupes légères ne s'interrompirent.

[Début]

 

[28,14] Bataille de Silpia

(1) Quand les adversaires eurent assez tâté leurs forces dans ces légers combats, Hasdrubal le premier amena ses troupes en ligne; puis les Romains s'avancèrent. (2) Mais chaque armée resta rangée devant ses retranchements; et sans qu'aucune eût commencé le combat, le jour tombant déjà, le Carthaginois d'abord, puis le Romain ramenèrent leurs troupes dans leur camp. (3) On fit de même pendant quelques jours. Le premier, toujours, le Carthaginois faisait sortir ses troupes du camp; le premier, à ses soldats fatigués de se tenir en ligne, il donnait le signal de se retirer; d'aucun côté on ne courait en avant, on ne lançait un javelot, on ne poussait un cri. (4) Le centre était formé ici de Romains, là de Carthaginois mêlés à des Africains, les ailes, d'alliés - c'étaient de part et d'autre des Espagnols -; en avant des ailes, devant la ligne carthaginoise, les éléphants, de loin, semblaient des bastions.

(5) Déjà, dans les deux camps, on disait qu'on combattrait dans l'ordre où l'on s'était rangé, que les centres, les Romains et les Carthaginois, que séparait le motif de la guerre, se courraient sus avec un courage et des armements également forts. (6) Quand Scipion remarqua qu'on en était convaincu, il changea tout, à dessein, pour le jour où il voulait livrer bataille. (7) Il donne, le soir, dans le camp, des instructions pour qu'avant le jour hommes et chevaux soient prêts, aient mangé, et que les cavaliers, en armes, tiennent leurs chevaux bridés et sellés. (8) Le jour n'était pas encore bien clair qu'il lançait toute sa cavalerie et ses troupes légères contre les postes puniques; aussitôt après il s'avança lui-même avec l'infanterie lourde des légions, (9) les soldats romains, contrairement à la ferme croyance des siens et des ennemis, renforçant les ailes, tandis que les alliés trouvaient place au centre. (10) Attiré par les cris des cavaliers, Hasdrubal, quand il bondit hors de sa tente, quand il voit cette attaque soudaine arrivant à ses retranchements, l'agitation des siens, avec, au loin, les enseignes brillantes des légions et la plaine couverte d'ennemis, lance aussitôt toute sa cavalerie contre les cavaliers romains; (11) lui-même, avec la colonne d'infanterie, sort du camp, et, en déployant ses lignes, il ne change rien à leur ordre habituel. (12) Depuis longtemps déjà, le combat de cavalerie était indécis; et il ne pouvait arriver à une décision par lui-même, parce que les cavaliers repoussés - et cela arrivait aux uns et aux autres tour à tour, ou à peu près - trouvaient dans leurs lignes d'infanterie un refuge sûr; (13) mais dès qu'il n'y eut plus que cinq cents pas entre les lignes ennemies, Scipion, faisant sonner la retraite et ouvrir les rangs, reçoit toute sa cavalerie et ses troupes légères au centre, puis, les divisant en deux groupes, les place en réserve derrière les ailes. (14) Ensuite, sitôt le moment venu de commencer le combat, il ordonne aux Espagnols (qui formaient le centre de son armée) de s'avancer posément; (15) et lui-même, de l'aile droite, - où il commandait - envoie dire à Silanus et à Marcius d'étendre leur aile vers la gauche comme ils le verraient s'étendre vers la droite, (16) et d'engager, avec leurs fantassins et leurs cavaliers disponibles, la lutte contre l'ennemi, sans attendre que les centres puissent en venir aux mains. (17) Les ailes s'étant ainsi étendues, leurs commandants conduisaient chacun, rapidement, contre l'ennemi, trois cohortes de fantassins et trois de cavaliers, augmentées de leurs vélites, les autres cohortes les suivant en formant une ligne oblique. (18) Il y avait un rentrant au milieu, là où les enseignes des Espagnols s'avançaient plus lentement; (19) et l'on se battait déjà aux ailes que la principale force de l'armée ennemie - les vétérans carthaginois et les Africains - n'était pas encore arrivée à portée de trait, et n'osait courir aux deux ailes aider les combattants, de peur d'ouvrir le centre aux ennemis qui venaient face à elle. (20) Ces ailes se trouvaient pressées par un combat sur deux fronts: les cavaliers et les troupes légères, les vélites, les ayant enveloppées, les chargeaient de flanc, et les cohortes les pressaient de face, pour les couper du reste de leurs lignes.

[Début]

 

[28,15] Défaite carthaginoise

(1) En aucun point du tout la lutte n'était égale, surtout parce que la foule des Baléares et des recrues espagnoles se trouvait opposée aux soldats romains et latins; (2) puis, le jour s'avançant déjà, les forces commençaient à manquer aux troupes d'Hasdrubal, surprises par une alerte matinale, et obligées, sans avoir eu le temps de se réconforter en mangeant, d'aller précipitamment en ligne. (3) C'était pour cela qu'à dessein Scipion avait traîné en longueur, afin que la bataille eût lieu tard: à partir de la septième heure seulement les enseignes d'infanterie se chargèrent aux ailes, (4) et le combat ne gagna le centre que sensiblement plus tard, si bien que la chaleur du soleil de midi et la fatigue de rester debout sous les armes, jointes à la faim et à la soif, éprouvèrent ces soldats avant qu'on n'en vint aux mains. Aussi restèrent ils appuyés sur leur bouclier. (5) Qui plus est les éléphants mêmes, affolés par la façon désordonnée de combattre qu'avaient les cavaliers, les vélites et les troupes légères, s'étaient jetés des ailes au centre. (6) Ainsi, las de corps et d'âmes, les Carthaginois reculèrent, tout en gardant leurs rangs, comme une ligne intacte cédant du terrain sur l'ordre de son chef. (7) Mais comme les vainqueurs n'en furent que plus ardents, quand ils sentirent que l'affaire penchait en leur faveur, à attaquer de tous côtés, et que leurs assauts n'étaient pas faciles à soutenir, (8) Hasdrubal eut beau retenir les fuyards, leur barrer la route, en leur criant sans cesse qu'ils avaient derrière eux des hauteurs et un refuge sûr, s'ils se repliaient en ordre; (9) la peur l'emportant sur l'honneur, comme tous ceux qui étaient les plus près de l'ennemi tombaient, ils tournèrent le dos sur-le-champ, et s'enfuirent tous en se dispersant. (10) Ils s'arrêtèrent d'abord au pied des collines et l'on commença à remettre en rangs les soldats, les Romains hésitant à faire gravir à leurs troupes la hauteur qui leur faisait face; puis quand les Carthaginois les virent y porter résolument leurs enseignes, se remettant à fuir, ils se pressent effrayés dans leur camp.

(11) Les Romains n'étaient pas loin de ses retranchements, et auraient pris ce camp - tant était grand alors leur élan - si à un soleil brûlant, tel qu'il brille entre des nuages lourds de pluie, n'avait succédé une chute d'eau si violente, que les vainqueurs eurent peine à se retirer dans leur camp, que certains même eurent scrupule à rien tenter de plus ce jour-là. (12) Les Carthaginois, épuisés par la fatigue et les blessures, se voient bien invités par la nuit et la pluie à un repos nécessaire; (13) mais, comme la crainte et le danger ne leur laissent pas le temps de rester inactifs - les ennemis ayant, pensent-ils, l'intention d'attaquer leur camp à l'aube - avec des pierres ramassées de tous côtés alentour, dans les vallons voisins, ils renforcent leur retranchement, pour se défendre par leurs fortifications, puisque leurs armes les protègent trop mal. (14) Mais la défection de leurs alliés leur fit juger la fuite plus sûre que la résistance. Elle commença par Attene, roitelet des Turdetani: il déserta avec une troupe nombreuse de ses concitoyens. (15) Ensuite deux places fortes, avec leurs garnisons, furent livrées par leurs commandants au Romain. (16) Craignant qu'une fois les esprits portés à la défection, le mal ne s'étendît plus loin, Hasdrubal, dans le silence de la nuit suivante, leva le camp.

[Début]

 

[28,16] Fin de la guerre d'Espagne (206)

(1) Dès qu'à l'aube les sentinelles des avant-postes annoncent à Scipion le départ de l'ennemi, lançant la cavalerie en avant, il ordonne de partir, (2) et l'on mena la marche si rapidement que, si les Romains avaient marché droit sur ses traces, ils l'auraient sans aucun doute atteint; mais on crut des guides disant qu'il y avait un chemin plus court pour gagner le Baetis, afin d'attaquer les ennemis quand ils passeraient ce fleuve. (3) Hasdrubal, se voyant fermer le passage, infléchit sa marche vers l'Océan, et désormais ses soldats allèrent dispersés comme des fuyards. Il mit ainsi un peu d'intervalle entre les Romains et lui; (4) pourtant les cavaliers et les troupes légères, en l'attaquant tantôt de dos, tantôt sur les flancs, le fatiguaient et le retardaient; (5) mais comme, fréquemment, des attaques soudaines l'arrêtaient, et que tantôt les deux cavaleries, tantôt, contre les vélites et les fantassins auxiliaires, des éléments carthaginois engageaient le combat, les légions arrivèrent aussi. (6) Dès lors, ce ne fut plus une bataille, mais une sorte de boucherie, jusqu'au moment où le général lui-même, donnant l'exemple de la fuite, s'échappa vers les hauteurs les plus proches, avec six mille hommes environ, à moitié armés. Tous les autres furent massacrés ou pris. (7) Précipitamment, les Carthaginois fortifièrent un camp improvisé sur la colline la plus élevée, et, l'ennemi s'étant vainement efforcé d'en gravir la pente raide, s'y défendirent sans difficulté. (8) Mais le blocus, sur un terrain nu et sans ressources, était à peine supportable quelques jours; aussi passait-on à l'ennemi; et à la fin le général lui-même, faisant venir ses vaisseaux - la mer n'était pas loin - quitta de nuit son armée pour se réfugier à Gadès.

(9) En apprenant la fuite du général ennemi, Scipion laisse dix mille fantassins, mille cavaliers à Silanus pour assiéger le camp; (10) lui-même part avec le reste de ses troupes et, en soixante-dix étapes, étudiant sur sa route la cause de chaque roitelet et de chaque cité, pour pouvoir accorder des récompenses suivant une juste connaissance des mérites, revient à Tarragone. (11) Après son départ, Masinissa, s'étant rencontré en secret avec Silanus, passa, pour avoir un peuple aussi disposé que lui-même à suivre ses nouveaux desseins, en Afrique, avec quelques-uns de ses compatriotes; (12) et l'on vit moins, à cette époque, la raison de ce changement soudain, qu'on ne vit plus tard, dans la fidélité de Masinissa envers les Romains, si constante jusqu'à l'extrême vieillesse, la preuve qu'alors même, il n'agit pas sans motif plausible. (13) Ensuite Magon, à qui Hasdrubal avait renvoyé les vaisseaux, gagna Gadès; le reste de l'armée, abandonnée par ses chefs, se dispersa soit en désertant, soit en s'enfuyant dans les cités les plus proches, sans former désormais aucune troupe remarquable par son nombre ni par ses forces.

(14) Voilà, en gros, comment, sous le commandement et les auspices de Publius Scipion, on chassa d'Espagne les Carthaginois, treize ans après le début de la guerre, quatre ans après que Publius Scipion eut reçu cette province et cette armée. (15) Peu de temps après, Silanus vint, en annonçant que la guerre était terminée, rejoindre Scipion à Tarragone.

[Début]

 

Suite: Chapitres XVII à XLVI


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