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Tite-Live: Encyclopédie livienne - Plan de l'Histoire romaine - Hypertexte louvaniste

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Tite-Live - Histoire Romaine 

Livre XXVII : Les événements des années 210 à 207 a.C.n.

1ère partie: [27,1 à 16] Bilan de l'année 210

2ème partie: [27,17 à 20] Reprise de la guerre d'Espagne (209)


 

Chapitres

 

[I] [II] [III] [IV] [V] [VI] [VII] [VIII] [IX] [X]

[XI] [XII] [XIII] [XIV] [XV] [XVI] [XVII] [XVIII] [XIX] [XX]

[XXI à LI]


Plan

  • 1ère partie: [27,1 à 16] Bilan de l'année 210
  • 2ème partie: [27,17 à 20] Reprise de la guerre d'Espagne (209)
  • 3ème partie: [27,21à 35] Situation à Rome, dans le sud de l'Italie et en Grèce (208)
  • 4ème partie: [27,36 à 51] Campagne d'Italie. Bataille du Métaure (207)

 

Crédits

Tite-Live. Histoire romaine. Tome sixième. Traduction nouvelle de Eugène Lasserre, Paris, 1949. La traduction de E. Lasserre a parfois été très légèrement modifiée. Quant aux intertitres, ils ont été repris à A. Flobert, Tite-Live. La Seconde Guerre Punique. II. Histoire romaine. Livres XXVI à XXX, Paris, 1994 (Garnier- Flammarion - GF 940).


1ère partie: [27,1 à 16] Bilan de l'année 210

 

[27,1] Reprise de la lutte dans le Samnium et en Apulie

(1) Telle était la situation en Espagne ; en Italie, le consul Marcellus, ayant repris Salapia par trahison, enleva de force aux Samnites Marmoreae et Melès. (2) Trois mille soldats environ, qu'Hannibal avait laissés là en garnison, furent écrasés; le butin - il y en eut assez - fut abandonné aux soldats. On trouva aussi là deux cent quarante mille boisseaux de blé et cent dix mille d'orge. (3) Mais ce succès fut loin de réjouir autant que n'affligea la défaite subie, peu de jours après, non loin d'Herdonea. (4) Le proconsul Cneius Fulvius avait là, dans l'espoir de reprendre Herdonea, (qui, après Cannes, avait abandonné les Romains), un camp qui n'était ni établi dans une position assez sûre, ni fortifié par des postes de garde. (5) La négligence naturelle du général romain, ses espoirs l'aggravaient, car il s'était aperçu que la fidélité des habitants d'Herdonea envers le Carthaginois vacillait, depuis qu'après la perte de Salapia, on avait appris qu'Hannibal avait abandonné ces lieux pour le Bruttium. (6.) Tous ces faits, rapportés d'Herdonea à Hannibal par des agents secrets, lui donnèrent à la fois le souci de garder une ville alliée et l'espoir d'attaquer un ennemi qui n'était pas sur ses gardes. Avec une armée sans bagages, de façon à devancer presque le bruit de sa venue, il se dirigea vers Herdonea par longues étapes, et, pour inspirer plus de terreur à l'ennemi, s'approcha de lui en ligne de bataille. (7) Le Romain, égal en audace, mais, en intelligence et en forces, inférieur, fit sortir ses troupes en hâte et livra bataille.

(8) La cinquième légion et l'escadron gauche engagèrent énergiquement le combat. Mais, après avoir averti ses cavaliers de faire, quand les lignes d'infanterie retiendraient, par une lutte pressante, les yeux et les esprits, un mouvement tournant, pour attaquer, les uns le camp, les autres, par derrière, les combattants ennemis, (9) Hannibal lui-même, se moquant de ce nom de Cneius Fulvius, semblable à celui du préteur Cneius Fulvius que, deux ans avant, il avait complètement battu au même endroit, affirmait que le présent combat aurait le même résultat. (10) Son espoir ne fut pas vain; alors en effet que, dans le corps à corps et la lutte d'infanterie, beaucoup de Romains étaient tombés, mais que pourtant leurs rangs et leurs enseignes tenaient bon, (11) le bruit d'une charge de cavalerie derrière eux et, en même temps, les clameurs ennemies venant de leur camp, firent se retourner d'abord la sixième légion, qui, placée en seconde ligne, fut, la première, mise en désordre par les Numides, puis la cinquième, et même les combattants des premiers rangs. (12) Les uns, prenant la fuite, se dispersèrent, les autres furent massacrés entre les deux corps carthaginois, et, parmi eux, Cneius Fulvius lui-même, avec onze tribuns militaires. (13) Des Romains et des alliés tués dans cette bataille, qui donc, même en milliers d'hommes, donnerait le nombre comme certain, quand je trouve ici qu'il y en eut treize mille, là sept mille au plus? Le vainqueur s'empara du camp et du butin. (14) Quant à Herdonea, Hannibal, en apprenant qu'elle serait passée aux Romains, et qu'elle ne lui resterait pas fidèle s'il s'éloignait, en envoya toute la population à Métaponte et à Thurii, et brûla la ville; il fit mettre à mort les chefs dont il apprit qu'ils avaient eu des entretiens secrets avec Fulvius. (15) Les Romains qui s'étaient échappés après un si grand désastre se réfugièrent à moitié armés, et par des chemins opposés, auprès du consul Marcellus, dans le Samnium.

[Début]

 

[27,2] Combat indécis en Lucanie

(1) Marcellus, nullement effrayé d'un si grand désastre, annonce par une lettre au sénat, à Rome, la perte de l'armée et de son général; (2) mais, ajoute-t-il, le même Marcellus qui, après la bataille de Cannes, a abattu Hannibal, fier de sa victoire, marche contre lui, et rendra courte la joie dont il exulte. (3) À Rome en réalité, on pleurait en se rappelant le passé, et l'on craignait pour l'avenir.

(4) Le consul, passé du Samnium en Lucanie, établit son camp près de Numistro, sous les yeux d'Hannibal, en plaine, alors que le Carthaginois occupait une colline. (5) À cela, il ajouta une autre marque de la confiance qui l'animait: le premier il sortit de son camp pour se ranger en bataille. Hannibal, le voyant, ne refusa pas la lutte. Toutefois, les deux généraux rangèrent leurs armées de façon à avoir, le Carthaginois, son aile droite sur la colline, les Romains, leur aile gauche appuyée à la ville. (6) Quoiqu'on eût prolongé la bataille de la troisième heure jusqu'à la nuit, et que les premières lignes fussent fatiguées de combattre - les Romains avaient engagé la première légion et l'escadron droit, Hannibal les Espagnols, les frondeurs baléares, puis les éléphants, quand la lutte avait déjà commencé - longtemps la bataille ne pencha en faveur de personne. (7) La troisième légion remplaça la première, l'escadron gauche l'escadron droit; chez les ennemis, de même, des combattants intacts relevèrent les combattants fatigués; (8) d'une lutte déjà languissante, une lutte nouvelle et furieuse sortit soudain comme une flamme, avec des troupes fraîches de corps et d'âme, mais la victoire restait incertaine quand la nuit sépara les combattants.

(9) Le lendemain, les Romains se tinrent en ligne du lever du soleil jusqu'à une heure avancée; aucun ennemi ne s'avançant contre eux, ils recueillirent à loisir les dépouilles, et, ayant entassé les cadavres des leurs, les brûlèrent. (10) La nuit suivante, Hannibal décampa en silence et partit pour l'Apulie. Quand le jour révéla la fuite des ennemis, Marcellus, laissant ses blessés à Numistro avec une faible garde, sous le commandement du tribun militaire Lucius Furius Purpurins, partit pour suivre les traces d'Hannibal. (11) Il l'atteignit à Vénouse. Là, pendant quelques jours, en se courant sus des avant- postes, cavaliers et fantassins mêlés, on engagea des combats plus désordonnés qu'importants, et presque toujours favorables aux Romains. (12) De là on mena les armées à travers l'Apulie sans aucune bataille mémorable. Hannibal partant de nuit, à la recherche d'un endroit propre à une embuscade, Marcellus ne le suivant que le jour une fois levé, et en faisant éclairer sa marche.

[Début]

 

[27,3] Réorganisation de la Campanie

(1) Cependant, à Capoue, tandis que Flaccus passait son temps à vendre les biens des grands, et à louer les terres confisquées par l'État (il les loua toutes contre une redevance en blé), pour qu'on ne manquât jamais de motif de sévir contre les Campaniens, un nouveau forfait, qui se développait en secret, fut mis au jour par une dénonciation. (2) Délogeant ses troupes de l'intérieur de Capoue, à la fois pour donner aux locataires de champs la jouissance de maisons dans la ville, et par crainte que son armée, comme celle d'Hannibal, ne fût amollie par les charmes trop grands de Capoue, Flaccus avait contraint ses soldats à se construire eux-mêmes, à la façon militaire, des habitations aux portes et aux remparts. (3) La plupart étaient construites en claies ou en planches, d'autres faites de roseaux, et toutes couvertes de chaume, matériaux choisis comme à dessein pour alimenter un incendie. (4) Les brûler toutes en une heure de nuit, c'est ce que complotèrent cent soixante-dix Campaniens, ayant pour chefs les frères Blossius. (5) L'affaire dénoncée par des esclaves des Blossii, les portes furent fermées soudain sur l'ordre du proconsul, et les soldats ayant, sur un signal, couru aux armes, on arrêta tous les gens compromis, et, après une enquête activement menée, ils furent condamnés et exécutés; aux indicateurs on donna la liberté et dix mille as à chacun.

(6) Les Nucerrini et les Acerrani se plaignant de ne savoir où habiter, Acerrae ayant été en partie brûlée, et Nuceria détruite, Fulvius les renvoya à Rome, au sénat. (7) Aux Acerrani on permit de reconstruire ce qui avait été incendié; quant aux Nucerrini, on les transporta à Atella, parce qu'ils avaient préféré cela, les Atellani ayant reçu l'ordre d'émigrer à Calatia.

(8) Parmi les affaires nombreuses et importantes qui, tantôt favorables, tantôt contraires, occupaient les esprits, on n'oublia pas non plus la citadelle de Tarente. (9) Marcus Ogulnius et Publius Aquilius, chargés d'aller en Étrurie acheter une quantité de blé destiné à la citadelle de Tarente, partirent, et mille soldats de l'armée urbaine, moitié romains, moitié alliés, furent envoyés en garnison au même endroit par le même convoi que le blé.

[Début]

 

[27,4] Activité diplomatique. Annonce des prodiges (début de l'année 209)

(1) Déjà l'été touchait à sa fin, et le moment des élections consulaires approchait. Mais une lettre de Marcellus déclarant contraire à l'intérêt de l'état de lâcher d'un pas Hannibal, qui reculait. et refusait le combat tandis qu'il le pressait lui-même énergiquement, avait inspiré le souci, (2) ou de rappeler de la guerre le consul Marcellus, au moment où il poussait plus que jamais les opérations, ou de ne pas avoir de consuls pour l'année suivante. (3) Le mieux parut être de rappeler plutôt - quoiqu'il fût hors d'Italie - le consul Valerius de Sicile. (4) Sur l'invitation du sénat, le préteur urbain Lucius Manlius lui envoya une lettre, à laquelle il joignit celle du consul Marcus Marcellus, pour lui apprendre la raison qu'avaient les sénateurs de le rappeler de sa province plutôt que son collègue.

(5) À peu près à ce moment, des ambassadeurs du roi Syphax vinrent à Rome, exposant quelles victoires il avait remportées sur les Carthaginois. (6) Leur roi, disaient-ils, ne détestait aucun peuple plus que le peuple carthaginois, n'en aimait aucun plus que le peuple romain; il avait auparavant envoyé des ambassadeurs, en Espagne, aux généraux romains Cneius et Publius Cornelius; maintenant, il avait voulu demander à sa source même, pour ainsi dire, l'amitié de Rome. (7) Non content de répondre à ces ambassadeurs avec bienveillance, le sénat envoya lui-même au roi, avec des présents, Lucius Genucius, Publius Poetelius et Publius Popilius comme ambassadeurs. (8) Les présents emportés étaient une toge et une tunique de pourpre, une chaise d'ivoire, et une coupe d'or de cinq livres. (9) Les ambassadeurs reçurent l'ordre de ne pas s'en tenir là et d'aller voir d'autres roitelets d'Afrique. Pour eux aussi ils emportèrent des présents, toges prétextes et coupes d'or pesant trois livres chacune. (10) À Alexandrie aussi, au roi Ptolémée et à la reine Cléopâtre, on envoya des ambassadeurs - Marcus Atilius et Manius Acilius - pour rappeler et renouveler l'amitié de Rome avec eux; ils leur portèrent des présents, au roi une toge et une tunique de pourpre, avec une chaise d'ivoire; à la reine, un manteau brodé et un vêtement de pourpre.

(11) Pendant la campagne d'été où eurent lieu ces événements, on annonça, des villes et des campagnes voisines, beaucoup de prodiges: à Tusculum, un agneau était né avec une mamelle qui donnait du lait; le faîte du temple de Jupiter fut frappé de la foudre et presque tout le toit enlevé; (12) à peu près en ces mêmes jours, à Anagnia, devant une porte, la terre, frappée de la foudre, brûla un jour et une nuit, sans que le feu y eût aucun aliment; et - au Carrefour d'Anagnia - dans le bois sacré de Diane, des oiseaux abandonnèrent leurs nids dans les arbres; (13) à Terracine, dans la mer, non loin du port, des serpents d'une grosseur extraordinaire avaient sauté, comme des poissons qui s'ébattent; (14) à Tarquinies, il était né un porc à visage humain, et dans le territoire de Capène, près du bois sacré de Feronia, quatre statues avaient, un jour et une nuit durant, sué du sang en quantité. (15) On conjura l'effet de ces prodiges, suivant un décret des pontifes, par le sacrifice de victimes adultes; et l'on prescrivit un jour de prières publiques à Rome, auprès de tous les lits de parade des dieux, et un second, dans le territoire de Capène, près du bois de Feronia.

[Début]

 

[27,5] Désignation d'un dictateur

(1) Le consul Marcus Valerius, rappelé par la lettre du sénat, ayant confié sa province et son armée au préteur Lucius Cincius, et envoyé Marcus Valerius Messalla, commandant de la flotte, avec une partie des vaisseaux, en Afrique, à la fois pour piller et pour observer ce que faisait et ce que préparait le peuple de Carthage, (2) partit lui-même pour Rome avec dix navires, et, y étant arrivé heureusement, réunit aussitôt le sénat. (3) Il y raconta ses exploits: alors que pendant près de soixante ans, en Sicile, on avait fait la guerre sur terre et sur mer en éprouvant souvent de graves défaites, il y avait, lui, mené à bien la mission dont on l'avait chargé: pas un Carthaginois, dit-il; qui restât en Sicile; (4)pas un des Siciliens, qui, par crainte, avaient quitté leur pays, qui n'y fût revenu; tous, ramenés dans leurs villes, dans leurs champs, labouraient, semaient; (5) naguère abandonnée, la terre était enfin cultivée à nouveau, portait des moissons pour ses propres cultivateurs et pour le peuple romain, dont elle était, pour le blé, la ressource la plus sûre, en paix comme en guerre. (6) Puis, Muttinès et d'autres personnes qui avaient, à l'occasion, rendu service au peuple romain ayant été introduits au sénat, on leur rendit à tous honneur, pour acquitter les promesses du consul. (7) Muttinès fut même nommé citoyen romain, à la suite d'une proposition présentée à la plèbe par les tribuns sur l'initiative du sénat.

(8) Tandis que cela se passait à Rome, Marcus Valerius (Messalla), ayant, avec cinquante vaisseaux, abordé avant le jour en Afrique, descendit à l'improviste sur le territoire d'Utique; (9) après l'avoir pillé sur une grande étendue et y avoir fait, entre autre butin de tout genre, beaucoup de prisonniers, il retourna à ses vaisseaux et les ramena en Sicile, revenant à Lilybée douze jours après en être parti. (10) Des prisonniers mis à la torture on obtint les renseignements suivants, qui furent tous écrits, point par point, au consul Laevinus, afin qu'il connût l'état des affaires en Afrique: (11) cinq mille Numides, avec Masinissa, fils de Gala, jeune homme très ardent, se trouvaient à Carthage, et, par toute l'Afrique, on enrôlait des mercenaires pour les envoyer en Espagne à Hasdrubal, (12) afin que celui-ci, avec la plus forte armée possible, étant, au premier jour, passé en Italie, s'y joignît à Hannibal; de la réalisation de ce plan dépendait la victoire, d'après les Carthaginois; (13) en outre, on préparait une flotte immense pour tenter de reprendre la Sicile, et les prisonniers pensaient qu'elle ferait bientôt la traversée.

(14) Ces renseignements, lus par le consul, émurent tellement le sénat, qu'il jugea que le consul ne devait pas attendre les élections, mais, après avoir nommé un dictateur chargé de les présider, rentrer aussitôt dans sa province. (15) Une discussion arrêtait toute décision: le consul disait qu'en Sicile il nommerait dictateur Marcus Valerius Messalla, alors commandant de la flotte; les sénateurs déclaraient que hors du territoire romain - limité à l'Italie - on ne pouvait nommer un dictateur. (16) Marcus Lucretius, tribun de la plèbe, consultant le sénat sur ce point, le sénat ordonna au consul, avant de quitter Rome, de demander au peuple qui lui plaisait comme dictateur, et de nommer dictateur l'homme élu par le peuple; si le consul refusait, le préteur poserait la question au peuple; et si lui-même refusait, les tribuns porteraient l'affaire devant la plèbe. (17) Le consul ayant déclaré qu'il ne demanderait pas au peuple une nomination qui rentrait dans ses pouvoirs, et s'étant opposé à une telle demande de la part du préteur, les tribuns de la plèbe posèrent la question à la plèbe, et la plèbe décida qu'on nommerait dictateur Quintus Fulvius, alors à Capoue. (18) Mais le jour où cette assemblée de la plèbe allait se tenir, le consul, secrètement, de nuit, partit pour la Sicile; et les sénateurs ainsi abandonnés furent d'avis d'écrire à Marcus Claudius, pour qu'il vînt au secours de l'état trahi par son collègue et proclamât dictateur l'élu du peuple. (19) Ainsi le consul Marcus Claudius proclama dictateur Quintus Fulvius, et, conformément au même plébiscite, le dictateur Quintus Fulvius proclama maître de la cavalerie le grand pontife Publius Licinius Crassus.

[Début]

 

[27,6] Élection des consuls et des préteurs (printemps 209)

(1) Arrivé à Rome, le dictateur envoya Caius Sempronius Blaesus, qu'il avait eu comme lieutenant devant Capoue, à l'armée d'Étrurie, pour remplacer le préteur Caius Calpurnius, qu'il rappela par une lettre afin de lui donner le commandement de Capoue et de sa propre armée. (2) Il fixa les élections au jour le plus proche possible; un conflit suscité entre les tribuns et le dictateur les empêcha d'aboutir. (3) Une centurie de mobilisables de la tribu Galeria, que le sort avait désignée pour voter la première, avait élu consuls Quintus Fulvius et Quintus Fabius, et les autres centuries, appelées à voter conformément à la loi, auraient penché dans le même sens, sans l'opposition des tribuns de la plèbe Caius et Lucius Arrenius, (4) affirmant à la fois que, maintenir un homme dans une magistrature n'était guère républicain, et qu'il était d'un bien plus funeste exemple encore d'élire l'homme même qui présidait les élections; (5) par conséquent, dirent-ils, si le dictateur acceptait les votes à son nom, ils interrompraient, eux, les opérations électorales; si l'on tenait compte de tout candidat autre que lui, ils ne retarderaient pas les élections. (6) Le dictateur défendait la cause des présents comices en s'appuyant sur une décision du sénat, sur un plébiscite, sur des exemples. (7) En effet, disait-il, sous le consulat de Cneius Servilius, - l'autre consul, Caius Flaminius, étant tombé à Trasimène - sur l'initiative du sénat, on avait proposé à la plèbe, et la plèbe avait décidé, que, tant qu'il y aurait la guerre en Italie, le peuple aurait le droit de renommer consuls, parmi les hommes qui l'avaient été, ceux qu'il voudrait et autant de fois qu'il le voudrait. (8) Et ils avaient deux exemples de la chose, l'un ancien, celui de Lucius Postumius Megellus, qui, interroi, avait vu les comices qu'il avait présidés lui-même le nommer consul avec Caius Junius Bubulcus; l'autre récent, celui de Quintus Fabius, qui, si ce n'avait été pour le bien public, n'aurait assurément jamais permis qu'on le maintînt au consulat.

(9) Après ces longues luttes oratoires, le dictateur et les tribuns convinrent enfin de s'en tenir à l'avis du sénat. (10) Les sénateurs jugèrent que, dans la situation actuelle de l'état, il était bon de donner à de vieux généraux, expérimentés, ayant l'habitude de la guerre, la gestion des affaires publiques; le retard apporté aux élections leur déplaisait donc. (11) Les tribuns cédèrent et les élections eurent lieu. On proclama consuls Quintus Fabius Maximus, consul pour la cinquième fois, et Quintus Fulvius Flaccus, consul pour la quatrième. (12) Puis on nomma préteurs Lucius Veturius Philo, Titus Quinctius Crispinus, Caius Hostilius Tubulus, Caius Aurunculeius. Les magistrats pour l'année suivante nommés, Quintus Fulvius abandonna la dictature.

(13) À la fin de cette campagne d'été, une flotte punique de quarante navires, commandée par Hamilcar, étant passée en Sardaigne ravagea d'abord le territoire d'Olbia, (14) puis, quand le préteur Publius Manlius Vulso se fut montré là avec son armée, contourna l'île jusqu'à la côte opposée, ravagea le territoire de Caralès, et retourna en Afrique avec toute sorte de butin.

(15) Quelques prêtres de Rome moururent cette année-là et furent remplacés: Caius Servilius fut nommé pontife à la place de Titus Otacilius Crassus; Tiberius Sempronius Longus, fils de Tiberius, fut nommé augure à la place de Titus Otacilius Crassus; (1) de même, comme décemvir aux sacrifices, on remplaça Tiberius Sempronius Longus, fils de Caius, par Tiberius Sempronius Longus, fils de Tiberius. Marcus Marcus, roi des sacrifices, mourut ainsi que Marcus Aemilius Papus, grand curion, mais on ne nomma pas cette année-là de prêtres à leur place.

(17) Cette année eut aussi des censeurs, Lucius Veturius Philo et Publius Licinius Crassus, grand pontife. Crassus Licinius n'avait été ni consul, ni prêteur avant d'être nommé censeur; il passa de l'édilité à la censure. (18) Mais ces censeurs ne révisèrent pas la liste du sénat, ne firent aucun acte public: la mort interrompit la censure de Lucius Veturius; alors Licinius se démit aussi de cette charge. (19) Les édiles curules Lucius Veturius et Publius Licinius Varus ne recommencèrent qu'un jour des Jeux Romains. Les édiles de la plèbe Quintus Catius et Lucius Porcius Licinus, avec l'argent des amendes, dédièrent des statues de bronze au temple de Cérès et célébrèrent des jeux avec un apparat magnifique, si l'on tient compte des ressources de l'époque.

[Début]

 

[27,7] Arrivée de Laelius à Rome. Entrée en fonction des consuls (ides de mars 29)

(1) À la fin de cette année, Caius Laelius, lieutenant de Scipion, trente-trois jours après être parti de Tarragone, arriva à Rome; et, en entrant dans la ville avec une colonne de prisonniers, il attira une grande affluence. (2) Le lendemain, introduit au sénat, il y raconta que Carthagène, la ville principale de l'Espagne, avait été prise en un seul jour, qu'on avait repris plusieurs villes qui avaient fait défection et gagné des villes nouvelles à l'alliance romaine. (3) Les prisonniers donnèrent des renseignements concordant à peu près avec ceux qui se trouvaient dans la lettre de Marcus Valerius Messalla. Ce qui émut le plus les sénateurs, ce fut le projet de passage d'Hasdrubal en Italie, où l'on résistait avec peine à Hannibal et à ses armes. (4) Présenté aussi dans une réunion du peuple, Laelius y exposa les mêmes faits. Le sénat, pour les succès de Scipion en Espagne, décréta un jour d'actions de grâces, et il invita Caius Laelius à repartir au premier jour pour l'Espagne, avec les vaisseaux qui l'avaient amené. (5) J'ai rapporté à cette année la prise de Carthagène sur la foi de beaucoup d'auteurs, sans ignorer que certains disent qu'elle eut lieu l'année suivante; (6) mais il m'a paru moins vraisemblable que Scipion ait passé en Espagne une année entière à ne rien faire.

(7) Quintus Fabius Maximus, consul pour la cinquième fois, et Quintus Fulvius Flaccus, consul pour la quatrième, le jour même (les ides de mars) où ils entrèrent en charge, reçurent tous deux par décret l'Italie comme "province"; on assignait pourtant des régions différentes à leur commandement: Fabius devait mener les opérations du côté de Tarente, Fulvius en Lucanie et dans le Bruttium; (8) Marcus Claudius se vit proroger pour un an son commandement; les préteurs ayant tiré au sort leurs "provinces", Caius Hostilius Tubulus obtint la préture urbaine, Lucius Veturius Philo la préture pérégrine avec la Gaule, Titus Quinctius Crispinus Capoue, Caius Aurunculeius, la Sardaigne.

 (9) Les armées furent ainsi réparties dans les provinces: à Fulvius, deux légions qu'avait en Sicile Marcus Valerius Laevinus; à Quintus Fabius, celles qu'avait commandées en Étrurie Caius Calpurnius; (10) l'armée urbaine ferait la relève en Étrurie; Caius Calpurnius commanderait comme avant cette province et son armée; avec Capoue, Titus Quinctius garderait l'armée qu'y avait eue Quintus Fulvius; (11) Caius Hostilius recevrait du propréteur Caius Laetorius sa province et l'armée qui était alors à Ariminum. À Marcus Marcellus, un décret donna les légions avec lesquelles il avait fait campagne comme consul. (12) À Marcus Valerius et à Lucius Cincius (à eux aussi, on prorogea leur commandement en Sicile), on donna l'armée de Cannes, à compléter avec les survivants des légions de Cneius Fulvius. (13) Après avoir fait rechercher ceux-ci, les consuls les envoyèrent en Sicile; ils durent en outre servir dans les mêmes conditions déshonorantes que les soldats de Cannes, et ceux qui, ayant appartenu à l'armée du préteur Cneius Fulvius, et irrité le sénat par une fuite semblable, avaient été également envoyés déjà en Sicile. (14) À Caius Aurunculeius, un décret donna en Sardaigne les légions avec lesquelles Publius Manlius Vulso avait tenu cette province. (15) À Publius Sulpicius, qui eut l'ordre de garder la Macédoine avec la légion et la flotte qu'il avait déjà, on prorogea pour une année son commandement. Trente quinquérèmes reçurent l'ordre de passer de Sicile à Tarente, aux ordres du consul Quintus Fabius; (16) avec le reste de la flotte, on décida que, pour aller piller l'Afrique, Marcus Valerius Laevinus partirait lui-même ou enverrait Lucius Cincius ou Marcus Valerius Messalla, à son choix. (17) En Espagne, rien de changé, si ce n'est que Scipion et Silanus eurent leur commandement prorogé non pour un an, mais jusqu'à leur rappel par le sénat. Ainsi furent répartis pour cette année les commandements des provinces et des armées.

[Début]

 

[27,8] Élection du grand curion. Pacification de la Sicile

(1) Au milieu de soucis plus importants, l'élection du Grand Curion (on remplaçait Marcus Aemilius) réveilla un vieux conflit, (2) les patriciens déclarant qu'on ne devait pas tenir compte de la candidature de Caius Mamilius Atellus, seul candidat plébéien, parce que personne d'autre qu'un patricien n'avait exercé avant lui ce sacerdoce. (3) Les tribuns, à qui l'on en appela, renvoyèrent l'affaire au sénat; le sénat laissa là-dessus tout pouvoir au peuple: ainsi, le premier des plébéiens, Caius Mamilius Atellus fut nommé Grand Curion. (4) Comme flamine de Jupiter, le Grand Pontife Publius Licinius obligea Caius Valerius Flaccus à se faire inaugurer malgré lui; au collège des décemvirs aux sacrifices on nomma à la place de Quintus Mucius Scaevola, décédé, Caius Laetorius. (5) La raison pour laquelle Caius Flaccus fut forcé de se faire inaugurer flamine, je l'aurais tue volontiers, si sa réputation, de mauvaise, n'était devenue bonne. Comme il passait sa jeunesse dans l'oisiveté et les excès, le grand pontife Publius Licinius l'avait pris comme flamine, alors que, pour ces mêmes défauts, il était odieux à Lucius Flaccus, son frère (germain), et à ses autres parents. (6) Dès que son esprit fut occupé du soin des sacrifices et des cérémonies, il dépouilla si bien ses anciennes moeurs, qu'il n'y eut personne, dans toute la jeunesse, qui fût considéré comme meilleur, ni plus estimé que lui par les premiers des sénateurs, par les siens et par les étrangers. (7) Porté, par cette estime générale, à avoir une juste confiance en lui, Caius Flaccus réclama un droit suspendu depuis de longues années à cause de l'indignité de ses prédécesseurs, celui d'entrer au sénat. (8) Il vint à la curie, et, le préteur Lucius Licinius l'en ayant fait sortir, il en appela aux tribuns de la plèbe. Le flamine réclamait un vieux droit de son sacerdoce: ce droit, disait-il, était donné, avec la toge prétexte et la chaise curule, à la dignité de flamine; (9) le préteur, lui, voulait que le droit se fondât non sur des précédents que le temps avait fait oublier, qu'on tirait des Annales, mais toujours sur l'usage le plus récent; jamais, de mémoire de leurs pères, de leurs grands-pères, aucun flamine de Jupiter n'avait fait usage du droit en question.

(10) Les tribuns, ayant jugé équitable que la déchéance de cet avantage, due à la négligence de certains flamines, ait nui à ces flamines eux-mêmes, mais non à leur sacerdoce, firent, sans opposition du préteur lui-même, et avec l'approbation générale des patriciens et de la plèbe, admettre le flamine au sénat; mais tous estimèrent que c'était par la sainteté de sa vie, plus que par les droits de son sacerdoce, que le flamine avait obtenu le maintien de cet honneur.

(11) Les consuls eurent soin, avant de partir pour leurs provinces, d'enrôler deux légions urbaines, pour renforcer autant qu'il en était besoin les autres armées en soldats. (12) L'ancienne armée urbaine, le consul Fulvius chargea le légat Caius Fulvius Flaccus, son frère, de la conduire en Étrurie, ainsi que de ramener les légions d'Étrurie à Rome. (13) De même le consul Fabius ordonna à son fils Quintus Maximus de conduire les restes rassemblés de l'armée Fulvienne - environ quatre mille trois cent quarante-quatre hommes - au proconsul Marcus Valerius, en Sicile, et de recevoir de lui deux légions et trente quinquérèmes. (14) Le rappel de l'île de ces deux légions ne diminua ni en force réelle, ni en apparence les troupes défendant cette province; (15) car alors que le proconsul avait déjà, outre deux vieilles légions exceptionnellement renforcées, un grand nombre de déserteurs numides, cavaliers et fantassins, il enrôla encore des Siciliens, soldats expérimentés, qui avaient servi dans l'armée d'Épicydès ou des Carthaginois. (16) En ajoutant une partie de ces auxiliaires étrangers à chacune de ses légions romaines, il fit qu'il parût toujours y avoir deux armées complètes en Sicile; (18) avec l'une il ordonna à Lucius Cincius de défendre la partie de l'île qui avait été le royaume d'Hiéron; (17) avec l'autre, il défendait lui-même le reste de l'île, divisé autrefois par la frontière des empires romain et punique; il avait partagé aussi sa flotte de soixante-dix vaisseaux, pour protéger avec eux les côtes sur tout leur contour. (18) Il parcourait lui-même, avec la cavalerie de Muttines, la province, pour voir les campagnes, remarquer les terres cultivées, les terres incultes, et par suite louer ou blâmer leurs propriétaires. (19) Grâce à ces soins, il poussa dans l'île tant de blé que le proconsul en envoya à Rome et en fit transporter à Catane, pour pouvoir, de là, en fournir à l'armée qui allait passer l'été près de Tarente.

[Début]

 

[27,9] Douze colonies refusent de fournir de nouveaux contingents

(1) Mais les soldats déportés en Sicile - c'étaient pour la plupart des hommes de droit latin et des alliés - faillirent être la cause d'un soulèvement important; tant il est vrai que de petites causes dépendent souvent les mobiles de grands événements (2 On se mit, en effet, à murmurer, dans les assemblées des Latins et des alliés, que depuis près de dix ans, on s'épuisait à fournir des hommes et à les payer; presque chaque année, on éprouvait de grandes pertes dans une bataille; (3) les uns tombaient au combat, les autres étaient enlevés par la maladie; on perdait plus sûrement un concitoyen s'il était enrôlé par les Romains que s'il était pris par les Carthaginois: car l'ennemi les renvoyait sans rançon dans leur patrie, les Romains les reléguaient hors d'Italie, comme des exilés plutôt que comme des soldats. (4) Depuis sept ans déjà vieillissaient ainsi les soldats de Cannes, qui mourraient avant que l'ennemi - dont la situation était en effet plus florissante que jamais - quittât l'Italie. (5) Si les vieux soldats ne rentraient pas dans leur patrie, si on en levait de nouveaux, bientôt il n'y resterait plus personne. Aussi (disaient Latins et alliés) ce que bientôt la situation même refuserait, il fallait, sans attendre que leurs pays fussent des déserts sans ressources, le refuser au peuple romain. (6) Si les Romains voyaient leurs alliés d'accord sur ce point, sans doute ils penseraient à conclure la paix avec les Carthaginois; autrement, jamais, du vivant d'Hannibal, on ne verrait l'Italie sans guerre.

(7) Voilà ce qu'on disait dans ces assemblées. Le peuple romain avait alors trente colonies; parmi elles, douze - alors que toutes avaient des ambassades à Rome - déclarèrent aux consuls qu'elles n'avaient pas de quoi fournir des hommes et de l'argent. Ce furent Ardea, Nepete, Sutrium, Albe, Carseoli, Sora, Suessa, Cercei, Setia, Calès, Narnia, Interamna. (8) Sous le coup de cet événement extraordinaire, les consuls, voulant détourner les alliés d'un dessein si abominable, et croyant obtenir davantage par le blâme et les reproches que par de douces paroles, déclarèrent aux alliés qu'ils avaient osé dire aux consuls des choses (9) que les consuls, eux, ne pouvaient se résoudre à répéter en plein sénat: ce n'était pas là, en effet, refuser de supporter les charges militaires, mais abandonner ouvertement le peuple romain. (10) Ils devaient donc rentrer en hâte dans leurs colonies, et, comme d'une question encore entière, - ayant encore parlé seulement de ce crime, plutôt qu'osé le commettre - en délibérer avec leurs concitoyens; leur rappeler qu'ils n'étaient pas Campaniens, ni Tarentins, mais Romains; (11) que c'était de Rome qu'ils sortaient, de Rome qu'ils avaient été envoyés dans ces colonies, dans un territoire pris par une guerre, pour étendre le tronc romain; ce que les enfants doivent à leurs parents, ils le devaient aux Romains, s'ils avaient quelque piété, quelque souvenir de leur ancienne patrie. (12) Ils devaient donc délibérer à nouveau; car pour le moment, sans aucun doute, leur projet inconsidéré tendait à trahir l'empire romain, à livrer la victoire à Hannibal.

(13) Quoique les deux consuls tour à tour eussent longuement répété de tels propos, les ambassadeurs n'en furent nullement émus; ils dirent qu'ils n'avaient rien à aller annoncer chez eux, et leur sénat rien de nouveau à discuter, en un pays où il n'y avait ni soldats à recruter, ni argent à donner pour leur solde. (14) Les consuls, voyant leur entêtement, rapportèrent le fait au sénat, où il inspira une telle peur, que beaucoup dirent que c'en était fait de l'empire; les autres colonies feraient de même, de même les alliés; tous s'étaient mis d'accord pour livrer Rome à Hannibal.

[Début]

 

[27,10] Les colonies fidèles

(1) Les consuls rassuraient, consolaient le sénat, lui disaient que les autres colonies resteraient fidèles à leur devoir comme avant, que celles mêmes qui y avaient manqué, si on envoyait à la ronde des députés les réprimander, non les supplier, garderaient le respect du pouvoir de Rome. (2) Le sénat leur ayant permis de parler et d'agir comme ils le jugeraient utile à l'intérêt public, eux, après avoir sondé les sentiments des autres colonies, en citèrent les délégués et leur demandèrent dans quelle mesure ils avaient des soldats prêts, conformément à l'édit (3) Au nom de dix-huit colonies, Marcus Sextilius, de Fregellae, répondit qu'elles tenaient prêt le nombre de soldats prévu par l'édit; que, s'il en fallait davantage, elles en donneraient davantage; (4) et que tout ce qu'ordonnerait ou désirerait encore le peuple romain, elles s'empresseraient de le faire; pour cela leurs ressources abondaient, leur bonne volonté surabondait.

(5) Les consuls, après leur avoir dit qu'eu égard à leur mérite, c'était trop peu d'être loués par leur seule voix, sans que le sénat entier les remerciât dans la curie, les invitèrent à les suivre au sénat. (6) Le sénat, après leur avoir fait lire un décret aussi honorifique que possible, charge les consuls de les présenter aussi au peuple, et de rappeler, entre autres services nombreux et éclatants rendus par ces colonies à eux-mêmes et à leurs ancêtres, celui qu'elles venaient de rendre à l'état. (7) Maintenant même, après tant de siècles, ne les passons pas sous silence, ne les frustrons pas de la gloire qui leur appartient: ce furent les colons de Signia, de Norba et Saticula, de Fregellae, Luceria, Vénouse, Brindisi, Hadria, Firmum, Ariminum, (8) et, du côté de l'autre mer, de Pontia, Paestum et Cosa; et, à l'intérieur, ceux de Bénévent, Aesernia, Spolète, Plaisance et Crémone. (9) Voilà les colonies qui soutinrent alors l'empire du peuple romain, et que l'on remercia au sénat et devant le peuple; (10) pour les douze autres colonies, qui avaient repoussé les ordres de Rome, les sénateurs défendirent aux consuls d'en faire mention, de congédier leurs délégués, de les retenir, de les convoquer. Ce blâme tacite parut le plus conforme à la dignité du peuple romain.

(11) Tandis que les consuls faisaient tous les autres préparatifs nécessaires à la guerre, on décida de tirer l'or, provenant de l'impôt du vingtième, du trésor sacré où on le conservait pour les dangers extrêmes. On en retira environ quatre mille livres. (12) On en donna cinq cents à chacun des consuls, des proconsuls Marcus Marcellus et Publius Sulpicius, et au préteur Lucius Veturius, qui avait tiré au sort la province de Gaule; (13) on ajouta pour le consul Fabius un supplément de cent livres d'or, destiné à être porté à la citadelle de Tarente; on employa le reste de cet or à adjuger au comptant la fourniture des vêtements pour l'armée qui faisait la guerre en Espagne, d'une façon glorieuse pour elle-même et pour son général.

[Début]

 

[27,11] Conjuration des prodiges. Activité des nouveaux censeurs

(1) - On décide aussi, sans attendre que les consuls aient quitté Rome, de détourner par des sacrifices l'effet de prodiges. (2) Sur le mont Albain, la foudre avait frappé la statue de Jupiter, un arbre près du temple, et le déversoir du lac; à Capoue, le rempart et le temple de la Fortune; à Sinuessa, le rempart et une porte. (3) Voilà ce qu'avait frappé la foudre. En outre, certains rapportaient que l'eau du lac d'Albe avait roulé du sang, et qu'à Rome, dans la ville, dans le sanctuaire de Fors Fortuna, une statuette de la couronne de la déesse était tombée, d'elle-même, de sa tête sans sa main; (4) à Privernum, on savait qu'un boeuf avait parlé, et qu'un vautour, bien que le forum fût plein de monde, avait fondu sur une boutique; à Sinuessa, qu'il était né un enfant de sexe incertain, garçon ou fille, (5) androgyne, comme dit le peuple, usant, ainsi qu'il le fait souvent, de la langue grecque, plus apte que le latin à former des mots composés, puis, qu'il avait plu du lait, et qu'un garçon était né avec une tête d'éléphant. (6) On détourna l'effet de ces prodiges par le sacrifice de victimes adultes, on fixa un jour pour aller à la ronde prier et supplier les dieux à tous leurs lits de parade; et l'on décréta que le préteur Caius Hostilius vouerait et célébrerait des jeux en l'honneur d'Apollon comme ils avaient été voués et célébrés ces dernières années.

(7) En ces jours, le consul Quintus Fulvius présida aussi à l'élection de censeurs. On nomma censeurs deux hommes qui n'avaient pas encore été consuls, Marcus Cornelius Cethegus, et Publius Sempronius Tuditanus.( 8) Pour faire affermer par ces censeurs la jouissance des terres de Capoue, une proposition est, sur l'initiative du sénat, présentée à la plèbe, et ce plébiscite est voté. (9) Quant à la révision des listes du sénat, un conflit entre les censeurs, touchant le choix du "prince du sénat", la retarda. Cette révision appartenait à Sempronius; (10) mais Cornelius affirmait qu'il fallait suivre la coutume des ancêtres, et choisir, parmi les sénateurs vivants, le plus ancien censeur comme "prince du sénat": c'était Titus Manlius Torquatus. (11) Sempronius, lui, disait que l'homme à qui les dieux avaient accordé par le sort la révision du sénat, avait reçu des mêmes dieux le droit de choisir librement; qu'il en ferait donc à sa tête, et choisirait Quintus Fabius Maximus, qui était alors, il le prouverait, le premier citoyen de Rome, même au jugement d'Hannibal. (12) Après une longue discussion, son collègue ayant cédé, Sempronius nomma "prince du sénat" le consul Quintus Fabius Maximus. Puis on dressa la liste du nouveau sénat, où l'on omit huit membres, parmi lesquels Marcus Caecilius Metellus, mal noté pour avoir proposé d'abandonner l'Italie après la défaite de Cannes. (13) Pour les flétrissures à infliger aux chevaliers, on tint compte également de la même faute; mais il y en avait très peu de touchés par ce déshonneur. (14) À tous ceux, en revanche - ils étaient nombreux - qui, comme cavaliers des légions de Cannes, se trouvaient en Sicile, on enleva leur cheval. On ajouta encore, à cette mesure rigoureuse, une prolongation de leur service; les campagnes qu'ils avaient faites avec un cheval de l'état ne compteraient pas pour eux, et ils devraient faire dix campagnes avec un cheval leur appartenant. (15) Puis les censeurs recherchèrent les jeunes gens, très nombreux, qui devaient servir comme chevaliers; et tous ceux qui, au début de la guerre avaient dix-sept ans et n'étaient pas venus servir, ils les soumirent à la capitation. (16) Ils adjugèrent ensuite la reconstruction des bâtiments incendiés autour du forum: sept boutiques, un marché et l'atrium royal.

[Début]

 

[27,12] Déroute de l'armée romaine en Capanie (début de l'étét 209)

(1) Ayant accompli tout ce qu'il y avait à faire à Rome, les consuls partirent en campagne. (2) Le premier, Fulvius partit pour Capoue; quelques jours plus tard, Fabius le suivit, après avoir adjuré de vive voix son collègue, et, par une lettre, Marcellus, de mener le plus énergiquement possible la guerre contre Hannibal pour le retenir, tandis que lui-même attaquerait Tarente: (3) cette ville une fois enlevée à un ennemi déjà repoussé de tous côtés, n'ayant aucun point où s'arrêter, rien de sûr derrière lui, il ne lui resterait pas une raison de s'attarder en Italie. (4) Fabius envoie aussi un message à Regium, au commandant des troupes placées là contre les Bruttii par le consul Laevinus, (5) huit mille hommes, la plupart, comme on l'a dit, d'Agathyrna, amenés de Sicile, et habitués à vivre de rapine; on y avait ajouté des gens de l'endroit, des déserteurs Bruttii, qui les valaient par l'audace et la nécessité de tout oser. (6) Ce sont ces hommes que Fabius ordonna de conduire d'abord au pillage du Bruttium, puis à l'attaque de Caulonea. Ils exécutèrent ces ordres en gens non seulement actifs, mais avides, et, les paysans une fois pillés et mis en fuite, se mirent à attaquer la ville avec la plus grande énergie.

(7) Quant à Marcellus, poussé à la fois par la lettre du consul, et parce qu'il s'était mis en tête qu'aucun général romain ne pouvait égaler Hannibal aussi bien que lui, dès qu'il y eut assez de fourrage dans les champs, il quitta ses quartiers d'hiver et marcha vers Canusium, à la rencontre d'Hannibal. (8) Le Carthaginois cherchait à provoquer la défection des Canusini, mais en apprenant l'approche de Marcellus, il décampa: le pays était découvert, sans abri pour les embuscades; aussi le quitta-t-il pour une région accidentée et boisée. (9) Marcellus marchait sur ses traces, campait devant son camp, et, sitôt ses retranchements achevés, faisait sortir ses légions en bataille. Hannibal, engageant çà et là des escarmouches avec de petits groupes de cavaliers et de lanceurs de javelots, ne jugeait pas nécessaire de risquer une bataille générale; il fut amené cependant à cette lutte qu'il évitait.

(10) Alors qu'il était parti le premier, une nuit, Marcellus le rejoint dans une plaine découverte; et tandis qu'il essaie d'établir un camp, Marcellus, en attaquant de tous côtés ses travailleurs, l'empêche de se fortifier. Ainsi l'on engagea une bataille rangée avec toutes les forces; et, la nuit approchant, on se sépara sur un résultat indécis. On fortifia rapidement, avant la nuit, deux camps très peu éloignés l'un de l'autre. (11) Le lendemain, à l'aube, Marcellus fit sortir ses troupes en bataille, et Hannibal ne refusa pas le combat, après avoir longuement exhorté ses soldats à abattre, en se rappelant Trasimène et Cannes, la fierté de l'ennemi: (12) celui-ci, dit-il, les presse, les menace, ne les laisse tranquilles ni pour marcher, ni pour établir leur camp, ni pour respirer, ni pour se reconnaître; chaque jour il leur faut voir, avec le soleil qui se lève, l'armée romaine en bataille; (13) que l'ennemi sorte d'un seul combat. après avoir subi des pertes, il prendra plus de repos et fera campagne plus calmement., Animés par ces exhortations en même temps qu'exaspérés par l'insolence d'un ennemi qui, chaque jour, les presse et les harcèle, les Carthaginois vont à la bataille avec ardeur. (14) On se battit plus de deux heures; alors, chez les Romains, l'aile droite des alliés et l'élite commencèrent à reculer. Marcellus, le voyant, amène la dix-huitième légion en première ligne. (15) Les uns reculant en désordre, les autres les relevant mollement, tout le front se trouble, puis est mis complètement en déroute; et, la peur l'emportant sur la honte, on tourne le dos. (16) Il tomba dans la bataille et la fuite environ deux mille sept cents citoyens et alliés; parmi eux quatre centurions romains, et deux tribuns militaires, Marcus Licinius et Marcus Helvius. (17) On perdit quatre drapeaux de l'aile alliée qui fuit la première, deux de la légion qui avait remplacé les alliés reculant.

[Début]

 

[27,13] Violents reproches de Marcellus à son armée

(1) De retour au camp, Marcellus parla à ses soldats en termes si durs, si mordants, que la lutte malheureuse soutenue toute la journée fut moins affreuse pour eux que ce discours de leur général irrité. (2) "Je loue, dit-il, et je remercie, comme il convient en une telle affaire, les Immortels, de ce que l'ennemi vainqueur, tandis que vous vous précipitiez avec tant de peur vers vos retranchements et vos portes, n'a pas attaqué notre camp: vous auriez, sans doute, abandonné ce camp avec la même terreur que vous avez quitté le combat. (3) Quelle peur, quelle terreur, quel oubli de ce que vous êtes, de ce que sont vos adversaires, se sont emparés de vos âmes? Certes, ces ennemis sont toujours ceux que vous avez passé la dernière campagne à vaincre, et à poursuivre après les avoir vaincus, (4) que, tandis qu'ils fuyaient nuit et jour, vous avez serrés de près tous ces jours-ci, que vous avez fatigués par des escarmouches, que, hier encore, vous ne laissiez ni marcher ni établir un camp. (5) Je passe sur ces faits dont vous pouvez vous faire gloire; c'est une chose dont, déjà, vous devez rougir et vous repentir que je vais rapporter: hier - n'est-il pas vrai - vous avez rompu un combat encore indécis. (6) Qu'ont donc apporté de nouveau cette nuit, ce jour? Ont-ils diminué vos troupes, ou augmenté celles de l'ennemi? Il ne me semble pas, vraiment, parler à mon armée, ni à des soldats romains; seuls, les corps et les armes sont les mêmes. (7) Si vous aviez eu le même courage, auriez-vous montré le dos à l'ennemi? Aurait-il enlevé son drapeau à un manipule, à une cohorte? Jusqu'ici, il se vantait d'avoir massacré des légions romaines; aujourd'hui, pour la première fois, il a mis une armée romaine en fuite, et il vous doit cette gloire."

(8) Un cri s'éleva alors, demandant pardon pour cette journée; le général n'avait ensuite qu'à éprouver, où il voudrait, le courage de ses soldats. "Je l'éprouverai certes, soldats, dit Marcellus; demain je vous mettrai en ligne, pour que ce soit en vainqueurs, plutôt qu'en vaincus, que vous obteniez le pardon que vous demandez." (9) Aux cohortes qui avaient perdu leur drapeau, il ordonna de distribuer de l'orge; aux centurions des manipules qui les avaient perdus, de rester à l'écart, l'épée nue, sans ceinturon; et il commanda à tous, cavaliers et fantassins, d'être le lendemain sous les armes.

(10) Ainsi fut levée cette assemblée, tous avouant que ce blâme était juste et mérité, et que, ce jour-là, il n'y avait eu dans l'armée romaine qu'un homme, le général lui-même: il fallait le satisfaire en mourant ou en remportant une victoire exceptionnelle. Le lendemain, ils étaient tous là équipés et armés, conformément aux ordres. (11) Le général les félicite et prévient que ceux qui ont donné l'exemple de la fuite, et les cohortes qui ont perdu leur drapeau, il les mettra en première ligne; (12) dès maintenant, il leur déclare qu'ils doivent tous se battre, vaincre, faire effort, isolément et en corps, afin que leur fuite d'hier ne soit pas annoncée à Rome avant leur victoire d'aujourd'hui. (13) Puis il leur ordonna de se réconforter en mangeant, pour que, si la lutte était longue, leurs forces y suffisent. Après avoir tout dit, tout fait pour exciter le courage des soldats, il les mène en ligne.

[Début]

 

[27,14] Revanche de l'armée romaine

(1) À cette nouvelle, Hannibal s'écria: "Certes, on a affaire ici à un ennemi qui ne peut supporter ni la bonne, ni la mauvaise fortune! Vainqueur, il presse ardemment les vaincus; vaincu, il reprend la lutte contre ses vainqueurs!" (2) Puis il fit sonner le signal et sortir ses troupes du camp. On combattit de part et d'autre avec plus de vigueur, sensiblement, que le jour précédent, les Carthaginois s'efforçant de garder la gloire de la veille, les Romains d'en effacer la honte. (3) À gauche - du côté des Romains - l'aile alliée et les cohortes qui avaient perdu leur drapeau combattaient en première ligne, ainsi que la vingtième légion, celle-ci du côté droit; (4) les lieutenants Lucius Cornelius Lentulus et Caius Claudius Néron commandaient les ailes; Marcellus encourageait, surveillait le centre, et le renforçait de sa présence. (5) Du côté d'Hannibal, les Espagnols tenaient la première ligne; c'était la force principale de son armée. (6) La lutte restant longtemps douteuse, Hannibal ordonna d'amener sur le front les éléphants, pour voir si ce fait jetterait chez l'ennemi du désordre et de la crainte. (7) D'abord ils troublèrent les enseignes et les rangs, et, soit en écrasant, soit en dispersant par la terreur les ennemis qui les environnaient, ils firent le vide dans une partie de leurs lignes; (8) la fuite se serait répandue plus loin, si le tribun militaire Caius Decimius Flavus, saisissant le drapeau du premier manipule des hastati, n'avait ordonné aux hommes rangés sous ce drapeau de le suivre. Il les mena là où les animaux groupés causaient le plus de trouble, et fit lancer contre eux les javelots. (9) Tous se plantèrent dans le corps des éléphants, le tir n'étant pas difficile, de près, contre de telles masses, alors surtout qu'ils se serraient les uns contre les autres. Si tous ne furent pas blessés, ceux dans le dos desquels des javelots restaient plantés prirent la fuite; et, cette espèce de bêtes étant capricieuse, ils entraînèrent aussi ceux qui n'étaient pas touchés. (10) Alors ce n'est plus un seul manipule, mais, individuellement, chaque soldat, pourvu qu'il puisse s'approcher de la troupe des éléphants en fuite, qui leur lance des javelots. Ces animaux ne s'en précipitent que davantage contre les leurs, et en font un massacre d'autant supérieur à celui qu'ils avaient fait des Romains, que les impulsions de la peur dominent, chez une bête affolée, les ordres du maître assis sur son cou. (11) Contre les lignes carthaginoises bouleversées par le passage des éléphants les fantassins romains s'avancent, et, sans grand combat, les dispersent, les effraient et leur font tourner le dos. (12) Sur ces fuyards, Marcellus lance sa cavalerie, et on ne cesse de les poursuivre avant de les avoir refoulés, épouvantés, dans leur camp. (13) En effet, outre les autres motifs propres à inspirer la terreur et l'affolement, deux éléphants s'étaient abattus en travers de la porte même, forçant les soldats à franchir fossé et palissade pour se précipiter dans leur camp; là se fit le plus grand massacre de Carthaginois: on leur tua environ huit mille hommes, et cinq éléphants. (14) Chez les Romains non plus, la victoire ne fut pas sans coûter du sang: il y eut environ dix-sept cents tués dans les deux légions, et plus de treize cents chez les alliés; les blessés furent très nombreux, chez les citoyens et les alliés. (15) La nuit suivante, Hannibal décampa; Marcellus, qui voulait le poursuivre, en fut empêché par la multitude de ses blessés.

[Début]

 

[27,15] Opérations dans le Bruttium et autour de Tarente

(1) Des éclaireurs, envoyés pour suivre la colonne carthaginoise, rapportèrent le lendemain qu'Hannibal gagnait le Bruttium.

(2) À peu prés en ces mêmes jours, au consul Quintus Fulvius se rendirent les Hirpini, les Lucani et les Vulcientes, en livrant les troupes d'Hannibal qu'ils avaient dans leurs villes; le consul les reçut avec clémence, et les blâma en paroles seulement pour leur égarement passé. (3) On fit espérer aux Bruttii un pardon semblable, quand, de leur part, deux frères, Vibius et Paccius - les deux hommes les plus nobles, de beaucoup, de cette nation - furent venus demander, pour se rendre, les mêmes conditions que les Lucani. (4) Le consul Fabius enleva de force, chez les Sallentini, la place de Manduria. On prit là environ trois mille hommes et une assez grande quantité d'autre butin.

De là, partant pour Tarente, il établit son camp au goulet même du port. (5) Les bateaux qu'avait eus Livius pour protéger les convois, il les charge les uns de machines et de matériel propres à attaquer des murailles, les autres de machines de jet, de pierres et de projectiles de toute sorte (les bateaux de charge aussi, et non pas seulement ceux que peuvent pousser des rames) (6) afin qu'une partie des matelots amène au pied des murs machines et échelles, et que l'autre, de loin, des navires, blesse les défenseurs des remparts. (7) Ces navires furent équipés et préparés pour venir attaquer la ville du côté de la pleine mer; et la mer était libre, la flotte punique, Philippe préparant l'attaque des Étoliens, étant passée à Corcyre. (8) Cependant, dans le Bruttium, les assaillants de Caulonia, à l'approche d'Hannibal, craignirent d'être surpris et se retirèrent sur une hauteur, sûre contre une attaque immédiate, mais, pour tout le reste, sans ressources.

(9) Comme Fabius assiégeait Tarente, un motif qui semble frivole quand on le raconte l'aida à faire une conquête importante. Les Tarentins avaient reçu d'Hannibal une garnison de Bruttii; le chef de cette garnison mourait d'amour pour une fille, dont le frère était dans l'armée du consul Fabius. (10) Cet homme, renseigné par une lettre de sa soeur sur sa nouvelle liaison avec cet étranger riche, et si honoré parmi ses compatriotes, conçut l'espoir de pousser, par sa soeur, l'amant de celle-ci à ce qu'il voudrait, et fit part au consul de cet espoir. (11) Son idée ne paraissant pas sans fondement, on lui dit de passer, comme déserteur, dans Tarente; il s'y gagna, par sa sueur, les bonnes grâces du commandant, et, en sondant d'abord secrètement ses dispositions, puis, après avoir bien reconnu sa légèreté, grâce aux caresses de la femme, il l'amena à livrer aux Romains le secteur dont la garde lui était confiée. (12) Aussitôt d'accord avec le chef des Bruttii sur la façon de mener l'affaire et sur l'heure, le soldat, s'échappant, de nuit, de Tarente en passant entre les postes, rapporte au consul ce qu'il a fait et ce qu'il a convenu de faire.

(13) Fabius, à la première veille, ayant donné le signal aux Romains de la citadelle et à ceux qui avaient la garde du port, fait lui-même le tour de ce port et s'installe, sans être vu, du côté de la ville tourné vers l'orient. (14) Alors les trompettes sonnent à la fois du côté de la citadelle, du port, des vaisseaux venus de la haute mer; des cris, accompagnés d'un grand tumulte, sont poussés, à dessein, de tous les côtés où il y a pour les Tarentins le moins de danger; (15) cependant le consul garde ses soldats silencieux. Aussi Démocratès, ancien commandant de la flotte, qui se trouve en face de Fabius, voyant tout tranquille autour de lui, tandis que les autres quartiers retentissent d'un tumulte tel qu'on y pousse, de temps en temps, les cris qu'on entend dans une ville prise, (16) craint que, pendant ses hésitations, le consul ne donne quelque assaut et n'avance ailleurs: il emmène donc ses troupes vers la citadelle, d'où arrivent les bruits les plus terribles. (17) Fabius, s'apercevant et au temps écoulé, et au silence même - (car là où, peu avant, faisaient grand bruit des soldats s'encourageant et appelant aux armes, on n'entend plus un mot) - qu'on a retiré les gardes, fait porter des échelles à la partie du mur où le soldat qui avait arrangé la trahison avait prévenu que la cohorte des Bruttii monterait la garde. (18) C'est par là d'abord qu'on s'empara du rempart, les Bruttii aidant et recevant les Romains, et qu'on passa dans la ville; puis on enfonça la porte la plus proche, pour faire entrer une colonne importante; (19) alors, poussant un cri, vers le point du jour, sans rencontrer un défenseur armé, ces assaillants parviennent au forum; et tous les ennemis qui, de tous côtés, combattaient près de la citadelle ou du port, ils les attirent contre eux.

[Début]

 

[27,16] Prise de Tarente (courant de l'étét 209)

(1) Les Tarentins engagèrent la lutte, à l'entrée du forum, avec plus de fougue que de persévérance: ni par le courage, ni par l'armement, ni par l'art militaire, ni par la vigueur et la force physique le Tarentin n'égalait le Romain. (2) Aussi, ayant seulement lancé leurs javelots, sans presque en venir aux mains, ils tournèrent le dos et se dispersèrent, par des rues qu'ils connaissaient bien, dans leurs maisons et dans celles de leurs amis. (3) Deux de leurs chefs, Nico et Démocratès, tombèrent en combattant courageusement; Philemenus, qui avait pris l'initiative de faire passer la cité à Hannibal, avait été emporté loin du combat au galop de son cheval; (4) peu après, on reconnut le cheval errant sans cavalier par la ville; on ne trouva nulle part le corps de Philemenus; on pensa généralement qu'il était tombé de cheval dans un puits découvert. (5) Quant à Carthalo, commandant de la garnison punique, comme il venait, après avoir déposé les armes, évoquer devant le consul les liens d'hospitalité qui unissaient leurs pères, il fut égorgé par un soldat qu'il rencontra. (6) Les uns ici, les autres là, les Romains massacrent, sans distinction, gens armés et désarmés, Carthaginois et Tarentins. Beaucoup de Bruttii aussi furent tués çà et là, soit par erreur, soit par suite d'une haine invétérée contre eux, soit pour anéantir tout bruit de trahison, afin que Tarente parût plutôt avoir été prise par la force et par les armes. (7) Puis, abandonnant le massacre, on courut partout piller la ville. On prit trente mille esclaves, une énorme quantité d'argent travaillé et monnayé, quatre-vingt- trois mille livres d'or, des statues et des tableaux égalant presque les objets d'art enlevés à Syracuse. (8) Mais il y eut plus de grandeur d'âme, pour ne pas toucher au butin de ce genre, chez Fabius que chez Marcellus: au greffier, qui lui demandait ce qu'il voulait faire de statues colossales - ce sont des dieux représentés, chacun avec ses attributs, dans l'attitude de combattants - il ordonna de laisser aux Tarentins leurs dieux irrités. (9) Ensuite le mur qui séparait la ville de la citadelle fut abattu et on enleva ses déblais.

Tandis que cela se passait à Tarente, Hannibal, ayant reçu la soumission de ceux qui assiégeaient Caulonea, (10) accourut, à la nouvelle de l'attaque de Tarente, en poussant sa colonne jour et nuit; et comme, tandis qu'il se hâtait de porter secours à cette ville, il apprenait qu'elle était prise: "Les Romains aussi, s'écria-t-il, ont leur Hannibal; le même stratagème qui nous avait donné Tarente nous l'a fait perdre." (11) Cependant, pour ne pas donner à son changement de route l'air d'une fuite, à l'endroit où il s'était arrêté, à cinq milles environ de Tarente, il établit un camp. Après être resté là quelques jours, il se retira à Métaponte. (12) De là, il envoie à Fabius, à Tarente, deux Métapontins, porteurs d'une lettre des chefs de leur cité, pour recevoir du consul l'engagement de laisser impunis leurs actes antérieurs, s'ils lui livraient Métaponte avec sa garnison punique. (13) Fabius, croyant vraie la proposition qu'on lui apportait là, fixa le jour où il s'approcherait de Métaponte, et donna, pour leurs chefs, aux messagers une lettre qui fut remise à Hannibal. (14) À ce coup, joyeux du succès qu'aurait sa ruse, si Fabius lui-même s'était laissé prendre à la fourberie, il dispose une embuscade non loin de Métaponte. (15) Mais Fabius ayant soin de prendre les auspices avant de sortir de Tarente, une première fois, puis une seconde, les oiseaux n'approuvèrent pas son projet; puis, comme il consultait les dieux en sacrifiant une victime, l'haruspice annonça qu'il fallait prendre garde à une ruse de l'ennemi et à une embuscade. (16) Fabius ne s'étant pas rendu au rendez-vous fixé, les Métapontins lui furent renvoyés pour l'inviter à ne plus hésiter; arrêtés soudain, et craignant un interrogatoire plus cruel, ils révèlent l'embûche.

[Début]

 


2ème partie: [27,17 à 20] Reprise de la guerre d'Espagne (209)

 

[27,17] Nouvelles alliances contractées avec les peuples d'Espagne (printemps)

(1) Au début de l'été où se passaient ces événements, Publius Scipion ayant, en Espagne, passé l'hiver entier à gagner les barbares partie par des présents, partie par le renvoi des otages et des prisonniers, Edesco, célèbre parmi les chefs espagnols, vint le voir. (2) Sa femme et ses enfants étaient chez les Romains; mais, outre cette raison, le penchant, fortuit, en quelque sorte, et général qui avait porté toute l'Espagne de la domination Carthaginoise vers la domination Romaine, l'entraîna. (3) Pour la même raison, Indibilis et Mandonius, les chefs les plus importants, sans aucun doute, de toute l'Espagne, abandonnant Hasdrubal, se replièrent, avec tout le contingent de leurs compatriotes, sur des hauteurs dominant son camp, et d'où, par une crête continue, ils pouvaient se retirer sans danger auprès des Romains.

(4) Hasdrubal, voyant les forces de l'ennemi s'augmenter de renforts si importants, les siennes diminuer et être près, s'il n'entreprenait quelque coup d'audace, de s'échapper comme elles avaient commencé à le faire, décida de livrer bataille le plus tôt possible. (5) Scipion désirait encore plus le combat, et par suite de ses espoirs, qu'augmentait la tournure des événements, et parce qu'il aimait mieux, sans attendre la jonction des armées ennemies, combattre un seul général, une seule armée que tous ses ennemis à la fois. (6) D'ailleurs, pour le cas même où il lui faudrait lutter contre plusieurs en même temps, il avait augmenté ses troupes par un moyen particulier: voyant qu'il n'avait nul besoin de ses vaisseaux (car toute la côte d'Espagne était libre de flottes puniques), il les fit mettre au sec à Tarragone, et ajouta leurs équipages à ses troupes de terre; (7) il avait assez d'armes pour cela avec celles qu'il avait prises à Carthagène, et celles qu'après la prise de cette ville, il avait fait faire par la foule d'ouvriers enfermés dans les ateliers.

(8) Sorti de Tarragone avec ses troupes au début du printemps - après le retour de Rome de Laelius, sans qui il ne voulait entreprendre rien d'important - Scipion commence sa marche vers l'ennemi. (9) Il ne traversait que pays pacifiés, où, aux frontières de chaque peuple, des alliés l'escortaient, d'autres le recevaient. Indibilis et Mandonius vinrent à sa rencontre avec leurs troupes. (10) Indibilis parla pour tous deux, non pas du tout en barbare, avec sottise ou imprudence, mais plutôt avec réserve, avec gravité, en homme plus porté à excuser son passage au parti romain comme nécessaire, qu'à s'en glorifier comme s'il avait, pour cela, saisi la première occasion: (11) il savait en effet, dit-il, que le nom de transfuge est exécré des anciens alliés, suspect aux nouveaux; et il ne blâmait pas cet usage, quand toutefois cette double haine venait d'une cause sérieuse, et non simplement du nom de transfuge. (12) Il rappela alors les services rendus par Mandonius et lui aux généraux carthaginois, et, par contre, leur avidité, leur hauteur, leurs outrages de toute sorte envers eux deux et leurs concitoyens. (13) Aussi, ajouta-t-il, leurs corps seuls étaient, jusqu'ici, restés chez les Carthaginois; leurs coeurs, depuis longtemps, se trouvaient là où ils croyaient qu'on respectait le droit humain et divin: on voit de même recourir aux dieux des suppliants qui ne peuvent supporter la violence et les injustices des hommes; (14) pour eux, ils priaient Scipion de ne leur faire de leur désertion ni une faute, ni un titre de gloire, mais, selon la façon dont, à partir de ce jour, il les connaîtrait à l'épreuve, d'estimer la valeur de leurs services.

(15) Le Romain répond qu'il agira tout à fait ainsi, et ne tiendra pas pour transfuges des hommes qui ont jugé qu'il n'y avait point d'alliance ratifiée, là où rien de divin, rien d'humain n'était considéré comme sacré. (16) Puis leurs femmes, leurs enfants, amenés sous leurs yeux, leur sont rendus, tandis qu'ils pleurent de joie. (17) On les emmena, ce jour-là, recevoir l'hospitalité de Scipion; le lendemain, par la conclusion d'un traité, on reçut leur parole, et on les renvoya chercher leurs troupes. Ils eurent ensuite leurs tentes dans le même camp que les Romains, jusqu'à ce que sous leur conduite on fût arrivé à l'ennemi.

[Début]

 

[27,18] Scipion attaque l'armée d'Hasdrubal près de Baecula

(1) L'armée carthaginoise la moins éloignée, celle d'Hasdrubal, était prés de Baecula; elle avait devant son camp des postes de cavaliers. (2) Les vélites, les troupes légères et celles de l'avant-garde, dès leur arrivée, sans prendre le temps de choisir un emplacement pour camper, les attaquèrent avec tant de dédain, qu'on vit facilement quels sentiments animaient l'un et l'autre parti. (3) Les cavaliers, fuyant éperdument, furent refoulés dans leur camp, et les enseignes romaines arrivèrent presque à ses portes. (4) Ce jour-là, les Romains, après avoir excité seulement leur ardeur au combat, installèrent leur camp; (5) pendant la nuit, Hasdrubal fit replier ses troupes sur une hauteur dont le sommet s'étendait en plateau; par derrière, une rivière, devant et sur les côtés, une sorte de bord escarpé en délimitaient le contour. (6) Il y avait au-dessous un second plateau, un plateau inférieur, s'étendant plus bas que le sommet, lui aussi, un rebord, non moins difficile à gravir que celui du premier, l'entourait. (7) C'est sur ce plateau inférieur que, le lendemain, Hasdrubal, voyant l'armée ennemie immobile devant son camp, fit descendre les cavaliers Numides, les Baléares et les Africains armés à la légère. (8) Scipion, passant en revue les rangs et les enseignes, montrait à ses soldats l'ennemi qui, renonçant d'avance à l'espoir de combattre avec succès en plaine, allant occuper les hauteurs, ne soutenait leurs regards que par confiance dans sa position, non dans sa valeur et dans ses armes; mais Carthagène, ajoutait-il, avait eu des murailles plus hautes, que pourtant le soldat romain avait franchies; (8) ni collines, ni citadelle, ni la mer même n'avaient arrêté ses armes. Les hauteurs qu'avait occupées l'ennemi, elles lui serviraient à sauter, dans sa fuite, des précipices et des escarpements! Et encore, cette fuite, les Romains la lui barreraient.

(10) Prenant donc deux cohortes, Scipion ordonne à l'une d'occuper l'entrée de la vallée par où descendait la rivière, à l'autre de s'installer sur la route qui, de la ville, descendait en lacets de la colline et conduisait dans la campagne. Lui-même conduit les soldats alertes qui, la veille, avaient chassé les postes ennemis, contre les troupes légères carthaginoises rangées là où le rebord du plateau était le plus bas. (11) Ils marchèrent d'abord par un terrain raboteux, sans autre difficulté que celles de la route. Puis, quand ils arrivèrent à portée, d'abord une foule de traits de tous genres fut jetée sur eux; (12) eux, en revanche, prennent les pierres que le sol leur fournit partout, presque toutes commodes à lancer, et tous les lancent, non seulement les soldats, mais la foule des valets mêlés aux hommes d'armes. (13) Quoique la montée soit difficile et qu'ils soient presque accablés de traits et de pierres, grâce à leur habitude de gravir des remparts et à leur ténacité, les premiers montent sur le plateau. (14) Dès qu'ils ont occupé un peu de terrain plat où se tenir serrés de pied ferme, ils délogent l'ennemi, troupe légère, propre aux escarmouches, ne craignant rien à distance, quand, de loin, à coups de projectiles, on évite le véritable combat, mais aussi peu solide dans le corps à corps; et, en faisant un grand carnage, ils la rejettent vers l'armée qui se tient sur le plateau le plus élevé. (15) Alors Scipion, ordonnant aux soldats déjà vainqueurs de marcher contre le centre de cette armée, partage avec Laelius le reste de ses troupes, lui dit de faire un détour par la droite de la colline, jusqu'à ce qu'il trouve un passage en pente plus douce, et, allant lui-même vers la gauche, après un mouvement tournant assez court, charge les ennemis de flanc. (16) Ainsi leurs lignes se troublent d'abord, en voulant infléchir leurs ailes et tourner leurs rangs pour faire face aux cris qui résonnent de tous côtés. (17) Grâce à leur désordre, Laelius, lui aussi, prend pied sur le plateau; et, tandis qu'ils reculent pour ne pas être frappés par derrière, leurs premières lignes se relâchent et laissent surgir les assaillants du centre, (18) qui, sur un terrain si escarpé, si les rangs carthaginois étaient restés intacts et les éléphants devant les enseignes, n'auraient jamais débouché. (19) Alors qu'on massacre de tous côtés, Scipion, qui avec son aile gauche a chargé la droite des ennemis, attaque surtout leur flanc dégarni. (20) Et il ne leur restait même plus de passage pour fuir; car de deux côtés, à droite et à gauche, des postes romains avaient occupé les chemins, et la porte du camp avait été fermée par suite de la fuite du général et des chefs; en outre, les éléphants étaient affolés, et, quand ces animaux étaient furieux, les Carthaginois les craignaient autant que des ennemis. Il y eut ainsi huit mille tués environ.

[Début]

 

[27,19] Prise du camp carthaginois. Libération de Massiva

(1) Hasdrubal, qui, sans attendre le combat, avait fait enlever son trésor et envoyé en avant des éléphants, recueillant le plus possible de fuyards, passe le Tage et se dirige vers les Pyrénées. (2) Scipion, maître du camp ennemi, ayant, à l'exception des hommes libres, abandonné tout le butin aux soldats, trouva, au recensement des prisonniers, dix mille fantassins et deux mille cavaliers. Tous ceux d'entre eux qui étaient Espagnols, il les renvoya chez eux sans rançon; les Africains, il les fit vendre par le questeur. (3) En conséquence, il se vit entouré d'une foule d'Espagnols - hommes qui s'étaient rendus auparavant et prisonniers de la veille - qui, d'une voix unanime, lui donnèrent le titre de roi. (4) Alors Scipion, faisant faire le silence par le héraut, dit que, pour lui, le titre le plus haut était celui d'Imperator, que lui avaient donné ses soldats; le titre de roi, ailleurs élevé, était, à Rome, intolérable; (5) qu'il eût une âme de roi - si c'était là ce qu'ils jugeaient le plus grand dans le caractère d'un homme, - ils pouvaient le penser à part eux, mais ils devaient s'abstenir d'employer le mot. (6) Les barbares mêmes sentirent la grandeur de l'âme qui, pour un titre dont le merveilleux prestige étonnait les autres mortels, n'avait, de la hauteur où elle se trouvait, que du mépris. (7) Puis on fit des présents aux roitelets et aux princes espagnols, et, parmi les chevaux, très nombreux, que l'on avait pris, Scipion dit à Indibilis d'en choisir trois cents, ceux qu'il voulait.

(8) Alors que le questeur, sur l'ordre du général en chef, vendait les Africains, entendant dire qu'un adolescent d'une rare beauté, qui se trouvait parmi eux, était de naissance royale, il l'envoya à Scipion. (9) Celui-ci lui demandant qui il était, de quel pays, et pourquoi, à un tel âge, il s'était trouvé dans un camp, il répondit qu'il était Numide, que ses compatriotes l'appelaient Massiva; resté orphelin de père, élevé chez son grand-père maternel Gala, roi des Numides, il était passé en Espagne avec son oncle Masinissa, qui, récemment, avait amené aux Carthaginois un renfort de cavalerie. (10) Jusqu'ici, Masinissa lui avait toujours défendu, à cause de son âge, de prendre part à un combat; le jour où l'on avait livré bataille aux Romains, prenant secrètement, à l'insu de son oncle, des armes et un cheval, il était allé en ligne; là, son cheval, en s'abattant, l'ayant précipité à terre, il avait été pris par les Romains. (11) Scipion, après avoir ordonné de mettre à part ce Numide, achève ce qu'il devait accomplir à son tribunal; puis, s'étant retiré à son quartier général, il fait appeler l'adolescent et lui demande s'il veut retourner auprès de Masinissa. (12) À la réponse, accompagnée de larmes de joie, que certes, il le désirait, Scipion donne à l'enfant un anneau d'or, une tunique laticlave, avec un sayon espagnol et une agrafe d'or, un cheval tout harnaché, et, disant à des cavaliers de l'accompagner jusqu'où il voudrait, il le renvoya.

[Début]

 

[27,20] Discussion d'état-major sur la poursuite de la guerre

(1) Puis on tint conseil sur la conduite de la guerre. Malgré l'avis, donné par certains, de poursuivre aussitôt Hasdrubal, (2) Scipion, jugeant le succès de ce projet douteux, car il craignait de voir Magon et l'autre Hasdrubal joindre leurs forces à celles du premier, envoya seulement des troupes s'installer dans les Pyrénées, et passa lui-même le reste de l'été à recevoir la soumission des peuples de l'Espagne. (3) Peu de jours après la bataille de Baecula, alors que Scipion, retournant déjà à Tarragone, était sorti des monts de Castulo, les généraux Hasdrubal fils de Gisgon et Magon arrivèrent, de l'Espagne ultérieure, auprès d'Hasdrubal: secours tardif après la défaite, mais conseillers fort opportuns pour l'exécution du reste de la campagne. (4) Là, comme ils conféraient sur les sentiments des Espagnols dans la zone d'opérations de chacun d'eux, seul Hasdrubal fils de Gisgon fut d'avis que la côte de l'Espagne la plus éloignée, celle qui donne sur l'Océan, vers Gadès, ignorait encore les Romains, et, pour cela, restait bien fidèle aux Carthaginois; (5) l'autre Hasdrubal et Magon considéraient tous deux comme certain que les bienfaits de Scipion avaient conquis le coeur de tous, peuples et particuliers; et que les défections n'auraient pas de fin avant que tous les soldats espagnols eussent été envoyés à l'extrémité de l'Espagne ou emmenés en Gaule. (6) C'est pourquoi, même si ce n'avait pas été l'avis du sénat de Carthage, Hasdrubal devait aller en Italie, et parce que là se trouvaient la tête de la guerre et la partie essentielle des affaires, et pour emmener tous les Espagnols loin du nom de Scipion, hors d'Espagne. (7) Son armée, diminuée par les défections, et surtout par la défaite, serait reconstituée avec des soldats espagnols. Magon, lui, laissant ses troupes à Hasdrubal fils de Gisgon, passerait avec une grosse somme d'argent dans les Baléares pour y enrôler des mercenaires; (8) Hasdrubal fils de Gisgon s'enfoncerait avec son armée en Lusitanie, sans en venir aux mains avec les Romains; à Masinissa, en prenant dans toute la cavalerie ce qu'elle avait de meilleur, on arriverait à donner trois mille cavaliers: circulant partout dans l'Espagne citérieure, il porterait secours aux alliés, ravagerait les villes et les champs des ennemis. Ces décisions prises, les généraux se séparèrent pour les exécuter. Voilà ce qu'on fit cette année-là en Espagne.

(9) À Rome, la réputation de Scipion grandissait chaque jour; pour Fabius, la prise de Tarente, quoique due à l'astuce plus qu'à la valeur, était cependant un titre de gloire; la renommée de Fulvius faiblissait; (10) quant à Marcellus, on en venait à dire du mal de lui, non seulement à cause de son premier échec, mais parce que, alors qu'Hannibal circulait en Italie, il avait, disait-on, au milieu de la campagne d'été, emmené ses soldats cantonner à Vénouse. (11) Il avait un ennemi personnel, Caius Publicius Bibulus, tribun de la plèbe. Celui-ci, dès le premier échec de Claudius, l'avait, par des harangues incessantes, fait mal juger et haïr de la plèbe, et maintenant il faisait campagne pour qu'on abrogeât son commandement; (12) les amis de Claudius obtinrent cependant que, laissant un lieutenant à Vénouse, il revînt à Rome pour se laver des accusations que ses adversaires portaient contre lui, et qu'on ne discutât pas de l'abrogation de son commandement en son absence. (13) Ce fut, par hasard, à peu près au même moment qu'arrivèrent à Rome Marcellus, pour s'efforcer d'écarter la honte dont on le menaçait, et le consul Quintus Fulvius, pour présider les élections.

[Début]

 

Suite: Chapitres XXI à LI


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