FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 27 - janvier-juin 2014


 

Ariane, héroïne élégiaque dans la poésie latine

 

© Constantin Maes, 2014


Cet article est la version remaniée d’un travail présenté dans le cadre du cours « Typologie et permanences des imaginaires mythiques » inscrit au programme des Masters en langues et littératures anciennes et en langues et littératures moderne et ancienne (latin-français) à l’Université catholique de Louvain.


 

1. Introduction

« L'autre est en état de perpétuel départ, de voyage ; il est, par vocation, migrateur, fuyant ; je suis, moi qui aime, par vocation inverse, sédentaire, immobile, à disposition, en attente, tassé sur place, en souffrance, comme un paquet dans un coin perdu de gare [1] . »

Dans cette citation de Barthes, il y a quelque chose d'indubitablement pertinent par rapport à la figure d'Ariane, dont l'image que les temps historiques ont conservée est le plus souvent attachée à l'abandon et la trahison plutôt qu'au bonheur d'une union royale préexistant à l'épisode de la fuite de l'Athénien. Ainsi, presque comme un signe de l'empreinte de ce fragment de légende, le seul passage conservé d'un des premiers opéras de l'histoire de la musique, l'Arianna (1608) [2] de Monteverdi, est le lamento d'Arianna, autour duquel l'œuvre se construit, puisqu'il figurait en position centrale.

À l'image de cet exemple, la facette d'Ariane délaissée sera, dans les pages qui vont suivre, l'objet de notre attention. Nous l'aborderons dans une perspective particulière : sa présence chez les poètes élégiaques latins [3] . Cette approche nous a été inspirée par le souvenir de la dixième Héroïde d'Ovide, ainsi que par l'intuition qu'une telle figure d'abandon ne pouvait être sans écho dans le « roman » d'Ego. L'histoire d'Ariane nous a toujours semblé, dans le cadre de la poésie élégiaque, un miroir qui renverse les rôles génériquement distribués du perfidus amans et de la délaissée dans la légende, d'Ego comme miles amoris malheureux et de Lesbie, Cynthie, Délie, Corinne, préfigurations de la Dame courtoise du Haut Moyen Âge, dans l'œuvre poétique. En quelques lignes, nous espérons montrer qu'à cette impression correspond une véritable construction littéraire, écho fondé à la fois lexicalement [4] et thématiquement. Il est évident que le sujet a déjà été abordé, principalement en ce qui concerne Catulle et son fameux poème 64. Cependant, il semble que la figure d'Ariane, bien qu'elle apparaisse comme étape de l'analyse dans certains articles consacrés à une pièce poétique particulière, n'a pas fait l'objet d'une étude « transauctorale », qui mériterait bien plus que les quelques pages qui vont suivre.

Le corps de notre analyse procédera en trois temps qui nous paraissent comme trois éléments déterminants de l'épisode qui nous occupe [5]  : l'abandon lui-même, sa découverte ; l'oscillation de l'état d'esprit d'Ariane, son incertitude ; l'environnement de la Crétoise après son abandon et la nature ressentie comme inhospitalière et hostile. À chaque fois, il s'agira de dégager des caractéristiques dans les diverses actualisations du mythe chez les poètes puis d'évoquer les situations similaires dans la relation d'Ego et domina. Tibulle et Properce seront souvent associés en raison de la brièveté des apparitions d'Ariane dans leurs pièces. Catulle et Ovide, qui lui consacrent plus de vers, se verront accorder une place proportionnelle. Dans un deuxième mouvement, nous tiendrons à nuancer le premier en évoquant l'usage de la mythologie dans le genre élégiaque. Enfin, nous exploiterons rapidement la question du labyrinthe dans notre corpus. Par souci de brièveté, nous passerons directement aux textes eux-mêmes et à leur enseignement sans faire référence outre mesure à la théorie générique de l'élégie.

 

2. Ego – Ariane : parallélismes

2.1. L'abandon

Dans le dernier chapitre d'une étude publiée par l'Université de Bari [6] , A. Tedeschi conclut le viaggio d'amore du poète élégiaque en abordant la séparation des amants. Avant de passer à la question d'Ariane, nous aimerions poser les fondements de notre propos grâce à l'introduction dudit chapitre. Selon Tedeschi, il convient d'analyser cette étape de la relation entre Ego et domina parce qu'elle a conditionné ou influencé le ton du discours la précédant. On observe généralement une dichotomie dans le lexique approprié : les termes les plus fréquents sont diuortium et discedium, qui transcrivent de manière spatiale un événement finalement intérieur, psychologique. Il n'est pas ici inutile de relever que l'éloignement de Thésée signifie la rupture. Toutefois, l'auteur indique une discordance de modalité entre ces deux termes. Selon elle, si discidium, dont l'étymologie est discutée, comporte toute la violence du scindere qui l'engendre, le diuortium renvoie plutôt à une réalité signifiant « aller dans une direction opposée », et se justifie plus souvent non pas par une raison d'affect pur, mais plutôt par une dissension sociale, voire socio-économique. Le discours élégiaque tend souvent plus du côté du discidium, dont Tedeschi se propose de rechercher l'impact sur le langage, donnant lieu, selon elle, à un ensemble de topoi, de motifs récurrents. En cela, son analyse nous intéresse au plus haut point, puisque nous nous proposons, dans un premier temps, de montrer les modalités avec lesquelles est exprimée l'image d'Ariane, avant d'exposer l'utilité de ladite image dans l'évocation de la séparation entre Ego et son amante, avec une possible inversion de rôles.

La tradition de la poésie amoureuse latine retient surtout d'Ariane son abandon sur l'île de Dia [7] . Il est manifeste que la thématique de la trahison liée à l'abandon a marqué les esprits des élégiaques, mais tous n'en font pas usage de manière prééminente. Ainsi, chez Tibulle, on ne trouve mention de l'épisode qu'en Tib. 3, 6, 39-42 [8]  :

Gnosia, Theseae quondam periuria linguae
fleuisti ignoto sola relicta mari :
sic cecinit pro te doctus, Minoi, Catullus
ingrati referens impia facta uiri

Peut-être Ariane n’est-elle invoquée ici qu'en raison du début de l'élégie 3, 6, laquelle rend hommage à Bacchus et ses bienfaits. Toujours est-il que l'allusion est fort à propos dans la bouche d'Ego, qui regrette la trahison de son amie et ses vaines paroles. Le vin, dans ce contexte, est un allié précieux pour celui qui est à table, étrangère aux soucis (securae mensae). Pour en revenir à l'abandon, le terme qu'il faut évidemment relever est le relicta du vers 40. Il est également intéressant d'y adjoindre le terme qui précède, sola. On remarquera en outre, même si la longueur et la rythmique du pentamètre dactylique ne laissent que peu d'espace ou de choix au styliste, que l’ignoto mari [9] encercle la chétive [Ariadna] sola relicta, illustrant dans l'ordre des mots la condition de solitude qui est désormais la sienne. Dans sa poésie, certes moins riche en références mythologiques que l'abondance un peu précieuse de Properce, Tibulle n'en appelle qu'une fois à l'image d'Ariane, et c'est l'épisode de Dia qui retient son attention. Il aurait fort bien pu user de la rencontre entre Thésée et Ariane à Cnossos pour évoquer une passion naissante [10] . Toutefois, le malheur de l'abandon nourrit son imaginaire élégiaque ; Ariane devient la figure de la uirgo relicta, suggérant ainsi en vis-à-vis, comme nous le verrons plus tard, la présence d’un perfidus amans.

Properce, quant à lui, use plus d'une fois de la figure de la Gnossienne, mais de manière mineure. En Prop. 2, 3, Cynthie est comparée à Ariane en raison de la grâce de sa danse. La pièce entière est consacrée à la première, dont tous les aspects aimables sont évoqués par Ego avec force références (les Muses, Corinne, Aganippe [11] ). Puisqu'Ariane est louée pour la manière dont elle dirige le chœur des Bacchantes, manifestement après sa rencontre et ses épousailles avec Dionysos ou un de ses prêtres [12] , ce passage est moins pertinent pour notre propos, mais il se situe bien après le discidium de Thésée. L'élégie 3, 17 est encore un hommage à Bacchus. Comme chez Tibulle, le dieu est le remède à de lourds soucis, dont il nous libère, comme ses lynx l'ont fait avec Ariane, en l'emportant parmi les étoiles (Prop. 3, 17, 3-4 et 7-8) :

Tu potes insanae Veneris compescere fastus,
curarumque tuo fit medicina mero.
[...]
Te quoque enim non esse rudem testatur in astris
lyncibus ad caelum uecta Ariadna tuis.

Plus intéressante est la pièce 1, 3, contenant la dernière des mentions d'Ariane que nous avons relevées dans les quatre livres d'élégies de Properce. Dès le second vers intervient la Crétoise (Prop. 1, 3, 1-2 et 7-8) :

Qualis Thesea iacuit cedente carina
languida desertis Cnosia litoribus ;
[...]
Talis uisa mihi mollem spirare quietem
Cynthia consertis nixa caput manibus

Ici, la uirgo relicta est clairement présente, puisque la nef de l'Athénien s'éloigne (cedente carina). À nouveau, le ressort de ce passage est la comparaison établie entre Cynthie et Ariane. Il importe également, à la suite de P. Veyne [13] , de poursuivre la lecture de cette élégie fort commentée pour en extraire toute l'importance dans notre approche. En effet, le poème 1, 3 commence comme un récit, au parfait événementiel, dont le lecteur attend un dénouement ; Ego surprend sa dame quelque peu embrumée par Liber, lui-même étant encore assez conscient (nondum etiam sensus deperditus omnis, vers 11) que pour l'observer. Au lieu d'un épilogue qui tendrait à rapprocher les deux protagonistes malgré la distance initiale, Cynthie s'éveille et reproche (cfr. aussi, dans le même ton, la fin de 2, 29) à Ego de lui revenir après l'avoir délaissée pour jouir de la compagnie d'une rivale (alterius, vers 36). Veyne suggère qu'un tel dénouement, et même plus, qu'une telle élégie, malgré un parfait qu'on attendrait « anecdotique », indique la distance éternelle entre les deux amants, les rôles permanents de « l'Infidèle et la belle Délaissée [14]  ».

Si l'on s'arrête provisoirement à ces deux auteurs, y a-t-il quelque parallélisme que l'on peut extraire des exemples cités ? Properce, à peine quelques poèmes plus loin que 1, 3, évoque un éventuel départ de Cynthie (Prop. 1, 8, 11-14) :

Nec tibi Tyrrhena soluatur funis harena,
neue inimica meas eleuet aura preces
et me defixum uacua patiatur in ora
crudelem infesta saepe uocare manu

Ego est délaissé (defixum) sur le rivage, évoqué d'abord par harena, puis plus subjectivement qualifié (ora infesta). Le parallèle est patent, même si finalement Cynthie restera à Rome. En Prop. 1, 15, on peut probablement associer l'excepta perfidia dont il est question à un éloignement, comme le suggèrent les allusions à Calypso après le départ d'Ulysse, à Hypsipyle après celui de Jason. Étrangement, Thésée et Ariane ne sont pas évoqués ; toutefois, la similitude entre tous ces départs est assez évidente. Quand Properce, en Prop. 1, 17, erre loin de Cynthie, il regrette d'être près d'ignotis circumdata litora siluis (Prop. 1, 17, 17). Cette situation n'est pas sans rappeler les desertis litoribus chez le même auteur, ou l'ignoto mari de Tibulle. En outre, lorsqu'Ego et Cynthie sont éloignés, le premier envisage une sépulture sur une ignotae harenae, ce qui n'est pas sans rappeler le destin probable d'Ariane si Bacchus n’était pas venu à son secours (Prop. 3, 17, 29). L'inversion des rôles semble acquise ici : Ego devient l'abandonné, l'amante devient celle qui abandonne. Lorsque ce paradigme est menacé de renversement, quelque élément fortuit vient le rétablir : quand en Prop. 1, 17, Ego s'éloigne quelque peu, les vents contraires mettent à mal son bref voyage ; un départ similaire est encore observable en Prop. 2, 32.

En Tib. 1, 3, comme en Prop. 1, 17, l'éloignement est funeste à Ego ; comme si effectivement ce n'était pas à lui de partir, son voyage est toujours marqué par un échec (ici, Ego, facilement assimilable à Tibulle par la mention de Messala, tombe malade ; son périple tourne court). Le même poème, indirectement, évoque l'impossibilité du non-discidium, depuis que l'âge saturnien, durant lequel la navigation n'existait pas, n'est plus. En Tib. 1, 4, il conseille de ne pas laisser l'aimé (Maratus chez Tibulle) partir sans l'accompagner. Encore une fois, c'est l'Autre qui tend à l'éloignement, comme Thésée délaisse Ariane. Nonobstant une comparaison qui nous semble, eu égard à ces différents extraits, fondée, il n'y a pas là de vrai discidium. Celui-ci ne semble pas être véritablement présent chez Tibulle, dont les passions sont aussi multiples (Délie et Maratus). Chez Properce, malgré quelques éloignements plus ou moins douloureux, une vraie rupture à caractère possiblement définitif n'intervient qu'à la fin du livre 3, lorsqu'Ego envisage un voyage à Athènes. Auparavant, invariablement, l'éloignement ne semblait pas trop troubler sa passion pour Cynthie.

Passons dès à présent aux poèmes de Catulle. Le fragment ekphrastique de la grande fresque du poème 64 (vv. 52-264) est bien sûr le texte qui doit retenir notre attention. En réservant une telle longueur à Ariane et Thésée, Catulle ne se contente pas d'évoquer en passant le seul épisode de l'abandon ; cet épisode introduit la description du voile nuptial, avant d’être ensuite contextualisé dans la relation des deux amants :

1. Réveil et désespoir d'Ariane (vv. 52-67)
2. Retour sur l'arrivée de Thésée en Crète et premiers émois (vv. 68-115)
3. Intervention de Catulle et retour sur la fuite des deux amants (vv. 116-123)
4. Colère et désespoir d'Ariane. Imprécations (vv. 124-201)
5. Retour à Thésée. Efficacité des malédictions d'Ariane. Mort d'Égée (vv. 202-250)
6. Arrivée de Bacchus (vv. 251-264)

Dans ce paragraphe, concentrons-nous d'abord sur la première de ces parties, le réveil et la réaction immédiate d'Ariane, celle que l'on retrouve également chez Tibulle et Properce. D’emblée, on remarque une originalité de ton chez Catulle. Le motif ne peut être que traditionnel : la plage solitaire, le navire s'éloignant, mais encore à portée de regard. Toutefois, Ariane est ici indomitos in corde gerens furores. Une réaction plus violemment émotive semble-t-il, là où les deux auteurs évoqués plus haut gardaient comme attribut d'Ariane une sorte de passivité. Cependant, l'héroïne de l'ekphrasis est ensuite comparée à une bacchante, et cette comparaison, outre d'autres rôles, ne fait que mettre en exergue l'abandon qui a eu lieu, puisque les bacchantes, à la différence d'Ariane, sont souvent dépeintes en grands groupes et à l'abri des versants arborés de montagnes, et non solitaires sur un rivage [15] . Catulle est aussi attentif à souligner la rupture des liens familiaux d'Ariane, isolée physiquement et moralement du monde civilisé (sed quid Ego a primo digressus carmine plura | commemorem, ut linquens genitoris filia uultum, | ut consanguineae complexum, ut denique matris, | quae misera in gnata deperdita laeta | omnibus his Thesei dulcem praeoptarit amorem, carm. 64, 116-120). Dans les vers 124-128, les adverbes de fréquence soulignent le caractère vain des tentatives d'Ariane de retenir le vaisseau de Thésée [16] . Une dernière plainte redonne à Catulle l'occasion de définir l'état d'abandon d'Ariane, en reprenant par échos les éléments avancés jusqu'alors, tissant une tapisserie symbolique, à l'image du voile qui orne le lit de Thétis et Pélée. Et fort habilement, Catulle lui enlève les atours de sa beauté : plus de flauo, de uelatum, de strophio. Tout cela baigne dans la mer ennemie (omnia delapsa). À nouveau, originalité du poète de Vérone, lequel ose en quelque sorte désacraliser la beauté d'Ariane, invoquée par Properce pour la comparer à Cynthie.

Il est presqu'impossible de ne pas songer, à la lecture de ces quelques vers, à une situation similaire qu'a connue Catulle personnellement, dépeinte au poème 8. Quand Ariane échappe à un fallaci somnio, Ego/Catulle s'exhorte lui-même à un réveil : desinas ineptire, avec un subjonctif d'exhortation. Ineptire répond à fallaci : c’est s'abuser soi-même que de croire à l'impossibilité du discidium. Presqu'aussitôt, Ariane fait appel au sens de la vue pour faire le point sur son sort : necdum sese quae uisit uisere credit (v. 55), se cernat (v. 57). De ses maestis ocellis, elle observe (prospicit) celui qui s'éloigne, qui l'a trompée. Catulle, lui, continue à s'exhorter. Ce qu'il voit perdu, à la manière d’Ariane qui voit Thésée au loin, il doit le savoir tel. Tedeschi souligne le polyptote, similarité formelle entre les deux pièces : uisit uisere (carm. 64, 55) et perisse perditum (carm. 8, 2) [17] . C'est également l'une des premières remarques de Daniels [18] . Dans le poème 11, c'est Ego qui s'éloigne, mais c'est aussi lui qui souffre de solitude et qui fait porter un mot à sa maîtresse. Dans l'éloignement, Catulle est semblable à Ariane ; son poème 64 apparaît dès lors, ainsi que l'ont souligné de nombreux critiques, comme une clé de lecture de ce que l'on appelle couramment le roman de Lesbie.

Ovide est probablement le poète qui fait le plus souvent appel à Ariane, et ce à travers toute son œuvre, pas uniquement son corpus érotique (Amores, Héroïdes, Ars amandi). Ainsi le livre 8 des Métamorphoses. Toutefois, Ariane délaissée n'est pas la centre du récit métamorphique, qui apparaît plutôt comme une introduction au récit du vol de Dédale et Icare, lequel occupe une étendue autrement plus importante. Le livre 3 des Fastes mentionne aussi l'héroïne crétoise à l'occasion de l'apparition de la constellation de la Couronne. Les étiologies chères au poète du calendrier sont convoquées ici en rappelant le catastérisme de ladite couronne et en dépeignant une Ariane post matrimonium, empreinte de jalousie et à nouveau menacée par une rivale, indienne cette fois. Cependant, elle sort victorieuse de la confrontation renouvelée.

La solitude d'Ariane dans en Ov., epist. 10 a été étudiée de manière assez développée par M. C. Bolton [19] , dont l'analyse sert de fondement à ce point précis dans le présent travail. La particularité de la dixième missive au sein d'un corpus marqué par les abandons réside dans une triple solitude, absente des autres lettres de l'œuvre : Ariane est « coupée de Thésée (son amant), de sa famille en Crète et, peut-être de manière plus importante, de tout signe visible de civilisation [20]  ». D'ailleurs, le terme sola apparaît à trois reprises dans le texte : v. 49 (aut Ego diffusis erraui sola capillis) ; v. 61 (quo sola ferar ?) ; v. 131 (me quoque narrato sola tellure relictam). En note, Bolton suggère que cette triple solitude correspond à une triple trahison dans l'esprit d'Ariane, en citant le vers 120 (prodita sum causis una puella tribus). Nous serions plus prudent par rapport à cet écho, puisque la lettre elle-même, dans ses premières lignes, fait « seulement » allusion à une double trahison (v. 7, in quo [= litore] me somnusque meus male prodidit et tu). Bolton remarque également que, en Ov., epist. 3 et 7, sola n'apparaît qu'en relation avec le nom du uir absent, comme si les femmes-auteurs se représentaient comme moitié d'une paire encore existante. Ariane, elle, expérimente une solitude absolue, dévoilée par étapes : le réveil lui révèle que Thésée n'est plus à ses côtés (v. 14, perque torum moueo bracchia : nullus erat), une course anxieuse sur la plage ne lui permet pas de le retrouver (v. 19-20, Luna fuit ; specto siquid nisi litora cernam ; | quod uideant oculi, nil nisi litus habent.), les voiles gonflées du vaisseau fuyant lui font d'abord croire que Thésée l'a oubliée, avant qu’elle ne comprenne véritablement qu'il l'a abandonnée (v. 32, uidi praecipiti carbasa tenta Noto.). Elle ne peut désormais plus que voir la trace du corps de Thésée dans le sable (pro te uestigia tango, v. 54). Pourtant, la solitude d'Ariane, au milieu du récit de ses déceptions successives, est déjà résolue par Ovide (Ov., epist. 10, 49-50) :

Aut Ego diffusis erraui sola capillis,
qualis ab Ogygio concita Baccha deo

Comme à son habitude, Ovide est particulièrement expressif dans l'association, déjà aperçue chez Catulle. À la même place, en fin de vers, et au même cas, sola et Baccha relatent, en deux mots, le destin de la Gnossienne [21] , suggérant que la présence de Dionysos dans les Héroïdes n'est pas forcément assurée ou bienvenue, en décalage avec la tradition qui veut qu’abandonnée par Thésée, Ariane deviendra l'épouse de Dionysos [22] . Il est aussi utile de rappeler que la missive est supposée, dans le projet poétique d'Ovide, avoir été écrite a posteriori. Ariane sait sa propre histoire et la décrit avec un certain aboutissement formel, à notre avis bien illustré par ce bref exemple. Les verbes de l'exclamation de notre héroïne, systématiquement au pluriel, comme pour souligner l'irréalité de la séparation dans l'esprit d'Ariane, restent sans cesse déçus : pressimus, v. 58 ; uenimus et discedimus, v. 59. Leur font écho les ambo (v. 53 et 59) et duo (v. 56) [23] . L'île elle-même renvoie à Ariane l'image de sa propre solitude (uacat insula cultu, v. 61) [24] . En somme, pour reprendre une formulation réussie : « She thus becomes the epitome of sola, and sola becomes a central, rather than peripheral, complaint in her letter [25] . »

 

2.2. Oscillation entre colère et abattement

Il est assez remarquable de constater que suite à la découverte de sa solitude récente, Ariane est balancée entre des sentiments divers, qu'elle soit pleine de ressentiment ou résolue à une mort dans laquelle le décor de l'île ne jouera pas un rôle de second plan (cfr. le point suivant). Encore plus intéressante dans notre optique est la constance des imprécations de la Gnossienne à l'encontre de Thésée, leur vocabulaire finalement assez peu varié et son remploi dans d'autres contextes. À cet égard, soulignons que les mots accusateurs sont soit du fait de l'héroïne, dans une tirade oratoire, soit de celui du poète lui-même.

Dans le Corpus Tibullianum (Tib. 3, 6), les propos de Thésée, qualifé de ingrati (v. 42), sont periura (v. 39). Et même si l'épisode s'interrompt quelques vers après, on trouve un écho significatif qui renverse à nouveau les rôles, comme nous l'avons déjà relevé : par trois fois (v. 55-56), l'amante est dite perfida ; c'est elle qui est fallax (v. 47). Dans l'esprit de Tibulle (ou du moins de Lygdamus), l'exemplum de Thésée et Ariane doit rendre celui qui aspire à la passion vigilant aux souffrances certaines qu’elle induit. Malgré les soins d'un potentiel Ego (quamuis perfida, cara tamen, v. 56), qui se voit attribuer le rôle d'Ariane, Thésée-perfida finira par le trahir. Tibulle ne cède pas aux plaintes, ni à la colère, toutes deux évoquées en Tib. 3, 6, et préfère l'insouciance de la compagnie de Bacchus. Le reste du corpus offre un bel exemple de cet esprit : l'élégie I, 8, au vers 64 (Vel cum promittit, subito sed perfida fallit) voit un nouvel emploi de ce vocabulaire, appliqué à l'amantem (v. 63). En Tib. 1, 9, Tibulle se plaint de la tromperie de Maratus, dont les promesses aux dieux sont désormais des periuria (v. 3). Toutefois, ne cédant pas à la colère, le poète implore les dieux de l'épargner en raison de sa beauté. En Tib. 1, 4, les promesses amoureuses semblent toujours êtres vouées à être des Veneris periuria (v. 21).

Properce ne qualifie pas Thésée ; il se contente de le mentionner en Prop. 2, 3, tandis que s’éloigne son bateau (cedente carina). Cependant, le champ lexical que nous avons dégagé dans les quelques pièces de Tibulle citées plus haut est tout aussi fécond. Perfida qualifie Cynthie en Prop. 1, 11, 16 , ou la porte, ennemie d'Ego [26] , en Prop. 1, 16, 43 ; en Prop. 1, 15, 2, Cynthie est l'auteur d'une ultima perfidia ; au vers 34 de la même pièce, on trouve perfidiast, aussi en rapport avec les serments trompeurs. Quant à ceux-ci, les periuria de Tibulle, ils sont également présents dans le corpus propertien : en Prop. 1, 8, déjà évoqué puisqu'Ego se retrouve abandonné sur des ora uacua, au vers 15, Ego rappelle un parjure commis par son amante ; en Prop. 1, 15, 25, Ego demande à Cynthie de desine reuocare periuria. On le voit, le lexique attribué à Thésée par Ariane là où les allusions se font plus longues se retrouve dans les élégies, avec toujours un renversement significatif des genres.

Chez Catulle, une première oscillation est observable au réveil même d'Ariane [27]  : « Like a statue Ariadne is rigid, silent, tearless and motionless, and like a Bacchante she is experiencing wild emotions (cf. 54 and 62) and has disordered clothing (63ff.). » Gardner fait ainsi remarquer que la fluctuation des émotions d'Ariane correspond aux mouvements des vagues qui l'entourent (magnis curarum fluctuat undis) [28] . Balland compare les lamentations d'Ariane dans leur structure avec la construction musicale de la fugue [29] . Dès son réveil, Ariane, indirectement puis directement, caractérise Thésée. Le sommeil qui lui a masqué la fuite est fallaci (v. 56) : dans sa confusion, et peut-être parce qu'elle n'a pas encore tout à fait perçu ce qui se joue devant ses yeux ensommeillés, Ariane se trompe de coupable, mais cela devient clair dès le vers 59, où les promissa de l'Athénien sont irrita, sans fondements. Et il ne faut, à notre sens, pas croire à un commentaire de Catulle ici, puisque le carmen 64, dans sa partie ekphrastique, adopte le point de vue de la Crétoise : on ne se rend compte de son abandon qu'avec elle, c'est le fil de sa mémoire que l'on suit dans un interlude... Durant ce dernier d'ailleurs, le contraste de caractérisation est notable, un peu à la manière d'une passion élégiaque, aveugle d'abord mais qu'un cruel désenchantement révèle sous un jour plus véritable. Tant qu'il est en Crète, Thésée est fier, généreux, désireux de se sacrifier pour le bien de sa patrie. Quand on revient à Dia, les louanges se sont évanouies ; y succède le fiel des malédictions : perfide [...] perfide Theseu (v. 132-133) ; immemor ! [...] periuria portas (v. 135) ; tibi nulla fuit clementia (v. 137) ; blanda promissa (v. 139) ; perfidus nauita (v. 174) ; malus hospes (v. 174-175)... La colère d'Ariane est évoquée en deux temps, semble-t-il, à savoir l'expression au présent, empreint d'interrogations, puis un regret doublé d'une généralisation, exprimé par le utinam du vers 171. C'est là un double mouvement que l'étendue du passage catullien permet de saisir. Properce et Tibulle, en ciselant une image concise, devaient impressionner le lecteur en peu de mots, choisis avec soin dans leur signification proprement élégiaque, ainsi que nous avons pu le souligner plus haut. Catulle choisit, à la différence d'Ovide, d'écourter quelque peu le réveil et l'évocation naturelle chère au poète des Métamorphoses pour placer dans la bouche d'Ariane de multiples termes dont on ne retrouve que quelques occurrences ailleurs dans son corpus : carm. 30 reprend quelques thématiques communes (immemor, v. 1 ; perfidus, v. 3 ; fallere, v. 3 ; facta dictaque irrita, v. 9-10) ; le poème 66 parle, sans grande signification pour notre sujet, de dona irrita. Nonobstant cette apparence de maigre récolte, nous pensons que ce résultat s'explique par le fait que, chez Catulle, le roman d’Ego se partage le recueil élégiaque avec des pièces piquantes ou épigrammatiques, tout à fait étrangères à la relation amoureuse qui le constitue. À ce titre, les pièces amoureuses sont isolées, et c'est dans celles-là que l'on trouve des ressemblances : les poèmes 8 (déjà évoqué) et 30 en sont une illustration. Ce dernier, notamment, regorge de résurgences lexicales appliquées, comme dans l'ekphrasis du poème 64, à une trahison. Le vocabulaire commun nourrit notre hypothèse, ainsi que celle d'autres commentateurs [30] , selon laquelle la légende d'Ariane donne l'occasion au poète d'inverser le paradigme hiérarchique entre Ego et sa domina.

En Ov., epist. 10, la colère est déjà présente dans l'exorde de la lettre : improbe Theseu (v. 1), à la fin de l'hexamètre, ne laisse pas le choix au lecteur ; c'est la scélératesse de Thésée qui est le moteur du récit. Aux yeux d'Ariane, il y a là un véritable facinus (v. 8). L'aigreur de ces quelques vers contraste directement avec l'innocence de la nature à l'aube, innocence qui reflète la naïveté de l'héroïne. Toutefois, après quelques hésitations, Ariane comprend son sort et elle cède à la tristesse : tum denique fleui (v. 45). Pointe parfois une colère discrète, reportée sur les objets en présence, auxquels Ariane peut s'en prendre, car ils sont là, à la différence de Thésée. Ainsi le perfide lectule du vers 60. À cette errance (aut Ego diffusis erraui sola capillis, v. 49), qui semble complètement irrationnelle, répondent des traits d'esprits plus rationnels. Ariane reconnaît qu'elle est seule sur l'île, comprend que l'île paternelle lui est désormais fermée et que son corps sera exposé sans sépulture. Entre ces considérations réfléchies s'intercalent des peurs démesurées, sans grande logique : peur d'animaux qu'elle n'a guère aperçus, images du retour triomphal de Thésée... Là où Catulle interrompt les pleurs de son héroïne en évoquant son union avec Bacchus, Ovide choisit d'interrompre la missive sur un espoir qui semble vain : que Thésée retourne sa poupe, qu'il revienne. Ariane semble sincère dans ses propos : la dernière conditionnelle se trouve à l'indicatif futur, qui dénote le mode du réel. Comme remploi lexical, on citeraOv., am. 3, 3, 10, où l'aimée est perfida et prête à tromper Ego. Toutefois, il apparaît qu'Ovide n'est pas le poète élégiaque au sens de Properce et Tibulle. Comme il le proclame lui-même dans l'Ars, il est le magister amoris, voletant d'une aventure à l'autre, dont attestent les tribulations d'Ego dans les Amores, tantôt en compagnie de Corinne, tantôt d'une servante, tantôt de Cypassis. Le motif de la trahison n’est sans doute pas le motif le plus prégnant dans les poèmes « personnels » du délicat Ovide, et les parallèles sont dès lors difficiles à établir avec les lamentations des belles abandonnées.

Enfin, et même si ce texte n'est pas à proprement parler élégiaque, Ovide exploite dans les Fastes une fibre originale [31] . En fast. 3, 459-516, le poète innove en effet, en délaissant quelque peu la figure d'Ariane abandonnée par Thésée pour en faire une épouse de Bacchus inquiète quant à la fidélité de son mari, instaurant ainsi un paradigme différent de celui qu'il avait pu exploiter dans les Héroïdes et les Métamorphoses. Cette Ariane « nouvelle » fait appel au sens de l'honneur de Bacchus, qui dès lors doit se montrer sous un jour différent du traître Thésée. Bacchus répond à son adresse, qui n'est plus plaintive et désespérée, mais mature et affirmée, en transformant la couronne de la Gnossienne en constellation [32] .

 

2.3. Hostilité de la mer et du monde extérieur

Une conséquence logique de l'abattement et de la colère que nous venons de détailler est la projection d'affects sur le monde extérieur. Dans la légende d'Ariane, il est intéressant de remarquer que la mer, extrêmement présente dans le décor qui accueille ses plaintes, semble une ennemie dont la dangerosité, nous le verrons, n'est pas sans rappeler la perception qu'en avaient les divers Egos des élégiaques dans leurs relations respectives. Chez Tibulle, à nouveau au livre 3, élégie 6 (voir plus haut), on retient mari ignoto, où l'inconnu comporte forcément une dimension effrayante. Dans ce vers, le flot des larmes répond aux flots de l'Égée. Miroir de la tristesse d'Ariane, la mer telle que « décrite » dans ce bref extrait contribue encore plus à l'isolement de la Crétoise, puisque, comme déjà relevé, l'hypallage fournit ici un effet de sens appréciable.

Chez Properce, et particulièrement en Prop. 1, 3, la mer n'est pas explicitement présente, si ce n'est par « définition inverse » avec les desertis litoribus. Mais il n’y pas ici de connotation expressivement négative par rapport à la mer.

En revanche, il est assez aisé de trouver dans les corpus tibullien et propertien des exemples de références hostiles à la mer, notamment lorsque la question du voyage de l'un des deux amants est évoquée. En outre, il convient ici de rappeler que la dangerosité de la navigation et des périples marins appartient au catalogue des grandes peurs de l’antiquité : si les navires s'en sortent relativement bien en eaux calmes, la moindre tempête suffit souvent à causer le naufrage, sans compter les actes de piraterie, semblables à celui que Suétone, parmi d'autres, relate quand il évoque la jeunesse de Jules César (cfr. Suet., Iul. 4, 1-2 ; voir aussi Vel. Pat. 2, 42, 3 ou Aur. Vict. 78 [33] ). Cet état d'esprit n'a pas influencé que l'élégie, où les bateaux sont incertains (dubiis ratibus, Tib. 2, 3, 45) ; l'épopée en fait aussi bon usage, même si l'intervention divine, dans un genre aussi codifié, est souvent nécessaire : il n'y a qu'à citer Verg., Aen. 1, 81-123 ou bien Stat., theb. 3, 18-32, où la tempête est crainte des navigateurs, sans oublier le célèbre propempticon d’Horace (carm. 1, 3) où le poète met Virgile en garde contre les périls d’un voyage en mer. Dans le corpus élégiaque que nous avons étudié, les flots sont assez fréquemment pris à partie par Ego, ici dans une considération sans tonalité amoureuse particulière, là en relation avec le lien Ego-domina. Ainsi, Tib. 1, 1, 49-50, 55-56 (où le poète oppose l'incertitude de celui qui défie les mers au confort de la proximité avec Délie) :

Sit diues iure, furorem
qui maris et tristes ferre potest pluuias.
[...]
Me retinent uinctum formosae uincla puellae,
et sedeo duras ianitor ante fores.

ou encore Tib. 1, 3, 35-41 (où Ego, bloqué à l'étranger regrette l'éloignement et son voyage) :

Quam bene Saturno uiuebant rege, priusquam
tellus in longas est patefacta uias !
Nondum caeruleas pinus contempserat undas,
effusum uentis praebueratque sinum,
nec uagus ignotis repetens conpendia terris
presserat externa nauita merce ratem.

On peut encore relever Tib. 1, 9, 9-11 ; II, 4, 8-10 (le parallèle avec les stériles rochers de Dia est ici saisissant) ; Prop. 1, 6, 1-10 (c'est Cynthie qui craint l'éloignement marin d'Ego) ; Prop. 1, 8, 1-16 (déjà cité plus haut) ; Prop. 1, 11 [34]  ; I, 17 (déjà cité également, avec ses ignotis circumdata litora siluis) ; Prop. 1, 20, 14 (Gallus doit craindre, dans sa passion pour Cynthie, d'avoir à sillonner des expertos lacus) ; Prop. 2, 16, 1-3 (l'océan n'est pas un danger pour le rival d'Ego, et devient par là son ennemi propre) ; Prop. 2, 26, 1-12 ; Prop. 3, 17, 29 (l'ignota harena qui servirait de sépulture au poète, comme elle l’aurait été pour Ariane si Bacchus ne l’avait pas arrachée à sa solitude).

À noter que Properce, dans la justification de son projet poétique, compare son œuvre à une croisière sur un fleuve tranquille ou bien avec les rivages en vue, tandis que l'épopée, que certains, comme Mécène, l'ont appelé à composer, représenterait le danger d'un voyage en haute mer, assujetti aux vents contraires et au déchaînement des vagues mues par la tempête (voir Prop. 3, 3 et 3, 9).

Quant au poème 64 de Catulle, sa longueur permet au poète de développer un environnement plus touffu, et donc peut-être plus signifiant ; Tibulle ainsi que Properce procèdent davantage par petites touches « décoratives » au sein des quelques vers dédiés à Ariane. Les montagnes de Catulle sont escarpées (praeruptos, v. 126), et lorsqu'Ariane ne les gravit pas, elle tente de aduersas procurrere in undas (v. 128) : les flots lui sont ouvertement hostiles (aduersas) et le mouvement se complète d'un in régissant l'accusatif, comme deux armées marchent l'une contre l'autre (on notera d'ailleurs le mot aciem du vers précédent). Ce paysage forme un deserto litore (v. 133), souvent retenu par les élégiaques pour caractériser les découpes dans la ligne côtière de Dia. Plus loin (v. 152-153), dans son monologue, c'est une autre partie de la nature qui menace la Crétoise : elle est la proie des bêtes et des oiseaux (pro quo dilaceranda feris dabor alitibusque | praeda). Son environnement reste insensible ; les plaintes ne peuvent combattre des ignaris auris (v. 164), aucun mortel ne s'offre à son regard (nec quisquam apparet uacua mortalis in alga, v. 165). Ce sentiment d'hostilité omniprésente, d'étrangeté de la nature qui est contrainte de l'accueillir, culmine aux vers 184-187 :

Praeterea nullo colitur sola insula tecto,
nec patet egressus pelagi cingentibus undis.
Nulla fugae ratio, nulla spes : omnia muta,
omnia sunt deserta, ostentant omnia letum

Il est ici évident que la nature participe au désespoir d'Ariane. C'est là sans doute l'intention du poète, qui recoupe ainsi une tradition fort présente dans la poésie latine, la coïncidence, au sens étymologique, de l'état d'esprit du héros et de son environnement. Pensons à l'épopée, et citons un exemple bien maîtrisé : au livre I de la Thébaïde, la colère de Polynice, exilé, la violence de ses pensées, son désir de pouvoir se doublent d'une tempête aux proportions démesurées, dont le parallélisme a été montré à plusieurs reprises [35] . Au-delà du procédé conventionnel, il faut remarquer son caractère absolu : nul recoin rocailleux n'abrite Ariane, nul animal ne la charme. Tout lui est hostile. Néanmoins, ce sentiment ne semble guère transparaître outre mesure ailleurs dans l'œuvre de Catulle. Tout au plus, au poème 11, les rivages battus par les flots de l'Inde, les hautes cimes des montagnes séparent le poète de Lesbie, dans ce poème qui semble sceller la rupture définitive avec l’ancienne amante. Le Véronais n'utilise pas toutes les ressources de cette opposition Ariane-nature, mais nous verrons plus loin qu'une lecture transversale du corpus, comme elle a déjà été proposée par de nombreux commentateurs, permet à cet élément de comparaison de ne jouer qu'un rôle mineur dans notre propos.

Ovide, dans les Héroïdes, est probablement le poète le plus intéressant à cet égard. L'on sait grâce aux Métamorphoses sa propension à dépeindre un paysage, un lieu sacré tout en en faisant un élément central du récit [36] . Dans l'Héroïde 10, Ariane ouvre son récit par un tableau fort hospitalier (Ov., epist. 10, 9-12) :

Tempus erat, uitrea quo primum terra pruina
spargitur et tectae fronde queruntur aues ;
incertum uigilans ac somno languida moui
Thesea prensuras semisupina manus

La rosée humidifie le sol, les oiseaux chantent : on a là un fragment de locus amoenus, préfigurant presque la reverdie médiévale. Toutefois, le réveil est encore incertain : Ariane est languida somno. D'ailleurs, sa perception du paysage n'est conditionnée que par deux sens : le toucher pour la rosée et l'ouïe pour les oiseaux. Dans sa maîtrise, Ovide nous donne un paysage non pas à voir, mais à toucher et entendre. Comme souvent, c'est le regard qui sera problématique et dévoilera une tout autre nature. Quand Ariane fait appel à sa vue, la douceur du locus amoenus révèle sa tromperie : Luna fuit ; specto siquid nisi litora cernam ; quod uideant oculi, nil nisi litus habent (v. 19-20). Dès lors s'engage une lutte avec son environnement : dans sa course, le sable retient ses pieds (tardat harena pedes, v. 22) ; si les rocs renvoient son cri après Thésée, dans sa confusion, Ariane croit qu'ils veulent la secourir (v. 25-27), ce qui est bien sûr illusoire et ne fait qu'ajouter à son désespoir. L'écho ne lui renvoie en fait que l'image de sa propre solitude. Se précise ici une déception des sens : l'absence est d'abord tactile (le bras d’Ariane étendu en vain), puis visuelle (Thésée ne s'offre plus à sa vue), et auditive (aux cris d'Ariane ne répond que leur écho). La perception du monde extérieur est toujours une tension entre l'attente de l'héroïne élégiaque et l'irréalisation de celle-ci. D'où l'intime sensation d'une hostilité inhérente à l’externus. On notera qu'il y a un élargissement progressif de cette sensation, à l'origine restreinte à un lieu limité et aux seules réponses aux appels sensitifs d'Ariane, mais qui évolue au fil du poème pour s’étendre à l'ensemble de l'île, voire à une part d'invisible, d'imagination désormais sans limite. Elle cite même les dangers qui la menacent :

Occurrunt animo pereundi mille figurae,
morsque minus poenae quam mora mortis habet.
iam iam uenturos aut hac aut suspicor illac,
qui lanient auido uiscera dente lupos.
Forsitan et fuluos tellus alat ista leones ?
et freta dicuntur magnas expellere phocas ;
uis uetat et gladios per latus ire meum ?

Le catalogue concerne d'abord les animaux terrestres (lupos, leones, tigridas). Puis la mer est évoquée, avec phocas. Gladios pose plus problème : certains ont suggéré une possible attaque de pirates. Toutefois, Ovide insiste suffisamment sur l'île abandonnée des hommes et l'étendue déserte des flots léchant la plage. D'aucuns ont suggéré de traduire gladios par « espadon » [37] , hypothèse fort séduisante et qui rejoint notre analyse d'hostilité naturelle, quand d'autres suggèrent un texte corrompu. Un dernier passage étend même le sentiment de menace qui plane sur l’amante délaissée :

Si mare, si terras porrectaque litora uidi,
multa mihi terrae, multa minantur aquae.
Caelum restabat ; timeo simulacra deorum ;
destituor rapidis praeda cibusque feris.

Comme l'analyse A. Hewig [38] , il n'y a pas répétition mais nouveau registre. Selon elle, ce sont les constellations elles-mêmes auxquelles fait référence Ariane. Tout ce qui est externus constitue désormais une menace : « Ariadne thus refers to animals and human beings in the sky, pointing out that she cannot trust 'externi viri' (98) after her experience with Theseus. 'Externus', which normally means 'coming from another country' (e.g. Prop. 1.2.20, Pelops and Hippodameia), is humorously extended to mean 'from another world' [39] . »

 

3. Relativité des parallélismes : le formalisme de la mythologie élégiaque

Il est une caractéristique de l'élégie latine qui doit nuancer le propos que nous avons tenu jusqu'à présent : l'usage particulier de la mythologie fait par les poètes. Ce dernier, sans contredire systématiquement les parallèles que nous avons relevés ou établis, doit néanmoins nous amener à éviter la généralisation excessive de ce qui pourrait n’être, en définitive, qu'un jeu littéraire inconséquent. Heu, c'est le terme qu'ont employé certains auteurs [40] pour caractériser ledit usage. Selon P. Veyne, la mythologie élégiaque, qui rend Properce et Ovide si précieux à notre goût moderne, consistait dans l'antiquité littéraire en un jeu d'initiés plutôt qu'un outil sincère et de ce fait approprié à l'expression de sentiments véritables. Il y avait déjà dissociation entre Ego et le poète ; il y en a désormais une entre l'essence de la relation amoureuse élégiaque et ses avatars mythologiques. Distance encore croissante lorsque l'on considère le fait que le temps mythologique, indéfini, est confondu avec le temps d'Ego, sans qu’aucune limite claire ne l’en distingue. Dans la surabondance de références mythologiques que contiennent les élégies, principalement propertiennes et ovidiennes, la comparaison suinte à ce point qu'Ego et Cynthie, Délie, Corinne, Lesbie sont absorbés dans une temporalité onirique, alors que leurs tribulations amoureuses relèvent bien d’une réalité romaine contemporaine des auteurs. Et puisqu'Ego parle dans l'élégie, la tournure de celle-ci en devient presque parodique d'un grand style poétique mythologique. Dans les Héroïdes, Ovide inverse même le paradigme et donne une tonalité romaine du début de l'empire à des figures féminines légendaires. Les Romains ne croyaient certes pas à la véracité des fables mythologiques, de même que leur religion n'était plus que rituelle, traditionnelle et non spirituelle. « La Fable [...] vaut pour elle-même [41] . » Ego devient parfois prétexte à l'allusion, renversant même la relation de comparaison que l'on a soulignée plus haut, car il est friand de « jeux savants sur un savoir ludique [42]  ».

Il ne faut donc peut-être pas forcer le trait de la comparaison entre Ego, sa domina, Ariane, Thésée, Bacchus. Si les caractéristiques communes sont assez évidentes pour être soulignées et analysées, l'exclusivité de la légende dans le cadre élégiaque est illusoire. En fournissant une référence adaptée à la relation chaotique d'Ego et de sa maîtresse, voire un modèle à partir duquel la description littéraire de ladite relation se dessine, l'épisode de l'abandon invite aussi à ne pas surestimer son importance : c'est avant tout la coquetterie d'un poète savant et désireux de montrer, d'une manière peut-être un peu pédante pour notre sensibilité contemporaine, l'étendue de son érudition mythologique. Comme le résume G. Purnelle, « l'omniprésence de la mythologie dans leur œuvre, l'abondance de leurs recours aux récits mythiques sont fondées sur une évidente complicité de l'auteur et de l'amateur de ce genre de poésie : tous deux étaient férus du sujet et le second, en lisant un poème, prenait à retrouver un thème connu le même plaisir que le premier avait pris à le réécrire [43] . »

 

4. Quant au labyrinthe

Le labyrinthe ne connaît pas une grande fortune parmi les poètes qui nous occupent. Les mentions que nous avons pu en relever concernent les deux pièces les plus longues, l’Héroïde 10 d’Ovide et le carmen 64 de Catulle, qui rappellent, à l’occasion des plaintes d’Ariane, les épisodes précédant l'arrivée à Dia. Ainsi, Ovide évoque au v. 74 le tecto recuruo, puis mentionne au v. 130, sur un hexamètre, sectaque per dubias saxea tecta uias. On a dans cette dernière citation l'impression que le labyrinthe est un palais souterrain, mais dont l'essentiel est bien entendu le dubias, à l'image des promesses de Thésée à Ariane. Lorsqu'interviennent lesdites mentions, le spectre de l'abandon suit toujours. Il est d'ailleurs un parallèle troublant que nous devons souligner, au vers 134, avec les mots auctores saxa fretumque tui. Ces propos sont assez difficiles à saisir. Faut-il comprendre une allusion à une tradition qui fait de Thésée le fils de Neptune, ou est-il possible d'interpréter ces quelques mots au regard de l'épisode d'Ariane ? Nous pencherions pour la seconde hypothèse, en soulignant que ce sont les mêmes rochers et flots qu'Ariane pense être ses ennemis mortels. Par ailleurs, on se souvient que le labyrinthe est évoqué par Ovide comme des saxea tecta. Suivant cette seconde interprétation, même si nous ne pouvons l'appuyer d'une référence, le labyrinthe deviendrait un acteur de l'histoire d'Ariane et Thésée intégré au topos élégiaque chez Ovide. Les pierres du dédale et les flots qui permettent la fuite de Thésée et de la Crétoise seront plus tard les agents mêmes de leur séparation.

Le labyrinthe intervient aux vers 114 et 115 du grand chant de Catulle : ne labyrintheis e flexibus egredientem | tecti frustraretur inobseruabilis error. Son évocation est aussitôt interrompue par le poète désireux de revenir au sujet premier de son ekphrasis.

D'une manière assez relâchée, on pourrait comparer les errances d'Ariane sur son piton rocheux à une sorte de miroir du parcours de Thésée dans l'édifice de Cnossos, à cette différence que le héros athénien bénéficie d'un guide, de ce fil qui lui assure une sortie aisée, tandis que la Gnossienne est condamnée à errer sans repères, tant physiquement (les poètes détaillent ses courses vaines sur la plage, ses ascensions sur les promontoires rocailleux) qu'intérieurement (Ariane bascule entre le souvenir de sa Crète natale, de sa rencontre avec Thésée et de ses promesses, et les anticipations parfois exagérées de son destin futur).

 

5. Conclusion : Ariane et l'élégie, un surcodage

On l'a vu, il s'agit de relativiser l'application du modèle mythique à la poésie du distique. Moins peut-être que l’épopée, l’élégie reste néanmoins un genre codifié et possédant ses propres topoi, et n’échappe donc pas à quelque artificialité lorsqu'intervient la composante mythologique. Cependant, il nous apparaît que la légende d'Ariane, et principalement son abandon peut être lu comme ce que M. Watthee-Delmotte, à la suite d'autres, appelle un surcodage. La présence du mythe dans l'élégie est double, à la fois de façon explicite, lorsque les auteurs citent ou relatent les événements mythiques, et de façon plus discrète. Ce dernier usage peut être perçu à travers l’écho des caractéristiques de la version la plus globalement admise de la légende à plusieurs niveaux d'intégration : typologique ou thématique et lexical. Il semble que l'imaginaire de l'abandon élégiaque fasse de l'épisode de Dia un modèle paradigmatique, dont, peut-être, les lecteurs ou auditeurs avaient souvenance en prenant connaissance des déboires d'Ego dans sa relation avec sa compagne. Toutefois, une telle interprétation suppose l'inversion de la relation générique légendaire pour s'appliquer au sujet parlant. Face à cette difficulté, il est raisonnable de croire que les poètes élégiaques, à l'intérieur de leur œuvre ou bien en référence à un modèle commun [44] , se sont essayés à proposer une même tonalité quand l'abandon se fait sentir, une même tonalité quand il s'agit de condamner la trahison de la perfide, une même tonalité lorsque même les éléments extérieurs paraissent concourir à un malheur intérieur. Bien entendu, toute analyse littéraire, surtout à une telle distance chronologique, doit se comprendre comme potentialité, et non comme affirmation. Il ne s'agit pas véritablement de questionner l'intentionnalité de l'auteur, mais plutôt d’analyser structurellement l’emploi de la grille mythique à l’intérieur d’un genre littéraire, en l’occurrence l'élégie. Les multiples convergences que nous espérons avoir mises en exergue pourraient contribuer à une juste compréhension d’un tel modèle distancié.

 

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[1] Barthes R., Fragments d’un discours amoureux, Paris, Seuil, 1977 (Collection « Tel Quel »), p. 19.

[2] Féron A., « Lamento d’Ariane, Monteverdi (Claudio) », in Encyclopédie Universalis, édition DVD, version 16.0, Paris, Universalis, 2011.

[3] Il sera aussi question d'œuvres hors du champ de l'élégie lorsque nous parlerons d'Ovide, de façon restreinte néanmoins. — Nous entendons ici nous limiter, pour diverses raisons, à quatre auteurs : Catulle, Ovide, Tibulle et Properce. Le but de ce travail n'est pas l'exhaustivité des actualisations du mythe dans l'élégie latine, et nous délaissons ici des élégiaques relativement « mineurs », comme la poétesse Sulpicia. L'autre raison de la susdite restriction est que ces quatre auteurs nous laissent un corpus plus ou moins cohérent, ce qui est indispensable à notre propos, comparatif par essence. Si nous sommes par ailleurs conscient que le livre III du Corpus Tibullianum est collégialement attribué à un certain Lygdamus, son association constante aux poésies dites authentiques justifie à nos yeux son maintien dans notre corpus.

[4] C'est pourquoi nous citerons fréquemment des passages des auteurs concernés pour appuyer notre propos. Les éditions utilisées sont reprises dans la bibliographie en fin de dossier.

[5] Landolfi L., « Le molte Arianne di Ovidio. Intertestualità e intratestualità in ‘Her.’ 10 ; ‘Ars’ 1, 525-564 ; ‘Met.’ 8, 172-182 ; ‘Fast.’ 3, 459-516 », in Quaderni Urbinati di Cultura Classica, New Series, vol. 57, no. 3, 1997, pp. 139-172, développe une partition beaucoup plus détaillée, mais elle le contraint à un long développement rien que pour les occurrences du personnage chez Ovide. Nous avons préféré conserver une division pertinente mais relativement simple.

[6] Alfonso S. et alii, Il poeta elegiaco e il viaggio d’amore. Dall’innamoramento alla crisi, Bari, Edipuglia, 1990 (Scrinia. Collana di studi classici diretta da Paolo Fedeli e Giovanni Cipriani. 3), pp. 157-205.

[7] La tradition qui veut qu'Ariane a été abandonnée à Naxos n'est pas présente chez Catulle ou Ovide, qui situent son abandon à Dia. Homère déjà avait lié le nom de cette île à l'épisode qui nous occupe. Toutefois, au IIème siècle p.C.n., le Pseudo-Apollodore (Epitomè, I, 9) parle de Naxos lorsqu'il traite des aventures de Thésée.

[8] Les éditions des textes utilisées sont reprises dans la bibliographie en fin de dossier.

[9] Voir plus bas également le paragraphe sur l'hostilité de la composante maritime.

[10] Catulle y fait allusion, même si, à notre avis, ce n'est pas là le centre de son récit dans le poème 64. En effet, le récit est enserré dans le cadre des plaintes d'Ariane, et Catulle procède, pour rappeler les événements précédents, justement par allusion plutôt que par relation.

[11] Nymphe fille du fleuve Termesse, associée à une source consacrée aux Muses au pied de l'Hélicon, en Béotie.

[12] Si le dieu épouse le plus souvent Ariane, notamment dans la poésie, fort encline à une union à caractère divin (voir notamment le catastérisme de la couronne de la Crétoise chez Ovide, en met., VIII), et ce dès Hésiode (theog. 947, 949), d'autres traditions existent : Homère fait mourir la princesse sous le coup d'Artémis (od. 11, 321 sqq.) ; Plutarque (Thésée, 20) se montre le plus complet, en évoquant une union avec Oenarios, prêtre de Dionysos à Naxos, un abandon à Chypre en raison de sa grossesse, dont elle meurt sur l'île, ou encore un dédoublement d'Ariane et de Minos, qu’attesteraient des traditions naxiennes.

[13] Veyne P., L’élégie érotique romaine. L’amour, la poésie et l’Occident, Paris, Seuil, 1983, pp. 61-62.

[14] Ibid., p. 62.

[15] Gardner H., « Ariadne’s Lament : the Semiotic Impulse of Catullus 64 », in Transactions of the American Philological Association, vol. 137, no. 1, 2007, pp. 147-179.

[16] Ibid., p. 168.

[17] Alfonso S. et alii, op. cit., p. 168.

[18] Daniels M., « Personal Revelation in Catullus 64 », in The Classical Journal, vol. 62, no. 8, Classical Association of the Middle West and South, May 1967, pp. 351-356.

[19] Bolton M., « The Isolating Effect of Sola in Heroides 10 », in Phoenix, vol. 48, no. 1, 1994, pp. 42-50.

[20] Ibid., p. 42. Nous traduisons.

[21] M. C. Bolton discute la tradition de l'arrivée de Dionysos dans la conclusion de son travail (Bolton M., op. cit., p. 50, note 22).

[22] Ou de son prêtre dans d'autres versions.

[23] Ibid., p. 48.

[24] Le rôle de l'environnement dans l'épisode de Dia est évoqué plus bas.

[25] Ibid., p. 50.

[26] À ce titre, elle renvoie à Cynthie, en devient presqu'une extension que les ressources de la personnification diluent un peu. Il y a ainsi une opposition entre Ego et un « monde » de la dame, en tous points ennemi.

[27] Murgatroyd P., « The Similes in Catullus 64 », in Hermes, vol. 125, no. 1, Berlin, 1997, p. 75.

[28] Gardner, op. cit., p. 164-165.

[29] Balland A., « Structure musicale des plaintes d’Ariane dans le Carmen LXIV de Catulle », in Bulletin de l’Association Guillaume Budé, S. 4, 1961, pp. 217-225.

[30] Daniels, op. cit. ; Murgatroyd, op. cit.

[31] Landolfi, op. cit. pour une étude plus complète de la variété du personnage chez le poète des Métamorphoses.

[32] Rutledge E., « Fasti 3. 459-516 : Ariadne Revisited », in Maia. Rivista di letterature classiche, NS, fasc. II, anno XXVIII, mai-août 1976, pp. 125-126.

[33] Ward A., « Caesar and the Pirates », in Classical Philology, vol. 70, no. 4, Chicago, The University of Chicago Press, 1975, pp. 267-268.

[34] Khan H., « Sea-symbolism in Propertius 1,11 », in Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae, t. 16, 1968, pp. 253-256.

[35] Moreland F., « The Role of Darkness in Statius : A Reading of ‘Thebaid’ I », in The Classical Journal, vol. 70, no. 4, 1975, p. 20-31.

[36] Songeons ici à met., III, 138-252 et à Vallis erat piceis et acuta densa cupressu qui est le théâtre du drame d'Actéon. Les exemples abondent.

[37] Hewig A., « Ariadne’s Fears from Sea and Sky (Ovid, Heroides 10.88 and 95-8) », in The Classical Quarterly, New Series, vol. 41, no. 2, 1991, p. 555.

[38] Ibid.

[39] Ibid., p. 556.

[40] Veyne P., op. cit., pp. 130-146.

[41] Ibid., p. 135.

[42] Ibid., p. 139.

[43] Purnelle G., « La répartition des noms propres dans les Héroïdes d'Ovide », in Revue Informatique et Statistique dans les Sciences humaines, XXVI, 1 à 4, C.I.P.L., Université de Liège, 1990, p. 203.

[44] Catulle est souvent perçu comme l'écrivain latin emblématique de la légende d'Ariane, ne fût-ce, bien sûr, que parce qu’il en a le premier donné la version que l’on sait.

 


[Déposé sur la Toile le 2 février 2014]


FEC - Folia Electronica Classica - Numéro 27 - janvier-juin 2014

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