FEC -  Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 26  - juillet-décembre 2013


 

Des statues et un miroir. Chapitre 2 : Mirabilia urbis Romae

 

G. La place des statues magiques dans la tradition des Mirabilia urbis Romae

 

Jacques Poucet

Professeur émérite de l'Université de Louvain
Membre de l'Académie royale de Belgique
<jacques.poucet@skynet.be>

 

Avec la tradition  du Roman des Sept Sages de Rome, celle des Mirabilia Romae est la plus longue et la plus complexe de celles dont nous aurons à traiter. Comment s’y présente le motif des statues magiques ? Résumons son histoire.

Le motif se rencontre d’abord dans la notice que les Mirabilia primitifs et la Graphia consacrent au Panthéon, à sa fondation par Agrippa et à sa consécration par Boniface. Elles y sont clairement localisées au Capitole, mais pareille présentation faisait courir le risque qu’un lecteur ou un rédacteur inattentif puisse les croire installées au Panthéon.

Un peu plus tard le texte que compile Rosell remettra en quelque sorte les statues « à la bonne place », en les introduisant dans sa notice sur le Capitole, mais sans les supprimer dans celle qu’il consacrait au Panthéon. Le motif apparaissait dès lors deux fois dans la tradition des Mirabilia : une fois à propos du Panthéon, une autre fois à propos du Capitole. Cette double mention se retrouvera chez Jean d’Outremeuse qui a assez fidèlement suivi ce qu’il trouvait chez Rosell, mais les deux auteurs plaçaient correctement les statues au Capitole.

Le risque de confusion toutefois subsistait. La tradition des traductions allemandes des Mirabilia y tombera. Dans cette branche, le motif des statues magiques disparaît totalement de la notice sur le Capitole pour n’être plus présent que dans celle sur le Panthéon. Mieux encore (si l’on peut dire), la substance originelle de la notice du Panthéon s’efface (presque complètement dans certaines versions) pour faire une large place (toute la place dans certaines versions) au motif des statues. C’est manifeste aussi bien dans la source latine (L 186, fin XIVe) que dans les deux Leittexte (D 69, XVe et D 13, fin XIVe-début XVe). Apparemment, la tradition « allemande » des Mirabilia avait développé une sorte de lien privilégié entre les statues et le Panthéon. On verra que ce lien se retrouvera, ailleurs : chez des chroniqueurs allemands des XIIe et XIIIe siècles ainsi que dans La légende dorée de Jacques de Voragine (2e moitié du XIIIe siècle).

Que dire encore ?

Cette tradition présente une indiscutable cohérence, dans sa structuration en tant qu’ensemble bien sûr, mais aussi dans le détail de chaque notice. C’est en tout cas vrai de ce qui concerne le motif des statues. Plusieurs éléments ont toutefois connu une évolution plus ou moins sensible qu’on peut suivre depuis le milieu du XIIe siècle jusqu’au XVe.

C’est le cas par exemple de ceux qui touchent à la disposition des statues, à leur identification ou à leur gestuelle. On y décèle une évolution très sensible dont une bonne partie peut d’ailleurs s’expliquer sans faire intervenir des influences « extra-traditionnelles ». Il suffit de mettre en avant le souci légitime que pouvaient avoir les différents rédacteurs des Mirabilia de rendre plus compréhensible et plus concret, en le détaillant et en le précisant, un récit au départ très ou trop schématique.

Des données plus significatives même – c’est-à-dire relevant moins du détail – peuvent également s’expliquer par l’évolution qui se joue à l’intérieur de la tradition des Mirabilia. C’est le cas par exemple du déplacement des statues magiques du Capitole vers le Panthéon, si caractéristique des traductions allemandes et de leur source. Ce changement de lieu n’implique pas nécessairement l’influence d’éléments extérieurs à la tradition. Une légende contient en elle-même bien des facteurs rendant sa transformation possible.

 

Il serait toutefois naïf de croire que la tradition des Mirabilia Romae a toujours évolué en vase clos. Deux de ses témoins importants, Maître Grégoire et Jean d’Outremeuse, sont la preuve du contraire. Et sur le problème qui nous occupe, le premier s’est d’ailleurs écarté davantage que le second d’une tradition à laquelle ils appartiennent pourtant tous les deux.

Nous n’avons pas assez dit en effet que la tradition des Mirabilia Romae et celle, plus ancienne, des Miracula mundi (« les Merveilles du monde »), étaient les seules en cause. La littérature médiévale a conservé le souvenir d’autres traditions, que nous aurons à passer en revue dans les chapitres suivants. Il apparaîtra très vite que plusieurs d’entre elles étaient pratiquement aussi anciennes que celle des Mirabilia Romae, qu’elles proposaient des visions différentes de celle-ci et que, sur certains points en tout cas, elles ont même réussi à l’influencer.

Ainsi c’est l’une de ces traditions « extérieures » qui expliquera sans difficulté les positions plutôt marginales adoptées par Maître Grégoire dans sa Narracio. Et, pour prendre le cas de l’insistance originale mise sur Virgile par Jean d’Outremeuse, nous constaterons que très tôt, presque à l’époque des Mirabilia primitifs, circulaient déjà des listes énumérant des merveilles virgiliennes, au nombre desquelles figurait le motif des statues magiques aux clochettes.

Mais n’anticipons pas. Nous voulons simplement souligner que la tradition des Mirabilia Romae est loin d’être la seule, avec les Miracula mundi, à avoir intégré le motif des statues magiques.

 

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