FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 15 - janvier-juin 2008


Mémoire et dévotion

dans la célébration poétique des martyrs chez Prudence

Paul-Augustin Deproost

Département d'Études grecques, latines et orientales
Faculté de Philosophie et Lettres
Université catholique de Louvain (UCL)
<paul.deproost@uclouvain.be>


Cet article vient de paraître dans un recueil collectif édité par Paul-Augustin Deproost, Laurence van Ypersele et Myriam Watthee-Delmotte, Mémoire et identité. Parcours dans l'imaginaire occidental, UCL. Presses universitaires de Louvain, 2008, p. 357-375 (ISBN 978-2-87463-131-3). Ce livre est l'aboutissement d'un programme de recherche et de publications transdisciplinaires mis en place par le Centre de recherche sur l'imaginaire de l'Université catholique de Louvain, dans le cadre d'une « Action de recherche concertée » menée pendant cinq ans par les auteurs du livre autour du thème « Héroïsation et questionnement identitaire en occident » ; outre les actes du colloque de clôture de ce programme de recherche, l'ouvrage rassemble quatre gros articles rédigés en commun par les éditeurs du volume et qui impliquent pour partie l'antiquité : Archétype, mythe, stéréotype : pour une clarification terminologique ; Héros et héroïsation : approches théoriques ; Violence et autorité ou l'impossible désunion ; Le pouvoir de la parole.

 

[Déposé sur la Toile le 12 décembre 2008]


 

Publié autour des années 400, le recueil lyrique du poète Prudence Peristephanon ou « Sur les couronnes » rassemble quatorze hymnes de longueurs et de mètres divers, qui célèbrent des martyrs majoritairement espagnols et romains. En réponse à l’engouement de ce temps pour la diffusion du culte liturgique, littéraire et monumental des martyrs, ce livre s’inscrit dans une tradition poétique récente qui avait commencé avec les inscriptions hexamétriques du pape Damase sur les tombeaux des principaux martyrs romains et plusieurs hymnes d’Ambroise de Milan en l’honneur de saints milanais ou romains [1].

À cette époque marquée par l’avènement de la dynastie théodosienne qui scelle la réconciliation entre le christianisme et l’Empire, la célébration des martyrs apparaît, en effet, comme un des vecteurs les plus efficaces de ce large mouvement, car elle est l’occasion de manifester concrètement sur le lieu même de la passion ou du tombeau des saints les images de refondation et de transfert qui animent toutes les formes d’expression de cette génération. Il s’agit moins désormais de contester les valeurs antiques, au premier rang desquelles les valeurs héroïques, que de leur donner un sens nouveau, sinon de les instrumentaliser au service d’une nouvelle conception des rapports publics et privés entre l’humain et le divin, entre les morts et les vivants. Dès le Nouveau Testament, les mystères de l’Incarnation et de la Résurrection du Christ ont, en effet, rompu les anciennes frontières entre la vie et la mort et induit des proximités inédites entre Dieu et les hommes. À la suite du Christ, les martyrs ont illustré cette nouveauté radicale qui désamorce les anciennes peurs liées à la mort, promue, chez Prudence, au rang de « sacrement », car elle fait directement entrer les saints dans « l’amitié » du Christ [2]. En confessant sa foi par une mort violente, le martyr devient le modèle privilégié d’une geste de salut fondée non plus sur les labores d’un héros vivant, en quête de gloire parmi les vivants, mais sur les épreuves d’un homme mort entré dans l’intimité de Dieu pour réaliser ce qu’aucun héros ne pouvait faire avant lui : intercéder auprès de ses frères mortels grâce au lien établi entre Dieu et l’homme à l’endroit même du supplice, de la tombe, des restes d’un corps mort. Contrairement au héros antique, attristé à l’idée de la mort, le martyr chrétien « aime la mort », à l’image de la jeune Eulalie ; il devient héros par sa mort, qui se doit, dès lors, d’être spectaculaire, exemplaire, quand elle n’est pas désirée jusqu’à la jouissance, comme dans la passion de la vierge Agnès qui attend en son bourreau « l’amant qui lui plaît » [3].

Cette réorientation des valeurs héroïques n’est pas sans incidence sur les modalités de la mémoire qui en détermine le récit ou la célébration. Tout d’abord, les hymnes de Prudence n’ont pas pour objet d’écrire une biographie des martyrs ; la vie du saint intéresse moins le poète que ses derniers instants, ses dernières paroles, l’ultime combat qu’il mène non pas pour vivre mais pour mourir, et cela dans une perspective qui ne cherche pas à établir la vérité historique des faits, mais la « vérité spirituelle » à partir de laquelle peut s’exercer la dévotion des fidèles. Ensuite, pour raconter cette mort glorieuse, le poète doit se référer à des traditions littéraires et philosophiques qui valorisent la souffrance ou en tout cas sa mise en scène ; et, à cet égard, les martyrs de Prudence se comportent généralement comme des héros stoïciens inspirés par le souvenir des personnages tragiques de Sénèque chez qui les déchirements de l’âme ou de la chair sont le mode d’être le plus commun, quand ils ne sont pas, comme pour Œdipe, une manière de rédemption. Sans compter que ces références implicites croisent de nombreux modèles bibliques de vaillance face à la mort depuis Abel et Isaac dans la Genèse jusqu’à saint Étienne, le premier martyr chrétien, dans les Actes des apôtres, en passant par les Macchabées et, bien sûr, l’exemplum absolu du Christ qui les justifie tous. Enfin, les reliques et le tombeau des martyrs sacralisent des lieux et des temps concrets de mémoire où se manifestent spécialement la présence et l’intercession de ceux que Peter Brown appelle les « amis de Dieu », mettant ainsi sur les routes des foules de pèlerins qui ont largement contribué à dessiner la géographie spirituelle sinon politique et économique de l’occident chrétien [4].

À quelques rares exceptions près, la mémoire des faits est sans doute celle qui échappe le plus à Prudence. En février 303, dans la foulée de l’interdiction du culte chrétien, le premier édit de persécution de l’empereur Dioclétien avait, en effet, confisqué et détruit tous les biens matériels des communautés chrétiennes, y compris leurs livres et leurs archives, provoquant ainsi un naufrage documentaire qui laissait à la seule tradition orale le soin de perpétuer le souvenir des saints martyrs. Si les passions de Fructueux de Tarragone (perist. VI), Quirinus de Siscia (perist. VII) ou Cyprien de Carthage (perist. XIII) se fondent sur des actes en prose assez fiables, les autres poèmes du recueil de Prudence reposent effectivement sur des traditions souvent lacunaires sinon approximatives ou franchement fantaisistes [5]. De ce point de vue, Prudence donne le ton dès la première hymne, dont il reconnaît qu’elle a été écrite en l’absence de toute tradition suite à la destruction des actes du procès, laissant ainsi entendre que la base historique de ses passions poétiques pourra être insignifiante, sinon inexistante : « Ô négligence oublieuse d’un passé silencieux ! Ces faits nous sont refusés et leur renommée elle-même s’est éteinte, car jadis un fonctionnaire impie a confisqué les documents pour empêcher que les siècles, instruits par ces écrits fidèles, répandissent, en de douces paroles, parmi les oreilles de la postérité, ce qui avait été transmis sur le déroulement, la date et les modalités de cette passion [6]. » À la fin de l’hymne X consacrée au martyr Romain d’Antioche, Prudence rapporte que les documents où le préfet a relaté tous les événements du supplice ont été réduits en poussière, alors que « la page écrite par le Christ est immortelle », car « dans les cieux, aucune lettre ne s’efface » [7].

Dans l’ordre de la vérité historique, Prudence n’est donc pas à l’abri de reconstitutions hasardeuses, comme lorsque, dans l’hymne XI sur la passion d’Hippolyte de Rome, il confond des traditions diverses liées à d’autres martyrs du même nom, ni même à l’abri d’erreurs manifestes, lorsqu’il fait du même Hippolyte un compagnon du schisme de Novat, alors que le martyr est mort une quinzaine d’années avant cette dissidence. Les discours des martyrs sont entièrement recomposés sinon inventés : ainsi, par exemple, le prolifique discours de Romain dans l’hymne X relève-t-il du plaidoyer rhétorique contre les païens, plus proche de la grandiloquence apologétique des deux livres Contre Symmaque que de la simplicité d’une profession de foi. La manipulation peut aller jusqu’à la description du supplice lui-même, émaillé de plaisanteries, de bons mots, de comportements caricaturaux ou de miracles divers qui relèvent au mieux de traditions apocryphes quand ils ne sortent pas tout droit de l’imagination personnelle du poète. D’un poème à l’autre, les attitudes respectives du saint et de ses tortionnaires opposent des stéréotypes qui ne sont en aucun cas confirmés par un quelconque témoignage authentique, comme la jubilation du martyr éventré, le maintien provocateur du saint face à la torture, l’arrogance des juges, la fatigue du bourreau qui n’arrive pas à bout de sa victime, etc. Et lorsque toute information avérée lui fait défaut à propos du supplice souffert par un martyr, Prudence n’hésite pas à relayer des légendes populaires, comme celle de l’écartèlement d’Hippolyte, dont la foule haineuse reconnaît qu’il est « un genre de mort inhabituel, une invention nouvelle en fait de châtiment » ; en l’occurrence, le martyre d’Hippolyte avait laissé un souvenir tellement imprécis que la tradition s’est inspirée de l’étymologie de son nom pour lui infliger d’être brisé par des chevaux sauvages : « Qu’il soit donc Hippolyte », proclame le juge de Prudence au moment de le condamner [8] . Quant à la légende des trois cents martyrs de la « Masse blanche » brûlés dans une fosse remplie de chaux vive, dans l’hymne XIII, il s’agit d’une tentative d’expliquer le toponyme de Massa candida, une propriété voisine de la ville africaine d’Utique où avaient été ensevelis des martyrs dont parle aussi saint Augustin, mais sans jamais faire allusion au supplice raconté par Prudence.

Est-ce à dire que le récit reconstitué par Prudence relève alors de la pure imagination romanesque ? Sans doute oui, si l’on veut y chercher une documentation utilisable pour raconter l’histoire des persécutions. En revanche, il est une contribution décisive à la manière dont la dévotion chrétienne s’est emparée du témoignage des martyrs pour diffuser une certaine conception de la vie parfaite, dans l’ordre des valeurs individuelles, et proposer, dans l’ordre des valeurs collectives, de nouveaux modèles de concorde civile ou sociale autour du culte qui leur est rendu. De ces deux points de vue, les martyrs prennent la relève des héros mythiques qui avaient fondé, promu et illustré les valeurs humaines et citoyennes de l’antiquité. Mais les martyrs ont sur eux un immense avantage qui a enflammé le développement de cette nouvelle spiritualité : même si leur casier hagiographique n’est pas toujours très étoffé, ils ont été, en effet, hommes parmi les hommes ; ils ont vécu dans le temps des hommes ; ils ont laissé sur la terre des reliques que l’on peut encore voir sinon toucher ; ils proposent donc des exemples concrets et imitables de foi et de perfection qui réduisent d’autant l’écart entre Dieu et les hommes.

Encore fallait-il organiser cette spiritualité dans une célébration qui fût, elle aussi, accessible aux hommes de ce temps. C’est ici qu’intervient tout le travail du poète lorsqu’il active le souvenir de ses personnages dans d’autres formes de mémoire qui leur donnent chair. Et tout d’abord, comme je le rappelais en liminaire, Prudence ne souhaite pas rompre avec le modèle héroïque qui avait nourri la culture antique. En effet, si, à bien des égards, le martyr dépasse le héros ancien, il n’en conserve pas moins les noms épiques de uir ou d’heros qui lui donnent un statut de guerrier triomphant [9]. Écrite dans le mètre particulier du carmen triumphale, la première hymne à deux martyrs militaires espagnols donne littéralement la mesure d’un recueil poétique traversé par le vocabulaire et l’imagerie triomphalistes caractéristiques de l’époque théodosienne. Au même titre que le héros épique, le martyr exerce sa uirtus dans le combat de son supplice, où il illustre toutes les valeurs morales liées à l’image du soldat fabriquée par l’idéologie romaine de la victoire : courage, endurance physique, résistance aux blessures, exigence de fidélité, toutes qualités qui lui méritent finalement d’être « invaincu », « vainqueur » ou de « triompher », comme l’empereur, et même, le cas échéant, de continuer à manifester sa uirtus au-delà de la mort dans les miracles et les reliques qui perpétuent sa présence [10]. Comme dans l’épopée, le saint emploie sa valeur à obtenir la victoire dans des confrontations souvent réduites à des combats singuliers, à la différence, cependant, qu’il y est opposé non plus à un ennemi de même qualité, mais au « tyran » que les lieux communs rhétoriques et le théâtre de Sénèque avaient chargé des plus noirs défauts : insensé, farouche, emporté, arrogant, impie, cruel, … [11]. Quant à l’issue de ces combats manichéens, elle s’impose, bien entendu : « Je suis vaincu », gémit l’« ennemi sanguinaire » d’Agnès avant de la livrer définitivement à l’épée du bourreau [12]. Et la métaphore guerrière est plus qu’un simple lieu commun lorsqu’elle implique d’anciens soldats de l’Empire, comme les frères d’armes de la première hymne, qui ont renoncé aux « drapeaux de César » pour leur préférer l’« enseigne de la Croix ». Ils choisissent alors de contester l’ordre du prince qui leur enjoint d’être des « déserteurs du Christ », et « leur valeur, habituée à la guerre et aux armes, sert désormais les autels », où le verbe militare exprime bien la dimension militaire de ce nouveau service [13]. L’idéal guerrier de l’épopée reste bien présent, mais il est entièrement intériorisé, sinon perverti, dans un nouvel idéal d’objection de conscience où la résistance au tyran prend la forme d’un renoncement militant à la violence armée, car « ils estiment [désormais] qu’il est vil de souiller leurs mains impies de carnages sanglants » [14].

On pourra s’étonner d’un tel discours sous la plume d’un poète qui fut aussi un haut fonctionnaire de l’empereur « très chrétien » Théodose et qui avait, par ailleurs, rendu un hommage appuyé à l’idéologie romaine de la Victoire depuis que les étendards de l’Empire étaient frappés du nom du Christ après la bataille du Pont Milvius [15]. Mais le paradoxe n’est qu’apparent. En l’occurrence, nonobstant le fait que les martyrs militaires de Prudence ont renoncé à continuer de servir un prince païen, il s’agit surtout de proposer à la dévotion des fidèles, en particulier celle des soldats chrétiens qui hésitent à faire le pas du service exclusif de Dieu, moins un modèle de désobéissance militaire qu’un modèle de conversion à une « militance » jugée supérieure et qui permet de résoudre, sur le mode de la continuité, les contradictions entre le service mondain de la militia Caesaris et la nouvelle vaillance spirituelle de la militia Christi. Le martyr militaire radicalise le mot d’ordre ascétique du « mourir à soi-même » dans l’exemplum d’une mort glorieuse qui doit aider à reconfigurer la foi militante du chrétien de l’époque théodosienne.

Dans la foulée de cette militarisation du combat martyrial, Prudence développe des thèmes héroïques connexes, comme le compagnonnage guerrier ou l’exaltation triomphale du martyr. Ici encore, la première hymne du recueil a une valeur programmatique. Elle célèbre deux martyrs espagnols, Emeterius et Chelidonius de Calahorra, « liés de tout temps par une fidèle camaraderie », qui, tout à la fois, croise les couples de frères d’armes dans l’épopée antique et préfigure les nouvelles formes de fraternité chrétienne vécue dans les communautés monastiques ou ascétiques [16]. Ce premier couple espagnol inaugure d’autres passions collectives, qui connotent la fraternité martyriale d’images civiles ou politiques : dans l’hymne IV, les dix-huit martyrs de Saragosse constituent un nouveau « Sénat » pour la cité qui les a enrôlés à son service ; dans l’hymne VI, la Trinité divine « couronne la citadelle » de Tarragone du triple martyre de son évêque Fructueux et de ses deux diacres, telle cette Ville couronnée de tours dont Anchise annonçait la destinée à son fils Énée, telles aussi les images officielles des quatre capitales d’Empire, surmontées d’une couronne tourelée dans l’iconographie monétaire [17]. Panégyrie urbaine et idéologie militaire sont réunies dans le « triomphe » romain des apôtres Pierre et Paul célébré dans la douzième hymne du recueil à l’occasion de la fête du 29 juin : à une année de distance, « le même jour les a l’un et l’autre couronnés du laurier d’une mort altière » et a consacré le gazon du Tibre d’un « double trophée » ; mais ce double martyre signe aussi les épousailles de Dieu et de Rome dans la personne de l’empereur devenu chrétien, car « alors que le Père céleste paie la double dot de la foi, le prince la donna à la vénération de la ville en toge ». Pour Prudence, les basiliques majeures de la voie d’Ostie et du Vatican perpétuent, en effet, le souvenir de la collatio dotis, acquittée par Dieu dans le martyre des deux apôtres auprès de son épouse, l’Vrbs togata dont Jupiter avait prophétisé l’avènement à Vénus après la promesse d’accorder aux Romains un empire sans fin [18].

Uniformément, la récompense du martyr est son élévation auprès de Dieu, au terme d’une ascension céleste qui permet à ces « héros illustres d’être emportés dans les astres » ; en l’occurrence, les martyrs de Tarragone montent au ciel, suivis des yeux par un garde du gouverneur qui « aperçoit de sa maison le ciel grand ouvert pour les martyrs », comme l’avait aperçu jadis Étienne, le premier d’entre eux, avant d’être lapidé [19]. L’âme de la jeune Eulalie s’élance gracieusement de sa bouche et « on la voit suivre les astres » [20]. Plus proche encore du thème platonicien de l’envol de l’âme libérée du corps, celle de Romain gagne le ciel « délivrée de ses chaînes » [21]. Quant au cœur de Cassien, « du haut de l’éther, après avoir pris en pitié son combat, le Christ ordonne qu’en soient déliés les liens » ; la délivrance du martyr corrige ici ce qu’avait de désespéré le long et difficile trépas de Didon lorsque Junon la prit aussi en pitié et que, de l’Olympe, elle lui envoya Iris, la déesse de l’arc-en-ciel, pour « libérer son âme en lutte et dénouer les liens du corps » [22]. « Dégagée, l’âme d’Agnès s’élance et bondit librement dans les airs » ; elle s’y promène sur un chemin étoilé où elle contemple d’en haut les ténèbres du monde qui roulent sous ses pieds [23]. Alors qu’il effrayait encore la Clytemnestre de Sénèque, « l’affreux tourbillon des choses » n’a plus de prise sur Agnès en ce voyage céleste qu’elle vient d’annoncer en même temps que ses noces avec le Christ : « Épouse du Christ, je m’élancerai à travers toutes les ténèbres du ciel, plus haut que l’éther », précisant aussitôt qu’autrefois les portes du ciel étaient fermées aux fils de la terre. Consciemment ou non, ce déni semble ignorer les propos amers de Junon dans le prologue de l’Hercule furieux de Sénèque : « Poussée hors du ciel, j’ai cédé la place aux concubines » ; car ce « voyage de noces » parmi les constellations n’était pas aussi inédit que le prétend Agnès : de Callisto aux filles d’Atlas, Jupiter avait déjà ouvert les portes du ciel pour les mortelles qu’il avait aimées et leur progéniture bâtarde [24]. À la suite du Christ dans le mystère de son Ascension, les martyrs de Prudence trouvent ainsi le chemin du Royaume des cieux sur une route qui rencontre plus concrètement celle des catastérismes mythologiques, mais aussi l’apothéose astrale qui avait récompensé les grandes âmes romaines de Romulus à Jules César, dans les Métamorphoses d’Ovide, en passant par les plus nobles serviteurs de la patrie, dans le Songe de Scipion au livre VI de la République de Cicéron [25].

Pour autant, le martyr de Prudence se distingue du héros épique par une certaine manière de mourir qui, en définitive, relève moins de la valeur guerrière que d’une attitude philosophique face à la mort. En cela, il est aussi un sage, qui ne connaît plus les défaillances que pouvaient encore connaître les héros virgiliens. Conformément à l’éthique stoïcienne qui lui a appris que la mort était une école de liberté, le martyr n’a que faire de toutes les souffrances, de tous les emprisonnements, de toutes les morts, dès l’instant où il a choisi de ne plus être « l’esclave du siècle » et de n’être « assujetti qu’à Dieu seul » [26]. Plus encore que le héros épique, il manifeste une sagesse militante qui lui permet d’accueillir la mort en toute liberté sinon d’aller vers elle « d’un pas rapide », comme Vincent, que la « joie rend agile » et qui « devance les agents du supplice eux-mêmes », comme les trois cents chrétiens de Carthage, qui se précipitent « allègrement » dans une fosse de chaux vive, ou encore comme Eulalie qui fugue toute la nuit pour arriver « fièrement le matin devant le tribunal » de son persécuteur. Nonobstant son jeune âge, l’enfant « provoque » son juge et manifeste ainsi, de surcroît, un orgueil, une superbia qui était aussi un trait caractéristique des héros stoïciens face à la mort volontaire [27]. Le martyr est totalement et seul maître de son destin, et il se distingue par sa constantia, qui est peut-être la plus stoïcienne des vertus et qui lui permet de revendiquer, comme Agnès, « la gloire d’une mort libre » [28]. À ces traits, il faudrait encore ajouter le cliché de la « station droite », qui, depuis Platon, constitue une des attitudes les plus expressives de l’humanité, dans son regard tendu vers le haut à l’inverse du monde animal ; la morale stoïcienne a spécifié et intériorisé le topos anthropologique dans l’image hautaine de l’« erectus animus » du sage, avant que les héros tragiques de Sénèque et les martyrs de Prudence ne le réinvestissent comme une marque extérieure de la sécurité et de l’impassibilité face à la souffrance et à la mort. Au milieu des coups du bourreau, le martyr Romain « se redresse » avant de parler ; couché sur son bûcher, Vincent reste « immobile » au milieu des tortures et « il tend vers le haut son regard, car ses mains avaient été enchaînées » ; « lève-toi, noble martyr ; lève-toi en toute sécurité ; lève-toi… », ordonne bientôt un ange au même Vincent pour l’encourager à conclure ses tourments [29].

À ce stade, la mémoire héroïque s’ouvre donc à une mémoire plus spécifiquement éthique, — et donc esthétique, car, à Rome, le bien et le beau ont toujours partie liée —, où il ne convient plus seulement de manifester sa uirtus, mais aussi de défendre fièrement la noblesse et la beauté morale qu’induit son exercice : « Cyprien encourageait son peuple pour que personne ne s’écartât de l’honneur d’une noble valeur, pour que personne ne déchût en craignant de recevoir la récompense de sa foi [30]. » Le martyr ne se contente pas de mourir ; il meurt « d’un genre de mort qui convient, d’un genre de mort qui est digne d’un héros vertueux », et qui rend ainsi compte des morales antiques attachées aux valeurs du decus et du pulchrum dans l’expression du témoignage public. « C’est une belle chose que d’apprendre à mourir », écrivait Sénèque à son disciple Lucilius [31]. Les martyrs de Prudence se sont formés aux exigences de cette école de beauté en manifestant un témoignage qui est appelé egregia uirtus ou decus egregium, un « beau témoignage » à l’exemple de celui que Jésus a, le premier, rendu devant Pilate dans ce que saint Paul appelle « une belle profession de foi » [32]. Dans le même esprit, avant Prudence, saint Augustin appliquait déjà aux martyrs chrétiens l’hommage de Virgile aux « nobles âmes qui de leur sang nous ont acquis cette patrie » [33].

Le récit héroïque prend alors les allures d’un drame qui met en scène la noblesse de ce témoignage pour émouvoir la dévotion des fidèles à la vue des passions représentées. Comme on l’a souvent rappelé, la civilisation romaine est entièrement dominée par les arts du spectacle, non seulement dans les jeux de la scène ou de l’arène, mais aussi dans l’exercice de la politique, de la rhétorique, de la justice, ou des rites militaires. La célébration romaine des martyrs ne fait pas exception à cette règle, ne fût-ce que parce que les saints ont été souvent suppliciés dans l’amphithéâtre ou au terme d’exécutions fortement ritualisées. Pour Sénèque, lorsqu’il est aux prises avec la fortune, l’homme offre « un spectacle capable de détourner l’attention de Dieu de sa tâche ». Cette formule est paraphrasée à la fin du IIe siècle par l’apologiste chrétien Minucius Félix qui l’applique précisément au témoignage des martyrs : « C’est un beau spectacle pour Dieu, lorsque le chrétien combat contre la douleur,… lorsqu’il érige sa liberté contre les rois [34]. » Dans le recueil de Prudence, dont le titre « Sur les couronnes » définit déjà tout le programme spectaculaire, le combat des martyrs est bien de ceux-là, où le saint lutte, en la présence du Christ, comme Vincent, pour défendre sa liberté contre l’arrogance de celui qui est tour à tour appelé tyran, cruel, barbare, toutes expressions qui disqualifient habituellement les anti-héros des tragédies de Sénèque, en référence aux modèles rhétoriques enseignés dans les écoles de déclamation [35].

Tout à la fois « spectacle », « jeu » ou « combat », le martyre chez Prudence est un rituel spectaculaire où l’on retrouve tous les ingrédients de la mise en scène dramatique : un décor, essentiellement constitué par les instruments de torture ; des figurants, comme, par exemple, les pauvres amenés par Laurent dans la deuxième hymne comme signes des richesses de l’Église ; des didascalies intégrées au drame dans la description des attitudes des acteurs ; des plans alternés qui évoquent tour à tour la terre, le ciel ou d’autres lieux parallèles ; et, bien sûr, les nombreux discours dialogués ou monologués qui inscrivent la foi du martyr dans le témoignage d’une parole théâtrale et dont l’exemple extrême sont les mille cent quarante vers de l’interminable plaidoyer apologétique de Romain d’Antioche dans la dixième hymne, prolongé alors même que le bourreau lui a arraché la langue. Du reste, à la fin de cette hymne précisément, Prudence en définit le propos comme une « tragédie », inscrivant ainsi son poème dans la longue histoire d’un genre théâtral que Sénèque avait finalement marqué à Rome au coin de la démesure : outrance verbale, rhétorique de l’horrible, déchaînement du cri, de la violence et de l’impiété, impudeur des anatomies déchirées, déferlement du furor, et, en matière de texte dramatique, fulgurances de la maxime ou de la sententia qui, mieux que tout discours en prose, oblige l’auditeur à « l’aveu de l’évidence », en l’occurrence celle d’une profession de foi en même temps intarissable et incisive [36].

L’exemple le plus flagrant de cette mémoire tragique qui anime les personnages de Prudence est le martyre d’Hippolyte où l’absence d’information historique a permis au poète de laisser libre cours à une imagination fortement impressionnée par la mort du héros mythologique d’Euripide, dans la version spectaculaire qu’en avait donnée Sénèque dans sa Phèdre. Même si on ne relève aucune coïncidence verbale entre les deux supplices, le scénario d’un corps déchiré par les chevaux, fracassé contre les rochers, déchiqueté en menus morceaux dans les buissons épineux reproduit, en effet, chez le poète chrétien le récit du messager de Sénèque qui annonçait à Thésée la mort monstrueuse de son fils écrasé par un attelage furieux ; à la différence, cependant, que Prudence souligne la supériorité du martyr dont la vénération chrétienne des reliques exigeait que l’on parvînt à reconstituer l’intégrité du corps et à récupérer toutes les gouttes de sang alors que les amis du héros mythique « ne parviennent pas à réunir son corps en entier » [37]. Sans doute faut-il nuancer la formule « martyr mythique » dont on a défini Hippolyte dans un livre contesté sur la poétique de la transformation chez Prudence, mais on ne peut contester qu’en l’occurrence la mémoire mythologique du poète chrétien a largement contribué, en immergence, à construire le récit des derniers moments de son personnage [38]. Plus globalement, comme je l’ai montré ailleurs, les modèles de surhumanité qui animent tous les mythes dramatisés de Sénèque ont été, pour Prudence, une sorte de laboratoire littéraire où le poète chrétien a pu analyser différents états d’une âme en situation de crise, affrontée aux exigences de sentiments extrêmes, sinon tétanisée par le désir de la mort.

Pour autant, le témoignage des martyrs ne pouvait se réduire au déterminisme désespéré des grands blessés de la tragédie, enchaînés à leur destin familial ou dynastique, ou encore aux pulsions d’un inconscient qui ne dit pas encore son nom. Tout en partageant avec les personnages tragiques les valeurs stoïciennes liées à la « constance du sage » devant la mort et la souffrance, le martyr de Prudence se réclame, en émergence, d’autres modèles plus avouables qui inscrivent sa passion dans la tradition biblique des grands témoins morts pour leur foi, au premier rang desquels le Christ lui-même. D’Abel à saint Étienne, en passant par Isaac, Isaïe, les trois jeunes hommes dans la fournaise du roi Nabuchodonosor, les frères Macchabées, les saints Innocents, et Jean-Baptiste, les exempla scripturaires des martyrs de Prudence fondent ainsi la valeur et la grandeur de leur témoignage dans une mémoire qui traverse toute l’histoire des hommes depuis les premiers temps bibliques et qui les définit comme les successeurs de ces grands témoins célébrés dans la méditation, notamment liturgique, des Écritures. Prudence précise même que les martyrs ont, en quelque sorte, fait mieux que ces premiers témoins, car entre temps, la passion du Christ a sublimé les modèles de l’Ancien Testament et « inauguré le temps des morts glorieuses » qui a notamment permis à Fructueux et ses deux compagnons de brûler sur le bûcher là où les trois jeunes gens du livre de Daniel avaient finalement été épargnés par le feu de la fournaise [39].

Car la référence ultime du martyr est celle du Christ, mort et ressuscité, qui, à la fois, modélise et donne son sens au témoignage des saints. Comme pour christianiser la fameuse formule stoïcienne « Naturam sequi », le martyr Romain proclame qu’« après avoir suivi le Christ, l’âme entre dans la gloire du Père » ; Cyprien et Agnès reprennent la formule, qui, par ailleurs, identifie le martyr à un « compagnon » épique ou à un « disciple » qui marche « à la suite du Maître » [40]. Comme le Christ des épîtres pauliniennes, le martyr « vainc la mort par la mort » [41] ; Vincent « s’associe à sa croix » [42] ; pour imiter le Christ qui « eut soif à l’heure de la croix », Fructueux refuse la boisson que lui offrent ses amis [43]. Dans les derniers vers de son hymne à Vincent, Prudence appelle de ses vœux la réunion prochaine de l’âme du saint et de sa chair ressuscitée qui « s’est acquittée jusqu’au bout d’une valeur égale » à celle du Christ : « Puisqu’en partageant ses épreuves, elle a supporté le danger avec lui, puisse-t-elle hériter aussi avec lui de sa gloire dans tous les siècles à jamais [44]. » C’est d’ailleurs au titre de ces labores partagés que Prudence peut demander à Vincent de « descendre un moment parmi nous pour apporter l’amitié du Christ », où l’impératif poétique inlabere évoque la métaphore christique du « vrai soleil » qui illumine le cœur des fidèles dans une hymne d’Ambroise, en souvenir d’une prière d’Énée à Apollon chez Virgile [45].

Cette proximité avec le Christ permet, enfin, aux martyrs de devenir eux-mêmes une mémoire du Christ pour les fidèles ou, en tout cas, d’être un relais efficace et puissant de la dévotion chrétienne au Christ. Prudence revendique plusieurs fois pour lui-même cette intercession à la fin de ses hymnes, lorsqu’il espère notamment que Fructueux daignera « porter remède à ses tourments, grâce à la faveur du Christ, en se rappelant ses doux hendécasyllabes » [46]. Mais, plus généralement, les communautés qui ont vécu dans l’amitié des saints ou les cités qui conservent leur tombeau deviennent des lieux privilégiés de dévotion où la prière au Christ trouve désormais un canal géographiquement accessible pour s’exprimer plus efficacement. C’est toute l’histoire des grands pèlerinages qui commencent de dessiner la carte spirituelle de l’occident à mesure que s’y développe le culte des saints dans des sanctuaires prestigieux où le martyr perpétue son intercession dans ses reliques. Dès l’époque de Prudence, ces sanctuaires donnent lieu à des architectures somptueuses, comme la crypte de saint Hippolyte ou le baptistère de saint Pierre et les mosaïques de Saint-Paul-hors-les-murs, dont le poète rend compte dans les ekphraseis des hymnes XI et XII. C’est également toute l’histoire du calendrier chrétien qui organise dans le temps de l’année liturgique la célébration de ces mêmes martyrs, et on sait combien l’une et l’autre histoires ont durablement marqué les « coordonnées hagiographiques » de l’occident chrétien.

Cette question de l’ancrage concret de la célébration des martyrs dans l’espace et dans le temps ponctue tout le recueil de Prudence, et ce n’est sans doute pas un hasard si elle apparaît à une époque où l’unité de l’Empire romain se reconfigure en un nouvel « Empire des nations », soucieux tout à la fois de préserver un sentiment fort d’appartenance à la « Rome patrie » et de respecter les aspirations d’autonomie dans les « patries provinciales », la « cité » devenant alors le lieu politique où se croise ce double espace de vie [47]. La première hymne du Peristephanon célèbre la passion de deux martyrs militaires suppliciés à Calahorra, la ville natale de Prudence, où « la terre espagnole, féconde parmi l’univers, est forte de cette généalogie » [48]. À l’autre bout du recueil, la dernière hymne chante la passion de la vierge romaine Agnès, dont le tombeau se trouve « dans la patrie de Romulus », qui « veille sur le salut des Quirites » et qui « protège aussi les étrangers eux-mêmes » [49]. Ce n’est pas le lieu de commenter ici en détails la composition du recueil, mais cette structure et l’origine majoritairement espagnole et romaine des martyrs célébrés par Prudence trahit clairement le double attachement du poète à Rome et à l’Espagne romaine, dans le souci de promouvoir le culte des martyrs hispaniques et d’introduire en Espagne celui des martyrs romains [50]. Au début de l’hymne IV aux dix-huit martyrs de Saragosse, cette nouvelle promotion des cités prend l’allure d’une longue procession eschatologique où une dizaine de villes issues « du vaste monde » présentent au Christ glorieux les reliques de leurs martyrs ; ce « catalogue » de cités espagnoles, gauloises et nord-africaines dessine comme la carte d’un nouveau monde spirituel d’où Rome et l’Italie sont notoirement absentes, non, bien sûr, parce qu’elles en seraient exclues, mais parce que le culte des martyrs instaure désormais la conscience d’une nouvelle géographie de l’occident chrétien moins basée sur une hiérarchie administrative des cités que sur le décompte ou la qualité des tombeaux sacrés dont leur sol peut se prévaloir. Ainsi, dans la même hymne, « c’est à peine si Rome elle-même sur son trône impérial est digne d’être placée au-dessus de Saragosse pour cette générosité » ; mais dans l’hymne II à Laurent, Prudence avait rendu le même hommage à Rome pour le nombre et la richesse de ses tombes [51]. Peter Brown a, du reste, observé que, de ce point de vue, le culte des martyrs dans l’antiquité tardive se distingue des siècles ultérieurs : là où, plus tard, on se contentera d’honorer un seul et unique saint patron, de nombreuses communautés ou cités de l’Empire tardif se sont glorifiées de compter plus d’un martyr dans leurs cimetières [52]. Et, à cet égard, Rome reste, bien évidemment, la référence absolue.

Le risque était grand alors d’une récupération idéologique de la mémoire des martyrs au service d’une dévotion qui ne serait plus exclusivement religieuse, mais qui prendrait aussi en compte un transfert du pouvoir sur de nouvelles instances, notamment ecclésiastiques, mises en place pour organiser et diffuser le culte des saints à partir des lieux de leur passion. Ce risque apparaît déjà clairement dans le recueil de Prudence, où l’Empire romain et son administration sont perçus comme une « préparation » providentielle à la diffusion du christianisme, en sa Ville et ses cités. La passion des dix-huit martyrs de Saragosse leur donne un « droit de sépulture » qui les constitue comme « sénat » de la cité et leur donne d’en exercer le « gouvernement » [53]. À Rome, Laurent proclame fièrement l’hégémonie de la ville grâce à laquelle la « loi du nom chrétien assemble d’un lien unique l’étendue de toutes les terres », avant d’être lui-même « choisi consul perpétuel » de la Rome céleste où il porte « la couronne civique dans la citadelle du sénat éternel » [54]. Qu’il s’agisse de la couronne du martyr romanisée ou de la couronne christianisée du vainqueur aux combats des jeux ou de la guerre, la confusion des images civiles, militaires et religieuses crée les conditions d’une nouvelle citoyenneté dans une Ville céleste qui n’est plus la Jérusalem de l’Apocalypse, mais la « Rome éternelle », héritière de toutes les ambiguïtés liées au mythe politique.

En particulier, les martyrs contribuent à « refonder » les cités dans lesquelles ils versent un sang moins contesté que celui des sacrifices offerts par les héros mythologiques. En plusieurs endroits, Prudence réactualise, en effet, l’image antique du sang qui fertilise la terre dans laquelle il coule. Dès les premiers vers du recueil, la « généalogie » des deux martyrs militaires Emeterius et Chelidonius fortifie la terre d’Espagne dans laquelle ils ont écrit leur nom en lettres de sang, comme une nouvelle gémellité fondatrice confirmée dans le ciel par les lettres d’or qu’y dessine le Christ [55]. « Le sang du martyre est la plus grande richesse » de la ville de Mérida où a été suppliciée la jeune Eulalie [56]. Dans une hymne aux apôtres Pierre et Paul, attribuée à Ambroise de Milan, Rome « a dressé le haut faîte de sa piété, après avoir été fondée par un tel sang », où l’image du faîte recoupe un des thèmes architecturaux favoris dans l’idéologie des villes capitales ; et, dans son hymne aux mêmes apôtres, Prudence célèbre « la pluie de sang » qui « a coulé deux fois dans la même herbe » [57]. Bientôt, le pape Léon le Grand commentera cette fondation en opposant la concordia qui a uni Pierre et Paul dans leur sang jumeau et le mythe sanglant des deux frères fondateurs à l’origine de Rome [58]. Car, comme l’observe Peter Brown, le thème est particulièrement pertinent lors de la fête d’un couple de saints où la communauté chrétienne commémore spirituellement le nouveau « mythe de fondation », en se réappropriant les idées de « concorde civile » diffusées à travers les rites officiels ou autres iconographies publiques et légendes monétaires de l’Empire [59].

À ce titre de fondateur de cité, et sans préjudice de ses coordonnées historiques, le martyr appartient alors normalement à un temps ancien, que l’on ne connaît plus que par les livres et qui lui donne une sorte d’épaisseur héroïque, le mensonge de la fable en moins : « Ce que tu vois, ô étranger », répond un sacristain au poète qui l’interroge à propos d’une peinture du martyre de saint Cassien, « ce n’est ni une fable vaine, ni une fable de vieille femme ; la peinture reproduit une histoire qui a été rapportée dans les livres et qui montre la vraie foi de l’ancien temps [60]. » Prudence découvre également la tombe d’Hippolyte en recherchant « parmi les monuments les inscriptions de faits anciens » [61]. Après un prologue où le poète invoque l’assistance de Romain d’Antioche pour son chant en une reprise chrétienne de l’invocation à la Muse, le récit proprement dit de la passion commence par une formule qui annonce la cheville « il était une fois » de nos contes et légendes : « Comme le rapporte l’histoire des temps anciens [62]. » En ce sens, comme le héros épique, le martyr appartient à un temps des origines qui est aussi le temps des fondations, celui qui organise les fiertés nationales notamment dans la mémoire du sang versé.

 

*

 

En développant un culte privilégié autour de la tombe et des reliques des martyrs, l’antiquité chrétienne a localisé très concrètement à l’endroit où le sang est répandu ou, à tout le moins, conservé, de nouvelles proximités entre l’homme public ou privé et l’au-delà où le saint précède ses fidèles. Nonobstant le respect qui lui est dû dans la perspective de la résurrection, le corps violenté du martyr est d’abord un lieu particulier d’échange entre le monde des vivants et le monde vivant des morts, et, en ce sens, ses restes sont promus à une dignité nouvelle qui anéantit les frontières païennes entre ces deux mondes. Là où le paganisme incinérait ou reléguait ses morts à l’extérieur des cités, le christianisme déterre, déplace, démembre les corps des saints pour les transférer à l’intérieur des murs dans de nombreuses villes, dans les églises, dans la pierre des autels où leur sacrifice se perpétue à travers les rites célébrés à leur endroit ; il a aussi remodelé le paysage urbain autour de vastes nécropoles qui finiront même par devenir le lieu du pouvoir ecclésiastique lorsque l’évêque installera sa résidence et sa basilique principale dans ces nouvelles « villes hors de la ville » [63].

Le recueil de Prudence aux martyrs est un témoin majeur de cette nouvelle spiritualité qui se développe autour du culte rendu à ces « morts très spéciaux ». Il confirme notamment la portée territoriale de la dévotion aux martyrs dans une célébration qui prend en compte la promotion de la tombe comme nouveau lieu de cohésion spirituelle et sociale. Dans un empire gagné par l’éveil de nouvelles consciences communautaires et notamment provinciales, les hymnes de Prudence combinent ces aspirations identitaires, en glorifiant les lieux et les cités où le sang a été versé, et le sentiment d’une appartenance forte au modèle romain dont le saint continue, peu ou prou, de manifester les valeurs à travers toutes les mémoires dont il a hérité. En mêlant les tons épique, tragique et lyrique, Prudence invente, pour sa part, une hagiographie poétique où les martyrs croisent la mémoire des héros anciens et celle des héros bibliques, au premier rang desquels la mémoire du Christ souffrant, pour devenir les nouveaux modèles de progrès spirituel offerts à la dévotion des fidèles. Ils prennent ainsi le relais des morales antiques centrées sur l’exercice de l’ascèse, la maîtrise de la douleur ou la recherche du decus qui perpétue le souvenir parmi les hommes ; au-delà de la souffrance et de la mort, leur témoignage ouvre même sur des perspectives inédites de salut personnel, « parmi les registres du ciel, où le livre des martyrs conserve la mémoire d’une gloire ineffaçable » [64].



 

 

 

[1]      Pour autant, la littérature martyriale est largement antérieure à ces célébrations poétiques qui reposent habituellement sur des actes en prose plus ou moins fiables : le plus ancien document chrétien latin dont la date peut être fixée avec précision est la Passion des martyrs africains de Scillium en 180, bientôt suivie par la Passion de Perpétue et Félicité en 203. — Le propos de cet article prolonge et recadre un travail plus ancien que j’avais écrit sur la présence de Sénèque dans le Peristephanon ; on y trouvera une bibliographie plus détaillée sur la célébration des martyrs chez Prudence : voir P.-A. Deproost, Le martyre chez Prudence : sagesse et tragédie. La réception de Sénèque dans le Peristephanon Liber, dans Philologus, t. 143 (1999), p. 161-180. À cette bibliographie, on ajoutera : P.-Y. Fux, Les sept Passions de Prudence (Peristephanon 2. 5. 9. 11-14). Introduction générale et commentaire, Fribourg, Éditions Universitaires, 2003 (Coll. Paradosis, t. 46).

[2]      Prvd., perist. X, 773 : « sacramentum necis » ; XI, 16 : « quos (Christus) propriae iunxit amicitiae. »

[3]      Prvd., perist. XIV, 74 : « Hic, hic amator iam, fateor, placet ». Dans l’hymne III, la mère d’Eulalie la retient à la maison « de peur que la farouche fillette, par amour de la mort, –mortis amore – ne se précipite pour recevoir le prix du sang » (Prvd., perist. III, 39-40).

[4]      Voir P. Brown, Le culte des saints. Son essor et sa fonction dans la chrétienté latine (trad. A. Rousselle), Paris, Cerf, 1984, p. 17.

[5]      Pour la question des sources du Peristephanon, voir notamment A.-M. Palmer, Prudentius on the martyrs, Oxford, Clarendon Press, 1989, p. 234-277.

[6]      Prvd., perist. I, 73-78 : « O uetustatis silentis obsoleta obliuio !/ Inuidentur ista nobis, fama et ipsa extinguitur,/ chartulas blasphemus olim nam satelles abstulit, // ne tenacibus libellis erudita saecula/ ordinem, tempus modumque passionis proditum/ dulcibus linguis per aures posterorum spargerent. »

[7]      Voir Prvd., perist. X, 1116-1120.

[8]      Voir Prvd., perist. XI, 83-88 : « Insolitum leti poscunt genus et noua poenae/ inuenta, exemplo quo trepident alii./ Ille supinata residens ceruice : “Quis”, inquit,/ “dicitur ?”. Adfirmant dicier Hippolytum./ “Ergo sit Hippolytus, quatiat turbetque iugales,/ intereatque feris dilaceratus equis”. »

[9]      Pour les emplois de uir dans le Peristephanon, voir Prvd., perist. II, 491. 558 ; VI, 16 ; VII, 1. 49 ; VIII, 4 ; X, 1106 ; XI, 11 ; XIII, 96. Pour les emplois de heros, voir perist. VI, 149 ; X, 52. 457.

[10]     Ainsi, e.g., en perist. I, 106 sq, la uirtus martyrum met en fuite le démon qui habitait un possédé. Le vocabulaire du triomphe ou de la victoire utilisé par Prudence recoupe tous les clichés en usage à l’époque théodosienne pour définir la « victoire éternelle » de Rome et de son empereur sur toutes les formes de barbarie : sur ce sujet, voir M. Mac Cormick, Eternal victory, Triumphal rulership in late antiquity, Byzantium and the early medieval West, Cambridge University Press Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, Cambridge Paris, 1987 (Coll. Past and Present Publications).

[11]     Le tyrannus des exercices rhétoriques et des tragédies de Sénèque définit aussi habituellement l’ennemi du martyr : voir perist. III, 127 ; V, 168. 255. 429. 534 ; VI, 111 ; X, 76. 520. 676. 766. 1092. 1115 ; XIII, 65 ; XIV, 100. 21 ; voir aussi latro : V, 544. Voir I. Opelt, Der Christenverfolger bei Prudentius, dans Philologus, t. 111 (1967), p. 242-257, repris dans Ead., Paradeigmata Poetica Christiana. Untersuchungen zur christlichen lateinischen Dichtung, Düsseldorf, Schwann, 1988, p. 26-40 (Coll. Kultur und Erkenntnis, Bd. 3).

[12]     Voir Prvd., perist. XIV, 63-66 : « Iram nam furor incitat/ hostis cruenti : “Vincor”, ait gemens,/ “i, stringe ferrum, miles, et exere/ praecepta summi regia principis !” ».

[13]     Voir Prvd., perist. I, 33-34 : « Sueta uirtus bello et armis militat sacrariis./ Caesaris uexilla linquunt, eligunt signum crucis » ; 42 : « (Tunc … ductor aulae mundialis iusserat) esse Christi defugas. »

[14]     Prvd., perist. I, 37 : « Vile censent … (39) inpias manus cruentis inquinare stragibus » ; sur cette « perversion » de l’imagerie militaire dans la célébration des soldats martyrs, voir J. Fontaine, Le culte des martyrs militaires et son expression poétique au IVe siècle : l’idéal évangélique de la non-violence dans le christianisme théodosien, dans Mélanges A. Hamman, Roma, 1980, p. 141-171 (repris dans Id., Études sur la poésie latine tardive d’Ausone à Prudence, Paris, Les Belles Lettres, 1980, p. 331-361).

[15]     Voir Prvd., c. Symm. I, 494-495, où, après la victoire du Pont Milvius, le Sénat romain « militiae ultricis titulum Christique uerendum/ nomen adorauit quod conlucebat in armis. »

[16]     Prvd., perist. I, 52-53 : « Hic duorum cara fratrum concalescunt pectora,/ fida quos per omne tempus iunxerat sodalitas. »

[17]     Pour le « Sénat » des martyrs de Saragosse, voir Prvd., perist. IV, 147 ; pour les « couronnes » de Tarragone, voir VI, 3-6. Depuis Verg., Aen. VI, 781-785, où Anchise compare la future Rome impériale à Cybèle « couronnée de tours », cette image est devenue un type traditionnel dans les représentations officielles des villes capitales de l’Empire : voir P.-A. Deproost, L’apôtre Pierre dans une épopée du VIe siècle. L’« Historia apostolica » d’Arator, Paris, Études Augustiniennes, 1990, p. 212, n. 673.

[18]     Voir Prvd., perist. XII, 5-8 : « Vnus utrumque dies, pleno tamen innouatus anno,/ uidit superba morte laureatum./ Scit Tiberina palus, quae flumine lambitur propinquo,/ binis dicatum caespitem tropaeis » ; 55-56 : « Ecce duas fidei summo Patre conferente dotes,/ urbi colendas quas dedit togatae » (où Prudence se souvient de la gens togata de Verg., Aen. I, 282). Je pense qu’il faut rendre à l’expression « conferente dotes » son premier sens technique de la « collatio dotis », où le martyre des deux apôtres est la « dot » qu’apporte Dieu pour sceller son union avec la Roma christiana, incarnant ainsi dans l’histoire de la « Ville en toge » l’image paulinienne de l’Église, épouse du Christ. Bientôt, la tradition hagiographique rapprochera encore les deux « frères » qui deviendront deux « jumeaux » martyrisés le même jour, suscitant ainsi le développement d’un répertoire complémentaire d’images gémellaires, comme la refondation de la Ville dans un sang meilleur que celui de Rémus tué par son frère Romulus, ou l’apparition dans le ciel de Rome de deux nouveaux astres protecteurs qui remplacent désormais l’ancien patronage de Castor et Pollux.

[19]     Cf. Prvd., perist. VI, 121-123 : « Vidit praesidis ex domo satelles/ caelum martyribus patere apertum/ insignesque uiros per astra ferri » et Ac, 7, 55-56. Sur la récompense céleste des saints dans la poésie martyriale, voir J. Fontaine, Images virgiliennes de l’ascension céleste dans la poésie latine chrétienne, dans Gedenkschrift für Alfred Stuiber, dans JbAC, Ergänzungsband 9 (1982), p. 55-67 (en particulier, p. 61-63).

[20]     Voir Prvd., perist. III, 161-165 : « Emicat inde columba repens,/ martyris os niue candidior/ uisa relinquere et astra sequi ;/ spiritus hic erat Eulaliae/ lacteolus, celer, innocuus. »

[21]     Prvd., perist. X, 1110 : « Anima absoluta uinculis caelum petit. »

[22]     Cf. Prvd., perist. IX, 85-86 : « Tandem luctantis miseratus ab aethere Christus/ iubet resolui pectoris ligamina », et Verg., Aen. IV, 693-695 : « Tum Iuno omnipotens longum miserata dolorem/ difficilisque obitus Irim demisit Olympo/ quae luctantem animam nexosque resolueret artus. »

[23]     Prvd., perist. XIV, 91 sq : « Exutus inde spiritus emicat/ liberque in auras exilit ; angeli/ saepsere euntem tramite candido./ Miratur orbem sub pedibus situm,/ spectat tenebras ardua subditas…

[24]     Voir Prvd., perist. XIV, 79-82 : « Sic nupta Christo transiliam poli/ omnes tenebras aethere celsior./ Aeterne rector, diuide ianuas/ caeli obseratas terrigenis prius ». Dans son voyage céleste, Agnès se rit de « l’affreux tourbillon des choses », où la formule « rerum turbo » semble reprendre Sen., Ag., 197.

[25]     Voir Ov., met. XIV, 805 sq (pour Romulus) ; XV, 840 sq (pour César) ; Cic., rep. VI, 16.

[26]     Voir Prvd., perist. I, 58 : « Nosne Christo procreati … (59) seruiemus saeculo ? » ; V, 172 : « solique subiectum Deo ». J’ai traité cette question dans Deproost (n. 1), p. 163-164, où je renvoie également à W. Evenepoel, Le martyr dans le « Liber Peristephanon » de Prudence, dans SEJG, t. 36 (1996), p. 5-35 (surtout p. 19-20).

[27]     Voir Prvd., perist. V, 209-212 : « Haec ille sese ad munera/ gradu citato proripit,/ ipsosque pernix gaudio/ poenae ministros praeuenit » (Vincent) ; XIII, 83 : « Prosiluere alacres cursu rapido simul trecenti » (300 chrétiens de Carthage) ; III, 61-65 : « Illa, gradu cita peruigili,/ milia multa prius peragit/ quam plaga pandat Eoa polum ;/ mane superba tribunal adit,/ fascibus adstat et in mediis » ; en perist. X, 800, Romain est également qualifié de uictor superbus. Sur l’attitude provocatrice des martyrs, voir aussi Deproost (n. 1), p. 166-168 et Evenepoel (n. 26), p. 14.

[28]     Voir Prvd., perist. XIV, 9 : « mortis gloria liberae », que Deproost (n. 1), p. 164 commente : « la brièveté de la formule semble intégrer à la fois l’espérance biblique de la “liberté de la gloire des enfants de Dieu” et l’équation de Sénèque entre l’apprentissage de la mort et celui de la liberté ».

[29]     Voir Prvd., perist. V, 233-236 : « Haec inter immotus manet,/ tanquam dolorum nescius,/ tenditque in altum lumina,/ nam uincla palmas presserant » ; 285-288 : « Exsurge, martyr inclyte,/ exsurge securus tui,/ exsurge… ». J’ai développé ce cliché en lien avec l’attitude du sage stoïcien, dans Deproost (n. 1), p. 164-165, où je renvoie à J. Fontaine, Un cliché de la spiritualité antique tardive : « stetit immobilis », dans Romanitas-christianitas. Untersuchungen zur Geschichte und Literatur der römischen Kaiserzeit (= Mélanges J. Straub), Berlin/New York, 1982, p. 528-552, qui retrace la réception chrétienne de ce trait majeur de l’anthropologie antique.

[30]     Voir Prvd., perist. XIII, 38-40 : « Contra animos populi doctor Cyprianus incitabat,/ ne quis ab egregiae uirtutis honore discreparet,/ neu fidei pretium quis sumere degener timeret. »

[31]     Sen., epist. XXVI, 9 : « Egregia res est mortem condiscere » ; cf. Prvd., perist. I, 25-27 : « Hoc genus mortis decorum, hoc probis dignum uiris. » Sur ce thème, voir Palmer (n. 5), en particulier le chapitre 5, précisément intitulé « Egregiae animae », où l’auteur fait valoir les liens entre la uirtus des martyrs de Prudence et les morales antiques de la beauté.

[32]     Selon l’expression de 1Tm 6, 13 : « qui (sc. Iesus Christus) testimonium reddidit sub Pontio Pilato bonam confessionem » ; cf. Prvd., perist. III, 7 : « decus egregium » ; XIII, 39 : « egregiae uirtutis honor » ; 73 : « decus egregium ».

[33]     Voir Avg., ciu. II, 29, qui cite Verg., Aen. XI, 24-25 : « “Ite”, ait, “egregias animas quae sanguine nobis/ hanc patriam peperere suo decorate supremis/ muneribus” ».

[34]     Cf. Sen., dial. 1 (= de prouidentia) II, 8 : « Ecce spectaculum dignum ad quod respiciat intentus operi suo deus… : uir fortis cum fortuna mala compositus » ; Min. Fel., XXXVII, 1 : « Quam pulchrum spectaculum Deo, cum Christianus cum dolore congreditur…, cum libertatem suam aduersus reges… erigit. »

[35]     À propos des liens entre les tortionnaires des martyrs chez Prudence et la figure du tyran dans les tragédies de Sénèque, voir Opelt (n. 11). Pour le combat de Vincent en présence du Christ, voir Prvd., perist. V, 125-128 : « Ast ille tanto laetior/ omni uacantem nubilo/ frontem serenam luminat/ te, Christe, praesentem uidens. »

[36]     Sur l’art de la maxime comme moyen de persuasion au théâtre, voir Sen., epist. CVIII, 7-10. En perist. X, 1113, Prudence évoque la « tanta tragoedia » du martyre de Romain dont le préfet a fait rapport au prince.

[37]     Cf. Sen., Phaedr., 1109-1114. 1261, et Prvd., perist. XI, 145-150. Sur les liens entre le personnage mythique de Sénèque et le martyr de Prudence, voir Deproost (n. 1), p. 161-162, où je donne une bibliographie concernant cette comparaison souvent analysée par la critique.

[38]     Voir M.A. Malamud, A Poetics of Transformation. Prudentius and Classical Mythology, Ithaca/London, Cornell University Press, 1989, en particulier le chapitre 4, intitulé « A Mythical Martyr », p. 79-113.

[39]     Cf. Prvd., perist. VI, 112-114 : « Illis sed pia flamma tunc pepercit,/ nondum tempore passionis apto,/ nec mortis decus inchoante Christo ». Pour les références aux exempla bibliques des martyrs dans les hymnes de Prudence, voir Evenepoel (n. 26), p. 24-27.

[40]     Prvd., perist. X, 474 : « Christum secuta (sc. anima) Patris intrat gloriam » ; cf. XIII, 48 ; XIV, 83-84.

[41]     Voir Prvd., perist. I, 27 (« morte mortem uincere ») ; II, 19 (« morte mortem diruere »).

[42]     En Prvd., perist. V, 299, Vincent est appelé « propriae (sc. Christi) collega crucis ».

[43]     Voir Prvd., perist. VI, 52-60.

[44]     Prvd., perist. V, 569-576 : « Sic nulla iam restet mora,/ quin excitatam nobilis/ carnem resumat spiritus/ uirtute perfunctam pari, // ut, quae laborum particeps/ commune discrimen tulit,/ sit et coheres gloriae/ cunctis in aeuum saeculis. »

[45]     Cf. Prvd., perist. V, 565-566 : « Paulisper huc inlabere,/ Christi fauorem deferens » ; Hymn. Ambr., Splendor paternae gloriae, 5 : « Verusque sol, inlabere » ; Verg., Aen. III, 89 : « Da, pater, augurium, atque animis inlabere nostris. » On observera que l’impératif « inlabere » se trouve au même endroit du vers dans les deux hymnes d’Ambroise et de Prudence, écrites, du reste, dans le même dimètre iambique.

[46]     Voir Prvd., perist. VI, 160-162 : « Fors dignabitur et meis medellam/ tormentis dare prosperante Christo,/ dulces hendecasyllabos reuoluens. » Pour d’autres références, voir Evenepoel (n. 26), p. 30.

[47]     J’ai rapidement évoqué cette question dans P.-A. Deproost, « Hic non finit Roma ». Les paradoxes de la frontière romaine, un modèle pour l’Europe ?, dans P.-A. Deproost – B. Coulie (éd.), Frontières. Imaginaires européens, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 29-50 (surtout p. 40-43) (Coll. Structures et pouvoirs des imaginaires).

[48]     Prvd., perist. I, 4 : « Pollet hoc felix per orbem terra Hibera stemmate. »

[49]     Voir Prvd., perist. XIV, 1-6 : « Agnes sepulcrum est Romulea in domo,/ fortis puellae, martyris inclytae./ Conspectu in ipso condita turrium,/ seruat salutem uirgo Quiritium,/ nec non et ipsos protegit aduenas/ puro ac fideli pectore supplices. »

[50]     Comme Hippolyte ou les apôtres Pierre et Paul, dont Prudence souhaite que le calendrier espagnol reprenne les fêtes : voir Prvd., perist. XI, 231 sq ; XII, 65-66.

[51]     Cf. Prvd., perist. II, 529 sq et IV, 62-64 : « Ipsa uix Roma in solio locata/ te, decus nostrum, superare in isto/ munere digna est. »

[52]     Brown (n. 4), p. 126.

[53]     Voir Prvd., perist. IV, 147-148 : « Perge (sc. Caesaraugusta urbs) conscriptum tibimet senatum/ pangere psalmis » ; 173-176 : « Octo tunc sanctos recolet decemque/ angelus coram Patre Filioque/ urbis unius regimen tenentes/ iure sepulcri. »

[54]     Voir Prvd., perist. II, 429-432 : « Hoc destinatum, quo magis/ ius christiani nominis,/ quodcumque terrarum iacet,/ uno inligaret uinculo » ; 553-556 : « Illic inenarrabili/ allectus urbi municeps/ aeternae in arce curiae/ gestas coronam ciuicam. »

[55]     Voir Prvd., perist. I, 1-4 : « Scripta sunt caelo duorum martyrum uocabula,/ aureis quae Christus illic adnotauit litteris ;/ sanguinis notis eadem scripta terris tradidit. // Pollet hoc felix per orbem terra Hibera stemmate. »

[56]     Prvd., perist. III, 9-10 : « Sed mage sanguine martyrii/ uirgineoque potens titulo. »

[57]     Voir Hymn. Ambr., Apostolorum passio,, 21-24 : « Hinc Roma celsum uerticem/ deuotionis extulit,/ fundata tali sanguine/ et uate tanto nobilis » ; Prvd., perist. XII, 9-10 : « inrigans easdem/ bis fluxit imber sanguinis per herbas. »

[58]     Voir Leo M., serm. LXIX, 1.

[59]     Brown (n. 4), p. 126.

[60]     Prvd., perist. IX, 17-20 : « Quod prospicis, hospes,/ non est inanis aut anilis fabula ;/ historiam pictura refert, quae tradita libris/ ueram uetusti temporis monstrat fidem. »

[61]     Voir Prvd., perist. XI, 17-19 : « Haec dum lustro oculis et sicubi forte latentes/ rerum apices ueterum per monumenta sequor,/ inuenio Hippolytum. »

[62]     Prvd., perist. X, 32 : « Vt refert antiquitas. »

[63]     Sur ce trait caractéristique du culte des saints en occident, voir Brown (n. 4), p. 20 sq.

[64]     Prvd., perist. X, 1131-1132 : « Hic in regestis est liber caelestibus,/ monumenta seruans laudis indelebilis. »


FEC - Folia Electronica Classica  (Louvain-la-Neuve) - Numéro 15 - janvier-juin 2008

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