FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 13 - janvier-janvier 2007


Ἢ θεῖον ἢ θηριῶδες

Regards croisés sur la vie de Lucius Junius Brutus

© Stéphane Mercier, 2006


Comment le monde antique se représentait-il la figure du fondateur de la République, Lucius Junius Brutus, le tombeur des Tarquins ? Le présent article entreprend de mettre en rapport les témoignages de quelques historiens antiques (Tite-Live, Denys d’Halicarnasse, Plutarque – qui n’est pas historien –, et Dion Cassius) de manière à esquisser les traits marquants d’une figure éminente de l’histoire romaine. La confrontation de ces divers auteurs sera également l’occasion de mettre l’accent sur les points communs de leurs différentes relations comme sur leurs divergences respectives, tant du point de vue des jugements portés sur les faits que de celui des faits rapportés eux-mêmes.

Stéphane Mercier est titulaire d’un D.E.A. en philosophie et prépare actuellement une thèse à l’Institut Supérieur de Philosophie (U.C.L.) où il est assistant. Il a tout récemment publié une étude complète sur les Épigrammes attribuées à Sénèque et deux articles consacrés respectivement à Aristéas de Proconnèse et à Ange Politien dans les Folia Electronica Classica.


Plan

Introduction
Sources antiques utilisées
Les Tarquins
Lucius Junius « Brutus »
L’épisode de Lucrèce et le καιρός de Brutus

La naissance de la République
Un consul inflexible
La mort de Brutus


Introduction

Nous ne chercherons pas à reconstruire ici la carrière du Brutus « historique » telle que peut tenter de la retracer l’historiographie contemporaine. Aussi n’aborderons-nous ni la possible fusion de plusieurs personnages plus ou moins légendaires en un seul [1], ni le caractère éventuellement fictif du héros fondateur de la République [2], ni même les impossibilités chronologiques qui découlent des récits traditionnels [3].

Le Brutus dont il sera question dans cet article est celui de Tite-Live, celui de Denys d’Halicarnasse, celui de Plutarque, celui enfin de Dion Cassius. Suivant le récit de l’Ab Vrbe condita, nous esquisserons progressivement les grands moments de la « geste de Brutus », en mettant l’accent sur la diversité des témoignages proposés par ces différents auteurs. Car nous le verrons, en matière de tradition, l’univocité n’est pas de mise et la vulgate se place sous le signe de la multiplicité des témoins, susceptibles tantôt de s’éclairer mutuellement, tantôt de se compléter, tantôt encore de s’opposer les uns aux autres.

Ce faisant, parlerons-nous d’un Brutus de légende, d’un « faux » Brutus par opposition au « vrai » Brutus, celui que peut reconstituer ou réduire à un mythe la critique historique ? Si la réalité n’est rien d’autre que l’ensemble des faits bruts tels que « untel est né à… et a fait ceci ou cela à tel ou tel moment », alors c’est vraisemblablement d’un faux Brutus que nous parlerons. Mais si la réalité, en cette matière, est d’abord et avant tout ce que représente effectivement une figure ou un ensemble – même fictum – d’événements dans la conscience d’un peuple, alors c’est bien d’une réalité que nous parlerons, d’une réalité d’autant plus vraie qu’elle a valeur de fondement au sein de l’âme romaine…

Haut de la page

Sources antiques utilisées

Tite-Live. — Le texte qui nous servira de base dans cette étude sont les Ab Vrbe condita libri de Tite-Live (59 av. J.-C.-17 de notre ère), dont subsistent seulement trente-cinq livres, sur un total de cent-quarante-deux. Le récit des origines de Rome jusqu’à la fin de la période royale occupe le livre I, et le livre II ouvre la période républicaine [4]. Notre étude sur Brutus suivra le déroulement du récit livien, qui sera confirmé, nuancé ou contesté par les témoignages des autres auteurs que nous avons choisi de retenir ici [5].

Denys d’Halicarnasse. — Autre source importante, la Ῥωμαϊκὴ ἀρχαιολογία de Denys d’Halicarnasse (né vers 60 et actif sous le principat augustéen) qui couvre en vingt livres l’histoire de Rome, depuis les origines jusqu’à la première Guerre Punique [6]. La période royale s’achève avec le livre IV de cette œuvre, dont nous possédons les dix premiers livres au complet, ainsi qu’une partie importante du livre XI, le reste ne subsistant plus qu’à l’état de fragments.

Plutarque de Chéronée. — Dans ses Vies parallèles, composées pour l’essentiel sous le règne de l’empereur Trajan, Plutarque (ca. 45-120) aborde essentiellement la vie de Lucius Junius dans sa biographie de Publius Valérius « Publicola » [7]. La figure du fondateur de la République est également évoquée brièvement dans les Vies de César et de Marcus Brutus.

Dion Cassius. — La Ῥωμαϊκὴ (ou Ῥωμαϊκὰ) ἱστορία, l’œuvre majeure de Dion Cassius (160-235) [8], comptait à l’origine quatre-vingts livres, depuis l’arrivée d’Énée dans le Latium jusqu’à l’année de son second consulat sous Sévère Alexandre en 229 de l’ère chrétienne. La période royale s’achève avec le livre II qui, comme la majorité de ceux qui composent cette œuvre [9], ne nous est connu que par un certain nombre de fragments. Ceux-ci sont proposés dans diverses collections byzantines, auxquelles il faut adjoindre des paraphrases et résumés dus à Xiphilin et Zonaras [10].

Pour notre personnage, nous aurons à considérer les fragments conservés pour le livre II [11] ainsi que l’ἐπιτομὴ ἱστοριῶν de Zonaras. Celui-ci avait été secrétaire de l’empereur Alexis I Comnène (mort en 1118) avant de se retirer sur le mont Athos. Une partie de son Ἐπιτομή, qui couvre l’histoire du monde depuis la création jusqu’au règne d’Alexis, repose sur l’œuvre de Dion Cassius [12].

Les témoignages de Dion et, partant, de Zonaras, sont partiellement indépendants de Tite-Live, qui est surtout suivi par l’historien impérial à partir de la fin de la seconde Guerre Punique [13].

Haut de la page

Les Tarquins

« Sous le règne d’Ancus, Lucumon s’installa à Rome (…) Son père, Démarate, était de Corinthe ; chassé de sa patrie par une révolte [14], il s’était installé par hasard à Tarquinies, s’y était marié et avait eu deux enfants, Lucumon et Arruns [15] » [16]. À la mort de Démarate, Lucumon hérita seul, car Arruns était mort peu de temps auparavant [17], et l’on ignorait encore que l’épouse qu’il laissait était enceinte : « L’enfant né après la mort de son grand-père et exclu du partage fut appelé Égérius puisqu’il se trouvait dépossédé » [18]. Cet Égérius devait avoir un fils [19], du nom de Tarquin Collatin [20], le mari de Lucrèce, la fille de Spurius Lucrétius Tricipitinus [21].

Lucumon, de son côté, épousa Tanaquil à Tarquinies et tous deux quittèrent cette ville pour Rome où « ils achetèrent une maison et [où] il se fit appeler Lucius Tarquin l’Ancien » avant de succéder au roi Ancus Martius [22].

À la suite d’un prodige en faveur du jeune Servius Tullius, Tanaquil décida son mari à adopter le garçon et « à partir de ce jour-là, ils traitèrent l’enfant comme un de leurs fils » [23]. Servius devint même l’héritier du trône lorsque Tarquin le donna en mariage à sa fille [24], ou plutôt à l’une de ses deux filles selon Denys d’Halicarnasse [25]. Mais Tarquin avait aussi deux fils [26], Lucius et Arruns [27], qui épousèrent les filles de Servius lorsque celui-ci monta sur le trône après l’assassinat du roi, « pour éviter que les enfants de Tarquin ne marquent [à l’égard de Servius] la même hostilité que les enfants d’Ancus à l’égard de Tarquin » [28].

Dion Cassius, dans l’ἐπιτομή de Zonaras, nous livre un témoignage différent en nous apprenant que, lorsque Tarquin l’Ancien fut assassiné, son épouse Tanaquil et Servius Tullius s’entendirent pour que celui-ci prenne la succession du roi défunt en attendant que les fils du roi défunt soient en âge de monter sur le trône [29]. Ensuite, lorsqu’il révéla à la cité la mort de Tarquin l’Ancien, Servius monta sur le trône, en faisant valoir qu’il exercerait la régence au nom des princes encore trop jeunes [30]. Pour Dion, Servius n’avait toutefois aucunement l’intention de restituer la royauté aux fils de Tarquin puisque, après leur avoir donné ses filles en mariage, il ne cessa de temporiser, multipliant les prétextes pour différer la passation de pouvoir [31]. Cette attitude malhonnête n’apparaît à aucun moment dans le récit de Tite-Live, ce qui peut s’expliquer par le fait que cet auteur fait de Servius un « bon roi », par contraste avec son successeur. Or c’est précisément parce que Servius était un bon roi que l’instauration de la République devait advenir sous Tarquin le Superbe et non avant [32]. C’est que pour Tite Live, l’instauration de la République vint libérer le peuple romain de l’oppression de Tarquin, dont le règne était à ses yeux illégal et illégitime [33]. La version retenue par Dion Cassius montre au contraire Servius comme un parjure, puisqu’il confisque le pouvoir pourtant promis à ceux qui sont tenus pour les successeurs légitimes de Tarquin l’Ancien. Chez Denys, Servius Tullius avait eu l’intention de transmettre le pouvoir à Lucius, mais ne le fit pas parce que le peuple romain voulait que Servius demeurât à sa tête et avait même voté en ce sens [34].

Denys d’Halicarnasse estime encore, contre la majorité des historiens à la suite de Fabius Pictor, que Lucius et Arruns ne sont pas les fils mais les petits-fils de Tarquin l’Ancien, et s’en explique avec soin et fort longuement en établissant les absurdités (ἀτοπίας) de la position traditionnelle [35].

Après la mort « presque simultanée » [36], dans la quarantième année du règne de Servius Tullius, d’Arruns et de l’aînée de Tullia, qui avait épousé Lucius Tarquin, celui-ci épousa la cadette des Tullia, qui avait été la femme de son frère mais qui était aussi son amante [37]. Ce témoignage de Tite-Live est complété par Dion Cassius, qui nous apprend que Lucius et sa belle-sœur avaient assassiné Arruns et l’autre Tullia. Quant aux rôles respectifs joués par Lucius et la cadette des Tullia, les témoignages de Tite-Live et de Dion Cassius diffèrent sensiblement ; pour le premier, Lucius était « poussé par les démons qui tourmentaient sa femme » et c’est elle, clairement, qui le décida à agir ; chez Cassius au contraire, l’initiative semble revenir à Lucius que suit sa femme [38]. De son côté, Denys d’Halicarnasse s’accorde avec Tite-Live pour voir en Tullia la jeune l’âme damnée de Lucius et celle qui entraîne un homme déjà porté au mal à commettre le forfait qui devait le propulser sur le trône [39].

Quoi qu’il en soit, poussé par Tullia ou suivi par elle, Lucius renversa Servius qui, jeté hors du sénat par son beau-fils, fut rattrapé et tué par des assassins à la solde de celui-ci [40] tandis qu’il tentait de rejoindre la palais. Ensemble, Lucius Tarquin et Tullia projetèrent et accomplirent ainsi la ruine de Servius à leur profit et « dès le début de son règne, Tarquin mérita le surnom de Superbe » [41]. Il eut trois fils : Titus, Arruns et Sextus [42], et une fille, qu’il donna en mariage à Octavius Mamilius de Tusculum, « qui était de loin le plus noble des Latins » [43].

Haut de la page

Lucius Junius « Brutus »

Vers la fin de son règne, Tarquin le Superbe dépêcha vers Delphes une ambassade pour connaître le sens d’un prodige qui lui causait beaucoup de souci et d’inquiétude [44]. Dans cette délégation, menée par les princes Titus et Arruns, il se trouvait un jeune homme du nom Lucius Junius Brutus.

C’était, écrit Tite-Live, le fils de Tarquinia, sœur du roi. Ce jeune homme cachait son véritable tempérament sous une apparence trompeuse. Il savait que les premiers personnages de l’État, et parmi eux son propre frère, avaient été tués par son oncle ; il avait donc résolu de dissimuler les aspects de son caractère ou de sa situation qui pouvaient inspirer de la crainte ou de l’envie, et chercha un refuge dans le mépris puisqu’il ne pouvait compter sur la justice. Il fit exprès de passer pour stupide et laissa Tarquin le dépouiller de ses droits et de ses biens au point d’accepter le surnom de Brutus ; cachant sous ce sobriquet l’ardent désir qu’il avait de libérer le peuple romain, il attendait le moment de se révéler [45].

Chez Dion Cassius, Tarquin est responsable de la mort du père de Brutus, le frère n’étant mentionné que par Zonaras, qui peut avoir repris cette information à Tite-Live [46]. Denys d’Halicarnasse signale pour sa part le double meurtre du père de Brutus ainsi que de son frère aîné [47].

Tite-Live nous apprend encore que les Tarquins avaient emmené Brutus dans leur ambassade « pour se moquer de lui » [48] – « comme bouffon », écrit Dion Cassius [49] –, mais que lui, supportant tout cela, faisait à Apollon l’offrande d’une branche de cornouiller dans laquelle il avait dissimulé une baguette en or, figurant son intelligence cachée sous une faiblesse d’esprit feinte [50].

En plus de la mission pour laquelle ils s’étaient rendus en Grèce, les princes demandèrent à l’oracle de Delphes le nom du futur maître de Rome. Il leur fut répondu que le premier qui embrasserait sa mère serait aussi l’homme qui obtiendrait le pouvoir suprême [51] ; Brutus, lorsqu’il entendit cela, eut la présence d’esprit de baiser le sol, « la terre étant de toute évidence la mère de tous les hommes » [52]. Nous avons là tout ensemble un indice de sa vivacité d’esprit, mais également de son ambition et du désir qu’il avait de remplacer lui-même le roi à la tête de l’État.

Haut de la page

L’épisode de Lucrèce et le καιρός de Brutus

L’occasion de la réalisation de ce projet ne devait pas tarder, puisque, au retour de l’ambassade, les Romains préparaient une guerre contre les Rutules. Or l’épisode du viol de Lucrèce devait avoir lieu, de la façon que l’on sait, pendant le siège d’Ardée, capitale de ce peuple [53]. Après que Sextus Tarquin ait pris de force la vertueuse femme, celle-ci fit appeler [54] son père et son mari : « Elle leur demandait de venir, chacun avec un ami sûr ; elle avait besoin d’eux de toute urgence ; il était arrivé un horrible malheur » [55]. Spurius Lucrétius, le père de Lucrèce et dont Tarquin avait fait le préfet de Rome [56], vint en compagnie de Publius Valérius ; de son côté, Tarquin Collatin, le mari, était accompagné de Lucius Junius Brutus, qui était alors à la tête de la garde personnelle du roi, les celeres [57]. Ces quatre hommes allaient devenir les quatre premiers consuls de la République : Brutus et Collatin d’abord, puis Valérius en remplacement du second, et Lucrétius après la mort de Brutus [58].

Au moment de se donner la mort, Lucrèce fit jurer à ces hommes de la venger : « Prenez ma main et jurez de punir mon déshonneur ! » [59]. Les quatre futurs consuls promirent et, seuls, le père et le mari poussèrent un cri lorsque Lucrèce se donna la mort. Brutus, en la circonstance, fut l’homme de la situation :

Les laissant à leur douleur, Brutus retira le couteau de la plaie et déclara en le brandissant, couvert de sang : ‘Prenant les dieux à témoin, je jure par ce sang, si pur avant l’outrage du prince, de lutter contre Lucius Tarquin le Superbe, contre sa criminelle épouse et contre toute sa descendance par le fer, par le feu et par tous les moyens en mon pouvoir ; je jure d’abolir à tout jamais la monarchie de Rome’. Il tendit le couteau à Collatin, puis à Lucrétius et à Valérius, stupéfaits de cette transformation subite : d’où cette assurance nouvelle lui venait-elle ? Répétant la formule, ils prêtèrent serment. La douleur fit place à la colère et ils suivirent les instructions de Brutus qui les appelait à abattre aussitôt la monarchie [60].

Brutus, on le voit, se servit de la souillure infligée par Sextus Tarquin à Lucrèce comme d’un prétexte pour renverser la royauté. En effet, Lucrèce demandait à être vengée de son agresseur : « Il est reparti après avoir pris un plaisir dont je meurs et dont il mourra aussi si vous êtes des hommes » [61]. Le souhait de Lucrèce était donc la mort du fils du roi, et seulement cela, du moins chez Tite-Live [62]. Or que dit Brutus dans son serment ? Il jure de lutter, dans l’ordre, « contre Lucius Tarquin le Superbe, contre sa criminelle épouse et contre toute sa descendance ». La cible que veut abattre Brutus est prioritairement le roi – rappelons-nous que Tarquin avait fait assassiner son frère –, et son objectif est l’abolition de la monarchie. Le sang de Lucrèce n’a été dans cette affaire que le prétexte dont Brutus avait besoin pour passer à l’action [63]. Tite-Live, nous l’avons vu, disait en introduisant plus haut le personnage de Brutus, qu’il dissimulait sous une feinte stupidité « l’ardent désir qu’il avait de libérer le peuple romain », attendant pour ce faire « le moment de se révéler ». Et ce moment, le καιρός, était enfin venu.

La révélation par Brutus de sa véritable personnalité surprit les témoins de la scène, manifestement dupés par la bêtise si longtemps et si efficacement contrefaite par un homme dont nul ne soupçonnait jusque là la véritable nature. Cette surprise s’étendit aux habitants de Collatia, où s’était produit le drame et à qui Brutus montra le cadavre de l’infortunée Lucrèce [64] : si l’affliction de Spurius Lucrétius affecta les personnes présentes, elles furent davantage encore frappées par le fermeté de Brutus « qui blâmait leurs larmes et leurs gémissement et les encourageait à prendre les armes contre ceux qui avaient osé se comporter en ennemis : c’était l’attitude qui convenait à des hommes, à des Romains » [65]. Menant une troupe jusqu’à Rome, Brutus ne cessa pas de surprendre. En tant que tribun de celeres, il fit rassembler en hâte le peuple et prononça « un discours qui ne correspondait plus du tout au caractère et au tempérament qu’il avait simulés jusque là » :

Il évoqua la brutalité et la passion incontrôlée de Sextus Tarquin, le viol inqualifiable de Lucrèce et sa mort affreuse, le deuil de Spurius Lucrétius Tricipitinus qui souffrait et se plaignait moins de la mort de sa fille que des circonstances de cette mort. Il parla ensuite de la tyrannie exercée par le roi, des peines et des corvées infligées à la plèbe, ensevelie dans les tranchées et les égouts qu’il fallait creuser ; les Romains, vainqueurs de tous leurs voisins, de guerriers qu’ils étaient, étaient devenus des terrassiers et des tailleurs de pierre [66] ! Il rappela la mort scandaleuse du roi Servius Tullius, le crime de sa fille qui avait fait rouler sur le corps de son père sa voiture sacrilège [67] et il invoqua la vengeance des dieux Pénates [68].

Par un discours enflammé du genre de ceux « que les orateurs trouvent sous le coup de l’indignation mais que les historiens ont du mal à rendre » [69], Brutus obtint [70] de la foule rassemblée ce qu’il en attendait : la destitution du roi et sa condamnation à l’exil, avec femme et enfants. L’affaire du viol de Lucrèce, ici encore, vint s’ajouter comme un élément à tous les autres griefs que Brutus accumula contre la royauté ; elle fut, si l’on peut dire, la goutte qui fit déborder le vase et l’occasion d’en finir avec un régime haï.

Une manœuvre habile permit à Brutus de réaliser un changement de régime sans répandre de sang : tandis qu’il marchait sur le camp de l’armée romaine devant la ville d’Ardée [71], il apprit que Tarquin se portait vers lui en direction de Rome pour tenter de rétablir la situation à son profit. Brutus évita la rencontre et, par un chemin de traverse, parvint au camp où les troupes l’accueillirent comme un libérateur. Dans le même temps, le roi trouvait à Rome les portes closes et s’entendait signifier sa condamnation à l’exil. La royauté romaine avait vécu. Tullia s’enfuit de Rome [72], Tarquin partit en exil à Caeré en Étrurie avec deux de ses fils, tandis que Sextus trouvait refuge à Gabies pour y trouver la mort peu de temps après [73].

Haut de la page

La naissance de la République

La République pouvait donc se mettre en place : convoquées selon les dispositions que Tite-Live attribue à un Mémoire que Servius Tullius aurait laissé derrière lui [74], les comices centuriates se réunirent pour l’élection des deux premiers consuls de l’ère de la liberté [75] : Lucius Junius Brutus et Lucius Tarquin Collatin[76]. Mais de ces deux hommes, le second allait rapidement être démis de ses fonctions par le premier qui « mit autant d’ardeur à défendre la liberté qu’il en avait mis à la conquérir » [77]. Comme le dit encore Tite-Live, « voulant avant tout empêcher que l’engouement du peuple pour la liberté nouvelle cède un jour aux prières ou aux largesses royales, [Brutus] lui fit jurer de s’opposer au retour des rois » [78].

Cette défense passionnée [79] de l’idéal républicain, à laquelle il faut sans doute associer – nous allons le voir – le désir d’éloigner de lui-même la suspicion entourant l’ancienne famille royale, détermina Brutus à éliminer son collègue, le consul Tarquin Collatin. L’infortuné, à vrai dire, « n’avait d’autre tort que de porter un nom haï de ses concitoyens » [80]. Voyant la détestation qui entourait le seul nom du souverain déposé et mû par son propre désir de tout sacrifier à la liberté, Brutus s’adressa à son collègue dans des termes sans équivoque :

Écarte cette crainte [de voir revenir la royauté] de toi-même, Lucius Tarquin [81], dit-il. Tu as chassé les rois, nous ne l’avons pas oublié et nous le proclamons. Achève cette belle action ! Emporte avec toi le nom des rois loin de Rome ! Tes concitoyens te laisseront la jouissance de tes biens, j’en réponds personnellement, et te donneront même en plus tout ce dont tu pourrais avoir besoin. Pars en ami. Libère l’État d’une crainte qui n’est peut-être pas fondée. L’idée est fermement ancrée que la monarchie n’aura quitté Rome que le jour où les Tarquins n’y seront plus [82].

Collatin, il va sans dire, n’entendit pas les choses de cette façon. Finalement, lorsque son beau-père s’associa au désir unanime exprimé par Brutus, il céda pourtant aux instance de ses concitoyens et jugea préférable de se retirer à Lavinium en conservant son patrimoine, plutôt que de se voir un jour chassé comme ennemi et dépossédé de ses biens. Brutus, à qui les comices donnèrent alors pour collègue Publius Valérius en remplacement de Collatin [83], poursuivit son entreprise de consolidation du nouveau régime et fit voter un décret « condamnant à l’exil tous les membres de la famille Tarquin » [84].

Cette mesure, de même que le discours que nous venons de lire, ne manque pas de surprendre puisque, on le sait, Brutus était lui-même apparenté à Tarquin le Superbe : Tarquin Collatin portait sans doute le nom de l’ancien roi dans le sien, mais il n’était que le fils de son cousin ; Brutus quant à lui n’était rien moins que son neveu par sa mère Tarquinia, la sœur du Superbe. À ne considérer que la parenté, c’est donc Brutus et non Collatin qui aurait dû paraître plus suspect que quiconque. Manifestement, en agitant le spectre du nom honni et en se montrant lui-même pur d’un tel patronyme, Brutus réussit à faire oublier que le sang des Tarquins coulait dans ses veines bien plus que dans celles de Collatin… À l’idéal républicain défendu par Brutus s’ajoutait donc vraisemblablement le désir de reporter sur son seul collègue le ressentiment qui pouvait au même titre être suscité à son propre endroit [85].

Haut de la page

Un consul inflexible

De son côté, Tarquin en exil s’ingéniait à trouver le moyen de reprendre le trône dont il avait été dépossédé. Les jeunes des familles nobles et autrefois bien en cour regrettaient la période royale durant laquelle, bénéficiant des faveurs du souverain, ils n’avaient pas à se soucier de ne pas commettre de délits. Les nostalgiques de l’ancien régime finirent par mettre sur pied un complot, encouragés en secret par des émissaires de Tarquin [86]. Officiellement, ceux-ci étaient en ville pour négocier la restitution des biens appartenant autrefois au roi [87], mais « les démarches qu’ils faisaient en apparence pour le succès de leur mission servaient en fait à sonder les sentiments des jeunes nobles » [88].

Plusieurs se laissèrent gagner et fomentèrent un complot qui devait – du moins était-ce là l’espoir qu’ils caressaient – aboutir à la restauration de la royauté [89] ; il rédigèrent même une lettre destinée au souverain en exil. Parmi eux, Titus et Tibérius, les propres fils du consul Brutus et de son épouse, la sœur de Vitellius. Les deux jeunes gens, aux dires de Denys, sortaient tout juste de l’enfance [90]. Or, la veille du jour où les ambassadeurs devaient repartir pour Tarquinies [91], ceux-ci dînaient justement dans la maison des Vitellii [92], qui leur étaient acquis, et s’entretenaient de leurs projets et de la manière dont ils mettraient fin à la République tout juste née. Cette conversation fut surprise par un esclave du nom de Vindicius [93] qui, quand la lettre des conjurés fut remise aux ambassadeurs, s’empressa d’avertir les consuls de ce qui se tramait [94]. Les conjurés furent arrêtés et jugés pour haute trahison, tandis que le sénat revenait sur sa décision de restituer à Tarquin les biens avec lesquels ses ambassadeurs avaient obtenu de repartir [95]. Le juge qui devait prononcer la sentence contre les traîtres n’était autre que le consul Brutus :

Ce qui frappa surtout les gens, c’est que sa fonction de consul imposa à un père la tâche de punir ses fils et que le hasard voulut qu’il ordonne personnellement une exécution dont la vue même aurait dû lui être épargnée [96].

Tite-Live nous dit qu’à l’arrivée des consuls, les licteurs reçurent de Brutus l’ordre de procéder à l’exécution de ceux qui avaient tenté de renverser la République ,

et pendant ce temps, tout le monde pouvait voir le consul, les traits et l’expression de son visage sans qu’il puisse dissimuler, dans l’exercice de ses fonctions officielles, la souffrance d’un père [97].

Cette scène terrible est présentée d’une manière sensiblement différente chez Plutarque, qui montre Brutus impassible tandis que tout le monde autour de lui s’afflige du spectacle. Lui seul ne détourna pas le regard et « aucun mouvement de pitié n’altéra l’expression de colère et de sévérité sur son visage » [98]. Denys déjà représentait la scène telle que devait la décrire après lui Plutarque et, avant d’en faire la relation, il croit devoir mettre son lecteur en garde :

J’ai à rapporter ce que fit ensuite Brutus, l’un des deux consuls, ses actes grands et admirables auxquels les Romains attachent le plus grand prix ; mais je crains d’exprimer ainsi un comportement que les Grecs taxeront de rigidité et qu’ils jugeront incroyable, puisque la nature porte tous les hommes à juger de ce que l’on rapporte à propos d’autres personnes en fonction de leurs propres expériences, et de décider en fonction d’eux-mêmes ce qui est digne de foi et ce qui ne l’est pas. Et cependant, je vais parler [99].

C’est que la relation des événements décrits par Denys dans les moindres détails, depuis la lecture par Brutus des lettres attestant la culpabilité de ses fils jusqu’à leur exécution que rien ne vint adoucir, cette relation est identique en substance à celle de Plutarque. Tout le peuple, apitoyé par le coup terrible qui frappait le consul, pleurait et voulait épargner à Brutus l’obligation qui incombait au consul d’envoyer ses fils à la mort. Mais celui-ci ne voulut pas contrevenir aux lois, et ne s’accorda pas même de faire exécuter les coupables hors de sa vue. Et, seul parmi tous les citoyens en larmes, Brutus ne se lamentait pas et demeurait pleinement maître de lui :

Plus que toutes les autres actions incroyables et admirables de cet homme, il y eut le fait qu’il regarda fixement [le supplice] sans pleurer. Parmi tous les autres qui s’affligeaient à la vue de ce spectacle, lui seul ne se lamentait pas sur le destin de ses enfants, lui seul ne se plaignait pas de son sort ni de la ruine qui s’abattait sur sa maison, lui seul ne donnait aucun signe de relâchement mais portait courageusement le poids de la catastrophe sans une larme, sans un gémissement. Telle était la force de sa volonté, sa constance à maintenir le jugement, la maîtrise qu’il exerçait sur les passions qui troublent le raisonnement [100].

Le portrait de Brutus tracé ici par Denys met l’accent sur la fermeté impassible du consul et son inaccessibilité aux mouvements passionnels. En ce sens, son attitude dans cette affaire a bien, pour reprendre les mots de Plutarque, un caractère soit divin soit monstrueux, et sans doute plus divin (θεῖον) que monstrueux (θηριῶδες) [101].

Après l’exécution des fils de Brutus ce fut au tour des neveux de Collatin, qui était encore consul au moment des faits selon Denys [102]. Les jeunes gens, pour leur défense, se jetèrent aux pieds de leur oncle dans l’espoir qu’il leur épargnerait le supplice qui venait de frapper les fils de Brutus. Collatin, ému – Plutarque dit qu’il pleurait [103] –, demanda à son collègue d’épargner aux jeunes gens la peine de mort, faisant entre autre valoir que le tyran lui-même avait seulement été exilé et qu’il n’y avait dès lors pas lieu de mettre à mort ceux qui n’étaient que ses amis [104]. Brutus cependant ne voulut rien entendre, et les deux hommes se prirent mutuellement à partie : Collatin, en vertu de l’autorité équivalente qu’il détenait, prétendit casser le jugement de son collège [105], le tenant pour un personnage « obtus et cruel » [106] ; Brutus lui rétorqua que personne, lui vivant, ne remettrait en liberté des traîtres à leur cité et que bientôt Collatin aussi devrait payer pour son peu d’ardeur à soutenir la cause républicaine [107]… C’est à ce moment, si l’on en croit Denys, que Brutus décida de se défaire d’un collègue en qui il avait cessé d’avoir confiance. Il convoqua l’assemblée et leur déclara que Collatin « n’était pas seulement lié aux Tarquins par le sang, mais qu’il avait fait le choix de se ranger de leur côté » [108]. La violente diatribe de Brutus atteint son but : Collatin, en butte à la haine de ses concitoyens [109], ne fut pas même entendu. L’atmosphère du récit dionysien est donc aux antipodes de la relation de Tite-Live, pour qui Brutus, au moment d’évincer son collège (un épisode qu’il place, rappelons-le, avant la conjuration), lui demanda, nous l’avons vu, de « partir en ami ». Chez Denys au contraire, Brutus lui-même est rendu responsable de la détestation qui emporta son infortuné collègue [110].

Toutefois, le tableau tendu et violent des faits décrits par Denys reçoit une accalmie grâce à l’intervention de Spurius Lucrétius, qui obtint de pouvoir s’interposer [111]. L’ancien préfet de la Ville demanda à Collatin de ne pas s’accrocher à une fonction dont, manifestement, le peuple voulait le décharger. Qu’il prouve plutôt sa bonne foi en renonçant à sa charge et en allant s’établir hors de Rome jusqu’à ce que la tranquillité de la République ne soit plus menacée. Brutus de son côté ne devait pas chasser sans ménagement un homme qui avait été son collaborateur en tant de choses pour le bien de l’État. L’avis modéré de Lucrétius prévalut et, à son collègue désolé par la tournure qu’avaient prise les événements, Brutus demanda de ne pas nourrir de ressentiment contre la patrie qui réclamait son départ [112]. Une compensation financière fut accordée au banni, qui reçut en plus de la part de Brutus une somme d’argent importante avant de se retirer à Lavinium « où il mourut à un âge avancé » [113]. Soucieux de ne pas donner l’impression de vouloir régner seul, Brutus s’empressa alors de réunir l’assemblée pour lui désigner un collègue. Publius Valérius fut, comme le dit Plutarque, élu triomphalement [114] au consulat.

Haut de la page

La mort de Brutus

Voyant qu’il n’avait pu reconquérir son trône par la ruse, Tarquin se décida à employer la force. Pour ce faire, il sut convaincre les Étrusques de Véies ainsi que les habitants de Tarquinies de l’aider dans cette entreprise. Aux premiers, il rappela le souvenir des humiliations qu’ils avaient eu à subir de la part des Romains, et aux seconds les liens du sang qui faisaient de lui, Tarquin, un des leurs.

Comme l’armée coalisée des Tarquiniens et des Véiens approchait de Rome, les deux consuls sortirent à sa rencontre à la tête de leurs troupes [115]. Brutus, qui commandait un groupe de cavalerie détaché en reconnaissance, fut repéré par Arruns Tarquin, le fils du Superbe, qui chevauchait en tête de l’armée confédérée. L’escadron du prince se porta aussitôt en direction de celui de Brutus qui, lorsqu’il vit Arruns se précipiter sur lui « releva (…) sans hésiter le défi » :

Ni l’un ni l’autre ne songeait à se protéger des coups pourvu qu’il blesse son adversaire, et ils se jetèrent l’un contre l’autre avec une telle violence que, touchés tous les deux malgré leurs boucliers et accrochés l’un à l’autre par leurs lances, ils tombèrent, mourant, de leur cheval [116].

Ainsi périrent ensemble le premier consul de la République et l’un des fils du dernier roi de Rome. Le récit de la bataille tel qu’il apparaît chez Denys n’est pas identique, car s’il y est fait mention d’une escarmouche [117] entre cavaliers des deux camps avant que le gros des troupes ne soit engagé, la rencontre de Brutus et d’Arruns n’eut lieu selon lui que plus tard, au moment où les deux armées étaient sur le point d’entrer en contact. D’après le récit de Denys, Arruns Tarquin, ayant alors aperçu Brutus, se porta en avant de la ligne de front pour insulter son adversaire et lui proposer de régler l’issue de la bataille en combat singulier. Brutus, irrité par les fanfaronnades du prince [118], se précipita sur son adversaire avec l’issue que l’on sait [119]. Sur quoi les deux armées se lancèrent l’une contre l’autre dans une bataille sanglante.

L’issue de la bataille demeura longtemps incertaine mais la victoire revint finalement aux Romains à la suite de circonstances surnaturelles. En effet, la nuit tombée, une voix [120] se fit entendre dans le bois sacré tout proche, déclarant que l’armée consulaire avait perdu un homme de moins que celle de ses adversaires [121]. Le lendemain, les coalisés avaient pris la fuite, ce qui permit à Valérius de rentrer à Rome après avoir recueilli les dépouilles des victimes et de célébrer un triomphe.

Il fit à son collègue des funérailles aussi magnifiques que le permettaient les moyens de l’époque ; mais aucun hommage rendu à sa mémoire n’égalait l’affliction publique ; le plus remarquable, c’est que les femmes portèrent le deuil pendant un an, puisqu’il avait vengé avec tant de rigueur l’outrage fait à la vertu [122].

Telle fut donc la fin de celui dont les Romains, tout au long de leur histoire [123], n’ont eu de cesse de perpétuer le glorieux souvenir. Quant à nous, nous pouvons clore cette esquisse de la « geste » de Brutus sur ces paroles de Denys, qui résonnent comme une épitaphe à graver au bas du récit de la vie du héros :

Ἰούνιος μὲν δὴ Βροῦτος, ὁ τὴν βασιλείαν ἐκβαλὼν καὶ πρῶτος ἀποδειχθεὶς ὕπατος, ὀψὲ μὲν εἰς ἐπιφάνειαν προελθών, ἀκαρῆ δὲ χρόνον ἀνθήσας ἐν αὐτῇ Ῥωμαίων ἁπάντων κράτιστος φανεὶς τοιαύτης τελευτῆς ἔτυχε...

– Denys d’Halicarnasse V xviii 1

Haut de la page


Notes

[1] Cf. Mary Ann Robbins, art. « Livy’s Brutus », in Studies in Philology 69 (1972), pp. 1-20, ici p. 2, n. 3.

[2] Sur ce point, cf. notamment Timothy Peter Wiseman, art. « The Legend of Lucius Brutus », in Mario Citroni (éd.), Memoria e identità: la cultura romana costruisce la sua immagine, Florence, Università di Firenze, 2003, pp. 21-38, ici pp. 22-23 et n. 6. Comme le dit Wiseman, p. 23, « if there was indeed a real Lucius Brutus in 507 BC (…) the relationship between what he really did and what Fabius Pictor [et à sa suite Tite-Live] attributed to him, after ten generations of oral recycling and elaboration, is analogous to the relationship between the ‘real’ Agamemnon of the Bronze Age, or the ‘real’ King Arthur of the fifth century AD, and the characters who bear those names in Homer and Geofrrey of Monmouth ».

[3] Par exemple, un article du même Wiseman, « Roman republic, Year One », in Greece and Rome 45 (1998), pp. 19-26.

[4] Nous utilisons l’édition française publiée par A. Flobert aux éditions GF Flammarion : Tite-Live. Histoire romaine. Livres I à V. Préface de Jacques Heurgon… Traduction nouvelle, introduction, notes et dossier par Annette Flobert, Paris, s.d. [1995]. Les citations de Flobert (1995) renvoient aux notes de cette édition. Dans notre texte, toutes les citations de Tite-Live sont empruntées à cette traduction. A. Flobert a publié en 7 volumes une traduction française complète des trois décades et demie qui nous restent de l’œuvre livienne aux éditions GF Flammarion. La Collection des Universités de France a publié à ce jour trente volumes et n’est pas encore complète (manquent les livres IX-X, XXII, XXX et XXXIV). La collection LOEB est complète et compte 14 volumes.

[5] À côté des auteurs que nous avons choisi de retenir, il y aurait d’autres sources à faire valoir, par exemple Macrobe (Sat. III xx 5), Cicéron (De div. I xliv), etc.

[6] Nous utilisons l’édition bilingue grec-français de la collection Loeb (qui est complète, en 7 volumes) : The Roman Antiquities of Dionysius of Halicarnassus, with an English Translation by E. Cary, t. II et t. III, Londres – Cambridge (Mass.), Heinemann – Harvard University Press, 1939 et 1940 ; les citations de Cary (1939) renvoient aux notes de cette édition. Les traductions françaises sont de nous. En français, la Collection des Universités de France a publié à ce jour les livres I à III ainsi que des fragments des Antiquités Romaines.

[7] Nous utilisons la traduction des Vies parallèles récemment (2001) publiée par Anne-Marie Ozanam chez Gallimard, coll. « Quarto ». Cette monumentale édition, en un volume unique, annotée et assortie d’un remarquable « Dictionnaire Plutarque » est complète. La Collection des Universités de France, qui propose le texte grec en regard de la traduction française, est complète et compte 16 tomes, de même que l’édition également complète, de la Loeb.

[8] Nous utilisons l’édition bilingue grec-français de la collection Loeb (qui est complète, en neuf volumes) : Dio’s Roman History, with an English Translation by Ernest Cary, t. I, Londres – Cambridge (Mass.), Heinemann – Harvard University Press, 1914. Les traductions françaises pour Dion et Zonaras sont de nous ; les citations de Cary (1914) renvoient à l’introduction et aux notes à cette édition de Dion Cassius. À ce jour, la Collection des Universités de France (Budé) ne propose que les livres XL-XLII, XLVIII-LI et LVII-LIX (5 volumes).

[9] Nous possédons aujourd’hui moins du tiers de l’œuvre originale de Dion Cassius, soit la plus grande partie des livres XXXVI à LX, qui couvrent la période allant de 69 av. J.-C. à 46 de notre ère.

[10] Comme l’explique Cary (1914), p. xx, les extraits reproduisent mot à mot ou pour l’essentiel des passages de l’œuvre originale de Cassius, tandis que les résumés, « while they often repeat entire sentences of Dio verbatim, or nearly so (as may readily be seen by comparing extant portions of the histories with Zonaras or Xiphilinus), must, nevertheless, be regarded as essentially paraphrases ».

[11] Les trop rares fragments du livre III ne permettent pas une comparaison avec le récit de Tite-Live relatif à Brutus à l’aube de la République  ; seul le fragment III xiii 1 paraît confirmer le deuil d’un an porté par les femmes à la mort du consul : « Πένθος αἱ γυναῖκες ἐνιαυτῷ ὅλῳ ἐποιήσαντο ».

[12] Zonaras s’appuie sur Dion Cassius pour les livres VII à IX (sur XVIII) de son Ἐπιτομὴ ἱστοριῶν, qui portent sur l’histoire romaine depuis l’arrivée d’Énée dans le Latium jusqu’à la destruction de Corinthe ; Zonaras se sert également, pour cette période, de Plutarque et d’Hérodote. Cary (1914), p. xxiv, indique que Zonaras « is (…) of great importance for Books I-XXI, and to a lesser degree for Books XLIV-LXVII », tandis que « for Books LXI-LXXX our chief authority is Xiphilinus », qui appartient à la génération précédant celle de Zonaras, puisque Xiphilin fut au service de l’empereur Michel VII Ducas (mort en 1078).

[13] Cf. Cary (1914), p. xvii : « Schwartz has shown that down to the end of the Second Punic War Dio holds independant course between the various traditions known to us », après quoi il suit davantage Tite-Live. – E. Schwartz est l’auteur de la notice consacrée à Dion Cassius dans la Real-Encyclopädie de Paully-Wissowa, t. III, 1899, pp. 1684-1722 ; Cary, p. xxxi, estime que la contribution de Schwartz est « by far the best general account of Dio’s work ».

[14] Denys d’Halicarnasse présente une relation beaucoup plus circonstanciée de l’installation de Démarate en Italie en III xlvi 3-5 : « Κορίνθιός τις ἀνὴρ κ.τ.λ. » ; il en fait un membre de la famille des Bacchiades, qui, selon Cary (1939), p. 183, n. 1, « were the ruling family at Corinth in early times. The kings after Bacchis (ca. 926-891 B.C.) were all chosen from among his descendants, and after the abolition of the monarchy, the family ruled as an oligarchy ».

[15] Denys note que ce sont deux noms tyrrhéniens, II xlvi 5 : « Γενομένων δ´ αὐτῷ δυεῖν παίδων Τυρρηνικὰ θέμενος αὐτοῖς ὀνόματα, τῷ μὲν Ἄρροντα, τῷ δὲ Λοκόμωνα » ; Démarate avait tissé des liens commerciaux importants entre la Grèce d’où il était originaire et les cités tyrrhéniennes, « qui étaient à cette époque les plus florissantes de toute l’Italie – ἐν ταῖς Τυρρηνῶν πόλεσιν εὐδαιμονούσαις μάλιστα τῶν ἐν Ἰταλίᾳ », III xlvi 3.

[16] Tite-Live I xxxiv 1-2 : « Anco regnante Lucumo (…) Demarati Corinthii filius erat, qui ob seditiones domo profugus cum Tarquiniis forte consedisset, uxore. Ibi ducta duos filios genuit. Nomina his Lucumo atque Arruns fuerunt ».

[17] D’après Denys, Démarate mourut de chagrin quelques jours seulement après son fils Arruns, III xlvii 1 : « Καὶ μετ´ ὀλίγας ἡμέρας αὐτὸς ὁ Δημάρατος ὑπὸ λύπης τελευτᾷ ».

[18] Tite-Live I xxxiv 3 : « (…) uero post aui mortem in nullam sortem bonorum nato ab inopia Egerio inditum nomen ».

[19] Ou plutôt, contre Fabius Pictor et la majorité des historiens, un petit-fils : c’est l’opinion que soutient Denys d’Halicarnasse, pour les mêmes raisons qu’il fait d’Arruns et de Lucius non pas les fils mais les petits-fils de Tarquin l’Ancien, cf. IV lxiv 3.

[20] Le nom de Collatin vient de ce qu’Égérius reçut de son oncle Tarquin l’Ancien l’ordre de défendre la petite ville de Collatia (sur la rive gauche de l’Anio, à une quinzaine de kilomètres à l’est de Rome), après que celle-ci eut été prise aux Sabins : « La ville de Collatia, avec la partie de son territoire tournée vers Rome, fut prise aux Sabins. Tarquin [l’Ancien] confia à Égérius, le fils de son frère, la défense de la ville », Tite-Live I xxxviii 1. Le lien entre le rôle joué par Égérius à Collatia et le nom de Collatin donné à son fils est explicitement établi par Denys d’Halicarnasse, III l 3 : « Ἐξ οὗ [le nom de la ville de Collatia] δὲ παρέλαβε τὴν ἐκείνης τῆς πόλεως ἐπιμέλειαν αὐτός [Arruns dit Égérius, le neveu de Tarquin l’Ancien] τε Κολλατῖνος ἐπεκλήθη καὶ πάντες οἱ ἀπ´ ἐκείνου γενόμενοι ». 

[21] Tite-Live I lvii 7 ; l’élément Tricipitinus apparaît en I lxix 8.

[22] Tite-Live I xxxiv 10 et xxxv.

[23] Tite-Live I xxxix 4 : « Inde puerum liberum loco coeptum haberi erudirique artibus, quibus ingenia ad magnae fortunae cultum excitantur ».

[24] En I xxxix 4, Tite-Live écrit seulement que Tarquin cherchait à se donner un gendre (« cum quaereretur gener Tarquinio »), mais un passage du chapitre xl laisse entendre que ce désir est doublé du souci de se trouver un héritier, et pas seulement un homme digne de sa fille. En effet, les fils d’Ancus, tandis qu’ils préparent l’élimination de Tarquin l’Ancien, décident de s’en prendre à lui plutôt qu’à Servius parce que, celui-ci « une fois mort, il [Tarquin] pourrait trouver un autre gendre et en faire l’héritier du trône – Seruio occiso quemcumque alium generum delegisset, eundem regni heredem facturus uidebatur », Tite-Live I xl 4. Tarquin n’aurait donc pas encore eu de fils ? Nous reviendrons sur cette question dans la suite.

Tarquinia, l’épouse de Servius, suivra son mari dans la tombe, d’après le témoignage de Denys, qui rapporte qu’elle mourut la nuit qui suivit l’assassinat de Servius, soit de chagrin, soit exécutée sur ordre de Lucius et de Tullia, IV xl 6 : « (…) τῇ κατόπιν νυκτὶ ἀποθνήσκει. τοῦ θανάτου δ´ ὁ τρόπος, ὅστις ἦν, ἠγνοεῖτο τοῖς πολλοῖς· ἔλεγον δ´ οἱ μὲν ὑπὸ λύπης αὐτοχειρίᾳ τὸ ζῆν προεμένην αὐτὴν ἀποθανεῖν· οἱ δ´ ὑπὸ τοῦ γαμβροῦ καὶ τῆς θυγατρὸς ἀναιρεθῆναι τῆς εἰς τὸν ἄνδρα συμπαθείας τε καὶ εὐνοίας ἕνεκα ».

[25] Denys IV iii 4 : « Ὁ δὲ βασιλεὺς κηδεστὴν [Servius] ἐποιήσατο τὴν ἑτέραν τῶν θυγατέρων ἐγγυήσας ».

[26] Ou petits-fils, cf. Tite-Live, I xlvi 4 : « Ce Lucius Tarquin donc, fils ou petit-fils de Tarquin l’Ancien – on ne sait pas au juste mais j’en ferais plutôt son fils, en accord avec la plupart des historiens – avait un frère (…) – Hic L. Tarquinius, Prisci Tarquini regis filius neposne fuerit, parum liquet, pluribus tamen auctoribus filium ediderim, fratrem habuerat (…) ». La parenté immédiate est exprimée plusieurs fois par Tite Live (I xlvii, xlviii, lv). Denys d’Halicarnasse soutient au contraire que Tarquin l’Ancien n’eut pas de fils puisque, écrit-il, Servius monta sur le trône « après la mort de Tarquin qui ne laissait pas de descendance mâle – μετὰ τὴν Λευκίου Ταρκυνίου τελευτὴν (…) οὐκ οὔσης Ταρκυνίῳ γενεᾶς ἄρρενος », III lxv 6. Plus loin, il précise qu’en fait, Tanaquil avait bien eu un fils, mais qu’il était déjà décédé, laissant à son tour deux enfants en bas âge, IV iv 2 : « Ἔτυχε δ´ αὐτῇ νεανίας μὲν υἱὸς οὐ πρὸ πολλοῦ τετελευτηκὼς χρόνου, παιδία δ´ ἐξ ἐκείνου δύο νήπια καταλειπόμενα ».

[27] Nous apprenons par Dion Cassius (dans l’ἐπιτομή VII 9 de Zonaras), que Lucius était le fils aîné. Leur différence de caractère n’est pas présentée de la même manière que chez Tite-Live, qui oppose un Arruns au « tempérament paisible » à son frère « naturellement violent », I xlvi 2 et 4. Chez Dion Cassius, il est question de la colère du fils cadet de Tarquin l’Ancien, bien réelle, mais cependant il est vrai très inférieure à celle de son frère, cf. Zonaras VII 9 : « Ὁ μὲν νεώτερος, κἂν ἐχαλέπαινεν, ἔφερε, τῷ δὲ τῷ χρόνῳ πτοήκοντι οὐκέτι τοῦ Τουλλίου ἐδόκει ἀνέχεστθαι ».

[28] Tite-Live I xlii 1 : « (…) ne, qualis Anci liberum animus aduersus Tarquinium fuerat, talis aduersus se Tarquini liberum esset ».

[29] Dion Cassius II, dans l’ἐπιτομή VII 9 : « [Tanaquil et Servius] κἀν τούτῳ πίστεις ἀλλήλοις, ἔδοσαν ὥστε τὸν Τούλλιον τὴν ἀρχὴν εἰληφότα τοῖς παισὶν αὐτῆς ἀνδρωθείσιν ἐκστῆναι ταύτης ». Chez Denys d’Halicarnasse, Tarquin et Arruns sont les petits-fils de Tarquin l’Ancien, et Tanaquil demande à Servius de monter sur le trône en étant un père pour ces deux jeunes enfants, jusqu’au moment où il pourrait faire de l’aîné le chef des Romains, IV iv 8 : « (…) ὅταν δ´ εἰς, dit Tanaquil à Servius, ἄνδρας ἔλθωσι καὶ τὰ κοινὰ πράττειν ἱκανοὶ γένωνται, τὸν πρεσβύτερον αὐτῶν ἀποδεῖξαι Ῥωμαίων ἡγεμόνα ».

[30] Dion Cassius II, dans l’ἐπιτομή VII 9 : « Καὶ πρῶτον μὲν τοὺς Ταρκυνίου παῖδας προυβάλλετο ὡς αὐτὸς τὴν ἡγεμονίαν ἐπιτροπεύων ».

[31] Dion Cassius II, dans l’ἐπιτομή VII 9 : « (…) τὴν βασιλείαν αὐτοῖς [les fils de Tarquin l’Ancien] ἀποδώσειν ἐπαγγελόμενος ἄλλοτε ἄλλο τι προφασιζόμενος ἀνεβάλλετο ».

[32] Tite-Live II i 3 : « Nul doute que le même Brutus, qui s’est attiré tant de gloire pour avoir chassé le despote, aurait fait le plus grand tort à l’État si, en voulant instaurer plus tôt la république, il avait renversé la royauté lors d’un des règnes précédents – Neque ambigitur, quin Brutus idem, qui tantum gloriae Superbo exacto rege meruit, pessimo publico id facturus fuerit, si libertatis inmaturae cupidine priorum regum alicui regnum extorsisset. ».

[33] Cf. Tite-Live I xlviii 8 : « (…) cum illo [sc. Seruio] simul iusta ac legitima regna occiderunt [sc. Lucius et Tullia] ».

[34] Cf. le discours prêté par Denys à Servius en IV xxxiv-xxxvi, spécialement xxxiv 1-2 : « Καὶ συναγαγὼν ἅπαντας εἰς ἐκκλησίαν ἀπεδίδουν αὐτοῖς ἀρχὴν (…) Οὐκ ἠνέσχοντο Ῥωμαῖοι ταῦτά μου πράττειν βουλομένου οὐδ´ ἠξίωσαν ἕτερόν τινα τῶν κοινῶν ἀποδεῖξαι κύριον, ἀλλ´ ἐμὲ κατέσχον καὶ τὴν βασιλείαν ἔδωκάν μοι ψῆφον ἐπενέγκαντες, τὴν ἑαυτῶν, Ταρκύνιε, κτῆσιν, οὐ τὴν ὑμετέραν ».

[35] Nous ne nous étendons pas sur cette question, que Denys défend de manière convaincante (IV vi-vii en entier) ; le seul historien antérieur qui fait des deux princes les petits-fils et non les fils de Tarquin est, au témoignage de Denys, l’annaliste L. Pison Frugi (cf. IV vii 5) – sur cet auteur, cf. Gary Forsythe, The Historian L. Calpurnius Piso Frugi and the Roman Annalistic Tradition, Lanham – New York – Londres, University Press of America, 1994.

[36] Cette précision est proposée par les annalistes et citée par Denys IV xxx 3.

[37] La plus jeune des Tullia, écrit Tite-Live, délaissait son mari pour le frère de celui-ci, « tota in alterum auersa Tarquinium », I xlvi 6.

[38] Tite-Live, parlant de Lucius Tarquin, dit qu’il était « muliebribus instinctus furiis », I xlvii 7. Pour Dion Cassius, cf. l’ἐπιτομή VII 9 de Zonaras : « (…) ἑπομένης αὐτῷ καὶ τῆς γυναικὸς Τουλλίας ».

[39] Cf. le long discours prêté par Denys à Tullia et qui occupe l’ensemble du chapitre xxix du livre IV ; la finale mérite d’être citée, IV xxix 7 : « Bien que l’on puisse hésiter quand il s’agit de commettre tout autre crime, personne n’est à blâmer d’aucune façon pour avoir tout essayé afin de s’emparer du trône – καὶ γὰρ ἐὰν τἆλλα τις ἀδικεῖν ὀκνῇ, βασιλείας γε χάριν οὐ νέμεσις ἅπαντα τολμᾶν ». Denys ne nous dit d’abord rien de la manière dont moururent Arruns et l’aînée des Tullia, sinon que la cause de leur mort fut identique : « Διελθόντος δ´ οὐ πολλοῦ μετὰ ταῦτα χρόνου τοῖς αὐτοῖς πάθεσιν ἀποθνήσκουσιν ἥ τε πρεσβυτέρα τῶν Τυλλίου θυγατέρων καὶ ὁ νεώτερος τῶν Ταρκυνίων ». Plus loin, Denys rapportera un discours attribué à Brutus dans lequel celui-ci, s’adressant à la plèbe et lui demandant son assistance pour chasser Tarquin le Superbe, rappelle les circonstances de la mort d’Arruns et de l’aînée des Tullia, IV lxxix 1-2 : « Citoyens ! dit-il, c’est ce Tarquin qui, avant de s’emparer du pouvoir, a empoisonné son propre frère Arruns, parce que celui-ci ne voulait pas devenir mauvais ; dans cette entreprise, il fut assisté par la femme de celui-ci, la sœur de la sienne propre et que depuis longtemps déjà cet ennemi des dieux avait corrompue. Voilà l’homme qui, les mêmes jours et avec les mêmes poisons, a tué sa femme, une épouse vertueuse et la mère de ses enfants. Etc. – Οὗτός ἐστιν, ἄνδρες πολῖται, ὁ Ταρκύνιος ὁ πρὸ τοῦ παραλαβεῖν τὴν ἀρχὴν Ἄρροντα τὸν γνήσιον ἀδελφόν, ὅτι πονηρὸς οὐκ ἐβούλετο γενέσθαι, φαρμάκοις διαχρησάμενος, συνεργὸν εἰς τοῦτο τὸ μῦσος λαβὼν τὴν ἐκείνου γυναῖκα, τῆς δ´ αὐτῷ συνοικούσης ἀδελφήν, ἣν ἐμοίχευεν ὁ θεοῖς ἐχθρὸς ἔτι καὶ πάλαι· οὗτος ὁ τὴν γαμετὴν γυναῖκα, σώφρονα καὶ τέκνων κοινωνὸν γεγονυῖαν, ἐν ταῖς αὐταῖς ἡμέραις καὶ διὰ τῶν αὐτῶν φαρμάκων ἀποκτείνας κ.τ.λ. ». Noter ici que Brutus rend Tarquin responsable de la perversité de Tullia, alors que celle-ci était mauvaise avant de s’associer à Tarquin, selon le récit de Denys en IV xxviii.

[40] « Sur les instances de Tullia – admonitu Tulliae », selon Tite-Live I xlviii 5 ; dans le même sens, cf. Denys IV xxxix 2, qui rapporte une brève exhortation de Tullia à son mari qui s’achève sur cette recommandation : « Mais, avant que Servius ne parvienne chez lui, envoie des hommes qui le mettront hors de tes pieds - ἀλλὰ καὶ πρὶν εἰς τὴν οἰκίαν αὐτὸν εἰσελθεῖν, ἀποστείλας τοὺς διαχρησομένους ἐκποδῶν ποίησον ».  

[41] Tite-Live I xlix 1 : « (…) cui Superbo cognomen facta indiderunt ».

[42] Nous apprenons qu’il eut trois fils en I liii 5, où Tite-Live nous dit également que Sextus était le plus jeune, « minimus » (Denys d’Halicarnasse fait de Sextus l’aîné des fils de Tarquin : « Ὁ πρεσβύτατος αὐτοῦ τῶν υἱῶν Σέξτος ὄνομα », IV lv 1 et encore plus loin en IV lxiv 2). Le nom des deux autres fils apparaît pour la première fois chez Tite-Live en I lvi, à l’occasion de l’ambassade envoyée vers Delphes.

[43] Tite-Live I xlix 9 : « Octauio Mamilio Tusculano, is longe princeps Latini nominis erat, si famae credimus, ab Vlixe deaque Circa oriundus, ei Mamilio filiam nuptum dat ». Cf. Denys IV xlv 1, qui dit également de cet homme qu’il faisait remonter sa lignée à Télégone, le fils d’Ulysse et de Circé, et qu’il était du reste un politicien avisé et un général compétent : « (…) Ὀκταούιος Μαμίλιος, ἀνέφερε δὲ τὸ γένος εἰς Τηλέγονον τὸν ἐξ Ὀδυσσέως καὶ Κίρκης, κατῴκει δ´ ἐν πόλει Τύσκλῳ, ἐδόκει δὲ τὰ πολιτικὰ συνετὸς ἐν ὀλίγοις εἶναι καὶ πολέμους στρατηγεῖν ἱκανός ».

[44] « Au milieu de ces activités, le roi assista à un prodige effrayant : un serpent sortit d’une colonne en bois et les témoins, affolés, vinrent se réfugier au palais ; le roi pour sa part fut moins effrayé sur le moment que profondément soucieux et inquiet. (…) Cette scène, qui à son sens touchait sa famille, l’avait troublé si profondément qu’il décida d’expédier une ambassade à Delphes, pour consulter l’oracle le plus célèbre du monde » (I lvi). Denys d’Halicarnasse, de son côté, écrit que l’oracle de Delphes fut consulté à propos d’une épidémie (« ὑπὲρ τοῦ λοιμοῦ », IV lxix 2) qui faisait des ravages parmi la jeunesse et plus encore parmi les femmes enceintes. À propos de ce prodige, cf. T.P. Wiseman (1972), p. 25.

[45] « L. Iunius Brutus, Tarquinia, sorore regis, natus, iuuenis longe alius ingenio quam cuius simulationem induerat. Is cum primores ciuitatis, in quibus fratrem suum, ab auunculo interfectum audisset, neque in animo suo quicquam regi timendum neque in fortuna concupiscendum relinquere statuit contemptuque tutus esse, ubi in iure parum praesidii esset. Ergo ex industria factus ad imitationem stultitiae, cum se suaque praedae esse regi sineret, Bruti quoque haud abnuit cognomen, ut sub eius obtentu cognominis liberator ille populi Romani animus latens opperiretur tempora sua », I lvi 7- 8. M. A. Robbins (1972), p. 3, attire l’attention sur le fait que, dans ce passage, « Livy’s syntax and diction sharpen this picture of play-acting. In this section the description of Brutus’ motives and action is repetitive: simulatio, imitatio, ex industria, effigies ».

Comme le fait remarquer A. Flobert (1997), p. 147, n. 135, « cette histoire, invraisemblable, est née du surnom Brutus, ‘imbécile’, de la gens Junia » ; elle fait valoir que cette parenté a été construite de toutes pièces par la famille Junia, qui cherchait par là à se désolidariser de la plèbe, dont elle était issue, vraisemblablement à l’époque du consulat de Décimus Junius Brutus (325) ou de la censure de Gaius (307). Sur ce point, Denys d’Halicarnasse observe que les familles de Junii et des Bruti se sont efforcées d’établir une parenté entre elles et le fondateur de la République, mais qu’elles n’en avaient pas en réalité, cf. V xviii 1-2 ; voir également Marcus Brutus, chez Plutarque, Cés. LXII 1 et Brut. I 1.

[46] Dion Cassius II xi 10 : « (…) après que le roi ait tué son père (…) - ἐπειδὴ τόν τε πατέρα αὐτοῦ ἀπεκτόνει ». Cary (1914, p. 79) ajoute « and brother » entre crochets dans sa traduction, d’après le témoignage de Tite-Live et conformément à l’ἐπιτομή de Zonaras (VII 11) où l’on peut lire que « οὗ [de Brutus] τὸν πατέρα καὶ τὸν ἀδελφὸν ὁ Ταρκύνιος ἔκτεινεν ».

[47] Tarquin, écrit Denys, « τὸν ἐκείνου [de Brutus] πατέρα διεχρήσατο ἀφανεῖ θανάτῳ (…) καὶ σὺν αὐτῷ τὸν πρεσβύτερον υἱόν », IV lxviii 2. En IV lxxvii 3, Brutus, dans son discours au peuple, rappelle le double meurtre de son père et de son frère par Tarquin.

[48] Selon leur habitude ; Denys rapporte que Tarquin avait recueilli Brutus encore enfant, après avoir fait assassiner son père et son frère aîné, non pour l’honorer mais parce que, le croyant réellement simple d’esprit, il le jugeait tout à fait indiqué pour divertir ses propres enfants, IV lxix 1 : « (…) μετὰ τῶν ἰδίων παίδων ἐπέτρεπεν, οὐ διὰ τιμήν, ὡς ἐσκήπτετο πρὸς τοὺς πέλας οἷα δὴ συγγενής, ἀλλ´ ἵνα γέλωτα παρέχῃ τοῖς μειρακίοις λέγων τ´ ἀνόητα πολλὰ καὶ πράττων ὅμοια τοῖς κατ´ ἀλήθειαν ἠλιθίοις ».

[49] Même remarque chez Dion Cassius : Brutus accompagne l’ambassade « ὥσπερ τι ἄθυρμα » (II xi 10 – « ὡς ἄθυρμα » dans l’ἐπιτομή de Zonaras VII 11) ; le terme ἄθυρμα signifie ‘jouet’, ‘divertissement’. Cf. aussi Denys d’Halicarnasse : Tarquin envoie Brutus avec deux de ses fils « pour qu’il aient un souffre-douleur dont ils puissent abuser – ἵνα κατασκώπτειν τε καὶ περιυβρίζειν ἔχοιεν », IV lxix 2.

[50] Cette offrande de vile apparence avait été l’objet de sarcasmes de la part des princes Titus et Arruns, cf. Dion Cassius II xi 11 : « (…) τοῦ Βροῦτου τό τε δῶρον ἔσκωπτον » ; et dans l’ἐπιτομή de Zonaras VII 11 : « (…) ὅθεν καὶ ἐπὶ τούτῳ ὠφλίσκανε γέλωτα ».

[51] Le sens de l’expression imperium summum employée ici par Tite-Live (I lvi 10) est discuté par T.P. Wiseman (2003), pp. 27-28, qui le compare avec les témoignages parallèles de Valère Maxime (VII iii 2) et du pseudo-Aurélius Victor (De vir. Illustr. X 3), qui parlent de summam potestatem.

[52] Tite-Live I lvi 12 : « (…) uelut si prolapsus cecidisset, terram osculo contigit, scilicet quod ea communis mater omnium mortalium esset » (Flobert [1995], p. 147 traduit « il glissa, tomba et embrassa », ce qui est insuffisamment précis). Comme le note M.A. Robbins (1972), p. 5, « this fall to the ground would be in the character of a fool ». De son côté, Dion Cassius écrit aussi que, pour ne pas paraître suspect en embrassant la terre, Brutus fit « comme s’il était tombé à terre – ὡς καὶ καταπεσών », II xi 12 ; Zonaras, dans son ἐπιτομή VII 11, est plus précis : « (…) ὡς τυχαίως καταπεςών ». Pour sa part, Denys d’Halicarnasse soutient que Brutus embrassa le sol d’Italie dès que le bateau de l’ambassade accosta au retour de la consultation de l’oracle, IV lxix 4 : « (…) τάχιστα τῆς Ἰταλίας ἐπέβη, προσκύψας κατεφίλησε τὴν γῆν ».

[53] Comme le rappelle Wiseman (2003), p. 34, « in the tradition exploited by Virgil [cf. Aen. X 688, XII 22], Ardea is the city of Turnus ’ father Daunus ».

[54] Denys d’Halicarnasse nous livre une version différente des faits, où c’est Lucrèce elle-même (IV lxvi 1 et suiv.) qui, après son viol, se rend auprès de son père à Rome. Là, elle lui demande de rassembler les citoyens les plus illustres (« τῶν ἐπιφανεστάτων ἀνδρῶν », IV lxvii 1) pour qu’ils entendent le récit des outrages dont elle a été victime et dont elle veut être vengée. Là-dessus, elle se donne la mort (IV lvii). Parmi les personnes qui s’étaient rassemblées dans la maison de Lucrétius, un certain Publius Valérius, témoin de la scène, « homme d’action et réfléchi » (« δραστήριος ἀνὴρ καὶ φρόνιμος », IV lxvii 3), est envoyé au camp d’Ardée pour propager la nouvelle. À peine sorti de Rome, il rencontre justement Collatin, qui ne sait encore rien des événements tragiques qui viennent de se produire, accompagné de Lucius Junius Brutus. Les trois hommes retournent en hâte chez Lucrétius, et tandis que le père et le mari versent des larmes sur le cadavre de Lucrèce, Brutus les appelle à se ressaisir (IV lxx), jure de chasser les Tarquins et impose aux autres de prononcer le même serment (IV lxxi).

Chez Plutarque, Brutus s’en va trouver Publius Valérius après la mort de Lucrèce (« Λεύκιος Βροῦτος ἁπτόμενος τῶν πραγμάτων τῆς μεταβολῆς ἐπὶ πρῶτον ἦλθε τὸν Οὐαλέριον », Pub. I 3) ; c’est donc que son futur collègue au consulat n’était pas parmi les personnes présentes.

[55] Tite-Live I lviii 5 : « Lucretia maesta tanto malo nuntium Romam eundem ad patrem Ardeamque ad uirum mittit, ut cum singulis fidelibus amicis ueniant ; ita facto maturatoque opus esse; rem atrocem incidisse ». Sur la base de ce passage, nous rejetons l’opinion de M.A. Robins (1972) lorsqu’elle affirme, p. 5 que « that Brutus attends Lucretia’s suicide is an accident in a series of accidents » et que, parmi ceux qui sont présents à l’occasion de ce drame « Brutus is simply an anonymous member of the group ». Cette opinion contredit le témoignage explicite de Tite-Live, qui mentionne la venue de Brutus en compagnie de Collatin après que Lucrèce ait demandé à son père et son mari « ut cum singulis fidelibus amicis ueniant ».

[56] Cf. Tite-Live I lix 12 : « Imperium in urbe Lucretio, praefecto urbis iam ante ab rege instituto, relinquit [sc. Brutus] ». Cf. également Denys IV lxxxii 1 qui parle de Spurius Lucrétius comme de « ὃν ἀπέδειξε τῆς πόλεως ἔπαρχον ὁ τύραννος ἐξιὼν ἐπὶ τὸν πόλεμον ». Le terme grec ἔπαρχος désigne chez les Romains, dans le vocabulaire de Polybe, un gouverneur de province, un proconsul ou un (pro)préteur ; chez Hérodien (II vi 12), il sert à désigner le préfet de le ville.

[57] Cf. Tite-Live I lix 7 : « (…) tribunum celerum, in quo tum magistratu forte Brutus erat » ; chez Denys aussi, Brutus est le chef des celeres, cf. IV lxxi 6 – sur le corps des celeres, fort de trois cents hommes, voir Tite-Live I xv 8 pour leur institution par Romulus ; A. Flobert (1995), p. 152, n. 141 remarque à cet égard que « cette fonction ne semble pas en accord avec le rôle que Brutus avait accepté de jouer jusque là », à savoir celui d’un simple d’esprit. – On peut par ailleurs discuter l’institution des celeres par Romulus : ce corps de troupe a-t-il continué d’exister sous les rois de Rome ou bien a-t-il été réinstauré par Tarquin le Superbe ? Le témoignage de Dion Cassius (apud Zonaras VII 10) suggère de retenir de préférence la seconde hypothèse : « (…) ὁ Ταρκύνιος (…) δορυφόρους κατὰ Ῥωμύλον ἑαυτῷ περιέστησε ».

[58] Le consulat de Lucrétius fut cependant très bref et sujet à caution, comme le note Tite-Live, II viii 4-5 : « [Valérius] réunit les comices pour l’élection de son collègue. Spurius Lucrétius fut désigné ; c’était un vieillard qui n’avait plus la force de remplir sa charge et il mourut quelques jours plus tard. (…) Certains historiens anciens ne mentionnent pas le consulat de Lucrétius (…) Je pense que son consulat est tombé dans l’oubli parce qu’il n’a été marqué par aucun événement ». Denys rapporte également que Spurius Lucrétius fut élu au consulat mais « mourut après n’avoir été en fonction qu’un petit nombre de jours – οὐ πολλὰς ἡμέρας τὴν ἀρχὴν κατασχὼν ἀποθνήσκει », V xix 2.

[59] Tite-Live I lviii 7 : « Sed date dexteras fidemque haud impune adultero fore ! ».

[60] Tite-Live I lix 1-2 : « Brutus illis luctu occupatis cultrum ex uulnere Lucretiae extractum manantem cruore prae se tenens, per hunc inquit castissimum ante regiam iniuriam sanguinem iuro uosque, dii, testes facio me L. Tarquinium Superbum cum scelerata coniuge et omni liberorum stirpe ferro, igni, quacumque dehinc ui possim, exacturum nec illos nec alium quemquam regnare Romae passurum. Cultrum deinde Conlatino tradit, inde Lucretio ac Valerio, stupentibus miraculo rei, unde nouum in Bruti pectore ingenium. Vt praeceptum erat, iurant ; totique ab luctu uersi in iram, Brutum iam inde ad expugnandum regnum uocantem sequuntur ducem ».

[61] Tite-Live I lviii 8 : « (…) mihi sibique, si uos uiri estis, pestiferum hinc abstulit gaudium ».

[62] Le récit de Dion Cassius comporte un élément supplémentaire, puisque Lucrèce demande à être vengée et enjoint à son mari et à son père (ainsi qu’à Brutus et Valérius, dans l’ἐπιτομή de Zonaras VII 11) de « se libérer », à savoir du joug des Tarquins : « (…) ἐλευθερώσατε δὲ ἑαυτούς », II xi 19 – variante dans les mss. et signalée par Cary [1914], p. 88, n. 1 : αὐτοί  ; cf. « (…) ἐλευθερώθητε δὲ αὐτοί » chez Zonaras VII 11.

[63] Sur ce point, nous rejoignons entièrement A.M. Robinson (1972), p. 72 : « Brutus does not swear to avenge Lucretia; he vows to wipe out the royal family and to destroy the monarchy at Rome (…) Brutus turns the dishonor and suicide of Lucretia into a prextext for revolution ».

[64] Dans l’ἐπιτομή de Zonaras, Brutus, « dans l’urgence, s’appuie sur le conseil et le zèle de Publius – καὶ τῷ Ποπλίῳ συμβούλῳ καὶ προθύμῳ πρὸς τοὔργον ὁ Βροῦτος χρησάμενος », VII 11.

[65] Tite-Live I lix 4 : « (…) tum Brutus castigator lacrimarum atque inertium querellarum auctorque, quod uiros, quod Romanos deceret, arma capiendi aduersus hostilia ausos ».

[66] Sur les guerres de Tarquin chez Tite-Live, cf. I liii-liv (contre les Volsques et Gabies) et lvii (contre les Rutules). Sur les travaux entrepris à Rome sous Tarquin, cf. I lv et lvi : « (…) les plébéiens aimaient mieux bâtir de leurs mains les temples des dieux qu’accomplir les travaux qu’on leur imposa par la suite, moins prestigieux et plus fatigants : par exemple, construire les gradins du cirque ou creuser le grand égout qui devait collecter les ordures de toute la ville. (…) Voilà les travaux qui occupèrent la plèbe sans relâche », I lvi 1-3 ; voir également Denys IV xliii.

[67] La prise de pouvoir de Tarquin est décrite chez Tite-Live en I xlvii, et le meurtre de Servius Tullius en I xlviii.

[68] Tite-Live I lix 8-10 : « Ibi oratio habita nequaquam eius pectoris ingeniique, quod simulatum ad eam diem fuerat, de ui ac libidine Sex. Tarquinii, de stupro infando Lucretiae et miserabili caede, de orbitate Tricipitini, cui morte filiae causa mortis indignior ac miserabilior esset. Addita superbia ipsius regis miseriaeque et labores plebis in fossas cloacasque exhauriendas demersae ; Romanos homines, uictores omnium circa populorum, opifices ac lapicidas pro bellatoribus factos. Indigna Ser. Tulli regis memorata caedes et inuecta corpori patris nefando uehiculo filia inuocatique ultores parentum di ».

[69] Tite-Live I lix 11 : « (…) quae praesens rerum indignitas haudquaquam relatu scriptoribus facilia subicit ». Denys attribue à Brutus un discours-fleuve en IV lxxvii-lxxxiiv.

[70] À l’unanimité dit Denys, IV lxxxiv 5 : « (…) ψῆφος οὐδεμία ἐγένετο ἐναντία ».

[71] Chez Denys d’Halicarnasse, Brutus reste à Rome et les troupes devant Ardée font défection tandis que Tarquin, ayant trouvé les portes de Rome fermées, revient vers le camp, où des lettres l’ont précédé, envoyées par les consuls pour détacher l’armée du tyran, IV lxxxv 2 : « Οἱ γὰρ ὕπατοι ταχεῖαν αὐτοῦ τὴν παρουσίαν ἐπὶ τὴν πόλιν προορώμενοι πέμπουσι γράμματα καθ´ ἑτέρας ὁδοὺς πρὸς τοὺς ἐπὶ τοῦ στρατοπέδου παρακαλοῦντες αὐτοὺς ἀποστῆναι τοῦ τυράννου καὶ τὰ δόξαντα τοῖς ἐν ἄστει ποιοῦντες φανερά ». Les soldats, comme les civils avant eux, ratifient à l’unanimité (πᾶσιν, IV lxxxv 3) la destitution de Tarquin.

[72] Dans le récit de Tite-Live, « Tullia s’enfuit [de Rome] à la faveur de la confusion ; partout sur son passage les hommes et les femmes la maudissaient et appelaient sur elle la vengeance des Furies paternelles », I lix 13. Dans son ἐπιτομή de Dion Cassius, Zonaras note que « seule Tullia, comme le dit l’histoire, se supprima – μόνης τῆς Τουλλίας, ὡς λόγος, ἑαυτήν ἀνελούσης », VII 11.

[73] D’après Denys VI xi 1-2 et xii 5, Sextus Tarquin est tué avec son frère Titus pendant la bataille du lac Régille en 499/496 (la date est discutée, mais l’établissement de ce point n’entre pas dans notre propos).

[74] Cf. Tite-Live I lx 4 : « (…) ex commentariis Serui Tulli ». Plus haut, en I xlviii 9 rapportait « d’après certains auteurs, il [Servius] aurait eu le projet de renoncer au pouvoir personnel, bien qu’il l’ait exercé avec équité et modération, si un crime né dans sa famille ne l’avait pris de court au moment où il songeait à libérer sa patrie ». Ainsi, le quart de siècle qu’a duré le règne de Tarquin n’aurait fait que retarder un processus inéluctable voulu par le « bon roi » Servius et que la vertu de ce monarque amenait à lui apparaître comme souhaitable.

Le rôle de Brutus dans la mise en place du système républicain est plus appuyé chez Denys d’Halicarnasse, qui met dans la bouche de ce personnage un long discours (IV lxxiii-lxxv) dans lequel il propose une description de la manière dont il conçoit le nouveau régime et du visage que celui-ci devra prendre à son avis, un avis qui sera suivi.

Chez Plutarque, c’est le peuple qui réclame que deux hommes soient placés ensemble à la tête de l’État, Pub. I 4 : « (…) τοῦ δήμου (…) δύο προβαλλομένου καὶ καλοῦντος ».

[75] Le nom de libertas est, d’après l’usage, la manière ordinaire pour un Romain de parler de la République. Nous avons déjà rencontré ce terme plus haut, dans le passage de Tite-Live I lvi où il était question du désir que nourrissait Brutus de « libérer le peuple ». Le livre II de l’Ab Vrbe condita, qui fait suite aux événements décrits jusqu’ici, commence par ces mots : « Rome était désormais libre » (II i 1 ; plus exactement, Tite-Live dit que c’est le peuple romain qui était libre : « Liberi iam hinc populi Romani »).

[76] Comme le note Denys, c’est Spurius Lucrétius, l’ancien préfet de la Ville , qui, désigné par Brutus comme interrex, convoque l’assemblée au Champ de Mars. Celle-ci accorde le pouvoir à Brutus et à Collatin, et son choix est ensuite ratifié par les comices centuriates, cf. IV lxxxiv 5.

Plutarque nous dit que le choix de Collatin se fit « contre la volonté » (ἄκοντι, Pub. I 5) de Brutus, vraisemblablement parce que, d’après cet auteur, cf. Pub. I 3, c’est avec le soutien de Valérius plutôt qu’avec celui de Collatin que Brutus put renverser le pouvoir des rois.

[77] Tite-Live II i 8 : « (…) qui non acrior uindex libertatis fuerat, quam deinde custos fuit ».

[78] Tite-Live II i 9 : « (…) auidum nouae libertatis populum, ne postmodum flecti precibus aut donis regiis posset, iure iurando adegit neminem Romae passuros regnare ».

[79] Il y a peut-être quelque chose d’excessif dans l’attitude presque fanatique de Brutus, qui estimait nécessaire de « se montrer très vigilant et [de] ne rien négliger quand il était question de la liberté – id [la sauvegarde de la liberté] summa ope tuendum esse neque ullam rem, quae eo pertineat, contemnendam », II ii 5. Tite-Live note même et avec une pointe de réserve – cela vaut d’être mentionné : « Je me demande d’ailleurs si on ne commit pas alors des abus, en voulant protéger la liberté sur tous les fronts et dans les moindres détails – ac nescio an nimis undique eam minimisque rebus muniendo modum excesserint », II ii 2.

[80] Tite-Live II ii 3 : « (…) cum nihil aliud offenderet, nomen inuisum ciuitati fuit ». Chez Plutarque également, le seul nom de Tarquin Collatin était odieux aux Romains, et l’homme leur paraissait suspect en raison de sa parenté avec le Superbe, Pub. VII 6 : « Ὁ δὲ Κολλατῖνος ἦν μὲν ὡς ἔοικεν ἐν ὑποψίᾳ τινὶ καὶ διὰ συγγένειαν τῶν βασιλέων, ἤχθοντο δ´ αὐτοῦ καὶ τῷ δευτέρῳ τῶν ὀνομάτων, ἀφοσιούμενοι τὸν Ταρκύνιον ».

[81] M.A. Robbins (1972), p. 12, observe que « when Brutus is urging Collatinus to withdraw from Rome , he adresses him as L. Tarquinius, not as Collatinus ». Par contre, quand Tite-Live évoque la réaction de Collatin , il le désigne comme consul ; ainsi, remarque encore Robbins, p. 13, « Livy makes a contrast between Collatinus as he is depicted by his adversaries and Collatinus in the dignity of his office ».

[82] Tite-Live II ii 7 : « Hunc tu, inquit, tua uoluntate, L. Tarquini, remoue metum. Meminimus, fatemur, eiecisti reges ; absolue beneficium tuum, aufer hinc regium nomen. Res tuas tibi non solum reddent ciues tui auctore me, sed, si quid deest, munifice augebunt. Amicus abi ; exonera ciuitatem uano forsitan metu : ita persuasum est animis, cum gente Tarquinia regnum hinc abiturum ».

[83] Après la renonciation de Collatin (que Denys place après les événements que nous aurons à décrire dans un instant), Denys note que Brutus s’empressa de réunir l’assemblée pour que personne ne le soupçonne d’avoir écarté son collègue dans le but d’exercer seul le pouvoir des rois, V xii 3 : « Ὁ δὲ Βροῦτος οὐκ ἀξιῶν μόνος ἄρχειν οὐδ´ εἰς ὑπόνοιαν ἐλθεῖν τοῖς πολίταις, ὅτι μοναρχίας ὑπαχθεὶς πόθῳ τὸν συνύπατον ἐξήλασεν ἐκ τῆς πατρίδος, καλέσας τὸν δῆμον εἰς τὸ πεδίον κ.τ.λ. ».

[84] Tite-Live II ii 11 : « (…) ut omnes Tarquiniae gentis exules essent ».

[85] Nous trouvons une opinion similaire exprimée par Jean-Jacques Ampère, dans son Histoire Romaine à Rome, 1856, 2ème partie, chap. 1 : « [Brutus] ne voulut-il point rassurer les défiances auxquelles Collatin fut sacrifié, et aller au-devant de ces défiances qui auraient pu l’atteindre ? » (l’ouvrage complet est disponible en ligne sur le site http://perso.wanadoo.fr/textes.histoire).

[86] Plutarque rapporte qu’il y eut deux ambassades envoyées par Tarquin : la première était une tentative de revenir à Rome en faisant des propositions « modérées » (λόγους ἐπιεικεῖς, Pub. II 3), la seconde est celle qui sollicite la restitution des biens appartenant autrefois au roi (Pub. III 1 et suiv.).

[87] Chez Denys, les ambassadeurs de Tarquin sont envoyés demander pour l’ancien roi le droit de venir en personne défendre sa cause (V iv) ; mais Brutus leur fait savoir qu’une loi a été votée, qui interdit le retour de l’ancienne famille royale à Rome (V v 1). C’est alors seulement que les envoyés du Superbe demandent qu’on leur accorde « un autre acte de justice » (« ἕτερόν τι δίκαιον » V v 2), à savoir la restitution des biens dont le monarque s’est retrouvé dépossédé. Ces biens étaient ceux qu’il a hérités de son grand-père et qu’il entend récupérer pour vivre ailleurs, sans plus causer d’ennuis aux Romains, V v 3 : « (…) ἀποδοῦναι τῷ βασιλεῖ τὴν οὐσίαν, ἣν ὁ πάππος αὐτοῦ πρότερον ἐκέκτητο οὐθὲν τῶν ὑμετέρων οὔτε βίᾳ κατασχὼν οὔτε λάθρα, παρὰ δὲ τοῦ πατρὸς διαδεξάμενος καὶ πρὸς ὑμᾶς μετενέγκας. ἀπόχρη γὰρ αὐτῷ τὰ ἑαυτοῦ κομισαμένῳ ζῆν ἑτέρωθί που μακαρίως μηθὲν ἐνοχλοῦντι ὑμῖν ».

[88] Tite-Live II iii 6 : « Interim legati alia moliri, aperte bona repetentes clam recuperandi regni consilia struere et tamquam ad id, quod agi uidebatur, ambientes nobilium adulescentium animos pertemptant ».

[89] D’après Plutarque, les conspirateurs prêtent serment d’une horrible manière, « en égorgeant un homme, en faisant des libations avec son sang et en posant la main sur ses entrailles – ἀνθρώπου σφαγέντος ἐπισπείσαντας αἷμα καὶ τῶν σπλάγχνων θιγόντας », Pub. IV 1.

[90] Denys écrit en effet qu’ils « commençaient à avoir de la barbe – ἀρχόμενοι γενειᾶν », V vi 4.

[91] Selon Tite-Live, leur mission officielle était un succès puisque le Sénat avait voté la restitution des biens de Tarquin (II iv 3) ; mais Denys d’Halicarnasse observe que ce « τι δίκαιον » (cf. ci-dessus) avait rencontré l’opposition de Brutus, qui demandait que l’on conservât les biens du Superbe « à la fois en punition des maux, nombreux et graves, causés par les tyrans au bien commun et pour le profit que l’on en retirerait en privant Tarquin de ressources qui pourraient lui servir à faire la guerre – τῶν δ´ ὑπάτων Βροῦτος μὲν κατέχειν τὰ χρήματα συνεβούλευσε τιμωρίας τε χάριν ἀνθ´ ὧν οἱ τύραννοι τὸ κοινὸν ἠδίκησαν πολλῶν ὄντων καὶ μεγάλων, καὶ τοῦ συμφέροντος ἕνεκεν, ἵνα μὴ γένοιτ´ αὐτοῖς ἀφορμὴ πρὸς τὸν πόλεμον », V v 3. Collatin, encore consul à ce moment d’après Denys, fut d’un avis contraire (V v 4). Le vote final appuya de justesse l’avis de Collatin (V vi 2). Le débat contradictoire qui opposa Plutarque à Collatin fut, d’après Plutarque, beaucoup plus violent, puisque cet auteur soutient que Brutus, « homme inflexible et dont la colère était violente – ἄτρεπτος ὢν ἀνὴρ καὶ τραχὺς ὀργὴν », Pub. III 2, jugeant que l’attitude de son collègue était inadmissible, « le dénonça comme un traître – προδότην ἀποκαλῶν τὸν συνάρχοντα », Pub. III 2.

[92] Chez Denys d’Halicarnasse (V vi 4) et chez Plutarque (Pub. IV 2), la réunion eut lieu dans la maison des Aquilii, les fils de la sœur de Collatin (tout comme les Vitellii étaient les frères de la femme de Brutus), du même âge que les fils de Brutus. Les fils d’un des consuls et les neveux de l’autre (cf. note précédente, Collatin était encore consul à ce moment selon Denys) trempaient donc dans la conjuration.

[93] Sur ce nom, cf. Tite-Live II v 9-10 : l’esclave qui révéla la conspiration « reçut une somme d’argent puisée dans le trésor, la liberté et le droit de cité. On dit que ce fut le premier affranchissement par la baguette ; d’autre pensent que le personnage se serait appelé Vindicius et que le nom de la baguette viendrait de là ». Vindicius, un captif de Caenina d’après Denys, occupait la fonction d’échanson (οἰνοχόος, V vii 3). Cf. également Plutarque, Pub. VII 7-8.

[94] Tite-Live dit bien que Vindicius « rem ad consultes detulit », II iv 6 ; de son côté, Denys rapporte que ledit esclave se rendit chez Publius Valérius : « ἀφικόμενος δ´ ὡς Πόπλιον Οὐαλέριον » (V vii 4). Plutarque également pense que Vindicius se rendit auprès de Valérius, redoutant la réaction des consuls quand ils apprendraient que plusieurs de leurs proches trempaient dans la conspiration (Pub. IV 4-5). Selon la chronologie des événements de Tite-Live, Valérius est bien l’un des deux consuls à ce moment ; mais ce n’est pas le cas chez Denys et Plutarque, qui placent l’affaire avant l’éviction du consul Collatin (comme nous l’avons vu ci-dessus, cf. Denys V v 4) et parlent ici de Valérius non pas comme d’un des consuls, mais simplement comme « l’un des quatre personnages qui avaient renversé la tyrannie – ἐν τοῖς πρώτοις τέτταρσιν ἦν τῶν τὴν τυραννίδα καταλυσάντων », V vii 4.

Valérius fait alors irruption chez les Aquilii, arrête les conjurés et s’empare des lettres que ceux-ci avaient rédigées à l’intention de Tarquin, puis il les « emmène devant les consuls – καθίστησιν ἐπὶ τοὺς ὑπάτους », V vii 5.

Dans sa relation des événements, Plutarque s’accorde avec Denys pour situer l’ambassade (et d’après lui le double ambassade) de Tarquin auprès de la République sous le consulat de Brutus et de Collatin, cf. Pub. III 1 et suiv.

[95] Cf. Tite-Live II v 1.

[96] Tite-Live II v 5 : « (…) poenae capiendae ministerium patri de liberis consulatus inposuit, et, qui spectator erat amouendus, eum ipsum fortuna exactorem supplicii dedit ». L’intervention du hasard (fortuna) dans cette affaire s’explique facilement : en II i 8, Tite-Live avait expliqué, en exposant le pouvoir des consuls, qu’on « prit seulement la précaution, pour ne pas avoir l’air de multiplier par deux leur pouvoir, de ne pas donner les faisceaux aux deux consuls en même temps ». L’exercice effectif du pouvoir se faisait donc à tour de rôle entre les deux consuls, et il se trouve – voilà l’intervention du hasard – que la conjuration fut découverte au moment où c’était à Brutus de prendre les décisions (cf. A. Flobert [1995], p. 164, n. 153). Plus simplement, M.A. Robbins (1972), p. 14, écrit que, si Brutus est décrit comme une victime de la fortune, c’est parce que « he wanted to be consul, and this [le devoir de présider à l’exécution de ses fils] is the duty it brings ».

[97] Tite-Live II v 8 : « (…) cum inter omne tempus pater uultusque et os eius spectaculo esset eminente animo patrio inter publicae poenae ministerium ».

[98] Cette description très différente du récit livien est présentée par Plutarque, Pub. VI 4 : « Τῶν μὲν ἄλλων οὐ δυναμένων προσορᾶν οὐδὲ καρτερούντων, ἐκεῖνον δὲ λέγεται μήτε τὰς ὄψεις ἀπαγαγεῖν ἀλλαχόσε, μήτ´ οἴκτῳ τι τρέψαι τῆς περὶ τὸ πρόσωπον ὀργῆς καὶ βαρύτητος, ἀλλὰ δεινὸν ἐνορᾶν κολαζομένοις τοῖς παισίν ».

[99] Denys V viii 1 : « Τὰ δὲ μετὰ ταῦτα ἔργα θατέρου τῶν ὑπάτων Βρούτου μεγάλα καὶ θαυμαστὰ λέγειν ἔχων, ἐφ´ οἷς μέγιστα φρονοῦσι Ῥωμαῖοι, δέδοικα μὴ σκληρὰ καὶ ἄπιστα τοῖς Ἕλλησι δόξω λέγειν, ἐπειδὴ πεφύκασιν ἅπαντες ἀπὸ τῶν ἰδίων παθῶν τὰ περὶ τῶν ἄλλων λεγόμενα κρίνειν καὶ τὸ πιστὸν ἄπιστον ἐφ´ ἑαυτοὺς ποιεῖν· ἐρῶ δ´ οὖν ὅμως ». Plutarque porte sur cette scène tout à la fois atroce et sublime un regard bien digne de l’homme sage qu’il est : Brutus, nous dit-il, avait « accompli un acte que personne ne peut louer ou blâmer à sa juste mesure – ἔργον εἰργασμένος οὔτ´ ἐπαινεῖν βουλομένοις ἀξίως οὔτε ψέγειν ἐφικτόν », Pub. VI 5. Soit en effet, il maîtrisait absolument ses passions, soit il agissait sous le coup d’une passion inhumaine ; en cela, « il fut ou divin ou monstrueux – ἢ θεῖον ἢ θηριῶδες », Pub. VI 5 (et plus probablement divin, Pub. VI 6).

[100] Denys V viii 6 : « Ὑπὲρ ἅπαντα δὲ τὰ παράδοξα καὶ θαυμαστὰ τοῦ ἀνδρὸς τὸ ἀτενὲς τῆς ὄψεως καὶ ἄτεγκτον ἦν· ὅς γε τῶν ἄλλων ἁπάντων ὅσοι τῷ πάθει παρεγένοντο κλαιόντων μόνος οὔτ´ ἀνακλαυσάμενος ὤφθη τὸν μόρον τῶν τέκνων οὔτ´ ἀποιμώξας ἑαυτὸν τῆς καθεξούσης τὸν οἶκον ἐρημίας οὔτ´ ἄλλο μαλακὸν οὐθὲν ἐνδούς, ἀλλ´ ἄδακρύς τε καὶ ἀστένακτος καὶ ἀτενὴς διαμένων εὐκαρδίως ἤνεγκε τὴν συμφοράν. οὕτως ἰσχυρὸς ἦν τὴν γνώμην καὶ βέβαιος τὰ κριθέντα διατηρεῖν καὶ τῶν ἐπιταραττόντων τοὺς λογισμοὺς παθῶν καρτερός ».

[101] C’est également l’avis de Plutarque, nous l’avons dit. Toutefois, on peut signaler une différence notable entre le récit de Denys et celui de Plutarque : la colère est absente de la relation de Denys, mais non de celle de Plutarque, pour qui Brutus portait sur son visage « une expression de colère (ὀργῆς) et de sévérité », Pub. VI 4. Si Brutus agit sous le coup de la colère, il agit en monstre, car cette passion assimile l’homme à une brute, et Plutarque le sait fort bien. Mais Plutarque choisit de « régler plutôt son jugement sur la gloire de l’homme – τῇ δόξῃ τοῦ ἀνδρὸς τὴν κρίσιν ἕπεσθαι μᾶλλον », Pub. VI 6, c’est-à-dire qu’il reconnaît que Brutus a agi en homme pleinement maître de lui, ce qui rejoint le témoignage de Denys cité plus haut, V viii 6. Notons encore que Plutarque, parlant de la bataille du pré Naevius où Brutus et Arruns Tarquin devaient trouver la mort, rapporte que le consul et son adversaire se jetèrent l’un contre l’autre, « poussés par la haine et la colère – ὑπ´ ἔχθους καὶ ὀργῆς », Pub. IX 3.

Il est particulièrement intéressant de noter sur ce point le jugement sensiblement différent que porte Plutarque sur le personnage du fondateur de la République au début de la biographie de Marcus Brutus. Lucius Junius, écrit-il alors, « avait un caractère naturellement rigide, qui ne se laissa pas adoucir par la raison : il poussa si loin la haine des tyrans qu’il tua ses propres enfants – σκληρὸν ἐκ φύσεως καὶ οὐ μαλακὸν ἔχων ὑπὸ λόγου τὸ ἦθος, ἄχρι παιδοφονίας ἐξώκειλε τῷ θυμῷ τῷ κατὰ τῶν τυράννων », Brut. I 2. Sur la colère de Brutus, nous renvoyons à l’article de R. Lucot, « La colère de Brutus », in Revue des Études Latines 23 (1955), p. 129 et suiv.

[102] Denys V ix. Rappelons que pour Tite-Live (cf. II ii), Collatin n’est plus consul au moment des faits, et l’épisode que nous allons décrire n’a dès lors pas sa place dans le récit livien.

[103] Cf. Plutarque Pub. VI 2 : « (…) δεδακρυμένος ».

[104] Denys V ix 3 : « Ἄτοπον εἶναι λέγων τοὺς μὲν τυράννους φυγαῖς ἐζημιῶσθαι, τοὺς δὲ τῶν τυράννων φίλους θανάτῳ ». Collatin, ici comme déjà plus haut, lorsque son opinion avait prévalu quand il avait été question de savoir si l’on devait restituer à Tarquin ses biens (V v 4), se montre habile en paroles, et les arguments qu’il propose ne manquent pas de valeur. Chez Plutarque, Brutus avait quitté l’assemblée après avoir condamné ses fils à mort (Pub. VI 5 et VII 1), estimant qu’il avait autorité sur eux seuls et non sur les autres condamnés (Pub. VII 5). Rappelé par Valérius, Brutus coupe court aux hésitations de Collatin et remet l’affaire au jugement du peuple, qui vote l’exécution des coupables.

[105] Cf. note précédente : pour Plutarque, Pub. VII 5, Brutus condamne ses fils en tant que chef de famille, et estime que ce n’est pas à lui, même en tant que consul, de condamner les autres accusés, mais au peuple romain.

[106] Denys V ix 3 : « (…) σκαιὸς (…) καὶ πικρὸς ».

[107] Denys V ix 3 « Ἀλλὰ καὶ σὺ δώσεις δίκας ἃς προσῆκεν οὐκ εἰς μακράν ».

[108] Denys V x 2 : « Ἔστιν οὐ μόνον τῇ φύσει Ταρκυνίων συγγενής, ἀλλὰ καὶ τῇ προαιρέσει ». Collatin est donc désigné comme ennemi du peuple romain et de la liberté, et Brutus, dans le discours que lui attribue Denys, n’hésite pas à dire ouvertement en s’adressant à son collègue que, s’il est avec les Romains de corps, son esprit est avec leurs ennemis, V x 7 : « Κολλατῖνε, ὃς τὸ μὲν σῶμα παρ´ ἡμῖν ἔχεις,τὴν δὲ ψυχὴν παρὰ τοῖς πολεμίοις ».

[109] Denys V xi 2 : « (…) ἠγριωμένων δὲ τῶν πολιτῶν πρὸς αὐτὸν ».

[110] Pour Plutarque, nous l’avons vu, Collatin était déjà suspect en raison de sa parenté avec le roi Tarquin, dont il portait en outre le nom haï des Romains dans le sien. La faiblesse de Collatin dans l’affaire où Brutus avait, par contraste, montré une fermeté surhumaine, avait achevé de le rendre odieux au peuple : il fut, écrit Plutarque, Pub. VII 6, « en butte à la haine générale – παντάπασι προσκρούσας ».

[111] Denys V xi 2-3. Cette épisode est absent du récit de Plutarque, qui dit simplement, Pub. VII 6, que Collatin « choisit de démissionner et de quitter discrètement la Ville – ἀφῆκε τὴν ἀρχὴν ἑκὼν καὶ τῆς πόλεως ὑπεξῆλθεν ».

[112] Cf. Denys V xii 1-2.

[113] Denys V xii 3 : « (…) ἐν ᾗ γηραιὸς ἐτελεύτα ».

[114] Plutarque, Pub. VII 7 : « λαμπρῶς ».

[115] Le lieu où se rencontrèrent les deux armées ne peut être déterminé avec précision. Tite-Live, II vii 2, parle de la proximité d’une « forêt Arsia », d’où fut entendue la voix dont on reparlera plus loin. Plutarque parle des lieux sacrés que sont le bois Horatius et le pré Naevius (Ὁράτιον ἄλσος… Ναιούιον λειμῶνα, Pub. IX 2) ; dans le même sens que Plutarque, cf. Denys IV xiv 1 : « (…) ἐν λειμῶνι καλουμένῳ Ναιβίῳ παρὰ δρυμὸν ἱερὸν ἥρωος Ὁρατίου ». Le terme ἄλσος désigne un bois sacré, et δρυμός une forêt (de chênes). Ces indices ne nous permettent cependant pas d’établir la localisation précise du site de la bataille.

[116] Tite-Live II vi 9 : « (…) neuter, dum hostem uulneraret, sui protegendi corporis memor, ut contrario ictu per parmam uterque transfixus, duabus haerentes hastis moribundi ex equis lapsi sint ». Et Michelet de s’exclamer (Histoire romaine, livre I, chap. 1) : « C’est la mort d’Étéocle et de Polynice ».

[117] Denys V xiv 2 : « (…) μάχη βραχεῖά τις ».

[118] Denys V xv 2 : « (…) οὐκ ἀξιῶν τοὺς ὀνειδισμοὺς ὑπομένειν ».

[119] En quoi Denys s’accorde avec Tite-Live, contrairement à Plutarque, qui laisse entendre qu’il y eut une vraie passe d’armes entre les deux hommes, et non un unique coup, Pub. IX 4 : « Comme ils luttaient avec plus d’emportement que de prudence, sans chercher à préserver leur vie, ils s’entretuèrent – θυμῷ δὲ μᾶλλον ἢ λογισμῷ προσμείξαντες, ἠφείδησαν αὑτῶν καὶ συναπέθανον ἀλλήλοις ».

[120] La voix du dieu Silvain selon Tite-Live (II vii 2), celle du héros Horace ou du dieu Faunus chez Denys (V xvi 2). Plutarque parle seulement d’une « agitation » du bois sacré – λέγουσι σεισθῆναι τὸ ἄλσος, Pub. IX 6 –, qui fit entendre une voix, sans en identifier la source, sinon qu’elle fut « sans doute d’origine divine – ἦν δ´ ἄρα θεῖόν τι τὸ φθεγξάμενον », Pub. IX 7.

[121] Tite-Live II vii 2. Cf. le récit plus détaillé chez Denys V xvi, avec toutefois une différence notable : alors que, chez Tite-Live, la voix de la forêt entendue de nuit proclame la victoire des Romains et démoralise leurs adversaires qui quittent le champ de bataille avant le lever du jour, chez Denys cette même voix décide le consul Valérius à prendre d’assaut le camp retranché de l’adversaire alors qu’il fait encore nuit. L’opération est un succès et le consul fait un grand carnage des ennemis, cf. V xvi 3. Chez Plutarque, la voix entendue la nuit répand la terreur dans le camp des coalisés qui se dispersent en grande partie. Le reste de leurs troupes est attaqué par les Romains et fait prisonnier, cf. Pub. IX 7.

[122] Tite-Live II vii 4 : « Collegae funus quanto tum potuit apparatu fecit ; sed multo maius morti decus publica fuit maestitia, eo ante omnia insignis, quia matronae annum ut parentem eum luxerunt, quod tam acer ultor uiolatae pudicitiae fuisset ». Nous avons vu, dans le texte de Tite-Live, que la mort de Lucrèce avait surtout servi de prétexte à Brutus pour mener à bien un projet qu’il méditait depuis plus longtemps. Le serment que lui prête Tite-Live ainsi que sa conduite ultérieure, tout donne à penser que la vengeance de l’infortunée Lucrèce ne constituait pas la priorité d’un homme qui était l’ennemi personnel d’un oncle qui avait causé la mort de son frère.

Chez Denys V xvii, le récit des funérailles de Brutus est plus circonstancié ; d’après lui, c’est Valérius lui-même qui prononça l’éloge funèbre du défunt (même récit chez Plutarque, Pub. IX 10, qui résume ici la discussion de Denys) – notons au passage que c’est l’occasion pour Denys d’évoquer la coutume des oraisons funèbres et de noter que cette coutume est observée « avec plus de sagesse » chez les Romains qu’elle ne l’est chez les Athéniens. Les Romains accordent en effet cet honneur à tous leurs grands hommes, qu’ils soient civils ou militaires, tandis que les Athéniens le réservent à ceux qui sont tombés au champ d’honneur.

[123] Nous l’avons vu, Denys d’Halicarnasse, à l’aube de l’ère impériale, rapportait les actes de Brutus en disant que « les Romains y attachent le plus grand prix – ἐφ´ οἷς μέγιστα φρονοῦσι Ῥωμαῖοι », V viii 1.

 


FEC - Folia Electronica Classica  (Louvain-la-Neuve) - Numéro 13 - janvier-juin 2007

<folia_electronica@fltr.ucl.ac.be>