FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 6 - juillet-décembre 2003


Une forme d’étude comparée de la littérature latine et de la littérature française :
 les modalités de l’imitation

par

Gérard Freyburger

Professeur à l'Université Marc-Bloch, Strabourg


Creliana. Revue des arts, littératures et cultures européennes est une revue publiée depuis 2001 par le Centre de Recherche sur l'Europe littéraire de l'Université de Haute-Alsace, Mulhouse. Chaque numéro est entièrement consacré à un thème clef de la création artistique et littéraire en Europe. La revue existe sous deux formes : papier et CD-Rom. On trouvera plus d'informations sur son site.

L'article repris ci-dessous, avec l'aimable autorisation de son auteur et des responsables de la revue, est extrait de Creliana, t. 2, 2002, p. 13-19. Ce tome 2 est intitulé D'une Italie à l'autre.

[Note de l'éditeur - 8 novembre 2003]


Plan


Introduction

C’est un lieu commun de dire que la littérature latine s'est formée sur le modèle de la littérature grecque et la littérature française sur le modèle de la littérature latine. Mais on s'est moins intéressé aux modalités concrètes de cette imitation. Je voudrais, dans cette brève contribution, donner quelques exemples d'imitation d'auteurs latins par des auteurs français et les présenter en suivant la méthode qu'a toujours pratiquée l'éminent comparatiste qu'est Roland Beyer : préférer les faits aux théories et lier l'enseignement à la recherche. Dans cette demière perspective, Roland Beyer a dirigé de nombreux travaux d'étudiants qu'il a associés à sa réflexion. Je signalerai donc moi aussi de tels travaux ayant traité de cas concrets d'imitation. De cette imitation d'auteurs latins par des auteurs français, je donnerai des exemples tirés de trois époques : la Renaissance, le XVIIe siècle et le XX siècle.


Cas d'imitation de la Renaissance

On sait que la Défense et Illustration de la Langue Française de J. Du Bellay est une espèce de manifeste de l'imitation puisque l'auteur y recommande notamment l'« innutrition » de la langue et des procédés de style des Anciens. Il faut cependant préciser que la tradition de l'iniitation remontait bien plus haut : au moyen âge d'abord, où l'on imitait déjà les auteurs anciens [1]; à l’Antiquité elle-même ensuite, où les auteurs latins imitaient couramment les auteurs grecs [2] et où les auteurs latins s'imitaient entre eux [3]. Dans l’Antiquité, l'imitation se faisait le plus souvent selon un certain code : on « affichait son modèle » selon l'expression de J. Gaillard [4], en reproduisant un passage ou une expression caractéristiques de l'auteur irnité : c'était l'imitatio proprement dite, où les lecteurs reconnaissaient l'hommage à un illustre prédécesseur, sans qu'il fût en général nécessaire de le nommer [5]. Mais on essayait aussi de faire mieux que le modèle : c'était l'aemulatio, par laquelle on « rivalisait » avec lui.

L'exemple du carpe diem

L'exemple du carpe diem (littéralement « cueille le jour »), repris par Ronsard à Horace, est célèbre.

Le poète latin a employé l'expression pour terminer une ode - sans doute, comme souvent, destinée à agrémenter une fin de banquet - où il recommande à la belle Leuconoé :

...spatio brevi,
spem longam reseces. Dum loquimur, fugerit invida,
aetas : carpe diem, quam minimum credula postero [
6].

« Cueillir le jour » est une expression forte et poétique, mais un peu heurtée, car elle repose sur la métonymie hardie du « jour » implicitement assimilé à une « fleur ». Ronsard s'est essayé deux fois à l'imiter et l'a améliorée dans le sens d'une plus grande fluidité. Dans Mignonne, allons voir si la rose, il écrit après avoir filé le thème du caractère éphémère de la rose :

Cueillez, cueillez vostre jeunesse.
Comme à ceste fleur, la vielllesse
Fera ternir vostre beauté [
7].

Dans les Sonnets à Hélène,il note après avoir évoqué l'usure du temps :

Vivez si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dés aujourd'huy les roses de la vie [
8].

On remarque que, dans la première version de son imitation, avec l'expression « cueillez vostre jeunesse », Ronsard s'est cru tenu de conserver le caractère heurté de la tournure horacienne. Dans la deuxième en revanche (« cueillez les roses de la vie »), écrite sept ans seulement avant sa mort, Ronsard s'est estimé autorisé à se détacher davantage de son modèle et à aboutir à une formule française plus naturelle : la maturité de son art s'est donc accompagnée d'une prise de distance par rapport au modèle imité.

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L'exemple des Divers jeux rustiques de Du Bellay

Un exemple tiré des Divers jeux rustiques de Du Bellay est moins célèbre, mais nous l'avons choisi du fait que, plaisamment, il fait référence à l'Italie, très présente dans ces Hommages.

Du Bellay se réfère au carmen 5, bien connu, de Catulle, où celui-ci adresse à Lesbie l'ardente sollicitation suivante :

Da mihi basia mille, deinde centum,
Dein mille altera, dein secunda centum,
Deinde usque altera mille, deinde centum [
9]...

Du Bellay jugeait le passage si connu de ses lecteurs qu'il s'y réfère sans le citer dans son poème Bayser [10] :

Sus ma petite Columbelle,
Ma petite belle rebelle,
Qu'on me paye ce qu'on me doit :
qu'autant de baysers on me donne,
Que le poëte de Véronne
A sa Lesbie en demandoit [
11].

Son aemulatio consiste d'abord à surenchérir en affirmant qu'il est encore plus avide de baisers que Catulle puisque le nombre qu'il demande ne peut être compté, puis à ajouter une comparaison champêtre en rapprochant le nombre illimité de ces baisers de l'innombrable quantité de fleurs et de raisin que produit la campagne fertile, enfin à faire cette pointe finale : ces baisers, dit-il, il ne les veut pas à la française,

Je les veulx à l'italienne,
Et telz que l'Acidalienne [
12]
Les donne à Mars son amoureux :
Lors sera contente ma vie,
Et n'auray sur les Dieux envie,
Ny sur leur nectar savoureux [
13].

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Cas d'imitation au XVIIe siècle

Considérons le cas de Molière par rapport à Plaute dans l'Amphitryon et celui de Racine par rapport à Sénèque dans Phèdre. Nous commencerons par Racine, bien que celui-ci soit plus jeune, car Molière se trouve dans une situation un peu particubère du fait qu'il a bénéficié de l'intermédiaire de Rotrou.

Sénèque et Racine dans Phèdre

Racine affirme dans la Préface de sa Phèdre avoir imité Euripide. Sénèque, pourtant auteur d'une Phèdre, n'est évoqué qu'à propos d'une différence. Discrétion d'autant plus étonnante a priori que son imitation de Sénèque est partout perceptible [14]. C'est sans doute que, à une époque où les hellénistes n'étaient pas légion, l'annonce d'un modèle grec était plus originale et constituait une nouveauté, alors que Sénèque avait été maintes fois imité dans des pièces antérieures.

Quoi qu'il en soit, nous proposons deux exemples tirés de passages connus : l'un où Racine a suivi Sénèque de près, l'autre où il s'est éloigné de ce modèle, manifestement pour le dépasser.

    L'aveu de Phèdre

Dans les deux pièces, Phèdre avoue à Hippolyte son amour en lui parlant de Thésée jeune et en passant discrètement du portrait du Thésée d'alors à celui d'Hippolyte. Ce passage délicat est habilement amené par Sénèque dans les vers suivants :

Tuaeque Phoebes vultus aut Phoebi mei,
Tuusque potius - talis, en talis fuit
Cum placuit hosti [
15]...

Racine, après avoir fait dire à sa Phèdre qu'elle « languit et brûle pour Thésée » -cependant non pas pour le volage Thésée actuel, mais pour le Thésée charmant et jeune d'alors - ajoute :

Tel qu'on dépeint nos Dieux ou tel que je vous voi.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage.
Cette noble pudeur colorait son visage (v. 640-642)

Racine a suivi dans ce passage son modèle de près : la mention des dieux est une reprise de Phoebe et de Phoebus, l'anaphore de « tel » de celle de talis, « il avait votre port, vos yeux... » de tuusque potius (vultus).

    Le récit de Théramène

Dans ce passage, au contraire, où est rapportée la mort d'Hippolyte, Racine se démarque volontairement de son modèle.

Sénèque présente Hippolyte sortant de Trézène précipitamment et dans l'agitation : le jeune homme court jusqu'aux écuries, attelle en hâte ses coursiers (sonipedes), maudit le sol de sa patrie et, « laissant flotter ses rênes (v. 1006  : habenis permissis) », en agite vivement les courroies. C'est alors que surgit le monstre qui provoquera sa mort.

Racine suit son modèle en conservant la trame du récit et en imitant en particulier le vers 1006 :

Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes (v. 1502).

Mais il ne conserve rien de l'agitation d'Hippolyte, qu'il semble avoir trouvée - avec raison, nous semble-t-il - discordante par rapport à l'image du héros tragique. Au contraire, il fait évoluer son Hippolyte dans une pesante atmosphère d'affliction, où les gestes sont lents et qui ressemble à une procession funéraire. Il en décrit deux composantes : les gardes (ajoutés au modèle) affligés et imitant le silence de leur chef, et « les superbes coursiers », déjà présents dans le texte de Sénèque mais qui, ici :

L'œil morne maintenant et la tête baissée
semblaient se conformer à sa triste pensée (v. 1505-1506).

Puis, comme chez Sénèque, surgit le monstre, mais Racine marque son avantage par rapport au modèle : le tableau du silence affligé qu'il vient de brosser lui permet, en contraste, de faire un récit évocateur du subit fracas de cette apparition.

Ainsi Racine dose soigneusement son imitation : lorsque le texte de son modèle lui convient, il le suit parfois de près; lorsqu'il lui convient moins, il n'hésite pas à le modifier.

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Molière et Plaute dans l'Amphitryon

L'Amphitryon de Plaute, où Jupiter profite des charmes d'Alcmène en prenant les traits de son mari, était une pièce bien connue du public du XVIIe siècle et Molière a conservé l'essentiel de l'intrigue dans son propre Amphitryon, donné en 1668. En fait, il disposait non seulement du modèle de la pièce de Plaute, mais encore de celui des Sosies de Jean Rotrou, pièce jouée en 1638. Rotrou est un auteur digne d'intérêt : cependant, il ne possède pas le génie de Molière et, souvent, il suit le texte de Plaute de très près [16] jusqu'à en donner parfois de véritables traductions [17]. Molière au contraire, tout en suivant Plaute, sait prendre ses distances par rapport à lui et créer une œuvre authentiquement française [18]. Nous proposons deux passages où cette différence apparaît clairement.

    Plaute v. 295. Rotrou v. 277-278. Molière v. 283

Les deux auteurs ont conservé la longue scène première de l'Acte I de Plaute, où Sosie arrive en pleine nuit à Thèbes pour annoncer à Alcmène la victoire d'Amphitryon sur les Téléboens. Cependant, comme Jupiter est dans les bras d'Alcmène, il faut empêcher Sosie d'entrer dans la maison. Mercure se charge de cette besogne. Dans un premier temps, il se montre dans l'ombre sans révéler ses traits, mais en grommelant suffisamment fort pour être entendu du craintif Sosie. Celui-ci, terrifié à la perspective de se faire rosser, s'exclame : Perii, dentes pruriunt, « c'en est fait de moi, mes dents me démangent » (v. 295). Pourquoi cette démangeaison ? Sans doute à cause de la douleur qu'il ressent par anticipation à la perspective de recevoir des coups dans le visage [19].

Rotrou, malgré la difficulté à faire passer l'expression en français, s'est senti tenu de suivre le texte fidèlement et transcrit :

[...] Et je conçois, du bruit que font mes dents,
Un présage assuré de mauvais accident (v. 277-278).

La transcription n'est pas tout à fait exacte, car on passe du prurit des dents à la conséquence possible de cet état qu'est le grincement. Mais, même ainsi, le texte n'était pas encore assez clair pour le public. Rotrou s'est vu obligé d'expliquer, suivant peut-être les indications d'un dictionnaire [20], que ce grincement est annonciateur d'une volée de coups. En somme, il a fourni une traduction et un commentaire du texte de Plaute. Molière, quant à lui, ne s'est pas embarrassé de tant de difficultés : il a tout simplement supprimé le passage et s'est contenté de faire dire à son Sosie :

C'est fait de moi, chétive créature ! (v. 283)

    Plaute v. 299. Rotrou v. 284. Molière v. 284-286

Un peu plus loin, le Sosie de Plaute conclut ainsi l'exposé de ses inquiétudes : Quantus et quam validus est ! « Comme il est grand et comme il est fort ! » (v. 299). L'expression est assez plate et Rotrou l'améliore à peine : « Quel homme voilà, quel port et quelle taille ! » (v. 284). Molière au contraire fait employer à son Sosie cette expression beaucoup plus enlevée :

Je vois devant notre maison
Certain homme dont l'encolure
Ne me présage rien de bon (v. 284-286).

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Cas d'imitation au XXe siècle

Nous proposons deux exemples très différents. Dans le premier, la référence à l'Antiquité est conventionnelle et superficielle; dans le deuxième, au contraire, elle est un point de départ d'une réflexion sur la place de l'homme dans le monde.

La correspondance de Proust

La correspondance de Proust est ponctuée d'allusions à l'Antiquité [21] qui se présentent souvent sous la forme de citations ou de références à des concepts antiques. Bornons-nous ici aux citations.

    Lettre de Proust à Paul Souday (1920)

Dans une lettre écrite en 1920 à Paul Souday, Proust lui dit qu'il dînera volontiers avec lui en une prochaine occasion, mais que, sa santé ne lui permettant pas de prendre d'engagement à l'avance, il ne pourra le lui proposer que le jour même pour le soir, puis il ajoute :

Et surtout, je vous en prie, quand mes appels auront une forme un peu impulsive et rapide, ne m'en veuillez pas. Ce ne sera pas mauvaise éducation, mais un Carpe diem que je m'adresserai à moi-même [22].

Nous avons vu plus haut que l'expression carpe diem est une invitation à profiter de la vie. C'est donc une telle invitation que Proust s'adressera à lui-même lorsqu'enfin ce dîner sera possible.

    Lettre de Proust à Robert de Montesquiou (1917)

Dans une lettre écrite en 1917 à Robert de Montesquiou, Proust écrit, à propos des épreuves de À l'ombre des jeunes filles en fleurs, à son correspondant qu'il envie d'avoir déjà une œuvre importante derrière lui :

je dirais facilement pour ce qui me concerne Nunc dimittis si je pouvais me dire Exegi monumentum. Mais cela n'est point. Je corrige seulement mes premières épreuves. Et d'ailleurs peut-être ce que je corrige ne vaut-il rien. J'ai plus de confiance en la vitalité de vos Blessées [23].

Nunc dimittis (servum tuum, Domine), « maintenant tu peux laisser partir (ton serviteur, Seigneur) », est une référence au passage de l'Évangile [24] où le vieillard Siméon adresse cette prière à Dieu après avoir vu le Messie. Exegi monumentum (aere perennius), « j'ai réalisé une œuvre (plus durable que le bronze) » est le premier vers de l'ode III, 30 d'Horace. Cette ode est la conclusion du livre III et exprime toute l'ambition d'immortalité du poète.

Quel est l'intérêt de ces citations pour Proust ? Coquetterie de lettré assurément qui crée ainsi une connivence avec le correspondant, lettré lui aussi, les deux personnages se reconnaissant de la même culture. Volonté également de faire un trait d'esprit, même si le procédé est un peu facile. Mais aussi certainement délicatesse d'un homme fin et sensible qui suggère, dans la première lettre, que la perspective de dîner avec Paul Souday est pour lui un appel à profiter de la vie et, dans la deuxième, qu'il y a une infinie distance entre l'œuvre d'Horace et la sienne, alors qu'il n'en serait pas de même de celle de Robert de Montesquiou.

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Amphitryon 38 de Giraudoux

Amphitryon 38 de Giraudoux se situe, par son titre même, dans le prolongement de l'Amphitryon de Plaute ainsi que de ses imitations. Même si l'intrigue a subi quelques modifications - la principale est que Jupiter y trouve lors de sa deuxième venue non pas Alcmène seule, mais Alcmène et Amphitryon - le déroulement principal de l'histoire a été respecté : Jupiter, prenant les traits d'Amphitryon, passe une nuit avec Alcmène qui conçoit de lui le futur Hercule. Par ailleurs, même si l'anachronisme est constant, le cadre reste en principe celui de la Grèce antique où est censée se dérouler la pièce de Plaute : les scènes ont lieu sur une terrasse du palais de Thèbes, les actions pacifiques d'Amphitryon ont été menées « entre l'Ilissus et son affluent [...] entre le mont Olympe et le Taygète » [25], une « théorie de vierges » [26] monte vers le palais et le corps d'Alcmène « éclaire la nuit grecque » [27].

Mais, sur le fond, la pièce de Giraudoux est une contestation radicale de celle de Plaute. En effet, à la fin de la pièce de Plaute, Jupiter apparaît dans toute sa puissance, explique à Amphitryon qu'il a honoré Alcmène de sa visite et offre au mari en compensation une grande gloire, celle que lui apporteront les exploits d'Hercule. Amphitryon accepte cette compensation : « Je ferai », répond-il, « comme tu l'ordonnes et te prie de tenir tes promesses » [28].

Il n'en est plus de même chez Rotrou. Au discours de Jupiter, Amphitryon ne répond rien, mais Sosie commente :

Cet honneur, ce me semble, est un triste avantage.
On appelle cela lui sucrer le breuvage (v. 1807-1808).

Même silence d'Amphitryon chez Molière et même type de commentaire critique de Sosie :

Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule (v. 1913)

Et que chacun chez soi doucement se retire.
Sur telles affaires toujours
Le meilleur est de ne rien dire (v. 1941-1943).

Chez Giraudoux, au contraire, Amphitryon se révolte : « Je viens défendre Alcmène contre vous, Seigneur, ou mourir » [29] et Jupiter finit par s'incliner devant l'indéfectible fidélité des deux époux. C'est lui qui déclare à la fin de la pièce : « Qu'une suprême fois Alcmène et son mari apparaissent seuls dans un cercle de lumière, où mon bras ne figurera plus que comme un bras indicateur pour indiquer le sens du bonheur » [30].

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Conclusion

Ainsi, aux trois époques que nous avons considérées, l'imitation s'est révélée un facteur créateur : pour la constitution même de la littérature française à la Renaissance, pour l'élaboration de grandes œuvres classiques au XVIIe siècle et pour la réflexion philosophique et humaniste sur notre époque au XXe siècle.

Notre époque a adopté, par rapport à celles qui l'ont précédée, une position manifestement originale du point de vue de l'imitation. À vrai dire, elle n'imite plus véritablement l'Antiquité. Est-ce parce qu'elle a le sentiment que les œuvres grecques et romaines ne constituent plus des modèles ou que nous sommes désormais moins imprégnés de culture antique qu'on ne l'était dans le passé ? Toujours est-il que le XXe siècle a préféré développer des œuvres littéraires qu'on pourrait appeler « au contact » de l'Antiquité : principalement des pièces de théâtre avec l'exploitation de grands mythes comme celui d'Électre (traité notamment par Giraudoux et par Sartre) ou des romans historiques où la couleur antique est fort prisée des lecteurs d'aujourd'hui : les Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar [31] ou Néropolis d'Hubert Monteilhet, tout différents que soient ces livres, en témoignent.

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Notes

[1] On sait que l'inspiration antique est bien présente notamment chez Chrétien de Troyes. [Retour au texte]

[2] Pline le Jeune explique bien dans la lettre VII, 9 de sa correspondance que, encore à son époque, c'était un exercice courant de culture générale. [Retour au texte]

[3] Par exemple les plaintes d'Ariane dans Catulle, 64, 132-141 et celles de Didon dans Virgile, Enéide, IV, 309-319 et Ovide, Héroides, VII, 9-16 et 67-68. [Retour au texte]

[4] Jacques Gaillard, Approche de la littérature latine des origines à Apulée, Paris, Nathan, « Nathan Université », 1992, p. 21. [Retour au texte]

[5] On en trouvera des exemples dans Andrée Thill, Alter ab illo. Recherches sur l'imitation dans la poésie personnelle à l'époque augustéenne, Paris, Belles Lettres, « Études anciennes », 1979. [Retour au texte]

[6] « Le cours de notre vie étant bref, renonce à l'espoir sur un avenir lointain. Pendant que nous parlons, voilà que le temps envieux s'enfuit : cueille ce jour et fie-toi le moins possible au lendemain ». Horace, Odes, 1, 11, 6-8, F. Vllleneuve éd., Paris, Belles Lettres, « Universités de France », 1964 (réimpression). [Retour au texte]

[7] Ronsard, Odes, 1, 17, Jean Céard, Daniel Ménager et Michel Simonin éd., Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, t. 1. [Retour au texte]

[8] Ronsard, Sonnets pour Hélène, II, 42, 13-14, Malcolm Smith éd., Genève, Droz, 1970. [Retour au texte]

[9] « Donne-moi mille baisers, puis cent, puis mille autres, puis encore cent, puis, sans t'arrêter, mille autres, puis cent autres... ». Catulle 5, 7-9, Georges Lafaye éd., 3e édition, Paris, Belles Lettres, « Universités de France », 1974. [Retour au texte]

[10] Nous devons le rapprochement à M. Eckard Lefèvre, professeur à l'Université de Fribourg-en-Brisgau, qui l'a présenté lors d'une conférence faite à l'Université Marc-Bloch de Strasbourg le 28 avril 2000. [Retour au texte]

[11] Du Bellay, Divers jeux rustiques, XXIII, 1-6, in Œuvres poétiques, Daniel Aris et Françoise Joukovsky éd., Paris, Bordas, 1993, t. II. [Retour au texte]

[12] Il s'agit de Vénus : celle-ci se baignait avec les Grâces dans la fontaine d'Acidalie, en Béotie. [Retour au texte]

[13] « Bayser », v. 31-36. [Retour au texte]

[14] On trouvera une comparaison détaillée dans le mémoire de Maîtrise soutenu en octobre 2000 par Virginie Rost à l'Université Marc-Bloch de Strasbourg, De la Phèdre de Sénèque à la Phèdre de Racine. [Retour au texte]

[15] « Son visage était celui de ta Phébé [Diane, déesse privilégiée d'Hippolyte] ou de mon Phébus [Le soleil, dont descend Phèdre], ou plutôt le tien - il était tel, oui tel, quand il charma son ennemie... [Il s'agit d'Ariane] » (v. 654-656). [Retour au texte]

[16] Voir Thomas Baier, « On ne peut faillir en l'imitant. Rotrous Sosies, eine Nachgestaltung des plautinischen Amphitruo », in Thomas Baier éd., Studien zu Plautus' « Amphitruo », Tübingen, ScriptOralia 116, « Altertumswissenschaftliche Reihe », 27, 1999, p. 203-234. [Retour au texte]

[17] Même s'il ne manque pas d'une certaine originalité. Voir Damien Charron, Jean Rotrou, « Les Sosies », Genève, Droz, 1980, p. 16 et suivantes. [Retour au texte]

[18] Une étude d'ensemble sur les trois pièces a été menée par Amandine Thiriet dans un mémoire de maîtrise soutenu en 2000 à l'Université Marc-Bloch de Strasbourg et intitulé L'Imitation de Plaute dans « Les Sosies » de Rotrou et dans « L'Amphitryon » de Molière, mémoire préparé sous la direction de François-Xavier Cuche et Gérard Freyburger. [Retour au texte]

[19] Le verbe prurire est employé dans le même contexte dans Miles Gloriosus, vers 397, à propos d'un dos semblablement menacé. [Retour au texte]

[20] Celui de Félix Gaffiot, suivant sans doute une tradition ancienne, traduit « dentes pruriunt » par « les dents me démangent » et glose : « Présage de coups à recevoir ». [Retour au texte]

[21] Un mémoire de maîtrise, rédigé sous la direction de Luc Fraisse et intitulé « Et Dante n'est pas le seul poète que Virgile ait conduit jusqu'au seuil du paradis ». Marcel Proust et les poètes latins, a été soutenu sur ce thème en 2000 à l'Université Marc-Bloch Par Thomas Meister. [Retour au texte]

[22] Marcel Proust, Correspondance, Philip Kolb éd., Paris, Plon, 1991, t. XIX, Lettre n. 239. [Retour au texte]

[23] Ibid., t. XVI, Lettre n. 155. [Retour au texte]

[24] Luc, II, 29. [Retour au texte]

[25] Acte I, scène 2. [Retour au texte]

[26] Acte II, scène 3. [Retour au texte]

[27] Acte II, scène 5. [Retour au texte]

[28] « Faciam ita ut iubes et te oro promissa ut serves tua. », (vers 1144), Alfred Ernout éd., Paris, Belles Lettres, « Collection des Universités de France », 1970. [Retour au texte]

[29] Acte III, scène 4. [Retour au texte]

[30] Acte III, scène 6. [Retour au texte]

[31] On trouvera une analyse éclairante de la présence de l'Antiquité dans cette œuvre chez Rémy Poignault, L'antiquité dans l'œuvre de Marguerite Yourcenar. Littérature, mythe et histoire, Bruxelles, « Latomus », t. CCXXVIII, 1995. [Retour au texte]


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