FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 2 - juillet-décembre 2001


Néron et la persécution des Chrétiens d'après Tacite, Annales, XV, 44.

II. Commentaire historique

par

Ludovic Wankenne

Professeur à l'Université de Louvain (†2000)

Le passage est très connu et reste malaisé à interpréter. Nous en livrons ici, en deux parties, une étude qui a été présentée en 1973 lors d'une séance de recyclage organisée à Charleroi par le Groupe de Philologie classique de l'Université Catholique de Louvain. Elle a été publiée dans Humanités Chrétiennes, t. 17, janvier-février 1974, p. 280-302. Dans la première partie, M. Lavency commente le passage du point de vue de la langue et du style ; dans la seconde, éditée ci-dessous, Ludovic Wankenne propose, sur un plan plus historique, sa vision personnelle du texte, faisant état des avis exprimés sur le sujet par divers historiens.


Texte latin

Sed non ope humana, non largitionibus principis aut deum placamentis decedebat infamia quin iussum incendium crederetur. Ergo abolendo rumori Nero subdidit reos et quaesitissimis poenis adfecit quos per flagitia inuisos uulgus Christianos appellabat. Auctor nominis eius Christus Tibero imperitante per procuratorem Pontium Pilatum supplicio adfectus erat ; repressaque in praesens exitiablilis superstitio rursum erumpebat, non modo per Iudaeam, originem eius mali, sed per Vrbem etiam, quo cuncta undique atrocia aut pudenda confluunt celebranturque. Igitur primum correpti qui fatebantur, deinde indicio eorum multitudo ingens haud proinde in crimine incendii quam odio humani generis conuicti sunt. Et pereuntibus addita ludibria, ut ferarum tergis contecti laniatu canum interirent aut crucibus adfixi [aut flammandi atque] ubi defecisset dies in usum nocturni luminis urerentur. Hortos suos ei spectaculo Nero obtulerat et circense ludicrum edebat, habitu aurigae permixtus plebi uel curriculo insistens. Vnde quamquam aduersus sontes et nouissima exempla meritos miseratio oriebatur tamquam non utilitate publica sed in saeuitiam unius absumerentur.

Traduction française

« Mais ni les ressources humaines, ni les libéralités de l'empereur ou les cérémonies expiatoires ne faisaient diminuer la rumeur infamante : on croyait encore que l'incendie avait été commandé. Aussi pour couper court à ces rumeurs, Néron se trouva des coupables et il infligea des châtiments raffinés à des gens que leurs scandales rendaient odieux et que la masse appelait Chrétiens. Ce nom leur vient de Christ que le procureur Pontius Pilatus avait fait supplicier sous le règne de Tibère. Contenue pour un temps, cette superstition pernicieuse perçait à nouveau, non seulement en Judée, où ce mal avait pris naissance, mais à Rome même où tout ce qu'il y a partout d'affreux et de honteux afflue et trouve des gens pour l'accueillir. Donc on prit d'abord à partie les gens qui se manifestaient ; ensuite, sur leurs indications, une foule immense fut trouvée coupable moins du crime d'incendie que de haine contre le genre humain. Et tandis qu'on les faisait périr, on se fit un jeu de les couvrir de peaux de bêtes et de les faire mordre à mort par des chiens ou bien de les mettre en croix et à la tombée du jour de les brûler en les faisant servir de torches. Néron avait offert ses jardins pour ce spectacle et il donnait des jeux de cirque, se mêlant au peuple en habit de cocher ou debout sur son char. Dès lors, bien que ces gens fussent coupables et dignes des dernières rigueurs, on les prenait en pitié car on se disait que ce n'était pas en raison de l'intérêt public, mais pour la cruauté d'un homme qu'ils étaient massacrés. »


 

La deuxième chaîne de la télévision française consacrait l'année dernière une de ses émissions du soir à la projection d'un film américain intitulé « La Tunique ». Ce film relate à sa façon, avec toutes les ressources dont disposent la technique cinématographique des U.S.A. et les fantaisies de ses reconstitutions, les événements vécus à Rome par la première communauté chrétienne au moment où venait d'y arriver l'apôtre Pierre. Et naturellement on y trouve représenté l'épisode cruel et sanglant de la persécution organisée par Néron contre les chrétiens.

La projection du film était suivie d'un débat auquel participaient des spécialistes de l'évolution de la civilisation romaine comme P. Grimal, des professeurs de l'histoire des religions et notamment de l'histoire ecclésiastique, comme le Père Hamann. Or si certains des interlocuteurs n'émettaient aucun doute sur la réalité historique de la première des persécutions impériales à l'endroit des chrétiens, d'autres se montraient beaucoup moins sûrs et parlaient à son propos de simple possibilité.

C'est dire si cet événement tragique fait aujourd'hui encore l'objet d'opinions et de points de vue divergents, malgré les tranquilles affirmations que l'on trouve dans des manuels anciens ou récents, tel celui de M. Simon et A. Benoit sur « Le Judaïsme et le Christianisme antique ». Nous y lisons en effet : « Sous Néron, les chrétiens de Rome furent victimes d'une persécution violente et meurtrière, mais courte [1] ».

Faut-il nous rallier simplement à cette solution qui a d'ailleurs pour elle une solide tradition [2] ? Ou devons-nous au contraire continuer à nous interroger, étant donné que les sources et les documents sur lesquels se fonde cette tradition restent en dépit de tout discutés et discutables ?

Avant de répondre à ces questions et de le faire avec le maximum d'information possible, il est nécessaire, nous semble-t-il, de retourner aux sources et notamment à celle qu'on considère comme la plus importante en la matière et qui a donné lieu en même temps à un grand nombre d'interprétations. Il s'agit du chapitre 44 du XVe livre des Annales de Tacite, chapitre qui nous raconte la persécution des chrétiens sous l'empereur Néron. En plus de sa valeur historique, ce texte présente un intérêt certain tant au point de vue littéraire que sur le plan philologique. Et de ce fait il demeure à coup sûr un des passages de Tacite le plus étudié aux cours des humanités.

La première remarque qui s'impose à son sujet, c'est que ce chapitre fait partie d'un tout qui nous décrit l'incendie survenu à Rome pendant l'été de l'année 64 ap. J.-C. [3]. On connaît la façon dramatique dont Tacite conçoit et écrit l'histoire [4]. On sait aussi qu'il expose les événements dont est faite une époque donnée comme autant d'actes d'une tragédie débutant d'ordinaire sous d'inquiétants auspices pour se terminer en catastrophe. Ainsi le règne de Néron, commencé dans l'atmosphère sinistre et ambiguë des conséquences de l'assassinat de l'empereur Claude, se poursuit marqué chez Tacite par les épisodes cruels et successifs de la mort de Britannicus et des meurtres d'Agrippine et d'Octavie. Et voici qu'au milieu du XVe livre des Annales jaillit l'éclat des flammes qui pendant plus d'une semaine vont dévaster sept des quatorze régions de Rome et en anéantir complètement trois autres [5]. Après avoir décrit les ravages énormes causés par le feu, l'historien romain nous parle des mesures prises par Néron, à la fois pour arrêter les progrès de l'incendie et pour rebâtir la ville gravement endommagée selon une architecture plus belle et plus fonctionnelle. Mais le peuple de Rome, durement éprouvé par le désastre et exaspéré par les pertes en vies humaines, ne croyait pas à l'hypothèse d'un incendie accidentel. Il cherchait des responsables et ne craignit pas d'accuser l'empereur lui-même. Celui-ci, impressionné et apeuré, se mit en quête de coupables et, toujours d'après Tacite, trouva les chrétiens qu'il offrit en victimes à la suspicion populaire ainsi qu'à sa vengeance. Et c'est ici que l'historien introduit l'épisode de la persécution exercée contre les chrétiens, dont les supplices nous sont détaillés au chapitre 44, chapitre qui n'a donc rien d'une interpolation, comme le prétendent certains [6], mais « qu'on peut considérer comme le trait final, l'achèvement nécessaire du récit de l'incendie de Rome représenté dramatiquement » [7].

On comprend alors que l'épisode, tel que le rapporte Tacite, ait fait l'objet depuis toujours d'analyses et de commentaires touffus. Nous n'allons pas énumérer ici la série des ouvrages et des articles consacrés à l'étude de ce passage des Annales. Elle est inépuisable. Nous renvoyons plutôt à un travail fort bien fait à l'époque et publié en 1960 par J. Beaujeu dans la Collection Latomus. Ce travail se présente « comme une mise au point d'ensemble des principaux problèmes d'ordre historique et d'ordre philologique soulevés par l'affaire de 64 et les textes que les anciens, entre autres Tacite, lui ont consacrés [8] ». Les problèmes qu'évoque l'auteur sont ceux que posent successivement l'étendue du désastre, la participation qu'y auraient prise les chrétiens, la situation de ceux-ci dans la Rome du moment, le déroulement et la conclusion de l'enquête, les faits de la persécution et les supplices qu'y endurèrent les chrétiens. J. Beaujeu estime que Tacite a probablement exagéré l'importance des destructions dues à l'incendie. Si on croit l'auteur de la correspondance apocryphe de Sénèque et de St Paul, correspondance qui date du IVe siècle de notre ère, il y aurait eu 132 domus et 4.000 insulae anéantis par le feu. Total qui paraît vraisemblable quand on sait que la capitale comptait vers 300 ap. J.-C. 1781 domus et 44.850 insulae [9]. Quant à la cause du désastre, elle serait attribuable au hasard ou à un accident, et non pas à l'exécution d'un ordre donné par Néron, soucieux de rajeunir la cité, ni à un acte criminel commis par des chrétiens fanatiques ou par les membres de la conjuration de Pison.

Comment alors Néron a-t-il pu accuser les chrétiens du délit d'incendie ? C'est là un problème difficile qui n'a pas trouvé jusqu'ici de solution pleinement satisfaisante et auquel nous aurons l'occasion de revenir plus loin. Il semble bien en tout cas que Tacite, malgré certaines de ses sources affirmant le contraire, ne croyait pas lui-même à une responsabilité chrétienne dans l'incendie de la ville. D'ailleurs la situation de l'Église romaine en 64 ap. J.-C. est assez mal connue. On est sûr qu'elle existe, qu'elle contient des Juifs convertis, mais aussi d'anciens païens. Mais on ignore tout du nombre approximatif de ses adeptes, qu'il soit élevé ou réduit. Ce sont ces chrétiens qui furent livrés au juge et à la torture, puis condamnés à d'affreux supplices dont Tacite nous fournit les détails. Sur quelle base juridique s'appuyaient les procès intentés et les sentences prononcées ? Sur la lex Julia de maiestate ? sur un édit spécial pris par Néron pour la circonstance (Institutum Neronianum) ? sur le pouvoir de coercitio que possédaient les préfets à Rome et les gouverneurs dans leurs provinces en vertu de leur imperium ? J. Beaujeu est favorable à la troisième des hypothèses, proposée jadis par Th. Mommsen. Remarquant qu'elle a été bien accueillie par nombre d'historiens, il ajoute cependant que d'autres l'ont vivement combattue [10]. Et nous verrons bientôt que les critiques de ces derniers ont reçu depuis de nouveaux appuis.

Bref, J. Beaujeu a tenu compte dans son étude aussi bien des indications, souvent énigmatiques, données par Tacite sur l'incendie de Rome et la persécution des chrétiens sous Néron que des avis, toujours intéressants, mais souvent discordants, émis sur ces sujets par les savants ou par les érudits.

Tout en louant l'effort intelligent fait par J. Beaujeu pour opérer la synthèse des documents constituant le dossier de l'affaire et des opinions diverses exprimées sur les questions que soulève celui-ci en disant « que tout cela est raisonnable et fort bien vu », H. I. Marrou ajoutait l'observation suivante dans le compte rendu qu'il faisait de l'ouvrage de J. Beaujeu dans la Revue des Études anciennes : « Malheureusement la bibliographie n'a cessé depuis lors de proliférer et cet état de la question n'est déjà plus à jour ; il faudrait faire entrer en ligne de compte, fût-ce pour les rejeter comme hasardeuses, des hypothèses, en particulier celles avancées par C. Saumagne [11] ».

Notre intention est de répondre ici à l'invitation formulée par H. I. Marrou et de présenter en les résumant et en les critiquant non seulement les hypothèses de C. Saumagne - elles sont en effet multiples - mais aussi celle d'E. Koestermann, l'éditeur des Annales de Tacite dans la collection Teubner [12] et l'auteur d'un commentaire volumineux sur le même ouvrage [13]. Mais avant de nous pencher sur ces nouvelles interprétations du chapitre 44 du livre XV des Annales de Tacite, il nous paraît indispensable d'en exposer d'abord le sens général.

Ce chapitre est composé de neuf phrases ou paragraphes qui nous décrivent les causes, puis les péripéties des poursuites exercées par Néron contre les chrétiens. Malgré les sacrifices offerts aux dieux et les secours généreux distribués par l'empereur, courait à Rome le bruit infamant que Néron avait ordonné l'incendie. Pour faire échec à cette rumeur, l'empereur produisit des accusés qu'il fit mettre à la torture. Ce furent les chrétiens que le peuple romain voyait alors d'un mauvais œil et qui tiraient leur nom de leur fondateur, envoyé au supplice et à la mort sous le règne de Tibère par Ponce-Pilate, procurateur de Judée. Mais la mort du Christ n'empêcha pas les progrès de la secte qu'il avait fondée, à Rome notamment, puisqu'un grand nombre de chrétiens y furent arrêtés, convaincus de crimes divers et condamnés à subir d'horribles tourments dans les jardins de Néron. La cruauté dont celui-ci fit preuve en la circonstance provoqua dans l'opinion publique un sursaut de pitié vis-à-vis des chrétiens, quoique, aux dires de Tacite, ils fussent coupables de monstruosités et dignes des derniers traitements.

À première vue, le récit de Tacite paraît logique et parfaitement cohérent. Mais on s'aperçoit, quand on l'examine de plus près, que sa compréhension exacte soulève des difficultés et se heurte même, semble-t-il, à l'une ou l'autre contradiction. Sans doute ne faut-il jamais oublier, quand on lit les œuvres de Tacite, que les sources auxquelles il puise son information historique, sont diverses, voire de tendances opposées et qu'il n'a pas toujours le souci de les harmoniser entre elles. C'est ainsi qu'en ce qui concerne les agissements de Néron, il s'inspire de documents tantôt favorables, tantôt hostiles à l'empereur. D'autre part la vie interne de la communauté chrétienne à Rome ou ailleurs lui était parfaitement étrangère, même si, comme gouverneur de la province d'Asie en 112-113 ap. J.-C., Tacite a pu prendre contact avec les chrétiens à ce moment et à cet endroit.

Difficultés, disions-nous ! Elles commencent de fait à se manifester dès la quatrième phrase qui commence par les mots : Ergo abolendo rumori... Il y a d'abord l'expression subdidit reos. Dans le contexte, elle signifie vraisemblablement que Néron, pris à partie par l'opinion publique, a voulu substituer à sa propre personne comme prévenus « ceux que la foule appelait chrétiens ». Reos peut être considéré comme attribut et désigner, non pas un coupable, mais quiconque est mis en cause dans un procès, autrement dit un accusé.

Une deuxième difficulté, plus importante, surgit un peu plus loin. Il s'agit de la sixième phrase introduite par Igitur et se terminant par conuicti sunt. Cette forme du parfait passif de conuincere est la leçon des manuscrits récents (XVe siècle) et elle est retenue par la plupart des éditeurs et des commentateurs du texte de Tacite [14]. D'autres au contraire préfèrent garder les mots coniuncti sunt qu'on trouve dans le Mediceus (XIe siècle) [15]. Quel que soit le choix que l'on fait, il reste à bien comprendre le reste de la phrase. La relative qui fatebantur, fort imprécise dans sa concision, peut s'interpréter de trois façons différentes : les uns prétendent qu'il est question de la confession faite par les chrétiens de leur foi dans le Christ ; d'autres y voient l'aveu par ces mêmes accusés d'avoir bouté le feu à Rome ; d'autres encore le propos délibéré chez Tacite de laisser le lecteur dans une certaine obscurité. Ce qui est sûr, c'est que Tacite ne croit pas personnellement à la culpabilité des chrétiens - le contexte le prouve - non plus qu'à celle de Néron. Car le rumor n'a aux yeux de l'historien que la valeur d'un « on-dit ». En conséquence, il vaut peut-être mieux s'en tenir à la première interprétation, confirmée, nous semble-t-il, par l'expression odio humani generis de la fin de la phrase, et considérer que fateri indique l'aveu fait par les chrétiens de leur propre croyance [16].

Mais ce n'est pas tout. Il nous faut en effet expliquer cet odium humani generis ainsi que le mot correpti. Comment comprendre la forme verbale correpti ? Comme un indicatif parfait passif ? Comme un participe parfait passif à valeur de substantif [17] ? Dans le premier cas nous aboutissons à la traduction suivante qui est celle de beaucoup d'éditeurs des Annales et notamment de H. Goelzer : « On commença donc par se saisir de ceux qui confessaient leur foi ; puis, sur leurs révélations, d'une multitude d'autres qui furent convaincus moins du crime d'incendie que de haine pour le genre humain [18] ». Traduction qui suppose que nous avons affaire dans le texte de Tacite à deux phrases ou deux membres de phrases s'adressant à deux groupes d'accusés dont le deuxième aurait été joint au premier par le transfert du délit. Mais H. Fuchs fait remarquer que Tacite ne construit pour ainsi dire jamais le singulier collectif multitudo avec un verbe au pluriel [19]. Ce qui veut dire que les sujets de conuicti sunt (ou coniuncti sunt) sont à la foi correpti qui fatebantur et multitudo ingens. Mais alors correpti devient un participe parfait passif à valeur de substantif et s'impose par conséquent la traduction que voici : « Les gens donc arrêtés en premier lieu (cf. subdidit reos) qui avouaient, puis sur leur dénonciation une grande quantité d'autres furent convaincus moins du crime d'incendie que de haine pour le genre humain [20] ».

Reste l'odium humani generis. Que faut-il entendre par là ? Les atrocités que l'opinion populaire reprochait aux chrétiens : inceste, cannibalisme, meurtres rituels, adoration d'un dieu à tête d'âne, etc. ? ou bien la misanthropie dont parlait déjà E. Zeller en 1891, c'est-à-dire le refus des chrétiens de participer à la vie quotidienne des païens pour sauvegarder la pureté de leur foi et l'austérité de leurs mœurs [21] ? Ou encore le rejet par ces mêmes chrétiens du culte rendu au génie de l'empereur, rejet qui les isolait du même coup de la communauté romaine et constituait en soi une violation de la lex Julia de maiestate [22] ? Toutes ces composantes entrent peut-être dans le motif d'ensemble que nous donne Tacite de la condamnation des chrétiens et qu'il résume avec son talent habituel dans la cinglante expression odio humani generis.

Une dernière difficulté, grave également, se situe au milieu de la phrase qui décrit les supplices cruels infligés aux chrétiens. Le texte des manuscrits est à cet endroit corrompu, semble-t-il. Tandis que celui de Leyde (XVe siècle) donne comme leçon aut crucibus adfixi aut flammati, le Mediceus (XIe siècle) offre de son côté aut crucibus adfixi aut flammandi atque, tournure très discutable et sans doute impossible à interpréter correctement. Beaucoup de commentateurs ont proposé chacun leur conjecture, mais aucune ne s'impose comme décisive. E. Koestermann dans son commentaire des Annales adopte le texte du manuscrit de Leyde, mais transforme le second aut en atque [23]. Il vaut mieux conclure, croyons-nous, que nous nous trouvons ici devant une crux, comme on dit en critique textuelle, et essayer de comprendre le passage aussi bien que possible à travers les lacunes dont souffrent les manuscrits.

Cette série de difficultés dont nous n'avons retenu que les principales et dont certaines sont loin d'être résolues, ne cessent de stimuler l'intérêt de nouveaux chercheurs. Nous en revenons ainsi aux deux hypothèses que nous avons signalées plus haut et que nous allons maintenant exposer et ensuite critiquer.

La première est faite par C. Saumagne qui l'a détaillée dans deux articles publiés, il y a une dizaine d'années, dans la Revue historique [24]. L'essentiel de cette hypothèse consiste à affirmer que le chapitre 44 du XVe livre des Annales ne doit plus être considéré comme une des sources de notre information concernant la persécution des chrétiens par Néron. Car « les traditions de l'histoire sacrée la plus ancienne attestent que les chrétiens n'existaient à peu près pas à Rome à ce moment et elles ignorent que les chrétiens aient été impliqués dans l'affaire de l'incendie de Rome [25] ». Il faut en conclure que les renseignements précis donnés par Tacite dans le chapitre XV, 44 des Annales - par exemple le lien que l'historien est seul à établir entre l'incendie de Rome et la persécution des chrétiens ainsi que l'expression multitudo ingens - ne concordent pas avec la réalité des faits existant à l'époque. Ce qui ne veut pas dire que Tacite ne serait pas l'auteur des passages se rapportant aux chrétiens. C'est bien lui qui les a écrits ; mais ils figuraient primitivement à un autre endroit de son œuvre historique. Et cet endroit devait être le livre VI des Histoires que nous avons malheureusement perdu. Ce livre nous racontait le siège de Jérusalem par Titus en 70 ap. J.-C. Avant la prise de la ville, Titus réunit son état-major pour savoir s'il fallait la détruire tout entière, le temple y compris, afin d'anéantir du même coup la religion juive et son surgeon chrétien. C'est alors que Tacite aurait fait mention des chrétiens et du Christ, fondateur de la secte qui commençait à ce moment à se distinguer nettement de l'orthodoxie judaïque. C'est dire que là devait se trouver le passage du chapitre 44 qui commence par les mots quos per flagitia et se termine par les verbes confluunt celebranturque. Si nous le lisons aujourd'hui à cette place dans les Annales, c'est qu'il y a été transposé indûment au IIIe ou au IVe siècle de notre ère.

Mais si le hasard des événements nous a hélas ! privés du livre VI des Histoires de Tacite, nous pouvons avoir quelque idée de son contenu, notamment en ce qui concerne le conseil tenu par Titus, par la Chronique de Sulpice-Sévère, écrite au Ve siècle après J.-C. et s'inspirant de l'ouvrage de Tacite [26]. Et C. Saumagne de nous proposer alors la restitution suivante du passage en question des Histoires d'après Sulpice-Sévère (Chron., II, 30, 6-8) :

Titus, adhibito consilio, prius deliberauit an templum tanti operis euerteret. Etenim nonnullis uidebatur aedem sacratam, ultra omnia mortalium illustrem, non oportere deleri ; quae seruata modestiae romanae testimonium, diruta perennem crudelitatis notam praeberet. At contra alii et Titus ipse euertendum in primis templum censebant quo plenius Iudaeorum <superstitio> tolleretur et <eorum> « quos per flagitia inuisos uulgus christianos appellabat » ; quippe has superstitiones licet contrarias sibi isdem tamen ab auctoribus profectas ; Christianos ex Iudaeis extitisse ; radice sublata, stirpem perituram. « Auctor nominis eius Christus Tiberio imperitante per procuratorem Pontium Pilatum supplicio adfectus erat ; repressaque in praesens exitiabilis superstitio rursum erumpebat, non modo per Iudaeam, originem eius mali, sed per Vrbem quo cuncta undique atrocia aut pudenda confluunt celebranturque. ».

Telle que nous venons de l'exposer, l'hypothèse de C. Saumagne nous paraît audacieuse, pour ne pas dire aventureuse. Développée tout au long des deux articles copieux que nous avons cités, elle se heurte à une série de remarques, de critiques, voire d'invraisemblances dont nous donnons ici le résumé.

1) L'hypothèse de C. Saumagne suppose que la communauté chrétienne de Rome est quasi inexistante en 64 après J.-C. Or celle-ci reçoit de saint Paul une lettre fort longue aux environs de 57-58 de notre ère. L'importance de cette épître, la consistance de la doctrine qu'elle contient, la mention par l'Apôtre de la renommée acquise dans le monde chrétien par la foi de l'Église de Rome (Rom., I, 9), la citation nominale qu'il fait d'une trentaine de chrétiens se trouvant dans la ville, sont autant d'éléments qui témoignent de la vitalité et du crédit de cette communauté dès cette époque.

2) La première épître de saint Pierre, dont la date exacte de composition n'est pas connue (peut-être vers l'année 60), fait allusion à des peines infligées aux chrétiens en tant que tels.

3) Si Tacite est le seul écrivain qui rattache explicitement l'incendie de Rome à la persécution chrétienne, on peut croire que d'autres le font de façon implicite. C'est ainsi que saint Clément de Rome dans sa Lettre aux Corinthiens, écrite vers 90 ap. J.-C., joint expressément aux martyres de saint Pierre et de saint Paul, les supplices que subirent un nombre considérable d'élus : polu plêthos eklektôn. De même Tertullien fait de Néron le premier empereur persécuteur des chrétiens tant dans son traité Ad Nationes, I, 7 : sub Nerone damnatio inualuit ut iam hinc de persona persecutoris ponderetis, que dans plusieurs passages de son Apologétique. Nous ne citons que la seule phrase qui se trouve en V, 3 : Illic reperietis primum Neronem in hanc sectam cum maxime Romae orientem Caesariano gladio ferocisse.

4) En prétendant mettre hors de cause les chrétiens dans le texte de Tacite qu'il remanie de la façon décrite ci-dessus, C. Saumagne doit substituer à ceux-ci d'autres accusés. Il consacre en conséquent toute une partie de la démonstration de sa thèse à expliquer que Néron a suivi dans la circonstance la procédure légale, laquelle devait commencer par une accusation privée. Celle-ci provoquait automatiquement l'intervention du magistrat et le déroulement normal de l'action judiciaire. Mais se pose aussitôt le problème de savoir quels étaient les accusés. C. Saumagne le résout à sa manière à la fin de son premier article : « L'incendie de Rome de l'année 64, écrit-il, si on examine dans le détail et sans prévention la partie cohérente du récit qu'en fait Tacite, apparaît comme un crime de droit commun, dont l'origine - ou peut-être seulement l'extension - est imputable à un mouvement factieux de subversion, mouvement de caractère social quant à la qualité des exécutants et politique quant à celle des animateurs et des instigateurs. Ce crime a été instruit et puni par les voies de la procédure criminelle ordinaire [27] ». Supposition toute gratuite qui ne trouve aucun appui dans le texte de Tacite, que ce soit dans sa teneur traditionnelle ou dans celle que lui donne C. Saumagne. Sans doute l'historien latin est-il concis et, s'il se soucie d'employer par moments des termes juridiquement précis comme adfecit et fatebantur, il n'a cure d'en user tout le temps. Mais, si l'on s'en tient au contenu du chapitre tel que nous le livrent les manuscrits et les éditions de Tacite, c'est-à-dire inculpant les chrétiens, on peut fort bien admettre que Néron, effrayé par les rumeurs qui couraient sur son compte et préoccupé d'y mettre un terme, ait pris lui-même l'initiative de l'accusation contre les chrétiens (subdidit reos) et chargé les magistrats d'instrumenter contre eux. Même si la procédure pénale à Rome sous la république et sous l'empire nous est mal connue dans les détails, il semble certain que le pouvoir judiciaire dont disposait l'empereur lui permettait d'agir de la sorte (cf. Tacite, Annales, V, 3 : dans une lettre envoyée au Sénat, Tibère met en accusation Agrippine et Néron, respectivement épouse et fils de Germanicus).

5) Tout aussi gratuite est l'hypothèse qui situe dans un chapitre d'un livre perdu des Histoires les passages qui ont trait aux chrétiens. Elle conduit tout d'abord son auteur à prétendre contre toute évidence [28] que « Tacite a composé ses Histoires très vraisemblablement après la publication de ses Annales [29] ». Quant à la restitution du texte de ce chapitre au moyen de la Chronique de Sulpice-Sévère, elle relève du domaine de la fantaisie. Car si cet écrivain a pillé l'œuvre de Tacite pour composer la sienne, il est fort difficile de déterminer exactement la façon dont il s'y est pris et de juger dans quelle mesure il reste fidèle à son modèle ou bien le défigure. En outre il est dangereux de s'appuyer en matière d'histoire sur l'autorité de Sulpice-Sévère, quand on sait que le récit qu'il fait du conseil tenu par Titus ne correspond pas du tout à celui que nous en donne Flavius Josèphe dans sa Guerre des Juifs, écrite en 95 après J.-C. Si ce dernier ne fait pas mention des chrétiens en cette occasion, il affirme en même temps que c'est malgré Titus que le temple de Jérusalem fut détruit après J.-C. [30].

6) Enfin - et c'est sans doute la critique la plus pertinente à faire de l'hypothèse de C. Saumagne - il résulte de l'amputation qu'elle fait subir au chapitre 44 du livre XV des Annales un texte incohérent, indigne du talent et du style de Tacite. En rattachant directement la phrase qui commence par les mots Igitur primum correpti à la proposition et quaesitissimis poenis adfecit, C. Saumagne tronque délibérément une des périodes du chapitre et il prive de son sens obvie l'adverbe igitur qui dans le présent contexte reprend la narration des événements momentanément interrompue.

Bref, nous considérons comme inacceptable l'hypothèse de C. Saumagne.

Fort différente, mais aussi discutable que la précédente est l'interprétation qu'a proposée E. Koestermann dans un article publié en 1967 et à laquelle nous avons fait allusion ci-dessus [31]. À l'encontre de C. Saumagne, E. Koestermann reconnaît « qu'on ne peut pas mettre en doute l'authenticité tacitéenne de tout le chapitre 44 ni en modifier la structure. Mais il soutient que l'historien latin a commis une erreur lourde de conséquences. Il a tout simplement confondu avec le Christ un certain Chrestos, agitateur juif habile et remuant, qui avait rassemblé autour de lui une clique de partisans et qui les exhortait à jeter périodiquement le trouble dans la capitale. Pour bien comprendre ce qui se passait, il faut se rapporter au texte bien connu de Suétone dans Claude, XXV, 11 : « Iudaeos impulsore Chresto assidue tumultuantis Roma expulit« . Ces partisans de Chrestos, ce sont les chrestiani dont nous parle le Mediceus dans sa leçon primitive et authentique. Il s'agirait donc de juifs révolutionnaires dont certains habitaient dans les environs du grand cirque. C'est là d'ailleurs que l'incendie prit naissance ; et comme les Juifs étaient à l'époque mal vus à Rome, on peut croire que c'est contre eux que sévit la répression. Tacite, qui connaissait les chrétiens pour être entré en contact avec eux pendant son gouvernement de la province d'Asie et qui peut-être avait lu l'Apocalypse Rome était violemment prise à partie (XIV, 18), a mêlé chrestiani et christiani. Il s'est par conséquent trompé en faisant des chrétiens les victimes des rigueurs de Néron et en liant leur persécution à l'incendie de Rome. Ce qui appuie du reste cette conjecture, c'est d'abord le fait que ni Sénèque, ni Martial, ni Juvénal ne parlent des chrétiens et qu'ensuite des auteurs chrétiens comme Méliton de Sardes, Tertullien, Lactance et Eusèbe de Césarée ne joignent pas la persécution chrétienne à l'incendie de Rome.

Que dire de cette hypothèse d'E. Koestermann ? Si elle est séduisante à certains points de vue, elle soulève cependant les objections que voici.

1) Comme le fait C. Saumagne, E. Koestermann suppose que la communauté chrétienne à Rome était en 64 après J.-C. de fort peu d'importance [32]. Nous rappelons ici les réserves faites plus haut à ce sujet.

2) Toute l'argumentation d'E. Koestermann repose au fond sur le sens à donner chez Tacite à Christus et à chrestiani. Sans doute rencontre-t-on le nom de Chrestos pour désigner un personnage qui n'est pas le Christ dans la correspondance de Cicéron, chez Martial, Eusèbe de Césarée et dans beaucoup d'inscriptions. Sans doute le mot chrestiani est-il employé peut-être en dehors du monde chrétien [33]. Mais comme le fait remarquer H. Fuchs, les orthographes Chrestos et chrestiani sont souvent utilisées pour parler du Christ et des chrétiens en langue latine et notamment dans le langage populaire. Elles subissent du reste en la matière l'influence du grec qui recourt parfois à Chrêstos et à Chrêstianoi quand il s'agit du Christ et de ses fidèles [34].

D'autre part le texte de Tacite sur le Christ est si net et si précis qu'il équivaut à une fiche d'identité ne permettant, semble-t-il, aucune erreur sur la personne.

3) Rien n'est moins sûr que d'affirmer que Suétone fait allusion dans son texte Claude XXV, 11 à un quelconque agitateur juif appelé Chrestos. Dans ce cas il aurait vraisemblablement écrit Chresto quodam. La plupart des critiques qui ont étudié le passage en question admettent que l'historien désigne ici le Christ ; mais que, mal informé sur Jésus comme presque tous les Romains de son temps, il « a reproduit un document émanant des archives de la police où le 'Christ' et non le christianisme était mentionné comme se trouvant à l'origine des troubles [35] ».

En outre si cet agitateur et ses partisans avaient réellement existé dans la Rome de Claude, Tacite n'aurait pas pu ignorer leur présence et leur action et aurait rédigé différemment le texte du chapitre 44 de ses Annales [36].

4) En privant le récit de Tacite de toute référence sérieuse à une persécution des chrétiens et en considérant les poursuites exercées par Néron comme un pogrom contre une secte extrémiste du judaïsme, E. Koestermann est bien obligé de traiter de façon semblable le passage de Suétone parlant dans Néron, XVI, 3 des supplices infligés aux chrétiens : « Afflicti suppliciis Christiani, genus hominum superstitionis nouae ac maleficae ». « On pourrait penser, écrit E. Koestermann à ce sujet, que Suétone, Néron XVI, 3 est à rattacher, non pas à l'incendie de Rome, mais à des événements d'ailleurs peu connus des dernières années de Néron, événements qui furent déclenchés par un soulèvement des Juifs en Palestine. Pour le reste les mots superstitio, noua ac malefica ne doivent pas signifier chez Suétone qu'il a lu Tacite, car il n'y a que peu de preuves, et des preuves discutables, qu'il s'en soit finalement servi. Comme il écrivait au temps d'Hadrien, il exprimait le jugement de l'opinion alors couramment répandue et qui se traduisait par ces mots [37] ». Raisonnement qui apparaît à l'examen bien peu convaincant.

5) Il est d'autant moins convaincant qu'il ne semble pas que Néron, à la différence de Tibère (cf. Suétone, Tibère, XXXVI) et de Claude (cf. Suétone, Claude, XXV) ait pris contre les Juifs des mesures sévères. Il est possible qu'il leur ait été même favorable, influencé en l'occurrence par sa femme Poppée, qui d'après Flavius Josèphe éprouvait de la sympathie pour la religion juive (cf. Antiqu. Jud., 20, 195 : theosebês gar ên).

6) L'hypothèse d'E. Koestermann supprime donc chez les historiens latins païens toute trace d'une persécution néronienne contre les chrétiens. Mais elle n'explique pas comment et pourquoi les apologistes chrétiens ont accusé l'empereur d'avoir été, comme le prétend Tertullien, le dedicator damnationis de leur religion.

7) Enfin E. Koestermann fait bon marché du témoignage porté par saint Clément dans sa Lettre aux Corinthiens. Celle-ci offre en effet avec le texte de Tacite deux ressemblances fort intéressantes : polu plêthos eklektôn correspond à multitudo ingens et pollas aikias kai basanous à quaesitissimis poenis. E. Koestermann minimise, à notre avis, la valeur de ces similitudes qui prennent au contraire beaucoup d'importance quand on les met en parallèle.

Concluons donc que les hypothèses de C. Saumagne et d'E. Koestermann résolvent peut-être certaines difficultés soulevées Par le chapitre 44 du livre XV des Annales de Tacite. Mais elles en font naître beaucoup d'autres, plus importantes, et auxquelles les auteurs de ces conjectures n'apportent aucune réponse. Il vaut mieux jusqu'à meilleure interprétation garder l'explication traditionnelle du texte de Tacite sur les chrétiens et considérer ce dernier comme la source païenne la plus précise en même temps que la plus plausible de la persécution organisée par Néron contre les fidèles du Christ.

Reste un dernier problème à discuter : celui de la base juridique des poursuites exercées contre les chrétiens. On a à ce sujet bâti plusieurs théories : celle de la religio illicita, applicable à la foi chrétienne, parce que celle-ci n'était pas reconnue par Rome comme religion d'une nation et parce qu'elle refusait de participer au culte officiel ; celle d'un édit spécial, porté par Néron et s'identifiant avec l'Institutum neronianum dont nous parle Tertullien dans Ad Nationes, I, 7 : Et tamen permansit erasis omnibus hoc solum institutum neronianum, iustum denique ut dissimile sui auctoris ; celle enfin qui fait dépendre la proscription des croyances chrétiennes du pouvoir de coercitio détenu par les magistrats en vertu de leur imperium.

Il semble qu'on admet plus volontiers aujourd'hui que le christianisme a été inquiété parce qu'il se présentait comme un culte étranger, qui n'était pas autorisé par le sénat et reconnu officiellement [38]. Ce qui correspond d'ailleurs à certaines expressions employées tant par les auteurs chrétiens que par les écrivains païens. Tacite qualifie en effet la religion du Christ d'exitiabilis superstitio (Annales, XV, 44) et Suétone de superstitio noua ac malefica (Néron, XVI, 3). Quant à Tertullien, il met dans la bouche de ses contradicteurs les mots suivants fort significatifs : non licet esse uos christianos (Apol., IV, 4-5).

On peut donc finalement affirmer que « c'est en vertu des vieilles lois ou, si l'on veut, du vieux droit coutumier de Rome en matière religieuse que les magistrats romains ont condamné les tenants de la nouvelle nouvelle secte considérée comme une superstitio illicita » [39].


  Notes

[1] Cf. M. Simon et A. Benoit, Le Judaïsme et le Christianisme antique, Nouvelle Clio, Paris, P.U.F., 1968, p. 127. [Retour]

[2] Cf. J. Moreau, La persécution du christianisme dans l'empire romain, Mythes et Religions, Paris, P.U.F., 1956, pp. 31-36 - C. Lepelley, L'empire romain et le Christianisme, Paris, Flammarion, 1969, pp. 22-24. [Retour]

[3] Cf. Tacite, Annales, XV, ch. 38 à 44 inclus. [Retour]

[4] Cf. R. Hanslik, Der Erzählungscomplex von Brand Roms und der Christenverfolgung bei Tacitus, dans Wiener Studien, 76, 1963, pp. 92-109. [Retour]

[5] Cf. Tacite, Annales, XV, 40. [Retour]

[6] Cf. C. Saumagne, Les incendiaires de Rome (en 64 ap. J.-C.) et les lois pénales des Romains, dans Revue historique, 1962, pp. 337-360. [Retour]

[7] Cf. R. Hanslik, art. cit., p. 96. [Retour]

[8] Cf. J. Beaujeu, L'incendie de Rome en 64 et les chrétiens, Collection Latomus, XLIX, Bruxelles, 1960, p. 5. [Retour]

[9] Cf. J. Beaujeu, op. cit., p. 10. [Retour]

[10] Cf. J. Beaujeu, op. cit., pp. 34-35. [Retour]

[11] Cf. H. I. Marrou, Compte rendu de l'ouvrage de J. Beaujeu, dans Revue des Études anciennes, 67, 1965, p. 580. [Retour]

[12] Cf. E. Koestermann, Tacitus : Annalen, Leipzig, Teubner, 1960. [Retour]

[13] Cf. E. Koestermann, Cornelius Tacitus, Annalen, 4 volumes, Heidelberg, Winter, 1963-1968. [Retour]

[14] Cf. H. Fuchs, Tacitus über die Christen, dans Vigiliae christianae, 4, 1950, p. 74-77. [Retour]

[15] Cf. J. Michelfeit, Das Christenkapitel des Tacitus, dans Gymnasium, Heidelberg, Winter, 1966, p. 526 et sqq. [Retour]

[16] Cf. H. Fuchs, art. cit., pp. 77-78 - J. Michelfeit, art. cit., p. 521. [Retour]

[17] Cf. C. Saumagne, art. cit., p. 339. [Retour]

[18] Cf. H. Goelzer, Tacite : Annales, Collection Budé, Paris, 1938, p. 491. [Retour]

[19] Cf. H. Fuchs, art. cit., pp. 81-82. [Retour]

[20] Cf. R. Hanslik, art. cit., p. 105. [Retour]

[21] Cf. E. Zeller, Das odium generis humani bei Christen, dans Zeitschrift fur wissenschafliche Theologie, 34, 1891, p. 356 et sqq. [Retour]

[22] Cf. J. Beaujeu, op. cit., pp. 30-31. [Retour]

[23] Cf. E. Koestermann, Cornelius Tacitus : Annalen, IV, p. 257. [Retour]

[24] Cf. C. Saumagne, Les incendiaires de Rome (en 64 ap. J.-C.) et les lois pénales des Romains, dans Revue historique, 1962, pp. 337-360 - C. Saumagne, Tacite et St Paul, dans Revue historique, 1964, pp. 67-110. [Retour]

[25] Cf. C. Saumagne, Tacite et St Paul, p. 110. [Retour]

[26] Cf. C. Saumagne, Tacite et St Paul, p. 110. [Retour]

[27] Cf. C. Saumagne, Les incendiaires de Rome, etc., p. 360. [Retour]

[28] Cf. P. Wuilleumier, Tacite, Paris, Boivin, 1949, p. 46. [Retour]

[29] Cf. C. Saumagne, Tacite et St Paul, p. 69. [Retour]

[30] Cf. Flavius Josèphe, De Bello Iudaico, éd. Niese, Berlin, Weidmann, 1894, VI, §§ 241-242 et 266. [Retour]

[31] Cf. E. Koestermann, Ein folgenschwerer Irrtum des Tacitus, dans Historia, Wiesbaden, 16, 1967, pp. 456-469. [Retour]

[32] Cf. E. Koestermann, art. cit., p. 458. [Retour]

[33] Cf. Thesaurus Linguae Latinae, Onomasticon II, col. 407 : en tout quatre références à la Tabula Alimentaria et aux Fasti - E. Koestermann, art. cit., p. 460. [Retour]

[34] Cf. H. Fuchs, art. cit., pp. 71-72 en note. [Retour]

[35] Cf. J. Moreau, Les plus anciens témoignages profanes sur Jésus, Collection Lebègue, Bruxelles, 1944, pp. 51-54. [Retour]

[36] Cf. J. Ceska, Tacitovi Chrestiani a apokalyptické cislo, dans Listy Filologické, Praha, 1969, p. 249. [Retour]

[37] Cf. E. Koestermann, art. cit., pp. 467-468. [Retour]

[38] Cf. J. Gaudemet, Institutions de l'Antiquité, Paris, 1967, pp. 687-689. [Retour]

[39] Cf. E. Griffe, Les persécutions contre les chrétiens, Paris, Letouzey et Ané, 1967, p. 33. [Retour]


FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 2 - juillet-décembre 2001

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