FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 1 - janvier-juin 2001


L'héritage latin : Une culture de l'universel

par

Paul-Augustin Deproost*

Professeur à l'Université de Louvain


Texte d'une conférence prononcée lors d'un séminaire de recherche appliquée en philosophie et lettres sur « L'Europe et la culture des cultures », organisé à Louvain-la-Neuve le 26 octobre 1998 dans le cadre du projet EUxIN (coord. scientifique : prof. Bernard Coulie) qui réunit huit universités européennes en vue de définir des outils de décision culturelle utilisables par les instances de l'Union européenne.


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Le premier chapitre du très beau roman d'Alexis Curvers, Tempo di Roma, s'achève sur ce dialogue : « Mais où sommes-nous ? »  Sur le Monte Mario, répondit Ambrucci qui s'éloignait déjà. « Et qu'est-ce que c'est que ce patelin qu'on aperçoit dans le fond ? » Il s'arrêta et, très grand seigneur, avec un geste de présentation, déclara : « C'est Rome » [1].

 

« Qui peut le moins peut le plus », ou de la modestie des origines

J'ai l'habitude de commencer mon cours d'auteurs latins en première candidature par cette profession de foi d'Antoine Meillet : « Jusqu'au seuil de l'époque moderne en Occident, quiconque a pensé n'a pensé qu'en latin… Pour toutes les choses de la pensée, le latin a fourni de mots les langues modernes de l'Europe [2]. » Et pourtant, tout est effectivement parti de ce « patelin », de ce petit village du Latium, dont la légende raconte qu'il ne comptait même pas assez de femmes pour perpétuer la race ; et le latin, qui était la langue de ce patelin, est parti de presque rien, d'un idiome qui ne bénéficiait au départ ni d'un grand nombre d'usagers ni du prestige attaché à une langue de civilisation, mais qui, au contraire, était celui d'une petite communauté rurale, que rien ne distinguait particulièrement dans l'émiettement linguistique extrême de la péninsule italique. Considérée froidement, l'histoire de la langue latine n'est finalement que l'histoire d'un dialecte qui a réussi et qui a progressivement éliminé ceux qui lui étaient apparentés. Dès ses premiers pas dans la mémoire des hommes se dessinent déjà à Rome deux traits cardinaux et complémentaires de son histoire : le sentiment d'être toujours à l'étroit chez soi et le prurit de la conquête. Les rebondissements légendaires de l'enlèvement des Sabines sont un récit bien connu et primordial de cette volonté de métissage, d'abord agressive et unilatérale avant d'être finalement acceptée par les nations conquises ; quant à la langue latine, que serait-elle sans les apports étrangers qu'elle a su intégrer, au premier rang desquels le grec qui lui a permis de devenir aussi une langue de philosophie et finalement la langue de l'intelligence européenne ?

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Deux destins inséparables : Rome et la latinité

Rassurez-vous, mon propos n'est pas de retracer toute l'histoire de Rome depuis ces temps reculés, mais je voulais rappeler ici la modestie de ces origines qui ne laissait absolument pas prévoir le destin unique de cette ville et de sa langue dans l'histoire du monde. Car précisément, le décalage vertigineux entre ce destin et les laborieux débuts de la cité est déjà un enseignement pour le sujet qui nous occupe aujourd'hui. Tout à la fois, il contient les raisons d'espérer dans les possibilités de l'homme de construire des civilisations et des cultures prestigieuses à partir de peu de choses, mais aussi les ambiguïtés de ces constructions, car la fortune de la langue latine, et donc de la culture qu'elle véhicule, ne tient pas à une prétendue supériorité linguistique, comme on a eu parfois tendance à le croire par le passé, - aucune langue n'est en soi plus intelligente qu'une autre -, mais à l'histoire de Rome et de sa domination sur le monde. Le destin du latin et de la culture latine est fondamentalement lié à celui de Rome et du mythe qu'elle a imposé. Le premier héritage qu'a transmis la romanité au monde est celui d'une langue et d'une culture porteuses d'une conception de l'homme et de la société qui fait toujours référence à celle qu'en a diffusée Rome : contrairement à la langue et à la culture grecques, à toutes les époques, le latin est apparu comme une langue qui porte la trace de la Ville qui l'a vu naître, et la résistance au latin a souvent été le signe d'une résistance plus fondamentale à des formes de pensée philosophique, religieuse, sociale ou politique issues des idées romaines.

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Litanies romaines

Le nom de Rome désigne des réalités nombreuses et complexes : une ville, la Ville par excellence, qui a une existence longue de presque 3000 ans, mais aussi une culture innombrable, qui semble ne jamais devoir dire son dernier mot, forte d'héritages qu'elle ne cesse pas de passer et de mélanger. Avez-vous déjà essayé d'imaginer ce que serait devenu, par exemple, l'héritage grec s'il n'avait pas transité par Rome, et cela jusqu'à la fin de l'antiquité quand on pense au « passeur de la pensée grecque » qu'était encore le Romain Boèce sous les rois ostrogoths ? Rome, c'est aussi, bien sûr, un immense empire qui a réussi à imposer et à faire accepter une paix durable et sûre à l'intérieur de frontières jamais égalées depuis. Rome, c'est un prestige spirituel et culturel qui a traversé, sinon influencé, toutes les révolutions, tous les changements, tous les mouvements intellectuels d'occident. Cette empreinte a marqué tous les domaines de l'ordre social et humain : les institutions et l'organisation de la vie publique, l'esthétique et la morale, les coutumes et les moeurs de la vie quotidienne, la géographie des villes, la pensée juridique, la religion même. Comme l'a dit Pierre Grimal, « rien de ce qui nous entoure n'aurait été ce qu'il est si Rome n'avait pas existé » [3.] Et quand elle a cessé d'être la capitale politique du monde, Rome est devenue un mythe : les rois barbares se sont fait couronner empereurs des Romains ; l'Ostrogoth Théodoric réintroduit des légendes monétaires qui célèbrent « Rome invaincue »; depuis le sacre de Charlemagne jusqu'à celui de Napoléon, la notion même d'empire a continué de fasciner plusieurs fois la Romania européenne avec tous les attributs religieux et idéologiques qui lui étaient attachés dans l'antiquité.

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À l'heure chrétienne

Faut-il rappeler ici que le christianisme est né à l'intérieur des frontières de l'empire romain, qu'il lui doit sans doute ses premières persécutions, mais aussi sa diffusion universelle, son sens de la hiérarchie et le titre de son chef suprême, le Pontifex Maximus, la formulation et la rationalité de sa doctrine ? « Ciuis Romanus sum »: en revendiquant sa citoyenneté romaine, saint Paul savait le rayonnement que prendrait son martyre dans le caput mundi. Comme l'a rappelé avec insistance Henri-Irénée Marrou, le fait majeur de l'antiquité tardive, dont est issue une part importante de la conscience européenne, a été l'extension et le triomphe durable du christianisme, et on ne répétera jamais assez que pendant plus d'un millénaire l'intelligence occidentale a vécu de cette fusion entre la foi chrétienne et les formes romaines de son expression, jusque dans la langue qui a transmis à l'occident le texte des Écritures et lui a donné sa liturgie. Car, comme aime à le dire Roger Gryson, « la Bible latine est la matrice de la culture occidentale » [4]. Quant à la liturgie latine, dont on ne nous offre plus aujourd'hui, hélas, que de trop fréquentes et pâles contrefaçons, elle est le lieu où sont nés la poésie de l'occident chrétien, sa musique, son théâtre, et toutes ses formes d'art, sinon même l'essentiel de sa pensée symbolique ; elle a sublimé le sens tellement romain du spectacle dans la célébration des mystères chrétiens. « Vere dignum et iustum est  », les premiers mots de la préface latine, celle pour laquelle Mozart était prêt à sacrifier l'ensemble de son oeuvre, situent très exactement le lieu du lyrisme et de la poésie liturgiques à la pointe d'une esthétique du decus, de la dignitas, que revendiquait déjà le poète Horace quand il demandait que la parole écrite ou orale fût adaptée à la grandeur de son sujet.

Quel que soit le jugement que l'on porte sur le fait chrétien lui-même, il faut admettre que la civilisation européenne s'est construite au rythme du christianisme latin. Et cela est vrai jusque dans les activités les plus séculières : que serait le droit romain sans l'oeuvre législatrice des empereurs chrétiens ? Oserait-on imaginer l'histoire des institutions politiques dans les pays d'Europe indépendamment de l'idéal d'une chrétienté sacrale qui anime le pouvoir à partir de Constantin et de ses fils ? Mais il est tout aussi indéniable que ce christianisme s'est exprimé à travers un langage, une culture, une sagesse qui portent le sceau de l'antiquité, et éminemment celui de Rome, car « Christentum ist auch Antike », pour reprendre le titre d'un article fameux de Jacques Fontaine [5].

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Les ombres de l'héritage

Avant d'évoquer quelques aspects glorieux et lumineux de l'héritage latin, je voudrais rappeler que l'histoire de Rome ne manque pas non plus de pages obscures. Sa domination sur le monde, Rome l'a acquise aussi dans le sang, les crimes, les guerres, et les massacres collectifs. Certes, l'histoire nous enseigne que Rome n'avait pas le monopole antique des artes destruendi, des arts de la destruction, tant s'en faut, mais elle a appris aux nations les moyens de les planifier et l'idée qu'on pouvait aussi s'en servir pour gouverner. Rappelez-vous déjà l'emblématique imprécation « Delenda est Carthago » (« Il faut détruire Carthage »), avec laquelle le vieux Caton achevait tous ses discours, quel qu'en fût le sujet ; et Carthage fut bien détruite, pas une pierre n'en fut épargnée, et les terres furent brûlées et salées pour qu'un désert prît la place de la cité rivale [6]. Cela fait aussi, hélas, partie des héritages que Rome a transmis au monde : un certain sens de la violence, un goût malsain pour le spectacle de la cruauté, une expérience de la répression totalitaire dont certains systèmes modernes ont su s'inspirer.

Sans doute faut-il faire ici la part du Zeitgeist, de l'esprit du temps, la part aussi de ce que j'ai appelé ailleurs une « rhétorique de l'horreur » qui avait les faveurs de certains historiens latins, mais le constat que faisait, par exemple, Marguerite Yourcenar à la lecture des biographies impériales et souvent anonymes de l'Histoire Auguste reste globalement vrai dans la perspective d'une histoire de la mentalité romaine antique : « Une effroyable odeur d'humanité monte de ce livre : le fait même qu'aucune puissante personnalité d'écrivain ne l'a marqué de son empreinte nous laisse face à face avec la vie elle-même, avec ce chaos d'épisodes informes et violents… Le lecteur moderne est chez lui dans l'Histoire auguste » [7]. Rome a effectivement exprimé tout l'homme ; elle n'en a rien caché, sa grandeur, mais aussi sa bestialité et ses dérives sanguinaires. En cela, elle est restée fidèle à la prétention qu'un des personnages de Térence revendiquait déjà, sans pressentir tout ce qu'elle impliquait : « Homo sum : humani nihil a me alienum puto » (« Je suis un homme ; je pense que rien d'humain ne m'est étranger ») [8]. Au-delà d'une généreuse profession de foi humaniste, cette formule présomptueuse m'a souvent inquiété, quand on sait de quelles horreurs l'homme est parfois capable. Le mythe raconte que pour fonder Rome, Romulus a dû tuer son frère. Le sang est certes souvent présent dans l'acte fondateur des villes ; le christianisme reprendra cette idée à son compte en refondant les villes antiques sur le sang des martyrs, mais à Rome, c'est l'assassin de son frère qui est devenu l'éponyme de la cité, et l'imaginaire romain en a été profondément marqué, au point qu'au Ve siècle, le pape Léon le Grand a voulu voir dans le martyre des deux apôtres Pierre et Paul la réparation nécessaire de ce « péché d'origine » [9]. « Oderint, dum metuant » (« Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent ») : l'empereur Caligula se félicitait d'avoir fait de ce vers d'une tragédie d'Accius un mode de gouvernement [10]. Quand on parle de l'héritage de Rome, on ne peut occulter cette part de ténèbres où la peur fut trop souvent le moyen qu'ont utilisé pour régner des magistrats véreux et des princes furieux, portés au pouvoir par des dynasties de « sergents-majors », comme l'a dit l'historien anglais Christopher Dawson à propos des empereurs issus de l'armée romaine du IIIe siècle [11].

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La ville, la cité, le monde

Et pourtant, si Rome a pesé sur l'histoire du monde du poids que l'on connaît, c'est pour des raisons qui, bien sûr, ne tiennent pas uniquement à sa puissance militaire et au maillage policier de ses territoires. La diffusion du latin et de la culture latine en occident ne s'explique pas par la force des armes. Dans sa Vie d'Agricola, Tacite constate qu'après un demi-siècle de présence romaine sur leur sol, les Bretons, qui récemment encore refusaient la langue de Rome, se passionnent pour son éloquence, sa culture et même son vêtement [12]. Et ce qui est vrai pour la Bretagne l'est aussi de l'Espagne, de la Gaule, de l'Italie même où les dialectes cèdent la place au latin, comme je l'ai rappelé au début de cette intervention. Cette évolution n'est pas uniquement le résultat de la contrainte. Tacite le rappelle également : elle a été encouragée par l'attraction qu'exercent sur les esprits des idées nouvelles, des modes de vie différents. Attrait des plaisirs de la ville, sans doute, mais ces plaisirs eux-mêmes ne sont que le contrepoint affectif, subjectif d'une nouvelle conception de l'homme et de la société, qui sera décisive dans la construction de la civilisation occidentale.

Tout d'abord, lors de ses premiers contacts avec les nations étrangères, Rome apporte des formes de groupement que celles-ci ignoraient : ce sont les villes, lieux de rencontre et de vie commune, lieux aussi de culture et de débats d'idées qui arrachent les groupes humains élémentaires à leur isolement, à leur individualisme. Tout cela n'était certes pas totalement nouveau dans la Gaule du premier siècle ACN, ni dans l'Espagne du IIIe siècle, ni dans d'autres régions du monde que Rome dominera par la suite, mais ce qui était nouveau, c'était la façon dont Rome inscrivait la sociabilité naturelle de l'homme dans une architecture urbaine diversifiée et appropriée à tous les besoins sociaux, depuis les édifices religieux bien sûr, mais aussi les institutions scolaires, les bâtiments à vocation culturelle, politique, économique : les forums, les basiliques, ou encore les centres de loisirs comme les thermes, les cirques, les amphithéâtres, les stades, les théâtres, sans compter les impressionnantes infrastructures indispensables à la vie quotidienne dans les grandes villes et aux échanges dont elles avaient besoin : les aqueducs, les immeubles, le réseau routier, etc. Le génie urbain et bâtisseur des Romains est certainement un des aspects les plus visibles de leur puissance et de leur présence dans l'histoire. Il a marqué en profondeur l'homme occidental en instaurant de nouvelles formes de convivialité sociale et politique qui organisaient la vie dans les cités. La vertu d'urbanité, qui contribue à sortir l'homme de sa sauvagerie, est bien la vertu romaine d'urbanitas, si souvent évoquée par Cicéron, et que l'on retrouve dans maintes villes anciennes de notre vieille Europe ; au regard de nos actuelles cités d'affaires ou de misères, on a peine à imaginer que cette forme d'élégance et de politesse, si fondamentalement humaine, a commencé d'exister lorsque les hommes se sont regroupés dans les villes, et particulièrement dans Rome, l'Vrbs par excellence. La fascination romaine pour les villes rejoint cette belle intuition judéo-chrétienne qui situe le terme de l'histoire des hommes dans une cité céleste, après en avoir situé le commencement dans un jardin terrestre.

Certes, les Grecs avaient aussi connu des regroupements analogues et, à partir de villages dispersés, ils avaient également constitué des cités-États. Mais ici s'arrête l'analogie avec Rome. À mesure que les citoyens grecs prenaient conscience de leur appartenance à une même culture s'accroissait leur sentiment de tout ce qui les séparait des autres hommes, de ceux qui n'étaient pas grecs et qui ne parlaient pas leur langue. Rien de semblable dans l'évolution des mentalités à Rome. Contrairement aux cités grecques qui avaient, toutes, leur constitution particulière, sinon leur dialecte propre, sans parler de leurs aspirations individualistes, les circonstances ont appelé Rome à s'élever à un rôle universel : la vocation de Rome n'a été rien moins que de prendre en charge le monde au-delà même de sa propre survie politique et temporelle. Virgile a donné la formule décisive de ce privilège : quand au début de l'Énéide, Vénus s'inquiète du sort de ses protégés troyens, Jupiter la rassure par ces paroles célèbres : « His ego nec metas rerum nec tempora pono/ Imperium sine fine dedi » (« Je ne leur fixe de limites ni dans l'espace ni dans le temps : je leur ai donné un empire sans fin ») [13]. Il est remarquable que cette formule sera aussi celle de chrétiens comme saint Augustin ou le poète Prudence lorsqu'ils auront à définir le terme de leur espérance dans l'avènement de la cité de Dieu, au moment même où la puissance temporelle de Rome connaît ses premières défaillances graves [14].

Un des héritages majeurs de Rome est bien celui-là qui a donné aux hommes la conscience d'une communauté dépassant les frontières de la petite patrie, sans pour autant renoncer au souvenir ému du sol où l'on est né : Virgile et Horace ont été les chantres officiels de la nouvelle Rome d'Auguste, promue au rang d'unique puissance méditerranéenne ; ils restent aussi, pour la postérité, les poètes de leur province natale, de ses particularismes, de ses fleuves et ruisseaux, de ses champs, de ses forêts, de ses divinités et cultes locaux. Nonobstant ses difficultés d'interprétation, le fameux édit de l'empereur Caracalla, par ailleurs d'origine africaine, au début du IIIe siècle, donne à cette double vocation force de loi : « Je donne à tous les pérégrins qui vivent dans le monde habité le droit de cité romain en sauvegardant le droit des cités [15] ».

Cette responsabilité universelle que s'est imposée Rome l'a engagée à formuler une table de valeurs qui lui permette de réussir sa mission. Pour réaliser l'intégration des nations conquises de gré ou de force, le pouvoir romain ne pouvait pas se contenter d'être totalitaire : il se devait aussi d'être grand et généreux. On connaît le mot sans concession de Tacite à propos des conquérants romains : « Vbi solitudinem faciunt, pacem appellant » (« Là où ils font un désert, ils appellent cela la paix ») [16]. Mais il serait injuste de réduire la pax Romana à une machine de guerre et de domination ; une fois ses conquêtes pacifiées, Rome a fait autre chose que les épuiser. La pax Romana a été un formidable vecteur d'union et de civilisation des peuples ; elle a induit une certaine idée de la vie en commun avec ceux que le même Caracalla, célèbre par ailleurs pour ses vices et ses cruautés mégalomaniaques, appelait dans les attendus de son édit « les étrangers qui ont toujours fait partie du nombre de mes sujets ». Au début du Ve siècle de notre ère, à son retour de Rome, le poète gaulois Rutilius Namatianus lui rend ce vibrant hommage : « De nations diverses tu as fait une seule patrie ; les méchants, sous ta domination, se sont trouvés bien de leur défaite ; en offrant aux vaincus le partage de tes lois, tu as fait une ville de ce qui, jusque-là, était le monde [17] ». De tout temps, aucune barrière infranchissable ne sépare ce qui est Romain de ce qui vient de l'extérieur. L'accueil des cultes et des dieux étrangers, par exemple, dans le Panthéon romain est un des signes les mieux connus de cet état d'esprit. Que l'on pense à l'assimilation spectaculaire des divinités grecques dans la religion romaine, ou à l'ouverture de Rome à toutes les formes de mysticisme, - la religion de Mithra, la religion isiaque -, pourvu qu'elles ne menacent pas l'ordre et la stabilité de l'État. Les premiers chrétiens ont fait les frais de cette clause d'exception, parce que précisément ils refusaient d'adorer le garant humain de cet ordre politique et social, l'empereur, sans quoi ils auraient obtenu une place dans la piété romaine, fondamentalement syncrétiste et unitaire. Ce sens romain de l'intégration apparaît également dans l'organisation politique de l'Empire, et ce au plus haut niveau. Tout au long de son histoire, Rome a toujours cherché à pacifier ses conquêtes en confiant de hautes responsabilités, jusqu'au pouvoir suprême, à des hommes éminents qui n'étaient pas Romains de souche : que l'on pense, par exemple, à l'Espagne, l'Afrique ou la Gaule qui, très tôt, ont donné à Rome des hommes d'État, des empereurs, des militaires, des penseurs, des poètes, des écrivains dont le nom est définitivement attaché au prestige de la Ville.

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Le droit et la loi

Pour gérer un empire tel que celui de Rome, il fallait une législation qui prît en compte tous les aspects de la vie en société. Sans doute, Rome n'a-t-elle pas échappé au risque, inhérent aux grands ensembles politiques, d'une bureaucratie tâtillonne, pléthorique et oppressante qui a fini par étouffer les initiatives locales, sous prétexte de préserver une certaine cohésion dans la gestion des affaires. L'histoire du Bas-Empire est un des moments les plus extrêmes de cette tendance. Ceci dit, le prurit romain pour le droit est à la base d'une certaine façon de concevoir les rapports entre les hommes autrement que selon l'arbitraire d'un individu, fût-il prince ou prêtre, ou même d'une collectivité humaine, et donc changeante. Rome a osé inscrire la coutume de ses ancêtres, le mos maiorum, et les obligations naturelles de la pietas envers les dieux, la famille et la cité, dans des textes de loi qui dépassent la personnalité même du législateur et qui garantissent l'équilibre des rapports humains, les valeurs de la loi naturelle et le maintien des institutions contre les vicissitudes de l'histoire. On sait, bien sûr, la part de chimère que contient, et qu'a effectivement contenue, une intuition aussi généreuse ; mais cet effort de rationalisation de la conscience des hommes qu'implique l'exercice même du droit au-delà des revendications particularistes est bien un héritage romain dont l'occident s'honore. « Pour fonder le droit, dit Cicéron, prenons pour origine cette Loi suprême qui, commune à tous les siècles, est née avant qu'il existât aucune loi écrite ou que fût constitué nulle part aucun État »: qu'est-ce à dire sinon que tout en reconnaissant la légitimité d'une réflexion juridique, on la fonde sur un principe universel [18] ?

L'apport de Rome à l'histoire du droit est une évidence qu'il ne faut plus démontrer. La Loi des XII Tables, premier monument juridique romain, les Institutes de Gaius, le Code Théodosien, le Code de Justinien, le Digeste, les innombrables édits impériaux sont autant de pierres qui jalonnent cet apport. Depuis les premiers temps de Rome, les juristes n'ont cessé d'imaginer les moyens d'organiser la vie commune, non seulement en temps de paix, mais aussi, on l'oublie trop souvent, dans la guerre elle-même, ce qui est assurément plus méritoire et inattendu. Ainsi, par exemple, une guerre sera « juste » (iustum bellum) si elle a été déclarée dans les règles, si elle est conduite selon un rituel auquel on ne peut en aucune façon déroger, sous peine de s'attirer la haine des dieux en commettant précisément une injustice, qui équivaut d'abord à une impiété. Si la guerre est la revendication légitime d'un droit, elle cesse d'être justifiée lorsque l'ennemi a donné réparation ; il est injuste - contraire au ius - de poursuivre l'anéantissement d'un ennemi qui ne se défend plus mais s'est rendu à merci ; n'importe quel citoyen n'a pas le droit de tuer un ennemi ; il y a des saisons où l'on ne guerroie pas ; etc. À défaut de pouvoir éliminer complètement la guerre, Rome s'est efforcée de lui donner un cadre légal dans la façon de la conduire et aussi de l'achever, garantissant ainsi aux nations ennemies et aux vaincus un droit de la guerre qui devait humaniser quelque peu la barbarie sauvage et le désir de conquête. Ce droit de la guerre est aussi un héritage de Rome ; peu de nations y seront fidèles, à commencer par Rome elle-même, mais au moins dans la théorie et dans le droit, les Romains ont essayé de limiter le domaine de la violence, de faire en sorte que celle-ci ne soit jamais qu'un état transitoire et non une fin.

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Une spiritualité de la terre

Une des consciences critiques de l'Empire, l'historien Tacite, marque bien la différence qui sépare Romains et barbares de ce point de vue : « On ne saurait persuader les Germains de labourer la terre ou d'attendre la récolte aussi facilement que de provoquer l'ennemi et de s'attirer des blessures. Bien plus, il leur semble que c'est faire preuve de paresse et de lâcheté que de gagner par sa sueur ce que l'on peut acquérir avec son sang [19] ». Le modèle que Tacite oppose au guerrier est très significatif de la mentalité romaine, pour qui la valeur la plus haute est celle de l'agriculteur, attaché à sa terre, inlassable dans ses efforts, prêt à combattre, certes, mais seulement pour défendre son champ, et surtout désireux de maintenir la paix. On sait qu'une des plus hautes valeurs romaines est la grauitas, c'est-à-dire la qualité de celui dont les pieds sont lourds (grauis) de la terre des campagnes, la qualité de l'homme de la terre, de celui qui la mesure et qui la jardine, comme le vieux Caton ou l'agronome Columelle, tous les deux intimement convaincus, à des époques pourtant très différentes, que la force et la moralité de Rome sont indissolublement liées au travail des champs. Et il me plaît de penser qu'un des facteurs les plus efficaces de la romanisation de l'occident fut non pas les conquêtes militaires, mais l'extension sinon la plantation de vignobles, comme par exemple sur les rives de la Moselle, là où le poète Ausone au IVe siècle de notre ère chante les « collines où verdoie Bacchus » [20]. L'art de cultiver la vigne, de sans cesse l'améliorer et de goûter son vin, voilà aussi un héritage de Rome.

Je ne peux pas m'empêcher de penser ici à la morale du Candide de Voltaire, qui conseille aux hommes de « cultiver leur jardin ». Voltaire connaissait bien Virgile ; il n'ignorait rien du bonheur de Tityre à l'ombre de son arbre dans la première Bucolique ; mais il savait aussi comment les Géorgiques avaient révélé toute une spiritualité de la terre, du jardin et du travail des champs, qui a façonné la pensée de l'occident latin. Après Platon, Cicéron poursuit la tradition des jardins philosophiques, dont André Motte a naguère si bien parlé [21] ; mais il y ajoute un élément nouveau auquel ne peuvent être sensibles que les habitants des villes et les hommes écrasés par le poids des responsabilités : l'idée romaine du secessus, de l'otium, de la retraite, car Cicéron n'habite pas dans ses jardins, il s'y retire, mais c'est au sens d'un exercice spirituel pour y faire dialoguer de grands hommes sur les questions qui les occupent : la politique, les devoirs, l'amitié, la vieillesse, la parole. Les jardins de Milan, de Cassiciacum et d'Ostie ont été les lieux privilégiés de la conversion d'un des fondateurs de la pensée occidentale, saint Augustin. Les moines d'occident se distinguent des ascètes orientaux notamment par la place réservée au travail des champs. Et on n'en finirait pas de dresser l'inventaire des images empruntées aux arts de la terre dans la poésie, la mystique, la littérature ou l'esthétique européennes. Le jardin romain, qu'il soit potager, d'agrément ou inspiré, est véritablement un espace où s'élaborent une pensée et une spiritualité en harmonie avec les choses, pour qu'elles deviennent « la plus grande conscience possible du concret », selon la belle expression d'Aragon au moment d'évoquer le songe du Paysan de Paris [22]. Il est une création de l'homme qui fixe et organise la nature dont il refuse la sauvagerie, et en cela il est aussi, me semble-t-il, un signe éminent de la romanité, toujours attentive à maintenir un équilibre entre l'homme et la nature, à identifier en elle la part de la ratio qui l'anime et à construire sur cette rationalité une sagesse et une culture en accord avec l'ordre naturel.

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Ratio et sapientia

Car, s'il fallait définir d'un seul mot ce qui caractérise l'apport de la romanité à l'histoire des civilisations européennes, je crois que je choisirais celui-là : la ratio, c'est-à-dire l'équilibre entre la mesure et la sagesse, le calcul et la spiritualité, la rigueur d'un raisonnement et l'engagement d'une pensée, la force d'un système et la respiration de l'intelligence, car en latin l'activité même de la raison ou du jugement rejoint étymologiquement le verbe qui signifie au départ l'acte de calculer ou de compter (reor). De Varron aux grandes entreprises éditoriales d'aujourd'hui, en passant par Isidore de Séville, les « Sommes » médiévales ou les compilations de l'époque moderne, pour penser, l'homme latin a d'abord besoin de quantifier et de classer les faits, dans une démarche souvent encyclopédique, qui lui permet d'élucider et de systématiser l'ordre des choses, en fonction de leur mesure, de leur nombre et de leur poids, comme en un retour à la sagesse biblique : « Sed omnia mensura et numero et pondere disposuisti [23] ».

On comprend alors que l'occident ait tant de fois représenté l'oeuvre de la création en soulignant les attributs d'un Dieu arpenteur, architecte ou dessinateur, les étages ou les cercles d'un univers géométrique, en même temps qu'une anatomie globale et symétrique de l'homme en laquelle sont récapitulés et également répartis tous les éléments et toutes les humeurs de la nature. Même la fulgurance visionnaire d'une Hildegarde de Bingen est nourrie de cette conviction que la nature est rationnelle : loin des gnoses planantes et indifférenciées, qui revendiquent aujourd'hui abusivement son patronage, celle que l'on a appelée la Sibylle du Rhin canalise et rationalise toute sa tension mystique dans un univers symbolique entièrement régi par la « symphonie » des choses - per symphoniam rationalitatis -, la consonance entre le microcosme de l'homme et le macrocosme du monde, les analogies entre l'harmonie de l'homme géométrique et les mesures de la terre et du ciel, que l'on retrouve dans le plan des églises cisterciennes [24]. Un théoricien de l'esthétique médiévale a même très justement souligné la relation entre la représentation de l'homme chez Hildegarde et le traité d'architecture de Vitruve, retrouvant ainsi au coeur du charisme visionnaire la permanence d'une pensée construite qui lui évite de sombrer dans les dérives du seul sentiment [25]. Le rapprochement avec l'architecte des premiers empereurs romains est d'autant plus pertinent que Vitruve fait lui-même de l'étude de la philosophie un moyen de rendre parfait l'architecte, et, au IIIe siècle, le philosophe alexandrin Plotin, qui enseigne à Rome, ne se prononce sur la beauté d'une architecture qu'après avoir fait abstraction des pierres qui la composent [26].

Mais quand il pense, le Romain a aussi besoin de la sanction des faits. On a observé qu'en latin ratio est souvent associée à res, avec laquelle elle allitère, du reste. À Rome, la raison se refuse d'être la « folle du logis », et ses constructions doivent être validées dans l'ordre de l'intelligence, sans doute, mais aussi dans l'ordre du progrès moral des hommes. En ce sens, la ratio définit l'esprit de la loi : comme le dit Cicéron, « la loi est la raison souveraine (ratio summa) incluse dans la nature, qui nous ordonne ce que nous devons faire et nous interdit le contraire. Cette raison, lorsqu'elle s'appuie et se réalise dans la pensée de l'homme est encore la loi » [27]. Quoi de plus romain que cette ancienne collecte latine pour le sixième dimanche après l'Épiphanie : « Praesta, quaesumus, omnipotens Deus, ut semper rationabilia meditantes, quae tibi sunt placita et dictis exsequamur et factis », où l'on demande à Dieu que la méditation des choses rationnelles conduise à la réalisation en actes et en paroles des choses qui lui plaisent, évitant ainsi à l'oeuvre de l'esprit les tentations de la stérilité ou de l'amoralité. De Cicéron à saint Augustin, c'est toute la morale d'une raison en acte qui situe la vertu respectivement dans la mise en pratique de ses principes ou dans la conformité avec l'ordre de l'amour, c'est une conviction qui devrait encore être celle des intellectuels d'aujourd'hui, comme elle le fut d'un des grands humanistes et augustiniens de notre temps, Henri-Irénée Marrou, dont Charles Piétri a pu dire joliment qu'il fut « un témoin de la Vérité dans les faubourgs de la Cité de Dieu » [28]. Il ne serait pas bon que celui qui se dit spécialiste de Cicéron se crût libéré de ses devoirs de citoyen, ni que le philologue qui s'intéresse à la parole écrite fût incapable d'une parole publique ; la cura ciuitatis appartient aussi aux « signes des temps » dont l'Évangile dit qu'il faut savoir les discerner.

Résolument méfiant à l'égard des spéculations stériles qui ont parfois séduit la Grèce, l'esprit romain débouche sur une forme de sagesse, sur une sapientia, c'est-à-dire sur la qualité de celui qui est capable de goûter en même temps qu'il connaît : sapere, le verbe qui signifie tout à la fois avoir du goût et avoir de l'intelligence, tant il est vrai que pour atteindre à la vraie sagesse il faut que le savoir soit aussi une saveur et inversement le goût un travail de l'intelligence. Et ce qui est vrai en latin l'est aussi dans toutes les langues romanes, où le goût de la science et la science du goût sont toujours des vertus lexicalement apparentées. Quelle sagesse ne faut-il pas pour apprécier à sa juste saveur et pour en parler avec intelligence le vin d'un grand millésime ! À Rome, les choses du coeur relèvent aussi de l'esprit dans une complicité qui évite à l'un de s'affadir dans le subjectivisme et à l'autre de se dessécher dans l'abstraction pure. « Toute oeuvre d'art, disait à peu près Georges Migot, est une obéissance ; elle permet à l'homme qui la crée et la contemple de mériter ce moment sublime où l'on quitte le savoir pour atteindre à la connaissance. »

Et précisément, sans préjudice des autres formes artistiques, je pense qu'un des exemples les plus significatifs de la permanence de la ratio dans la culture occidentale est la façon dont l'homme y a conçu, sinon inventé, sa musique, ce beau mot qui, au départ, n'est pas un substantif, mais l'adjectif accroché à tout ce qui relève de l'art des Muses. En effet, toute la musique européenne est née de la rencontre magique entre les spéculations mathématiques d'un Pythagore sur les divisions de la corde sonore et l'intuition si essentielle d'un Cicéron qui reconnaissait dans l'art de parler un « chant obscur » [29] : le calcul des gammes ou des harmonies conjugué à l'émotion d'une parole cantillée, l'histoire de la musique pouvait commencer en occident. Le peintre Paul Cézanne a dit un jour que la mission de l'art était de « rendre aux choses le frisson de leur durée »: combien cela est-il encore plus vrai pour la musique qui n'est finalement autre chose que la mise en sons de la durée, devenue du même coup une expérience intelligible et une valeur esthétique. Mon ami Paul Tombeur a un jour merveilleusement parlé et écrit sur ce sujet, en rappelant notamment cette parole d'un pseudo-Boèce : « Musica quoque in ratione numerorum consistit atque uersatur » (« La musique aussi se fonde et se tient dans la ratio des nombres ») [30]. « À la conquête de sa musique », pour reprendre le titre d'un beau livre de Solange Corbin, l'Église du premier millénaire a construit son chant au départ de formules rythmiques et modales qui, au-delà de l'émotion sonore, sont une mesure du temps et une intelligence du texte biblique. Pour dévoiler ou expliquer - et je ne dis pas pour faire sentir au sens purement émotionnel - le mystère de la Rédemption, Jean-Sébastien Bach compose, c'est-à-dire met ensemble, le prodigieux « Crucifixus » de la Messe en si, où il combine un dessin mélodique descendant et soutenu par le martellement obstiné de la basse continue, un registre vocal inhabituellement bas, une douloureuse succession d'intervalles chromatiques et dissonants, une savante exploitation des nombres symboliques dans la répétition des thèmes, autant d'exégèses figurées de la passion et de la mort du Christ. Quand en 1960, Dimitri Chostakovitch pleure sur les ruines de Dresden, il compose en trois jours son génial huitième quattuor à cordes auquel on ne comprend rien si on n'y lit pas un filigrane biographique dans l'inlassable répétition du motif DSCH (ré-mi-do-si) : derrière l'officielle idéologie d'une oeuvre dédiée « aux victimes de la guerre et du fascisme » transparaît tout le déchirement d'un homme qui souffre de voir son oeuvre récupérée et trahie.

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La part du coeur

Souffrir

Voilà qui nous éloigne beaucoup de Rome, me direz-vous. Pas au sens où Rome a appris à l'homme d'occident que pour vraiment convaincre, le coeur et la raison devaient palpiter ensemble. Ce qui n'est pas non plus sans conséquence sur l'expression même de la douleur dans la culture latine. En même temps qu'il se complaît parfois dans le spectacle de la violence et de ses détails cliniques, jusqu'à éprouver une fascination perverse devant la mort et les agonies sauvages, le Romain et le latin, contrairement peut-être à l'oriental, manifestent une très grande pudeur dans l'expression du sentiment de la souffrance. Aussi écrasante soit-elle, la douleur ne se dit que par le filtre de la ratio, qui la stylise, au-delà d'une simple résignation stoïcienne, dans des formes poétiques ou philosophiques. « Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille »: douze syllabes pour dire et retenir toute la souffrance d'un homme ; Baudelaire retrouve les accents de Catulle qui concentrait l'intensité de son désespoir amoureux dans la fragile et fugitive image d'une fleur, au bord d'un champ, touchée par la charrue qui passe [31]. Une des grandeurs de Virgile n'est-elle pas d'avoir osé faire pleurer son héros, non pas de ces larmes bruyantes qui rendent ridicule et peu crédible, mais en un vers qui esthétise toute la souffrance du monde : « Sunt lacrimae rerum et mentem mortalia tangunt », où on ne sait ce qu'il faut admirer le plus : la beauté sonore ou l'intraduisible approximation des res, privées de toute détermination, et du neutre mortalia : « Il y a des larmes pour les choses et les destins des mortels touchent le coeur » [32]. Exilé jusqu'à la fin de ses jours, au bout du monde, parmi les barbares, dans un pays hostile, dangereux et froid, où « la terre n'est qu'une autre image de la mer », le mondain et délicat Ovide se retient, au moment où il veut faire « connaître sa plainte à toute l'étendue du monde, et parler son gémissement haut dans l'avenir », de défier son accusateur anonyme : « C'est plus que je ne voulais. Muse, sonne la retraite ; il peut encore cacher son nom [33] ». La perte d'un être cher est pour le Romain l'occasion d'un genre littéraire nouveau où il réfléchit sur le sens de la mort plutôt qu'il ne s'alanguit dans une plainte inutile ou ne se durcit dans une révolte stérile. Cicéron écrit une Consolation sur la mort de sa fille, Sénèque aussi aide des proches à faire leur deuil en leur écrivant des Consolations ; et l'exemple absolu, qui dédouane définitivement ce genre de toute insincérité, est celui de Boèce, à la fin de l'antiquité : au fond de sa prison, à la veille d'une exécution qu'il pressent sauvage, celui que l'on a parfois appelé le « dernier Romain » écrit la Consolation de philosophie, l'ultime témoignage d'un homme totalement maître de lui-même, qui cherche à se distraire des hasards de l'infortune et de l'injustice en dialoguant exclusivement avec sa propre raison sur les grandes interrogations de la destinée humaine. Au XIIe siècle, dans sa correspondance avec Abélard, Héloïse crie sa révolte contre leur sort en des propos dont on a souvent relevé la violence et l'excès, mais pas assez l'art et l'émotion rhétoriques ; et ce qu'il y a de plus beau dans cet échange épistolaire entre les deux anciens amants est peut-être paradoxalement le silence d'Héloïse qui suit la dernière incompréhension d'Abélard. Ce silence d'une résignation qui ne se résigne pas est comme l'expression la plus achevée de la souffrance en latin, comme il l'était déjà de la douleur de Didon au moment de répondre aux maladroites excuses d'Énée descendu aux enfers [34].

Les Romains nous ont appris que plus la souffrance est grande, moins elle requiert le bruit, l'ostentation, les gémissements. « Conticuere omnes intentique ora tenebant » (« Ils ont tous fait silence et tenaient fixés leurs visages ») - « Conticuit tandem factoque hic fine quieuit » (« Enfin il se tut et, terminant ici, il entra dans le repos »). On a sans doute reconnu le premier vers du chant II et le dernier vers du chant III de l'Énéide, le même verbe « se taire » introduit et conclut le douloureux récit de la dernière nuit de Troie et des errances d'Énée ; et le premier mot de ce très long récit est paradoxalement pour dire une souffrance qui ne peut pas se dire : « Infandum, regina, iubes renouare dolorem [35] ». Telle est la noble souffrance du héros fondateur qui, pour paraphraser Chimène dans le Cid de Corneille, a su trouver « le silence et la nuit pour pleurer » [36]. Quand il n'est pas philosophique, le cri de la souffrance romaine est un cri silencieux.

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Mourir

Et la mort ? Comment réagit le Romain devant la mort ? Contrairement à ce que l'on a dit parfois, il ne l'a ni ignorée, ni escamotée ; tout au plus a-t-il essayé de l'apprivoiser, faute de pouvoir l'expliquer ou la vaincre, et le poète Horace s'y préparait en ressentant chaque jour comme une vie entière, terminée chaque soir par une mort [37]. Mais, avant le christianisme, la sagesse humaine est trop humaine que pour mesurer le bonheur de l'homme au delà du fragile idéal de la brève journée de la vie, comme s'y résigne le poète Catulle : « Vivons, ma Lesbie, et aimons-nous… Les feux du soleil peuvent mourir et renaître ; pour nous, quand une fois est morte la brève lumière de notre vie, il faut bien dormir une seule et même nuit éternelle [38] ». La pudeur du poète cache mal une fureur de vivre qui ne saurait s'accommoder de l'imminence de la mort et qui lui fait même préférer, chez l'épicurien Mécène, les souffrances les plus cruelles : « Mutile-moi la main, mutile-moi le pied, la cuisse, mets-moi une bosse de gros calibre, ébranle et fais tomber mes dents, tant qu'il me reste la vie, c'est bien ; serais-je assis sur un pal aigu, conserve-moi la vie [39] ». « Je sais que j'aurai peur une dernière fois », chantait Jacques Brel ; comme tout homme, le Romain sait aussi qu'il aura peur de la mort, même s'il a choisi de moins s'en lamenter que d'autres. Pour se libérer de cette peur, il fallait décidément une autre foi que la croyance matérialiste de Lucrèce dans la dissolution des atomes, ou les démonstrations raisonneuses de Sénèque qui critiquait précisément Mécène en soutenant une prétendue neutralité de la mort.

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Rire

Pudeur des sentiments, qui a conduit le Romain à élever la Pudicitia au rang d'une divinité ; obsession de l'ordre dans la loi, dans la pensée, dans l'organisation de la cité. Est-ce à dire que Rome est insensible à la fantaisie ? Il est vrai que le Romain s'interdit la légèreté sinon l'irrespect des Grecs qui ont osé rire de tout : de la vie, de la mort, et même de leurs dieux, auxquels ils ont prêté toutes les faiblesses, les petits côtés et les turpitudes des hommes. Rome a trop conscience de sa grandeur et de sa vocation universelle pour s'accommoder d'une telle désinvolture. Malgré l'exception notoire de l'épicurien Lucrèce, le Romain sait l'importance des dieux dans son histoire et celle de Rome. « Deus non irridetur », dit saint Paul. « On ne se moque pas de Dieu », et cela est vrai aussi à Rome [40]. Ceci dit, les Romains n'ont pas écrit que des épopées ou des dialogues philosophiques. Il y a aussi les comédies de Plaute, les délicats bibelots versifiés de Catulle sur l'oiseau de Lesbie ou l'art du baiser, l'élégance érotique de l'Art d'aimer d'Ovide ou l'ambiguïté baroque de ses Métamorphoses, la poésie de l'instant chez Horace, qui conjure ainsi les inquiétudes de l'avenir. Et plus profond encore dans la sensibilité romaine, il y a tout le monde caustique et vinaigré de la satire, le seul genre littéraire auquel le rhéteur Quintilien reconnaissait une exclusivité latine.

Car si Rome refuse de rire de ses dieux, de ses héros ou de ses valeurs, elle brocarde volontiers ses hommes : les marginaux et les affranchis parvenus du Satiricon de Pétrone, aussi peu préoccupés de grand style que de vertus, mais aussi les puissants qui sont arrivés au faîte du pouvoir et des honneurs. Dans le cortège du triomphe, il y avait toujours un esclave chargé de répéter inlassablement au général victorieux : « Memento te hominem esse   » (« Souviens-toi que tu es un homme ! »). Derrière César vainqueur des Gaules défilaient ses soldats qui raillaient leur chef en répétant ce couplet insultant : « Citadins, surveillez vos femmes ; nous amenons un adultère chauve. Tu as forniqué en Gaule avec l'or emprunté à Rome [41] ». Triplement débauché, chauve et escroc, il faut une sérieuse dose d'humour pour accepter de se l'entendre rappeler publiquement au moment où l'on atteint le sommet du pouvoir ! À l'enterrement des empereurs, l'usage voulait qu'un mime portât le masque du défunt et contrefît ses gestes et ses paroles. Alors qu'il interrogeait un plaisant, l'empereur Vespasien, dont le visage semblait toujours contracté par l'effort, s'entendit un jour dire sans broncher : « Je parlerai quand tu auras fini de soulager ton ventre [42] ». En même temps qu'il a reçu de Rome le sens de la dignitas, qui impose des limites à son rire, l'homme d'occident en a aussi appris la vertu d'insolence à laquelle se mesure la santé d'une société. Le bouffon a été l'une des institutions les plus saines des royautés européennes ; une part importante de la culture médiévale a vécu au rythme de la parodie, jusqu'à l'intérieur de ses cathédrales et dans sa liturgie : que l'on pense à plusieurs pièces des Carmina Burana ou au très officiel Office des fous que l'on célébrait chaque année dans certaines cathédrales ; la Folie a mérité qu'Érasme lui écrivît en latin l'éloge que l'on sait ; et aujourd'hui encore, la caricature politique est un art qui honore les démocraties.

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Langue et parole

Rome a, enfin, continué d'agir sur les esprits, sans discontinuité, par sa langue, qui demeure peut-être le plus quotidien des héritages que nous lui devons. Ce n'est sans doute pas le moindre paradoxe que ces langues gréco-latine que nous appelons mortes ne sont précisément rien moins que mortes. Le gaulois, le hittite sont des langues mortes. Mais le grec vit toujours ; et on n'a jamais cessé de parler latin. Comme le rappelle Jules Marouzeau, « c'est précisément parce qu'on n'a pas cessé de le parler qu'il s'est transformé sur les lèvres des hommes jusqu'à devenir un jour méconnaissable » [43]. À quoi reconnaît-on le mieux un vivant si ce n'est à son pouvoir de bouger et de se transformer. Le latin vit encore en chacune de nos langues dites latines ou romanes, non certes de la même norme grammaticale, du reste fort aléatoire, qui fut celle d'une époque révolue, mais de la même logique intérieure qui a conduit jusqu'à nous « la parole du passé », pour reprendre le beau titre d'un périodique italien bien connu des philologues classiques. Un de nos chanteurs francophones, Julos Beaucarne, a pu dire que « le wallon, c'est le latin venu à pied du fond des âges ». L'expression est belle, car elle dit à la fois le mystère et le prestige de l'ancienneté, la vie d'un cheminement, les vicissitudes et les détours d'un voyage à pied qui ne peut être que long. « La longue durée », ce concept auquel les historiens d'aujourd'hui sont toujours plus attentifs, le latin en est la plus belle illustration dans l'histoire de notre Europe. Depuis des siècles, la pensée occidentale est tributaire de la langue latine et des structures linguistiques qu'elle véhicule. Sa première exigence est la clarté, la défiance de ce qui n'est pas formulé, et quand on ne formule pas, on met tout en oeuvre pour que lecteur pressente toute la puissance du non-dit : fidèle à son surnom, l'historien Tacite parlait peu, mais quelle expressivité derrière ses silences tellement latins ! Le latin foisonne de vocabulaire, il a toujours encouragé la dérivation, les néologismes, pour distinguer des nuances, éviter l'approximation, la tromperie, le désordre. Parallèlement au vocabulaire, il a développé une syntaxe qui s'efforce de fixer les différentes modalités de la pensée, de marquer, par exemple, si un fait énoncé est pris à son compte par le sujet parlant ou s'il est rapporté à la pensée d'une tierce personne. À ce titre, le latin est devenu la langue européenne de la pensée et de la philosophie jusqu'au xviiie siècle.

La langue de Rome a ainsi imprégné l'ensemble de l'Europe occidentale plus profondément que ne le fit la langue grecque en Orient. Elle a modelé les esprits et, sans empêcher l'évolution de la pensée, elle a maintenu la continuité et la possibilité pour les générations successives de se comprendre. Langue savante, capable de se plier aux exigences de toutes les recherches intellectuelles, elle a effacé les barrières politiques et celles que les langues vernaculaires mettaient entre les peuples et elle a ainsi permis une symbiose spirituelle comparable à celle que l'Empire, au début de notre ère, avait réalisée dans le domaine politique. Langue de la parole publique, aussi : celle de Cicéron, qui range l'éloquence au nombre des plus hautes vertus, celle du discours politique, de la harangue militaire, de la recitatio littéraire, de la rhétorique, qui à Rome est un véritable système de pensée [44]. Le latin ne se comprend et ne se goûte pleinement que s'il est lu à haute voix, s'il est proclamé, s'il est entendu ex auditu. Il serait trop long d'inventorier toutes les conséquences de ce sens de la parole dans l'histoire de la culture européenne, mais j'en retiendrai une, peut-être inconsciente, mais tellement précieuse pour notre temps : Rome a appris aux hommes à parler, et plus encore à se parler, à prendre le temps de la conversation orale ou épistolaire, à préférer la persuasion des mots avant de recourir à celle des armes, et on sait combien les régimes totalitaires ont toujours eu pour premier souci de faire taire « l'homme de paroles » [45].

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Pour conclure : une manière d'être homme

L'héritage latin, une culture de l'universel, ai-je intitulé cette intervention. Entendue au sens global comme une manière d'être, de dire, de penser, de sentir, de vivre, d'aimer, d'être heureux, de souffrir, la culture latine existe bel et bien, et son humanisme n'a oublié aucun trait de la condition humaine. Même la mort ne lui a pas échappé, et elle continue d'y apparaître comme l'échec majeur de cette condition. « Le bourreau de soi-même », c'est le titre de la pièce de Térence dont je rappelais tout à l'heure la célèbre profession de foi humaniste : l'homme latin a assumé tous les risques de sa condition, y compris celui de se faire mal. Cette prétention à l'universalité est, me semble-t-il, une constante de la culture latine. Elle implique une vision de l'homme qui dépasse le cadre étroit de l'individu auquel Rome a effectivement laissé peu de place. À Rome, les états d'âme des hommes n'offrent que peu d'intérêt s'ils ne contribuent pas au progrès et à la construction de la communauté : les souffrances d'Énée, y compris la douloureuse expérience carthaginoise, en sont l'illustration fondatrice. À quelques exceptions près, dont celle du stoïcisme, l'homme romain est un homme collectif, et même son bonheur, il ne peut le concevoir individuellement. Au moment de formuler une doctrine du salut, Cicéron récompense de l'immortalité la vertu des hommes d'État, qui ont exercé de grandes charges au service de leur patrie : c'est tout le sens du célèbre apologue du Songe de Scipion, qui achève le traité de Cicéron sur la République. Et la Cité de Dieu de saint Augustin n'est ouverte qu'à ceux qui « ont aimé Dieu jusqu'au mépris d'eux-mêmes » [46]. Même l'exception du stoïcisme serait à nuancer, car les Romains ont interprété l'anthropologie stoïcienne de la sociabilité, en lui donnant des inflexions plus communautaires et politiques que simplement sociales : « Les stoïciens, dit Cicéron, considèrent que chacun d'entre nous est une partie du monde, et que dès lors (ex quo) il s'ensuit, selon l'ordre naturel, que nous placions l'intérêt de la communauté avant le nôtre »: je ne suis pas sûr que les stoïciens de stricte obédience auraient souscrit d'emblée au raccourci tellement romain du relatif de liaison « ex quo »! Et la suite du texte confirme les accents romains de la déduction hâtive de Cicéron : « Aussi faut-il louer l'homme qui va au devant de la mort pour la république » [47]. Cette priorité des valeurs politiques et citoyennes, auxquelles sont attachées celles du droit, de la justice, de la vertu et du bien commun, rejoint assurément des questionnements dont il n'est pas nécessaire de souligner l'acuité. « Le peuple, dit encore Cicéron, est le rassemblement d'un grand nombre d'individus associés par un accord sur le droit et une communauté d'intérêts [48]. » Quand on a tout oublié du latin, on garde au moins le souvenir du slogan romain : « Senatus populusque Romanus ».

Mais le Romain sait aussi que pour organiser la cité, il ne suffit pas d'additionner les hommes qui la composent. À la différence de l'humanisme grec, le Romain ne peut se contenter de dire que l'homme est la mesure de toute chose. Il lui faut un principe qui dépasse la mesure humaine, en ce compris « le Sénat et le peuple romain », et ce principe c'est la ratio, que Cicéron, encore, qualifie de recta, ce qui lui ajoute une dimension éthique, avant qu'elle ne s'impose comme un précepte divin : « Il existe certes une vraie loi, c'est la droite raison (recta ratio)… Ni par le Sénat ni par le peuple nous ne pouvons être soustraits à l'autorité de cette loi… Cette loi unique, éternelle et immuable s'imposera à toutes les nations et à toute époque, et un seul dieu commun à tous sera comme l'éducateur et le chef de tous [49] ». La ratio impose à l'homme la concordia comme modèle de vie en commun et principe de cohésion sociale. Toutes les liturgies politiques ou militaires romaines reproduisent ce modèle ; en se rassemblant autour d'une Regula, les moines d'occident ont inventé des formes inédites d'ascétisme communautaire ; tous les chefs d'État européens ont sacrifié au rite de la « Joyeuse entrée » dans leur capitale et leurs grandes villes pour fonder la légitimité de leur pouvoir sur des formes organisées de consensus populaire. Sans pour autant nier la fragilité et les ambiguïtés de ce modèle, il faut reconnaître à Rome le mérite d'avoir donné au monde l'occasion de fonder des civilisations et des communautés sur la recherche de la paix et de la concorde civiles plutôt que sur l'affrontement et l'écrasement des peuples. Bien sûr, Rome avait les moyens d'imposer la paix à ceux qui la refusaient, mais les armes seules n'auraient pas suffi ; pour gagner la conscience des hommes à cette cause, il fallait aussi la force morale d'un humanisme ouvert et accueillant, qui a osé, comme Sénèque, revendiquer le monde pour patrie [50]. Faute de croire à cet idéal qui est la grandeur de l'héritage romain, je parierais bien, avec Michel Foucault, que « l'homme s'effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable » [51].

[Plan]

Paul-Augustin DEPROOST (deproost@egla.ucl.ac.be)
Université catholique de Louvain
Collège Erasme
B-1348 Louvain-la-Neuve (Belgique)


Notes

[1] A. Curvers, Tempo di Roma, Paris, Robert Laffont, 1957, p. 32. [Retour]

[2] A. Meillet, Esquisse d'une histoire de la langue latine, Paris, Hachette, 1928, p. 283. [Retour]

[3] P. Grimal, La civilisation romaine, Paris, Flammarion, 1981 (Coll. Champs, t. 101), p. 3. [Retour]

[4] R. Gryson et P.-M. Bogaert, Recherches sur l'histoire de la Bible latine, (Coll. Cahiers de la Revue théologique de Louvain, t. 19), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1987, p. 6. [Retour]

[5] Voir J. Fontaine, Christentum ist auch Antike. Einige Überlegungen zu Bildung und Literatur in der lateinischen Spätantike, dans Jahrbuch für Antike und Christentum, t. 25 (1982), p. 5-21. [Retour]

[6] Voir Flor., epit. I, 31, 4. [Retour]

[7] M. Yourcenar, Sous bénéfice d'inventaire, dans Essais et mémoires, Paris, Gallimard, 1991 (Coll. La Pléiade, t. 378), p. 12 et 21. [Retour]

[8] Ter., Haut., 77. [Retour]

[9] Voir Leo M., serm. LXIX, 1 (SC, t. 200, p. 48). [Retour]

[10] Svet., Cal., XXX, 3. [Retour]

[11] Voir C. Dawson, Le moyen âge et les origines de l'Europe : des invasions à l'an 1000, Paris, Arthaud, 1960 (Coll. Signes des temps, t. 6), p. 35. [Retour]

[12] Voir Tac., Agr., XXI, 2. [Retour]

[13] Verg., Aen. I, 278-279. [Retour]

[14] Cfr le remploi du vers de Virgile dans Avg., ciu. II, 29, 1, et Prvd., c. Symm. I, 541-542. [Retour]

[15] Ce texte nous a été conservé par un papyrus (Pap. Giessen, 40), et il a fait l'objet de nombreux commentaires. On en trouve un état de la question très accessible dans P. Petit, Histoire générale de l'Empire romain. Tome 2. La crise de l'Empire (des derniers Antonins à Dioclétien), Paris, Seuil, 1974 (Coll. Points. Histoire), p. 70-72. [Retour]

[16] Tac., Agr., XXX, 7. [Retour]

[17] Rvt. Nam., I, 63-66 : « Fecisti patriam diuersis gentibus unam;/ profuit iniustis te dominante capi;/ dumque offers uictis proprii consortia iuris,/ urbem fecisti, quod prius orbis erat », où apparaît le jeu, déjà attesté chez le poète Ovide, sur les mots urbs et orbis, que l'on connaît encore aujourd'hui dans la bénédiction pontificale Vrbi et orbi. [Retour]

[18] Cic., leg. I, 19 : « Constituendi uero iuris ab illa summa lege capiamus exordium, quae, saeclis communis omnibus, ante nata est quam scripta lex ulla aut quam omnino ciuitas constituta. » [Retour]

[19] Tac., Germ. XIV, 3 : « Nec arare terram aut exspectare annum tam facile persuaseris quam uocare hostem et uulnera mereri; pigrum quin immo et iners uidetur sudore acquirere quod possis sanguine parare. » [Retour]

[20] Voir Avs., Mos., 21 : « Et uirides Baccho colles. » [Retour]

[21] Voir A. Motte, Prairies et jardins de la Grèce Antique. De la Religion à la Philosophie, Bruxelles, Palais des Académies, 1973 (Académie royale de Belgique. Mémoires de la Classe des Lettres, t. 61. Fasc. 5), p. 411-429. [Retour]

[22] Louis Aragon définit ainsi l'image, dans L. Aragon, Le paysan de Paris, Paris, Gallimard, 1926, p. 246. [Retour]

[23] Sap 11, 21 : « Tu as tout disposé dans la mesure, le nombre et le poids. » [Retour]

[24] Sur le rapport entre l'homme hildegardien et le plan de l'église cistercienne, voir M.-M. Davy, Initiation à la symbolique romane (XIIe siècle), Paris, Flammarion, 1977 (Coll. Champs, t. 19), p. 167 et 182. Pour la description de l'« homme géométrique », voir les visions successives d'Hildegarde, dans son Liber diuinorum operum (Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis, t. 92), et notamment la figure de l'homme carré dont la taille égale la longueur des bras étendus et de la poitrine (I, 4, 15, 13-18). Hildegarde utilise, enfin, l'expression « per symphoniam rationalitatis » dans ses visions du Sciuias III, 13, 13 (CCCM, t. 43A, p. 631). [Retour]

[25] Voir E. de Bruyne, Études d'esthétique médiévale. II. L'époque romane, Brugge, De Tempel, 1946 (Rijksuniversiteit te Gent. Werken uitgegeven door de Faculteit van de Wijsbegeerte en Letteren, 98e aflevering), p. 353, et, plus généralement, à propos de l'influence possible de Vitruve sur les représentations médiévales de l'homme géométrique, p. 349 sq. [Retour]

[26] Voir Vitr., I, 1, 7 : « Philosophia uero perficit architectum animo magno… Praeterea de rerum natura, quae graece fusiologia dicitur, philosophia explicat »; et Plotin, Ennéades I, 6, 3. [Retour]

[27] Cic., leg. I, 18 : « Lex est ratio summa, insita in natura, quae iubet ea quae facienda sunt, prohibetque contraria. Eadem ratio, cum est in hominis mente confirmata et perfecta, lex est. » [Retour]

[28] Ce sont les derniers mots de la préface de Charles Piétri pour le livre H.-I. Marrou, Crise de notre temps et réflexion chrétienne (de 1930 à 1975), Paris, Beauchesne, 1978 (Bibliothèque Beauchesne. Religions Société Politique, t. 5), p. 8. - Pour la définition de la vertu chez Cicéron et saint Augustin, cfr. Cic., rep. I, 2, 2 : « Virtus in usu sui tota posita est », et Avg., ciu. XV, 22 : « Vnde mihi uidetur quod definitio breuis et uera uirtutis ordo est amoris. » [Retour]

[29] Voir Cic., orat., 57 : « Est autem etiam in dicendo quidam cantus obscurior. » [Retour]

[30] Voir P. Tombeur, Musique et vie spirituelle  : la tradition occidentale, dans Expérience religieuse et expérience esthétique. Rituel, Art et Sacré dans les Religions, Louvain-la-Neuve, 1993, p. 239-266 (Coll. Homo religiosus, t. 16). La citation du pseudo-Boèce se trouve à la page 246. [Retour]

[31] Voir Catvll., carm. XI, 21-24 : « Nec meum respectet, ut ante, amorem,/ qui illius culpa cecidit uelut prati/ ultimi flos, praetereunte postquam/ tactus aratro est. » [Retour]

[32] Verg., Aen. I, 462. [Retour]

[33] Voir Ov., trist. IV, 9, 31-32 : « Hoc quoque, quam uolui, plus est : cane, Musa, recessus,/ dum licet huic nomen dissimulare suum. » Quelques vers avant cette retraite résignée, Ovide s'écriait encore aux v. 20 : « Quodque querar notum qua patet orbis erit », et 24 : « Et gemitus uox est magna futura mei ». Ovide décrit le désert de son exil en terre de Tomes (act. Constantza, en Roumanie), en Pont. III, 1, 9-28, où l'on trouve notamment l'expression « et in terra est altera forma maris » au v. 20. [Retour]

[34] L'ultime rencontre de Didon et Énée dans les enfers est un des hauts moments de l'Énéide, où la sensibilité de Virgile est d'autant plus attachante que cette rencontre ne s'imposait pas dans l'économie générale de l'oeuvre ou de la légende : voir Verg., Aen. VI, 450-476. [Retour]

[35] Verg., Aen. II, 3 : « Tu me demandes, ô reine, de revivre une peine indicible. » [Retour]

[36] P. Corneille, Le Cid, II, 4. [Retour]

[37] Voir Hor., carm. III, 29, 41-48 : « Ille potens sui/ laetusque deget cui licet in diem/ dixisse : 'Vixi' : cras uel atra/ nube polum Pater occupato // uel sole puro; non tamen inritum,/ quodcumque retro est, efficiet neque/ diffinget infectumque reddet/ quod fugiens semel hora uexit. » (« Celui-là passera sa vie maître de soi et joyeux à qui, jour après jour, il est permis d'avoir dit : 'J'ai vécu'. Que demain le Père remplisse le ciel d'une nuée noire ou d'un clair soleil; pour autant, il n'en rendra pas vaine toute chose qui est derrière nous ni ne changera ni ne rendra inachevé ce que l'heure a, une fois pour toutes, emporté en fuyant. ») [Retour]

[38] Catvll., carm. V, 1 : « Viuamus, mea Lesbia, atque amemus… (4-6) Soles occidere et redire possunt;/ nobis cum semel occidit breuis lux,/ nox est perpetua una dormienda. » [Retour]

[39] Sen., epist. CI, 11 : « (Inde illud Maecenatis turpissimum uotum…) : Debilem facito manu,/ debilem pede coxo,/ tuber adstrue gibberum,/ lubricos quate dentes :/ uita dum superest, bene est;/ hanc mihi, uel acuta/ si sedeam cruce, sustine. » [Retour]

[40] Ga 6, 7. [Retour]

[41] Svet., Iul. LI : « Vrbani, seruate uxores : moechum caluom adducimus;/ aurum in Gallia effutuisti, hic sumpsisti mutuum. » [Retour]

[42] Svet., Vesp. XX, 1 : « …fuit…uultu ueluti nitentis; de quo quidam urbanorum non infacete, siquidem petenti, ut et in se aliquid diceret : 'Dicam', inquit, 'cum uentrem exonerare desieris'. » Pour la présence des mimes lors des funérailles impériales, voir Svet., Vesp. XIX, 6. [Retour]

[43] J. Marouzeau, Introduction au latin, Paris, Belles Lettres, 1954 (Collection d'études latines. Série pédagogique, t. 4), p. 7. [Retour]

[44] Voir Cic., de orat. III, 55 : « Est enim eloquentia una quaedam de summis uirtutibus. » [Retour]

[45] C'est le titre d'un livre célèbre de Claude Hagège, L'homme de paroles. Contribution linguistique aux sciences humaines, Paris, Fayard, 1985 (Coll. Le temps des sciences). - Par la masse et la qualité des correspondances conservées, on peut dire que Rome a donné son véritable essor au genre littéraire de la lettre. Les correspondances latines conservées présentent une valeur documentaire, historique, psychologique et esthétique de premier plan. La Correspondance de Cicéron est un rare chef-d'oeuvre de la littérature universelle, parmi laquelle les lettres à Atticus sont le premier texte de l'histoire de l'humanité à nous donner l'occasion de connaître sans artifice toutes les dimensions de l'âme humaine aux prises avec les vicissitudes quotidiennes. [Retour]

[46] Voir Avg., ciu. XIV, 28 : « Fecerunt itaque ciuitates duas amores duo, terrenam scilicet amor sui usque ad contemptum Dei, caelestem uero amor Dei usque ad contemptum sui. » [Retour]

[47] Voir Cic., fin. III, 64 : « (Stoici censent) unum quemque nostrum mundi esse partem; ex quo illud natura consequi, ut communem utilitatem nostrae anteponamus… Ex quo fit ut laudandus is sit qui mortem oppetat pro re publica. » [Retour]

[48] Voir Cic., rep. I, 39 : « Est igitur res publica res populi, populus autem non omnis hominum coetus quoquo modo congregatus, sed coetus multitudinis iuris consensu et utilitatis communione sociatus. » [Retour]

[49] Cic., rep. III, 33 : « Est quidem uera lex recta ratio… Nec uero aut per senatum aut per populum solui hac lege possumus… Et omnes gentes et omni tempore una lex et sempiterna et inmutabilis continebit unusque erit communis quasi magister et imperator omnium deus. » [Retour]

[50] Voir Sen., epist. XXVIII, 4 : « Cum hac persuasione uiuendum est : 'Non sum uni angulo natus, patria mea totus hic mundus est.' » [Retour]

[51] M. Foucault, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966, p. 398. [Retour]


FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 1 - janvier-juin 2001

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