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Tite-Live: Encyclopédie livienne - Plan de l'Histoire romaine - Hypertexte louvaniste

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Tite-Live - Histoire Romaine 

Livre XXVII : Les événements des années 210 à 207 a.C.n.

3ème partie: [27,21à 35] Situation à Rome, dans le sud de l'Italie et en Grèce (208)

4ème partie: [27,36 à 51] Campagne d'Italie. Bataille du Métaure (207)


 

Chapitres

 

[I à XX]

[XXI] [XXII] [XXIII] [XXIV] [XXV] [XXVI] [XXVII] [XXVIII] [XXIX] [XXX]

[XXXI] [XXXII] [XXXIII] [XXXIV] [XXXV] [XXXVI] [XXXVII] [XXXVIII] [XXXIX] [XL]

[XLI] [XLII] [XLIII] [XLIV] [XLV] [XLVI] [XLVII] [XLVIII] [XLIX]

[L] [LI]


Plan

  • 1ère partie: [27,1 à 16] Bilan de l'année 210
  • 2ème partie: [27,17 à 20] Reprise de la guerre d'Espagne (209)
  • 3ème partie: [27,21 à 35] Situation à Rome, dans le sud de l'Italie et en Grèce (208)
  • 4ème partie: [27,36 à 51] Campagne d'Italie. Bataille du Métaure (207)

 

Crédits

Tite-Live. Histoire romaine. Tome sixième. Traduction nouvelle de Eugène Lasserre, Paris, 1949. La traduction de E. Lasserre a parfois été très légèrement modifiée. Quant aux intertitres, ils ont été repris à A. Flobert, Tite-Live. La Seconde Guerre Punique. II. Histoire romaine. Livres XXVI à XXX, Paris, 1994 (Garnier- Flammarion - GF 940).


 

3ème partie: [27,21-35] Situation à Rome, dans le sud de l'Italie et en Grèce (208)

 

[27,21] Élections pour l'année 208

(1) On discuta sur le commandement de Marcellus au cirque Flaminius, au milieu d'une grande affluence de la plèbe et de tous les ordres; (2) et le tribun de la plèbe n'accusa pas Marcellus seulement, mais toute la noblesse: c'était, dit-il, par la mauvaise volonté, les lenteurs des nobles qu'Hannibal, pour la dixième année déjà, gardait l'Italie comme sa province, qu'il y avait déjà vécu plus longtemps qu'à Carthage. (3) Le bénéfice de la prorogation de pouvoir de Marcellus, le peuple romain l'avait retiré: son armée, deux fois battue, passait l'été dans les cantonnements de Vénouse.

(4) Ce discours du tribun, Marcellus l'écrasa de telle façon sous le rappel de ses exploits, que non seulement la proposition d'abroger son commandement fut rejetée, mais que, le lendemain, à une énorme majorité, toutes les centuries le nommèrent consul. (5) On lui donne comme collègue Titus Quinctius Crispinus, alors préteur. Le lendemain on nomma préteurs Publius Licinius Crassus le Riche, grand pontife, Publius Licinius Varus, Sextus Julius César, et Quintus Claudius Flamen.

(6) Aux jours mêmes des élections, la cité s'inquiéta de la défection de l'Étrurie. L'origine de cette affaire se trouvait chez les Arretini, d'après une lettre de Caius Calpurnius, qui conservait cette province comme propréteur. (7) Aussi y envoya-t-on aussitôt Marcellus, consul désigné, pour examiner la situation, et, si elle le méritait, faire venir son armée et transporter la guerre d'Apulie en Étrurie. Contenus par la crainte, les Étrusques se tinrent tranquilles.

(8) Des envoyés de Tarente demandant la paix à condition de garder leur liberté et leurs lois, le sénat leur dit de revenir quand le consul Fabius serait de retour à Rome. (9) Des Jeux Romains et des Jeux Plébéiens on ne recommença, cette année-là, qu'une seule journée. Les édiles curules furent Lucius Cornelius Caudinus et Servius Sulpicius Galba, les édiles plébéiens Caius Servilius et Quintus Coecilius Metellus. (10) On déclarait illégal que Servilius eût été tribun de la plèbe et fût édile, parce que son père, triumvir pour le partage des terres, dont on avait cru pendant dix ans que les Boïens l'avaient tué aux environs de Modène, vivait et était prisonnier des ennemis, tout le monde le savait.

[Début]

 

[27,22] Attribution des postes et répartition des troupes

(1) La onzième année de la guerre punique entrèrent en charge comme consuls Marcus Marcellus, consul pour la cinquième fois - en comptant celle où un vice dans son élection l'empêcha d'exercer sa magistrature - et Titus Quinctius Crispinus. (2) À ces deux consuls, un décret donna l'Italie comme "province", avec les armées des consuls de l'année précédente - la troisième, qu'avait commandée Marcellus, était alors à Vénouse - avec la faculté de choisir, sur ces trois armées, les deux qu'ils voudraient, et de donner la troisième au magistrat à qui Tarente et les Sallentini écherraient comme "province". (3) Les autres "provinces" furent ainsi réparties: pour les préteurs, Publius Licinius Varus eut la préture urbaine, Publius Licinius Crassus, grand pontife, la préture pérégrine et la mission où le sénat l'enverrait, Sextus Julius César la Sicile, Quintus Claudius Flamen Tarente. (4) On prorogea pour un an le commandement de Quintus Fulvius Flaccus, pour tenir avec une légion la "province" de Capoue, qu'avait eue le préteur Titus Quinctius; (5) on prorogea aussi celui de Caius Hostilius Tubulus, pour succéder, en Étrurie, comme propréteur et commandant de ses deux légions, à Caius Calpurnius; on prorogea aussi celui de Lucius Veturius Philo, pour garder, comme propréteur, cette même "province" de Gaule et ces deux mêmes légions qu'il avait eues comme préteur. (6) Le même décret que pour Lucius Veturius, sur la prorogation du commandement, fut pris par le sénat et proposé au peuple pour Caius Aurunculeius, qui, comme préteur, avait tenu la "province" de Sardaigne avec deux légions; on lui donna en outre, pour défendre cette "province", cinquante navires de guerre que Publius Scipion enverrait d'Espagne. (7) Publius Scipion et Marcus Silanus, eux aussi, virent un décret leur affecter pour un an leur "province" d'Espagne et leurs armées; on ordonna à Scipion, sur les quatre-vingts vaisseaux qu'il avait amenés avec lui d'Italie ou pris à Carthagène, d'en envoyer cinquante en Sardaigne, (8) parce que le bruit courait qu'on faisait, cette année, de grands préparatifs navals à Carthage, qu'on s'y disposait à couvrir de deux cents navires toutes les côtes d'Italie, de Sicile et de Sardaigne. (9) En Sicile, on arrangea les choses ainsi: Sextus César reçut l'armée de Cannes; Marcus Valerius Laevinus - à lui aussi, on avait prorogé son commandement - garderait la flotte de soixante-dix bâtiments qui était sur les côtes de Sicile; il y ajouterait les trente vaisseaux qui étaient à Tarente l'année précédente; avec cette flotte de cent navires il irait, s'il le jugeait bon, faire du butin en Afrique. (10) À Publius Sulpicius aussi, pour qu'il gardât, avec la même flotte, les "provinces" de Macédoine et de Grèce, on prorogea pour un an son commandement. Pour les deux légions qui étaient près de Rome, on ne changea rien. (11) On permit aux consuls d'enrôler les renforts nécessaires. C'est avec vingt et une légions que fut, cette année-là, défendu l'empire romain. (12) On chargea encore Publius Licinius Varus, préteur urbain, de faire réparer trente vieux bateaux de guerre, qui se trouvaient à Ostie, et de fournir des équipages à vingt bateaux neufs, pour pouvoir, avec cette flotte de cinquante vaisseaux, protéger les côtes voisines de Rome. (13) On défendit à Caius Calpurnius d'éloigner son armée d'Arretium avant l'arrivée de son successeur; le même ordre fut aussi donné à Tubulus, pour veiller surtout à ce qu'il ne sortît pas de cette ville de nouveaux projets de défection.

[Début]

 

[27,23] Conjuration des prodiges. Célébration des Jeux Apollinaires (5 juillet 208)

(1) Les préteurs partirent pour leurs "provinces"; les consuls étaient retenus par un scrupule religieux; pour quelques prodiges qu'on avait annoncés, il n'était pas facile d'obtenir des présages favorables. (2) De Campanie, on avait annoncé qu'à Capoue, la foudre avait frappé deux temples, ceux de la Fortune et de Mars, et quelques tombeaux; qu'à Cumes, des rats - tant la religion mal comprise mêle les dieux aux moindres faits! - avaient rongé de l'or dans le temple de Jupiter; qu'à Casinum, un gros essaim d'abeilles s'était fixé au forum; (3) on annonçait aussi qu'à Ostie, le rempart et une porte avaient été frappés de la foudre, qu'à Caeré un vautour était entré en volant dans le temple de Jupiter, et qu'à Volsinii le déversoir du lac avait roulé du sang. (4) Pour ces prodiges, il y eut une journée de prières publiques; pendant quelques jours, on immola des victimes adultes sans avoir de réponse favorable, et l'on resta longtemps à obtenir la paix avec les dieux; ce fut contre la tête des consuls, l'état restant sauf, que tourna l'effet funeste de ces prodiges.

(5) Les Jeux Apollinaires, sous le consulat de Quintus Fulvius et d'Appius Claudius, avaient été célébrés, pour la première fois, par Publius Cornelius Sylla, préteur urbain; depuis, tous les préteurs urbains successivement les avaient célébrés; mais ils ne faisaient voeu de les célébrer que pour un an, et les célébraient à un jour variable. (6) Cette année-là, une grave épidémie s'abattit sur la ville et la campagne, donnant lieu pourtant à des maladies plutôt longues que mortelles. (7) Pour cette épidémie, on fit à la fois des prières publiques, aux carrefours, dans toute la ville de Rome, et Publius Licinius Varus, préteur urbain, fut invité à proposer au peuple une loi ordonnant de faire voeu de célébrer à perpétuité les Jeux Apollinaires, à un jour fixé. Lui-même les voua et fut le premier à les célébrer ainsi, le troisième jour avant les nones de juillet (5 juillet). Ce fut le jour qui leur resta consacré.

[Début]

 

[27,24] Menace d'un soulèvement en Étrurie

(1) Au sujet des Arretini, les bruits de défection étaient chaque jour plus sérieux, et le souci du sénat augmentait. Aussi écrivit-on à Caius Hostilius de prendre sans différer des otages à Arretium, et, pour les recevoir de lui et les amener à Rome, on y envoya Caius Terentius Varron avec pleins pouvoirs. (2) Dès son arrivée, Hostilius fit entrer dans la ville une légion, qui campait devant ses murs, et disposa des postes sur les points convenables; puis, convoquant au forum les sénateurs, il en exigea des otages. (3) Les sénateurs demandant deux jours de délai pour réfléchir, Hostilius leur dit ou d'en donner aussitôt d'eux-mêmes, ou que, le lendemain, il prendrait comme otages tous leurs enfants. Puis il ordonna aux tribuns militaires, aux commandants des alliés et aux centurions de garder les portes, pour que nul ne sortît de la ville pendant la nuit. (4) L'ordre fut exécuté avec mollesse et négligence: sept des principaux sénateurs, sans attendre qu'on mît des gardes aux portes, s'échappèrent avant la nuit avec leurs enfants. (5) Le lendemain, à l'aube, alors qu'on avait commencé de réunir le sénat au forum, on constata leur absence; leurs biens furent vendus. Des autres sénateurs on reçut cent vingt otages - leurs propres enfants - qu'on remit à Caius Terentius pour les mener à Rome.

(6) Celui-ci, au sénat, présenta tous les événements comme plus inquiétants qu'ils n'avaient été jusque-là. C'est pourquoi, comme si un soulèvement était imminent en Étrurie, Caius Terentius lui-même reçut l'ordre de conduire à Arretium une légion, l'une des deux légions urbaines, et de l'y maintenir comme garnison de la ville; (7) on décida que Caius Hostilius, avec le reste de l'armée, parcourrait toute la province, et veillerait à ce qu'on ne fournît aucune occasion favorable à ceux qui désiraient une révolution. (8) Quand Caius Terentius fut arrivé à Arretium avec sa légion, il demanda aux magistrats les clefs des portes; ceux-ci disant qu'elles étaient introuvables, Terentius, pensant qu'on les avait enlevées par ruse plutôt que perdues par négligence, fit mettre lui-même d'autres clefs à toutes les portes, et veilla avec soin à avoir tout en son pouvoir; (9) quant à Hostilius, il l'avertit avec force de n'espérer voir les Étrusques renoncer à leurs tentatives que s'il avait veillé d'avance à leur rendre toute tentative impossible.

[Début]

 

[27,25] Jonction des deux armées consulaires près de Vénouse en Apulie

(1) Puis, au sujet des Tarentins, il y eut au sénat une grande discussion en présence de Fabius, qui défendit lui-même ceux que ses armes avaient conquis, tandis que les autres sénateurs leur étaient hostiles et, pour la plupart, égalaient leurs torts et leur crime à ceux des Campaniens. (2) Un sénatus-consulte, conforme à l'avis de Manius Acilius, décida que la place serait surveillée par une garnison, tous les Tarentins gardés entre leurs murailles, et que, sur l'affaire entière, on en réfèrerait à nouveau au sénat, quand la situation de l'Italie serait plus tranquille. (3) Au sujet de Marcus Livius, commandant de la citadelle de Tarente, le débat ne fut pas moins vif, les uns proposant de le flétrir par un sénatus-consulte pour avoir, par sa négligence, livré Tarente à l'ennemi, (4) les autres, de lui décerner des récompenses pour avoir défendu pendant cinq ans la citadelle, et avoir fait ainsi plus qu'aucun autre pour la reprise de la ville, (5) les modérés enfin disant que c'étaient les censeurs, non le sénat qui étaient compétents sur cette affaire. Ce fut aussi l'avis de Fabius; il ajouta cependant qu'il avouait que c'était Livius qui avait fait reprendre Tarente, comme ses amis ne cessaient de le répéter à tous au sénat, car il n'aurait pas fallu la reprendre, si on ne l'avait pas perdue.

(6) L'un des consuls, Titus Quinctius Crispinus, partit avec des renforts pour la Lucanie, afin de commander l'armée qu'avait eue Quintus Fulvius Flaccus. (7) Quant à Marcellus, des scrupules toujours nouveaux, se présentant à son âme, le retenaient à Rome; entre autres ce fait qu'ayant, pendant la guerre contre les Gaulois, à Clastidium, voué un temple à l'Honneur et à la Valeur, les pontifes l'empêchaient de le dédier, (8) en disant qu'un seul sanctuaire ne pouvait être régulièrement dédié à deux divinités, car, s'il était frappé de la foudre, si quelque prodige s'y produisait, l'expiation en serait difficile, puisqu'on ne pourrait savoir à quel dieu adresser les cérémonies; (9) et en effet, sauf pour certaines divinités particulières, on ne pouvait, rituellement, sacrifier à deux divinités une seule victime. Aussi construisit-on à la hâte un second temple, pour la Valeur (et pourtant ce ne fut pas Marcellus qui dédia ces deux temples). (10) Alors seulement il partit, avec des renforts, pour l'armée qu'il avait laissée l'année précédente à Vénouse.

(11) Crispinus, faisant un effort pour attaquer Locres en Bruttium, parce que, disait-on, la prise de Tarente avait donné une grande réputation à Fabius, avait fait venir de Sicile toute sorte de machines de jet et de siège; de la même région il avait aussi mandé des navires, pour attaquer la partie de la ville tournée vers la mer. (12) Il abandonna cette attaque parce qu'Hannibal avait rapproché ses troupes de Lacinium, et qu'on donnait comme déjà sortie de Vénouse l'armée de son collègue, auquel il voulait se joindre. (13) C'est pourquoi il revint du Bruttium en Apulie; entre Vénouse et Bantia, à moins de trois mille pas d'intervalle, les consuls établirent leurs deux camps. (14) Hannibal revint aussi dans la même région, la guerre s'étant écartée de Locres. Les consuls, tous deux d'un naturel hardi, offraient presque chaque jour la bataille, dans le ferme espoir que, si l'ennemi engageait la lutte contre deux armées consulaires réunies, on pût terminer la guerre.

[Début]

 

[27,26] Les deux consuls partent en reconnaissance

(1) Hannibal, ayant été, dans les deux batailles livrées à Marcellus l'année précédente, vainqueur et vaincu, n'avait, pour le cas où il devrait combattre le même général, ni espérance, ni crainte vaine; mais il se croyait loin de pouvoir lutter à égalité avec les deux consuls; (2) aussi, tout entier à ses ruses, cherchait-il un endroit pour une embuscade. (3) Il y avait cependant des escarmouches entre les deux camps, avec des succès divers; croyant que l'été pouvait se passer à de tels engagements, et persuadés qu'ils n'empêchaient en rien l'attaque de Locres, les consuls écrivent à Lucius Cincius de passer, avec sa flotte, de Sicile à Locres; (4) et pour pouvoir du côté de la terre aussi attaquer ses remparts, ils ordonnèrent d'y amener une partie de l'armée qui gardait Tarente. (5) Informé par certains Thurini de ce qui allait se passer, Hannibal envoie occuper la route de Tarente. Là, au pied de la colline de Pételia, on cache trois mille cavaliers, deux mille fantassins; (6) les Romains, marchant sans éclaireurs, étant tombés dans cette embuscade, perdirent environ deux mille tués; près de quinze cents furent pris vivants; les autres, dispersés par la fuite dans les champs et les monts, retournèrent à Tarente.

(7) Il y avait entre le camp punique et le camp romain une colline boisée, que ni les uns, ni les autres n'avaient d'abord occupée, parce que les Romains ignoraient quel en était l'aspect, du côté tourné vers le camp ennemi, et qu'Hannibal l'avait jugée plus propre à y établir des embuscades qu'un camp. (8) Envoyés de nuit, dans ce dessein, quelques escadrons de Numides se cachaient au milieu du bois; aucun d'eux, pendant le jour, ne sortait de ce poste, de peur qu'on n'aperçût de loin leurs armes ou eux-mêmes. (9) On murmurait partout, dans le camp romain, qu'il fallait occuper cette colline et la munir d'un fort, de peur d'avoir, si Hannibal l'occupait, l'ennemi, pour ainsi dire, au-dessus de sa tête. (10) Ces propos frappèrent Marcellus, qui dit à son collègue: "Que n'allons-nous en reconnaissance nous-mêmes avec quelques cavaliers? La vue de la position étendue sous nos yeux nous permettra de délibérer plus sûrement". (11) Crispinus l'approuvant, ils partent avec deux cent vingt cavaliers, dont quarante Fregellani, les autres étant Étrusques; (12) ils étaient suivis des tribuns militaires Marcus Marcellus, fils du consul, et Aulus Manlius, en même temps que de deux commandants des alliés, Lucius Arrenius et Manius Aulus. (13) Certains rapportent que le consul Marcellus avait fait ce jour-là un sacrifice, que le foie de la première victime se trouva sans protubérance, que, dans la seconde, on vit tout ce qui est habituel, et même un foie dont la protubérance était excessive; (14) et qu'il ne plut guère à l'haruspice de voir apparaître, après des viscères incomplets et mal conformés, d'autres exagérément favorables.

[Début]

 

[27,27] L'embuscade; mort de Marcellus (fin de l'été 208)

(1) Mais le consul Marcellus était possédé d'un tel désir de lutter contre Hannibal, qu'il ne trouvait jamais leurs camps assez rapprochés. (2) Alors encore, en sortant du retranchement, il donna des instructions pour que les soldats, à leurs postes, fussent prêts, si la colline que les consuls allaient reconnaître leur plaisait, à réunir leurs ustensiles de campement et à suivre la reconnaissance.

(3) Il y avait devant le camp un bout de plaine, puis, pour mener à la colline, un chemin découvert de tous côtés et en pleine vue. Du côté numide, un observateur, placé là non dans l'espoir d'une affaire si heureuse, mais pour le cas où quelques Romains, errant en quête de fourrage ou de bois, s'avanceraient trop loin de leur camp et pourraient être enlevés, signale aux siens de sortir en même temps chacun de sa cachette. (4) On ne vit pas apparaître ceux qui, face aux Romains, devaient se lever sur la crête, avant que n'eussent fait leur mouvement tournant ceux qui, par derrière, leur coupaient la route. À ce moment, tous sortirent de tous côtés, et, poussant un cri, chargèrent. (5) Quoique les consuls fussent dans un vallon tel qu'ils ne pouvaient ni en sortir par la crête, qu'occupait l'ennemi, ni se replier, étant entourés, ils auraient pu lutter plus longtemps si les Étrusques, en commençant à fuir, n'avaient inspiré la terreur à tous les autres. (6) Cependant les Fregellani, quoique lâchés par les Étrusques, n'abandonnèrent pas le combat tant que les consuls, intacts, les encourageant et se battant eux-mêmes de leur côté, soutinrent l'attaque; (7) mais quand ils les virent tous deux blessés, et Marcellus même, transpercé d'un coup de lance, tombant mourant de cheval, alors eux aussi - il en restait d'ailleurs très peu - avec le consul Crispinus, frappé de deux javelots, et le jeune Marcellus, blessé lui-même, ils prirent la fuite.

(8) Il tomba là le tribun militaire Aulus Manlius. Des deux commandants des alliés, Manius Aulius fut tué, Lucius Arrenius fut pris; quant aux licteurs des consuls, cinq tombèrent vivants au pouvoir de l'ennemi, les autres furent tués ou s'échappèrent avec le consul Crispinus. (9) Des cavaliers, quarante-trois tombèrent ou dans la lutte, ou dans la fuite, dix-huit furent pris vivants. (10) On s'était déjà agité, dans le camp, pour aller au secours des consuls, quand on aperçoit l'un d'eux et le fils de l'autre, tous deux blessés, avec les faibles restes de cette expédition malheureuse, en marche vers le camp. (11) La mort de Marcellus, lamentable à d'autres égards, le fut surtout parce qu'en dépit de son âge, - plus de soixante ans déjà - et de la prudence naturelle à un vieux général, il avait poussé à l'abîme, avec tant d'imprévoyance lui-même, son collègue et l'état presque entier.

(12) Je tournerais longtemps autour de cette seule affaire, si je voulais exposer en détail tous les points sur lesquels, au sujet de la mort de Marcellus, les auteurs sont en désaccord. (13) Pour laisser les autres, Coelius donne trois récits de ce qui se passa alors: un transmis par la tradition; un second, écrit, fourni par l'oraison funèbre prononcée par son fils, qui avait assisté à l'affaire; un troisième qu'il apporte lui-même comme résultat de ses propres recherches. (14) Mais si ces récits varient, la plupart cependant rapportent que Marcellus sortit de son camp pour reconnaître le terrain, et tous qu'il fut cerné dans une embuscade.

[Début]

 

[27,28] Les habitants de Salapia prennent Hannibal à son propre piège. Libération de Locres

(1) Hannibal, convaincu que la mort d'un consul, la blessure de l'autre avaient inspiré à ses ennemis une grande terreur, et ne voulant manquer aucune occasion, transporte aussitôt son camp sur la hauteur où l'on s'était battu. Il y trouve le corps de Marcellus et l'ensevelit. (2) Crispinus, effrayé à la fois par la mort de son collègue et par sa propre blessure, partit dans le silence de la nuit suivante, et, dès qu'il atteignit les montagnes, établit son camp sur un point élevé et protégé de tous côtés.

(3) Les deux généraux y entreprirent avec sagacité l'un de tendre un piège, l'autre de l'éviter. (4) Hannibal s'était emparé de l'anneau de Marcellus en même temps que de son corps; craignant qu'avec ce sceau trompeur, Hannibal n'ourdît quelque ruse, Crispinus avait envoyé dire alentour dans les cités les plus proches, que son collègue avait été tué, que l'ennemi s'était emparé de son anneau: on ne devait se fier à aucune lettre écrite au nom de Marcellus. (5) Ce message du consul venait d'arriver à Salapia, quand Hannibal y fit porter une lettre, écrite au nom de Marcellus: la nuit suivante, il viendrait à Salapia; les soldats de la garnison devaient être prêts, pour le cas où il aurait quelque besoin de leurs services. (6) Les gens de Salapia s'aperçurent du stratagème, et pensant qu'irrité non seulement par leur défection, mais par le massacre de ses cavaliers, Hannibal cherchait une occasion de les punir, (7) ayant renvoyé son messager - c'était un déserteur romain - pour que les soldats romains fissent ce qu'ils voudraient sans témoin, ils répartissent les habitants sur les remparts et dans la ville aux endroits favorables; (8) ils placent avec un soin particulier, pour cette nuit-là, corps de garde et sentinelles, et, à la porte par où ils pensent qu'arrivera l'ennemi, lui opposent l'élite de la garnison.

(9) Hannibal arriva près de la ville vers la quatrième veille; il avait comme avant-garde des déserteurs romains, portant des armes romaines. En arrivant à la porte, tous, en latin, crient pour réveiller les gardes, et leur ordonnent d'ouvrir la porte: le consul est là. (10) Les gardes, comme éveillés par leurs appels, s'agitent, s'empressent, s'efforcent d'ouvrir la porte. Une herse abattue la fermait; les uns la soulèvent avec des leviers, les autres la tirent avec des câbles juste assez haut, pour qu'on puisse passer dessous sans se baisser. (11) À peine le chemin ouvert, les déserteurs se ruent à l'envi par cette porte; six cents environ étaient entrés quand la herse, le câble qui la retenait ayant été lâché, retombe à grand bruit. (12) Une partie des habitants attaque ces déserteurs qui, après une marche, portent négligemment, comme en pays ami, leur armure suspendue à leurs épaules; les autres, de la tour qui défend cette porte et des remparts, à coups de pierres, d'épieux, de javelots, chassent l'ennemi.

(13) Ainsi Hannibal, pris à sa propre ruse, s'en alla; il partit pour faire lever le siège de Locres, que Lucius Cincius attaquait avec la plus grande vigueur, au moyen de travaux de siège et de machines de jet de toute sorte, amenées de Sicile. (14) Alors que Magon ne croyait plus guère pouvoir garder et défendre la ville, la nouvelle de la mort de Marcellus fit briller pour lui un premier espoir. (15) Suivit la nouvelle qu'Hannibal, derrière la cavalerie numide envoyée en avant, arrivait lui-même, en pressant sa marche le plus possible, avec l'infanterie. (16) Aussi, dès qu'un signal de ses observatoires lui apprend l'approche des Numides, Magon, par une porte soudain ouverte, fait hardiment une sortie. Ce fut d'abord la surprise, plutôt que l'égalité des forces, qui rendit le combat incertain; (17) puis, quand survinrent les Numides, les Romains en éprouvèrent une telle peur, qu'ils s'enfuirent partout vers la mer et leurs vaisseaux, laissant leurs travaux et les machines dont ils battaient les murs. Ainsi l'arrivée d'Hannibal fit lever le siège de Locres.

[Début]

 

[27,29] Situation politique à Rome. Actes de piraterie en Afrique (début de l'année 207)

(1) Quand Crispinus s'aperçut qu'Hannibal était parti pour le Bruttium, il ordonna à Marcus Marcellus, tribun militaire, d'emmener à Vénouse l'armée qu'avait commandée son collègue; (2) parti lui-même, avec ses légions, pour Capoue, en ayant peine à supporter les cahots de sa litière, à cause de la gravité de ses blessures, il écrivit à Rome une lettre sur la mort de son collègue et l'état critique où il était lui-même: (3) il ne pouvait, disait-il, aller à Rome pour les élections, car il pensait qu'il ne supporterait pas les fatigues de la route, et il était inquiet pour Tarente, craignant qu'Hannibal, du Bruttium, ne dirigeât de ce côté son armée. Il avait besoin qu'on lui envoyât des lieutenants, des hommes avisés, à qui il pût dire ce qu'il voudrait de la situation. (4) La lecture de cette lettre causa de grands regrets pour la mort d'un des consuls, de grandes inquiétudes pour l'autre. Aussi envoya-t-on à la fois Quintus Fabius, le fils, à l'armée de Vénouse, et, au consul, trois lieutenants, Sextus Julius César, Lucius Licinius Pollion et Lucius Cincius Alimentus, revenu quelques jours avant de Sicile. (5) On les chargea de dire au consul, s'il ne pouvait aller lui-même à Rome pour les élections, de nommer, en territoire romain, un "dictateur aux élections"; (6) si le consul était parti pour Tarente, le préteur Quintus Claudius emmènerait de là les légions dans la région où il pourrait défendre le plus de villes alliées.

(7) Le même été, Marcus Valerius, avec une flotte de cent navires, passa de Sicile en Afrique, et, ayant fait une descente près de Clupea, en ravagea largement le territoire, sans presque rencontrer d'adversaires en armes. Puis les pillards revinrent précipitamment à leurs vaisseaux, au bruit soudain qu'une flotte punique approchait. (8) Elle comptait quatre-vingt-trois bateaux. Le Romain la bat non loin de Clupea; ayant pris dix-huit de ses navires, et mis les autres en fuite, il revient à Lilybée avec un grand butin tiré du territoire et de la flotte. (9) Le même été encore, Philippe, répondant à leurs supplications, porta secours aux Achéens, dont Machanidas, tyran de Lacédémone, dévastait par le feu les frontières, tandis que les Étoliens, ayant, grâce à leurs navires, fait passer à leur armée le détroit qui roule ses eaux, entre Naupacte et Patras - les gens du pays l'appellent Rhion - les avaient déjà pillés. (10) De plus Attale, roi d'Asie, s'étant vu conférer par les Étoliens, à leur dernière assemblée, la plus haute magistrature de leur nation, allait, disait-on, passer en Europe.

[Début]

 

[27,30] Les Étoliens ruinent le plan de paix proposé par Philippe (printemps 208)

(1) Comme, pour ces raisons, Philippe descendait en Grèce, près de Lamia les Étoliens, commandés par Pyrrhias, qu'ils avaient, cette année-là, nommé préteur, ainsi qu'Attale absent, marchèrent contre lui. (2) Ils avaient et des renforts venus de chez Attale, et mille hommes environ de la flotte romaine envoyés par Publius Sulpicius. Sur ce général et ces troupes Philippe remporta deux victoires; il tua mille ennemis - en chiffres ronds - dans ces deux combats. (3) Puis comme les Étoliens, chassés par la peur, restaient entre les murs de Lamia, Philippe ramena son armée à Phalara. C'est une localité sur le golfe Maliaque, autrefois très peuplée à cause de son port excellent, des mouillages sûrs alentour, et d'autres avantages maritimes et terrestres. (4) Là des ambassadeurs du roi d'Égypte Ptolémée, de Rhodes, d'Athènes et de Chios arrivèrent, pour mettre fin, à la guerre entre Philippe et les Étoliens; les Étoliens firent appel aussi pour rétablir la paix à un de leurs voisins, Amynander, roi des Athamanes. (5) Tous, d'ailleurs, s'inquiétaient moins des Étoliens, nation plus farouche qu'il n'est naturel à des Grecs, que de la crainte de voir Philippe et son royaume se mêler des affaires de la Grèce, ce qui serait dangereux pour sa liberté. (6) La délibération sur la paix fut remise à l'assemblée des Achéens; on fixa le siège et le jour exact de cette assemblée; en attendant, on obtint une trêve de trente jours.

(7) De là le roi, traversant la Thessalie et la Béotie, arriva à Chalcis en Eubée, pour interdire au roi Attale, dont il avait appris l'intention de gagner avec sa flotte l'Eubée, les ports de cette île et le débarquement sur ses côtes. (8) Après y avoir laissé des troupes pour résister à Attale, au cas où il ferait la traversée pendant son absence, Philippe, partant lui-même avec quelques cavaliers et fantassins armés à la légère, alla à Argos. (9) Là, le peuple, par ses suffrages, lui avait confié la direction des jeux Héréens et Néméens, parce que les rois de Macédoine se disent originaires de cette cité. Les jeux Héréens achevés, au sortir des jeux mêmes il partit aussitôt pour Egium, pour l'assemblée, annoncée longtemps avant, des confédérés achéens.

(10) On s'occupa là de terminer la guerre étolienne, pour ôter aux Romains comme à Attale toute raison d'entrer en Grèce. (11) Mais tous ces plans, la durée de la trêve à peine achevée, furent troublés par les Étoliens, quand ils eurent appris qu'Attale était arrivé à Égine et que la flotte romaine était mouillée devant Naupacte. (12) Convoqués en effet à l'assemblée des Achéens, où se trouvaient aussi les ambassades qui, à Phalara, s'étaient occupées de la paix, ils s'y plaignirent d'abord de certaines petites infractions à la convention jurée, commises pendant la trêve; (13) à la fin, ils déclarèrent qu'on ne pouvait terminer la guerre si les Achéens ne rendaient Pylos aux Messéniens, si l'on ne restituait pas l'Atintania aux Romains, et les Ardiaei à Scerdilaedus et à Pleuratus. (14) Pour le coup Philippe, trouvant scandaleux que des vaincus lui posent les premiers, à lui vainqueur, leurs conditions, s'écria que, même avant, s'il avait écouté des projets de paix et conclu une trêve, ce n'était nullement avec l'espoir que les Étoliens resteraient tranquilles, mais pour que tous les alliés pussent témoigner qu'ils avaient recherché, lui, les motifs de paix, eux, les motifs de guerre. (15) Ainsi, sans avoir fait la paix, il congédia le congrès, en laissant quatre mille hommes pour défendre les Achéens, et recevant d'eux cinq vaisseaux de guerre; (16) après les avoir joints, s'il le pouvait, à la flotte que venaient de lui envoyer les Carthaginois et aux bateaux venant de Bithynie, du roi Prusias, il avait décidé de provoquer à une bataille navale les Romains, depuis longtemps déjà maîtres de la mer dans cette région. (17) Lui-même, du congrès des Achéens, retourna à Argos; car déjà approchait la date des jeux Néméens, où il voulait attirer les foules par sa présence.

[Début]

 

[27,31] Comportement scandaleux de Philippe lors des Jeux (courant de l'étét 208)

(1) Tandis que le roi était occupé par les préparatifs de ces jeux, et, pendant ces jours de fête, s'abandonnait à une licence excessive en temps de guerre, Publius Sulpicius, parti de Naupacte, aborda entre Sicyone et Corinthe, et dévasta en se répandant au loin ce territoire si célèbre par sa fertilité. (2) Le bruit de cette expédition rappela Philippe des jeux; partant à la hâte avec sa cavalerie, en ordonnant aux fantassins de le suivre, il attaqua les Romains dispersés çà et là par les champs et alourdis par leur butin, en hommes qui ne craignaient rien de semblable, et les repoussa vers leurs vaisseaux. (3) La flotte romaine, fort peu contente de son butin, revint à Naupacte. Philippe gagna encore, pour les jeux qui restaient à faire, une plus grande affluence grâce au bruit de sa victoire, qui, quelle que fût son importance, avait été, en tout cas, remportée sur des Romains, (4) et les fêtes furent célébrées avec une immense joie; d'autant plus, même, qu'en ôtant démocratiquement l'insigne royal de sa tête, la pourpre et les autres attributs royaux, Philippe s'était fait, en apparence, l'égal du reste des hommes; et rien ne plaît davantage aux républiques.

(5) Il aurait fait aussi, sans aucun doute, espérer ainsi la liberté, s'il n'avait commis, avec une licence intolérable, toute sorte d'actions honteuses et laides. Il courait en effet, jour et nuit, avec un ou deux compagnons, les maisons de gens mariés; (6) en s'abaissant au rang des simples citoyens, étant moins en vue, il avait d'autant moins d'entraves; et la liberté qu'il avait seulement fait voir aux autres, il l'avait, pour lui, transformée tout entière en licence. (7) Car il n'achetait pas tout, il n'obtenait pas tout par la flatterie; aux outrages, il ajoutait même la violence, et il était dangereux pour les maris, pour les parents d'avoir fait obstacle, avec une vertu fâcheuse, aux caprices royaux. (8) Même à un chef des Achéens, Aratus, on enleva sa femme, nommée Polycratia, et, en lui faisant espérer d'épouser le roi, on la transporta en Macédoine.

(9) Après avoir passé à ces débauches la solennité des jeux Néméens et attendu quelques jours encore, Philippe partit pour Dymè; afin d'en chasser une garnison étolienne demandée aux Éléens par cette ville et reçue dans ses murs. (10) Au-devant du roi accoururent, près de Dymè, Cycliadas - il avait le pouvoir suprême - et les Achéens, enflammés de haine contre les Éléens, parce qu'ils s'étaient séparés des autres Achéens, et hostiles aux Étoliens, qu'ils croyaient coupables d'avoir poussé les Romains mêmes à leur faire la guerre. (11) Tous, partis de Dymè après avoir réuni leurs forces, traversent le Larisus, fleuve qui sépare le territoire Éléen de celui de Dymè.

[Début]

 

[27,32] Philippe échoue devant Élis et retourne en Macédoine (automne 208)

(1) Le jour où ils entrèrent en territoire ennemi, ils le passèrent à ravager la contrée. Le lendemain, en ligne, ils s'avancèrent vers la ville d'Élis, après avoir envoyé en avant la cavalerie pour chevaucher devant les portes, et provoquer ainsi au combat les Étoliens, prêts, d'ordinaire, à courir hors de leurs murs. (2) Ils ignoraient que Sulpicius, avec quinze vaisseaux, était allé de Naupacte à Cyllène, et, débarquant quatre mille soldats, dans le silence de la nuit, pour qu'on ne pût apercevoir sa colonne, était entré à Élis. (3) Aussi cette surprise inspira-t-elle aux assaillants une grande peur, quand, au milieu des Étoliens et des Éléens, ils reconnurent les drapeaux et les armures de Rome. (4) D'abord le roi avait voulu rappeler ses troupes; puis, le combat étant déjà engagé entre les Étoliens et les Tralles - c'est une peuplade d'Illyrie, - le roi, voyant presser les siens, charge lui aussi, avec sa cavalerie, une cohorte romaine. (5) Alors son cheval, percé d'un javelot, l'ayant jeté à terre par-dessus sa tête, des deux côtés s'alluma une lutte affreuse, les Romains s'élançant sur le roi, les soldats royaux le protégeant. (6) Philippe lui-même se battait dans des conditions extraordinaires, étant forcé d'attaquer à pied au milieu de ses cavaliers. Puis, la lutte devenant déjà inégale, et beaucoup, autour de lui, tombant morts ou étant blessés, le roi, enlevé par les siens et jeté sur un autre cheval, s'enfuit.

(7) Il campa ce jour-là à cinq mille pas de la ville des Éléens. Le lendemain, il mena toutes ses troupes vers un bourg éléen tout proche - on l'appelle Pyrgos - où il avait entendu dire que, de crainte du pillage, une foule de paysans s'étaient réfugiés avec leurs troupeaux. (8) Cette foule confuse et sans armes, en profitant du premier mouvement de terreur, il la prit dès son arrivée; et ce butin avait déjà compensé l'affront subi devant Élis. (9) Tandis qu'il partageait le butin et les prisonniers - quatre mille hommes, et environ vingt mille têtes de bétail de tout genre - un courrier venant de Macédoine annonça qu'un certain Aeropus, ayant acheté le commandant de la citadelle et de la garnison, avait pris Lychnidus, qu'il tenait aussi certains villages des Dassareti, et qu'il soulevait même les Dardaniens. (10) Négligeant donc la guerre d'Achaïe et d'Étolie, tout en laissant deux mille cinq cents soldats de toute sorte, commandés par Ménippe et Polyphantas, pour défendre ses alliés, (11) Philippe partit de Didymè, et, par l'Achaïe, la Béotie et l'Eubée, parvint, en dix étapes, à Démétriade, en Thessalie.

[Début]

 

[27,33] Désignation d'un dictateur. Mort du consul T. Quinctius Crispinus

(1) Là accourent à lui d'autres messagers apportant la nouvelle d'un soulèvement plus grand encore; les Dardaniens, répandus en Macédoine, tenaient déjà l'Orestide, et étaient descendus dans la plaine d'Argeste; et c'était un bruit général parmi ces barbares que Philippe avait été tué. (2) Dans l'expédition pendant laquelle il combattit, près de Sicyone, contre des pillards, emporté contre un arbre par l'élan de son cheval, il avait brisé, en passant sous une branche, l'une des deux pointes de son casque; (3) trouvée par un Étolien et apportée, en Étolie, à Scerdilaedos, qui connaissait cet insigne du casque royal, elle répandit le bruit de la mort de Philippe.

(4) Le roi parti d'Achaïe, Sulpicius, partant avec sa flotte pour Égine, se joignit à Attale. (5) Les Achéens remportèrent une victoire sur les Étoliens et les Éléens non loin de Messène. Le roi Attale et Publius Sulpicius hivernèrent à Égine.

(6) A la fin de cette année, le consul Titus Quinctius, après avoir nommé Titus Manlius Torquatus comme dictateur aux élections et aux jeux, meurt de sa blessure; les uns rapportent que ce fut à Tarente, d'autres en Campanie.

(7) Ainsi - fait sans précédent dans aucune guerre antérieure - la mort de deux consuls, sans qu'on eût livré aucun combat mémorable, avait laissé l'état comme orphelin. Le dictateur Manlius nomma maître de la cavalerie Caius Servilius, alors édile curule. (8) Le sénat, le premier jour où il se réunit, ordonna au dictateur de célébrer les Grands Jeux, que le préteur urbain Marcus Aemilius, sous le consulat de Caius Flaminius et de Cneius Servilius, avait célébrés lui-même et fait voeu de célébrer cinq ans plus tard. Le dictateur les célébra, et fit voeu qu'on les célébrerait au prochain lustre. (9) D'ailleurs, comme deux armées consulaires se trouvaient sans chefs si près de l'ennemi, négligeant tout le reste, les sénateurs et le peuple furent envahis par un souci dominant tous les autres, celui de nommer au plus tôt des consuls, et de nommer de préférence des hommes dont la valeur sût bien se protéger des ruses puniques: (10) si, disait-on, dans toute cette guerre, le naturel précipité et bouillant des généraux avait été funeste, cette année surtout les consuls, par désir excessif d'en venir aux mains avec l'ennemi, étaient tombés dans un piège imprévu; (11) mais les Immortels, ayant pitié de ce qui se nomme romain, avaient épargné leurs armées innocentes, et puni la témérité des consuls sur leur propre tête.

[Début]

 

[27,34] Élection des consuls pour l'année 207

(1) Comme les sénateurs regardaient autour d'eux qui nommer consuls, ils voyaient, bien avant les autres, se distinguer Caius Claudius Néron; (2) on lui cherchait un collègue. On jugeait, certes, Claudius Néron éminent, mais aussi plus entreprenant, plus hardi que ne le demandaient ce temps de guerre ou un ennemi comme Hannibal; (3) il fallait, pensaient les sénateurs, tempérer son naturel hardi, par la modération, la prévoyance de l'homme qu'on lui adjoindrait comme collègue. Il y avait Marcus Livius, condamné, des années auparavant, à sa sortie du consulat, par un jugement du peuple, (4) et qui avait si mal pris cet affront, qu'il s'était retiré à la campagne, et, des années durant, était resté loin de la ville et, en général, des hommes. (5) Sept ans environ après sa condamnation, les consuls Marcus Claudius Marcellus et Marcus Valerius Laevinus l'avaient ramené à Rome; mais il avait des vêtements râpés et laissait pousser ses cheveux et sa barbe, portant sur lui-même, dans son air et sa mise, le signe qu'il se rappelait l'affront subi. (6) Les censeurs Lucius Veturius et Publius Licinius le forcèrent à se faire couper les cheveux et la barbe, à quitter sa tenue négligée, à venir au sénat et à s'acquitter des autres fonctions publiques. (7) Mais, même alors, il approuvait d'un mot l'avis d'un autre, ou se rangeait de son côté, jusqu'au jour où la cause d'un de ses parents, Marcus Livius Macatus, dont la réputation était en jeu, l'obligea à se lever et à exposer son avis devant le sénat. (8) Le fait de l'entendre alors, après un tel intervalle de silence, attira sur lui les regards et fournit un sujet aux conversations: le peuple avait commis là, disait-on, une injustice envers qui ne le méritait pas, et ç'avait été grand dommage pour l'état, dans une guerre si dangereuse, de ne disposer ni des services, ni des conseils d'un tel homme. (9) À Caius Néron, on ne pouvait donner comme collègue ni Quintus Fabius, ni Marcus Valerius Laevinus, puisqu'il n'était pas permis de nommer deux patriciens; (10) la même raison valait pour Titus Manlius, outre qu'il avait refusé l'offre du consulat et la refuserait encore; (11) on aurait une paire de consuls remarquable, en adjoignant comme collègue à Caius Claudius Marcus Livius. Le peuple ne dédaigna pas cette idée, quoi qu'elle vînt des sénateurs. (12) Seul dans la cité, l'homme à qui l'on conférait cet honneur le repoussait, en accusant les citoyens de légèreté: sans pitié pour lui, disait-il, quand il était un accusé en habit de deuil, ils lui apportaient maintenant, malgré lui, la toge blanche du candidat; ils entassaient ensemble honneurs et châtiments; (13) s'ils le jugeaient honnête homme, pourquoi l'avoir condamné ainsi comme méchant et coupable? S'ils l'avaient reconnu coupable, pourquoi, après lui avoir ainsi confié malheureusement un premier consulat, lui en confier un second? (14) Pour ces arguments, pour ces plaintes et d'autres semblables, les sénateurs blâmaient Livius, en rappelant que Marcus Furius, lui aussi rappelé d'exil, avait relevé sa Patrie, chassée par l'ennemi de son siège, de Rome comme la rigueur des parents, celle de la patrie devait être apaisée par la patience et la soumission. (15) Grâce aux efforts de tous, on nomma consul Marcus Livius avec Caius Claudius.

[Début]

 

[27,35] Répartition des postes et des troupes (février-mars 207)

(1) Deux jours après eut lieu l'élection des préteurs. On élut préteurs Lucius Porcius Licinus, Caius Mamilius, Caius et Aulus Hostilius Caton. Les élections achevées et les jeux célébrés, le dictateur et le maître de la cavalerie sortirent de charge. (2) Caius Terentius Varron fut envoyé comme propréteur en Étrurie, pour que Caius Hostilius, quittant cette province, allât à Tarente commander l'armée qu'avait eue le consul Titus Quinctius; (3) Lucius Manlius devait, comme légat, traverser la mer Adriatique et voir ce qui se passait là-bas; en même temps, comme il allait y avoir cet été les Jeux Olympiques, qui étaient célébrés par une grande affluence de Grecs, on l'invite, s'il peut traverser sans danger le pays ennemi, à se rendre à cette réunion, (4) pour que les Siciliens réfugiés en Grèce à cause de la guerre, ou les citoyens Tarentins bannis par Hannibal, rentrent chez eux et sachent que tous leurs biens - ceux qu'ils avaient avant la guerre - le peuple romain les leur rend.

(5) Comme l'année suivante semblait devoir être très dangereuse et que l'état n'avait pas de consuls, tous les citoyens, tournés vers les consuls désignés, voulaient les voir au plus tôt tirer au sort les "provinces", décider d'avance quelle "province", quel ennemi aurait chacun d'eux. (6) On s'occupa aussi, au sénat, de les réconcilier, sur l'initiative de Quintus Fabius Maximus: (7) il y avait entre eux une inimitié bien connue, rendue plus âpre et plus insupportable, chez Livius, par son malheur, parce qu'il croyait, dans une telle situation, avoir été méprisé. (8) Aussi était-il le plus implacable et disait-il qu'il n'y avait nul besoin de réconciliation: ils feraient tout avec plus d'ardeur et d'attention, s'ils craignaient chacun d'offrir à un collègue détesté la possibilité de grandir à ses dépens. (9) L'autorité du sénat arriva cependant à leur faire laisser leur rivalité pour gérer, avec des sentiments et des desseins communs, les affaires de l'état.

(10) Leurs commandements ne s'entremêlèrent pas, comme les années précédentes, du fait des régions dans lesquelles ils s'exerçaient; ils se trouvèrent opposés aux deux bouts de l'Italie, des décrets ayant donné à l'un, contre Hannibal, les Bruttii et les Lucani, à l'autre la Gaule contre Hasdrubal: on racontait déjà qu'il approchait des Alpes. (11) Des deux armées, qui étaient l'une en Gaule, l'autre en Étrurie (avec, en outre, l'armée urbaine) on laissait le choix au consul qui aurait tiré au sort la Gaule; (12) le consul à qui auraient échu comme "province" les Bruttii, après avoir enrôlé de nouvelles légions urbaines, prendrait l'armée de celui qu'il voudrait des consuls de l'année précédente; (13) l'armée laissée par le nouveau consul, Quintus Fulvius la prendrait à titre de proconsul; on lui donnait le commandement pour un an. (14) À Caius Hostilius, à qui le sénat avait donné Tarente en échange de l'Étrurie, il donna Capoue en échange de Tarente; on lui accorda une légion, celle qu'avait commandée Fulvius l'année précédente.

[Début]

 


4ème partie: [27,36 à 51] Campagne d'Italie. Bataille du Métaure (207)

 

[27,36] Entrée en charge des consuls (ides de mars)

(1) L'arrivée d'Hasdrubal en Italie causait de jour en jour plus de souci. Des ambassadeurs de Marseille avaient d'abord annoncé qu'il était passé en Gaule, (2) et que son arrivée avait excité l'intérêt des Gaulois, car il apportait, disait-on, une grande quantité d'or pour enrôler des mercenaires. (3) Envoyés ensuite avec les députés de Marseille pour observer la situation, des ambassadeurs de Rome, Sextus Antistius et Marcus Raecius, avaient rapporté qu'ils avaient dépêché des émissaires, guidés par des Marseillais, et chargés de rapporter tout ce qu'ils auraient appris des hôtes de ceux-ci, qui étaient des chefs gaulois: (4) ils tenaient pour reconnu qu'Hasdrubal, avec la grande armée qu'il avait déjà rassemblée, passerait les Alpes au printemps suivant, et que la seule chose qui l'arrêtait pour le moment, c'était que l'hiver fermait les routes des Alpes.

(5) À la place de Marcus Marcellus, Publius Aelius Paetus fut nommé augure et inauguré; de même Cneius Cornelius Dolabella fut inauguré comme roi des sacrifices à la place de Marcus Marcius, mort deux ans avant. (6) Cette même année, le lustre fut renouvelé par les censeurs Publius Sempronius Tuditanus et Marcus Cornelius Cethegus. (7) On recensa comme citoyens cent trente-sept mille cent huit têtes, nombre sensiblement inférieur à celui d'avant la guerre. (8) Cette année-là, pour la première fois depuis l'arrivée d'Hannibal en Italie, on couvrit, nous dit-on, la place des comices, et les Jeux Romains furent recommencés, pour un seul jour, par les édiles curules Quintus Metellus et Caius Servilius; (9) aux Jeux Plébéiens aussi, deux journées furent recommencées par les édiles de la plèbe Caius Mamilius et Marcus Caecilius Metellus; les mêmes personnages donnèrent trois statues au temple de Cérès; et il y eut un banquet de Jupiter, à l'occasion des Jeux.

(10) Puis entrent en charge comme consuls Caius Claudius Néron et Marcus Livius, consul pour la seconde fois. Ayant déjà, comme consuls désignés, tiré au sort leurs "provinces", ils firent tirer les leurs aux préteurs. (11) À Caius Hostilius échut la juridiction urbaine; on y ajouta la pérégrine, pour que trois préteurs pussent partir pour des "provinces"; à Aulus Hostilius échut la Sardaigne, à Caius Mamilius la Sicile, à Lucius Porcius la Gaule. (12) Les légions, vingt-trois au total, furent ainsi réparties par "province": deux à chacun des consuls, quatre en Espagne, deux à chacun des trois préteurs, en Sicile, en Sardaigne et en Gaule; (13) deux à Caius Terentius en Étrurie, deux à Quintus Fulvius chez les Bruttii, deux à Quintus Claudius dans la région de Tarente et des Sallentini, une à Caius Hostilius Tubulus à Capoue. (14) On enrôlerait deux légions urbaines. Pour les quatre premières légions le peuple nomma les tribuns; les consuls en envoyèrent aux autres.

[Début]

 

[27,37] Conjuration des prodiges. Sacrifices en l'honneur de Junon Reine

(1) Avant le départ des consuls, on fit une neuvaine, parce qu'à Veies il avait plu des pierres. (2) Dès qu'on eut parlé de ce prodige, on en annonça - comme d'habitude - d'autres encore: à Minturnes le temple de Jupiter et le bois sacré de Marica, à Atella, de même, le rempart et une porte avaient été frappés de la foudre; (3) chose plus propre à inspirer la terreur, les gens de Minturnes ajoutaient qu'un ruisseau de sang avait coulé sous leur porte. À Capoue, de même, un loup, la nuit, avait franchi une porte et mis en pièces une sentinelle. (4) On conjura l'effet de ces prodiges par le sacrifice de victimes adultes, et il y eut, sur un décret des pontifes, un jour de prières publiques. Puis on recommença une neuvaine, parce qu'on crut qu'il avait plu des pierres sur l'Armilustrum. (5) Les esprits délivrés de scrupules religieux furent troublés de nouveau par la nouvelle qu'à Frusino était né un enfant aussi gros qu'un enfant de quatre ans, et moins étonnant encore par sa grosseur que parce qu'on ne savait (comme pour l'enfant né à Sinuessa deux ans avant) s'il était garçon ou fille. (6) Cette fois, les haruspices mandés d'Étrurie dirent que c'était un prodige funeste et honteux: hors du territoire romain, loin de tout contact avec la terre, il fallait noyer cet enfant en haute mer. On l'enferma vivant dans une caisse, on l'emporta en mer et on le jeta dans les flots.

(7) Les pontifes décidèrent aussi que trois groupes de neuf jeunes filles parcourraient la ville en chantant un hymne. Tandis qu'elles apprenaient, dans le temple de Jupiter Stator, cet hymne, composé par le poète Livius, la foudre frappa, sur l'Aventin, le temple de Junon Reine; (8) comme les haruspices répondaient que ce prodige concernait les matrones, et qu'il fallait apaiser la déesse par une offrande, (9) un décret des édiles curules ayant convoqué au Capitole les femmes domiciliées à Rome et dans un rayon de dix milles autour de la ville, elles choisirent vingt-cinq d'entre elles, pour leur apporter une somme prise sur leur dot. (10) Avec cet argent, on fit faire une offrande, un bassin en or, qui fut porté sur l'Aventin, et les matrones, dans l'état rituel de pureté physique et morale, accomplirent un sacrifice. (11) Aussitôt après, les décemvirs fixèrent un jour pour un autre sacrifice à la même déesse. Voici quel fut l'ordre de la cérémonie: du temple d'Apollon, deux vaches blanches furent amenées en ville par la porte Carmentale; (12) derrière elles, on portait deux statues en bois de cyprès de Junon Reine; ensuite vingt-sept jeunes filles, vêtues de longues robes, marchaient en chantant, en l'honneur de Junon Reine, un hymne (13) digne peut- être, à l'époque, des éloges d'esprits grossiers, mais qui paraîtrait maintenant rude à l'oreille et informe, si on le rapportait. Après ces rangs de jeunes filles venaient les décemvirs, couronnés de laurier et portant la robe prétexte. (14) De la porte, par la rue des Jougs, on arriva au forum. Au forum la procession s'arrêta, et, faisant passer une corde par leurs mains, les jeunes filles, rythmant leur chant du battement de leurs pieds, dansèrent. (15) Puis, par la rue des Toscans et le Vélabre, en traversant le marché aux boeufs, on arriva à la montée Publicius et au temple de Junon Reine. Là les décemvirs immolèrent les deux victimes, et l'on porta dans le temple les statues en bois de cyprès.

[Début]

 

[27,38] Début d'une nouvelle année de campagne (printemps 207)

(1) Les dieux apaisés suivant les rites, les consuls firent la levée des troupes avec plus de rigueur et d'attention qu'on ne se rappelait l'avoir vu faire les années précédentes. (2) C'est que les craintes inspirées par la guerre redoublaient devant l'arrivée en Italie d'un nouvel ennemi, et qu'il y avait moins de jeunes gens à enrôler comme soldats. (3) Aussi les consuls forçaient-ils même les colons des villes côtières, qui tenaient, disait-on, leur exemption de service d'une convention garantie par serment, à fournir des soldats. Sur leur refus, ils décrétèrent qu'à un jour fixé, chaque colonie exposerait au sénat de quel droit elle tenait son exemption. (4) Ce jour-là, il se présenta au sénat les représentants des peuples d'Ostie, d'Alsium, d'Antium, d'Anxur, de Minturnes, de Sinuessa et (sur l'Adriatique) de Sena. (5) Quoique chaque peuple présentât ses titres d'exemption, aucun, alors que l'ennemi était en Italie, ne les vit déclarer valables, sauf ceux d'Ostie et d'Antium; encore les mobilisables de ces deux colonies durent-ils jurer qu'ils ne coucheraient pas plus de trente jours hors des murs de leur ville, tant que l'ennemi était en Italie.

(6) Alors que tous pensaient que les consuls devaient partir au plus tôt pour la guerre - il fallait marcher au devant d'Hasdrubal dès sa descente des Alpes, de peur qu'il ne gagnât les Gaulois Cisalpins et l'Étrurie, dressée vers l'espoir d'une révolution; (7) il fallait aussi occuper Hannibal par la guerre où il était engagé, pour qu'il ne pût sortir du Bruttium et aller à la rencontre de son frère -, Livius hésitait, faute de confiance dans les armées de ses "provinces": (8) son collègue, lui, avait, disait-il, le choix entre deux armées consulaires excellentes et une troisième, que commandait à Tarente Quintus Claudius. Aussi Livius avait-il proposé au sénat de rappeler sous les drapeaux les esclaves publics volontaires. (9) Le sénat laissa les consuls libres de tirer des renforts d'où ils voudraient, de choisir entre toutes les armées les troupes qu'ils voudraient et de les faire permuter, de les amener de leurs "provinces" là où ils le jugeraient utile à l'état. (10) Les consuls prirent toutes ces dispositions en parfait accord. Les volontaires esclaves furent enrôlés dans les dix-neuvième et vingtième légions. (11) Des renforts très solides furent même envoyés d'Espagne, pour cette guerre - si j'en crois certains auteurs - à Marcus Livius par Publius Scipion: huit mille Espagnols et Gaulois, deux mille légionnaires, mille cavaliers, Numides et Espagnols mélangés; (12) Marcus Lucretius amena ces troupes par bateaux; de plus trois mille archers et frondeurs environ furent envoyés de Sicile par Caius Mamilius.

[Début]

 

[27,39] Arrivée d'Hasdrubal en Italie (printemps 207)

(1) À Rome, l'alarme grandit au reçu d'une lettre de Gaule qu'envoyait le préteur Lucius Porcius (2) Hasdrubal, disait-il, avait quitté ses quartiers d'hiver et passait déjà les Alpes; huit mille Ligures, enrôlés et armés, se joindraient à lui quand il arriverait en Italie, si l'on n'envoyait contre les Ligures un homme capable de les occuper par la guerre qu'il leur ferait; pour, lui, Porcius, il s'avancerait, avec sa faible armée, aussi loin qu'il le jugerait sûr.

(3) Cette lettre obligea les consuls, leurs levées de troupes précipitamment achevées, à partir pour leurs "provinces" plus tôt qu'ils ne l'avaient décidé, dans l'intention de contenir, l'un et l'autre, l'ennemi dans leur "province" et de ne pas laisser les deux généraux carthaginois se joindre ni réunir leurs forces. (4) Ce qui les aida le plus pour cela, ce fut une erreur de jugement d'Hannibal qui, s'il pensait bien que son frère parviendrait cet été-là en Italie, en revanche, se rappelant quelles difficultés innombrables il avait lui-même éprouvées, au passage du Rhône, puis des Alpes, à lutter contre les hommes et contre le terrain pendant cinq mois, (5) ne s'attendait nullement à une traversée aussi facile et aussi rapide que fut celle d'Hasdrubal; c'est pourquoi il quitta trop tard ses quartiers d'hiver. (6) Mais, pour Hasdrubal, tout fut plus prompt et plus aisé que lui-même et les autres ne l'espéraient. Non seulement, en effet, les Arvernes, puis tour à tour, les autres peuplades gauloises et alpines le reçurent bien, mais encore elles le suivirent à la guerre. (7) De plus, il conduisait ses troupes par des endroits frayés, le plus souvent, par le passage de son frère, mais auparavant sans chemin; et surtout l'habitude de voir franchir, depuis douze ans, les Alpes, devenues accessibles, avait adouci le naturel des gens parmi lesquels il passait. (8) Auparavant, en effet, hors de la vue des étrangers et inaccoutumés eux-mêmes à en voir sur leur terre, ils n'avaient aucune relation avec le genre humain; et d'abord, ne sachant où allait le Carthaginois, ils avaient cru qu'il venait prendre leurs rochers, leurs bourgs et un butin de troupeaux et d'esclaves. (9) Puis le bruit de la guerre Punique, qui, pour la douzième année, mettait à feu l'Italie, leur avait bien appris que les Alpes n'étaient qu'un passage; que deux villes très fortes, séparées par de grandes étendues de terre et de mer, se disputaient l'empire et ses richesses. (10) Voilà les raisons qui avaient ouvert les Alpes à Hasdrubal.

11. Mais l'avantage que lui avait donné la rapidité de sa marche, le retard qu'il prit devant Plaisance, à assiéger vainement plutôt qu'à attaquer cette ville, le rendit inutile. (12) Il avait cru facile de prendre cette place située en plaine, et la célébrité de cette colonie l'avait poussé à l'attaquer, dans l'idée que, par la ruine de cette ville, il inspirerait aux autres une grande terreur. (13) Et il ne fut pas seul à être arrêté par cette attaque: Hannibal, qui, au bruit de son arrivée, bien plus rapide qu'il ne l'espérait, quittait déjà ses quartiers d'hiver, s'en trouva aussi retenu, (14) en se rappelant non seulement combien étaient lentes les attaques de villes, mais encore avec quel insuccès il avait, lui-même, tenté d'attaquer cette même colonie quand il revenait, vainqueur, de la Trébie.

[Début]

 

[27,40] Départ des consuls. Mouvements de troupes dans le Bruttium

(1) Les consuls, en partant de Rome par des chemins opposés, avaient, pour ainsi dire, attiré aussi en sens opposé, vers deux guerres simultanées, l'attention inquiète des gens (2) qui se rappelaient quelles défaites avait, dès l'abord, apportées à l'Italie l'arrivée d'Hannibal, et, en même temps, se demandaient avec angoisse quels dieux seraient assez propices à la ville et à l'empire pour que Rome triomphât en même temps sur deux fronts. Jusqu'ici, en compensant les revers par des succès, on avait - jusqu'au moment présent - traîné les choses en longueur: (3) alors qu'en Italie, à Trasimène et à Cannes, Rome s'était abattue, les victoires d'Espagne l'avaient relevée de sa chute; (4) puis, alors qu'en Espagne défaite sur défaite, et la perte de deux généraux éminents, avaient en partie détruit deux armées, maint succès en Italie et en Sicile avait soutenu l'état ébranlé; (5) la distance même qui sépare l'Italie de l'Espagne - l'une des deux guerres ayant lieu au bord extrême des terres - avait donné le temps de respirer. (6) Maintenant on subissait deux guerres en Italie; deux généraux très renommés entouraient Rome; sur ce seul endroit portaient la masse entière du danger et tout son poids; celui des Carthaginois qui serait vainqueur le premier joindrait, en quelques jours, son camp au camp de l'autre. (7) On s'effrayait aussi au souvenir de l'année précédente, qu'avaient rendue lugubre les funérailles des deux consuls.

C'est dans l'anxiété causée par ces soucis qu'on accompagna les consuls partapour leurs "provinces". (8) On rapporte qu'encore plein de colère contre ses concitoyens, Marcus Livius, à son départ pour la guerre, répondit à Quintus Fabius, qui lui conseillait de bien reconnaître la nature de l'ennemi, au lieu de s'engager tout de suite à la légère, que dès qu'il verrait l'armée ennemie, il livrerait bataille; (9) et comme on lui demandait la raison de cette hâte: "Ou la défaite des ennemis me donnera, répondit-il, une gloire éclatante, ou la défaite de mes concitoyens une joie bien légitime, à coup sûr, sinon honorable."

(10) Sans attendre l'arrivée du consul Claudius dans sa province, Caius Hostilius Tubulus, tandis qu'Hannibal, par les confins du territoire de Larinum, menait son armée chez les Salentini, l'aborda avec des cohortes sans bagages et jeta dans sa colonne mal disposée un désordre terrible; (11) il lui tua environ quatre mille hommes, lui prit neuf drapeaux. Au bruit de l'arrivée de l'ennemi, Quintus Claudius avait quitté ses quartiers d'hiver: il avait des camps dans les diverses villes du territoire de Salente. (12) Pour ne pas entrer en lutte contre deux armées à la fois, Hannibal décampa de nuit du territoire tarentin et se retira chez les Bruttii. (13) Claudius retourna chez les Salentini. Hostilius, gagnant Capoue, rencontra prés de Vénouse le consul Claudius. (14) Là on choisit dans les deux armées quarante mille fantassins, deux mille cinq cents cavaliers, pour qu'avec ces troupes le consul fît campagne contre Hannibal; le reste des troupes, Hostilius reçut l'ordre de le conduire à Capoue, pour l'y remettre au proconsul Quintus Fulvius.

[Début]

 

[27,41] Manoeuvres d'intimidation près de Grumentum

(1) Hannibal, ayant rassemblé de tous côtés l'armée qu'il avait tenue dans les quartiers d'hiver ou les garnisons du Bruttium, arriva chez les Lucani, près de Grumentum, dans l'espoir de reprendre les villes que la crainte avait fait passer aux Romains; (2) vers le même endroit, le consul romain, venant de Vénouse, se dirige en faisant éclairer sa marche, et il campe à quinze cents pas environ de l'ennemi. (3) Les retranchements des Carthaginois semblaient presque toucher les remparts de Grumentum; ils en étaient à cinq cents pas. (4) Entre les camps punique et romain s'étendait une plaine; des collines nues dominaient le flanc gauche des Carthaginois, le flanc droit des Romains, sans être suspectes, aux uns ni aux autres, car elles n'avaient ni bois, ni couverts propices à des embûches. (5) Au milieu de la plaine, des soldats, sortant des avant-postes, engageaient des escarmouches qui ne méritent pas qu'on les raconte. Le Romain cherchait seulement, on le voyait, à ne pas laisser l'ennemi s'éloigner; Hannibal, désirant sortir de là, descendait en lignes avec toutes ses forces. (6) Alors le consul, usant d'autant plus volontiers des ruses habituelles à son ennemi, que ces collines découvertes pouvaient moins faire craindre d'embuscades, ordonne à cinq cohortes (alliées) renforcées par cinq manipules (romains) de franchir de nuit cette chaîne de collines et de s'établir à contre-pente; (7) le moment de sortir de cette embuscade et d'attaquer l'ennemi, il l'indique à Tiberius Claudius Asellus, tribun militaire, et à Publius Claudius, commandant de troupes alliées, qu'il envoie avec ce détachement; (8) lui-même, dès l'aube, mène en lignes toutes ses troupes d'infanterie et de cavalerie. Peu après Hannibal arbora aussi le signal du combat, et, dans son camp, les soldats crièrent en courant aux armes. Puis cavaliers et fantassins se ruèrent à l'envi par les portes, et, se répandant à travers la plaine, se hâtèrent vers l'ennemi. (9) Quand le consul les voit dispersés, il ordonne à un tribun militaire de la troisième légion, Caius Aurunculeius, de lancer les cavaliers de cette légion, avec tout l'élan possible, contre les ennemis: (10) ils se sont, dit le consul, répandus, çà et là, comme un troupeau, par toute la plaine, dans un tel désordre, qu'on peut les abattre et les écraser avant qu'ils soient en rangs.

[Début]

 

[27,42] Hannibal subit une sévère défaite (printemps 207)

(1) Hannibal n'était pas encore sorti de son camp, lorsqu'il entendit le cri des combattants. Appelé au dehors par ce tumulte, il se hâte de pousser ses troupes vers l'ennemi. (2) Déjà la peur de la cavalerie s'était emparée des éléments puniques les plus avancés; comme infanterie, la première légion et l'aile droite alliée engageaient aussi le combat; les Carthaginois, en désordre, en viennent chacun aux mains avec celui que le hasard leur offre, fantassin ou cavalier. (3) La bataille grandit par l'arrivée de renforts; le nombre d'hommes qui courent vers la mêlée la fait s'étendre; et, en plein combat, chose bien difficile, sauf pour de vieilles troupes et pour un vieux général, dans le tumulte et la peur, Hannibal aurait rangé ses soldats, (4) si les cohortes et les manipules embusqués par le consul, descendant au pas de charge des collines, et criant derrière les Carthaginois, ne leur avaient inspiré la crainte d'être coupés de leur camp. (5) C'est ainsi que, frappés de panique, ils commencèrent à fuir çà et là. Ce qui réduisit le carnage, ce fut la proximité du camp, qui abrégea la fuite des ennemis enfoncés; (6) car les cavaliers les talonnaient, et ils avaient été pris de flanc par les cohortes descendant au pas de charge la pente découverte et facile des collines. (7) Cependant plus de huit mille hommes furent tués, plus de sept cents pris, neuf drapeaux enlevés. Pour les éléphants même, dont on ne s'était pas servi du tout dans ce combat soudain et désordonné, on en tua quatre, on en prit deux. (8) Il tomba cinq cents hommes environ, Romains et alliés, chez les vainqueurs.

Le lendemain, le Carthaginois resta tranquille. Le Romain, ayant amené ses troupes en lignes, et ne voyant personne marcher contre lui, ordonna de dépouiller les cadavres ennemis et de réunir et d'ensevelir les corps des siens. (9) Puis, tous les jours, pendant un certain temps, il s'approcha des portes du camp ennemi de façon à paraître près d'y faire entrer ses troupes, (10) jusqu'à ce qu'Hannibal, une nuit, à la troisième veille, laissant un grand nombre de feux et de tentes du côté de son camp tourné vers les Romains, avec quelques Numides chargés de se montrer sur le retranchement et aux portes, partit pour se diriger vers l'Apulie. (11) Au point du jour, les lignes romaines marchèrent vers le camp; les Numides, à dessein, vinrent quelque temps, à plusieurs reprises, se montrer aux portes et sur le retranchement; puis, ayant trompé l'ennemi quelques heures, ils rejoignent au galop la colonne des leurs. (12) Quand le consul eut remarqué le silence de ce camp, et ne vit plus nulle part même les quelques hommes qui y circulaient à l'aube, deux cavaliers, envoyés en éclaireurs dans le camp, ayant reconnu que tout y était sûr, il ordonna d'y pénétrer; (13) mais, n'y laissant ses soldats que le temps voulu pour courir en quête du butin, il fit sonner la retraite et ramena ses troupes bien avant la nuit.

(14) Le lendemain il partit à l'aube, et, poursuivant à marches forcées la colonne carthaginoise d'après les dires des gens du pays et les traces, il rejoint l'ennemi non loin de Vénouse. (15) Là aussi il y eut un combat désordonné; plus de deux mille Carthaginois y furent tués. Alors, de nuit, par des chemins de montagne, pour ne donner lieu à aucun engagement, Hannibal gagna Métaponte. (16) De là Hannon, qui avait commandé la garnison de cette ville, fut envoyé dans le Bruttium, avec quelques hommes, pour y former une nouvelle armée; Hannibal, ajoutant ses troupes aux siennes, regagne Vénouse par les chemins par lesquels il était venu, puis s'avance jusqu'à Canusium. (17) Néron n'avait jamais lâché ses traces, et, en partant lui-même pour Métaponte, avait fait aller Quintus Fulvius en Lucanie, pour ne pas laisser cette région sans défense.

[Début]

 

[27,43] Le consul Claudius Néron décide de marcher contre Hasdrubal

(1) Cependant, envoyés par Hasdrubal (qui venait de quitter le siège de Plaisance) pour porter une lettre à Hannibal, quatre cavaliers gaulois et deux Numides, après avoir, au milieu des ennemis, arpenté l'Italie dans presque toute sa longueur, (2) voulant suivre Hannibal dans sa retraite vers Métaponte, sont entraînés par des chemins qu'ils connaissaient mal vers Tarente, et conduits, par des fourrageurs romains répandus dans les champs, au propréteur Quintus Claudius. (3) Après avoir cherché à l'embrouiller par des réponses équivoques, quand la peur de la torture les força d'avouer la vérité, ils révélèrent qu'ils portaient une lettre d'Hasdrubal à Hannibal. (4) Alors, avec leur lettre telle qu'elle était, toute cachetée, on les confie à Lucius Verginius, tribun militaire, pour les conduire au consul Claudius; (5) on envoie en même temps, pour les escorter, deux escadrons samnites.

Quand ils sont arrivés auprès du consul, qu'on a lu la lettre, grâce à un interprète, et interrogé les prisonniers, (6) Claudius, pensant que, pour l'État, les circonstances ne sont pas de celles où, suivant un plan réglé d'avance, chacun, dans les limites de sa province, avec son armée, fait campagne contre l'ennemi à lui désigné par le sénat; (7) qu'il faut oser inventer quelque manoeuvre imprévue, inopinée, dont l'entreprise n'inspirera pas moins de crainte aux citoyens romains qu'aux ennemis, mais dont l'achèvement les fera passer d'une grande crainte à une grande joie, (8) envoie la lettre d'Hasdrubal à Rome, au sénat, et apprend en même temps aux Pères Conscrits ce qu'il prépare lui-même; puisque Hasdrubal écrit à son frère qu'il va aller à sa rencontre en Ombrie, (9) ils doivent, eux, mander à Rome la légion de Capoue, faire une levée à Rome, opposer près de Narnia l'armée urbaine à l'ennemi. (10) Voilà ce qu'il écrit au sénat; il envoie dire de même à tous dans les territoires de Larina, de Marrucinum, des Frentani et des Praetutiani, par où il veut faire passer son armée, d'apporter, de la campagne et des villes, sur la route, des vivres tout prêts pour la nourriture des soldats, d'y amener les chevaux et autres bêtes de somme, afin d'avoir des voitures en abondance pour les hommes fatigués. (11) Il choisit lui-même, dans l'armée entière, ce qu'il y a de plus solide comme citoyens et comme alliés, six mille fantassins, mille cavaliers; il leur dit qu'il veut prendre la ville de Lucanie la plus proche, avec sa garnison punique; qu'ils soient tous prêts à marcher. (12) Partant de nuit, il se détourne en direction du Picenum.

Ainsi le consul, par étapes aussi longues que possible, amenait des troupes à son collègue, laissant le lieutenant Quintus Catius commander son camp.

[Début]

 

[27,44] Anxiété à Rome

(1) À Rome, il n'y avait pas moins de frayeur et de trouble que deux ans auparavant, lorsque le camp carthaginois avait été placé devant les murs et les portes de Rome. Les gens ne savaient trop s'ils louaient ou blâmaient la marche si audacieuse du consul; (2) il était clair - et rien n'est plus injuste - qu'on la jugerait sur ses résultats: un camp, près d'un ennemi comme Hannibal, était, disait-on, laissé sans général, avec une armée dont on avait ôté toute l'élite, toute la fleur; et le consul avait fait semblant de marcher vers la Lucanie, alors qu'il gagnait le Picenum et la Gaule, (3) laissant son camp avec, comme meilleure sauvegarde, l'erreur de l'ennemi, qui ignorait le départ du général et d'une partie des troupes. (4) Qu'arriverait-il si cela se découvrait, si Hannibal voulait, avec toute son armée, ou poursuivre Néron, parti avec six mille soldats, ou envahir un camp laissé comme une proie, sans forces, sans commandement, sans auspices? (5) Les anciennes défaites de cette guerre, la mort - l'année précédente - des deux consuls, épouvantaient; et tout cela - disait-on encore - était arrivé alors qu'un seul général, une seule armée ennemie étaient en Italie; maintenant on faisait deux guerres puniques; deux armées immenses, deux Hannibals, ou presque, étaient en Italie. (6) Car Hasdrubal, lui aussi, était un fils du même Hamilcar, un chef également actif, entraîné, par tant d'années passées en Espagne, à la guerre contre les Romains, et célèbre par une double victoire, où deux armées, avec les généraux les plus illustres, avaient été anéanties. (7) Bien plus! Au moins pour la rapidité de sa marche depuis l'Espagne et la façon dont il avait poussé aux armes les peuples gaulois, il pouvait se glorifier beaucoup plus qu'Hannibal lui-même: (8) car il avait levé une armée dans la contrée ou l'autre avait perdu la plupart de ses soldats par la faim et le froid, le genre de mort le plus lamentable. (9) Les gens au courant des affaires d'Espagne ajoutaient même qu'il allait avoir à combattre, en Caius Néron, un général qui n'était pas du tout un inconnu pour lui, mais que, dans un défilé où le hasard l'avait embarrassé et surpris, il avait joué comme un enfant, en l'abusant par la rédaction de conditions de paix trompeuses. (10) Ils exagéraient toutes les forces de l'ennemi, diminuaient les leurs, la crainte, quand on la prend pour guide, penchant toujours vers le pire.

[Début]

 

[27,45] Claudius Néron rejoint son collègue en Ombrie

(1) Quand Néron a mis entre l'ennemi et lui assez de distance pour pouvoir dévoiler son dessein en toute sûreté, il adresse quelques mots à ses soldats: (2) il déclare qu'aucun général n'a conçu un plan en apparence plus audacieux, en réalité plus sûr que le sien; qu'il est certain de les mener à la victoire; (3) car, dans une campagne pour laquelle son collègue n'est parti qu'après avoir obtenu, jusqu'à entière satisfaction, infanterie et cavalerie en plus grand nombre, et mieux équipées, que s'il marchait contre Hannibal lui-même, dans une telle campagne, s'ils ajoutent eux-mêmes le poids de leurs forces, même peu important, ils feront pencher toute l'affaire en leur faveur. (4) La seule nouvelle, apportée en pleine bataille - il prendra soin qu'on ne l'apporte pas avant - de l'arrivée de l'autre consul et de l'autre armée, rendra la victoire non douteuse. (5) Ce sont les bruits qui décident des guerres, de légères influences qui poussent les esprits à espérer ou à craindre. Et la gloire de la victoire, eux, soldats de Néron, ils en auront presque tout le fruit: (6) c'est toujours ce qu'on ajoute en dernier lieu qui semble avoir entraîné l'affaire entière. Ils voient eux-mêmes en quelle foule, avec quelle admiration étonnée, quelle faveur on se presse sur leur chemin.

(7) En effet, c'était partout entre des rangs d'hommes et de femmes venus de tous côtés des champs, au milieu des voeux et des prières, des éloges aussi, qu'ils marchaient où les appelait la défense de l'État, les protecteurs de la ville et de l'empire de Rome; dans les armes, dans les bras de ces soldats reposaient, disaient les paysans, leur salut, leur liberté et ceux de leurs enfants. (8) Ils priaient tous les dieux, toutes les déesses, de leur donner une route favorable, un combat heureux, une victoire rapide, et d'exaucer le voeu, qu'ils avaient fait pour eux (9) de pouvoir, comme aujourd'hui ils les accompagnaient avec inquiétude, aller bientôt joyeusement à leur rencontre, quand, vainqueurs, ils triompheraient. (10) Puis chacun disait aux soldats, leur offrait, les priait instamment de lui prendre, à lui plutôt qu'à un autre, ce dont ils avaient besoin pour eux et pour leurs chevaux; on leur donnait tout généreusement, surabondamment; (11) les soldats répondaient par leur modération, attentifs à ne prendre que le strict nécessaire; ils ne s'attardaient pas, ne s'éloignaient pas des enseignes, ne s'arrêtaient pas pour prendre les vivres; ils marchaient jour et nuit; ils s'accordaient à peine le repos suffisant au besoin naturel de leur corps. (12) Le consul avait aussi envoyé des courriers à son collègue pour lui annoncer son arrivée, lui demander s'il voulait le voir venir secrètement ou ouvertement, de jour ou de nuit, et s'installer dans le même camp ou dans un autre. On préféra une arrivée secrète, de nuit.

[Début]

 

[27,46] Jonction des deux armées consulaires

(1) Livius avait donné le mot d'ordre pour que, dans son camp, chaque tribun reçût un tribun de Claudius, chaque centurion un centurion, chaque cavalier un cavalier, chaque fantassin, un fantassin: (2) et, en effet, il ne fallait pas, disait-il, agrandir le camp, de peur que l'ennemi ne s'aperçût de l'arrivée de l'autre consul. D'ailleurs, le fait de resserrer un plus grand nombre d'hommes dans l'espace étroit où ils dressaient leurs tentes, allait être plus facile du fait que l'armée de Claudius, dans son expédition, n'avait guère emporté que ses armes. (3) Mais sa colonne s'était, en route, augmentée de volontaires qui étaient venus s'offrir, vieux soldats ayant déjà accompli leur service, ou jeunes gens qui rivalisaient pour donner leur nom et dont il avait enrôlé ceux qui, par leur aspect physique et leur vigueur, paraissaient aptes au service militaire. (4) Le camp de Livius était près de Séna, cinq cents pas environ le séparaient d'Hasdrubal. C'est pourquoi (Claudius) Néron, en approchant, s'arrêta derrière des collines, pour ne pas entrer dans le camp avant la nuit. (5) Il y entra en silence, chacun de ses hommes étant emmené par des hommes du même rang dans leur tente, et reçu comme un hôte, à la grande joie de tous.

Le lendemain on tint un conseil, auquel assista aussi le préteur Lucius Porcius Licinus. (6) Son camp touchait celui des consuls; et, avant leur arrivée, en conduisant son armée par la montagne, tantôt s'installant dans des gorges pour en fermer le passage, tantôt harcelant de flanc ou de dos, la colonne des ennemis, il s'était joué d'eux en usant de toutes les ruses de guerre. Voilà l'homme qui assistait alors au conseil. (7) Beaucoup inclinaient (pour laisser à Néron le temps de reposer ses soldats, fatigués de marches et de veilles, et de prendre ainsi quelques jours pour reconnaître l'ennemi) à retarder le combat; (8) Néron s'appliqua non seulement à les persuader, mais à les supplier de tout son pouvoir de ne pas rendre son plan, que sa rapidité avait fait sûr, téméraire par leurs retards: (9) par suite d'une erreur qui ne durerait pas longtemps, Hannibal, comme engourdi, n'avait, dit-il, ni attaqué son camp, laissé sans général, ni marché à sa poursuite. Avant qu'il se mît en mouvement, on pouvait détruire l'armée d'Hasdrubal et retourner en Apulie; (10) celui qui, en ajournant la bataille, donnait un délai à l'ennemi, livrait ce camp à Hannibal et lui ouvrait le chemin de la Gaule, pour rejoindre Hasdrubal, à loisir, où il le voudrait: (11) il fallait donc, sur-le-champ, donner le signal du combat et sortir en lignes, exploiter à fond l'erreur des ennemis absents et présents, tandis qu'ils ne savaient avoir affaire ni, ceux-là, à des adversaires moins nombreux, ni, ceux-ci, à des adversaires plus nombreux et plus forts. (12) Le conseil levé, on arbore le signal du combat, et aussitôt on s'avance en lignes.

[Début]

 

[27,47] Hasdrubal refuse le combat

(1) Déjà les Carthaginois se tenaient rangés devant leur camp; le retard apporté au combat vint de ce qu'Hasdrubal, étant venu en avant des enseignes avec quelques cavaliers, remarqua chez ses ennemis des boucliers rouillés, qu'il n'avait pas vus auparavant, des chevaux plus efflanqués; les troupes lui semblèrent aussi plus nombreuses que d'ordinaire. (2) Soupçonnant ce qu'il en était réellement, il fit vite sonner la retraite, et envoya des patrouilles au fleuve d'où l'on tirait l'eau; on pouvait là enlever quelques adversaires, et remarquer si par hasard il n'y en avait pas ayant un teint plus bronzé, comme quand on vient de faire une marche; (3) en même temps, il ordonne à des cavaliers de faire à distance le tour des camps, d'observer si quelque part on a, pour les agrandir, avancé le retranchement, et d'écouter attentivement si les sonneries y sont faites une ou deux fois. (4) Tous ces renseignements furent rapportés en détail, et les camps n'ayant pas été agrandis, cela trompait les Carthaginois: il y en avait deux - comme avant l'arrivée du second consul - celui de Marcus Livius et celui de Lucius Porcius; ni dans l'un, ni dans l'autre, on n'avait allongé nulle part le retranchement, pour agrandir la place réservée aux tentes.

(5) Mais une chose frappa le vieux général Carthaginois, habitué à avoir des Romains comme ennemis: on lui rapporta que les sonneries se faisaient une fois dans le camp du préteur, deux fois dans celui des consuls. Il y avait donc là certainement deux consuls; comment l'un d'eux s'était-il éloigné d'Hannibal? Voilà le souci qui étreignait Hasdrubal. (6) Le dernier soupçon qu'il pût former était la réalité: Hannibal joué et trompé sur un point si important qu'il ignorât où se trouvaient le général, l'armée dont le camp était à côté du sien! (7) Sans doute, démoralisé par une défaite qui n'avait pas été petite, n'avait-il pas osé suivre le consul. Et Hasdrubal craignait bien d'être venu trop tard lui-même au secours d'une situation déjà perdue, de voir les Romains connaître désormais la même fortune en Italie qu'en Espagne. (8) De temps en temps, il pensait que sa lettre n'était pas parvenue à Hannibal, et que le consul, l'ayant interceptée, était accouru pour l'écraser.

Étreint par ces soucis, tous feux éteints, à la première veille, après avoir dit à ses soldats de ramasser en silence les ustensiles de campement, il ordonne le départ. (9) Dans la hâte et le désordre de cette nuit, les guides, mal gardés, vont l'un se cacher dans le refuge où il avait projeté de le faire, l'autre, par un passage connu de lui, traverser à la nage le Métaure. Ainsi abandonnée de ses guides, la colonne carthaginoise erre d'abord dans la campagne; un certain nombre de soldats, fatigués par l'insomnie et les veilles, se couchent çà et là et laissent trop peu d'hommes autour des enseignes. (10) Hasdrubal ordonne, en attendant que le jour montre la route, de suivre le bord du fleuve; et comme, en déroulant sa marche pleine de détours par les boucles et les méandres de son cours sinueux, il n'avait guère avancé, dès que le jour lui aurait montré un endroit propice, il voulait traverser. (11) Mais, à mesure qu'on s'éloignait de la mer, les rives, de plus en plus hautes, resserrant toujours davantage le fleuve et empêchant Hasdrubal de trouver un gué, il perdit un jour qui donna à l'ennemi le temps de l'atteindre.

[Début]

 

[27,48] La bataille du Métaure (23 juin 207)

(1) Néron arriva d'abord avec toute la cavalerie; Porcius le suivit avec les troupes légères. (2) Tandis qu'ils harcelaient de tous côtés et chargeaient la colonne ennemie fatiguée, et que déjà, renonçant à une marche semblable à une fuite, le Carthaginois voulait piqueter un camp sur une hauteur dominant la rive du fleuve, (3) arrive Livius avec toute l'infanterie, rangée et armée non pour une marche, mais pour engager sur-le-champ le combat. (4) Toutefois, quand toutes les troupes romaines furent réunies et le front aligné, Claudius (Néron) dirigea le combat à l'aile droite, Livius à gauche, et l'on chargea le préteur de veiller au centre. (5) Hasdrubal, cessant de fortifier un camp lorsqu'il vit qu'il fallait livrer bataille, plaça en première ligne, devant les enseignes, ses éléphants; pour les encadrer, il mit à l'aile gauche, contre Claudius, les Gaulois, auxquels il se fiait moins qu'il ne les croyait craints de l'ennemi; (6) l'aile droite, contre Marcus Livius, il la prit pour lui-même et pour ses Espagnols - c'était là, en ces vieux soldats, qu'il mettait le plus d'espoir -; (7) les Ligures, il les plaça au centre, derrière les éléphants. Mais cette armée se trouvait rangée ainsi en profondeur plus qu'en largeur; une colline qui s'avançait couvrait les Gaulois.

(8) La partie du front qu'occupaient les Espagnols et l'aile gauche romaine se chargèrent; toute la droite romaine, débordant le combat, n'avait rien à faire: la colline située devant elle lui interdisait toute attaque, de front ou de flanc. (9) Entre Livius et Hasdrubal, au contraire, s'était engagée une grande lutte; il s'y faisait, de part et d'autre, un affreux carnage. Là se trouvaient les deux généraux, là se trouvaient la plupart des fantassins et des cavaliers romains, (10) là aussi les Espagnols, vieux soldats connaissant la façon de combattre des Romains, et les Ligures, race endurcie aux armes. De ce même côté, s'étaient tournés les éléphants, qui, au premier choc, avaient mis en désordre les troupes placées devant les enseignes, et fait reculer déjà les enseignes; (11) puis, la mêlée et les cris grandissant, ils devenaient moins dociles à diriger, et roulaient entre les deux armées comme s'ils ne savaient à qui ils étaient, errant à peu près comme des navires sans gouvernail. (12) Claudius, qui criait à ses soldats: "Pourquoi donc avons-nous arpenté à la hâte tant de chemin? ", s'était efforcé en vain de gravir la colline en face de lui; (13) puis, constatant qu'on ne pouvait de ce côté arriver à l'ennemi, il retire quelques cohortes de l'aile droite, où il voyait qu'on monterait une garde oisive plutôt qu'on ne se battrait, (14) les amène derrière les lignes romaines pour faire un mouvement tournant, et, à la surprise non seulement de l'ennemi, mais des siens, charge le flanc droit des ennemis; et il alla si vite que s'étant montré sur leur flanc, bientôt ses hommes les attaquaient déjà de dos. (15) Ainsi de tous côtés, de face, de flanc, de dos, on massacre Espagnols et Ligures; et maintenant le carnage était arrivé aux Gaulois. (16) Ce fut là qu'il y eut le moins de lutte: car beaucoup étaient loin de leurs drapeaux, s'étant échappés pendant la nuit et couchés pour dormir, çà et là, dans les champs; et ceux qui étaient présents, accablés par la marche et les veilles - leur corps n'ayant aucune résistance à la fatigue - avaient peine à porter leurs armes sur leurs épaules; (17) de plus, on était déjà au milieu du jour, et la soif et la chaleur les offraient tous, la bouche ouverte, à qui voulait les tuer ou les prendre.

[Début]

 

[27,49] Défaite carthaginoise et mort d'Hasdrubal

(1) Il y eut plus d'éléphants tués par leurs conducteurs mêmes que par l'ennemi. Ces conducteurs avaient un ciseau et un marteau; quand les bêtes commençaient à s'emporter et à se ruer contre leurs propres troupes, leur maître, appliquant le ciseau entre des oreilles, juste sur l'articulation qui joint la tête à la nuque, l'y enfonçait du coup le plus fort possible. (2) C'était le moyen le plus rapide qu'on eût trouvé pour tuer de telles masses, quand elles avaient ôté l'espoir de les diriger; et il avait été institué par Hasdrubal, ce général digne de mémoire pour bien des exploits, mais surtout pour cette bataille. (3) Il soutint les combattants carthaginois en les encourageant et en affrontant comme eux le danger; il ralluma l'ardeur des soldats harassés et renonçant, par dégoût et fatigue, à la lutte, soit en les suppliant, soit en les blâmant; il rappela les fuyards, et, en plusieurs endroits, rétablit le combat déjà abandonné; (4) enfin, voyant que la chance était, sans aucun doute, du côté des Romains, pour ne pas survivre à l'armée si grande qui avait suivi son nom, il éperonna son cheval et se jeta sur une cohorte romaine. Là, d'une façon digne de son père Hamilcar et de son frère Hannibal, il tomba en combattant.

(5) Jamais pendant cette guerre on n'avait, en une seule bataille, tué tant d'ennemis; c'était, semblait-il, la revanche de la défaite de Cannes, égale à celle-ci par le massacre et du général et de l'armée ennemie.( 6) Cinquante-six mille Carthaginois furent tués; on en prit cinq mille quatre cents; il y eut beaucoup d'autre butin en tout genre, et surtout en or et en argent. (7) Bien mieux, des citoyens romains, qui se trouvaient prisonniers chez l'ennemi, furent recouvrés au nombre de plus de quatre mille; ce fut une consolation pour les soldats perdus dans ce combat. Car la victoire fut loin de ne pas coûter de sang: il y eut environ huit mille Romains et alliés de tués; (8) et les vainqueurs eux-mêmes étaient si rassasiés de sang et de carnage, que, le lendemain, comme on annonçait au consul Livius que des Gaulois Cisalpins et des Ligures, absents du combat ou échappés au massacre, se retiraient en une colonne sans général reconnu, sans enseignes, sans ordre ni commandement aucun, (9) qu'on pouvait, en lançant sur eux une aile de cavalerie, les anéantir, il répondit: "Qu'il reste quelques hommes pour faire connaître la défaite des ennemis et notre valeur".

[Début]

 

[27,50] Annonce de la victoire à Rome

(1) Néron, partant la nuit qui suivit, la bataille, en poussant sa colonne plus vite encore qu'à l'aller revint, cinq jours après, à son campement et à son ennemi propre. (2) Son passage provoqua une affluence moins grande, parce que, cette fois, nul messager ne l'avait précédé, mais une telle allégresse, que les gens déliraient presque de joie. (3) Quant à Rome, on ne peut bien dire, ni dépeindre, aucun des deux sentiments qu'elle éprouva ni quand la cité, incertaine, attendait le résultat, ni quand elle reçut la nouvelle de la victoire. (4) Pas un seul jour, depuis qu'on apprit le départ du consul Claudius, du lever au coucher du soleil, aucun sénateur ne s'éloigna de la curie et des magistrats, ni le peuple du forum: (5) les matrones, ne pouvant rendre aucun service, s'étaient tournées du côté des prières et des adjurations, et, répandues par tous les sanctuaires, fatiguaient les dieux de leurs supplications et de leurs voeux.

(6) Dans la cité si inquiète et si anxieuse parvint d'abord le bruit, peu sûr, que deux cavaliers de Narnia, arrivés au camp qui barrait le défilé de l'Ombrie, disaient sortir d'une bataille où les ennemis avaient été taillés en pièces. (7) D'abord les oreilles seules, plutôt que les esprits, s'ouvrirent à cette nouvelle, trop importante, en effet, et trop heureuse pour qu'on pût la concevoir ou y croire fermement; sa rapidité même empêchait d'y ajouter foi: c'était deux jours avant, disait-on, que la bataille s'était livrée.( 8) Puis on apporte une lettre, envoyée du camp par Lucius Manlius Acidinus, sur l'arrivée de ces cavaliers de Narnia. (9) Cette lettre, portée, à travers le forum, au tribunal du préteur, fit sortir les sénateurs de la curie. Il y eut alors une telle bousculade, un tel tumulte du peuple accourant aux portes de la curie, que le courrier ne pouvait y arriver, étant tiré par les gens qui l'interrogeaient et demandaient à grands cris qu'on lût la lettre à la tribune avant de le faire au sénat. (10) Enfin la foule fut écartée et contenue par les magistrats, et l'on put dispenser la joie aux esprits, qui en déliraient. (11) On lut la lettre au sénat d'abord, puis à l'assemblée publique; et, suivant le naturel de chacun, les uns éprouvaient déjà une allégresse assurée, les autres ne voulaient pas croire à leur bonheur avant d'avoir entendu les envoyés ou une lettre des consuls.

[Début]

 

[27,51] Conséquences de la victoire du Métaure

(1) On annonça ensuite que ces envoyés eux-mêmes approchaient. Cette fois, les gens de tout âge courent à leur rencontre, chacun voulant être le premier à boire de ses yeux et de ses oreilles une si grande joie.( 2) Leur colonne ininterrompue arriva jusqu'au pont Mulvius. (3) Les envoyés - c'étaient Lucius Veturius Philo, Publius Licinius Varus, Quintus Caecilius Metellus - entourés d'une foule de personnes de toute sorte, parvinrent au forum, tandis que les uns leur demandaient à eux-mêmes, les autres à leur suite, ce qui s'était passé. (4) À mesure que chacun apprenait que l'armée et le général ennemi avaient été massacrés, que les légions Romaines étaient intactes, les consuls saufs, aussitôt il communiquait à d'autres et propageait sa joie. (5) Après être arrivés avec peine à la curie, et avoir, avec plus de peine encore, écarté la foule, pour qu'elle ne se mêlât pas aux sénateurs, on lut au sénat la lettre (des consuls). Puis on conduisit les envoyés à l'assemblée publique. (6) Lucius Veturius y lut la lettre, puis raconta lui-même avec plus de détails tout ce qui s'était passé, soulevant l'approbation générale, et même, à la fin, les acclamations de toute l'assemblée, qui avait peine à contenir sa joie. (7) Puis on courut de tous côtés les uns faire le tour des temples, afin de rendre grâces aux dieux, les autres chez eux, pour annoncer à leurs femmes et à leurs enfants une nouvelle si heureuse.

(8) "Parce que les consuls Marcus Livius et Caius Claudius avaient, en gardant leur armée intacte, massacré le général et les légions ennemies", le sénat décida trois jours de prières publiques. Le préteur Caius Hostilius lut ce décret à l'assemblée, et une foule d'hommes et de femmes participa à ces prières; (9) tous les temples, ces trois jours durant, reçurent une foule égale, les femmes en grande toilette, accompagnées de leurs enfants et délivrées, comme si la guerre était terminée, de toute crainte, remerciant les Immortels. (10) Cette victoire changea aussi la situation économique de la cité, car dès lors, comme en temps de paix, on osa conclure des affaires en vendant, en achetant, en prêtant de l'argent, en remboursant les prêts.

(11) Le consul Caius Claudius, revenu dans son camp, ordonna de jeter la tête d'Hasdrubal, - qu'il avait apportée, conservée avec soin - devant les postes ennemis, de leur montrer les prisonniers africains enchaînés, comme ils étaient, et même d'envoyer deux d'entre eux délivrés, à Hannibal, pour lui dire ce qui s'était passé. (12) Hannibal, frappé en même temps de deux si grands chagrins, public et privé, déclara, dit-on, qu'il reconnaissait la mauvaise fortune de Carthage; (13) et, quittant cet endroit pour réunir tous ses auxiliaires, qu'il ne pouvait plus protéger s'ils restaient répandus sur un trop large espace, dans l'angle extrême de l'Italie, dans le Bruttium, il y fit passer et tous les citoyens métapontins, qui abandonnèrent leurs demeures, et, parmi les Lucani, ceux qui étaient sous ses ordres.

[Début]

 

FIN DU LIVRE XXVII DE TITE-LIVE

 


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