[Extrait de Folia Electronica Classica, t. 34, juillet-décembre 2017]


Les primordia de Rome selon Jean d'Outremeuse, chroniqueur liégeois du XIVe siècle

Textes et traductions

par

Anne-Marie Boxus


 

Le présent appendice est étroitement lié au gros article de Jacques Poucet, portant le même titre et également intégré dans le fascicule 34 (juillet-décembre 2917) des Folia Electronica Classica (FEC). Il contient tous les passages du Myreur des Histors de Jean d'Outremeuse qui traitent des primordia de Rome et qui ont été analysés dans cet article. En réalité ils se trouvent dispersés sur plus de 90 pages (p. 6 à 99) du tome I de l’édition A. Borgnet qui nous sert de référence (cfr l'Introduction de l'article de J. Poucet).

Ils ont été rassemblés par nos soins, pourvus de références aux pages de l'édition originale, accompagnés d'une traduction personnelle en français moderne et présentés aussi clairement que possible, grâce à une série de titres et de sous-titres. Destinés à accompagner l'analyse de Jacques Poucet dans son article homonyme, ils en suivent strictement le plan.

Les pages de l'édition A. Borgnet sont indiquées par les chiffres en grasses entre crochets droits [p. 6], dans la colonne du texte aussi bien que dans celle de la traduction. En outre, dans la colonne de la traduction, nous avons généralement signalé, à côté de la date exprimée dans l'original (« l'an 206 du déluge de Noé » ou « l'an 366 du couronnement de David »), son équivalent en années avant Jésus-Christ (« 2752 a.C.n. » ou « 709 a.C.n. ») toujours dans le comput utilisé par Jean d'Outremeuse et basé sur l'Incarnation. Ce procédé est censé faciliter les comparaisons que ferait le lecteur. Pour plus d'explications, ce dernier se reportera au paragraphe « Observations chronologiques » dans l'Introduction de l'article de J. Poucet. On se gardera évidemment de considérer que les années a.C.n. de Jean correspondent à celles de notre comput actuel, qui seront éventuellement signalées par la formule « avant [ou après] notre ère ».

Les textes en italiques entre crochets droits qui, dans notre présentation, précèdent certains paragraphes ([Japhet vient habiteir en Europe avec II fis]) reproduisent les gloses marginales figurant dans l'édition de référence. Elles constituent une sorte de sommaire. Leur langue n'est pas toujours exactement la même que celle du texte proprement dit. Nous les avons conservées et traduites, en italiques et entre crochets également, dans la colonne de droite.

Les trois points entre crochets droits [...] dans les deux colonnes signalent les passages omis, parce qu'ils n'ont rien à voir avec les primordia de Rome.

Il peut se faire que Jean d'Outremeuse renvoie parfois à un autre passage du Myreur par une formule du genre si com vos oreis chi-apres (« comme vous l'apprendrez plus loin »). Quand nous avons identifié le texte auquel il est fait allusion, nous avons indiqué la référence entre parenthèses par le tome et la page du Myreur (cfr I, p. 9). Ce texte n'est pas nécessairement repris dans la sélection liée aux primordia mais le lecteur doit savoir (cfr Introduction de l'article de J. Poucet) que, sauf le volume VI, l’intégralité de l’édition A. Borgnet - S. Bormans (sept volumes avec l’introduction et les index,  parus entre 1864 et 1887, est accessible sur la Toile.

En ce qui concerne le texte original, nous avons le plus soigneusement possible respecté celui de A. Borgnet, sans tenter en quoi que ce soit d'uniformiser les graphies différentes d'un même mot. Sauf exception, nous n'avons pas non plus tenté d'intégrer les variantes, à nos yeux mineures, signalées par A. Borgnet dans son apparat critique (l'éditeur ne disposait comme témoins que deux manuscrits A et B).

 

Anne-Marie Boxus (juillet 2017)


 

PLAN

Ch. I. Les occupants de l'Europe après le déluge : les premiers gouverneurs d'Italie

Ch. II. L'arrivée de Saturne, vers 1130 a.C.n., et l’organisation de la région en trois royaumes

Ch. III. La diaspora troyenne avec l'arrivée d’Énée et d'Ascagne dans l'Italie centrale

Ch. IV. Les rois latino-albains

Ch. V. La naissance de Romulus et de Rémus

Ch. VI. La fondation de Rome. Romulus et son règne

Ch. VII. Les successeurs de Romulus

Ch. VIII. Les débuts de la République. Les premiers consuls et le pouvoir consulaire. Quelques événements des premières décennies


 

I. Les occupants de l'Europe après le déluge : les premiers gouverneurs d'Italie

 

Après le Déluge, les trois fils de Noé ont partagé la terre en trois : Sem a obtenu l'Asie, Cham l'Afrique et Japhet l'Europe - L'an 2448 de la création (206 du déluge = 2752 a.C.n.), Japhet et ses fils s'installent sur le site de la future Rome - Des serpents les font fuir, soit en Asie, soit sur le site de la future Macédoine

[p. 6] [Japhet vient habiteir en Europe avec II fis] A temps de chis Nemprot, vient promier Japhet habiteir en Europe ; si amynat awec ly dois de ses fils, qui furent nommeis Jabam et Rachem. Et vinrent awec eaux Janus, li fis Jabam, et Janus, li fis Rachem, et pluseurs altres de la nation Japhet ; et vinrent en droit lieu où la citeit de Romme fut depuis et est fondée.

[p. 6] [Japhet vient habiter en Europe avec deux fils] Au temps de ce Nemrod, Japhet fut le premier à habiter en Europe ; il amena avec lui deux de ses fils, nommés Jabam et Rachem, accompagnés de Janus, fils de Javam, d'un autre Janus, fils de Rachem, et de beaucoup d'autres de la race de Japhet. Ils s'installèrent à l'endroit exact où ensuite Rome fut fondée et se trouve encore.

[De Romme comment ilh fut commenchié] Et edifiat là chascon tabernacles, sicom vilhettes petites ; et furent toutes nommeis apres leurs nommes des II Janus, excepteit une qui fut nommée Recheane, apres Rachen. Mains ilhs n'oirent nient là habiteit une an, que grant multitude de serpens et altres biestes vynemeux les racacharent oultre mere, dont ilh astoient venus. Et alarent tous habiteir en Asie, excepteit Rachem, qui alat ès parties de septentrion, et fondat une citeit que ilh nommat par son nom Heseponde, qui est à dire en franchois Refuyt, portant qu'ilh estoit refus ; et là habitat jusques à tant qu'ilh revient en Europe, si com vos oreis chi-apres.

[Les débuts de Rome] À cet endroit chacun construisit des abris, des sortes de petits villages. Ils portèrent tous le nom des deux Janus, sauf un qui fut nommé Réchéane, d'après Rachem. Mais ils n'étaient pas installés là depuis un an qu'une multitude de serpents et de bêtes venimeuses les fit repartir au-delà de la mer, d'où ils étaient venus. Tous allèrent habiter en Asie, à l'exception de Rachem qui partit vers le nord et fonda une cité qu'il appela Héséponde, ce qui signifie en français 'Refuyt'. En effet il s'y était 'réfugié'. Il y habita jusqu'à son retour en Europe, comme vous l'entendrez ci-après (cfr I, p. 9).

[Machedone fut fait par Rachem] Et deveis savoir que la terre où Rachem fondat Refuyt est maintenant la terre de Machidone, qui fuit puis [p. 7] unc gran royalme ; et là fut neis ly roy Alixandre, qui conquestat tant de pays.

[La Macédoine est fondée par Rachem] Il faut savoir que la région où Rachem fonda Refuyt est maintenant la Macédoine, qui devint plus tard [p. 7] un grand royaume, là où naquit le roi Alexandre, qui conquit tant de pays.

[Des enfans Japhet] A cel temps que Japhet vient en Europe, avoit-ilh jà IIIc ans d'eaige, et chu fut sour l'an del origination de monde IIm IIIIc et XLVIII ans, qui fut li an del delueve Noé IIc et VI. Item, Jabam, le fis Japhet, avoit VIIxx et IIII ans, et Rachem, li altre fis Japhet, avoit XCII ans, et Janus, fis Jabam, avoit XLVIII an, et Janus, le fis Rachem, avoit XVI ans. A cel temps astoient mors tous les enfans Noé, excepteit Japhet, qui temprement apres morut en une vilhe qu'ilh avoit fondée sor mere ; et le nommat-ons apres luy Japhe, qui siet à XVI lieu pres de Jherusalem. [...]

[Les enfants de Japhet] Au temps où il vint en Europe, Japhet avait déjà trois cents ans ; ce fut en l'an 2448 de l'origine du monde, correspondant à l'an 206 du déluge de Noé (2752 a.C.n.). Javam, le fils de Japhet, avait alors cent quarante ans ; Rachem, l'autre fils de Japhet, en avait quatre-vingt-douze ; Janus, fils de Javam, avait quarante-huit ans et Janus, fils de Rachem, en avait seize. Alors tous les enfants de Noé étaient morts, hormis Japhet, qui mourut peu après en une ville, nommée Jaffa d'après son nom, fondée au bord de la mer, et sise à seize lieues de Jérusalem. [...]

 

Rachem, fils de Japhet, revenu dans une Europe libérée des serpents, fonde des installations dans la région de la future Rome - Il dirige le pays de 2482 à 2544 de la création (de 2718 à 2656 a.C.n.) - Il est ensuite remplacé par ses descendants, fils, petits-fils, neveux, etc., qui gouvernent généralement par couple - Adeptes de paix et de simplicité, ils construisent parfois des palais (Janicule) et des villes (Jab et Rachet), mais ils préfèrent vivre dans les grottes des montagnes -Suite de la succession de Japhet jusqu'en 2965 de création (2235 a.C.n.)

[p. 9] [Rachem, le fis Japhet, vint habiteir en Europ, en Ytalie où Romme siet] En chesti an meismes revient Rachem, le fis Japhet, en Europe par le commandement de Dieu, qui li envoiat certain signe, par lequeile ilh fist vuidier de son pays tous les serpens, et s'en alerent en Orient. Se prisent puis ches serpens habitation en la thour de Babel, c'on nommoit adont la thour de confusion. Chis Rachem fist mult de habitation en Europ, en la partie c'on nomme Ytalie, où Romme siet ; et governat ses gens LXII ans, et puis morut, sor l'an del origination de monde IIm Vc et XLIIII, qui fut li an de son eaige IXxx et VIII ans.

[p. 9] [Rachem, le fils de Japhet, vient habiter en Europe, en Italie, sur le site de Rome] En cette même année (2718 a.C.n.), Rachem, fils de Japhet, revint en Europe, sur ordre de Dieu. Celui-ci lui avait envoyé un signal clair, en vidant son pays de tous les serpents qui s'en allèrent en Orient pour s'installer finalement dans la tour de Babel, qu'on nommait alors la tour de confusion. Ce Rachem fonda beaucoup d'installations en Europe, dans la région qu'on appelle Italie, où se trouve Rome. Après avoir dirigé son peuple pendant soixante-deux ans, il mourut en l'an 2544 de la création, âgé de cent quatre-vingt-huit ans.

[Apres vinrent en Europ le fis Rachem et plusieurs altres] Apres la mort Rachem, vient Janus son fis, et Janus li fis Jabam, son cusin, en Europ ; et acceptarent le gubernation de peuple Rachem por le besongne et necessiteit que li peuple en avoit, qui encor astoit asseis petis. Et regnarent ensemble ches dois cusiens, com soverains de peuple, par l'espause de XCVII ans ; et puis morurent à unc seul jour, l'an de monde IIm VIc et XLI an, quy fut li an del eaige Janus, le fis Jabam, IIc et XLI an, et del eaige Janus, le fis Rachem, IIc et VIII ans. Ches dois cusiens fondarent unc palais en leur regne, lequeile ilh nommarent Janyculum ; et en droit lieu de chis palays siet ors li engliess Sains-Johan al Janycul.

[Dans la suite, le fils de Rachem et beaucoup d'autres viennent en Europe] Après la mort de Rachem arrivèrent en Europe Janus, son fils, et Janus, le fils de son cousin Jabam. Ils acceptèrent la direction du peuple de Rachem, chose bien nécessaire, ce peuple étant encore très réduit. Les deux cousins régnèrent ensemble en souverains quatre-vingt dix-sept ans, et moururent le même jour, en l'an 2641 de l'origine du monde, Janus, fils de Jabam, à l'âge de deux cent quarante et un ans, Janus, fils de Rachem, à l'âge de deux cent et huit ans. Tous deux avaient fondé dans leur royaume un palais, nommé Janicule. À l'endroit exact de ce palais se trouve maintenant l'église Saint-Jean en Janicule.

[Des II governeurs de Europ] Apres le mort des dois dis Janus, furent gubernateurs de peuple de Europ Phalec, li fis Janus fil Jabam, et awec li Mathiabam, fil Janus le fil Rachem, par l'espause de XCII ans ; puis morut Mathiabam sor l'an del creation de monde IIm VIIc et XXXIII ; si regnat son fis Rachen awec Phalec deseurdit LXXIII ans. Adont morut Phalec ; si regnat son fis Jaban awec Rachen deseurdit LIX ans ; et furent mult simples. Ches dois governeurs edifiont à leurs temps II vilhes qui furent nommeis Jab et Rachet ; et fisent mult de grandes boymes dedens les grandes montagnes, en queiles ilh habitont plus volentiers qu'en leurs edefisses et vilhes.

[Les deux gouverneurs de l'Europe] Après la mort des deux Janus, le peuple d'Europe fut gouverné par Phalec, fils de Janus, petit-fils de Jabam, et par Mathiabam, fils de Janus, petit-fils fils de Rachem, et cela durant quatre-vingt-douze ans. Puis Mathiabam mourut en l'an 2733 de la création, et son fils Rachem régna cent soixante-treize ans avec Phalec. Lorsqu'à son tour Phalec mourut, son fils Jabam régna cinquante-neuf ans avec Rachem. Ces deux gouverneurs, gens très simples, avaient construit deux villes, Jab et Rachet. Ils avaient aussi aménagé dans les montagnes des grottes vastes et nombreuses, qu'ils occupaient plus volontiers que leurs constructions et leurs villes.

 

Suite de la succession de Japhet, de 2865 à 3054 de la création (2335 à 2146 a.C.n.) - Réflexions de Jean d'Outremeuse sur les moeurs primitives des gens d'Europe par rapport à ceux d'Asie et d'Afrique - Réflexions sur le peu d'informations dont il dispose sur cette période

[p. 10] [Coment cheaux de Europ estoient mult simples gens, et ches d’Asie et Affrique astoient felles et orgulheux] A cel temps astoient si simples les gens qui regnoient en Europ, qu'ilh soy maintenoient com biestes. Mais cheaux d'Affrique et d'Asie, qui estoient yssus de Cam, astoient tres-subtils, felles et orgulleux. Et cheaux qui estoient issus de Sem, estoient plains de grant sanctité et proidhons.

[p. 10] [En Europe les habitants sont des gens très simples ; ceux d'Afrique et d'Asie sont fourbes et orgueilleux] En ce temps-là, les gens qui vivaient en Europe étaient si simples qu'ils se comportaient comme des bêtes. Les habitants d'Asie et d'Afrique, issus de Cham, étaient très subtils, fourbes et orgueilleux. Les descendants de Sem étaient des êtres pleins d'une grande sainteté et  sages.

Apres, sor l'an del origination de monde IIm VIIIc et LXV, morut Rachem ; si regnat son fis Japhet awec Jabam deseurdit XCIII ans. Puis morut Jabam sor l'an IIm IXc et LVIII ; si regnat son fis Janon awec Japhet deseurdit XXXIII ans.

Dans la suite, en l'an 2865 de l'origine du monde (2335 a.C.n.), mourut Rachem ; son fils Japhet régna quatre-vingt-treize ans avec Jabam. Puis Jabam mourut en l'an 2958 ; son fils Janon régna durant trente-trois ans avec Japhet précité.

Item, vos deveis savoir que ches governeurs avoient pluseurs enfans, fis et filhes, desqueiles li regne multipliat fortement ; se ne faisons d'eaux nulle mension, portant que toudis regnoit li anneis fis ; et se ne savons les nommes d'eaux, si nos en covient abstenir.Et se vos disons que nos ne racomptons nuls fais qu'ilh fesissent adont, car ilhs ne fasoient nuls, et viskoient simplement si com biestes, en mangnant rachines et herbes, et poymes savaiges, et teils viandes.

Vous devez aussi savoir que ces gouverneurs avaient de nombreux enfants, fils et filles, ce qui fit que la population se multiplia fortement dans le royaume. Nous n'en faisons nulle mention, le fils aîné étant toujours le roi. Et ne connaissant pas leurs noms, nous devons nous abstenir. Nous vous disons aussi que nous ne racontons rien de ce qu'ils auraient fait alors, car ils ne faisaient rien. Ils vivaient simplement comme des animaux, en mangeant des racines et des herbes, des fruits et des viandes sauvages.

Item, sor l'an del monde IIm IXc IIIIxx et XI morut Japhet ; si regnat son fis Matiphalet awec Janon deseurdit LXIII ans.

En l'an du monde 2991 mourut Japhet ; son fils Mathiphalet régna durant soixante-trois ans avec Janon précité.

 

Suite de la succession de Japhet - Passage au comput d'Abraham (né en l'an 3184 de la création = 2016 a.C.n.)

[p. 10] Item, l'an de monde IIIm et LIIII morut Janon ; si regnat Janon, son fis, awec ledit Mathiphalet LXXIX ans.

[p. 10] En l'an 3054 du monde (2235 a.C.n.) mourut Janon ; son fils Janon régna soixante-dix-neuf ans avec Mathiphalet.

[Tharé vint demoreir en la terre de Caldée] En cel an meismes vient Tharé demoreir en la terre de Caldée, en une citeit c'on nommoit Hur, qui est à dire en franchois Feu. Item, l'an IIIm C et XXXIIII morut Matiphalet, si regnat son fis Sem IIIIxx et II ans.

[Tharé vient demeurer en Chaldée] Cette même année, Tharé vint demeurer en terre de Chaldée, dans une cité appelée Ur, ce qui signifie en français 'Feu'. Et en l'année 3134 (2175 a.C.n.), Mathiphalet mourut, et son fils Sem régna quatre-vingt-deux ans.

[De Abraham quant ilh fut neis] Et al cinquanteime année del regnation ledit Sem, fut neis Abraham, li fis Tharé. A laqueile nativiteit nos prenderons nos dautes d'ors en avant.

[Date de la naissance d'Abraham] Durant la cinquantième année du règne de Sem naquit Abraham, fils de Tharé. Dorénavant, c'est sur cette naissance que nous baserons nos dates.

 [p. 10] Item, l'an del nativiteit Abraham XXXII, morut Janon deseurdit ; si regnat son fis Jabam awec Sem XLIX ans, puis morut ; si regnat son fis Heber awec ledit Jabam LXII ans. [...]

[p. 10] En l'an 32 de la naissance d'Abraham (1984 a.C.n.) mourut Janon cité ci-dessus ; son fils Jabam régna avec Sem quarante-neuf ans, puis mourut ; son fils Héber régna soixante-deux ans avec ce Jabam. [...]

 

La Grande Babylone, création de Sémiramis, est le premier des quatre grands royaumes du monde, avant Carthage fondée par Didon, avant la Macédoine d'Alexandre le Grand et avant Rome, fondée par Romulus - Allusion d'après Orose à Procas, aïeul de Romulus - Fondation d'Hébruel par Héber

[p. 12] [De Semyramonde la royne] [Babylone fut le promier royalme des IIII grant royalme de monde, la IIe Cartage, en Afrique, la IIIe Machedone, le IIIIe Romme] Et li royne Semyramonde, qui adont (regnoit), edifioit citeis tout son vivant ; et la plus grant fut Babylone, qu'elle adjondit à l'autre citeit de Babylone et à la thour de Babel, si com nous avons dit par desus, et en fist chief de tout le royalme d'Asie ; et prent son edifisse le royalme de Babylone, qui fut li promirs des quattres grandes royalmes de monde, dont Josephus et Orosius parlent.

[p. 12] [La reine Sémiramis] [Babylone est le premier des quatre grands royaumes du monde ; le deuxième est Carthage en Afrique, le troisième la Macédoine, le quatrième Rome] La reine Sémiramis, qui régnait alors, édifia des cités toute sa vie ; la plus grande fut Babylone, qu'elle adjoignit à l'autre Babylone et à la tour de Babel, comme nous l'avons dit ci-dessus (cfr I, p. 11). Elle en fit la capitale de tout le royaume d'Asie. Le royaume de Babylone fut son oeuvre. Il fut le premier des quatre grands royaumes du monde, dont parlent Josèphe et Orose (II, 1-2).

Et la seconde fut Cartaige, que la royne Dydo fondat en Affrique ; la tierche fut la royalme de Machedoine, vers septentrion, que Alixandre le roy commenchat ; et le grant Romme, vers occident, que Romulus commenchat, qui en fut le primier roy. Des queiles IIII royalmes ly promiers et li derain sont les plus grandes et plus poisantes, et les dois moiens sont les plus petites.

 Le second royaume fut Carthage, fondé en Afrique par la reine Didon ; le troisième fut le royaume de Macédoine, vers le nord, commencé par le roi Alexandre ; et, vers l'ouest, le grand royaume de Rome, commencé par Romulus, qui en fut le premier roi. De ces quatre royaumes, le premier et le dernier sont les plus grands et les plus puissants, tandis que les intermédiaires sont les plus petits.

[Procha fut ly promier roy d’Ytalie] Mains Orosius dist que Romme prist son nom à roy Procha, qui fut ayons Romulus ; et fut li promier roy d'Ytalie, enssi que nos deviserons chi-apres ; jà soiche que chu n'avenist dedens granment de temps apres chu dont nos parlons, nientmains, puisque nos astons à la matere, si en parlerons maintenant, si qu'ilh soit mies et parfaitement entendue. [...]

[Procas est le premier roi d’Italie] Cependant, Orose (II, 2) dit que Rome prit son nom du roi Procas, l'aïeul de Romulus : il fut le premier roi d'Italie, comme nous le dirons plus loin (cfr I, p. 48-49). Bien sûr, cet événement eut lieu bien longtemps après ce dont nous parlons, mais, nous signalons la chose dès maintenant, pour qu'elle soit mieux et parfaitement comprise. [...]

[p. 14] Item, l'an Abraham C et XLVI, fondat Heber I citeit que ilh nommat solonc son nom Hebruel. [...]

[p. 14] En l'an 146 d'Abraham (1870 a.C.n.), Héber fonda [en Italie ?] une cité, nommée Hébruel, d'après son nom. [...]

 

Succession des gouverneurs en Italie (ans 263 à 354 d'Abraham = 1762-1671 a.C.n.)

[p. 17] [Des governeurs de pays d’Ytalie] Sor l'an Abraham IIc et LXIII morut Japhet, li governeur de Ytalie en Europ ; si regnat son fis Sem awec Hercules XLVIII (ans). En chist an meismes fondat Hercules I citeit qu'ilh nommat Valeriane, en lieu c'on dist desous le Capitole.

[p. 17] [Les gouverneurs des pays d'Italie] En l'an 263 d'Abraham (1752 a.C.n.) mourut Japhet, le gouverneur d'Italie en Europe ; son fils Sem régna avec Hercule durant quarante-huit ans. Cette même année, Hercule fonda une cité qu'il nomma Valériane, en un lieu qu'on dit 'sous le Capitole'.

[De governeur d’Ytaile] Item, l'an Abraham IIIc et X, morut Hercules, li governeur d'Ytale ; si regnat Janus son fis awec Sem deseurdit XLIIII ans.

[Le gouverneur d'Italie] En l'an 310 d'Abraham (1705 a.C.n.) mourut Hercule, gouverneur d'Italie ; son fils Janus régna quarante-quatre ans avec le Sem qui vient d'être cité.

[p. 18] Item, l'an Abraham IIIc et LIIII, morut Sem li governeur d'Ytal ; si regnat son fis Hercules awec Janus deseurdit LXVIII ans.

[p. 18] En l'an 354 d'Abraham (1661 a.C.n.) mourut Sem, gouverneur d'Italie. Son fils Hercule régna soixante-huit ans avec le Janus précité.

 

Digression : pénurie d'informations, sauf concernant Trèves

[p. 18] [De Trive] Nous passons nos dautes avant legierement, portant qu'ilh ne faisoient riens à cel temps qui soit à mettre en memore, excepteit ès parties de Germaine fesoient cheaux de Trive mervelhe de fais d'armes, qui plus plainement sont contenus en leurs croniques que chi ; car se nos voliens mettre tous les croniques de monde chi-dedens, nos ariens trop à faire, et seroit nostre mateire trop prolongiet ; mains de tous vos parlerons compedieusement et clerement chu que nos en dirons.

[p. 18] [Trèves] Nous passons maintenant sans insister sur les dates, parce que les gens ne faisaient rien en ce temps-là qui soit digne de mémoire, excepté dans les régions de Germanie où les Trévires accomplissaient de merveilleux faits d'armes, mentionnés dans leurs chroniques avec plus de détails qu'ici. En vérité, si nous voulions introduire dans notre livre toutes les chroniques du monde, nous aurions trop à faire et notre matière serait trop longue. Mais dans notre exposé, nous vous parlerons de tout en abrégé et clairement.

 

Successions en Italie et en Chaldée - Intervention de Gaban (alias Nemrod), roi de Chaldée et de Crète, astronome et père de Saturne (ans 420-662 d'Abraham (1595-1353 a.C.n.) 

[p. 18] [De governeur d’Ytalie - De la citeit Aventin en Ytale] Item, l'an Abraham IIIIc et XXII, morut Janus, li governeur d'Ytal ; si regnat son fis Aventins awec Hercules deseurdit XLIX ans, et puis morut Hercules sor l'an Abraham IIIIc LXXI ; si regnat Japhet son fis awec Aventins LII ans. Adont fondat Aventins une citeit en Ytale qu'ilh nomma Aventine, et le fist sor I montangne, lequeile montangne ons nomme encors apres la citeit Aventine. [...[

[p. 18] [Gouverneurs d’Italie - La cité Aventin en Italie] En l'an 422 d'Abraham (1603 a.C.n.), Janus, gouverneur d'Italie, mourut ; son fils Aventinus régna quarante-neuf ans avec Hercule précité ; ensuite, en l'an 471 d'Abraham (1554 a.C.n.), Hercule mourut et son fils Japhet régna avec Aventinus durant cinquante-deux ans. Aventinus fonda une cité qu'il nomma Aventin, en Italie, sur un mont que l'on nomme encore la cité de l'Aventin. [...]

Sor l'an Abraham IIIIc et XCII, morut li roy de Caldée et de Crète Mathiaphet ; se fut roy son fis Cydoine IIIIxx ans. Item, l'an Abraham Vc LXXIII, morut Cydoine, le roy de CaIdée et de Crete ; si fut roy son fis Gaban, et regnat XC ans.

 En l'an 492 d'Abraham (1523 a.C.n.), le roi de Crète et de Chaldée, Mathiaphet, mourut ; son fils Sidoine régna alors quatre-vingt ans. En l'an 573 d'Abraham (1442 a.C.n.) mourut Sidoine, roi de Chaldée et de Crète ; son fils Gaban lui succéda durant quatre-vingt-dix ans.

[De Gaban qui fut mult gran clers - Porquoy le planete Saturnus fut enssi apellée] Chis Gaban fut un mult gran clerc astronomien, et cognissans les planetes et les estoiles et tout le movement de firmament. Et oit I fis qu'ilh appellat Saturnus, apres le nom de la plus hault planete ; et fut chis Saturnus I gran agoans de XXI pies de Iong et de XVIII de tour, et por sa grandeur fut-ilh oussi sovent et commonement nommeis Nemprot com Saturnus ; encor dont n'estoit-ilh desquendus de nulle costé de Nemprot, mains entirement de Japhet le fis Noé.

[Gaban est un très grand clerc - Pourquoi la planète Saturnus est-elle appelée ainsi ?] Ce Gaban fut un très grand clerc, un astronome qui connaissait les planètes, les étoiles et tous les mouvements du firmament. Il eut un fils qu'il nomma Saturne, d'après le nom de la planète la plus haute. Ce Saturne était un géant, mesurant vingt-et-un pieds de long et dix-huit pieds de tour. À cause de sa grande taille, souvent et très couramment Saturne fut aussi nommé Nemrod. En fait, il ne descendait nullement de Nemrod, mais de Japhet, fils de Noé.

Item, l'an Abraham Vc et XXIII, morut Aventins d'Ytale ; si regnat son fis Ragam awec Japhet deseurdit LVIII ans.

En l'an 523 d'Abraham (1492 a.C.n.) mourut Aventinus, roi d'Italie ; son fils Ragam régna cinquante-huit ans avec le Japhet qui vient d'être cité (p. 17).

[De Ytale] Item, l'an Abraham Vc IIIIxx et I, morut Japhet li gouverneur d'Ytale ; si regnat son fis Seruge awec Ragan [sic] deseurdit XLVIIans. [p. 19] Et puis morut Ragan [sic] ; si regnat son fis Nachor awec Seruge LXVIII ans.

[Italie] En l'an 581 d'Abraham (1434 a.C.n.) mourut Japhet, le gouverneur d'Italie ; son fils Sérug régna avec Ragam précité quarante-sept ans. [p. 19] Ensuite Ragam mourut ; son fils Nahor régna avec Sérug soixante-cinq ans.

[De Crete et Caldée] Item, l'an Abraham VIc et LXII, morut Gabam, le roy de Caldée et de Crete ; si fut roy Saturnus son fis, li agoans, XXIII ans. Chis Saturnus Nemprot avoit III fis : ly anneis oit nom Jupiter, li aultre Pirus et li tierche Mabiabam.

[Crète et Chaldée] En l'an 662 d'Abraham (1353 a.C.n.) mourut Gaban, roi de Chaldée et de Crète ; son fils Saturne le géant lui succéda et régna vingt-trois ans. Ce Saturne/Nemrod avait trois fils : l'aîné s'appelait Jupiter, le second Pirus et le troisième Mabiabam.

 


 

II. L'arrivée de Saturne, vers 1130 a.C.n., et l'organisation de la région en trois royaumes

 

 Saturne, roi de Chaldée et de Crète, châtré et détrôné par son fils Jupiter, se cache en Italie, qui lui doit son nom (vers 685 d'Abraham ? = vers 1330 a.C.n. ?)

[p. 19] [Coment Jupiter fist son peire Saturnus escolhier] Si avient que, quant ilh oit regneit XXIII ans, Jupiter son fis, qui se dobtait que son peire ne departist sa terre à ses III fis enwalmant, si trahit à luy partie des hommes de paiis, et fist son peire Saturnus escolhier ; portant que dont estoit li usaige que, quant uns roy estoit enssi atourneis, ilh ne pooit tenir royalme, ne donneir à altre, si com à son fis anneis.

[p. 19] [Jupiter fait châtrer son père Saturne] Il advint qu'après vingt-trois ans du règne de Saturne, son fils Jupiter, qui redoutait de voir son père répartir sa terre entre ses trois fils en trois parts égales, se rallia une partie des hommes du pays et fit châtrer son père. L'usage en effet stipulait qu'un roi ainsi mutilé ne pouvait plus occuper son royaume ni le transmettre à quiconque d'autre qu'à son fils aîné.

[Coment Jupiter encachat son père et ses freres vers Europ - Porquoy Ytale fut enssi nommée] Puis enchachat Jupiter son peire et ses freres, qui s'enfuyrent vers Europ. Si morut en la voie son fis Mabiabam, et chu fut en lieu où Rome fut puis édifiié ; et siet en muchant luy et son fis en bussons et en ronxhes, portant qu'ilh estoit honteux de chu qu'ilh estoit escolhiés, sy soy absconsoit des gens ; et portant ilh nommat puis le regne Ytale, qui est à dire en franchois absconse ; ja soiche que nos aions parleit chi-devant pluseurs fois d'Ytale, chu estoit por vos donneir plaine cognissanche de la mateire ; car Saturnus le nommat promirs Ytale, mains ly peuple le fist puis habiteir entres eaux, et ilh leur fist mult de grans bien profitaibles.

[Jupiter chasse son père et ses frères vers l'Europe - Pourquoi l'Italie est nommée ainsi] Alors Jupiter chassa son père et ses frères, qui s'enfuirent vers l'Europe. En chemin, son fils (cadet) Mabiabam mourut, à l'endroit où Rome s'éleva par la suite. Saturne resta là, avec son troisième fils, se cachant dans les buissons et les ronces, honteux d'être châtré et se dissimulant (au regard) des gens. C'est pourquoi il nomma plus tard le pays « Italie », qui signifie en français « caché ». Bien que j'aie déjà parlé plusieurs fois de l'Italie, pour vous donner pleine connaissance de la matière, Saturne fut bien le premier à appeler ainsi l'Italie. Ensuite, les gens du pays le firent habiter parmi eux et il leur rendit beaucoup de services importants et bénéfiques.

 

Saturne le civilisateur enseigne notamment l'agriculture au peuple d'Italie, qui le vénère comme un dieu

[p. 19] [Coment Saturnus fist mult de biens à ses gens, et les endoctrinat] Chis Saturnus fist à peuple mult de biens, car ilh les trovat simples et bestials, se les induit et endoctrinat de labureir les terres, planteir les vingnes, habiteir en mansons et vivre si com hommes ; car le temps devant, si com nos avons dit, ilhs habitoient dedens les bommes et les trais des montangnes, et lassarent les vilhes qui astoient là fondeez ; et mangnoient glans de chaynes, pommes savaiges, rachines et altres chouses si com biestes.

[p. 19] [Saturne apporte beaucoup de bienfaits à ses gens et les instruit] Saturne rendit beaucoup de services aux gens de ce peuple, qu'il avait trouvés simples, vivant comme des bêtes. Il les vêtit, leur apprit à travailler la terre, planter des vignes, habiter dans des maisons et vivre comme des humains. En effet, comme nous l'avons dit précédemment (cfr I, p. 10), ils habitaient dans les grottes et les défilés des montagnes, délaissant les villes fondées en cet endroit. Ils se nourrissaient de glands de chênes, de fruits sauvages, de racines, et d'autres choses, comme des bêtes.

[Coment Saturnus fut aoreis de peuple en lieu où Romme siet] Adont fut aoreis Saturnus de peuple si com Dieu, et li fut donneit de part le peuple le tierche partie de leur rengne, en droit lieu où Romme siet ; si fondat asseis pres une citeit qu'ilh nommat Saturne apres luy, et maintenant elle est nommée Sutre. Et là ilh semat son promier gran, et enssi usont-ilh alle maniere que Saturnus les avoit apris, jusques à temps Virgile de Bugie, qui les aprist à ahanneir les terres enssi c’on fait [p. 20] maintenant.

[Saturne est adoré par les gens habitant le site de Rome] Saturne fut adoré du peuple à l'égal d'un dieu, et le peuple lui accorda le tiers de leur royaume, à l'endroit exact où se situe Rome. Tout près de là il fonda une cité qu'il nomma Saturne, d'après son nom ; maintenant, elle s'appelle Sutri. Le premier il sema du grain, et les habitants utilisèrent la méthode qu'il leur avait enseignée, jusqu'au moment où Virgile de Bougie leur apprit à labourer les terres comme on le fait [p. 20] maintenant.

 

Saturne fonde en Italie les royaumes des Latins, des Sept Monts, de Toscane - Leurs dirigeants jusqu'à l'arrivée d'Énée dans le pays

[p. 20] [Coment Saturnus fondat III royalmes en Ytaile et de leurs rois] Apres fist Saturnus de la terre III royalmes, si les nommat les III royalmes d'Ytale ; s'en oit I Saturnus, où ilh regnat XL ans, et les II governeurs orent les II altres, et leurs heures.

[p. 20] [Saturne fonde trois royaumes en Italie - Leurs rois] Après cela, Saturne fit du pays trois royaumes, qu'il appela les trois royaumes d'Italie. Saturne en occupa un, où il régna pendant quarante ans. Les deux gouverneurs et leurs héritiers eurent les deux autres.

[version du mss A] Apres Saturnus le fut Latinus, son fis, et apres Sabinus qui regnat XXXIIII ans, et apres Pirus qui regnat XLIX, et Sabinus son fis le fut apres XXXVII ; et chis regnoit, quant Eneas y vient apres la destruction de Troie. Chis Latinus nommat sa terre le royalme des Latins, apres son nom.

 

[version du mss B, mieux en rapport avec la légende romaine, selon Borgnet, p. 20, n. 2] Apres Saturnus fut roi Pirus XLIX ans, et Sabinus ses fis le fut apres XXXVII ans. Puis le fut Latinus, li fil de Sabinus XXXXIIII ans, et chis regnoit, quant Eneas y vient apres la destruction de Troie. Chis Latinus nommat sa terre le royalme des Latins, apres son nom.

[version du mss A] À Saturne, succéda son fils Latinus ; puis vinrent Sabinus, qui régna trente-quatre ans, Picus (?), quarante-neuf ans, et son fils Sabinus, trente-sept ans. Il était au pouvoir lors de l'arrivée d'Énée après la destruction de Troie. Ce Latinus appela sa terre royaume des Latins, d'après son nom.

 

[version du mss B,  Borgnet, p. 20, n. 2] Après Saturne, Picus (?) fut roi pendant quarante-neuf ans et Sabinus, son fils, pendant trente-sept ans. Puis Latinus, son fils, lui succéda. Il était au pouvoir lors de l'arrivée d'Énée après la destruction de Troie. Ce Latinus appela sa terre  le royaume des Latins, d'après son nom.

[Coment les II governeurs d’Ytaile orent II royalmes] Item, en retournant à nostre mateire, les dois governeurs qui estoient al temps Saturnus, dont li uns estoit nommeis Serog et li altre Macor, orent les II altres royalmes ; et Serug [sic] promier regnat XI ans com roy ; et apres luy le fut son fis Galdebadach, et chu est à dire en franchois septes montangnes, et regnat LXX ans. Apres regnat son fis Salatrop XLVIII, et puis regnat son fis Evande [sic] XXI an ; et chis regnoit quant Troie fut destruit.

[Les deux gouverneurs d’Italie ont deux royaumes] Mais revenons à notre sujet. Aux deux gouverneurs en charge au temps de Saturne, appelés l'un Sérug et l'autre Mahor, échurent les deux autres royaumes. Sérug régna d'abord pendant onze ans ; après lui son fils Galdebadach, c'est-à-dire « sept montagnes » en français, fut roi roi durant soixante-dix ans. Après, Salatrop régna pendant quarante-huit ans, et ensuite son fils Évandre, pendant vingt-et-un ans. Il régnait lors de la destruction de Troie.

[Coment Nacor fut roy de la tierche royalme - Del royalme de Tuscane] Apres retournant à la tierche royalme, dont Nacor [sic] fut ly promier roy, et regnat LVI ans, puis regnat son fis Mathiphalet XLIX ans, puis regnat son fis Tuscus XXXV ans. Chis nommat son rengne solonc son nom Tuscaine. Apres regnat son fis Turnus XXI ans ; et chis regnoit à la destruction de la grant Troie. [...]

[Mahor fut roi du troisième royaume, celui de Toscane] Revenons maintenant au troisième royaume, dont Mahor fut le premier roi. Il régna soixante-six ans ; après lui son fils Mathiphalet régna quarante-neuf ans, puis le fils de ce dernier, Tuscus, trente-cinq ans. Ce Tuscus donna son nom au royaume de Toscane. Turnus, son fils, régna vingt-et-un ans. Il était au pouvoir lors de la destruction de la Grande Troie. [...]

 


 

III. La diaspora troyenne avec l'arrivée d'Énée et d'Ascagne dans l'Italie centrale

 

Les rescapés troyens fuient Troie : Anchise meurt en Sicile - Énée et Ascagne s'installent en Italie - Didon, épouse d'Énée, fonde Carthage - Franco, fils d'Hector, s'installe en Gaule - Anténor fonde en Allemagne la ville de Sicambre - Turquin, fils de Troïlus, s'installe en Turquie

[p. 27] [Coment, apres la destruction de Troie, pluseurs nobles chevalier s’en alerent nagant en pluseurs altres pays] Vos deveis savoir que quant Troie fut destruit, si soy partirent des Troiens de là, assavoir : Anchises, li dus de Talme, Eneas son fis, Ascanus li fis Eneas, Franco li fis Ector, Turcus le fis Troiolus, et Antenor lis fis le dus de Sorve ; lesqueis se misent sor mere en XII naves, et ariverent en Sizille. Et là morit Enchises, le peire Eneas, de la plaie qu'ilh avoit oyut en la desconfiture ; si fut là ensevelis. Puis ces (corr. Bo) partirent et vinrent vers Ytailes por habiteir, portant que ly pays y astoit bons, crasse et delitaible. Et estoit adont Europ petitement habitée.

[p. 27] [Après la destruction de Troie, beaucoup de nobles chevaliers gagnent par mer beaucoup d'autres pays] Vous devez savoir qu'après la destruction de Troie, des Troyens quittèrent la ville : Anchise, duc de Talme, son fils Énée, Ascagne, fils d'Énée, Franco, fils d'Hector, Turcus, fils de Troïlus, et Anténor, fils du duc de Sorve. Tous s'embarquèrent sur douze navires et arrivèrent en Sicile. Là  Anchise, père d'Énée, mourut des suites d'une blessure reçue lors de la défaite ; il fut enseveli sur place. Les rescapés partirent ensuite vers l'Italie pour y habiter, parce que le pays était bon, fertile et agréable. À cette époque, l'Europe ne comptait que très peu d'habitants.

[Coment Dydo, la femme Eneas, fondat en Affrique la citeit de Cartaige] Si avient que li oraige de la mere [p. 28] le jettat en Affrique. Si demorarent là unc pou ; et adont fondat Dydo, la femme Eneas, I citeit qu'elle nommat Dydaine solonc son nom, qui puis fut nommée Cartage al temps le roy Cartago d'Orient, qui le fist plus grant et le fermat de murs.

[Didon, la femme d'Énée, fonde la cité de Carthage en Afrique] Une tempête en mer survint [p. 28] qui jeta les Troyens en Afrique. Ils y restèrent quelque temps. Didon, l'épouse d'Énée, fonda une cité qu'elle nomma Didaine, d'après son nom ; par après, la ville fut appelée Carthage, au temps du roi Carthago d'Orient, qui l'agrandit et l'entoura de murailles (p. 36).

[Coment Franco, ly fis Ector, avec IIIm hommes vint demoreir en Galle - Coment ly pays de Galle fut tout promier nommeis Franche, apres Franco] En ceste citeit demorat Dydo, et les altres soy partirent et vinrent en Europ, et puis soy partirent en diverses parchons ; car Franco, li fis Ector, awec IIIm hommes alat habiteir en Galle, que ons apelle maintenant Franche. Si fondat vilhes et casteals, et regnat X ans ; et fut tout son visquant son pays nommeis Franche, et ses gens Franchois solonc son nom. Mains quant ilh fut mors, ilhs soy nommarent Galliens et leur pays Galle, cum de promirs, jusques al temps de duc Priant, que ilh furent publement nommeis Franchois por le franchise de tregut, dequeile ilhs furent affranquis, si com vos oreis chi-apres.

[Franco, le fils d'Hector, vient demeurer en Gaule avec trois mille hommes - Le pays de Gaule est d'abord appelé France, d'après Franco] Didon resta dans cette cité de Carthage et les autres s'en allèrent et arrivèrent en Europe, où, par la suite, ils se séparèrent en divers groupes. En effet Franco, le fils d'Hector avec trois mille hommes alla habiter la Gaule, appelée maintenant France. Il fonda des villes et des châteaux, et régna dix ans ; toute sa vie durant, son pays fut appelé France, et ses habitants Français, d'après son nom. Mais après sa mort, on les nomma Gaulois et leur pays Gaule, comme auparavant, jusqu'au temps du duc Priam, où ils furent appelés officiellement Français, parce qu'ils avaient été affranchis du tribut, comme vous l'entendrez plus loin.

[Coment Antenoir arrivat en Allemangne et y fondat I citeit qui oit à nom, apres le nom de sa femme, Sycambre] Item Antenor arivat en Allemangne, oultres les palus de Metiopes. Si fondat une citeit qu'ilh nommat Sycambre, solonc le nom de sa femme, et nommat ses gens Antenoriens ; mains, quant ilh fut mors, ilh s'appelarent Sycambriens, selonc le nom de leur citeit ; et puis lassarent leur citeit, se vinrent habiteir en Galle awec les Gallyens. Si astoient appelleis Gallyens com les altres, enssi que vos oreis chi-apres.

[Anténor arrive en Allemagne et y fonde une cité à laquelle il donne le nom de sa femme, Sicambre] Anténor arriva en Allemagne, au-delà du Palus-Méotide. Il fonda une cité qu'il nomma Sicambre, du nom de sa femme. Il appela les habitants Anténoriens, mais, après sa mort ils s'appelèrent Sicambriens, du nom de leur cité. Dans la suite, ils abandonnèrent leur cité pour aller habiter en Gaule avec les Gaulois. Ils furent appelés Gaulois, comme les autres, ainsi que vous l'apprendrez ci-après (cfr I, p. 30).

[Coment Turquins, le fis Troielus, en orientaile sy apelat son pays apres luy Turques] Turquins, li fis Troiolus, soy remist sor mere. Si arivat en parties orientales, et y fondat pluseurs vilhes. Si nommat son pays Turquie, et ses gens Turques solonc son nom.

[Turquin, le fils de Troïlus, en Orient, appelle son pays Turquie, d'après son nom] Turquin, le fils de Troïlus, reprit la mer. Il arriva dans les régions orientales et y fonda de nombreuses villes. Il appela son pays la Turquie, et ses habitants Turcs, d'après son propre nom.

 

Une voix divine avertit Énée, arrivé en Italie, de se porter au secours du roi des Sept Monts, Évandre, alors en guerre contre le roi des Latins, Latinus, et le roi de Toscane, Turnus - Prodige de la truie blanche, à l'origine de la future fondation par Énée d'Albe et d'Énéoch

[p. 28] [Coment Eneas arivat en Ytale où ilh demoroit trois roys, et les conquestat leurs pays] Item, Eneas et son fis Ascanus ariverent en Ytaile, où ilh avoit III roys, assavoir : le roy de VII montangnes, le roy des Latins et le roy de Tusquaine. Si avient que une vois dest à Eneas, une nuyt en son dormant, de part ses dieux, en teile manière : « Eneas, va-t'en à roy Evandre de VII montangnes qui guerie contre Latinum, le roy des Latins, et Turnus, le roy de Tosquayne, et li fais socour, car toutes les III royalmes sont à toy, et en seras roy anchois LX jours ; et affin que tu me croie, je toy donne signe que en la voie où tu en yras tu troveras desous une arbre, c'on nom ylex, qui porte les glans, une blanche troie awec XXX blans porcheaux. »

[p. 28] [Énée arrive en Italie où demeuraient trois rois, dont il conquiert le pays] Énée et son fils Ascagne arrivèrent en Italie, où régnaient trois rois, c'est-à-dire : le roi des Sept Monts, le roi des Latins et le roi de Toscane. Une nuit dans son sommeil, Énée entendit une voix venant des dieux lui parler ainsi : « Énée, va chez Évandre, le roi des Sept Monts, qui est en guerre contre Latinus, le roi des Latins, et contre Turnus, le roi de Toscane, et porte-lui secours, car les trois royaumes sont à toi et tu en seras le roi avant quarante jours. Et pour que tu me croies, je te signale que sur la route que tu suivras, tu trouveras sous une yeuse, un arbre chargé de glands, une truie blanche avec trente jeunes porcelets blancs. »

[Coment Eneas fondat II citeis : Enoch et Albaine] Quant Eneas entendit chu, ilh montat tantost lendemain luy et ses gens. Si vient vers le roy Evandre ; si trovat desous l'arbre chu que la vois li avoit dit, et portant ilh fondat là puis [p. 29] II citeis. Si nommat l’une solonc son nom Eneoch, et l'autre Albaine, c’est-à-dire blanche, por le blanche troie et porchelés.

[Énée fonde deux cités : Énéoch et Albe] Quand il entendit cela, dès le lendemain, Énée prit sa monture et se rendit avec ses gens chez le roi Évandre. Il trouva, sous l'arbre, ce que la voix lui avait annoncé. C'est pourquoi par après il fonda là deux cités [p. 29]. Il en nomma une Énéoch, d'après son nom, et l'autre Albe, ou 'blanche', à cause de la truie blanche et des porcelets.

 

Énée et Évandre se battent contre Latinus et Turnus, lequel tue Pallas et est à son tour tué par Énée 

[p. 29] Ors avient quant li roy Evandre veit venir Eneas, ilh fist armeir ses gens, et le vot sus corrir ; car ilh quidoit que ilh fust son annemis ; mains Eneas prist une renseal de olyvier, qui senefie pais en anchienes hystors, et adont vient li uns vers l'autre, et fisent teile acontanche que ilhs s’en allarent où li oust de leurs annemis astoit ; si orent batalhe ensemble.

[p. 29] Quand le roi Évandre vit arriver Énée, il fit armer ses troupes et voulut l'attaquer, car il le croyait son ennemi. Mais Énée prit un rameau d'olivier, symbole de paix dans les histoires anciennes. Ils marchèrent l'un vers l'autre et s'accordèrent si bien qu'ils décidèrent de se rendre à l'endroit où se trouvait l'armée de leurs ennemis. Et ils menèrent ensemble la bataille.

En cel batalhe ochist ly roy Turnus de Tusquaine Palliens le fis le roy Evandre ; et si trueve-on en escript, quant ilh chayt mors, que la terre tremblat ; car chu estoit I gran agoian de XXIIII piés de halt. Chis fut ensevelis en la citeit de Jano, où ilh fut puis troveis al temps l'empereur Henri li seconde de chi nom, si com ilh fait mencion chi apres, où ilh parolle de chel empereur. Et quant Eneas veit le fis le roy ochis, si ferit Turnus teilement qu'ilh li tollit le chief, et chayt mors.

Au cours du combat, le roi Turnus de Toscane tua Pallas, fils du roi Évandre. Les textes disent qu'au moment où il tomba mort, la terre trembla ; car Pallas était un géant, haut de vingt-trois pieds. Il fut enseveli dans la ville de Jano, où il fut retrouvé plus tard, au temps de l'empereur Henri II, comme mentionné ci-après, où on parle de cet empereur. Quand Énée vit que le fils du roi était tué, il frappa Turnus avec tant de force qu'il lui trancha la tête et l'abattit.

 

 Énée tue Latinus et épouse sa fille Lavinia - Évandre étant mort de ses blessures, Énée devient roi du royaume des Latins, ou royaume d'Italie, durant trois ans - Ascagne, fils d'Énée et Didon, lui succède durant vingt-six ans

[p. 29] [Eneas esposat la filhe le roy de Latin] Chis Turnus, li roy de Tusquayne, devoit avoir à femme Lavine, la filhe à roy de Latins ; mains Eneas ochist oussi Latinum, et esposat la dammoselle. Si oit les II regnes des Latiens et de Tusquayne, desqueiles ilh avoit ochis les II roys. Et oussi li roy Evandre morut dez plaies qu'ilh oit en la batalhe, dedens les dis LX jours, si que li peuple fist homaige à Eneas.

[p. 29] [Énée épouse la fille du roi des Latins] Ce Turnus, roi de Toscane, devait épouser Lavinia, la fille du roi des Latins, mais Énée tua aussi Latinus et épousa la demoiselle. Ainsi il acquit le royaume des Latins et celui de Toscane : il avait tué les deux rois. Le roi Évandre aussi, suite aux blessures reçues dans la bataille, mourut dans les quarante jours, si bien que son peuple fit allégeance à Énée.

[Eneas fut roy de tot Ytalie] Enssi fut Eneas roy de tout Ytaile tou seuls ; si regnat III ans, puis morit. Et apres son decesse Ascanus, son fis de Dydo, sa promier femme, fut roy et regnat XXVI ans ; et fut coronneis al temps que Sampson li fors estoit juge de peuple Israel. Chis fist tout son rengne appelleir le royalme des Latiens ; mains quant ilh fut mors, li uns le nommat des Latiens et li altre le nommat de Ytale. [...]

[Énée devient roi de toute l'Italie] Ainsi Énée, à lui seul, devint roi de toute l'Italie. Il régna durant trois ans, puis mourut. Après son décès, Ascagne, le fils qu'il avait eu de Didon, sa première femme, lui succéda et régna durant vingt-six ans. Il fut couronné quand Samson le Fort était juge du peuple d'Israël. Il fit appeler toutes ses terres 'royaume des Latins' , mais, après sa mort, les uns l'appelèrent 'royaume des Latins', et les autres, 'royaume d'Italie'. [...]

 


 

IV. Les rois latino-albains

 

Fondations de cités, alliances, naissances et successions chez les Latins (Ascagne) et en Gaule (Mélus) - Mélus, duc de Gaule, vainc et tue au combat Anténor, duc de Sicambre, assurant ainsi la fusion des Gaulois et les Sicambriens (593-604 de Joseph = 1174-1163 a.C.n)

[p. 30] Sor l'an del nativiteit Joseph Vc et XCIII fondat Ascanus, li roy des Latin, une citeit que ilh nommat Ascanon, et II ans apres fondat I altre asseis pres de la citeit de Eneoche, qu'ilh nommat Sydaine.

[p. 30] En l'an 593 de Joseph (1174 a.C.n.), Ascagne, le roi des Latins, fonda une cité qu'il nomma Ascanon, et deux ans après il en fonda une autre tout près de la cité d'Énéoch, qu'il appela Sydaine.

[Li promier duc de Galle morut, Franco - Melus le IIe duc] Item, l'an del nativiteit Joseph Vc XCVII, morut Franco, li promier duc de Galle ; si regnat après luy son fis Melus LI an.

[Mort de Franco, premier duc de Gaule - Mélus, deuxième duc] En l'an 597 de Joseph (1170 a.C.n.), Franco, le premier duc de Gaule, mourut. Son fils Mélus lui succéda et régna cinquante et un ans.

Item, l'an del nativiteit Joseph Vc XCVIII, oit Ascanus de sa femme Eutrop, filhe le roy Evandre deseurdit, I fis qui fut nommeis Menelaus ; et li dus de Galle Melus oit en cesti an meismes (I fis) de sa femme Austrope, filhe le roy Bosses d'Athenne, et fut chis fis nommeis Borgors.

En l'an 598 de Joseph (1169 a.C.n.), Ascagne eut, de sa femme Eutrope, la fille du roi Évandre, mentionné plus haut, un fils nommé Ménélas. La même année, le duc de Gaule Mélus eut de sa femme Austrope, la fille du roi Bosses d'Athènes, un fils, qu'il nomma Borgors.

Item, l'an Joseph VIc et IIII, oit grant batalhe entre Melus le duc de Galle, et Antenor le duc de Sycambre ; et là fut ochis Antenor, et ses gens desconfite. [...]

En l'an 604 de Joseph (1163 a.C.n.), une grande bataille opposa Mélus, le duc de Gaule, à Anténor, le duc de Sicambre. Anténor fut tué et ses troupes vaincues. [...]

 

Intervention du roi Bosses d'Athènes - Il tue le roi d'Italie Ascagne, qui lui avait refusé la main de sa fille Grata - Celle-ci, poussée par son frère Ménélas, accepte d'épouser Bosses, qui lève le siège d'Énéoch - Ménélas récupère ainsi son territoire (616 de Joseph = 1151 a.C.n.)

[p. 31] [Del guere qui fut entre le roy Boses et le roy Ascanus, por la femme qu’ilh voloit avoir] Sor l’an del nativiteit Joseph VIc et XVI, oit batalhe entre Bosses le roy d'Athenne, et Ascanus le roy d'Ytale. Si avoit Bosses Xm hommes et Ascanus en avoit VIIm ; si fut Ascanus ochis et ses gens disconfite. Et ceste guere estoit commenchié portant que li roy Bosses voloit avoir à femme Grata, la filhe Ascanus, et Ascanus ne li voloit otriier.

[p. 31] [La guerre éclate entre le roi Bosses et le roi Ascagne, à cause de la femme qu’il veut épouser] En l'an 616 de Joseph (1151 a.C.n.), une bataille opposa Bosses, le roi d'Athènes, à Ascagne, le roi d'Italie. Bosses disposait de dix mille hommes et Ascagne de sept mille ; Ascagne fut tué et ses hommes défaits. Cette guerre avait commencé parce que le roi Bosses voulait épouser Grata, la fille d'Ascagne, et que ce dernier avait refusé de la lui accorder.

Si avient que ly roy Bosses assist dedens la citeit de Eneoch, qui estoit la plus grant del regne d'Ytale, Menelaus, le fis Ascanus, qui astoit jovene de XVIII ans ; mains, quant ilh veit chu, se vient à sa soreur Grata et li dest : « Ma chire seure, se vos n'asteis d'acord de prendre le roy Bosset à maris, je et vos astons mors et nos pays exilhiés. » Et là respondit Grata : « Beals freire, vos saveis que le roy que donneir me volleis par mariage at ochis mon pere, et comment le poroit donc mon cuer ameir ? ». A chu respondit Menelaus : « De dois mails doit-ons faire le mainre por le plus grief lassier ; ilh vaut mies que chu soit vostre maris, que vos soyés ochis et nostre pays gasteit. » Et cel respondit qu'elle feroit son plaisir. De chu le remerchiat mult Menelaus ; puis mandat al roy Bosses que ilh li donroit sa soreur s'ilh voloit issir de son regne, et cis ly otriat ; enssi furent accordeis, et oit Bosses Grate à femme, et rendit sa terre Menelaus por estre roy.

Un jour, le roi Bosses assiégea la ville d'Énéoch, la plus grande ville du royaume d'Italie. Ménélas, le fils d'Ascagne, était un jeune homme de dix-huit ans. Quand il vit cela, il vint trouver sa soeur Grata et lui dit : « Ma soeur chérie, si vous n'acceptez pas de prendre le roi Bosses pour époux, vous et moi, nous sommes morts et nos pays sont perdus. » Grata lui répondit : « Beau frère, vous savez que le roi que vous voulez me donner pour mari a tué mon père ; comment donc pourrais-je l'aimer ? » À cela Ménélas répondit : « De deux maux, on doit choisir le moindre pour éviter le pire ; il vaut mieux que votre mari soit tué plutôt que vous-même, et que notre pays ne soit pas dévasté. » Grata consentit à ces souhaits. Ménélas l'en remercia beaucoup, puis il fit savoir à Bosses qu'il lui accorderait sa soeur, s'il sortait de son royaume, ce qu'il accepta. Tel fut leur accord. Bosses épousa Grata et rendit sa terre à Ménélas, qui en devint le roi.

 

Silvius Postumus, fils d'Énée et ancêtre des Silvii, tue Bosses et devient roi d'Italie - Ménélas fonde Milan

[p. 31] Mains Silvius, li fis Eneas de Livine la seconde femme, qui ja avoit XXVI ans d'eiage, assemblat gens et corrut sus Bosses, et le desconfist mult laidement ; et remynat Grata la pucelle, quant ilh oit ochis Bosses ; et vient el regne d'Ytale.

[p. 31] Mais Silvius, fils d'Énée et de sa seconde femme Lavinie, âgé déjà de vingt-six ans, rassembla ses gens et attaqua Bosses, le défit complètement et ramena la jeune Grata, après avoir tué Bosses. Puis il revint au royaume d'Italie.

[Coment Menelaus fondat la citeit de Melan] Si encachat Menelaus, son neveur, qui s'en fuit fors del regne, et fondat une citeit qu'ilh nommat Melan apres son nom, en laqueile ilh habitat tout son vivant.

[Ménélas fonde la cité de Milan] Silvius chassa Ménélas son neveu, qui s'enfuit hors du royaume et fonda une cité qu'il nomma Milan, d'après son nom, ville dans laquelle il habita durant le reste de sa vie.

[De Silvius, le IIe roy de Ytaile] Et Silvius fut roy d'Ytale, si regnat XIX ans valhamment. Chis roy fut nommeis Silvius Postivus : Silvius, por tant qu'ilh fut nouris en unc bois, et Postivus, por tant qu'ilh fut neis après le mort de son peire ; car Eneas, son peire, laissat sa femme Lavine enchainte de ly ; et por l'amour de li tous les roys d'Albaine sont nommeis Silvii, c'este-à-dire Silvestre, qui est ortant à dire que de boscaige. [...]

[Silvius, deuxième roi d'Italie] Silvius devint alors roi d'Italie et régna en homme vaillant durant dix-neuf ans. Il fut nommé Silvius Postumus : Silvius, parce qu'il fut élevé dans un bois, et Postumus, parce qu'il naquit après la mort de son père. En effet, Énée son père avait laissé sa femme Lavinie enceinte. C'est par amour pour lui que tous les rois d'Albe furent nommés Siluii, c'est-à-dire silvestre, qui signifie du bois. [...]

 

Silvius Postumus épouse Odela, fille de Mélus, qui lui donne deux fils : Broncus, futur fondateur de la Grande-Bretagne, et Énée le Posthume (623-630 de Joseph = 1144-1140 a.C.n.)

[p. 32] Apres, sour l'an Joseph VIc et XXIII, oit Silvius, le roy d'Ytale, à femme Odela, la filhe Melus le duc de Galle, et por son amour ilh fondat l'an apres une citeit en son regne qu'ilh appelIat Odelin.

[p. 32] Ensuite, en l'an 623 de Joseph (1144 a.C.n.), Silvius, roi d'Italie, épousa Odéla, fille de Mélus, duc de Gaule ; par amour pour elle, l'année suivante, il fonda dans son royaume une cité qu'il appela Odelin.

[Silvius, li roy d’Itaile, oit unc fis qui oit nom Broncus, lyqueis fondat la Grant Bretangne, c’est Engleterre] Item, l'an Joseph VIc et XXVI, Odela oit de roy Silvius unc fis qui fut nommeis Broncus. Chis Broncus fut chis qui puis fondat la Grant Bretangne, c'on nom maintenant Engleterre, enssi com vos oreis chi-apres.

[Silvius, le roi d’Italie, a un fils nommé Broncus, lequel fonde la Grande-Bretagne, qui est l'Angleterre] En l'an 626 de Joseph (1141 a.C.n.), Odéla eut du roi Silvius un fils nommé Broncus. Ce Broncus fonda plus tard la Grande-Bretagne, appelée ensuite Angleterre, comme vous l'apprendrez dans la suite.

Item, sor I'an Joseph VIc et XXVII, oit Odela de Silvius I fis qui fut nommeis Eneas le postis. [...]

En l'an 627 de Joseph (1140 a.C.n.), Odéla eut de Silvius un fils, nommé Énée le Posthume. [...]

 

Énée le Posthume, successeur de Silvius comme roi d'Italie, délivre Lombarde, une jeune fille captive de brigands, l'épouse, donne son nom à la Lombardie et fonde des cités, dont Pavie (635 de Joseph = 1132 a.C.n.)

[p. 32] Item, l'an Joseph VIc et XXXV, morut Silvius, ly roy d'Ytale. Si regnat son fis Eneas apres, qui estoit encors jovenes de IX ans ; mains Menelaus, son oncle, li aidat tant qu'ilh oit eaige, et regnat XXXI an. Broncus, son frere, astoit anneis ; mains ilh ne vout oncques tenir terre, s'ilh ne le conqueroit ou edifioit de novel.

[p. 32] En l'an 635 de Joseph (1132 a.C.n.), Silvius, roi d'Italie, mourut. Son fils Énée (le Posthume), âgé de neuf ans seulement, lui succéda, mais son oncle Ménélas l'aida en attendant qu'il soit en âge de régner. Ce règne dura trente et un ans. Broncus était le frère aîné d'Énée (le Posthume), mais il ne voulait pas posséder une terre qu'il n'aurait pas conquise ou édifiée lui-même.

[Eneas, le fis le roy d’Ytale, rescoiit Londarde [sic] del main de III lauron, et l’esposat, et apres lée ilh apellat son paiis Lombardie] Chis roy Eneas s'en allat I jour cachier en I bois, et awec li cent hommes ; si trovat que III murdreurs avoient une mult belle pucelle qu'ilh voloient violeir ; et li roy les fist prendre, si les demandat qui la pucelle estoit. Chil respondirent que ch'estoit le filhe l'empereur de Gresse, et l'avoient robeit al port de Gresse. Adont les fist li roy coupeir les pungnes, les langues, si que de part eaux ne fust dit jamais novelle de la damoiselle.

[Énée, le fils du roi d’Italie, sauve Lombarde des mains de trois brigands, l’épouse et donne son nom à son pays, la Lombardie] Énée (le Posthume) alla un jour chasser dans une forêt, accompagné de cent hommes. Il tomba sur trois meurtriers qui voulaient violer une très belle pucelle. Le roi les fit arrêter et leur demanda qui était la victime. Ils répondirent qu'elle était la fille de l'empereur de Grèce et qu'ils l'avaient enlevée dans un port de ce pays. Alors le roi leur fit couper les mains et les langues, pour qu'ils ne puissent jamais parler de la demoiselle.

 [Lombardie - Pavie] Apres demandat li roy à la pucelle comment el estoit nommée ; elle respondit qu'elle estoit nommée Lombarde, et li roy li dest qu'ilh (la) prenderoit à femme, et l'amynat awec li. Si l'esposat solonc sa loye ; et, por la grant amour qu'ilh avoit à lée, ilh appellat son paiis Lombardie, et y fondat pluseurs citeis et casteals, entres lesqueilles ilh fist I belle, en droit lieu où ilh avoit sa femme trovée ; si l'apellat Pavie, par le raison de chu qu’ilh avoit là passeit, ilh avoit sa femme savée la vie.

 [Lombardie - Pavie] Ensuite le roi demanda son nom à la pucelle ; elle répondit qu'elle se nommait Lombarde. Le roi lui dit qu'il la prendrait pour femme et l'emmena avec lui. Il l'épousa selon sa loi. Très amoureux d'elle, il appela son pays la Lombardie et y fonda plusieurs cités et châteaux. Il construisit notamment une belle cité, à l'endroit exact où il avait trouvé sa femme ; il l'appela Pavie, pour la raison qu'il était passé par là et qu'il y avait sauvé la vie de sa femme

Item, l’an [p. 33] Joseph VIc et XL, morut Bosses, le roy d'Athennes, fis à roy Bosset que Silvius ochist. [...]

En l'an [p. 33] 640 de Joseph (1127 a.C.n.), mourut Bosses, le roi d'Athènes, fils du roi Bosses tué par Silvius. [...]

 

Latinus succède à Énée comme roi des Latins (666 de Joseph = 1101 a.C.n.)

[p. 34] [Des Latins] Item, l'an Joseph VIc et LXVI, morut Eneas, li roy des Latiens, qui avoit regneit XXXI an, qui estoit li an de son eaige XL. Et apres luy fut roy son fis Latin, qui regnat L ans. [...]

[p. 34] [Les Latins] Énée, roi des Latins, mourut en l'an 666 de Joseph (1101 a.C.n.), à l'âge de quarante ans, après trente et un ans de règne. Son fils Latinus lui succéda et régna cinquante ans. [...]

 

Silvius Albus (Alba) succède à Latinus comme roi des Latins (25 de David = 1050 a.C.n.)

[p. 36] L'an David XXV, morut Latinus, li roy des Latiens, qui avoit regneit L ans ; et apres luy regnat son fis Silvius li Blans XL ans. Chis roy Silvius fut mult bon justichier, et amat mult ses gens, et les tient bien en pais contre leurs annemis, si com valhant prinche. [...]

[p. 36] En l'an 25 de David (1050 a.C.n.) mourut Latinus, roi des Latins, après un règne de cinquante ans ; après lui régna son fils Silvius le Blanc (Silvius Albus/Alba) durant quarante ans. Ce Silvius fut un très bon justicier ; il aima beaucoup son peuple, le maintenant dans la paix contre les ennemis. Ce fut un bon prince. [...]

 

Prétendant tous deux à la suprématie, Castor, duc de Gaule et Silvius, roi des Latins, s'affrontent en Bourgogne - Silvius l'emporte et Castor meurt - Ilion, fils de Castor, devient duc de Gaule (49 de David = 1026 a.C.n.)

[p. 38] [Guere entre duc de Galle et le roy des Latins] Item, l'an David XLIX, oit grant batalhe entre Castor, le duc de Galle, et Silvius, le roy des Latiens, por tant que Silvius voloit que Castor fust subgis à luy et li paiast tregut de sa terre ; et li dus Castor disoit que li roy Silvius devoit mies rendre à luy tregut, car ilh n'astoit pas desquendus de la droit royal lignie enssi que Castor astoit, qui estoit desquendus de roy Priant de Troie ; et Silvius estoit desquendus de Eneas, qui astoit unc duc et chevalier à roy Priant.

[p. 38] [Guerre entre le duc de Gaule et le roi des Latins] En l'an 49 de David (1026 a.C.n.), une grande bataille opposa Castor, duc de Gaule, et Silvius, roi des Latins. Silvius voulait que Castor lui soit soumis et lui paie un tribut pour sa terre ; le duc Castor par contre disait que le roi Silvius, n'étant pas un descendant direct de la lignée royale, devrait être son tributaire. Castor était un descendant du roi Priam de Troie, tandis que Silvius descendait d'Énée, lequel n'était qu'un duc et un chevalier du roi Priam.

[Ly roy des Latins oit la victoire] Celle batalhe fut en mois d'avrilh, et fut tout emmy Borgongne ; mains tout li mals retournat sor Castor, car ilh fut ochis et ses gens desconfis, et s'enfuirent les Gallyens en leur pays, en la citeit de Pygarie que Franco fondat jadis, et là esluirent à duc de Galle Ylion, le fis Castor, qui regnat XL ans, com valhans prinche.

[Le roi des Latins est victorieux] La bataille eut lieu au mois d'avril et se déroula au centre de la Bourgogne. Tout tourna mal pour Castor, car il fut tué et ses hommes vaincus. Les Gaulois s'enfuirent dans leur pays, dans la cité de Pygarie, fondée jadis par Franco. Ils y élurent comme duc de Gaule le fils de Castor, nommé Ilion qui régna quarante ans en prince valeureux.

[p. 39] [De Ylion, duc de Galle] Chis Ylion defendit mult bien son pays ; ilh astoit grans de XV piés, ilh prendoit I homme à ses mains parmy les flans et le rompoit enssi que chu fuist paistre. [...]

[p. 39] [Ilion, duc de Gaule] Cet Ilion défendit très bien son pays. Il mesurait quinze pieds de haut, saisissait un homme dans ses mains par les flancs et le brisait comme s'il était un moineau. [...]

 

Ilion, le duc de Gaule, assiège la ville d'Énéoch et s'en empare - Il tue le roi Silvius et épouse sa veuve, Gazet - Celle-ci obtient toutefois que son fils Égyptus succède à son père Silvius comme roi des Latins (51-65 de David = 1024-1010 a.C.n.)

[p. 39] [Guere entre le roy de Latin et le duc de Galle] A cel temps estoit moult grant la guere entre le roy des Latin Silvius et le duc de Galle Ylion ; et astoit Silvius moult appresseis de duc Ylion, qui l'avoit assis, en la citeit de Eneoch ; et tant se travelhat li dus Ylion et ses gens que ilh prisent la citeit l'an David LXV. Adont fut-el gastée et les gens desbareteez, et fut Silvius ochis.

[p. 39] [Guerre entre le roi des Latins et le duc de Gaule] À cette époque [= sous Salomon], la guerre faisait rage entre le roi des Latins Silvius et Ilion, le duc de Gaule. Silvius subissait une forte pression de la part du duc Ilion qui l'avait assiégé dans la ville d'Énéoch. Le duc Ilion et ses troupes s'emparèrent finalement de la ville en l'an 65 de David (1010 a.C.n.). La ville fut saccagée, les Latins défaits et Silvius tué.

Quant Ylion oit enssi vengiet son pere, se prist-ilh Gazet, la femme Silvius, et l'esposat solonc sa loi ; et la damme ly priat qu'ilh vousist à son fils Egyptus rendre son royalme, sique chis que en estoit drois heurs, et Ylion li otriat. Enssi fut Egyptus coroneis à roy, et regnat XXIIII ans. Apres chu s'en ralat Ylion en Galle et emenat sa femme awec li. [...]

Quand Ilion eut ainsi vengé son père, il prit Gazet, la femme de Silvius, et l'épousa selon sa loi. La dame lui demanda alors de consentir à rendre le royaume latin à son fils Égyptus, puisqu'il en était l'héritier légal. Ilion le lui accorda. Ainsi Égyptus fut couronné roi, et régna vingt-quatre ans. Ensuite, Ilion retourna en Gaule emmenant sa femme avec lui. [...]

 

Silvius li Polhus succède à son père Égyptus comme roi des Latins (89-90 de David = 986 a.C.n.) - Il fonde Coulommiers en Champagne (104 de David = 971 a.C.n.) - À sa mort, avènement de Silvius Carpentus

[p. 40] En chist an meisme [l'an David IIIIxx et IX], morut Egyptus, li roy des Latiens ; si fut apres son fis Silvius li [p. 41] Polhus, qui regnat XXVIII ans, de temps Roboam et Ozie en Judée roys. [...]

[p. 40] En l'an de David 89 (986 a.C.n.) mourut Égyptus, le roi des Latins ; après lui, son fils [p. 41] Silvius le Poilu (?) régna vingt-huit ans, au temps des rois Roboam et Ozias en Judée. [...]

[De roy Silvius des Latins qui fondat Columpne] ltem, l'an C et IIII, en marche, commenchat à fondeir li roy des Latiens Silvius I citeit, et l'apellat Columpne en Campangne. [...]

[Silvius, le roi des Latins, fonde Coulommiers] En mars de l'an 104 (971 a.C.n.), le roi des Latins Silvius [li Polhus] se mit à construire une cité qu'il appela Coulommiers en Champagne. [...]

[p. 42] [De roy Silvius dez Latins] En cel an en decembre morut Silvius, li roy des Latiens, qui avoit regneit XXVIII ans. Si fut coronneis par les chevaliers son fis qui fut ousi nommeis Silvius Carpentons, et regnat XVI ans. [...]

[p. 42] [Le roi Silvius des Latins] En décembre de cette même année (963 a.C.n.) mourut Silvius [li Polhus], roi des Latins ; il avait régné vingt-huit ans. Les chevaliers couronnèrent son fils, nommé Silvius Carpentus, qui régna seize ans. [...]

 

Tibérius Silvius succède à Silvius Carpentus comme roi des Latins - Il donne son nom au Tibre - Il est remplacé par Agrippa Silvius (133-141 de David = 942-934 a.C.n.)

 [p. 43] Item, l'an David C et XXXIII morut Silvius, li roy des Latins ; si regnat apres son fis Tyberius Silvius VIII ans. [...]

 [p. 43] En l'an de David 133 (942 a.C.n.) mourut Silvius [Carpentus], le roi des Latins ; son fils Tibérius Silvius régna après lui durant huit ans. [...]

[La rivier Tyberis, par devant Ambleve] Item, l'an David C et XXXVIII, astoit aleis chevalchier li roy des Latins ; si avient qu'il devoit passeir aux weis d'onne rivier qui corroit par-deleis Eneoch ; se cheit en l'aiwe, si fut pres noyés et finablement ilh escapat, mains ilh en chayt en une maladie dont ilh morut, por quoy de chi jour en avant fut la riviere nommée Tyberis solonc le nom le roy, et encors le nomme-ons ; mains par-devant estoit son nom Ambleve. [...]

[La rivière Tibre, précédemment Amblève] En l'an 138 de David (937 a.C.n.), un jour que le roi des Latins (Tibérius) était allé chevaucher, il dut traverser à gué une rivière, qui coulait près d'Énéoch. Il tomba dans l'eau et fut bien près de se noyer. Finalement il réussit à s'en sortir, mais tomba malade et mourut. C'est pourquoi, depuis ce jour la rivière fut appelée Tibre, d'après le nom du roi. Elle porte encore ce nom ; mais auparavant elle s'appelait Amblève. [...]

En cel an morut Tyberius Silvius ; si regnat apres son fis Agrippa Silvius XL ans. [...]

En cette même année (an 141 de David = 934 a.C.n.) mourut Tibérius Silvius ; son fils Agrippa Silvius lui succéda durant quarante ans. [...]

 

Azélinus Silvius remplace Agrippa Silvius comme roi des Latins (181 de David = 894 a.C.n.)

En cel an meismes morut Agrippa, li roy des Latiens, qui avoit regneit XL ans noblement ; et apres lui regnat son fis Azelinus Silvius par l'espause de XIX ans. [...]

[p. 45] Cette même année (an 181 de David = 894 a.C.n.) mourut Agrippa, le roi des Latins, qui avait régné quarante ans avec noblesse. Son fils Azélinus Silvius lui succéda durant dix-neuf ans. [...]

 

Yborus, duc de Gaule, séduit par la beauté du site, avait fondé en deux ans la ville de Lutèce/Paris - Le roi des Latins Azélinus la revendique par la force mais il est tué au combat avec deux de ses fils - Aventinus est le seul fils qui lui reste (187-191 = 888-884 a.C.n.)

[p. 46] [Yborus, ly dus de Galle, fondat Lutesse ou Paris] Sor l'an David CIIIIxx et VII, qui fut li an del origination de monde IIIIm IIIc et XII ans, et li an del nativiteit Abraham MC et XXIX, et li an del destruction de Troie IIc IIIIxx et XIIII par I mardi, le deraine journée de may, astoit Yborus, li dus de Galle, aleis chevalchier et cachier en unc bois awec ses barons. Si vient en unc lieu plain sor une riviere que ons nomme Saine, où ilh faisoit moult beal et joli, fours tant que en plus beal del plain avoit croliches et palus que ons apelle lintes : chu sont enssi que mares. Si plaisit mult bien à duc Yborus, et dest qu'ilh y feroit, por l'amour del belle plache et del riviere, là fondeir I citeit en droit lieu où les mares astoient ; et mandat ovriers de tout manieres à chu apartinant. Se le fist commenchier, et fut parfaite dedens II ans là apres ; et le nommat Lutesse, solonc le lieu où ilh seoit, qui puis fut par gran nobleche Paris, et encors est-el ajourd'huy, enssi que vos oreis chi-apres.

[p. 46] [Yborus, le duc de Gaule, fonde Lutèce ou Paris] En l'an 187 de David (888 a.C.n.), qui fut l'an 4312 de l'origine du monde, l'an 1129 de la naissance d'Abraham, et l'an 294 de la destruction de Troie, un mardi, le dernier jour de mai, Yborus, duc de Gaule, était allé chevaucher et chasser dans une forêt avec ses barons. Il arriva dans une plaine comportant un fleuve nommé Seine ; le lieu était très beau et agréable, sauf que le plus bel endroit de la plaine comportait des fondrières et des marais, appelés lintes (ce sont des sortes de mares). L'endroit plut beaucoup au duc Yborus, qui, séduit par le bel emplacement et la rivière, dit qu'il fonderait une cité exactement à l'endroit de ces marécages ; il fit venir des ouvriers, aptes aux différents métiers requis. Les travaux commencèrent et la cité fut achevée en deux ans. Il l'appela Lutèce, du nom de l'endroit où elle était située. Elle devint ensuite l'illustre ville de Paris, qu'elle est encore aujourd'hui, comme vous l'entendrez plus loin.

[Guere entre le duc de Galle et le roy des Latins] Item, l'an David CXCI, oit grant batalhe entre le roy Azelinus des Latiens et son cusin le duc Yborus de Galle, por tant que li roy Azelinus disoit que li dus Yborus avoit edifiiet la citeit de Lutesse deseurdit sor sa terre, et que il auroit la citeit ; et Yborus li contredist. Si oit Yborus victoir contre luy, et fut Azelinus desconfis ; si enfuit sa voie, et perdit IIm hommes et ses II fis Aurelius et Ascanus, et ne li demorat que unc seul fis, qui oit nom Aventinus. [...]

[Guerre entre le duc de Gaule et le roi des Latins] En l'an 191 de David (884 a.C.n.) se déroula une grande bataille entre Azélinus, roi des Latins, et son cousin Yborus de Gaule. Le roi Azélinus disait que le duc Yborus avait construit la dite cité de Lutèce sur son propre territoire et qu'elle lui revenait. Yborus s'opposa à lui et l'emporta sur Azélinus qui fut vaincu. Mis en fuite, il perdit deux mille hommes et ses deux fils, Aurélius et Ascanus. Il ne lui en resta qu'un seul, nommé Aventinus. [...]

 

Successions chez les Latins : Azélinus est frappé par la foudre - Aventinus, fondateur de nombreuses cités, lui succède - À sa mort, il est remplacé par son fils Procas (200-241 de David = 875-834 a.C.n.)

[p. 47] Sor l'an David IIc, morut li roy de Latiens Azelinus par une effoudre qui chayt seur luy et le tuat ; si regnat apres luy son fis Aventinus XLI ans.ans.

[p. 47] En l'an 200 de David (875 a.C.n.), le roi des Latins Azélinus mourut, frappé par la foudre qui tomba sur lui et le tua. Son fils Aventinus régna après lui pendant quarante et un ans.

[Aventine fut edifiiet] Item, l'an David IIc VI, fondat Aventinus, le roy de Latien, I citeit qu'ilh nommat Aventine ; et fut edifiiet deleis Eneoch et les altres que ses devanttrains roys avoient fondeit, dont ilh en estoit plus de XIIII citeis qui seioient pres l'une de l'autre ; et se fist corrir l'aiwe d'entres les montangnes de Albanie parmy cel citeit. [...]

[Aventine est édifiée] En l'an 206 de David (869 a.C.n.), Aventinus, le roi des Latins, fonda une cité qu'il nomma Aventine ; elle fut construite près d'Énéoch et près des autres cités qu'avaient fondées les rois ses devanciers. Il y avait plus de quatorze cités proches les unes des autres ; et on fit couler l'eau des monts Albains à travers cette cité. [...]

 [De la citeit Aventines] Item, l'an David IIc et XXXVIII, fondat li roy des Latiens Aventinus une citeit deleis la citeit de Eneoch, qu'ilh appellat Aventinois, mains elle fut plus grande de l'autre, car el tient III lieu de circuitut. Celle an meisme fut neis Agirofle le philosophe. [...]

 [La cité Aventine] En l'an 238 de David (837 a.C.n.), le roi des Latins Aventinus fonda une cité près d'Énéoch, qu'il appela Aventinois, et qui était plus grande que l'autre, car elle avait un périmètre de trois lieues. Cette même année, naquit le philosophe Agirofle (?). [...]

[p. 48] En cel an meismes morut Aventinus, li roy des Latiens, en decembre ; si fut apres luy roy son fis Procha, qui regnat XXV ans. [...]

[p. 48] Cette même année (241 de David = 834 a.C.n.) en décembre, mourut Aventinus, le roi des Latins. Son fils Procas lui succéda et régna vingt-cinq ans. [...]

 

Procas et Amulius, rois des Latins, font des conquêtes importantes en Occident et imposent un tribut aux nations d'Europe, à l'exception des Gaulois/Sicambres, qu'ils redoutent pour leur vaillance et leur puissance (258-266 de David = 817-809 a.C.n.)

[p. 49] [De roy de Latins] A cel temps conqueroit fortement par-decha ly roy des Latiens entour luy sor ses voisiens, car ilh astoit si combattans et si redobteis que les altres nations obeissoient toutes à luy, excepteit le roy de Galle.

[p. 49] [Le roi des Latins] À cette époque (258 de David = 817 a.C.n.), le roi des Latins (Procas) faisait force conquêtes sur ses voisins, car il était combatif et redouté au point que les autres nations lui obéissaient, hormis le roi de Gaule.

[Del poissanche des Sycambiens] Chis n'y obeissoit de riens à li, anchois se defendoit sy bien, luy et ses gens, que li roy Procha mult le doubtoit ; car ilhs astoient si poissans et si vertueux, les Galliens et les Sycambiens, que chascons les dobtoit. Et regnarent en chesti gran vertu jusques al temps Constant Cesaire, le fis l'empereur Constantin le Gran, qui donnat Rome al pape et à Sainte-Engliese. [...]

[La puissance des Sicambres] Celui-ci ne lui obéissait en rien ; lui et ses gens se défendaient si bien que le roi Procas les redoutait. Les Gaulois et les Sicambres étaient si puissants et si vaillants que tout le monde les craignait. Ils conservèrent d'ailleurs cette grande vaillance jusqu'au temps de Constant César, le fils de Constantin le Grand, qui donna Rome au pape et à la Sainte-Église. [...]

Item, l'an David IIc et LXVI, morut Procha li roy des Latiens, qui avoit regneit XXV ans. Chis roy Procha fut mult poissans hons ; ilh conquist dedens les XXV ans qu'ilh regna X liewes tout al tour de luy, et si en tenoit bien XX liewe, ch'estoit XXX liewes qu'ilh tenoit tout entour de luy.

En l'an 266 de David (809 a.C.n.), Procas, le roi des Latins, mourut après un règne de vingt-cinq ans. Ce Procas fut très puissant : durant ses vingt-cinq ans de règne, il conquit dix lieues de territoire autour du sien. Comme il en possédait déjà vingt, il avait ainsi un territoire de trente lieues.

[Ly roy Amelius de Latins conquist mult de pays] Apres Procha, le [p. 50] roy des Latiens, regnat son fis Amelius LX ans. Chis fist mult de mervelhes en son temps ; car se Procha, son pere, fut valhans, chis le fut asseis plus, et conquist tant de terre qu'ilh tenoit plus tot seul que toutes les altres nations ne fasoient ensemble ; et se n'avoit nation en tout Europ que ilh ne rendist tregu à luy, fours que les Gallyens et Sycambriens. [...]

[Le roi Amulius des Latins conquiert beaucoup de pays] Après Procas le [p. 50] roi des Latins, son fils Amulius régna durant soixante ans. Il accomplit nombre d'exploits prodigieux de son vivant ; car, si son père Procas fut valeureux, lui le fut davantage et conquit plus de territoires à lui seul que toutes les autres nations réunies. Il n'y avait en Europe aucune nation qui ne lui devait pas le tribut, à l'exception des Gaulois et des Sicambres. [...]

 


 

V. La naissance de Romulus et de Rémus

 

Rhéa, fille du roi des Latins Numitor évincé par Amulius, et engrossée par le dieu Mars, met au monde deux jumeaux, qui seront allaités par une louve, puis recueillis et élevés par Faustulus et Larentia (282 de David = 793 a.C.n.)

[p. 50] [Coment Mars engrossat Rea, qui astoit virgue, de II enfans : Romulus et Remus] Item, l'an David IIc IIIIxx et II, cachat ly roy Amilius de Latiens son frere, qui fut nommeis Minitoir, de son regne. Portant que chis Minitoir avoit une tres-belle filhe virge, qui oit nom Rea, se le fist entreir en temple de Mars, leurs dieu, et toute nue devestire ; et Mars li dieu couvertement et sponsement ghut awec charnailement ; se l'engrossat de dois enfans marles, dont li promirs nasquans fut nommeis Romelus, et li derains fut nommeis Remus ; de ches II germeais parlerons chi-apres. Mains totvoie la mere fut enfoiie tout vive por cel inceste sorlonc la loy, et li pere Minitoir fut banis, car ons ne le pot tenir : ch'estoit  I gran clers ; si fist chu por chu qu'ilh savoit bien que elle conchiveroit enfans de grant valeur.

[p. 50] [Mars engrosse Réa, qui était vierge, et lui fait deux enfants : Romulus et Rémus] En l'an 282 de David (793 a.C.n.), Amulius, le roi des Latins, détrôna son frère nommé Numitor. Ce Numitor avait une fille, appelée Rhéa, une vierge très belle. Il l'avait fait entrer, entièrement dévêtue, dans le temple de Mars, leur dieu, et celui-ci, en secret et comme s'il était son époux, avait couché avec elle et l'avait connue charnellement. Il l'avait rendue enceinte de deux enfants mâles, dont l'aîné fut appelé Romulus et l'autre Rémus, deux jumeaux dont nous reparlerons. Pour cet inceste aux yeux de la loi, la mère avait été enterrée vive et son père Numitor avait été banni, car on ne pouvait le conserver (dans la cité). C'était un grand clerc. Il avait agi de la sorte, sachant bien que sa fille concevrait des enfants de grande importance.

[Mervelhe comment une leuve alaitat lesdit II enfans] Lesqueiles germeals, quant ilh furent neis, furent al commendement de roy jetteis en dois bussons qui astoient al entrée d'unc gran bois sor la riviere de Tyberis, et là les alaitat une leuve par VIII jour et plus. Adont les trovat unc pastureals, qui fut nommeis Faustulus, qui les portat en son maison à sa femme, qui avoit à nom Laurenche, qui les nourist et alevat.

[Prodige : une louve allaite les deux enfants] Dès leur naissance, ces jumeaux, sur ordre du roi Amulius, furent jetés dans deux buissons, à l'orée d'une grande forêt, le long du Tibre ; là, ils furent allaités durant plus de huit jours par une louve. Ensuite un berger, nommé Faustulus, les découvrit, les emporta dans sa maison et les confia à sa femme, qui avait pour nom Larentia. Celle-ci les nourrit et les éleva.

[De la belle Laurenche qui apres nourist les dis enfans] Ceste Laurenche estoit la plus belle femme de tout le pays ; mains elle estoit tout commune à tous hommes por argent gangnier ; [p. 51] et gangnat tant que ch'estoit mervelhe. Et por le raison qu'elle estoit si commune, se voisiens l'apellarent leuve, et sa maison lovetrie ; à laqueile prisent leur nom toutes les maisons où femme se laissent congnoistre commonnement por argent. Enssi furent Romulus et Remus aleitiés de dois leuves : promier de la beiste, et apres de Laurenche ; enssi que nos le vos avons deviseit, le dist Martin, le penitanchier del pape, en ses croniques, et Tytus Livus et pIuseurs altres ; et dient que ons le troive à Romme enssi en escript, en marbre et altres pires, que ons le truve là à perpetuel memoire.

[La belle Larentia nourrit ensuite les enfants] Cette Larentia était la plus belle femme de tout le pays ; mais elle s'offrait à tous les hommes pour de l'argent [p. 51], et elle en gagna en quantité prodigieuse. C'est parce qu'elle donnait son corps à tous que ses voisins l'appelèrent 'louve' et sa maison 'lupanar'. D'où le nom de toutes les maisons où des femmes se laissent connaître à tout venant pour de l'argent. Ainsi Romulus et Rémus furent allaités par deux louves : d'abord par un animal et ensuite par Larentia. Martin, le pénitencier du pape, le dit dans ses chroniques, comme nous vous l'avons raconté. Tite-Live et beaucoup d'autres le disent aussi. Ils ajoutent que l'on trouve cette histoire écrite à Rome, sur le marbre et sur d'autres pierres, pour en perpétuer le souvenir.

 

Amulius conquiert l'Allemagne et la Grande-Bretagne - Il fonde des villes

[p. 51] Item, l'an David IIc IIIIxx et III, conquist li roy des Latiens Amilius tout Allemangne, et le metit en tregut, et demorat en tregut bien V ans. [...]

[p. 51] En l'an 283 de David (792 a.C.n.), le roi des Latins Amulius conquit toute l'Allemagne et la soumit au tribut, durant cinq ans au moins. [...]

Item, l'an David IIc XCI, alat li roy Amilius en la Grant-Bretangne por conquesteir, et le conquist, se le mist en tregut.

En l'an 291 de David (784 a.C.n.), le roi Amulius partit à la conquête de la Grande-Bretagne, la conquit et lui imposa le tribut.

 En cel an meisme, edifiat li roy des Latiens une citeit deleis les altres deseurdit, et l'apellat Romeck, et apres encor I altre.

 Cette même année, le roi des Latins édifia, près des villes citées plus haut (p. 49) une ville appelée Romech, et en fonda encore une autre par la suite.

 

Amulius veut aussi s'emparer de la Gaule - Il s'y reprend à cinq reprises, sans succès, mais, au cours de la dernière attaque, il tue le duc Yborus - Il fait la paix avec les Gaulois, en épousant Oderne, veuve d'Yborus et mère du duc Hector (296-302 de David = 779-773 a.C.n.)

[p. 51] Item, l'an David IIc XCVI, alat li roy Amilius des Latiens en Galle por conquesteir ; mains ilh fut trois fois desconfis dedens I an. [...]

[p. 51] En l'an 296 de David (779 a.C.n.), le roi Amulius partit à la reconquête de la Gaule ; mais il fut défait à trois reprises en une année. [...]

Et II ans apres, morut Yborus, ly dus de Galle, en une batalhe. Se le tuat Amilius, li roy des Latins, qui astoit l'an devant raleit la seconde fois en Galle por conquerre : si fut V fois desconfis, et à la Ve fois, combien qu'ilh fust desconfis, fut ochis li noble dus Yborus, et Amilius en son pays soy retrahit ; si jurat que jamais ne rentroit en Galle, car chu estoient gens esprovées.

Deux ans après [l'élection de Bocchoris en Égypte (773 a.C.n.)], au cours d'une bataille, mourut Yborus, le duc de Gaule. C'est Amulius, le roi des Latins qui le tua ; il était retourné en Gaule une deuxième fois pour la conquérir. Il y fut vaincu à cinq reprises, et la cinquième fois, bien que battu, il tua le noble duc Yborus. Amulius se retira alors dans son pays, jurant qu'il ne retournerait plus en Gaule, car c'était un peuple qui avait fait la preuve de sa force.

[De dus de Galle] Apres la mort Yborus, fut dus de Galle son fis Ector, qui regnat L ans. En cel an meisme esposat li roy de Latins [p. 52] Amilius Oderne, le femme li dus de Galle Yborus, et mere à duc Ector de Galle, en confirmant la pais entre le roy et le duc. [...]

[Le duc de Gaule] Après la mort d'Yborus, son fils Hector devint duc de Gaule et régna durant cinquante ans. La même année, le roi des Latins [p. 52] Amulius épousa Oderne, femme du duc Yborus et mère d'Hector de Gaule, renforçant la paix entre le roi et le duc. [...]

 

Des jumeaux homonymes viennent « doubler » les enfants nés de Rhéa et de Mars : ils sont les fils d'Amulius et d'Oderne, veuve d'Yborus (306 de David = 769 a.C.n.)

[p. 52] Item, l'an David IIIc et VI, astoit aleis joweir li roy Amilius des Latins en la citeit de Remech, et là engenrat-ilh en corps de sa femme, le XV jour de may, à une fois II enfans, lesqueiles furent al chief del terme neis en une altre citeit qui oit nom Romech ; et, quant li roy veit que sa femme Oderne estoit delivrée de dois enfans marles, se nommat le promier qui nasquit, solonc la citeit de Romech en laqueile ilh astoit neis, Romelus ; et l'autre ilh nommat Remus, solonc le nom de la citeit de Remeche, où ilh furent engenreis. Ches dois enfans, Romelus et Remus, furent freres à dus Ector, le duc de Galle, de part leur mere ; si furent nouris et alleveis sique fils de roy.

[p. 52] En l'an 306 de David (769 a.C.n.), le roi des Latins, Amulius, était allé jouter dans la ville de Remech (p. 51), et là, le 15 mai, avec sa femme, il engendra deux enfants en même temps. Ces enfants, au terme de la gestation, naquirent dans une autre cité, qui s'appelait Romech. Quand le roi vit que sa femme Oderne avait mis au monde deux enfants mâles, il donna au premier le nom de Romulus, d'après celui de la ville de Romech, l'endroit de la naissance. Il appela l'autre Rémus, d'après le nom de la ville de Remech, où ils avaient été conçus. Par leur mère, ces deux enfants Romulus et Rémus étaient les frères du duc Hector de Gaule. Ils furent nourris et élevés en fils de roi.

Item, les altres Romelus et Remus, qui furent enfans de Mars leur dieu engenreis, si com nos avons [p. 53] dit, en corps de Rea, la filhe Minitoir, frere à roy Amilius, sont ens en bois nouris de Laurenche, le femme al pastour, dont nos parlerons quant temps iist. [...]

Les autres Romulus et Rémus, les enfants du dieu Mars, avaient été, comme nous l'avons [p. 53] dit, conçus avec Rhéa, fille de Numitor, le frère du roi Amulius, et nourris dans les bois, par Larentia, la femme du berger. Nous reparlerons d'eux le temps venu. [...]

 

Le dieu Mars, sachant Amulius près de mourir, substitue ses propres fils à leurs homonymes humains (325-326 de David = 750-749 a.C.n.)

[p. 53] [Grant mervelhe comment Mars soy transmuat] Item, l'an David IIIc et XXV, transmuat Mars, le dieu des batailhes et li dies des Latins, les figures Romelius et Remus en la semblanche des figures de Romelus et de Remus, les enfans le roy Amilius, tout entirement de corps, de vestimens, de parolles, de sens et de tout ; et se les fist demoreir awec le roy une nuit en dormant, si que le matinée ilh furent ansi adeistre à la court que doncque fussent [p. 54] les altres. Et les aultres, qui astoient drois fis de roy, ilh mist demoreir awec Laurenche, en le maison le pastour, ensyment transmueis. Et chu fist-ilh portant que li roy Amilius devoit morir, qui morut l'an del coronation le roy David IIIc et XXVI.

[p. 53] [Grand miracle : la transformation opérée par Mars] En l'an de David 325 (750 a.C.n.), Mars, dieu des batailles et dieu des Latins, métamorphosa ses propres fils Romulus et Rémus, en leur donnant intégralement l'apparence de Romulus et Rémus, les fils du roi Amulius : corps, vêtements, parole, intelligence. Il les fit demeurer avec le roi pendant une nuit de sommeil, et le matin ils furent aussi à l'aise à la cour [p. 54] que s'ils avaient été les vrais fils du roi. Quant à ces derniers, il les installa à demeure chez Larentia, dans la maison du berger, métamorphosés eux aussi. Il avait agi ainsi, car il savait que le roi Amulius était près de mourir, ce qui arriva en l'an de David 326 (749 a.C.n.).

 

Rémus, chassé par Romulus qui veut régner seul, obtient de son 'demi-frère' Hector le territoire de Champagne, où il fonde Reims, terminée en l'an 328 de David (747 a.C.n.) - Retournant à Rome, Rémus y est finalement tué par un berger

[p. 54] [Romelus encachat son freire Remus] Apres Amilius furent fais roys les dois germeais Romelus et Remus ; mains Romelus, por tant qu'ilh nasquit devant, voloit eistre roy tot seul. Si encachat son frere, et fist crier I bam par tout son rengne, qui poroit Remus son frere ochire, ilh le feroit riche home. Quant Remus entendit teiles noveles, si s'enfuit en la terre le duc de Galle portant qu'ilh n'astoit point en la subjettion le roy des Latins, et vient à Lutesse ; si trovat Ector, le duc son frere, car ilh quidoit estre le fis al roy Amilius de Oderne, la mere Ector, et li comptat comment son frere Romelus l'avoit decachiet por tant qu'ilh voloit avoir la terre tout seuls. Et Ector li respondit : « Beais frere, ne vos esmayés pas, car je vos donne tout la terre de Champangne, qui est uns beais pays. » De chu le remerchiat mult Remus.

[p. 54] [Romulus chasse son frère Rémus] Après Amulius, les deux jumeaux Romulus et Rémus devinrent rois ; mais Romulus, parce qu'il était né le premier, voulait régner seul. Il chassa son frère et fit proclamer dans tout le royaume qu'il rendrait riche l'homme qui réussirait à tuer Rémus. En apprenant cela, Rémus s'enfuit dans les terres du duc de Gaule, qui n'était pas soumis au roi des Latins. Arrivé à Lutèce, il y trouva le duc Hector, son frère, car il croyait être le fils d'Amulius et d'Oderne, mère d'Hector. Il lui raconta comment son frère Romulus l'avait chassé, parce qu'il voulait tout le royaume pour lui seul. Hector lui répondit : « Beau frère, ne vous inquiétez pas, car je vous donne toute la terre de Champagne, qui est un beau pays ». Rémus l'en remercia beaucoup.

[Coment Remus, le frere Romulus, fondat Rains en Campangne] Si habitat en Champangne, où ilh avoit des vilhes asseis ; mains Remus fondat I noble citeit qu'ilh apellat Rains solonc son nom, et c'est Rains en Champangne, qui fut parfaite l'an David IIIc et XXVIII, le quart jour de marche, qui fut ly an del origination de monde IIIIm IIIIc et LII ans.

[Rémus, le frère de Romulus, fonde Reims en Champagne] Il habita en Champagne, où il y avait déjà beaucoup de villes. Il y fonda une cité célèbre, qu'il appela Reims, d'après son nom. C'est Reims en Champagne, qui fut achevée le 4 mars de l'an 328 de David, ce qui correspond à l'an 4452 de l'origine du monde (747 a.C.n.).

Et quant elle fut parfaite, si s'en alat vers Romulus, son frere, proyer et requerir qu'ilh li vosist delivreir peuple por puepleir sa citeit ; mains, enssi qu'ilh venoit al entrée de Eneoch, le recognuit I pastureal qui là gardoit les beistes, se prist I rosteais, se le ferit et le tuat. En teile maniere fut Remus mors ; mains, quant Romelus le soit, se le fist ensevelir, et puis alat contre son commant, car ilh fist le pastureal pendre.

Quand Reims fut achevée, Rémus alla trouver Romulus son frère pour le prier et lui demander de consentir à libérer des gens qui viendraient peupler sa cité. Mais, alors qu'il se trouvait à l'entrée d'Énéoch, un berger, qui gardait des animaux, prit un râteau, le frappa et le tua. Ainsi mourut Rémus ; quand Romulus apprit cela, il le fit ensevelir, puis agit contrairement à son ordre, car il fit pendre le berger.

 

Présentation d'une variante plus conforme à la tradition annalistique romaine : Romulus et Rémus, chefs de bande, tuent Amulius et remettent Numitor sur le trône

[p. 54] Ors vous avons deviseit tout le faite et l'engenrement de Romelus et de Remus, et leur nascenche et leur estat tant que Romelus fut roy, enssi que Tytus Livus et Martin, le penitanchier le pape, le devisent en leurs croniques. Mains Orosius dist ensi, excepteit qu'ilh ne parolle nient de dois germeais que ly roy Amilius oit de Oderne, sa femme ; ains conclut à chu que, sor l'an David IIIc et XXVI deseurdit, Romelus et Remus, qui, del heure qu'ilhs furent percrus grans, devinrent laurons et robeurs de bois, assembleit se sont, I jour qu'ilh seurent que li roy Amilius [p. 55] devoit aleir cachier en bois où ilhs habitoient, tous les pastureis et larons qu'ilh porent avoir ; si assalhirent le roy Amilius, qui avoit leur ayon, le pere de leur mere, qui fut nommeis Minitoir, banit, et Rea leur mere enfoye tot vive et jetteir el rivaige del Tyberis, enssi que dit est ; se l'ochirent, et se soy fisent roy, et remandont leur ayon et le remisent en regne.

[p. 54] Nous venons de vous raconter tout ce qui concerne la conception de Romulus et Rémus, leur naissance et leur situation, la royauté de Romulus, d'après les chroniques de Tite-Live et de Martin, le pénitencier du pape. Orose dit la même chose, sauf qu'il ne parle pas des deux jumeaux qu'Amulius avait eus de sa femme Oderne ; il conclut que, en l'an 326 de David (749 a.C.n.), Romulus et Rémus, devenus adultes, devinrent des brigands et des maraudeurs dans les bois. (Il dit aussi) qu'un jour où ils savaient que le roi Amulius [p. 55] devait aller chasser dans le bois où ils habitaient, ils rassemblèrent tous les bergers et les brigands qu'ils purent réunir. Ils attaquèrent alors le roi Amulius, qui avait banni leur aïeul, Numitor, père de leur mère Rhéa. Amulius avait enterré vivante leur mère Rhéa et les avait jetés, eux, sur la rive du Tibre, comme cela a été dit. lls le tuèrent et devinrent rois. Ils firent revenir leur aïeul, qu'ils remirent sur le trône.

 


 

VI. la fondation de Rome - Romulus et son règne - la digression sur les Mirabilia et les indulgentiae

 

Romulus, premier empereur des Latins (330 de David = 745 a.C.n.)

[p. 55] [Li promier emperreir que les Latins firent] A cel temps astoit li peuple des Latins si grans et si poissans et si orgulheux, qu'ilh ne soy poioit recognostre ; et s'avisarent I jour que presque toutes les nations de monde astoient en leur subjection, et que Romelus astoit li soverain roy de monde et li plus poissans, et par la nobleche de ly ilh devoit bien monteir en honneur.

[p. 55] [Le premier empereur que se donnent les Latins] À cette époque, le peuple des Latins était devenu si grand, si puissant et si fier qu'on ne pouvait le reconnaître. Les Latins s'avisèrent un jour que presque toutes les nations du monde leur étaient soumises, que Romulus était le roi suprême et le plus puissant du monde, et que, vu sa célébrité, il devait bien monter en dignité.

 Adont de common assent et acorde de tous, ilhs fisent uns empereur de leur roy, qui avoient esteit simples roys des le temps Saturnus, devant la destruction de la grant Troie et jusques à Romulus ; mains Eneas n'astoit mie de cel nation, ains astoit Troians, si que Romelus astoit dequendus de Eneas, et partant tous les empereurs de Romme nommat-ons Eneade ; et fut Romelus li promier empereur fais de part ses gens, enssi que dit est, et IIII ans apres chu qu'ilh oit esteit roy, assavoir l'an David IIIc et XXX, et regnat com empereur XXXVI ans. [...]

 Alors de l'avis général et d'un commun accord, ils nommèrent leur roi empereur. Jadis, ils avaient eu de simples rois, depuis le temps de Saturne, avant la destruction de la Grande Troie et jusqu'à Romulus. Énée n'était pas de cette nation, il était Troyen, mais comme Romulus était un descendant d'Énée, tous les empereurs de Rome furent nommés Énéades. Bref, Romulus fut le premier empereur désigné par son peuple, comme on l'a dit, après avoir été roi quatre ans, en l'an 330 (745 a.C.n.) de David. Il fut empereur pendant trente-six ans. [...]

 

Romulus, ayant échoué à conquérir la Grèce, rassemble en une enceinte les bourgades préexistantes, appelle la nouvelle ville Rome, d'après son nom, et nomme cent sénateurs (344-348 de David = 731-727 a.C.n.)

Item, l'an David IIIc et XLIIII, fut [p. 56] Romelus en la terre de Gresche, et le volt conquerre, mains ilh ne pot à cest fois.

En l'an 344 de David (731 a.C.n.), [p. 56] Romulus alla en Grèce et voulut la conquérir, mais il ne réussit pas à le faire cette fois-là.

[Le commenchement de Romme par Romulus] Sor l'an del coronation le roy David IIIc et XLVII, commenchat Romelus à edifier la grant citeit de Romme ; si mandat ouvrirs par tout Europ, et assemblat toute la mateire que ilh besongnoit à son ouvraige ; se fist encloire de murs toutes les citeis que ses devantrains avoient fondeit, dont la plus grant astoit Eneoch, que Eneas fondat ; et toutes les altres qui là altour astoient fondées, por tant qu'ilh gisoient toutes en unc reon à une liewe ou demy pres, et si en estoit par compte XXXVI citeis, encloyt ou fist encloire Romelus ; et en fist une seul citeit, et leurs tollit leurs noms, quant elle fut parfaite, et appellat solonc son nom celle citeit Rome, et encor at-ilh à nom Romme. Mains nos en parlerons plus plainement à la perfection, quant ilh serat parfaite, mist XII ans al faire ; si revenrons chi-apres à la mateire.

[Romulus commence la ville de Rome] En l'an 347 du couronnement de David (728 a.C.n.), Romulus se mit à construire la grande cité de Rome, rassemblant tous les matériaux dont il avait besoin. Il fit entourer de murailles toutes les cités fondées par ses prédécesseurs. La plus grande était Énéoch, une construction d'Énée, mais il y avait aussi les autres, installées tout autour, à une lieue et demie à la ronde. On en comptait 36. Il supprima leurs anciens noms et fit avec le tout une seule ville, à laquelle, au terme de son oeuvre, il donna le nom de Rome, tiré du sien. Ce nom, elle le porte encore aujourd'hui. Mais nous en parlerons plus longuement lorsque elle sera complètement achevée, ce qui prit douze ans. Revenons maintenant à notre matière.

[Les promirs senateurs] Item, l'an David IIIc XLVIII instablit Romelus des senateurs, cent chevaliers des plus saiges et plus souffissans qui fussent à Romme. Ches senateurs astoient al maniere de juges, enssi que les hommes l'empereur et de son conselhe : si en fut cent à cest fois. [...]

[Les premiers sénateurs] En l'an 348 de David (727 a.C.n.), Romulus institua des sénateurs, cent chevaliers, parmi les plus sages et les plus compétents des habitants de Rome. C'étaient des sortes de juges, ainsi que les hommes de l'empereur et ses conseillers. Cette fois-là, il y en eut cent. [...]

 

Date de l'achèvement de Rome (an 365 de David = 710 a.C.n.)

 

[p. 58] [De Romme comment elle fut parfaite] Ors est raisons que nos devisons de la perfection de la citeit de la grant Romme, qui fut parfaite chi endroit.

[p. 58] [L'achèvement de Rome] Il convient maintenant que nous parlions de l'achèvement de la cité de la grande Rome, qui eut lieu à ce moment.

 Romme la grant fut fondée, enssi que nos vos disons, sor l'an del origination de monde IIIIm IIIIc IIIIxx et IIII, qui fut li an del deluve Noé IIm IIc et XLII ans, qui fut l'an del nativiteit Abraham M et IIIc, qui fut l'an del nativiteit Ysaac, le fis Abraham, M et IIc, et l'an del nativiteit Jacob, le fis Ysaac, MC et XL, et l'an del nativiteit Joseph, le fis Jacob, M et LII, et l'an del destruction del grant Troie IIIIc et LXV, et l'an del coronation le roy David IIIc et LXV, le thier an de la XIIIe olimpiade, al XXe année del coronation le roy de Judée Ezechias, le fis Achas ; le promier jour de junne, fut tout parfaite et sollempnisié solonc leur loy, et fait grant fieste, et fut apellée Romme apres Romelus, et fut faite le chief chatedrail de tout l'empire de Romme. [...]

 La grande Rome fut fondée, comme nous vous le disons, en l'an 4484 de l'origine du monde, qui était l'an 2242 du déluge de Noé, l'an 1300 de la naissance d'Abraham, l'an 1200 de la naissance d'Isaac, le fils d'Abraham, l'an 1540 de la naissance de Jacob, le fils d'Isaac, l'an 1052 de la naissance de Joseph, le fils de Jacob, l'an 465 de la destruction de la Grande Troie, l'année 365 du couronnement de David, la troisième année de la treizième Olympiade, la vingtième année du couronnement du roi de Judée Ézéchias, le fils d'Achas ; elle fut achevée le premier jour de juin et inaugurée solennellement, selon leur loi, par une grande fête. Elle fut appelée Rome, d'après Romulus, et devint la capitale de tout l'empire de Rome. [...]

 

 

Digression : deux évocations de rois de Rome dans les Mirabilia

 

a) Sur le Palais de la Paix et la statue de Romulus

[p. 61] Item, le palais de Pais, où Romulus metit l'ymaige de luy tout d'or ; et par-deleis fist puis Virgile une columpne, et sus une ymage de virge, et dest : « Quant une virge enfant aurat, chest ymaige chairat ; » enssi que vos oreis chi-apres à temps de Virgile. [...]

[p. 61] [Il y avait] le palais de la Paix, où Romulus plaça sa statue en or. Près de là plus tard, Virgile fit une colonne, surmontée de l'image d'une vierge, disant : « Quand une vierge aura un enfant, cette image tombera. » Vous en entendrez parler plus tard, au temps de Virgile (cfr I, p. 234 et 435 ; cfr aussi I, p. 484) [...]

b) Sur le Cirque de Tarquin l'Ancien

[p. 66] Devant cesty temple astoit li ars Prisci Tarquini, droit entre le mont Aventin et le gran palais, où ilh avoit II portes, l'une vers orient et l'autre vers [p. 67] occident, qui astoit de mervelheux bealteit, et qui par teile maniere astoit disposeit que nuls Romans ne poioit defendre li uns l'autre à veioir les jeux que ons faisoit illuc. Item, là estoient II chevals de erain doreis en la halteche del arch et des portes eleveis, li uns vers orient et l'autre vers occident, qui, par leur disposition et l'art de quoy Virgile les avoit faite, avoient le vertu de provoqueir les chevals à corir, lesqueis chevals Constantin les portat awec luy en Constantinoble. [...]

[p. 66] Devant ce temple se trouvait l'arc [circus chez Martin] de Tarquin l'Ancien, juste entre le mont Aventin et le grand Palais. Il avait deux portes, l'une à l'est et l'autre à l'ouest [p. 67]. Le bâtiment était d'une merveilleuse beauté et construit de façon telle qu'aucun Romain ne pouvait empêcher un autre de voir les jeux qui s'y déroulaient. Il y avait aussi deux chevaux en bronze doré au-dessus de l'arc et des hautes portes, l'un vers l'est et l'autre vers l'ouest. Par leur position et l'art avec lequel Virgile les avait réalisés, ils avaient le pouvoir de pousser les chevaux à la course. Ces chevaux, Constantin les emmena avec lui à Constantinople. [...]

 

 Mort spectaculaire de Romulus - Il avait désigné cent sénateurs et mille chevaliers, appelés milites, d'après leur nombre (366 de David = 709 a.C.n.)

[p. 85] [Romulus, ly promier emperere de Romme, morut mervelheusement] Item, sor l'an del coronation le roy David IIIc et LXVI, le promier jour de avrilh, morit li promier emperere de Romme, Romulus qui avoit regneit XL ans, assavoir IIII ans com roy des Latins et XXXVI ans com emperere, et ilh morut sens heurs ; et portant qu'ilh astoit ochis d'one tempeste à Palude, où unc tonoir et alumyre s'enlevat, si fut pris et enclouz de nuléez tout entour son corps, siqu'ilh ne paroit riens de ly, et enssi fut-ilh ochis. Et apres revient la clarteit à ses gens qui le veirent là mors, li et son cheval ; si l'emportarent à Romme. Enssi fut mors Romulus, qui fut mult valhans, hardis et entreprendant emperere.

[p. 85] [Romulus, premier empereur de Rome, meurt de façon mystérieuse] En l'an 366 du couronnement de David (709 a.C.n.), le premier jour d'avril, Romulus, premier empereur de Rome, mourut sans héritiers après un règne de quarante ans : quatre ans comme roi des Latins, et trente-six ans comme empereur. Il périt à Palude, lors d'une tempête accompagnée de tonnerre et d'éclairs. Son corps fut saisi et entièrement enveloppé d'un nuage, au point qu'on ne vit plus rien de lui. C'est ainsi qu'il fut tué. Lorsque la clarté revint, ses sujets le découvrirent mort, avec son cheval, et ils l'emportèrent à Rome. Ainsi mourut Romulus, qui fut un empereur très valeureux, hardi et entreprenant.

[Coment Romulus promierement eslisit cent senateurs de son conselhe - Des senateurs de Romme] Ilh fist grant honneur à Romme, car ilh y enlisit cent senateurs, tous grandes gens et [p. 86] nobles, qui astoient de son conselhe. Apres ilh eslisit milh chevaliers (combattans que por le nombre de mil ilh appelat milites, che sont chevaliers : mss B) qui defendoient le pays.

[Romulus choisit d'abord cent sénateurs dans son conseil - Les sénateurs de Rome] Il avait fait grand honneur à Rome, en y choisissant cent sénateurs, toutes personnalités importantes et [p. 86] nobles, pour faire partie de son conseil. Puis, il avait choisi mille chevaliers (des combattants, qu'il avait appelés milites, vu leur nombre et qui étaient des cavaliers : mss B) chargés de défendre le pays.

 


 

VII. Les successeurs de Romulus

 

Numa Pompilius

 

 Numa, deuxième empereur, institue une solde pour les chevaliers (368 de David = 707 a.C.n.)

[p. 86] [De Nyma, le IIe emperere, que les senateurs eslirent] Apres le mort Romulus, qui astoit mors sens heures, le senateurs governont le regne sens emperere eslire par l'espaisse de I an et demy. Et al chief dedit terme enliurent entres eaux, de common acorde, Nyma Pompilius, qui estoit tres-puissant et noble ; et fut li uns des plus grans senateurs, liqueis regnat XL ans. A cel temps regnoit Ezechias en Judée.

[p. 86] [Numa, second empereur, élu par les sénateurs] Après la mort de Romulus décédé sans héritiers, les sénateurs gouvernèrent le royaume sans choisir d'empereur pendant un an et demi. Au terme de cette période, ils élurent entre eux, de commun accord, Numa Pompilius, un homme très puissant et illustre. C'était un des sénateurs les plus importants. Il régna quarante ans. À cette époque, Ézéchias régnait en Judée.

Chis emperere Nyma ordinat, l'an David IIIc LXVIII, comment les chevaliers doivent aleir en sadée, et servir les prinches par sadéez et por bien faire, de quoy ons n'avoit oncques devant useit. [...]

L'empereur Numa, en l'an 368 de David (707 a.C.n.), ordonna aux chevaliers de remplir leurs obligations militaires et de servir les princes contre une solde et dans l'intérêt général (?), ce qui n'avait jamais existé auparavant. [...]

 

Numa Pompilius réforme le calendrier, institue des lois et fonde la cité de Pompéi (705 a.C.n.)

[p. 86] [Nyma l’emperere adjostat à l’an II mois : jenvier, febrier] En cel meismes an adjostat Nyma Pompilius li emperere al an II mois : assavoir, jenvier et febrier ; car adonc n'avoit que X mois en l'an, mains ortant avoit de jours en X mois com ilh avoit en XII. [...]

[p. 86] [L’empereur Numa ajoute deux mois à l'année : janvier, février] Cette même année (705 a.C.n.), l'empereur Numa Pompilius ajouta deux mois à l'année, à savoir janvier et février. Une année alors ne comptait que dix mois, mais ils comprenaient autant de jours que les douze mois de Numa. [...]

[p. 87] [De l’emperere, coment ilh donnat loys as Romans] Item, Nyma Pompilius edifiat une citeit et l'apellat Ponpée et fut fondée cest citeit l’an David IIIc et LXXXIX. Item, l’an David IIIc XC et XCI et XCII, ordinat Nyma Pompilius, qui astoit uns gran clers et saige les loys et les donnat aux Romans. Et chis fut li promiers emperere qui donnat aux Romans loys, enssi que dist Ysidorus. [...]

[p. 87] [L'empereur donne une législation aux Romains] Numa Pompilius construisit une cité, fondée en l'an 389 de David (686 a.C.n.), et la nomma Pompéi. Durant les années 390, 391 et 392 de David, Numa Pompilius, qui était un savant important et sage, institua des lois et les imposa aux Romains. Selon Isidore1, il fut le premier empereur à donner des lois aux Romains [...]

1Isid., Etym., V, 1, 3, n'utilise toutefois pas le mot empereur pour qualifier Numa, mais celui de roi.

 

Numa fonde Nimègue mais ne réussit pas à soumettre la Gaule - Il meurt après quarante ans de règne (676-668 a.C.n.)

[p. 87] [De l’emperere qui fondat la citeit de Nymais] Item, l’an David IIIc et XCIX, fondat li emperere Nyma Pompilius une citeit en Alemangne, et le nommat solonc son nom Nymay.

[p. 87] [L’empereur fonde la cité de Nimègue] En l'an 399 de David (676 a.C.n.), l'empereur Numa Pompilius fonda une cité en Allemagne qu'il appela Nimègue, d'après son nom.

[Ly duc de Galle desconfit III fois l’emperere] Item, l'an David IIIIc, vot li roy Pompilius mettre en tregut par forche ches de Galle ; mains ilh ne pot et fut desconfis III fois en batalhe. Si revient à Romme mult triste ; si y ralat là l’an David IIIIc et II, et fut encors desconfis, et perdit bien Vm Romans ; si revient enssi à Romme. [...]

[Le duc de Gaule défait l’empereur à trois reprises]. En outre, durant l'année 400 de David (675 a.C.n.), le roi Pompilius voulut soumettre les habitants de Gaule au tribut par la force ; mais il n'y parvint pas et fut vaincu dans trois batailles. Rentré à Rome très affligé, il repartit en Gaule en 402 (673 a.C.n.), fut encore vaincu et perdit cinq mille Romains ; c'est ainsi qu'il revint à Rome. [...]

Item, l'an David IIIIc VII, morut Nyma Pompilius, li secons empereur de Romme, qui avoit regneit XL ans bien et loialment ; et avoit le siege vaqueit apres le mort Romelus I an et demy, si que chu fut l'an David IIlIc et VII.

En l'an 407 de David (668 a.C.n.) mourut Numa Pompilius, second empereur de Rome, qui avait régné quarante ans avec bonté et droiture. Le trône étant resté vacant un an et demi, après la mort de Romulus, on était en l'an 407 de David (668 a.C.n.)

 

Tullus Hostilius

 

Tullus Hostilius succède à son père Numa - Son règne est marqué par des phénomènes atmosphériques et une épidémie (407 à 417 de David = 668-658 a.C.n.)

[p. 87] [Tulius, le IIIe empereure de Romme] Après le mort Nyma Pompilius fut fait emperere son fis Tulius Hostilius, liqueis regnat XXXI ans.

[p. 87] [Tullus, troisième empereur de Rome] Après la mort de Numa Pompilius, son fils Tullus Hostilius devint empereur. Il régna trente et un ans.

[Mortaliteit et movement de terre] Item, l’an David IIIIc XI pluit sanc par [p. 88] III jours, et si fist grant movement de terre, et fut veyut l'estoile comete ; et l'altre an apres fut si grant mortaliteit que les gens chaioient mors parmy les ruez. [...]

[Mortalité et tremblement de terre] L'an 411 de David (664 a.C.n.), une pluie de sang tomba pendant [p. 88] trois jours. Un grand tremblement de terre se produisit et on vit la comète. L'année suivante sévit une épidémie importante au point que les gens tombaient morts dans les rues. [...]

[Tulius l’emperere qui commanchat promier à vestir purpre] Item, l'an David IIIIc et XVII, commenchat li emperere Tulius à vestir purpre ; et chis fut li promier emperere qui le vestit et qui le mist en usaige. [...]

[Tullus, premier empereur à se vêtir de pourpre] L'an 417 de David (658 a.C.n.), l'empereur Tullus commença à se vêtir de pourpre ; il fut le premier à le faire et à mettre la pourpre en usage. [...]

 

Succession en Gaule - Le romain Tullus remporte une guerre contre les Albains et les Fidénates, mais meurt foudroyé - Son fils Ancus lui succède (421-438 de David = 654-637 a.C.n.)

[p. 88] [De duc de Galle] Item, l'an David IIIIc et XXVI, morut li dus de Galle Nay, si regnat apres son fis Alymodes LXXIIII ans. Chis Alymodes oit à femme Helion, la filhe Andorachi, uns des plus vaillans senateurs de Romme ; si en oit I fis, qui fut nommeis Aquitains.

[p. 88] [Le duc de Gaule] L'an 426 de David (649 a.C.n.) mourut Nay, le duc de Gaule ; son fils Alymodès régna après lui durant soixante-quatorze ans. Cet Alymodès eut pour femme Hélion, la fille d'Andorache, un des plus vaillants sénateurs de Rome ; il en eut un fils, nommé Aquitain.

[p. 88] [Guerre entre Romans et Albains] Item, l'an David IIIIc et XXVII, recommenchat li empereres Tulius à repareir ses gueres qui longement avoient esteit en pais, et gueriat fortement les Albaniens, qui habitoient pres de Romme à XVIII lieu, et les Fedenante qui habitoient à XII mil de trans Tyberim, et les desconfist tos vigereusement ; si mist III ans al conquiere. [...]

[p. 88] [Guerre entre Romains et Albains] L'an 427 de David (648 a.C.n.) l'empereur Tullus reprit ses guerres après une longue période de paix. Il combattit violemment contre les Albains, qui habitaient près de Rome, à dix-huit lieues, et contre les Fidénates, qui habitaient à douze milles au-delà du Tibre. Il les battit tous complètement ; leur conquête dura trois ans. [...]

[Nota del effodre qui chait sor l’emperere le IIIe] Item, l'an David IIIIc XXXVIII, chayt unc effondre sour Tulius, le IIIe emperere de Romme, où ilh seioit à table en son palais ; et là fut-ilh liet ses gens et le palais entirement jusques en terre tous ars et ochis. En teile maniere que je vos ay deviseit, fut ochis ly emperere Tulius ; et fut ars luy et tout sa maison. Apres le mort de luy fut fais li quars emperere de Romme Anchus Marchus, qui estoit son fis ; si regnat XXIII ans, de temps Josie, le roy de Judée. [...]

[Note : la foudre tombe sur le troisième empereur] L'an 438 de David (637 a.C.n.), la foudre s'abattit sur Tullus, le troisième empereur de Rome, tandis qu'il était assis à table dans son palais. Le bâtiment fut complètement jeté à terre ; lui et ceux qui l'entouraient furent tous brulés et tués. Telle fut la disparition du roi et de toute sa maison. Après la mort de Tullus, Ancus Marcius, son fils, devint le quatrième roi de Rome ; il régna vingt-trois ans, au temps de Josias, le roi de Judée. [...]

 

Ancus Marcius

 

Ancus fonde Ostie et construit un pont sur le Tibre - Sa mort

 

[p. 89] [La citeit Hostie] Item, adont à XLVI mil pres de Romme fondat li emperere Anchus une citeit, quelle nommat Hostie ; et en l'an apres fist faire le promier pont trans Tyberim entre le mont de Aventine et Janiculum. [...]

[p. 89] [La cité d'Ostie] À l'époque [an 456 de David = 629 a.C.n.] à quarante-six milles, près de Rome, l'empereur Ancus fonda une cité, qu'il nomma Ostie. L'année suivante, il fit construire le premier pont sur le Tibre, entre l'Aventin et le Janicule. [...]

[De IIIIe et Ve emperere de Romme] Sor l'an del coronation le roy David IIIIc et LX, en avrilh, morut Anchus, ly quars emperere de Romme.

[Les quatrième et cinquième empereurs de Rome] En l'an 460 du couronnement du roi David (615 a.C.n.), en avril, mourut Ancus, le quatrième empereur de Rome.

 

Tarquin l'Ancien

 

 Tarquin, son fils et successeur, construit à Rome des murs, des égouts et le Capitole - Il crée vingt nouveaux sénateurs (615-611 a.C.n.)

 Apres fut fais le Ve de son fis Priscus [p. 90] Tarquinus, et regnat XXXVII ans.

Après lui, son fils [p. 90] Tarquin l'Ancien devint le cinquième empereur et régna trente-sept ans.

Item, l'an IIIIc et LXIII, fist li emperere Tarquinus faire murs entour la plache que ons apelle ad ludos à Romme, et le fist bien encloire ; et y fist faire des basses chambres, que ons nom altrement chambres secreez ou privées, où les gens alloient faire chu que mestyer leur astoit ; et y fist faire des conduis qui condusoient parmy toutes les plueves qui plovoient, et la merde de Romme aleir en la riviere del Tybre.

En l'an 463 (612 a.C.n.), l'empereur Tarquin fit faire des murs autour de l'endroit de Rome appelé ad ludos, et le fit bien fermer. Il y fit faire des chambres basses, qu'on nomme aussi chambres secrètes ou privées, où les gens allaient satisfaire leurs besoins naturels. Il fit faire des canalisations par où s'écoulaient toutes les pluies et qui conduisaient les ordures de Rome dans le Tibre.

[L’emperere fist faire le Capitoile] En cel an meisme fist faire à Romme li emperere le Capitoile, dont nos avons parleit devant ; et fut nonimeis Capitoile portant, com enssi c'on foioit le fondement, fut trovée une tieste d'homme sens corps en la terre, et ons apelle I chief en latien caput ; si oit por cest raison à nom Capitoile.

[L’empereur fait construire le Capitole] Cette même année, l'empereur fit construire à Rome le Capitole, dont nous avons parlé précédemment (cfr I, p. 69-70). L'endroit fut appelé Capitole, parce que, au moment des fondations, on découvrit dans la terre une tête d'homme, sans corps. Comme on appelle en latin une tête caput, l'endroit reçut le nom de Capitole.

[L’emperere fist XX senateurs et les adjondit avec les altres cent] Item, l'an David IIIIc et LXIIII, fist li emperere Tarquinus unc nombre de senateurs de XX, se les adjondit awec les cent que Romelus avoit ordineit ; si qu'ilh en fut Vlxx. [...]

[L’empereur nomme vingt sénateurs et les adjoint aux cent autres] En l'an 464 de David (611 a.C.n.), l'empereur Tarquin créa vingt sénateurs qu'il adjoignit aux cent qu'avait institués Romulus (p. 85-86). Dès lors, ils furent cent vingt. [...]

 

Victoire et suprématie des Gaulois sur les Romains de Tarquin (592 a.C.n.)

[p. 91] [Guerre entre le duc de Galle et lez Romans, et furent Romans desconfis] Item, l'an David IIIIc LXXXIII, oit grant batalhe entre le dus de Galle Alymodes et l'emperere de Romme Tarquinus, portant que li empereir voloit que ilh rendissent à ly tregut de leur terre. Si avient que li emperere fut desconfis ; si s'enfuit à Romme.

[p. 91] [Guerre entre le duc de Gaule et les Romains, qui sont défaits] En l'an 483 de David (592 a.C.n.), une grande bataille eut lieu entre le duc de Gaule Alymodès et l'empereur de Rome, Tarquin, parce que ce dernier exigeait des Gaulois le payement d'un tribut pour leur terre L'empereur fut vaincu et s'enfuit vers Rome.

Dedont en avant furent les Gallyens et Sycambiens si malvais, portant que ilh avoient desconfis l'emperere de Romme et tous ses devantrains tant de fois, ne oncques ne porent avoir une victoir contre eaux, si que nuls ne poioit dureir pour eaux ; car ilhs astoient si vertueuses que ilhs destruoient tous cheaux qui avoient à eaux à faire. Et fisent tant que leurs dus tenoit grant terre, et astoit poissans saingnour. [...]

Dans la suite, Gaulois et Sicambres se montrèrent très menaçants. En effet, Ils avaient vaincu à de nombreuses reprises l'empereur de Rome et ses prédécesseurs, sans que ceux-ci aient jamais pu remporter une victoire contre eux. Nul ne pouvait leur résister ; ils étaient si courageux qu'ils anéantissaient tous leurs adversaires. Ils étaient si forts que leur duc détenait un grand territoire et était un seigneur puissant. [...]

 

Servius Tullius

 

Servius Tullius succède à son père Tarquin - Il agrandit la ville et taxe les héritages (11-17 de la transmigration = 578-572 a.C.n.)

[p. 92] [De Servius, le VIe emperere de Romme] En l'an del transmigration de Babylone XI morut Priscus Tarquinus, [p. 93] li Ve emperere de Romme ; si fut fais li VIe par les senateurs, qui fut nommeis Servius Tulius, li fis Priscus, et regnat XXXII. Item, l'an XII regrandit li emperere la citeit de Romme, et, dois ans là apres, l'encloyt de fosseis al tour des murs de Romme. [...]

[p. 92] [Servius, sixième empereur de Rome] En l'an 11 de la transmigration de Babylone (578 a.C.n.) mourut Tarquin l'Ancien, [p. 93] cinquième empereur de Rome. Le sixième empereur, qui se nommait Servius Tullius, fut élu par les sénateurs. Fils de Tarquinius Priscus, il régna trente-deux ans. En l'an 12 (577 a.C.n.), il agrandit la cité de Rome et, deux ans plus tard, l'entoura de fossés autour des murs de Rome. [...]

Item, l'an XVII, ordinat li emperere Tulius que ons levast dedont en avant certains cens de hiretages, qui n'avoit oncques esteis fais ne veus. [...]

En l'an 17 (572 a.C.n.), l'empereur Tullius ordonna que l'on prélève des redevances sur les héritages, ce qui n'avait jamais été fait et ne s'était jamais vu. [...]

 

Tarquin le Superbe

 

À Rome un sénateur nommé Tarquin le Superbe devient empereur, après avoir tué son prédécesseur - Son mariage et ses enfants, dont sa fille Wierbel - En Allemagne, ses fondations de villes et du comté de Bavière, alias Belwier, du nom 'retourné' de sa fille (43-49 de la transmigration = 546-540 a.C.n.)

[p. 94] [Tarquinius ochist l’emperere Tulius, sy fut fais par dons emperere VIIe] Item, l'an XLIII, avoit I gran prinche à Romme, qui estoit uns senateur, liqueis fut apelleis Tarquinus li Orgulheux. Chis se contenchat à l'emperere Tulius tant que ilh le tuat de unc cuteal, et, quant ilh l'oit ochis, se fist tant par son sens et par les grans dons qu'ilh donnat aux altres senateurs ses compangnons, qu'ilh fut eslus à emperere, et fut coroneis a Romme : chis Tarquinius fut li VIIe emperere de Romme, et regnat XXXV ans.

[p. 94] [Tarquin tue l’empereur Tullius, et grâce à des libéralités, devient le septième empereur] En l'an 43 (546 a.C.n.) vivait à Rome un grand prince, un sénateur, qui fut appelé Tarquin le Superbe. Il se battit avec l'empereur Tullius au point de le tuer d'un coup de couteau. Après cela, grâce à son intelligence et à de larges libéralités envers ses compagnons, les autres sénateurs, il réussit à se faire élire empereur. Il fut couronné à Rome. Ce Tarquin fut le septième empereur de Rome et régna pendant trente-cinq ans.

Item, l'an XLV, prist li emperere de Romme à femme Helyodes, la filhe l'emperere Odeles de Greche, qui dedens le terme de III ans oit I fis de l'emperere de Romme, et fut nommeis Saldones. Et, l'an XLIX, oit ladit emperes I filhe, laqueile oit nom Wierbel ; mains de [p. 95] celle filhe fut la damme si travelhiet de maladie, que les saiges dammes disoient que elle en moroit. Quant Turquin entendit chu que sa femme moroit, si fut mult esmayés, et vowat à son Dieu Venus que ilh vowist sa femme delivrer, et ilh feroit fondeir en plusors lieu de son empire une conteit. Adont soy delivrat la damme de la fille Wierbel desusdite, et li emperere tantoist fist sa conteit.

En l'an 45 (544 a.C.n.), l'empereur de Rome épousa Hélyodes, fille d'Odélès empereur de Grèce. Après trois ans de mariage, elle donna à Tarquin un fils, appelé Saldonès. Et en l'an 49 (540 a.C.n.), la dite impératrice eut une fille, appelée Wierbel. En fait, [p. 95] pendant sa grossesse, l'impératrice avait été tellement malade que les sages femmes avaient annoncé sa mort. En apprenant cela, Tarquin, très inquiet, avait promit à la déesse Vénus, si elle consentait à donner à son épouse une heureuse délivrance, de transformer en comté plusieurs régions de son empire. Par la suite, la dame ayant heureusement accouché de Wierbel, la fille citée plus haut, l'empereur aussitôt créa son comté.

[De Belwier] Enssi que je vos dis, mandat l'emperere à planteit d'ovriers, puis en allat en Allemangne, portant qu'ilh savoit bien que ilh y avoit asseis de lais lieu ; car illuc estoient les palus et lais lieu plus que altre part. Et fondat là V citeis qui furent nommées : la promier, Sardelle ; li altre, Bella ; la tirche, Atroppa ; li quarte, Ansel ; li Ve, Cesaine ; mains puisedit ont-ilh esteit changiés de nommes par les saingneurs qui ont là regneit.

[Bavière] Comme je vous le dis, l'empereur engagea une foule d'ouvriers, puis se rendit en Allemagne, où il savait trouver beaucoup d'endroits bien dégagés : il y avait là en effet des zones humides et des étendues plus vastes qu'ailleurs. Il y fonda cinq cités appelées : la première Sardelle, la deuxième Bella, la troisième Atroppa, la quatrième Ansel, la cinquième Césaine, des noms qui, dans la suite, ont été changés par les seigneurs qui ont régné en ces lieux.

[Comment li pays de Bealwier fut fondeit, et en fut promier conte Origoules] Et puis donnat li emperere Tarquinius chesti conteit à unc sien senescal, qui fut nommeis Origoules, qui fut li promier conte de chis pays. Et li emperere dest à dit conte que ilh donnast nom à son pays, et ilh respondit que solonc raison li pays devoit estre nommeis apres le nom de celle par cuy ocquison ilh avoit esteit fondeit, et chu estoit Wierbel, la filhe l'emperere.

[Fondation de la Bavière - Son premier comte Origoulès] Ensuite, l'empereur Tarquin donna ce comté à un de ses sénéchaux, nommé Origoulès, qui en devint le premier comte. L'empereur dit alors à Origoulès de donner un nom au pays ; celui-ci lui répondit qu'il serait normal que le pays porte le nom de celle qui avait été l'occasion de cette fondation, à savoir Wierbel, la fille de l'empereur.

Quant li emperere entendit chu, si respondit : « Et nos l’otrions que ly pays soit nommeit solonc le nom de ma filhe, fors tant que je welhe retourneir le nom : c'est le promier sillabe de drier, et le derain promier à nom le Wierbel, et li pays serat nommeis Belwier. » En teile manere fut li pays fondeit, et fut nommeis Belwier. [...]

À cela l'empereur répondit : « Nous accordons que le pays porte le nom de ma fille, mais je veux simplement le retourner : la première syllabe du nom 'Wierbel' deviendra la dernière, et la dernière la première ; le pays sera appelé Belwier. » C'est ainsi que le comté fut fondé et nommé Belwier (= Bavière). [...]

 

 Suite de la vie de Tarquin le Superbe : Les supplices à Rome - Viol de Lucrèce par un de ses fils - Le roi est banni de Rome - Il s'allie à Porsenna, revient attaquer Rome, puis fait la paix avec elle - Sa mort met fin à la royauté à Rome (78 de la transmigration = 511 a.C.n.)

[p. 98] [Tous les tourmens furent aviseis à chi temps] Sour l'an LXXVIII morut li VIIe emperere de Romme, Tarquinius li Orgulheux : chis trovat à son temps toutes les manieres des tormens, chaynes, exilh, chartres et ceppes, là ons butoit les piés et les jambes des malfaitoirs. Ilh morut sens heures, car une effoudre avoit ochis son fis Saldones, et Tharquinus, son altre fis, estoit forbanis fours de Romme sens rapelleir, por tant qu’ilh avoit corrompue et violeit Lucrecie à forche, qui estoit une noble femme et de grant linage.

[p. 98] [Tous les supplices sont inventés à cette époque] En l'an 78 (511 a.C.n.), Tarquin le Superbe, le septième empereur de Rome, mourut. Il avait imaginé à son époque toutes les sortes de supplices : chaînes, exil, prisons et entraves, où l'on plaçait les pieds et les jambes des malfaiteurs. Tarquin mourut sans héritiers, car la foudre avait tué son fils Saldonès, et Tarquin, son autre fils, avait été définitivement banni de Rome parce qu'il avait déshonoré et violé Lucrèce, une dame noble et de haut lignage.

[Lucrecie fut deforchie] Se s'en plendit ladit damme apres à son peire, qui astoit I des plus grans senateurs de Romme, et à son marit awec et à ses parens ; et apres soy tuat por la doleur qu'el oit del honte.

[Le viol de Lucrèce] La dame en question se plaignit auprès de son père, un des plus importants sénateurs de Rome, et auprès de son mari et de ses parents. Puis elle se tua de douleur, suite à la honte qu'elle éprouvait.

[Tarquinius, li VIIe emperere de Romme et ly dierain] Et Tarquinius, qui astoit banis, si doubtat les amis de la damme, si s'en alat à Porcerum, le roy de Clusine, et s'aloiat à luy ; et ilh ly oit encovent de luy à aidier contre les Romans. Si assemblat grans gens de Tusquayne, son pays, et d'altres, et se vient contre les Romans de chi al rivage del Tybre entour Janicle. Si en orent les Romans grant paour ; mains les Romans fisent tant qu'ilh orent pais à li. Si alat assegier Aretines.

[Tarquin, septième et dernier empereur de Rome] Tarquin, le banni, redoutant les amis de la dame, se rendit chez Porsenna, roi de Clusium, et s'allia à lui. Il obtint de sa part une promesse d'aide contre les Romains. Il rassembla beaucoup de forces originaires de la Toscane, son pays, et d'ailleurs. Il vint attaquer les Romains, de ce côté-ci de la rive du Tibre, autour du Janicule. Les Romains eurent très peur mais finirent par faire la paix avec lui. Il alla ensuite assiéger Arretium.

Et Wierbel, la damme le filhe l'emperere, astoit mariée ; si astoit son maris le roy Alibrons d'Argenel.

Dame Wierbel, la fille de l'empereur, était mariée, et son mari était le roi Alibrons d'Argenel.

[Chi falirent les empereurs de Romme qui avoient regneit IIc et IIII ans] Quant Tarquinius li Orgulheux fut mors, si defallirent les empereurs, et cessat leur regnation, qui avoient regneit IIc et IIII ans ; si ordinont les Romans et les senateurs de faire des consoles.

[Fin des empereurs de Rome, qui avaient régné deux cent quatre ans] La mort de Tarquin le Superbe mit fin au régime des empereurs. La royauté avait duré deux cent quatre ans. Les Romains et les sénateurs décidèrent alors de désigner des consuls.

 


 

VIII. Les débuts de la république - Les premiers consuls et Le pouvoir consulaire - quelques événements des premières décennies

 

Avènement des premiers consuls, Lucius et Brutus, et limites du pouvoir consulaire à Rome

[p. 98] [Chi commencharent les consules de Romme à regneir, et regnont jusques à Julius Cesair] Chi endroit cessarent les empereres à regneir. Si ordinarent les senateurs et li peuple des Romans qui sieroient governeis par II consules, qui regneroient al manere de roys d'an en an, assavoir chascon an I noveal awec I des vies, et que nuls ne le poroit estre que II ans en ordene, car li I qui demoroit awec le noveal esluit estoit pour luy instruire ; liqueile gubernation durat jusques al temps de Julius Cesare emperere.

[p. 98] [Les consuls commencent à régner à Rome et le feront jusqu'à Jules César] Dès lors, les empereurs cessèrent de régner. Les sénateurs et le peuple des Romains décidèrent de mettre à leur tête deux consuls, qui exerceraient, d'année en année, les pouvoirs des rois. Chaque année, un nouveau (consul) régnerait avec un des anciens, et personne ne pourrait être consul plus de deux années consécutives, le consul restant n'étant là que pour instruire le nouvel élu. Ce type de gouvernement dura jusqu'à l'empereur Jules César.

Item, les promirs prinches qui governont furent nommeis Luciun et Brutun. Ches dois governarent al manere de roys I an, et fut osteis li uns ; si regnat apres encor li altre I an awec I noveal, que ons enlist.

Les premiers princes qui furent au pouvoir s'appelaient Lucius et Brutus. Ils gouvernèrent tous deux comme des rois, pendant un an. Puis le premier fut déchargé, et l'autre régna encore un an, avec un nouvel élu.

[Ilh fut ordineit que les consules ne governassent que II ans, affin qu’ilh ne montasssent en orguelh] Et deveis bien savoir que les senateurs, et cheaux qui chu ordinarent, lassoient demoreir chascons II ans, affin que li vies informast le noveal de la loy de Romme ; et oussi ne [p. 99] poloient demoreir plus de II ans, por tant que ons ne voloit mie que por la long demorée ilh montassent en orguelh por la domination. Et y avoit une altre raison que ons en y mettoit II, qui astoit et fut teile : se li uns en fait de la loy ou del common profil excedoit ou pou ou trop, qui li altre son compangnon le restrendoit.

[On décide que les consuls ne resteront au pouvoir que deux ans, pour éviter chez eux un excès d'orgueil] Il faut savoir que les sénateurs et ceux qui en décidèrent ainsi les laissaient chacun en charge deux ans durant, afin que l'ancien informe le nouveau des lois de Rome. En outre, les consuls ne [p. 99] pouvaient rester en fonction plus de deux ans, pour éviter qu'une charge trop prolongée ne les rende avides de domination. Il y avait encore une autre raison de désigner deux consuls : si l'un s'écartait un peu ou trop de la loi ou de l'intérêt commun, l'autre le retenait.

Romme adont tenoit à paine jusques à XV pires imperials ; se destinct-ons ches pires I somme por I mil en teile manere que maintenant en alcon lieu ons atermine les bonnirs de terre ; mains nos ne trovons mie plus cleirement chesti fait que dit est. [...]

Rome alors occupait à peine une zone de quinze bornes milliaires. On plaçait une borne tous les mille pas, comme on le fait aujourd'hui, en certains endroits, pour délimiter les bonniers de terre. Mais nous ne trouvons rien de plus clair à ce sujet. [...]

 

Quelques événements des cinquante premières années

[p. 99] [Pictagoras morut à Romme] Item, l'an IIIIxx et III, morut à Romme Pictagoras, le philosophe. [...]

[p. 99] [Pythagore meurt à Rome] En l'an 83 [506 a.C.n.] mourut à Rome le philosophe Pythagore. [...]

Item, l'an IIIIxx et XII, fut nombreit li peuple de Romme à Xm hommes d'armes. [...]

En l'an 92 [497 a.C.n.], la population de Rome fut évaluée à dix mille hommes d'armes. [...]

Item, l'an XCIII, morurent par venien à Romme Ambalay et Ephesone, II philosophes, que ons donnat à boire en une chartre où ilh gisoient prisonnirs.

En l'an 93 [496 a.C.n.] moururent à Rome deux philosophes, Ambalay (?) et Éphésone (?), du poison qu'on leur donna à boire dans le cachot où ils étaient prisonniers.

[p. 102] Item, l'an C et XXXIX, envoiarent les Romans en Athenes, por aporteir les loys que les Grigois tenoient adont ; et furent aportées à Romme en escript en XII tables.

[p. 102] En l'an 139 [450 a.C.n.], les Romains envoyèrent (des messagers) en Grèce, pour en rapporter les lois en vigueur alors chez les Grecs. Amenées à Rome, elles furent inscrites sur douze tables.

 


[Extrait de Folia Electronica Classica, t. 34, juillet-décembre 2017]