FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 21 - janvier- juin 2011


Un autre Virgile.
Le regard médiéval (2)

par

Marie-Paule Loicq-Berger
Chef de travaux honoraire de l’Université de Liège
Adresse : avenue Nandrin, 24 ‒ B 4130 Esneux
<loicq-berger@skynet.be>


Note liminaire

L'article précédent évoquait, par quelques textes et quelques images, les facettes « graves » du Virgile médiéval. Le présent développement fait monter sur scène un personnage tout différent, amusant dans sa fantaisie, un galant sorcier. La note qui ouvre la première partie met ces deux travaux en perspective. Le lecteur gagnera à s'y reporter.

[Déposé sur la Toile le 14 juillet 2011 - revu et corrigé le 16  septembre 2011 et le 23 septembre 2012]


Sommaire général des deux articles

1. Le Virgile savant

2. Le Virgile prophète et devin

a. l'annonce messianique : textes et images
   *  Le Virgile de Wolfenbüttel
    *  Le Virgile de Sienne
    *  Le Virgile de Zamora

   La fresque de Raphaël à Santa Maria della Pace (Rome)

b. les sortes Virgilianae

3. Le Virgile magicien et amoureux

a. quelques textes
b. quelques documents figurés
    * Virgile en corbeille à Caen (fig. 1)
    * Virgile en corbeille à Cadouin (fig. 2 et 3)
    * Le tombeau de Philippe de Commines (fig. 4 et 5)
    * Le Poète en nacelle agréé par la Renaissance : Breu l'Ancien,...  (fig. 6)
    * ...Lucas de Leyde,  (fig. 7)
    * Lambert Lombard (fig. 8)
    * La vengeance de Virgile : G. Pencz et quelques autres (fig. 9 à 12)


3. Le Virgile magicien et amoureux

a. Textes

 L'Antiquité déjà avait entrevu un Virgile magicien. Vers le milieu du IIe siècle, l'Africain Apulée, rhéteur, philosophe, romancier, se trouvant impliqué dans un procès de magie, avait rédigé pour sa défense un plaidoyer dans lequel il citait le Virgile de la 8e Eglogue et de l'Enéide à propos d'opérations magiques (Apologia, 30, 6-10).

Au Moyen-Âge, cette facette du personnage va se trouver étrangement amplifiée, et l'on voit apparaître un Virgile sorcier/Virgile galant, les deux aspects étant volontiers imbriqués, car l'art du premier sert les entreprises du second. Avant d'en fournir un exemple aussi piquant qu'explicite, avec le « roman virgilien » échafaudé par Jean d'Outremeuse, épinglons d'abord quelques allusions plaisantes à un « Virgile en corbeille » qui, manifestement, était bien connu du public.

Aux XIIIe et XIVe siècles, on le sait, dans les diverses littératures européennes, poètes et chroniqueurs se sont amusés à l'envi des mésaventures de héros bernés par des femmes. Les textes foisonnent : français, italiens, espagnols, allemands.

Au XIVe siècle, Eustache Deschamps [1] alimente la veine misogyne en puisant aussi bien dans les thèmes bibliques et antiques que dans le merveilleux médiéval ; il juxtapose Samson et Hercule, le roi David et l'enchanteur Merlin, avant d'en arriver à Virgile :

Par femme fu mis a destruction
Sanxes li fort et Hercules en rage
[...]
Par femme fut en la corbaille a Romme
Virgile mis, dont ot moult de hontaige.
Il n'est chose que femme ne consumme.

Le délicieux Rosier des Dames de Bertrand Desmoulins [2] y fait écho :

Que fist a Sanson Dalida
quant le livra aux Philistins
n'a Hercules Dejanira
quant le fict mourir par venins ?
une femme par ses engins
ne trompa-elle aussi Virgile
quant a uns panier il fut prins
et puis pendu emmy la ville ?

À quoi les vers français d'un poète anonyme, figurant dans un manuscrit de Berne [3], ne manquent pas d'ajouter Aristote :

Par femme fut Adam deceu
et Virgile moqué en fu,
[...]
femme chevaucha Aristote,
il n'est rien que femme n'assote.

À quoi se réfère cette image de Virgile en panier ? Voici à nouveau, beaucoup plus explicite que ces touches allusives, le pittoresque chroniqueur liégeois Jean d'Outremeuse. C'est lui qui, vers le milieu du XIVe siècle, a fourni dans son Myreur des Histors la version la plus circonstanciée de l'aventure galante, qu'il encadre d'ailleurs dans un très long récit relatif à Virgile. Pour la personnalité contestée de ce chroniqueur, on se reportera supra.

Pour l’épisode de Virgile, le Myreur n’utilise aucune des chroniques latines citées dans l’énumération des sources – et pas davantage des chroniques latines qui n’y sont pas citées –. Ainsi, par exemple, le Liégeois mentionne-t-il brièvement Gervais de Tilbury qui, dans ses Otia imperialia (vers 1211), narrait dix épisodes relatifs à des mirabilia virgiliens. Mais en réalité les Otia n’ont pu être qu’une source indirecte du Myreur. Il en va de même du Speculum encyclopédique  rédigé au début du XIIIe siècle par le Dominicain Vincent de Beauvais : si l'anecdote relative à Virgile fait l’objet d’une mention rapide chez Vincent, l'allusion est trop mince pour attester une utilisation ultérieure par le Liégeois.

Reste alors la littérature en langue vernaculaire, qui offre une douzaine d’œuvres (poèmes, romans, chroniques) comportant des allusions à la légende virgilienne ; aussi les sources françaises, entre le XIIIe et le XVIe siècle, constituent-elles en l'occurrence un corpus important. On retiendra principalement le Roman des Sept Sages (XIIe s.), l'Image du Monde de maître Gossouin de Metz (milieu XIIIe siècle), le Cléomadès d’Adenès li Rois (vers 1285), Renart le Contrefait (début du XIVe s.) [4] et la Fleur des histoires de Jean Mansel (milieu XVe siècle ; cfr infra et note 9). S’y ajoutent deux œuvres largement consacrées à Virgile, à savoir le Myreur des histors, déjà évoqué, et les Faictz merveilleux de Virgille, petit roman anonyme allant du « naissement de Virgille » à sa mort mystérieuse en haute mer et à la disparition de son trésor ; la vie du héros est occupée par la réalisation de nombreux mirabilia où se déploie le génie polyvalent d’un ingénieur-architecte-sculpteur, et par son aventure galante, où l’humiliation précède la vengeance. Le texte des Faictz merveilleux se présente dans plusieurs éditions rares du premier quart du XVIe siècle, en trois langues : français, anglais, flamand ; la plus ancienne version imprimée est la française, dont il existe des réimpressions du XIXe siècle, rares elles aussi [5].

*

Avant d'entrer plus avant dans la question des sources, arrêtons-nous au Virgile galant que nous présente non sans malice Jean d’Outremeuse.

Le renom du gran clers et du prophète est si grand à Rome qu'il est parvenu jusqu'à la cour, où la fille de l'empereur a entendu vanter sa prestance, sa noblesse, sa bonté ; et voilà que, sans même l'avoir vu, la princesse tombe amoureuse du beau Virgile…(la filhe l'emperere Julin, qui par son nom fut appelée Phebilhe, mult fut de Virgile soprise [= éprise]) ; elle vient le saluer, il s'incline mult gentinement, ils causent et elle lui fait franche proposition : Sire Virgile, dites-moy se vos aveis amie ; car se vos me voleis avoir, je suy vostre por prendre a femme ou estre vostre amie, s'il vos plaiste. À quoi Virgile répond qu'ilh n'avoit nulle entente [= intention] de femme prendre, mains, se chu astoit son plaisier, ilh l'aimeroit volentiers […] la chouse alat tant que V. fist de la damoisel tout son plaisier [6].

Les amants vont être très heureux pendant quelque temps, puis Phebilhe insiste à nouveau pour que Virgile l'épouse, ce qu'il refuse, car sa seule passion est d'étudier sans cesse… et il commence à fournir Rome en mirabilia réalisés par astronomie et par l'art de nygromanche awec. Furieuse, la princesse tente un chantage au mariage, qui échoue, et décide alors de se venger. Elle invite Virgile à la rejoindre, en petite compagnie et à l'insu de l'empereur son père, dans une tour d'où elle fera descendre une corbilhe. Mais lui, méfiant, prend une double précaution : d'une part, il se fait accompagner de sénateurs que ses sortilèges ont rendus invisibles et qu'il emmène avec lui dans sa résidence de campagne ; d'autre part, il confectionne et habille à sa ressemblance une figure placée dans la corbeille que Phebilhe et ses amies vont hisser à mi-hauteur de la tour, mais là… elles l'arrêtent. C'est donc le mannequin Virgile qui adjure sans succès la donzelle de le faire monter ou descendre. La nuit passe, le jour vient, les filles commencent à crier et à faire grant noise, l'empereur et ses barons accourent à cheval ; accusant le galant d'avoir malmené son honneur, la princesse laisse choir le panier et le père frappe de son épée la tête du séducteur… avant que l'on s'avise que la figure […] n'astoit mie Virgile. Néanmoins tous l'assaillent, et le mannequin remonte alors, pour redescendre et remonter cent fois, tel un ludion. Tandis que la cour s'épuise en vain à saisir le vertigineux promeneur, le « véritable » Virgile festoie en sa maison avec ses amis sénateurs, qui assurent son alibi ! Finalement, les Romains ne mettront la main que sur une figure d'étoupes dont l'esprit s'est évanoui ; l'empereur est déconcerté et perplexe, mais la reine crie vengeance et veut la tête de Virgile. Celui-ci saisit alors sur un feu un charbon ardent, l'éteint de son souffle, le réduit en poussière… et tous les feux de Rome s'éteignent. L'empereur se résout à dépêcher les sénateurs auprès de Virgile pour négocier la paix; mais le héros, triomphant et madré, par un autre tour de magie, organise au temple où sont venues prier les Romaines une confession générale au cours de laquelle Phebilhe révèle publiquement sa liaison. Nouvelle fureur de la reine, et Virgile, narquois, emporte à nouveau le feu de Rome en imposant ses conditions pour le rendre : Phebilhe sera exposée dans la fameuse tour, nue à sa fenêtre et c'est… dans l'intimité de sa personne, et là seulement, que tous cascons venrat […] prendre le feu. Tout se termine par une liesse populaire et la déconfiture de Phebilhe, morte de honte, tandis que les femmes doivent devant l'emperere crieir merchi, et apres à Virgile […] : enssi fut la paix confirmée.

L'imaginaire qui se déploie ici, avec une étonnante profusion, suggère évidemment que l'auteur a dû recourir à des fonds autres que sa seule fantaisie. Parmi les ouvrages français mentionnés ci-dessus, il en est quatre surtout qui relatent l'épisode de Virgile en corbeille, et présentent quelques analogies thématiques et textuelles avec le Myreur, à savoir : l'Image du Monde, que le Liégeois connaissait, Renart le contrefait, qui n'a sûrement pas fait l'objet d'une utilisation directe, la Fleur des Histoires de Jean Mansel et les Faictzs merveilleux, ces deux derniers textes étant, on l'a vu, postérieurs à Jean d'Outremeuse. Force est donc d'admettre l'existence d'un modèle commun, modèle ancien et fort répandu, développant un roman que le Myreur a compilé [7]. Plusieurs points significatifs sont récurrents : le galant hissé en corbeille sous la fenêtre de la tour, sa belle l'y laissant suspendu à la vue de tout Rome, la vengeance de la « victime », qui consent à faire revenir le feu éteint pourvu qu'on l'aille reprendre dans l'intimité de la dame. Ceci dit, l'amourette virgilienne est l'anecdote où le Liégeois amplifie et modifie le plus son modèle : le motif de la vengeance (extinction du feu et condition imposée pour son retour) est redoublé ‒ et de surcroît, du Virgile trompé et humilié de sa source, le Myreur a fait un Virgile rusé et triomphant. Il se peut que l’auteur se soit diverti à fragmenter et insérer dans sa Chronique aux dates adéquates un roman biographique composé antérieurement [8].

En tout cas, la création littéraire s'arrête là. Le piquant de la folle aventure virgilienne ne retiendra qu'un instant, au milieu du XVe siècle, Jean Mansel, qui résume bien le chroniqueur liégeois : Et encore dist-on de Virgile que une dame de Romme le trompa et que elle le laissa pendant à une corbeille une nuit, et tout le jour ensieuvant. Elle lui eut promis qu'il coucheroit celle nuit aveucq elle. Or doncques, le sage fol vint à la journee assignee pour monter en la chambre de la dame, et elle lui devala [= descendit] une corbeille à une corde. Virgile entra dedens la corbeille et la dame le tira pres jusques de la fenestre en hault et la le lessa, pendant en tel lieu que tous ceulx de la cite le peurent veir [...] tout le lendemain, dont Virgile eut si grant deul que il cuida yssir du sens [= si grand deuil qu'il pensa sortir de raison]. Mais il pugnist trop bien la dame car, comme dist l'istore, il fist par son art estaindre tout le feu d'entour Romme à sept mil pres de la cite et fist que nul ne povoit [...] recouvrer le feu, se il n'en prenoit au cul de la dame. Elle eut à nom Liegart [= joyeuse garce], qui fu à la dame une honteuse pugnition car moult estoit mignote. O ! comme maint sage et maint fol hommes ont esté par femmes deceuz [= déçus], et seront encore sans doubte s'ils ne les fuyent. Moult est femme decepvant quant elle s'y applicque[9].

Resterait à établir sur quels éléments Jean d’Outremeuse a bâti ce roman ; en d’autres termes : quelle peut être la source première de l'anecdote de Virgile suspendu ? Comparetti (II, p. 110, n. 3) penchait, non sans hésitation, pour une origine orientale ; d’autres ont évoqué sans arguments décisifs une origine nordique, un fabliau français ou une influence allemande [10]. De toute manière, le thème avait nourri, en Occident, une sorte de vulgate, sans que l’on puisse parler, comme l’usage s’en répand aujourd’hui, d’un Lai de Virgile (expression qui paraît calquée, sans qu’elle corresponde à un texte déterminé, sur le Lai d’Aristote). En réalité, le problème ici en cause demeure beaucoup plus indécis que celui de l'Aristote chevauché, motif dont la diffusion en Occident a pu être analysée ailleurs avec une relative précision.

Quoi qu'il en soit, l'historiette galante de Virgile relève d'un imaginaire romanesque dépourvu de toute connotation sentimentale et résolument orienté vers la caricature et la franche gausserie. À la différence de la mésaventure du Philosophe, qui a servi d'exemplum à une littérature édifiante méthodiquement étudiée depuis une vingtaine d’années, celle de Virgile n'a pas suscité de conclusion moralisante directe. Elle s'insère néanmoins dans une vision générale très ancienne qui apparaît tel un topos chez la plupart des moralistes du XIIe siècle : la perversité de la femme, cause de tentation et de péché, dont l'iconographie fait un symbole de luxure [11], tandis qu’une littérature antiféministe a fleuri du XIIe au XVIe siècle [12].

b. Documents figurés

Les illustrations qui vont suivre résultent d'un choix personnel et n'ont, on s'en doute, aucune prétention à l'exhaustivité. Les lecteurs qui souhaiteraient disposer d'une iconographie plus abondante pourront utiliser des articles plus spécialisés, comme par exemple celui de G.F. Koch, Virgil im Korbe, dans Festschrift für Erich Meyer, Hambourg, 1959, p. 105-121.

* Virgile en corbeille à Caen

Le Virgile en corbeille a inspiré, tout comme l'Aristote chevauché, les artistes médiévaux. On notera que, le plus souvent, les deux épisodes – humiliation/vengeance – sont représentés indépendamment l’un de l’autre ; et que si la vengeance, dans son aspect burlesque confinant volontiers avec un réalisme osé, a surtout retenu les graveurs allemands et néerlandais, les sculpteurs français semblent avoir préféré le motif, plus anodin, du panier.

Un chapiteau de l’église Saint-Pierre de Caen [13] d'une lecture un peu difficile, montre le galant recroquevillé dans sa nacelle, que hisse énergiquement au moyen d'un fort cordage une figure penchée en dehors d'un bâtiment ; proportions et perspective sont malmenées mais il s'agit évidemment d'un palais d'où émerge l'opérateur ou opératrice.

Fig. 1. Église Saint-Pierre de Caen, chapiteau du XIVe siècle
Histoire littéraire de la France, dir. P. Abraham-R. Desnié, I, 1974, p. 325).

* Virgile en corbeille à Cadouin

Au XVe siècle, l'abbaye périgourdine cistercienne de Cadouin, à l'E. de Bergerac, offre un autre exemple du même motif. Fondée en 1115, l'abbaye attirait des pèlerins de tous pays venus vénérer une relique du Saint-Suaire rapportée d'Orient lors de la première croisade ; chef-d'œuvre du gothique flamboyant, le cloître, reconstruit à partir de 1456, est décoré de nombreuses sculptures à personnages. Le choix des sujets évoqués vise clairement à mettre les religieux en garde contre les tentations de l’amour profane ; c’est ainsi qu’interviennent, aux côtés de Samson, Aristote et Campaspe ainsi que Virgile mystifié.

Dans le cloître de Cadouin, une colonne crénelée figure ingénieusement la fameuse tour, avec la fenêtre où se tiennent les observatrices et la nacelle qui doit servir d’ascenseur, tandis qu’une voisine curieuse se penche en se retenant aux créneaux. Le personnage de Virgile est malheureusement détruit mais voici des images qui permettent d’identifier sans nul doute la scène [14] :

Fig. 2. Virgile en panier sur une colonne du cloître de Cadouin : vue générale
 (photo Danielle Haumont, mars 2011).

Fig. 3. Virgile en panier sur une colonne du cloître de Cadouin : les deux parties de la fenêtre, à g. buste de la femme ; à dr. attache de la corde (photo Danielle Haumont, mars 2011).

* Le tombeau de Philippe de Commines

Virgile en panier figure encore (de même qu'Aristote chevauché), et le choix ne laisse pas de surprendre, dans la chapelle funéraire de Philippe de Commines (mort en 1511). Celui-ci avait fait aménager de son vivant au couvent des Grands-Augustins à Paris un monument dont on a par chance conservé certains éléments : le Louvre abrite aujourd'hui le tombeau du chroniqueur et de sa femme, ainsi que le gisant de leur fille [15], tandis que la cour de l'École des Beaux-Arts conserve quatorze fragments de pilastres destinés à soutenir une frise. L'iconographie de ces fragments, très riche, est dédiée surtout aux symboles du Christ et à ses précurseurs ; mais elle a puisé aux motifs profanes en même temps qu'aux thèmes sacrés. Ainsi un pilastre en deux fragments, consacré au triomphe de l'amour, montre-t-il un petit Éros porté sur un bouclier et entouré d'hommes dont la femme a causé la déchéance : voici donc les figures d'Adam et Ève surmontant Aristote et Campaspe, et aussi, parfaitement lisible, celle de Virgile en panier [16].

Fig. 4. Aristote chevauché. Tombeau de Ph. de Commines. Paris, École des Beaux-Arts
(M. Beaulieu, Note sur la chapelle [...] de Philippe de Commines, 1966, p. 73).

 

Fig. 5. Virgile en panier. Tombeau de Ph. de Commines. Paris, École des Beaux-Arts
(M. Beaulieu, Note sur la chapelle [...] de Philippe de Commines, 1966, p. 73).

Les sources de cette iconographie sont à chercher du côté des graveurs italiens de la seconde moitié du XVe siècle. Commines, qui avait découvert l'art italien au cours de ses ambassades, notamment à Venise, a pu s'adresser à un atelier comme celui de Guido Mazzoni, établi à Paris et occupant des ouvriers issus de diverses régions, entre autres de Vérone. En tout cas, les thèmes et les styles de cette magnifique chapelle funéraire respirent toute la saveur de la première Renaissance [17].

* Le Poète en nacelle agréé par la Renaissance : Breu l'Ancien, ...

Les graveurs et dessinateurs des écoles du Nord ont, eux aussi, illustré le motif. Un dessin à la plume, de forme presque ronde, exécuté dans l'école de Jörg Breu l'Ancien (fin XVe - début XVIe siècle) montre Virgile suspendu dans une corbeille à la fenêtre de sa maîtresse [18].

Fig. 6. École de Jörg Breu l’Ancien (Louvre, Inv. gén. 69 [22.688])
(Musée du Louvre. Inventaire général des dessins des écoles du Nord. L. Demonts, Écoles allemande et suisse, t. I, Paris, 1937, pl. XIX, 69).

La scène est vue de face, et la nacelle occupe le milieu de la composition, encadrée dans une sorte de portique noble, à l'antique ; le suspendu fait de la main gauche un geste d'explication ou d'appel en direction d'un des deux groupes d'hommes et de femmes séparés par un espace libre où s'est arrêté un chien et qui désignent avec étonnement la corbeille et son occupant. Il doit s'agir des notables, les « sénateurs » romains qui ont été témoins de l'aventure ; la partie supérieure de la scène est esquivée, mais on la devine, car la suspension est très apparente… Il est vrai que, dans la littérature pastorale et didactique de l'époque, la fenêtre est un ressort fréquent de l'intrigue ; une femme à sa porte ou à sa fenêtre s'expose au péché, car « sortir » implique une dangereuse errance parmi les hommes. Conrad de Megenberg (mort 1374), auteur d'un traité d'économie domestique d'inspiration aristotélicienne, raconte l'histoire de jeunes filles qui suspendent aux fenêtres leurs ceintures ou des fils qui permettront à leurs amants de monter les rejoindre [19].

* ... Lucas de Leyde,

Dans la première moitié du XVIe siècle encore, voici le peintre et graveur néerlandais Lucas de Leyde, artiste éclectique influencé par Dürer qui, de son côté, l’admirait. Le répertoire de Lucas va généralement des thèmes bibliques aux scènes de la vie courante, mais il compte par ailleurs deux superbes gravures, l’une sur bois, l’autre sur cuivre, traitant la première partie de l’anecdote virgilienne. La gravure sur cuivre, datée de 1525, intègre la scène dans un décor architectural élaboré, à mi-chemin entre Moyen Âge et Renaissance [20].

Fig. 7. Virgile en panier. Lucas de Leyde, gravure sur cuivre
(J. Avalon, Représentations du Lai de Virgile, p. 11).

À l’arrière plan, le Poète est misérablement suspendu sous une fenêtre jouxtant celle de sa tortionnaire. Sur les plans plus rapprochés, les commentaires du public s’en donnent à cœur joie : hommes, femmes et enfants expriment diversement stupeur et réprobation.

* ... Lambert Lombard 

Une cinquantaine d'années plus tard, le motif se retrouve sous la main du peintre et dessinateur liégeois Lambert Lombard, personnalité vigoureuse qu'on a pu qualifier de « chef de file dans le monde culturel des Pays-Bas » [21]. Cet artiste érudit, protégé du prince-évêque Erard de la Marck et grand lecteur de traductions des textes antiques au dire de son biographe et ami Dominique Lampson, eut la chance de se rendre à Rome dans la suite du cardinal Reginald Pole, mécène prestigieux ; il allait y faire la découverte directe des thèmes et des formes de l'art gréco-romain. L'anecdote de Virgile en corbeille relève toutefois d'un répertoire médiéval qui, on l'a vu, se trouvait largement répandu à l'époque ; quelles qu'aient été, en l'occurrence,  les sources de Lombard, il goûtait le motif, au même titre que ses aînés Breu l'Ancien, Lucas de Leyde et nombre d'autres artistes ou artisans.

Ce petit lavis grisé avec traits de plume à l'encre brune a été signé par l'auteur (Lombardus se lit dans l'angle inférieur gauche) et semble dater des environs de 1560 [22].

Fig. 8. Lambert Lombard, lavis,  c. 1560
Source : www.moreimage.com

À gauche, un imposant bâtiment public, flanqué d'un portique soutenu par de colonnes ionico-corinthiennes et où se presse une foule agitée ; en face, une grande demeure particulière que tous désignent car, d'une fenêtre du second étage, retenue par une corde, descend une nacelle  avec un occupant... La scène est d'une lecture évidente. Comme chez Lucas ‒ que Lombard connaissait bien ‒, les architectures évoquent une cité du début de la Renaissance.

* La vengeance de Virgile : G. Pencz et quelques autres

L’historiette, on l’a vu, comportait une suite que, dans une autre veine d’inspiration, une iconographie satirique, impertinente et volontiers provocante n’a pas manqué d’exploiter.

À peu près contemporain de Lucas de Leyde, l’Allemand Georg Pencz (c. 1500-1550), peintre portraitiste et graveur, compatriote et élève de Dürer mais très marqué lui aussi par les Italiens, avait retenu pour sa part les deux facettes de l’anecdote virgilienne, mésaventure et vengeance : mais c’est bel et bien cette dernière qui est évoquée sans ménagement dans la gravure reproduite ci-dessous [23].

Fig. 9. Vengeance de Virgile, gravure Georg Pencz
(J. Avalon, Représentations du Lai de Virgile, p. 11).

La coupable, vue de dos, dénudée et accroupie sur un piédestal, cache son visage dans ses mains, tandis qu’en contrebas des hommes viennent de droite et de gauche porteurs de flambeaux et de lanternes…

À la même époque, la future Flandre belge s’amuse beaucoup du motif, qu’on pouvait encore voir au début du XIXe siècle, à Audenarde et à Courtrai, dans des maisons du XVIe siècle conservant des selles de poutres sculptées ou des culs-de-lampe [24].

Fig. 10. Vengeance de Virgile, cul-de-lampe autrefois à Audenarde (Belgique, Flandre orientale)
(L. Maeterlinck, Le genre satirique..., 1910, p. 109).

Au reste, la France, pays de l’esprit gaulois, ne dédaignait pas non plus la farce virgilienne. Une belle édition de l’Énéide publiée à Paris en 1529 offre en frontispice une gravure sur bois de Urs Graf illustrant hardiment les deux aspects de l’aventure : dans la bordure de gauche le Poète élégamment suspendu en corbeille ; dans l’angle supérieur droit, la dame flamboyante et son public intéressé…

Fig. 11. Frontispice d’une édition de l’Énéide, Paris, 1529
(J. Avalon, Représentations du Lai de Virgile, p. 13).

Ce qui montre que la clergie elle-même n’hésitait pas à plaisanter quelquefois avec esprit ; à preuve encore : un précieux camée sur coquille, travail français du XVe siècle, aujourd’hui conservé au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale [25], présente deux personnages munis d’un cierge, dont la démarche paraîtra obvie à qui voudra bien lire l’inscription dans le français du temps…

Fig. 12. En suite de la vengeance de Virgile. Paris, B. N., Cabinet des médailles
(J. Avalon, Représentations du Lai de Virgile, p. 14).

    Ajoutons que ce ne sont pas seulement les textes et les images qui entretiennent le souvenir d’une Antiquité revisitée ; il se pourrait aussi que leur large diffusion ne soit pas étrangère au maintien d’une tradition orale. Un trait piquant peut être allégué ici : en effet, à la fin du XVe siècle, à Rome, certains guides signalaient encore aux passants curieux la fenêtre de « Virgile pendu » ainsi que le lieu et le mode opératoire de sa vengeance… C’est ce que précise sans ambages un témoin oculaire, Jean de Tournai, marchand établi à Valenciennes, qui, ayant entrepris un long pèlerinage vers Constantinople, Rome et Compostelle, nous a laissé une relation de son périple ; se trouvant à Rome en 1488, le voyageur note : « Assez près de là [il s'agit du Colisée] on void la fenestre où on dict que Virgille fut pendu par une femme en une mande. Puis ung peu plus oultre de ladicte place est le lieu où ceulx dudict Rome et aussy de VII lieues là entour venoient bouter la chandeille au derière de ladicte femme quy avoit pendu Virgile en une mande. Et sy ne pooit on allumer milles chandeilles l'ung à l'aultre et estoit forcé que chacune personne pour avoir du feu vint audict Romme et bouta la chandeille au derière de ladicte femme » [26].

*

Le Moyen Âge, faut-il le rappeler, a lu, recopié, commenté le Poète avec vénération, ainsi qu'en témoigne l'immense et luxueux corpus virgilien disséminé dans les bibliothèques d'Occident [27]. Mais, étrangement, aux côtés de ce Virgile « historique », chemine un magicien inventif, dont les talents s'exercent, jusqu'à l'extravagance, sur des mirabilia matériels sans rapport avec la création poétique. Plus précisément, dans sa vision spécifique, le monde médiéval a rêvé deux Virgiles étrangers à l'Antiquité classique : l’un, prince du savoir et prophète du Christ, l’autre, aventurier et sorcier. Tous deux ont suivi leur chemin, sans guère se rencontrer et sans étonner leur public [28].C’est que l’esprit des temps ne récuse pas le contraste, voire la contradiction. Un autre exemple littéraire est, à cet égard, démonstratif : c’est le très fameux Roman de la Rose, dont les auteurs, Guillaume de Loris et Jean de Meung, se prononcent tout à tour, avec des arguments de même poids, pour la Femme, objet idéal de l’Amour, puis contre la Femme et ses artifices au cœur d’un monde gangrené. L’écart chronologique entre les deux parties (une cinquantaine d’années au cours du XIIIe siècle) ne peut rendre compte d’un tel renversement idéologique ; en réalité, plusieurs sociétés ont coexisté durant plusieurs siècles : un public « courtois », aristocratique et/ou clérical – et un monde bourgeois, contestataire et railleur, jaloux du premier. Virgile, en son habit médiéval, les a interpelés tous deux.


Notes

[1] Eustache Deschamps cité par Comparetti-Pasquali, II, p. 110.

[2] Cité par Comparetti-Pasquali, II, p. 110, dont la source est l'anthologie d'Anatole de Montaiglon, Recueil de poésies françoises des XVe et XVIe siècles, t. V, Paris, 1856, p. 195.

[3] Cités par Comparetti-Pasquali, II, p. 109.

[4] Pour les éditions du Roman de Dolopathos et de L'Image du monde, on verra l'article précédent et sa note 3.  ‒  Pour  Cléomadès : éd. A. Henry, Bruxelles, 1971 (ULB. Travaux de la Faculté de Philosophie et Lettres,  46). ‒  Pour Renart le Contrefait : éd. G. Raynaud et H. Lemaitre, 2 vol., Paris, 1914.

[5] Texte français des Faictz merveilleux dans Comparetti-Pasquali, II, p. 342-356 ; Comparetti avait pu consulter une édition du XIXe siècle, publiée à Paris, sans date, chez G. Nyverd ; Pasquali signale (II, p. 303) qu’il n’a pu retrouver cette édition, mais qu’il en a vu la réimpression de Philomneste junior (Genève, 1867). Version anglaise de ce texte : W.J. Thoms, Virgilius dans « A Collection of Early Prose Romances, II« », Londres, 1828. – Th. Greffe, Les sources de l'épisode de Virgile dans le Myreur des Histors de Jean d'Outremeuse, mémoire de l'Université de Liège, 1983-84, p. 83, a organisé en un tableau suggestif vingt-cinq thèmes attestés par les diverses sources littéraires et correspondant aux vingt-cinq « merveilles » réalisées par Virgile. Auxquelles on pourrait encore ajouter, par exemple, trois lions de pierre qu’une intervention fabuleuse de Virgile aurait transportés de Rome à Vienne en Dauphiné au temps de saint Grégoire (591/592) : cf. le récit apocryphe publié par Ch. Perrat, La légende de Virgile et de Trajan à Vienne en Dauphiné dans Recueil de travaux offerts à Clovis Brunel, II, Paris, 1955, p. 355-370.

[6] Textes cités passim d'après l'éd. A. Borgnet, I (Le Myreur des Histors, I, Bruxelles, 1864), p. 226-252.

[7] Comme le démontre Th. Greffe, Les sources de l'épisode de Virgile dans le Myreur des Histors de Jean d'Outremeuse, mémoire de l'Université de Liège, 1983-84, p. 180-188 ; 205-206.

[8] Telle est la conclusion de Greffe (cf. ci-dessus, n. 7), p. 235.

[9] Jean Mansel, La Fleur des Histoires, d'après Mss. B. N. Fr. 302, f° 602 V° b et 603 R° a, cité par Th. Greffe, Les sources de l'épisode… (cf. ci-dessus, n. 7), Annexe 1, p. 250. ‒ On trouvera par ailleurs des extraits du passage relatif à Virgile dans E. Du Méril, Mélanges archéologiques et littéraires, Paris, 1850.

[10] Cf. A.M. Romanini, art. Medioevo dans Enciclopedia Virgiliana, III (1987), p. 430.

[11] Vers la même époque, apparaît une autre vision : le rachat de la femme par Marie, la nouvelle Ève, tandis que l'Église s'ouvre peu à peu aux femmes, leur offrant, sous conditions, le refuge de ses monastères, voire la canonisation. Cf. M. Parisse dans Histoire du christianisme, V (dir. A. Vauchez), 1993, p. 415.

[12] F. Desonay a consacré à La littérature antiféministe au Moyen Âge un chapitre documenté dans Dépaysements. Notes de critique et impressions, Liège, s.d. [1933]

[13] Photographie dans E. Mâle, Virgile dans l’art du Moyen Âge français dans Virgilio nel medio evo, Turin, 1932 [= Studi medievali, 5 (1932 ], pl. 2 ; et dans Histoire littéraire de la France (dir. P. Abraham-R. Desnié), I (1974), p. 325.

[14] E. Mâle 1932 [cf. ci-dessus, n. 13], p. 328-29 avait encore pu décrire le motif, mais sans en fournir d’illustration. Je dois les présents clichés à Mme Danielle Haumont, dont l’obligeance et les talents m’ont été précieux. Notons que l'insertion, souvent alléguée, de l'abbaye de Cadouin sur un chemin du pèlerinage de Compostelle apparaît aujourd'hui dépourvue de justification historique et relève, comme l'ont établi les recherches très documentées de Mme Denise Péricard-Méa, d'un « mythe devenu réalité » ; j'ai plaisir à la remercier ici pour m'avoir fait connaître le texte de sa communication sur le sujet, présentée à Cadouin (21 août 2010) et publiée dans les actes de cette rencontre.

[15] M. Beaulieu, Note sur la chapelle funéraire de Philippe de Commines au couvent des Grands Augustins de Paris dans Revue du Louvre et des musées de France, 16 (1966), 2, p. 66, fig. 1 et p. 67, fig. 2.

[16] Virgile en panier : Beaulieu, ibid., p. 73, fig. 9 (photogr. également Mâle 1932 [ci-dessus, n. 13], pl. 3 et G. Battista Bronzini, art. Negromanzia dans Enciclopedia Virgiliana, III, 1987, p. 68). – Aristote chevauché : Beaulieu, ibid., p. 73, fig. 10.

[17] Beaulieu, ibid., p. 74-76.

[18] Reprod. dans Musée du Louvre. Inventaire général des dessins des écoles du Nord. L. Demonts, Écoles allemande et suisse, t. I, Paris, 1937, pl. XIX, 69 et p. 13.

[19] C. Casagrande dans Histoire des femmes en Occident (dir. G. Duby - M. Perrot), t. II, Paris, 1991, p. 100.

[20] Reproduit dans J. Avalon, Les représentations du Lai de Virgile dans Passiflora. Histoire de la médecine, littérature, arts, anecdotes, variétés, 4e année, n° 8, Paris, s.d. [vers 1930], p. 11.

[21] G. Denhaene, Lambert Lombard. Renaissance et humanisme à Liège, Anvers, 1990, p. 167.

[22] Datation proposée par Mme Cécile Oger, responsable scientifique à l'Université de Liège et spécialiste de Lambert Lombard.

[23] J. Avalon, ibidem, p. 8.

[24] Cf. L. Maeterlinck, Le genre satirique, fantastique et licencieux dans la sculpture flamande et wallonne, Paris, 1910, p. 109 et 117-120.

[25] Reprod. dans J. Avalon, ibidem, p. 14. Cf. la notice publiée dans Le Cabinet des Médailles et Antiques de la Bibliothèque nationale, I, Paris, 1924, n° 579, p. 177-178, qui identifie ce camée sur coquille comme un fragment de la décoration d’un coffret du XVIe siècle.

[26] Cette citation intégrale (Valenciennes, BM, ms 493, fol. 60v°) m’a été aimablement fournie par Mme Denise Péricard-Méa, qui prépare l’édition complète du texte. [Cfr Le voyage de Jean de Tournai. De Valenciennes à Rome, Jérusalem et Compostelle (1488-1489). Transcription de Fanny Blanchet. Traduction en français moderne, introduction et notes de Denise Péricard-Méa, La Louve éditions, Flaujac-Poujols, 2012, 320 p. (Addition de 2012).]

[27] Cf. A. Vernet, Virgile au Moyen  dans Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions, 126, 4 (1982), p. 764-765.

[28] Cf. A. Bellessort, Virgile, son œuvre et son temps, Paris, 1943 [1920], p. 318-319.


FEC - Folia Electronica Classica  (Louvain-la-Neuve) - Numéro 21 - janvier- juin 2011

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