FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 15 - janvier-juin 200


Roger Lambrechts (1927-2005)

par

Jacques Poucet

Professeur émérite de l’Université de Louvain
Membre de l'Académie royale de Belgique


On trouvera ci-dessous le texte de la notice bio-bibliographique de Roger Lambrechts, rédigée par Jacques Poucet  qui fut son collègue à l'Université de Louvain et son confrère à l'Académie royale de Belgique. Le texte original de cette notice a été publié dans L'Annuaire (2008), t. CLXXIV, Bruxelles 2008, Notices biographiques, p. 67-101, de l'Académie royale de Belgique. La bibliographie de Roger Lambrechts est rassemblée  ici dans un fichier séparé.

[Article déposé le 25 janvier 2008 et complété le 3 mars 2008]


 

            Roger André Louis Lambrechts était né à Etterbeek (Bruxelles), le 25 août 1927 ; il s’est éteint le 13 août 2005, à l’âge de 77 ans, après une longue et pénible maladie, supportée avec un courage et une dignité qui ont marqué tous ceux qui l’ont connu.

 

La formation

            Issu d’un petit milieu ouvrier, il fut remarqué dès l’école primaire pour ses qualités intellectuelles et humaines, termina ses humanités gréco-latines au Collège Sainte-Marie à Bruxelles en 1945, puis entama ses études universitaires d’abord aux Facultés universitaires Saint-Louis (candidature en philologie classique), puis à Louvain (licence et agrégation en philologie classique en 1950).

 

Le philologue classique

            Philologue classique de formation donc, il fut professeur pendant dix ans, de 1950 à 1960, dans l’Enseignement moyen officiel, avant de rejoindre en 1959 l'Alma Mater louvaniste, où se déroulera toute sa carrière. Il est nommé dans la section de philologie classique (Assistant part-time en 1959, assistant chargé d'enseignement en 1960, chef de travaux en 1961) et assure notamment, pendant plusieurs années, les exercices philologiques latins repris à son maître Franz De Ruyt. Cours ingrat s’il en est, régulièrement confié à un débutant qui souvent le considère comme un tremplin et qui souvent aussi n’aspire qu’à en être débarrassé au plus vite. Notre confrère, lui, s’est investi dans ce cours en publiant chez Dessain plusieurs manuels, axés sur l’apprentissage de la langue latine à l’université : thèmes, versions, exercices de grammaire. Les titres parlent d’eux-mêmes : Versions et thèmes extraits de César et Cicéron. Index détaillé des difficultés grammaticales, avec un « livre du maître » : La grammaire illustrée par César et Cicéron. Livre du Maître. Ces publications attestent combien il avait pris au sérieux sa première charge universitaire ; elles révèlent aussi un aspect essentiel de sa personnalité. Roger Lambrechts était un homme de devoir, accomplissant avec patience, rigueur, méthode et sérieux, toutes les tâches qu’on lui confiait et qu’il avait acceptées. Sur un plan plus large d’ailleurs, on peut dire que toute forme d’enseignement lui tenait très à cœur : le secondaire, l’universitaire, mais aussi - c’est un aspect moins connu - la guidance culturelle de voyages de groupes qu’il organisait, plus jeune, en Italie et qu’il préparait soigneusement. Quoi qu’il en soit, il ne reviendra plus dans la suite à ses premières amours et à sa formation de base en philologie classique. Les circonstances en décidèrent autrement.

 

L’étruscologie

            Très vite en effet, il va passer du côté de l’étruscologie. En 1965, il est nommé chargé de cours à la fois en philologie classique et en archéologie et histoire de l'art. Cette modification de cap correspond certainement mieux à ses intérêts profonds, très perceptibles à certains éléments de son parcours antérieur.

            Comme étudiant de philologie classique déjà, il n’était pas seulement attiré par le latin et le grec. Son mémoire de licence, rédigé sous la direction de son maître Franz De Ruyt, était en fait un travail d’étruscologie portant sur les magistratures des républiques étrusques. De plus pendant les années où il professait dans le secondaire, il avait préparé une candidature en archéologie classique et en histoire de l’art qu’il présenta en 1954. Il avait aussi entrepris un doctorat sur les magistratures étrusques, dans le prolongement de son mémoire de licence. Sa thèse fut défendue en 1959, et, la même année, le manuscrit dactylographié se transforma en un livre publié dans la collection de l'Institut historique belge de Rome (Essai sur les magistratures des Républiques étrusques, Bruxelles-Rome, 1959, 218 pp. avec 45 pl. h.-t. [Études de philologie, d'archéologie et d'histoire anciennes, 7]).

            Si ce doctorat en étruscologie lui avait ouvert les portes de l’U.C.L. pour les exercices philologiques latins, il lui permit aussi de quitter assez vite l’enseignement du latin. En tout cas, à partir de 1971 et jusqu’à son éméritat en 1992 , il n’enseignera plus qu’en archéologie et histoire de l’art, et ses activités scientifiques se dérouleront essentiellement dans le domaine de l’étruscologie et dans celui des antiquités italiques. Au fond de lui-même, il était plus étruscologue que philologue classique.

            Cela permet aussi de mieux comprendre que dans les dernières années de sa vie, fort affecté de voir progressivement disparaître dans notre pays un enseignement structuré d’étruscologie, il ait fondé le prix de l’Académie qui porte son nom et qui est destiné à récompenser des travaux portant sur le monde étrusque ou italique. Il espérait que, par ce biais indirect au moins, l’étruscologie conserverait en Belgique un certain ancrage académique. Le Prix Roger Lambrechts a été octroyé pour la première fois en mai 2007. Il récompensait une thèse de doctorat défendue en 2004 à l’Università degli Studi de Rome, due à Andrea Babbi, intitulée La piccola plastica fittile antropomorfa dell’Italia antica, dal Bronzo finale all’età orientalizzante. Analisi storico-archeologica degli aspetti formali e simbolico-cultuali, et forte de trois volumes (un de textes, un de planches et un de figures).

 

Sa thèse de doctorat

            Mais revenons en arrière et présentons sa thèse de doctorat. Le sujet n’était pas neuf, tant s’en faut (y a-t-il d’ailleurs des sujets vraiment neufs dans le domaine de l’histoire ancienne ?), mais notre confrère l’a renouvelé en profondeur, avec un résultat remarquable. Comme l’écrivait (Latomus, 19, 1960, p. 606) dans son compte rendu, Jacques Heurgon, à cette époque le grand maître en France des études étruscologiques et italiques, « l’ouvrage […] marquera une date dans l’histoire des études étruscologiques », et il ajoutait : « comme en a marqué une, il y a vingt-cinq ans, le Charun, démon étrusque de la mort, de M. De Ruyt ».

            Dans la préface de son livre (p. 5), Roger Lambrechts lui-même évoque cette filiation, adressant ses tout premiers remerciements « à notre maître, Franz De Ruyt, à qui, rappelons-le, revient le mérite d’avoir inauguré l’étruscologie en Belgique ». Et un peu plus loin, parlant de sa thèse sur les magistratures étrusques, il ajoute : « Qui n’apercevra d’ailleurs ce que l’économie même de notre travail doit à son ouvrage, devenu classique, sur Charun, démon étrusque de la mort ? ».

            Pour en revenir aux magistratures étrusques, l’originalité du travail de Roger Lambrechts fut d’aborder le problème « en utilisant à la fois les trois sources d’information qui s’offrent à nous de façon complémentaire, mais qu’une spécialisation sans doute inévitable a[vait] lontemps séparées : les historiens s’en tiennent aux textes littéraires, les philologues aux documents épigraphiques, les archéologues aux monuments figurés » (J. Heurgon). Dans ce livre, Roger Lambrechts affichait donc, dans la ligne de son maître, une conception large de l’Altertumswissenschaft, la véritable connaissance de l’antiquité ne pouvant être fondée que sur l’étude et la critique serrée de toutes les sources d’information dont nous disposons. D’où les trois grandes articulations du volume : sources littéraires, sources épigraphiques, sources iconographiques.

            La première, la tradition littéraire, n’apporte que de maigres informations, plutôt décevantes ; elle est constituée en effet de notations grecques ou latines, donc étrangères, « de valeur parfois discutable, trop tardives, souvent obscures et en tout cas occasionnelles » (Essai, p. 31). L’essentiel de l’enquête portera donc sur les sources directes. Sources épigraphiques d’abord, à savoir 43 inscriptions, « dont M. Lambrechts, avec beaucoup de courage et de méthode, a cherché à confirmer ou améliorer la lecture » (J. Heurgon). Sources iconographiques ensuite, 40 sarcophages et urnes, plus deux peintures murales ; elles « représentent un cortège officiel dans lequel un magistrat, tantôt sur un char attelé de deux ou quatre chevaux, tantôt à pied, apparaît escorté de musiciens, de licteurs en nombre variable, et de serviteurs chargés de divers instruments, chaise curule, scrinium, ou besace. Sept des sarcophages ainsi décorés s’accompagnent d’une des inscriptions retenues dans la seconde partie » (J. Heurgon). Tout est soigneusement décrit et analysé, « attitudes, costumes, coiffures, chaussures, objets ». Une quatrième partie, intitulée « Synthèse et conclusion », fort courte (5 pages), fournit une théorie d’ensemble du système des magistratures étrusques, telle qu’on peut la dégager à partir des conclusions partielles fournies par les trois types de sources.

            En ce qui concerne les documents épigraphiques et iconographiques, le livre se présente donc fondamentalement comme un catalogue, complet pour l’époque, qui présente et décrit chaque pièce avec une extrême minutie et aussi une très grande prudence. L’auteur a parfois dû se livrer à des recherches approfondies pour retrouver les documents, certains ayant disparu, et, pour chacun d’eux, il a procédé à une révision critique extrêmement rigoureuse du matériel.

            Le sérieux, la prudence et l’honnêteté règnent en maître dans les analyses et les interprétations. Parlant de son propre travail, l’auteur écrit (p. 17 de sa préface) : « ces conclusions ont voulu toujours trouver leur force dans la mesure et l’honnêteté, fuyant l’arbitraire dans une discipline où elle ne se manifeste que trop souvent ». On touche du doigt une autre caractéristique fondamentale de la personnalité intellectuelle de Roger Lambrechts. Tous ceux qui l’ont fréquenté le connaissent comme quelqu’un de très concret, très proche du réel et extrêmement prudent ; il se défie de la fantaisie, ne se sent pas à l’aise devant l’hypothèse, surtout lorsqu’il s’agit d’une l’hypothèse d’hypothèse. C’est, osons le mot, un savant « honnête », qui n’a pas peur de l’épochè, la suspension du jugement. On ne le surprendra jamais à forcer un témoignage pour aboutir à un tableau bien lêché, qui aurait la fausse apparence du complet et du définitif. Ces caractéristiques intellectuelles, cette méthode critique exigeante et rigoureuse, présentes avec éclat dès son doctorat, ne le quitteront plus dans la suite de sa carrière, et nous les retrouverons.

            Bien sûr, le résultat est peut-être un peu austère. Dans un compte rendu de 1961, Michel Lejeune (RBPh, 39, 1961, p. 1269), alors membre associé de notre Académie, comprenait que certains puissent regretter « qu’une étude aussi détaillée, aussi consciencieuse, aussi intelligente n’abouti[sse] qu’à des résultats un peu décevants [il songeait aux 6 pages de la conclusion générale] », mais c’est, continuait-il, « parce que l’auteur a la sagesse de s’interdire des conclusions qui dépassent les prémisses, et parce que les données sont souvent obscures et se laissent difficilement agencer entre elles de façon satisfaisante ».

            Ce livre est toujours considéré, quarante-cinq ans après sa publication, comme le point de départ de toute recherche dans le domaine. Elena Tassi Scandone a écrit récemment (2001) un travail sur les insignes des magistrats étrusques (Verghe, scuri e fasci littori in Etruria. Contributi allo studio degli insignia imperii, Pise-Rome, 2001, 262 p.). Dominique Briquel, membre associé de notre Académie et grand spécialiste actuel en France de l’étruscologie, le situe (Latomus, 63, 2004, 262-263) « dans la ligne de l'étude fondamentale (c’est moi qui souligne) de R. Lambrechts ». Bref, sur les rayons des bibliothèques d’étruscologie, la thèse de doctorat de Roger Lambrechts reste, et restera probablement longtemps, un ouvrage de référence, comme est resté jusqu’à aujourd’hui un classique le Charun, démon étrusque de la mort, de son maître Franz De Ruyt.

 

Quelques autres publications d’étruscologie

            Plusieurs livres suivirent. Celui qui vit le jour en 1970, onze ans plus tard, concerne lui aussi l’épigraphie étrusque, mais son sujet est de portée plus modeste et son intérêt plus limité. Intitulé Les inscriptions avec le mot « tular » et le bornage étrusque, Florence, Olschki, 1970, 98 pp., 19 fig. dans le texte, 17 pl. hors-texte (Istituto di studi etruschi ed Italici. Biblioteca di « Studi Etruschi », 4), il est dédié à Franz De Ruyt (encore son maître) et à Massimo Pallottino, rerum Etruscarum magistris optimis.

            C’est une étude de douze inscriptions (les seules connues à l’époque) contenant le mot tular, qui veut dire en étrusque « limite ». Il s’agit de bornes inscrites servant à la délimitation d’une propriété, ou d’une aire sépulcrale, ou d’un pomerium urbain, ou du territoire d’un populus, ou du territoire national. Dans ce livre, Roger Lambrechts s’intéressait non seulement aux inscriptions elles-mêmes, mais aussi à la position des cippes qui les portaient (d’où le terme « bornage » inclus dans le titre). Ici encore on est en présence d’un catalogue descriptif se prolongeant par des considérations de synthèse. Notre confrère dit (Préface, p. 15) s’être intéressé à cette catégorie très particulière d’inscriptions, entre autres raisons parce que « nous pouvions espérer par [elles] échapper pour un temps aux sempiternelles épitaphes qui constituent le plus clair de l’épigraphie étrusque ».

            Sur le plan de la rigueur et de la méthode, l’ouvrage témoigne des mêmes qualités que la thèse de doctorat. Ici toutefois le matériel était trop réduit pour autoriser « des conclusions substantiellement nouvelles », ce que l’auteur lui-même, avec l’honnêteté et la modestie qui le caractérisent, reconnaissait volontiers dans sa Préface (p. 16). S’il a malgré tout publié le livre (il était réticent), c’est (continuait-il) parce qu’il s’était laissé convaincre, entre autres raisons, « de la nécessité […] de ne pas laisser se perdre inutilement l’analyse critique d’un matériel épigraphique d’importance, établie au contact direct des originaux ». Il faut savoir en effet que l’épigraphie étrusque ne dispose pas toujours « de lectures certaines et claires, de transcriptions rigoureusement précises. Il ne suffit pas de rassembler des inscriptions ; elles doivent être correctement lues, correctement copiées et éditées avec la plus grande ‘acribie’ » (Tular, p. 17). On comprend mieux après cela l’importance et l’intérêt du travail de Roger Lambrechts, qui est sur ce plan technique au-dessus de tout éloge.

            En 1971, il est nommé Professeur en Archéologie et Histoire de l’Art, et Professeur ordinaire en 1974. Comme tout bon enseignant, il tente de faire connaître les travaux de ses étudiants. Il fait ainsi paraître en 1978, des Mélanges d'étruscologie, qui sont accueillis dans la collection des « Publications d'histoire de l'art et d'archéologie de l'Université Catholique de Louvain, 16 » (Louvain-la-Neuve, 1978, VIII + 188 pp., 79 photos et dessins). Ces mélanges regroupent cinq articles dus à cinq de ses étudiants ou anciens étudiants, en l’occurrence Paul Fontaine, Bernard Van Den Driessche, Claire De Ruyt, Catherine Brichard et Jean Moretus. Roger Lambrechts a écrit la préface et a collaboré à l’article de Paul Fontaine, intitulé Le dieu Pan sur un miroir étrusque inédit.

            Le livre suivant, résultat d’une commande de l’éditeur Peeters et publié en 1982, est plus personnel : c’est l’Étrurie d'hier et de toujours, Louvain, Peeters, 1982, 148 pp., 125 ill. Il s’agit cette fois d’un ouvrage de synthèse et de vulgarisation centré moins sur l’univers étrusque en général, que sur l’art étrusque. Si l’on fait abstraction de quelques développements sur la langue et sur les origines, d’une carte et d’un tableau des « grands moments de l’histoire des Étrusques », on se trouve devant quelque 125 pièces significatives, choisies avec goût et commentées avec compétence, et qui couvrent les différents aspects de l’art étrusque, des origines villanoviennes à la période hellénistique. Les illustrations sont de qualité, les analyses sont originales, parfois même novatrices, et le texte est écrit dans une langue très claire. C’est dans un certain sens une initiation à l’art étrusque, accessible à un large public.

            Relevons, au passage, sa position, un peu à contre-courant de ce qui se dit et s’écrit encore parfois aujourd’hui, sur ce qui est si souvent appelé le « mystère étrusque », entendez la langue et les origines du peuple. Roger Lambrechts ne semble pas partager sur cette question l’opinio communis : pour lui, il n’y pas fondamentalement de « mystère dans les origines de la nation étrusque (p. 13-20), pas plus qu’il n’y a de « mystère » dans la langue étrusque (p. 12-13). Et à propos de la langue, il rompt (p. 13) une lance contre les « Champollion au petit pied » qui régulièrement prétendent avoir déchiffré la langue étrusque. La vigueur de la dénonciation, très révélatrice par ailleurs des positions méthodologiques qu’il a toujours défendues, vaut le détour, même si la citation est un peu longue : il évoque ainsi « toutes ces publications charlatanesques, qui ont fait surface périodiquement au cours des dernières décennies, comme des monstres de lacs écossais. À chaque coup, un nouveau Champollion au petit pied y clame sa joie - et ses illusions - d’avoir enfin trouvé, dans des rapprochements inattendus, la ‘clef’ miraculeuse d’une langue restée mystérieuse jusqu’à lui. Et chaque fois la démarche est la même : sans formation scientifique, au nom d’une intuition géniale, au mépris de toute méthode critique, dans une ignorance superbe des résultats et de l’expérience accumulés par les générations précédentes de chercheurs, on franchit allégrement le pas de l’hypothèse à l’affirmation péremptoire et l’on s’enorgueillit de conclusions fantastiques dont on ne semble pas voir les criantes contradictions. La marotte, au fond, serait relativement inoffensive, car ces constructions pseudo-scientifiques n’ont généralement pas la vie longue, si la presse ne leur assurait trop souvent une publicité malencontreuse et n’achevait de désorienter le public en accréditant auprès de lui cette idée archifausse que l’étrusque est une langue dont on ignore encore tout et qu’on peut impunément tenter d’interpréter à partir de zéro, sans tenir aucun compte du fonds d’acquisitions, insuffisantes mais réelles et sûres, nous l’avons dit, que les recherches antérieures ont déjà constitué. » Toujours l’appel à la prudence, l’exigence de méthode, l’inquiétude devant la fantaisie et l’hypothèse.

            Dans cette Étrurie d’hier et de toujours, on a parfois l’impression que l’auteur se livre davantage. Il est ainsi piquant de relever (p. 69), dans la description d’une des peintures de la Tombe des Augures à Tarquinia (le jeu du ‘Phersu)’, le passage suivant : « On aura remarqué la vie cocasse qu’y mettent tant d’oiseaux. Voyez donc celui qui marche à gauche du ‘masque’ en fuite : n’a-t-il pas le jabot arrogant d’un volatile de cartoon américain ? » Et puis on trouve ce texte dans la quatrième de couverture, dont le rôle est de présenter l’auteur, sa vie et son œuvre et qui, comme toute quatrième de couverture, doit avoir été rédigée par l’auteur lui-même. La définition de « classique » que se donne Roger Lambrechts mérite un instant d’arrêt : « Tout compte fait, sa vie elle-même (= il s’agit de celle de l’auteur) est classique aussi, à l’image de ses études et de sa carrière. Mais le classique est à la fois si riche de beautés qu’il devrait suffire au bonheur et assez imprévu pourtant pour ne pas faire un bonheur trop tranquille ». Il n’est pas courant de rencontrer dans son oeuvre des observations aussi personnelles. Je reviendrai in fine sur ce jugement qu’il porte sur lui-même, sur sa carrière et sur sa vie.

 

Le spécialiste des miroirs étrusques

            Revenons à l’étruscologie. Dans ce domaine, une spécialité a occupé une grande partie de sa vie : ce sont les miroirs. Roger Lambrechts est en effet devenu, au fil des années, un des grands spécialistes des miroirs étrusques (P. Defosse, Latomus, 49, 1990, p. 946).

            Un mot sur ce type de matériel. Les miroirs sont des objets d’ornement (coquetterie féminine, cadeau de mariage, etc.), qui se présentaient sous l’aspect d’un disque de bronze à l’extrémité d’un manche, permettant de le tenir en main. Une des faces était lisse, et un polissage adéquat du métal la rendait suffisamment réfléchissante. L’autre, le revers, portait une décoration, généralement une scène assez complexe gravée au burin. Ces miroirs en bronze si caractéristiques de l’Étrurie et du Latium étrusquisé et dont on estime aujourd’hui le nombre à quelque trois mille sont souvent en eux-mêmes de petites œuvres d’art, et leur étude attentive est susceptible d’apporter beaucoup d’informations aux étruscologues. On comprend dès lors l’importance fondamentale de catalogues : pour les progrès de la recherche, il est en effet prioritaire que soient publiés, d’une manière accessible et rigoureuse, le plus grand nombre possible d’objets du même type.

            En fait, une histoire approfondie du miroir étrusque ne pourra être écrite que lorsque les chercheurs disposeront d’une édition adéquate des sources disponibles. Or, avant que n’intervienne notre regretté confrère, l'unique recueil général de miroirs étrusques et prénestins était une synthèse d'Eduard Gerhard, les Etruskische Spiegel, dont les premières pages étaient sorties de presse en 1840, il y a plus d’un siècle et demi ! Remarquable pour l’époque, cette œuvre, qui rassemblait plus de 900 pièces, est totalement dépassée. On en connaît aujourd’hui quelque 3000, nous l'avons dit, et d’autre part l’approche du milieu du XIXe siècle ne répondait absolument plus aux exigences scientifiques qui sont les nôtres.

            Aux yeux de Roger Lambrechts, il était devenu nécessaire, urgent même, de refaire le grand recueil de Gerhard, a fundamentis et sur des bases scientifiques indiscutables. Déjà en 1969 (Roger Lambrechts venait d’être nommé depuis quelques années chargé de cours à Louvain), il présenta quelques Suggestions pour un Corpus des miroirs étrusques et prénestins dans les Hommages à Marcel Renard (t. III, Coll. Latomus, 103, Bruxelles, 1969, pp. 328-332), où il défendait cette idée. Et au fil des années se précisera toujours davantage dans son esprit le projet d'un recueil, général et complet, des miroirs étrusques, un vaste corpus qui remplacerait définitivement l'oeuvre de Gerhard et qui serait une entreprise collective, internationale. Le travail dépassait en effet les forces d’un seul homme. Sur le modèle du Corpus Vasorum Antiquorum, il était envisagé de présenter les miroirs, non pas thématiquement, mais par lieux de conservation ; il fallait aussi, pour le texte comme pour l’illustration, que les spécialistes concernés se mettent d’accord sur une présentation uniforme. La réalisation efficace d’un projet aussi ambitieux nécessitait donc l’accord convaincu des collègues et des organismes scientifiques directement concernés, particulièrement le prestigieux Istituto di Studi Etruschi ed Italici de Florence. Commencé en 1973, le lobbying (comme on dit aujourd’hui) prit plusieurs années.

            Rien de tel toutefois que de démontrer, par un exemple concret, la « faisabilité » d’un projet. C’est pourquoi dès juin 1971, bien avant d’avoir saisi les instances de l’Istituto de Florence, notre confrère avait entrepris l’étude des miroirs (plus de 70 pièces) conservés à Bruxelles par les Musées Royaux d'Art et d'Histoire. Le travail parut en 1978 sous le titre Les miroirs étrusques et prénestins des Musées Royaux d'Art et d'Histoire à Bruxelles (Bruxelles, 1978, 384 pp., 177 photos, 88 dessins au trait). L’ouvrage était conçu un peu comme un catalogue « à l’allemande », une analyse iconographique et stylistique minutieuse, rigoureuse, centrée essentiellement sur la description. L’avis des pairs fut on ne peut plus élogieux. En témoignent les formules suivantes : « méthode et présentation exemplaires » - « illustration excellente, tant par sa qualité technique que par sa pertinence » - « un texte qui répond aux exigences scientifiques les plus rigoureuses » - « un instrument de travail remarquable » « une publication de très haute qualité technique et scientifique » (A. Hus, RBPh, 57, 1979, p. 685-686). Pareil livre pouvait servir de modèle.

            Ce volume ne faisait pas encore partie intégrante du Corpus Speculorum Etruscorum, car celui-ci n’existait pas encore comme tel. Mais il contribua certainement à ce que le projet d’un vaste Corpus Speculorum Etruscorum soit finalement retenu, et un Comité International créé pour en discuter les normes de rédaction et d'édition. Quelques années plus tard, en 1981, sortirent de presse les premières livraisons du Corpus proprement dit : deux fascicules consacrés au Museo Civico de Bologne.

            Depuis cette date, l’entreprise largement internationalisée, a progressé d’une manière régulière. En 2005, elle pouvait aligner 26 fascicules, 6 pour l’Italie et 3 pour l’Allemagne, 3 pour les U.S.A. et 3 pour la France, 2 pour la Grande-Bretagne, et un pour les Pays-Bas, pour la Belgique, pour la Suisse, pour la Hongrie-Tchécoslovaquie, et pour le Vatican. Ils ont ainsi permis d’éditer ou de rééditer environ 850 miroirs ou fragments. Pour Roger Lambrechts, c’était (nous étions en 2005) « un début très encourageant, mais un début seulement. Beaucoup de miroirs, en effet, restent inédits, d'autres, qui ont été édités hors corpus, ne l'ont pas toujours été de manière précise et complète, donc scientifiquement acceptable. Il importe dès lors, écrivait-il, de poursuivre, et même […] d'activer ce grand travail d'édition. »

            Notre confrère n’était pas directeur du Corpus. Jamais les Italiens n’auraient accepté que ce poste soit confié à un étranger, mais « c’est lui qui a lancé et fait adopter le projet du Corpus, et il représente la Belgique au sein du Comité Scientifique International qui assume cette monumentale édition » (quatrième de couverture de Étrurie, 1982). Mieux encore, si l’on peut dire, il mit lui-même « la main à la pâte » en publiant deux fascicules du Corpus. Celui de 1987 (Belgique 1, Rome, 1987, 182 p., 109 pl., 7 fig., 1 tabl.) présentait les miroirs conservés en Belgique. Plusieurs collections étaient concernées : Bruxelles (les miroirs de l’IRPA seulement, ceux des MRAH ayant été publiés en 1978), Courtrai, Gand, Hamme, Louvain-la-Neuve, Morlanwelz et quelques collections privées. Celui de 1995 rassemblait les miroirs de l’« État de la Cité du Vatican » (Stato della Città del Vaticano 1, Rome, 1995, 164 p., 118 ill., 1 tabl.), entendons par là les pièces du Museo Profano della Biblioteca Apostolica Vaticana à la Cité du Vatican proprement dite et celles de la Collezione di antichità dell’Abbazia di San Paolo fuori le mura, cette abbaye jouissant, comme on sait, de l’extra-territorialité.

            Épinglons quelques lignes du jugement porté sur ce dernier travail par Dominique Briquel (REL, 73, 1995, p. 346) : « On saura gré à l’éditeur de sa prudence extrême dans l’interprétation de scènes qu’aucune inscription ne vient éclairer - et de son acceptation qu’il puisse s’agir, sans plus, de scènes génériques, sans qu’il faille, par exemple, parler de Dioscures dès qu’on voit deux jeunes gens d’allure analogue ». Bref, toujours, chez Roger Lambrechts, la même prudence méthodologique, le même soin mis à distinguer la description détaillée de la partie interprétative. Et la conclusion de D. Briquel est sans réserve : « un travail irréprochable ».

            Mais notre confrère n’allait pas en rester là. Il allait franchir une étape supplémentaire, avec la constitution à Louvain, à son initiative et par ses soins, d’une base de données informatique, qui centraliserait le matériel publié (et donc dispersé) dans les fascicules du Corpus imprimé. En 2000, Roger Lambrechts écrivait : « Il m'a semblé utile de réunir, sur la Toile, l'illustration graphique de toutes les pièces, miroirs et fragments de tout type, dont la connaissance peut être considérée déjà comme acquise, afin que cet ensemble puisse être facilement consulté n'importe où et n'importe quand, et rapidement passé en revue. Un minimum de données, qui […] devrait permettre les classements et regroupements essentiels, accompagne l'illustration, afin de mieux la définir. » Cette base de données (plus d’un millier de pièces), en voie d'élaboration depuis 1998 et opérationnelle depuis 2000, fut, jusqu'à sa mort, librement et gratuitement accessible à tout chercheur. Elle regroupe, dans une numérotation continue, tous les miroirs ou fragments de miroirs déjà édités de manière complète et scientifique, c'est-à-dire conformément aux normes du Corpus Speculorum Etruscorum. Comme il s’agit d’une base de données relationnelle, elle peut être interrogée sur un seul critère (par exemple les miroirs comportant le nom de Cacu) ou sur plusieurs (par exemple les documents trouvés à Cerveteri et comportant le nom de turan). Faute d'une reprise adéquate, son accès malheureusement est aujourd'hui réservé.

            De ce Corpus informatisé, Roger Lambrechts fut réellement le maître d’œuvre. Bien sûr, un subtantiel subside de l’Etruscan Foundation (USA) lui facilita l’achat d’un matériel performant, notamment pour la saisie optique de tous les dessins ; bien sûr, pour la programmation proprement dite, il fut aidé, avec une grande compétence et une rare disponibilité, par l’équipe informatique de la Faculté de Philosophie et Lettres louvaniste (en particulier par Jean Schumacher et Boris Maroutaeff). Mais le reste du travail reposa sur ses seules épaules. Il fallait notamment intégrer vers les différents champs de la base louvaniste toutes les données textuelles et iconographiques présentes dans les fascicules du C.S.E.. Cela exigeait des compétences particulières en étruscologie et en informatique. Roger Lambrechts a ainsi scanné lui-même les illustrations correspondant à plus d’un millier de miroirs. Et cela, malgré une vue déficiente. Nous sommes plusieurs à avoir été témoins de son acharnement à ce travail, plusieurs aussi à penser qu’il s’est usé les yeux sur les miroirs étrusques (les vrais, les imprimés et les électroniques).

 

Le fouilleur d’Arténa

            À côté du Corpus Speculorum Etruscorum, un autre chantier a occupé une bonne partie de sa carrière académique, celui d’Artena, et nous touchons ici à son intérêt pour l’archéologie de terrain. Il semble avoir été orienté vers l’archéologie latiale par son collègue et ami, Massimo Pallottino, le maître italien de l’étruscologie, dédicataire avec Franz De Ruyt du Tular. Le même M. Pallottino appuya efficacement ses démarches pour l’obtention d’un site de fouilles en Italie.

            Titulaire d’une candidature en archéologie et en histoire de l’art, Roger Lambrechts n’avait pas eu une formation universitaire complète en archéologie, et avant Artena sa seule activité sur un champ de fouilles fut sa participation (« active », se plaît-il à souligner dans la quatrième de couverture de Étrurie d’hier) en 1964-1966 aux fouilles de la nécropole de Castro (Province de Viterbe) sous la direction de Franz De Ruyt. Il a donc dû se former sur le tas, pourrait-on dire.

            Il fut heureusement entouré de collaborateurs : de nombreux étudiants bien sûr mais surtout, surtout, des collègues expérimentés et efficaces dont on ne signalera ici que ceux qui ont contribué aux publications (comme F. Van Wonterghem de la KUL, Paul Fontaine de l’UCL, Éric de Waele, à l’époque collaborateur scientifique au Ministère de la Communauté Française). Roger Lambrechts disait : « la recherche archéologique est oeuvre collective par nature », et il ajoutait : « je suis épaulé par un groupe de collaborateurs peu nombreux mais d'exceptionnelle qualité ».

            Le site d’Artena (Province de Rome) lui fut proposé en avril 1978 par la « Surintendance archéologique du Latium » ; il accepta et reçut la même année le permis d’exploration. Artena devint ainsi, « après Alba Fucens, Ordona et Castro, le quatrième chantier de fouilles ouvert en Italie par une mission belge ». Le site d’Artena vit se dérouler plus de vingt campagnes.

            Mais le permis n’est pas tout : le financement aussi est important. En 1989, dans l’Avant-propos d’Artena 2, Roger Lambrechts écrivait : « Si ce sont les autorités italiennes qui autorisent les fouilles, ce sont les autorités belges qui jusqu’à présent les ont financées ». Le financement d’un pareil projet n’est jamais facile, et les proches de notre confrère savent qu’il a frappé à de nombreuses portes, réussissant à obtenir de divers côtés subsides récurrents ou aides financière ponctuelles. Au fil de ses publications, on trouve ainsi des remerciements adressés au Ministère belge de l’Éducation Nationale, à l’Union européenne, à la Fondation Francqui, et surtout, surtout au Fonds de Développement Scientifique de l’Université de Louvain, qui semble avoir été un des principaux, sinon le principal bailleur de fonds de la recherche archéologique belge à Artena. Notre confrère a également obtenu en 1979 un subside de 1500 livres anglaises d’une fondation britannique, The Aylwin Cotton Foundation, qui finance des travaux et des publications en rapport avec le monde méditerranéen. Une aide précieuse lui est aussi venue, sous des formes diverses, de l’Accademia Belgica de Rome et de l’Institut historique belge de Rome, ce dernier prenant en charge la publication des rapports de fouilles. Rien d’étonnant dans ces conditions que les fouilles d’Artena soient connues en Italie tantôt comme des fouilles belges (scavi belgi), tantôt comme des fouilles de l’Université Catholique de Louvain, avec toujours la mention « sous la direction du Professeur Roger Lambrechts ». Mais venons-en aux résultats.

            Situé à quelque 50 km au sud-est de Rome, le site fouillé à Artena s’élève à la pointe septentrionale des Monti Lepidi, sur un plateau qui culmine à plus de 631 mètres au-dessus du niveau de la mer et qui bénéficie d’un très large panorama, superbe. Ce devait être dans l’Antiquité une position stratégique importante, permettant notamment de contrôler la vallée du Sacco (le Trerus antique), principale voie de communication interne entre Rome et la Campanie. Il constituait un « extraordinaire poste de surveillance » aux confins des anciens territoires latin, èque et volsque.

            On trouve en plaine, au pied de la montagne, l’agglomération moderne ; à mi-pente, la ville dite médiévale, et au sommet, un plateau aride, qui porte aujourd’hui le nom de Piano della Civita. Seul ce dernier nous intéresse. Des sondages effectués dans la seconde moitié du XXe siècle avaient montré – ce qu’on soupçonnait depuis longtemps – qu’il avait abrité une ville antique. D’ailleurs certains vestiges antiques étaient encore apparents, notamment les restes d’une enceinte et des fragments de murs qui soutenaient une grande esplanade interne. Mais, depuis des temps immémoriaux, cette zone ne servait plus qu’au pâturage.

            Le travail des archéologues belges commença dès 1978 par une exploration préliminaire, une reconnaissance topographique de la zone et du voisinage, et un premier « nettoyage » des restes de l’enceinte. L’année suivante (1979) marqua la première campagne régulière, et à la date du décès de Roger Lambrechts (2005), le chantier était toujours ouvert.

            Ce qui frappe ici encore dans le travail de notre confrère, c’est la rigueur, la précision, la minutie, la prudence, mais j’ai déjà tellement insisté sur ces qualités que je préfère mettre l’accent sur d’autres éléments.

            Je parlerai par exemple de la rapidité dans la publication des résultats. Trois gros volumes de rapports détaillés se succédèrent : Artena 1 en 1983 (Bruxelles-Rome, 120 p., 63 pl., 21 fig. + 1 vol. de plans), Artena 2 en 1989 (Bruxelles-Rome, 260 p., 43 pl., 66 fig., 11 plans h.-t.), Artena 3 en 1996 (Bruxelles-Rome, 232 p., 107 fig., 4 plans h.-t.). Et, dans la foulée, parurent ce qu’on peut considérer comme des synthèses partielles. J’en retiendrai deux. D’abord un ouvrage collectif, sorti en 1989 et intitulé La civita di Artena. Scavi belgi 1979-1989. C’est en fait le catalogue d’une exposition itinérante (Artena, puis Rome, puis Louvain-le-Neuve), catalogue très soigné donnant une excellente vue d'ensemble des résultats des dix premières campagnes ; les responsables de la fouille (Éric de Waele, Paul Fontaine et Roger Lambrechts) passent en revue, illustration abondante à l’appui, toute une série de sujets. Le second titre est la synthèse dressée par notre confrère lui-même, en 2003, devant la Classe des Lettres de l’Académie et qui compte une trentaine de pages, largement illustrées. Elle est intitulée tout simplement Les fouilles belges d'Artena. Ces synthèses sont fort utiles à ceux qui ne souhaitent pas se perdre dans des rapports détaillés (comme Artena 1, 2 ou 3) ou dans des articles trop spécialisés.

            Les non-spécialistes ne le savent pas toujours, mais pareille rapidité dans la publication des résultats, pareille variété aussi dans l’offre adressée au public, sont remarquables : il existe tant de fouilles dont les résultats ne sont jamais connus, ou ne sont connus que des décennies plus tard, ou ne sont connus que par de simples rapports préliminaires, squelettiques et parfois inutilisables. Ce ne fut pas du tout le cas pour Artena. Notre confrère veilla soigneusement à ce que la communauté scientifique puisse être informée rapidement et qu’elle puisse suivre régulièrement les progrès du chantier.

            Et pour cela il n’a pas hésité à mettre lui-même la main à la plume. Il a par exemple entièrement rédigé Artena 3. Il mettait aussi l’œil à l’objectif. Il faut en effet mentionner son goût pour la photographie et ses talents de photographe. Dans les publications sur Artena, très largement illustrées, la majorité des photos lui sont dues. En ce qui concerne les dessins, il ne dessinait pas lui-même, mais précis et minutieux comme il l’était, il contrôlait de très près ce que le dessinateur avait réalisé.

            Qu’a apporté Artena à notre connaissance de l’archéologie latiale ? Dans le contexte de cette notice, je voudrais me limiter aux éléments les plus neufs et les plus originaux de l’exploration du site. Et l’essentiel est à mes yeux que la fouille a dégagé un habitat urbain des IVe-IIIe siècles avant Jésus-Christ et qu’elle en a rendu possible l’étude approfondie. Je ne dirai donc que très peu de choses des phases qui se situent en amont et en aval de cette période (médio-républicaine dans le jargon des historiens). En amont, des découvertes sporadiques de bucchero dans des terres de remblais attestent une occupation sporadique dès le VIe siècle avant Jésus-Christ au moins, mais beaucoup de sites du Latium sont dans ce cas. En aval, une importante villa romaine, datant du début de l’Empire, fut largement et sérieusement fouillée par les Belges, mais les villas romaines abondent en Italie. La surprise – si l’on peut dire – venait du fait que cette villa constituait la seule trace d’occupation du site après quelque trois siècles d’abandon.

            Mais revenons à ce qui est, à mon sens en tout cas, l’essentiel et l’original de la découverte. Cela concerne l’habitat urbain proprement dit, qui couvre, disions-nous plus haut, les IVe-IIIe siècles avant Jésus-Christ. Les résultats de la fouille étaient impressionnants. La cité, s’étendant sur une superficie d’une trentaine d’hectares, est entourée d’une enceinte de quelque 2 km 500. L’angle nord-est du plateau est occupé par une vaste butte rocheuse, à laquelle s’adosse à mi-pente une terrasse artificielle soutenue par un robuste mur en appareil polygonal. Une chaussée, repérable sur 275 m. et large à certains endroits de 8,50 m., monte vers la grande terrasse. En différents points de l’aire urbaine, les fouilleurs dégagèrent les fondations et les soubassements d’une dizaine d’édifices, généralement à fonction domestique, amplement pourvus de citernes.

            L’apport principal est d’ordre urbanistique et architectural. Dans le petit matériel ramené au jour, peu de pièces en effet sont susceptibles d’attirer la convoitise des chasseurs de trésors ou d’enrichir sensiblement les collections des musées. On a trouvé beaucoup de céramique, généralement peu luxueuse, sauf peut-être une belle série de plats de type Genucilia ; la sculpture n’est représentée que par quelques fragments de terres cuites architecturales. Pas trace de monnaie ; et, en ce qui concerne l’épigraphie, une seule inscription, très courte, sur un peson de tisserand, est écrite en un latin archaïque et peu lisible.

            Mais le site ne manque pas pour autant d’intérêt. Plusieurs de ses caractéristiques interpellent vigoureusement l’historien, qui est amené à se poser beaucoup de questions sans obtenir nécessairement - nous allons le voir - des réponses décisives.

            Parlons d’abord de l’habitat proprement dit où la situation est loin d’être simple. En effet, on se trouve manifestement en présence de deux phases de développement. La première période (pré-urbaine pourrait-on dire) prend fin au début du IIIe siècle ; elle est attestée par des constructions domestiques et correspond probablement à un habitat indigène « dont l’extension et les caractères demeurent encore flous » (P. Fontaine, Artena 1, p. 70). La seconde phase, de type nettement urbain, « représente un grand bouleversement qui marque définitivement la physionomie du site. Elle correspond à l’installation d’une ville ‘romaine’, vraisemblablement en rapport avec l’installation d’une colonie » (p. 71), qui serait venue se superposer à l’habitat ‘indigène’ précédent, lequel a été systématiquement incendié et détruit. L’interprétation de la suite des événements est plus délicate, mais il semble bien que ce soit la présence romaine dans la région qui fut à l’origine de l’urbanisation caractéristique de la seconde phase de l’habitat. Les Romains seraient donc, directement ou indirectement, responsables de l’enceinte, de l’infrastructure orthogonale organisant l’espace intérieur, du grand mur de terrassement, de la chaussée. Mais ce ne fut là que des « prémices, à la fois spectaculaires et prometteuses ». Pour des raisons qui nous échappent, elles ne furent pas suivies de réalisations importantes, inscrites dans la durée. L’occupation se termine très tôt, probablement à la fin du IIIe siècle au plus tard et cet abandon semble avoir duré de longs siècles, la seule trace claire de réoccupation étant, on l’a dit plus haut, la villa romaine du début de l’Empire.

            Beaucoup de choses dans ce tableau restent inconnues, notamment les circonstances de l’abandon et ses raisons précises, tout comme les rapports entre la phase d’habitat, qualifiée d’‘indigène’, et celle qualifiée de ‘romain’. Ces indigènes sont-ils des Latins ? Et quels Latins ? Sont-ils plutôt des Volsques ? Il est impossible de répondre à ces questions. Énigmatique même reste le nom antique de cette cité, « l’unanimité des chercheurs n’[étant] réalisée à présent que dans le rejet du nom actuel d’Artena dei Volsci, que l’autorité municipale, dans un souci candide d’authenticité, a[vait] substitué, en 1873, à l’ancienne dénomination de Montefortino […] » (Les fouilles belges d'Artena, p. 122).

            C’est que les textes sur ces événements font cruellement défaut et qu’on ne peut pas éclairer les fouilles d’Artena par ce que nous savons de l’histoire générale de l’Italie centrale. Mais en elle-même, la découverte du site est importante, tout comme sont importantes les trouvailles en matière d’architecture domestique. « Du fait même de [la] pauvreté de notre documentation sur l’architecture latiale du IVe siècle, les […] habitations découvertes […] prennent valeur de témoignage de première importance pour notre connaissance du Latium médio-républicain » (Artena 1, p. 94). Mais ici aussi, il faut raison garder : les édifices mis à jour sont dans un tel état qu’il n’est même pas toujours possible d’en dresser le plan complet avec certitude, ni surtout de se faire une idée précise de la fonction des différentes parties des édifices dégagés. Les fouilleurs interprètent généralement les édifices découverts comme des structures domestiques, sauf le plus grand d’entre eux, considéré comme un édifice « public », et qui a reçu le nom « d’édifice au mundus » parce qu’il comportait une structure très particulière que le fouilleur a cru pouvoir interpréter (un peu audacieusement, à mon sens), comme une fosse de fondation, un mundus. Intéressantes aussi sont les données concernant l’approvisionnement en eau. Les fouilles ont en effet relevé « un système de citernes de différentes dimensions et de fabrication soignée, qui recueillaient les eaux de pluie et alimentaient les groupes d’édifices » (Rinaldi, Scavi, p. IX).

            Beaucoup de questions restent donc en suspens. Peut-être des fouilles complémentaires apporteront-elles des solutions, à moins qu’elles n’amènent d’autres questions, plus délicates encore. Mais quoi qu’il en soit de l’avenir, dans l’état présent des choses, l’apport des fouilles, sur le plan scientifique, est déjà considérable.

            Un jugement d’ensemble sur Artena se doit d’intégrer une autre donnée : l’espoir de « retombées » locales, d’ordre touristique principalement. Le site est aujourd’hui classé ; le travail des Belges à Artena a été inscrit « dans le cadre d’un vaste programme de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine archéologique européen » ; le Parc archéologique d’Artena a été décidé et a reçu un début d’exécution. Si ces perspectives aboutissent, Roger Lambrechts et son équipe auront également contribué au développement d’une petite bourgade d’Italie, restée jusqu’ici en dehors des grands circuits touristiques.

            Rien d’étonnant dans ces conditions que notre confrère soit devenu là-bas un personnage de premier plan. Il a été fait Citoyen d’honneur de la Commune d’Artena le 21 mars 1990, une distinction qui l’a beaucoup ému et dont il n’était pas peu fier. Il en a d’ailleurs fait état dans la rubrique « Distinctions honorifiques » de son curriculum vitae à l’Académie, tout comme, quelques années plus tard, il mentionnera, cette fois sous l’intitulé « Sociétés savantes et professionnelles », qu’il avait été nommé, le 29 mai 1995, membre d’honneur du Circolo Culturale d’Artena, et tout comme, un peu plus tard encore, il signalera, à l’Académie toujours et sous la rubrique « Prix, récompenses », qu’il avait obtenu le 21 juillet 1998 le Gran Premio Città di Artena pour « l’attività svolta nell’anno 1997/1998 ».

            Il était très lié à Artena, et cet attachement - réciproque - explique qu’il ait voulu - détail significatif et émouvant - que ses cendres y soient dispersées. La cérémonie eut lieu le 4 avril 2006, par une belle après-midi printanière. Ce jour-là, notera une de ses filles, « les arbustes sauvages étaient en fleurs, le vaste horizon sur les basses montagnes de la Ciociaria était bien dégagé ».

 

Le gestionnaire

            Comme nombre de ses collègues, Roger Lambrechts participait activement à divers centres de recherche (interuniversitaires ou internationaux) et siégeait dans des jurys ou comités (nationaux ou étrangers) de toute nature. Il serait trop long d’énumérer ici toutes ses charges. J’ai dit plus haut qu’il représentait la Belgique au sein du Comité Scientifique International qui assume la monumentale édition du Corpus Speculorum Etruscorum. J’ajouterai qu’il figurait aussi parmi les rares savants belges élus comme Membres étrangers de l’Istituto Nazionale di Studi Etruschi ed Italici de Florence.

            Dans sa propre université, il ne s’est jamais investi dans des tâches de gestion importantes : il a toutefois été pendant trois ans de 1984 à 1987 Vice-Président de son département d’archéologie et d’histoire de l’art. En fait, il avait horreur des réunions. Il trouvait que beaucoup d’entre elles étaient inutiles, qu’elles engendraient souvent des pertes de temps considérables, qu’elles servaient surtout à de subtils jeux de pouvoirs qui ne l’intéressaient pas et l’agaçaient. En outre il avait horreur des conflits de personnes, de la mesquinerie, du double langage et de la malhonnêté intellectuelle.

            Sans fuir systématiquement les tâches de gestion, il ne les recherchait certainement pas, mais lorsqu’il en avait accepté une, il avait à cœur de la remplir au mieux, avec le sérieux, la compétence et l’efficacité qui étaient ses caractéristiques.

            En ce qui concerne ses charges à l’Académie, j’ai été personnellement témoin de ses hésitations - le terme est faible, je devrais plutôt parler de problèmes de conscience - lorsqu’il fut pressenti pour le poste de Directeur de la Classe qui l’aurait amené à occuper en même temps la Présidence de l’Académie. Déjà frappé par la maladie, il faisait encore front le plus courageusement possible ; il ne voulait pas donner l’impression de fuir les responsabilités, mais il redoutait surtout de ne pouvoir les assumer correctement. Il a beaucoup hésité avant de se désister. Et effectivement, la suite l’a bien montré, il n’aurait plus été en état d’être Directeur de la Classe et Président de l’Académie.

            Il s’est par ailleurs beaucoup investi – avec de très grandes satisfactions personnelles et d’excellents résultats – dans le comité de rédaction de la Revue Belge de Philologie et d’Histoire, dont il a dirigé, pendant deux décennies, de 1979 à 1999, la section « Antiquité ». Dans la cérémonie organisée en son honneur lorsqu’il a quitté cette charge, le 27 novembre 1999, notre confrère Jean-Marie Duvosquel, alors directeur général de la revue, lui a rendu un vibrant hommage public, évoquant ce qu’il a appelé « vingt années de dévouement inlassable au service de la Revue », saluant au passage « l’esprit de dialogue et d’estime mutuelle qu’il a toujours cultivé dans ses rapports avec ses collaborateurs », et concluant en disant que Roger Lambrechts léguait à ses successeurs « un modèle de buongoverno ». La Revue d’ailleurs tint à l’honorer en publiant en Hommage au professeur Roger Lambrechts le tome 78, 1 de 2000, lequel s’ouvre par la bibliographie de son ancien directeur, une bibliographie que nous avons été autorisé à reprendre et à compléter pour la présente notice de l’Annuaire.

           

L’homme privé

            Certaines de ses qualités, comme la rigueur, l’exigence de méthode, l’attachement au concret et au réel, le rejet de toute fantaisie, la patience, la mesure, la réserve ont pu donner de Roger Lambrechts l’image d’un homme relativement sévère, austère, froid. Certains en tout cas l’ont perçu de cette manière, et des formules comme « stoïcien », « digne de l’antique », ont parfois été utilisées pour le caractériser.

            Mais se limiter à cela risquerait de donner de lui une image qui, sans être inexacte bien sûr, ne lui correspondrait qu’imparfaitement. C’est qu’il y avait aussi chez lui un volet que j’appellerais privé, que seuls ses proches, ses intimes et quelques rares amis ont eu l’occasion d’approcher. C’est de cette face, non pas obscure mais cachée, dont je voudrais maintenant dire quelques mots en respectant toutefois au maximum la discrétion dont il a toujours fait preuve.

            Ses distractions d’abord. Il n’en parlait guère et rares sont ses collègues et confrères qui savent qu’il lisait beaucoup, qu’il fréquentait régulièrement la Monnaie, qu’il aimait l’opéra, mais aussi les vieilles comédies américaines, les bandes dessinées et les marionnettes, qu’il jouait au scrabble et aux échecs. Plus rares encore peut-être sont ceux qui savent qu’il s’intéressait à la philosophie zen (2e Kyu) et à la médecine orientale (3e Kyu en shiatsu, une branche de la médecine chinoise), et surtout qu’il était ceinture noire d’aïkido (2e Dan) et avait fréquenté assidûment, pendant quelque trente ans, un club de la rue Royale.

            Son amour de l’Italie. Notre confrère a beaucoup voyagé en Grèce et en Crète, mais l’Italie était incontestablement sa seconde patrie. Il l’a parcourue du Nord au Sud, seul, en couple, en famille ou en groupe, à moto parfois dans des conditions spartiates et difficiles. Sa fille cadette se souvient avec émotion que le dernier livre que son papa déchiffrait à la fin de sa vie, phrase par phrase, en s’aidant de puissantes loupes, avant de perdre presque complètement la vue, était Désir d’Italie de Jean-Noël Schifano (Paris, Gallimard, 1996). Ses cendres, je l’ai dit, furent dispersées sur le site d’Artena. 

            Sa famille. Il était marié, père de trois enfants et grand-père de huit petits-enfants. Il avait rencontré son épouse sur les bancs de Saint-Louis, en candidature classique, et formait avec elle un couple très uni. Il lui avait dédié sa thèse de doctorat (uxorculae adiutrici meae). Il a eu l’immense et douloureux malheur de la perdre lorsqu’il était déjà lui-même lourdement frappé par la maladie. Il ne lui aura survécu que deux ans, supportant la solitude courageusement, avec la force tranquille qu’il mettait dans tout ce qu’il faisait. Mais le premier article qu’il publia après sa mort portait en exergue cet appel émouvant qu’il lui adressait et qui ne pouvait être compris que de quelques-uns : « Aide-moi à sourire encore ».

            Ses convictions religieuses. Catholique convaincu et pratiquant, il fréquentait régulièrement l’Église du Finistère qu’il aimait beaucoup et où se déroula une messe d’enterrement digne et sobre. Discret comme il l’a été toute sa vie, il n’avait pas souhaité de discours officiels, qu’ils soient universitaires ou académiques. Son approche de la religion était peut-être plus morale et dogmatique que spirituelle ou mystique, encore que cette dernière dimension, d’après ses proches, ait également suscité son intérêt, surtout vers la fin de sa vie. Quoi qu’il en soit, il fut toujours ouvert et respectueux envers les autres formes de pensée philosophique ou religieuse : il vient d’être question de son intérêt pour la pensée orientale ; il était aussi amicalement curieux de la spiritualité franc-maçonne. Un détail émouvant : sa fille cadette, qui, pendant sa maladie, eut avec lui de riches échanges m’a confié qu’à cette époque il remettait humblement ses choix de vie en question et constatait que fondamentalement la seule chose qui comptait était d’aimer. C’est sur ce dernier trait, très révélateur et qui fait réfléchir, que je terminerai son portrait d’homme.

 

            Roger Lambrechts était un travailleur acharné, minutieux, pour ne pas dire perfectionniste, s’investissant à fond dans les travaux qu’il réalisait et dans les fonctions qu’il acceptait, exigeant vis-à-vis de lui-même et des autres, proche du réel et du concret, patient et méthodique, fuyant la fantaisie, réticent même devant l’hypothèse, discret, peu porté à se mettre en avant, homme de devoir, agacé par les conflits de personnes et les pertes de temps, supportant difficilement la médiocrité et l’incompétence, accordant toujours un très grand prix au mérite scientifique et au bien commun. Ces traits expliquent en partie l’image de réserve, de sévérité, d’austérité, voire de froideur, qu’ont parfois retirée de lui ceux qui l’ont approché. Mais il avait aussi une face plus personnelle, plus intime, qu’il ne dévoilait que lorsqu’il se sentait totalement en confiance.

            Nous avons perdu avec lui non seulement un grand savant, discret et réservé, mais aussi un homme de cœur à la personnalité riche et complexe. À plus d’un titre, dans un monde qui privilégie trop souvent le clinquant, le superficiel, l’instant et le paraître, il peut servir d’exemple, un de ces exempla dont étaient si friands les anciens Romains. En 1982, dans la quatrième de couverture de l’Étrurie d’hier et de toujours, je l’ai dit plus haut, il avait utilisé lui-même, pour caractériser ses études, sa carrière et sa vie, le terme « classique », à comprendre évidemment au sens intellectuel et moral, et il continuait : « Mais le classique est à la fois si riche de beautés qu’il devrait suffire au bonheur et assez imprévu pourtant pour ne pas faire un bonheur trop tranquille ».

 


FEC - Folia Electronica Classica  (Louvain-la-Neuve) - Numéro 15 - janvier-juin 2008

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