Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 10 - juillet-décembre 2005
L’impiété, une caractéristique des « mauvais » empereurs
par
Françoise Van Haeperen
professeure à l’UCL
Cet article est issu d’une communication faite le 6 juin 2005, à l’Université de Paris VIII, pour la Journée d’étude Sacrilège et impiété dans les mondes de l’Antiquité. Séminaire de maîtrise et DEA en histoire ancienne, organisée par A. Daguet-Gagey.
- Inceste
- Profanation
- « Auto-divinisation »
- Piété excessive, piété pervertie
Préliminaires : « mauvais » empereurs et impiété
En quoi l’impiété constitue-t-elle une caractéristique des « mauvais » empereurs romains ? Avant de proposer des réponses à cette question, il importe d’apporter quelques précisions. Nous nous situons ici au niveau des représentations, des topoi. Autrement dit, nous ne chercherons pas à vérifier si ces empereurs furent réellement « mauvais » ou s’ils ont effectivement commis des actes impies mais nous tenterons de dégager quelle image les auteurs anciens nous donnent, a posteriori, de l’impiété de ces « mauvais » empereurs. Précisons maintenant ce qu’on entend par « mauvais » empereur et par impiété.
Les « mauvais » empereurs correspondent aux princes qui sont caractérisés comme des « tyrans » par l’historiographie ancienne, par opposition aux « bons » princes (Dunkle, 1967 et 1971 ; Wallace-Hadrill, 1982 ; Gascou, 1984, p. 722‑733 ; Wardle, 1994, p. 70‑71). Ces derniers respectent, au moins en apparence, la façade républicaine dans leur manière de gouverner, en se montrant notamment respectueux du Sénat. Ils sont en outre parés de différentes vertus par les auteurs anciens. Parmi celles-ci
émerge, chez Suétone notamment, la moderatio, « vertu du prince qui sait ne pas abuser de son pouvoir », souvent associée à la clementia et à la ciuilitas, c’est-à-dire la « vertu du prince qui n’oublie pas qu’il est un ciuis, et qui rejette tout esprit tyrannique » (Gascou, p. 722, 724). Occupe également une place importante parmi les vertus du prince l’abstinentia, la capacité à mettre un frein à « des désirs à l’exercice desquels le pouvoir absolu offre une libre carrière » ; cette vertu témoigne ainsi de
la maîtrise de soi mais aussi du respect des autres. La pietas constitue l’une des autres vertus majeures des « bons » princes ; ce terme, pietas, doit être compris dans son sens romain, comme respect des devoirs traditionnels vis-à-vis de ses proches, de l’Etat et des dieux. Inversement, les « mauvais » princes, les tyrans, sont caractérisés par des vices s’opposant à ces vertus : à la moderatio répond l’esprit tyrannique tout à l’inverse de la ciuilitas et la cruauté, miroir inverse de la clementia ; cet
esprit tyrannique se manifeste par l’arrogantia, la superbia, l’impotentia. A l’abstinentia du « bon » empereur répond la libido, le désir déréglé, l’absence, chez le tyran, de toute limite dans l’exercice du pouvoir. A la pietas correspondent les offenses faites à ses proches, à l’Etat, aux dieux, ces dernières pouvant être qualifiées d’impietas. Dans une Declamatio attribuée à Quintilien (declam. min. 329, 9, ed. D.R. Shackleton Bailey, Teubner, 1989), le tyran est ainsi décrit
comme « très cruel, très violent corrupteur non seulement de la pudeur et de nos biens et de ceux des premiers de cette ville mais aussi de tous les temples et des cérémonies, jaloux non tant des hommes que des dieux immortels ».
En quoi consiste l’impiété chez les Romains ? Pour répondre, nous nous baserons sur les enquêtes menées par J. Scheid, pour les derniers siècles de la République et le début de l’Empire (Scheid, 1981 ; 1985). Rappelons d’abord que la piété forme, aux yeux des Romains, « leur qualité nationale primordiale ». Par des actes pieux, par l’accomplissement des rites traditionnels, les Romains se garantissent la faveur des dieux, qui leur assurent prospérité et succès. A l’opposé, écrit J. Scheid (1985, p. 23), « le délit religieux consiste, pour l’individu, à violer des règles [rituelles] publiques. Est impie et inexpiable l’individu qui viole délibérément les prescriptions rituelles. (…) Seul le mépris public sanctionne toutefois cet impie et si la communauté le poursuit, c’est sur un plan profane. (…) Au dieu donc de se venger des offenses qui lui sont faites ». Parmi les délits religieux, citons les infractions commises au cours d’une cérémonie religieuse, les violations de sépulture, la violation des auspices, le crime de la vestale qui n’a pas respecté l’obligation de chasteté inhérente à son sacerdoce, le parricide, le parjure et l’inceste, mais aussi bien sûr l’atteinte à un objet ou à un lieu sacré. Pour qu’un délit existe, il ne suffit pas qu’il soit commis, il faut également qu’il soit reconnu comme tel par la communauté, par l’Etat : la gravité du délit peut immédiatement sauter aux yeux mais il peut également arriver que celui-ci ne soit découvert que quelque temps après ; des prodiges manifestant la rupture de la pax deorum – la bonne entente entre les dieux et la Ville –, incitent la communauté à en chercher la cause et éventuellement à la reconnaître dans un délit religieux qu’elle assume : le délit concerne alors toute la communauté (ainsi telle défaite, signe de la rupture de la pax deorum, est attribuée à la négligence des auspices par tel consul). Une fois le délit religieux découvert, le sénat fait expier le sacrilège ; la communauté, non responsable du délit qu’elle a involontairement commis par l’intermédiaire d’un de ses représentants, retrouve ainsi sa « pureté ». Le coupable, s’il a commis sa faute volontairement, reste inexpiable. Il ne sera toutefois pas poursuivi pour impiété ; c’est aux dieux de se venger. On observe souvent que les impies sombrent dans la folie, échouent dans toutes leurs entreprises et meurent rapidement d’une mort honteuse.
A ces délits commis au sein même du système religieux romain s’ajoutent ceux que J. Scheid (1981, p. 157) qualifie de « crimes contre la religion ». Il s’agit, aux yeux des Romains, d’atteintes contre le système religieux dans son ensemble, qui sont poursuivies par le droit. Pensons par exemple au scandale des Bacchanales ou aux persécutions chrétiennes. C’est également dans ce cadre que le savant évoque la répression de la magie et de l’astrologie, dans la mesure où ces pratiques pouvaient
susciter des troubles populaires ou largement troubler la vie communautaire (puisque la magie était en bonne partie destinée à nuire). Remarquons-le bien, la religion romaine (au sens de religion publique) n’est pas en cause dans ces affaires : au sens strict, « les coupables n’étaient pas impies, car les forfaits se situaient en dehors de l’espace civique, en dehors de l’activité religieuse de la cité » (Scheid, 1981, p. 163), celle-ci ne devait donc pas assumer cette faute.
Qu’en est-il de nos « mauvais » empereurs ? Quand un tyran commet une impiété, il est évidemment impossible pour la communauté de reconnaître, publiquement, le sacrilège : « dans ce cas », constate J. Scheid, « la communauté avait toujours la possibilité de rappeler le délit à la mort du tyran et de mettre celui-ci au ban de l’histoire » (Scheid, 1981, p. 142).
De quelles impiétés les empereurs se rendaient-ils coupables ? Nous envisagerons ici leurs actes sacrilèges « classiques », tels qu’ils existaient déjà sous la République – nous avons déjà cité les plus importants d’entre eux. Mais nous considérerons aussi ce qui constitue une nouveauté depuis César, l’assimilation aux dieux. La divinisation d’un empereur de son vivant à Rome, l’attribution à Rome d’honneurs divins à l’empereur régnant, sont jugées très négativement depuis les tentatives de Jules César : elles sont souvent présentées par les historiens anciens comme l’une des causes, sinon la cause la plus importante, de l’assassinat du dictateur. Inversement, le refus, par un prince, des honneurs divins qui lui sont proposés, constitue, dans l’historiographie, un motif récurrent qui caractérise les « bons » empereurs (Gradel, Worship, 2002, p. 109‑111).
Nous serons également attentifs à des actes que je qualifierais de piété excessive et de piété inversée ou pervertie : des actes de piété accomplis par l’empereur qui servent à illustrer l’un ou l’autre de ses vices, tel par exemple la cruauté.
Nous envisagerons également les résultats ou conséquences des actes impies commis par les empereurs tout comme les éventuelles « réparations » dont ils firent l’objet, dans la mesure où les sources nous le permettent.
Les réflexions que je vous soumets ici sont le résultat d’une enquête partielle, qui ne prétend pas à l’exhaustivité. D’une part, tous les « mauvais » empereurs n’ont pas été pris en considération : le choix s’est porté sur un tyran emblématique du Haut-Empire, Caligula (37-41) : je présenterai de manière assez détaillée ses impiétés, avant de les confronter, plus rapidement aux impiétés commises par certains de ses successeurs. D’autre part, je me suis essentiellement intéressée aux récits d’historiens ou biographes anciens tels Tacite, Suétone, Dion Cassius et dans une moindre mesure Hérodien et l’Histoire Auguste. Il serait bien évidemment très intéressant d’élargir l’enquête en incluant des poètes ou des auteurs comme Sénèque ou Pline l’Ancien. Enfin, il vaudrait aussi la peine d’évaluer la place et le poids, quantitatifs et qualitatifs, du thème de l’impiété par rapport aux autres vices qui caractérisent l’empereur-tyran ; ceci suppose toutefois une étude plus globale.
[Plan]
Les sources relatives à Caligula et à ses impiétés sont relativement nombreuses. Parmi celles-ci figure en bonne place Suétone, qui divise sa Vie de Caligula en deux parties : « Jusqu’ici nous avons parlé d’un prince ; il nous reste à parler d’un monstre » (Suet. Cal. 22, 1). Le substantif monstrum, utilisé par l’auteur, signifie dans son sens premier un « prodige », un signe des dieux qui témoigne de la rupture des bonnes relations entre ceux-ci et les hommes ; de manière
plus large, ce terme désigne tout ce qui sort de la nature, un monstre, une monstruosité. Parmi les premières manifestations du monstrum, le biographe déclare que Caligula s’arrogea la maiestas diuina, avant de détailler celle-ci. Dans le portrait final de l’empereur, il rappelle son mépris des dieux. Flavius Josèphe nous fournit également des informations, tout comme Dion Cassius, qui consacre plusieurs chapitres de son livre aux sacrilèges commis par Caligula mais qui l’évoque aussi parfois plus ponctuellement, comme dans
l’exemple suivant qui nous permet d’introduire le premier type d’impiété commis par l’empereur, l’inceste.
Après avoir évoqué la piété que le jeune empereur manifesta envers sa mère et ses sœurs au début de son règne, l’historien grec déclare, en jouant sur l’opposition des termes, qu’il devint le plus impie des hommes envers ses parents : il provoqua la mort de son aïeule et déshonora toutes ses sœurs (Dio Cass. 59, 3, 4-6). Or, rappelons-le, l’inceste constitue l’un des délits religieux importants. On en était encore conscient sous l’Empire, comme en témoigne l’épisode du mariage de Claude avec sa nièce Agrippine : ceux-ci, nous rapporte Tacite, n’osèrent pas célébrer de cérémonie nuptiale : d’une part, il n’existait pas de précédent ; d’autre part, poursuit l’historien, « on avait même peur de l’inceste et de déchaîner un malheur sur l’Etat, si l’on passait outre » (Tac. ann. 12, 5). On le voit, la conception selon laquelle un acte impie risque de provoquer une calamité publique est encore bien ancrée dans les esprits (même s’il s’agit vraisemblablement d’une précaution oratoire de l’empereur, qui, ce faisant, manifeste son souci de respecter les règles traditionnelles). Devant les scrupules de Claude, le sénat se déclare alors favorable à ce mariage. Le jour du mariage, un certain Silanus, qui avait été accusé et condamné pour inceste avec sa sœur, se suicide. Le « bon » Claude décide alors que des cérémonies ancestrales « seraient célébrées » et que les pontifes feraient des sacrifices pour expier l’inceste de Silanus ; ceci provoque « les risées de tous à l’idée qu’on eût choisi un tel moment », c’est-à-dire l’époque du mariage de l’oncle et de sa nièce, « pour la punition et la purification d’un inceste » (Tac. ann. 12, 8). Quoi qu’il en soit des intentions réelles du prince, cette anecdote aussi est révélatrice : l’inceste du frère et de la sœur, reconnu comme tel par la communauté, et condamné à l’issue d’un procès (pour inceste et non pour impiété), fait aussi l’objet d’une purification religieuse, ordonnée par le prince qui manifeste ainsi sa piété.
Dion Cassius choisit donc à bon escient de qualifier Caligula d’impie, quand il parle de son inceste avec ses sœurs [1]. Remarquons que l’inceste est aussi mentionné par Suétone dans sa Vie de Caligula mais sans connotation liée à l’impiété ou à la religion (Suet. Cal. 24) ; les rapports de Caligula avec ses sœurs y ouvrent les paragraphes consacrés aux débauches sexuelles de l’empereur.
La profanation de lieux ou d’objets sacrés constitue une autre forme d’impiété, dès l’époque républicaine. Caligula ne manqua pas d’en commettre, selon différents auteurs, tels Flavius Josèphe, Suétone ou Dion Cassius (Flav. Jos. Ant. Iud. 19, 4, 7-10 ; Suet. Cal. 22, 3 ; Dio Cass. 59, 28, 3-4). L’empereur ne laissa aucun des temples grecs inviolés ; il en fit enlever les statues pour orner ses jardins et palais en Italie ; ces statues correspondent d’une part à des offrandes prestigieuses par leur qualité faites à ces sanctuaires mais aussi – et le délit en est bien sûr aggravé – à des statues de cultes. Caligula souhaitait ainsi faire transporter à Rome la fameuse statue « du Zeus qui était honoré à Olympie par les Grecs », l’œuvre de Phidias. Suétone et Dion Cassius ajoutent que l’empereur voulait remplacer les têtes de ces statues par la sienne propre : il voulait notamment, explique Dion Cassius, placer la statue de Zeus Olympien, « remodelée à sa ressemblance », dans le temple qu’il se faisait construire dans son palais. Le projet de Caligula échoua, des prodiges en empêchant l’exécution : « le bateau assemblé pour son transport fut détruit par la foudre, et un grand éclat de rire, chaque fois que quelqu’un s’approchait pour toucher la statue, se faisait entendre » (Dio 59, 28, 4).
Après la mort de Caligula, son successeur, Claude, restitua les statues pillées dans ces sanctuaires (Dio 60, 6, 8 ; Pausan. 9, 27, 3 ; Plin. nat. 35, 18 ; 36, 14) : le « bon » empereur répara ainsi les fautes de son prédécesseur. Il vaut la peine ici de mentionner un passage de Pausanias, relatif à la cité de Thespies en Béotie : le dieu le plus honoré de la ville était Eros, dont l’empereur Gaius, c’est-à-dire Caligula, fit enlever la statue ; Claude la rendit à Thespies mais Néron la
reprit une deuxième fois. L’auteur poursuit en évoquant la triste fin de ces deux empereurs qui avaient commis une impiété envers le dieu… Leur mort violente est ainsi clairement mise en rapport avec cet acte d’impiété.
Caligula voulait remplacer les têtes des statues de dieux par la sienne propre, venons-nous de voir à propos des pillages de statues commis par l’empereur. Ceci nous introduit au troisième type d’impiété auquel il se livra : il s’arrogea, selon Suétone, la maiestas diuina ; il se présenta comme un dieu ou s’assimila aux dieux existants, encouragé en cette voie par des flatteurs. Dion Cassius introduit son long passage sur la divinisation de l’empereur par ces mots : « désigné par les uns comme un demi-dieu et par les autres comme une vraie divinité, il perdit complètement la raison » (Dio Cass. 59, 26, 5). Ce lien entre divinisation et folie est également perceptible dans le récit de Flavius Josèphe, qui parle, quant à lui, d’auto-divinisation (Flav. Jos. Ant. Iud. 19, 4, 1 et 5). Or, nous l’avons vu, la folie frappe régulièrement les coupables d’impiétés, selon les conceptions romaines…
Nous suivrons maintenant le récit de Suétone détaillant la maiestas diuina dont s’était emparé Caligula, en apportant ci et là des précisions provenant d’autres auteurs anciens et de travaux modernes.
L’empereur, écrit le biographe, « fit prolonger jusqu’au forum une aile du Palatium, et transformant en vestibule le temple de Castor et de Pollux, il s’y tenait souvent au milieu de ses frères les dieux et s’offrait parmi eux à l’adoration des visiteurs » (Suet. Cal. 22, 3)
[2]. Caligula se présente comme un dieu, parmi eux. Si, au vu des récentes découvertes archéologiques, la transformation du temple est loin d’être avérée, cette information est
cependant révélatrice pour notre propos. Elle rejoint partiellement, sans le recouper totalement, le récit de Dion Cassius : selon l’historien grec (59, 28, 5), Caligula fit couper le temple des Dioscures en deux, « se ménageant un passage au milieu des deux statues pour se rendre en Palatio, ayant ainsi, comme il disait, les Dioscures comme portiers ». Non seulement Caligula s’identifie à un dieu mais il subordonne les Dioscures à sa personne.
Suétone poursuit par ces mots : « et certains le saluèrent du nom de Jupiter Latial » (Cal. 22, 3). La spécification quidam indique qu’il s’agit plutôt d’une salutation privée, non officielle ; l’usage du parfait tend en outre à indiquer qu’il s’agit d’un fait ponctuel, non répété ou du moins non répétitif. Selon une interprétation récente d’I. Gradel (Jupiter, 2002, p. 245‑248), ces mots seraient à comprendre comme un trait d’esprit de certains Romains : Jupiter Latial était honoré lors des Féries Latines ; à cette occasion, sa statue était baignée du sang d’un gladiateur ou d’un criminel ; ce dieu pouvait donc être perçu comme sanguinaire… tout comme le jeune empereur, que certains auraient dès lors qualifié de Jupiter pour satisfaire ses désirs d’assimilation à la divinité, tout en s’en moquant subrepticement en ajoutant l’épithète Latiaris !
Caligula, continue Suétone, « consacra même à son numen un temple spécial, des prêtres, et des victimes tout à fait rares » (Suet. Cal. 22, 4). Le numen correspond à la « puissance d’une divinité », le Numen Augusti peut être interprété comme la « divinisation de son pouvoir d’action ». L’information similaire fournie par Dion Cassius vaut la peine d’être examinée (Dio Cass. 59, 4, 4) : l’historien grec oppose, en un même paragraphe, les actes du prince au début de son règne et ceux qu’il posa par la suite. En ciuilis princeps, Caligula refusa d’abord les sacrifices que le Sénat avait décrétés en l’honneur de son Génie. Ensuite, l’empereur ordonna – l’acte semble ici unilatéral – des temples et des sacrifices, pour sa personne, comme à un dieu.
Suétone apporte ensuite une série de précisions quant au temple, aux prêtres et aux victimes (Cal. 22, 5-7) :
- « Dans ce temple se dressait sa propre statue en or, faite d’après nature, que l’on revêtait chaque jour d’un costume semblable au sien »
- « La dignité de grand-prêtre était obtenue tour à tour, à force de brigue et de surenchères, par les citoyens les plus riches ». Claude en fut si démuni, nous rapporte le biographe dans la vie de ce prince, que les biens qu’il avait hypothéqués pour accéder à ce sacerdoce, furent finalement vendus (Claud. 9 ; voir aussi Dio Cass. 59, 28, 5). On peut s’interroger sur la nature de ce culte et de ce sacerdoce. I. Gradel a récemment fait le point sur cette question, en reprenant l’ensemble des textes : il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un culte privé et non d’un culte d’Etat, public (Gradel, Worship, 2002, p. 152‑153). Plaident en ce sens le fait que le temple a été érigé par Caligula à ses frais (d’après Dion Cassius) mais aussi le fait que le sacerdoce était payant, ainsi que la nature étrange des victimes, qui étaient, selon Suétone : « des flamants, des paons, des coqs de bruyère, des poules de Numidie, des pintades, des faisans, et chaque jour on changeait d’espèce. »
On trouve encore chez Dion Cassius l’élément suivant, qui permet de compléter le tableau dressé par Suétone, à propos du culte de Caligula (59, 27, 2 et 5-6) : Caligula était honoré comme un dieu non seulement par la « multitude », mais aussi par des gens très bien considérés, dont un sénateur, Vitellius : ce dernier avait eu la vie sauve parce qu’il avait accordé des honneurs divins à l’empereur. Il en vint finalement à surpasser tous les autres en matière de flatterie, poursuit l’historien grec : « Un jour que Caius prétendait avoir des relations avec la Lune, il demanda à Vitellius s’il voyait la déesse s’unir à lui ; et Vitellius, les yeux au sol comme ébahi, lui répondit en tremblant : "A vous seuls les dieux, mon maître, il est possible de vous voir les uns les autres" ».
Suétone aussi évoque les rapports de Caligula avec la Lune : « il l’invitait fréquemment à venir l’embrasser et partager sa couche » (Cal. 22, 8). Nous ne chercherons pas à saisir quelle pratique a pu être ici mal interprétée par les historiens anciens, volontairement ou non. Certains ont proposé d’y voir une interprétation travestie de cultes isiaques ou de pratiques hiérogamiques égyptiennes (pour un aperçu des diverses hypothèses, voir Wardle, 1994, p. 214‑215). Notons simplement que dans le cadre des récits de Suétone et de Dion Cassius, cette mention constitue un des exemples d’auto-divinisation de l’empereur et de sa proximité avec les dieux : Suétone continue d’ailleurs de la sorte : « et le jour il causait secrètement avec Jupiter Capitolin, tantôt en chuchotant et prêtant l’oreille à son tour, tantôt à voix plus haute et non sans le quereller. On l’entendit, en effet, menacer Jupiter en criant : "Enlève-moi ou c’est moi qui t’enlèverai" (Hom. Il., 23, 724) » (Cal. 22, 8‑9). Dion Cassius ajoute : « Au tonnerre, il répliquait par un tonnerre mécanique, et il répondait aux éclairs par des éclairs » (Dio Cass. 59, 28, 6).
Outre ce long passage sur la maiestas diuina que s’arroge le monstrum Caligula, Suétone fournit à la fin de sa vie de l’empereur d’autres éléments intéressants pour notre propos (Suet. Cal. 52) ; ceux-ci sont corroborés par Dion Cassius (59, 26, 5-6) que nous citons ici :
[Caligula] feignait aussi d’être Jupiter, et se servait de ce prétexte pour avoir des relations avec bon nombre de femmes, et surtout avec ses sœurs. Il incarnait Neptune également, parce qu’il avait jeté un pont sur une immense étendue de mer [3] ; ou bien Hercule, Bacchus, Apollon et toutes les autres divinités, pas seulement masculines, mais aussi féminines. Souvent il devenait Junon, Diane, Vénus. Et selon le nom qu’il adoptait il prenait aussi l’apparence correspondante, afin d’être à leur ressemblance.
L’empereur s’identifiait ainsi à diverses divinités, tant féminines que masculines, et se « déguisait » en fonction de la divinité qu’il voulait incarner.
D’autres textes encore pourraient être cités, autant d’anecdotes qui témoigneraient de cette volonté de Caligula d’être reconnu comme un dieu ou de s’assimiler à une divinité existante [4]. Terminons simplement par ces mots de Dion Cassius, qui concluent, non sans une pointe d’humour, le règne de cet empereur (59, 30, 1) :
Caius agit ainsi pendant trois ans, neuf mois et vingt-huit jours ; et il apprit par expérience qu’il n’était pas un dieu. Ceux-là même qui s’agenouillaient devant lui, même en son absence, ils le conspuaient à présent ; celui qu’ils nommaient, par oral et par écrit, "Jupiter" et "dieu", ils en faisaient maintenant leur victime. Ses statues, ses portraits étaient abattus, car le peuple se souvenait de ses terribles souffrances.
Diverses anecdotes rapportées par Suétone ou Dion Cassius témoignent enfin de la piété de l’empereur, en mettant l’accent sur son caractère exagéré ou, pire, perverti. Cette piété que je qualifierais d’excessive ou de pervertie sert à illustrer d’autres traits du tyran, parmi lesquels ses excès, sa cruauté [5] ou son mépris des dieux. En voici quelques exemples. Après le décès de sa sœur Drusilla, Caligula lui attribue une série d’honneurs divins, dont un temple et des prêtres, et ordonne, selon le biographe latin, un iustitium (Suet. Cal. 24 ; Dio Cass. 59, 11, 3-6). Toutes les affaires sont suspendues durant ce deuil public et, précise l’historien grec, pendant ce temps,
tout le monde était pareillement accusé, soit qu’on se fût réjoui, en montrant du contentement, soit qu’on eût accompli quelque action par affliction ; car c’était une égale faute de ne pas la regretter, puisqu’elle était femme, et de la pleurer puisqu’elle était déesse. On peut par un seul exemple témoigner de tout ce qui s’est passé alors : un homme qui vendait de l’eau chaude fut exécuté, comme coupable d’impiété.
Rappelons qu’il était normalement interdit d’exercer un travail durant les jours néfastes (jours de fêtes en l’honneur des dieux) ; du moins, tout travail effectué durant les jours de fêtes devait-il être suspendu au passage des prêtres. Le contrevenant, s’il avait agi par inadvertance, pouvait expier sa faute en offrant un sacrifice (et devait en outre payer une amende) ; par contre un individu ayant sciemment transgressé l’interdiction de travail en de tels jours était inexpiable (Scheid, 1981, p. 126‑127). Aucune autre sanction publique qu’une amende ne le frappait. La réaction de Caligula par rapport à ce malheureux qui vendait de l’eau chaude apparaît d’autant plus excessive à la lumière de ces précisions : il n’était sans doute pas impie au sens technique du terme (c’est-à-dire qu’il n’avait vraisemblablement pas agi volontairement à l’encontre du deuil) et quand bien même il l’eût été, aucun châtiment public ne visait les impies.
Dans un passage où il illustre par de nombreux exemples la cruauté de Caligula, Suétone rapporte l’épisode suivant (Suet. Cal. 32, 6) [6] :
Un jour, la victime étant devant l’autel, [Caligula] la toge retroussée à la ceinture, dans la tenue d’un victimaire, éleva bien haut sa massue et immola le sacrificateur.
L’empereur a donc inversé les rôles. Il est vêtu en victimaire – il déroge ainsi à sa fonction de prince, qui peut sacrifier à divers titres, en tant que prêtre, en tant que magistrat ou simplement parce qu’il détient l’imperium ; rappelons aussi que l’acte de la mise à mort n’est jamais accompli par le sacrifiant, prêtre ou magistrat, qui préside au sacrifice (on dit que celui-ci sacrifie, tout comme on dit que César fait un pont). Vêtu en victimaire, Caligula sacrifie l’assistant chargé d’immoler les victimes animales. En le parodiant, en le souillant, il transforme un sacrifice animal habituel en un sacrifice humain.
Mentionnons enfin l’attitude de l’empereur par rapport aux dieux lorsqu’il fit assembler, en 39, un pont de bateaux entre Baïes et Pouzzoles : selon Dion Cassius (59, 17, 4 et 10-11), à cette occasion,
il sacrifia à Neptune, à quelques autres dieux et à l’Envie, pour éviter, disait-il, que la jalousie ne le frappe, et il s’engagea sur le pont (…). 10. (…) il (…) précipita dans l’eau quantité [de] gens en poussant contre eux des bateaux munis d’éperons, au point que certains moururent ; mais le plus grand nombre, malgré l’ivresse, put se sauver. La raison en est que la mer resta très plane et très calme (…) 11. Et Caius s’en vantait, disant que Neptune avait peur de lui.
Par les mots que lui prête l’historien grec, Caligula se pose en rival de Neptune : le dieu de la mer risque d’être jaloux de lui, tout comme il en a peur. Ces propos attestent clairement l’orgueil et le mépris de l’empereur pour ce dieu.
[Plan]
Impiété des mauvais empereurs : quelques pistes de réflexion
L’exemple de Caligula, bien documenté, nous a permis de mettre en lumière différents types d’impiétés commises par un empereur : inceste, profanation de lieux et d’objets sacrés, piété excessive ou pervertie, « auto-divinisation ».
Voyons dans quelle mesure ses successeurs « mauvais » empereurs, et notamment Néron, se conforment à ce contre-modèle et, éventuellement, ajoutent au catalogue d’autres impiétés encore. Je ne prétends pas ici dresser une liste exhaustive mais simplement proposer, sur la base de quelques exemples, quelques pistes de réflexion sur les types d’impiétés commises et sur leurs conséquences – rappelons-le, nous restons ici dans le registre des représentations, des perceptions que les Romains avaient de ces impiétés.
Commençons par les impiétés déjà reconnues comme telles sous la République. L’inceste constitue l’un des délits religieux perpétré par Caligula, du moins aux yeux de Dion Cassius. Pour les autres « mauvais » empereurs, il semble plutôt que ce délit soit rangé par les auteurs parmi les exemples illustrant leur débauche sexuelle.
Les atteintes à des lieux ou objets sacrés correspondent à un autre type d’impiété auquel se livre Caligula. Ses « mauvais » successeurs ne sont pas en reste. Citons ainsi ce passage révélateur de Tacite (Tac. ann. 14, 22, 8 ; trad. H. Goelzer, CUF) :
A la même époque, un excès de fantaisie valut à Néron infamie et péril : il avait traversé à la nage la source d’où l’eau Marcia est amenée à Rome, et on pensait qu’en s’y baignant il avait souillé des eaux consacrées et violé la sainteté du lieu. D’ailleurs l’indisposition qui suivit confirma la colère des dieux.
L’empereur a donc souillé des eaux sacrées, potus sacros ; l’adjectif sacer a un sens bien précis, il signifie « qui appartient au dieu » ; cette fontaine est donc considérée comme un sanctuaire naturel, qu’un dieu s’est choisi et que les hommes ont reconnu comme tel. On sait, par ailleurs, qu’il était interdit de se baigner dans des eaux sacrées. Néron a donc commis un sacrilège aux yeux des Romains : il a violé la propriété d’une divinité. Tacite souligne d’ailleurs « que la maladie qui frappa Néron après son bain dans la fontaine sacrée révélait l’ira deorum » (Scheid, 1981, p. 142), la colère des dieux. Notons aussi que l’historien introduit ce passage en affirmant que cet « excès de fantaisie valut à Néron infamie » : ce terme, infamia, me semble également très significatif : on sait en effet que l’infamie, prononcée par les censeurs, frappait les citoyens qui n’avaient pas respecté leurs devoirs, notamment leurs devoirs religieux. Néron [7] toujours et d’autres tyrans, tels Elagabal ou Maximin au 3ème siècle porteront encore atteinte à des lieux ou objets sacrés (Hérod. 5, 6, 3-5 ; 7, 3, 5-6).
Néron commettra également des impiétés « classiques » qui n’avaient pas été perpétrées par Caligula et qui figureront parfois parmi les méfaits dont se rendront coupables ses successeurs. Ainsi, l’empereur citharède viole une vestale selon Suétone (Suet. Nero 28) ; plus tard Elagabal fait d’une vestale son épouse, violant ainsi les lois sacrées, selon les termes mêmes d’Hérodien, qui parle également d’impiété à ce propos (Herod. 5, 6, 2).
Néron se rendra aussi coupable de parricide, autre méfait figurant dans la liste des impiétés classiques : « il ne put jamais », nous relate Suétone (Suet. Nero 34 ; trad. H. Ailloud, CUF),
étouffer ses remords, et souvent il avoua qu’il était poursuivi par le fantôme de sa mère, par les fouets et les torches ardentes des Furies. Il essaya même, en recourant aux incantations des mages, d’évoquer et de fléchir les mânes d’Agrippine. Pendant son voyage en Grèce, il n’osa pas assister aux mystères d’Eleusis, parce que la voix du héraut interdit aux impies et aux criminels de s’y faire initier.
Le biographe utilise des termes forts : Néron se reconnaît dans les adjectifs « impies et criminels » (impii et scelerati) prononcés à Eleusis, dans un passage qui suit immédiatement le meurtre de sa mère, qui est qualifié de parricide. Néron, le parricide, est poursuivi par le fantôme de sa mère. Pour l’apaiser, il fait appel à des mages, sans succès : il recourt donc à des pratiques réprouvées, qui ne relèvent pas du champ de la « bonne » religio mais de la « mauvaise » superstitio (sur ces notions, Scheid, 1998, p. 23‑24).
Néron méprisera ainsi, affirme Suétone dans le portrait qu’il dresse du prince à la fin de sa Vie (Nero 56 ; trad. H. Ailloud, CUF), « toutes les formes de religion » et s’adonne au culte d’une divinité syrienne, qu’il souillera par la suite de son urine. Il s’abandonne alors, poursuit le biographe, « à une autre superstition, la seule à laquelle il resta inébranlablement attaché », « une statuette représentant une jeune fille, qui devait le préserver des complots » ; « or, une conjuration ayant été découverte aussitôt après [qu’un homme du peuple la lui ait offerte], il l’honora jusqu’à la fin comme une divinité toute-puissante, lui offrant chaque jour trois sacrifices, et il voulait faire croire qu’elle lui dévoilait l’avenir. Quelques mois avant sa mort, il consulta aussi les entrailles des victimes, mais il n’obtint jamais de présages favorables ». Selon Suétone, Néron se serait donc détourné des « bonnes » pratiques religieuses de l’Etat romain, pour verser dans les « mauvaises » superstitions, étrangères d’abord, relevant plutôt de la magie privée ensuite. Le thème des pratiques superstitieuses se retrouve dans la vie d’autres mauvais empereurs, tels Julianus ou Elagabal (Dio Cass., 74, 16, 5 ; 80, 11 ; Hist. Aug., Did. Iul., 7, 9-10 ; Hist. Aug., Hel., 8, 1-2), alors qu’il ne semble pas apparaître chez Caligula.
Plus généralement, les mauvais empereurs sont souvent décrits comme méprisant les dieux. Outre le mépris qu’il leur portent, Caligula va jusqu’à s’ « auto-diviniser », à se placer au rang des dieux, à s’arroger des honneurs divins, à s’identifier à un dieu existant. Le cas de Caligula semble cependant relativement isolé, du moins jusqu’à la fin de l’époque sévérienne. Son successeur Néron, qui ne brille pas par sa piété, évitera soigneusement les honneurs divins : à un sénateur qui proposait aux
frais de l’Etat un temple à Néron Dieu, l’empereur opposa un refus, « de peur que certaines gens ne pussent en interprétant cet hommage y voir un présage fâcheux de sa fin : car les honneurs divins ne sont pas rendus à un prince avant qu’il ait cessé de vivre parmi les hommes » (Tac. ann. 15, 74, 3). Il faut, semble-t-il, attendre Commode, pour qu’un prince s’arroge un nom divin, Hercule en l’occurrence, et se fasse appeler dominus et deus ; l’Histoire Auguste affirme qu’on lui offrit des sacrifices comme à un dieu (Dio
Cass. 73, 15, 2 ; 16, 1 ; Hist. Aug. Comm. 8, 5 et 9 ; 9, 2). Nous sommes toujours ici au niveau des représentations, précisons-le bien.
Envisageons enfin un dernier point : les auteurs évoquent parfois, directement ou implicitement, les conséquences des impiétés commises par les « mauvais » empereurs : la folie qui frappe Caligula ; la maladie qui touche Néron, signe du courroux divin ; le remords qui l’assaille ; la mort qui les frappe à la suite des profanations dont ils se sont rendus coupables. Mais les conséquences de ces impiétés ne touchent pas seulement leur responsable : celui-ci en tant que haut représentant de la
communauté passe pour être responsable des malheurs qui s’abattent à cause de ses forfaits sur le peuple romain (voir Declam. min. 329, 1) : tel est du moins le sentiment qu’attribue Hérodien au populus Romanus, quand il évoque les excès de Commode et sa folie qui le poussait à se faire appeler Hercule (Herod. 1, 14, 1 et 7-8).
Si la communauté ne peut pas reconnaître publiquement, de son vivant, les impiétés commises par l’impérial contrevenant, il n’en reste pas moins que celui-ci est représenté comme impie après sa mort. Les dieux d’ailleurs ne s’y sont pas trompés, qui le punissent de divers châtiments et accélèrent sa triste fin. Une fois le tyran mort, les hommes peuvent décider de le frapper de damnatio memoriae : on peut ainsi dire, à la suite de J. Scheid, que la cité pieuse se désolidarise des actes impies qu’elle avait été obligée de tolérer. Le nouveau prince peut ensuite choisir de « réparer » les impiétés de son prédécesseur ; c’est du moins ce que suggère le cas de Claude, qui renvoie les statues pillées en Grèce dans leur sanctuaire de provenance. Ce faisant, le « bon » prince manifeste sa piété, se distinguant de son « mauvais » prédécesseur qui s’était notamment illustré par son impiété.
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[1] Dion Cassius ajoute ailleurs (59, 26, 5) que Caligula « feignait aussi d’être Jupiter, et se servait de ce prétexte pour avoir des relations avec bon nombre de femmes, et surtout avec ses sœurs ». Il précise aussi, après avoir évoqué les débauches sexuelles de l’empereur, que celui-ci accusa ses sœurs pour… impiété !
[2] Voir aussi Suet. 22, 9 : « mais, finalement, sous prétexte que le dieu était parvenu à le fléchir et l’avait même invité à demeurer avec lui, il réunit le Palatium et le Capitole au moyen d’un pont franchissant le temple du divin Auguste ; plus tard, afin de s’en rapprocher davantage, il fit jeter sur le parvis du Capitole les fondations d’un nouveau palais ». Dion Cassius (59, 28, 2-5) mentionne également des
constructions de temples, en rapport avec le Capitole et le Palatium mais ces textes sont difficiles et ont fait l’objet d’interprétations variées (voir récemment l’intéressante proposition de Gradel, Worship, 2002, p. 150‑154).
[3] Voir Suet. Cal. 19 ; Dio Cass. 59, 17 : Caligula rassembla un grand nombre de bateaux, de Baïes à Pouzzoles, pour former un pont, où il parada plusieurs jours ; ce faisant, il mobilisa les bateaux de transport, ce qui provoqua une grande famine à Rome.
[4] Voir par ex. Dio 59, 28, 7 : « Lorsque Caesonia mit au monde une petite fille trente jours après les noces, il fit comme si cette naissance était divine, se vantant d’être devenu père si peu de temps après être devenu époux ; il la nomma Drusilla, l’emmena au Capitole, la plaça sur les genoux de Jupiter comme si l’enfant était de lui, et confia à Minerve le soin de la nourrir » ; voir aussi Flav. Jos. Ant. Iud.
19, 4, 11.
Selon Dion Cassius (59, 28, 5), Caligula « se donna le titre de flamine de Jupiter ». Rappelons que ce prêtre, soumis à une série de tabou et d’interdit, personnifiait le dieu dont il portait le nom. En ce sens, Caligula qui voulait s’identifier à Jupiter, aurait pu souhaiter en être également le flamine, comme l’a suggéré J. Scheid (1985, p. 41). Pour une autre interprétation de ce passage difficile, voir Gradel, Jupiter, 2002, p. 246.
[5] Voir aussi Suet. Cal. 27, 3-4 (cf 14, 3) et Dio Cass. 59, 8, 3 : Caligula oblige ainsi des particuliers qui avaient prononcé des vœux excessifs pour sa santé à les acquitter : l’un avait promis de combattre comme gladiateur, l’autre de mourir, si le prince se rétablissait.
[6] On trouve la même anecdote à propos de Commode dans l’Histoire Auguste (Comm. 5, 5).
[7] Ainsi, selon Tacite (ann. 15, 45), après l’incendie de Rome : « pour faire rentrer les contributions, on ravagea l’Italie, on épuisa les provinces et les peuples alliés, même les cités qu’on appelle libres. Les dieux même furent en proie : on dépouilla les temples de la ville, on emporta l’or que le peuple romain, à tous les âges de son existence, avait consacré à ses offrandes ou à ses triomphes dans ses
prospérités ou dans ses périls. Mais c’était bien autre chose en Asie, en Achaïe, où l’on ne se contentait pas de prendre les dons : on enlevait aussi les statues des dieux (…). On disait que Sénèque, pour écarter de sa personne l’odieux du sacrilège (inuidiam sacrilegii), avait prié qu’on lui permît la retraite d’une campagne lointaine, et que, l’autorisation lui en ayant été refusée, il avait feint d’être malade et que, sous prétexte d’une attaque de goutte, il gardait la chambre ».
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Dion Cassius. Histoire romaine. Livres 57‑59 (Tibère-Caligula), traduit et annoté par J. Auberger, Paris, 1995 (La Roue à Livres).
Suétone. Vies des douze Césars. Tome II. Tibère-Caligula-Claude-Néron, texte établi et traduit par H. Ailloud, Paris, 1932 (CUF).
Dunkle J. R., The Greek Tyrant and Roman Political Invective, in TAPA, 98, 1967, p. 151‑171.
Dunkle J. R., The Rhetorical Tyrant in Roman Historiography: Sallust, Livy and Tacitus, in Classical World, 65, 1971, p. 12-20.
Gascou J., Suétone historien, Rome, 1984 (BEFAR, 255).
Gradel I., Emperor Worship and Roman Religion, Oxford, 2002 (Oxford Classical Monographs).
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Scheid J., La religion des Romains, Paris, 1998.
Scheid J., Religion et piété à Rome, Paris, 1985 (Textes à l’appui). Cet ouvrage a fait l’objet d’une nouvelle édition ; il est paru, sous le même titre à Paris, en 2001, dans la collection Sciences des religions.
Wallace-Hadrill A., Civilis Princeps: Between Citizen and King, in JRS, 72, 1982, p. 32-48.
Wardle D., Suetonius’ Life of Caligula, Bruxelles, 1994 (Coll. Latomus, 225).
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Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 10 - juillet-décembre 2005