FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 9 - janvier-juin 2005


Perceptions chrétiennes des pratiques divinatoires romaines

 

 

par David Colling

 

Licencié en histoire

Assistant au département d'histoire de l'Université de Louvain

<colling@anti.ucl.ac.be>


Cet article est une version légèrement remaniée d’un travail réalisé à l'Université de Louvain (U.C.L.), sous la direction du Prof. Françoise Van Haeperen, dans le cadre de son Séminaire d’Histoire de l'Antiquité, consacré en 2003-2004 aux sacerdoces romains.

 

[Note de l'éditeur - 30 juin 2005]


Plan

I. Introduction

II. Les prêtres devins à Rome

III. La divination dans les textes chrétiens

            a. Tertullien

            b. Minucius Felix

            c. Lactance

            d. Législation des empereurs chrétiens dans le Code de Théodose

            e. Augustin

            f. Orose

            g. Césaire d’Arles

IV. Conclusion

Bibliographie


 

I. Introduction

 

La divination a occupé une place importante dans la plupart des civilisations antiques (l’ouvrage de A. Bouché-Leclerq, Histoire de la divination dans l’Antiquité, 4 vol., Paris, 1879-1882, réédité en 2003, reste un bon point de départ). L’homme ancien, très curieux de connaître son avenir, n’hésitait pas à interroger les dieux, soit lui-même, soit par le biais d’un intermédiaire, dans l’espoir d’une révélation divine. Il pensait en effet que les divinités connaissaient l’avenir, et qu’elles pouvaient le révéler aux hommes de différentes façons. Des « interprètes » scrutaient donc attentivement des phénomènes naturels susceptibles de traduire la pensée des dieux. Certains observaient la position et les mouvements des astres, d’autres analysaient le comportement des animaux, d’autres encore pensaient voir dans les cataclysmes naturels une expression fortement marquée de la volonté divine, etc. Certains ont cherché à entrer en contact avec les divinités en leur posant directement des questions relatives au futur et en recueillant rapidement une réponse. C’était le cas des oracles. Des personnes fortement inspirées ont même eu des révélations et les ont retranscrites. Les livres sibyllins, par exemple, constituent, aux yeux des Romains, le produit fini d’une de ces révélations.

 

Petit à petit, des catégories de prêtres spécialisés dans l’interprétation des déclarations et des signes divins se sont donc constituées dans les civilisations orientales, grecque,… et bien sûr romaine. Très tôt à Rome, des collèges de prêtres chargés d’interpréter la volonté des dieux se sont formés. Certaines pratiques étaient d’origine purement romaine, d’autres furent empruntées aux peuplades incorporées dans l’empire. Trois grandes catégories de « prêtres devins » officiels se sont constituées et ont fini par s’imposer à Rome : les augures, les haruspices et les prêtres interprètes des livres sibyllins. Ces groupes de prêtres formaient non seulement un des piliers de la religion romaine, mais aussi un des piliers de l’état et du pouvoir romain en général.

 

Si la divination officielle des Romains était particulièrement bien acceptée et reconnue par tous jusqu’à la fin de la République, elle trouva dans le christianisme en expansion, dès la fin du IIe siècle de notre ère, un concurrent de taille. Il est donc intéressant de se demander comment les adeptes de la nouvelle religion chrétienne voyaient ces pratiques et traditions polythéistes romaines. C’est bien ici l’objet de ce travail : tenter de déceler quelle était la vision que les auteurs chrétiens pouvaient avoir des augures, des haruspices et des livres sibyllins (et de leurs prêtres). Par auteurs chrétiens, nous entendons tant des auteurs d’œuvres littéraires que des apologistes, des auteurs de sermons, ou encore des rédacteurs de textes législatifs qui ont choisi de se tourner vers le christianisme. Tous ne seront pas repris dans ce travail, tant ils sont nombreux. Cependant, dans le désir de faire autant que possible le tour de la question, nous reprendrons les auteurs les plus représentatifs, en partant des premiers apologistes pour aller jusqu’aux écrivains de la période des invasions barbares, en passant notamment par des textes de lois des empereurs chrétiens. Tous les auteurs auront en commun d’avoir abordé les pratiques divinatoires dans leurs écrits.

 

Il ne fait aucun doute que les chrétiens avaient certainement un avis bien tranché sur ces coutumes séculaires, tant sur le fond que sur la forme. On peut a priori se douter qu’ils ne sont pas restés insensibles face à des pratiques qui nécessitaient parfois des sacrifices de sang et qui s’accompagnaient quelquefois d’incroyables banquets. Et sur le fond, comment considéraient-ils ce besoin qu’éprouvaient les hommes de connaître l’avenir ? Concevaient-ils que les hommes puissent entrer en contact avec la divinité à ce propos ? Comment s’y prenaient-ils pour critiquer les pratiques traditionnelles ? À quels aspects de la divination s’attaquaient-ils ? Pour bien analyser et comprendre l’opinion des chrétiens, il sera également important de bien percevoir quel était le but de leurs écrits, à qui ils s’adressaient et dans quel contexte ils étaient rédigés. Il ne faudra pas non plus omettre de rechercher les sources de ces auteurs : maîtrisaient-ils bien leur sujet ? Dans quelle mesure connaissaient-ils les aspects de la religion païenne qu’ils abordaient ? On pourra alors décider si leur critique était justifiée ou non.

 

Ce travail sera divisé en deux parties. La première partie, en guise de préliminaire, expliquera de manière brève quels sont les sacerdoces et pratiques divinatoires visés dans les textes analysés. Il ne s’agira pas là de retracer tout l’historique ni d’expliquer le fonctionnement des collèges dans toute sa complexité, mais simplement de préciser clairement de quoi il sera question dans les sources qui seront utilisées. La deuxième partie consistera en l’analyse des passages proprement dits, qui seront abordés dans l’ordre de leur date de rédaction. Nous pourrons alors tenter de dégager une évolution dans l’esprit des auteurs chrétiens, au moins dans la forme.

 

Enfin, nous essaierons de nous limiter à la vision des auteurs chrétiens sur les sacerdoces publics romains. Il se peut cependant qu’il soit fait mention à certains endroits des pratiques privées, car les auteurs chrétiens ne précisaient pas toujours à qui ils faisaient exactement référence, et utilisaient parfois le même terme pour désigner les prêtres officiels et les prêtres que l’on consultait de manière tout à fait privée.

 

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II. Les prêtres devins à Rome

La divination représentait une partie très importante de la religion romaine. Selon Cicéron, « Toute la religion du peuple romain est divisée en cérémonies du culte et en auspices, et on peut ajouter une troisième partie pour le cas où, en vue de prédire l’avenir, les interprètes de la Sibylle et les haruspices auraient tiré quelque avertissement des miracles et prodiges » (Cic. nat. deor. III, 2 [trad. Van Den Bruwaene]). On se rend ici compte de l’importance que pouvait revêtir la divination au sein du paganisme, dans la perception qu’en avaient les païens. Les trois grands ordres de prêtres que nous rencontrerons dans le cadre de la divination à Rome sont ceux des augures, des haruspices et des prêtres des livres sibyllins (Scheid, 1998).

 

Pour Bouché-Leclercq (in DAGR, p. 550), les augures étaient des « théologiens romains chargés de conserver les règles traditionnelles relatives à l’observation et à l’interprétation des signes naturels qui constituaient les auspices ». Cette définition montre que la science augurale n’occupait qu’un domaine restreint dans le champ de la divination. Elle ne s’intéressait qu’à l’interprétation des signes naturels, et plus précisément des signes naturels ordinaires. Les augures ne s’avançaient pas à interpréter des cataclysmes et des événements extraordinaires. Avec le temps et l’apparition des autres formes d’interprétations comme l’haruspicine, le champ d’action des augures s’est restreint de plus en plus. Le fond du rituel ne consistait plus, dès l’époque républicaine, qu’en l’observation du vol des oiseaux, de l’appétit des poulets et des signes célestes comme les éclairs. La consultation des augures consistait en une simple demande, toujours la même, visant uniquement l’avenir immédiat : « Les dieux ont-ils pour agréable ou non l’action que va faire le consultant ou qui va se faire sous ses auspices ? » (Id.). Cette question claire ne pouvait engendrer qu’une réponse positive ou négative. Les augures formaient l’un des quatre collèges majeurs de prêtres publics de Rome, et le nombre de ses membres évolua parallèlement à celui des pontifes (Scheid, 1998, p. 112-114). L’insigne des augures était le lituus, une petite crosse qu’ils tenaient en main quand ils officiaient. Arnobe, dans la deuxième moitié du IIIe siècle, est le dernier écrivain qui fait référence aux augures (dans un court extrait de son œuvre, il reproche aux augures d’assister aux jeux publics. Arnob., IV, 35). Mais on trouvera encore des noms d’augures publics par la suite dans l’épigraphie. C’est probablement dans la deuxième moitié du IVe siècle, comme nous le verrons dans le chapitre consacré au Code de Théodose, que le collège disparut en même temps que les autres corporations sacerdotales.

 

Les haruspices étaient des prêtres d’origine étrusque. Ils tiraient leurs racines de la légende qui raconte qu’un paysan aurait vu surgir d’un de ses sillons un petit enfant, nommé Tagès, qui aurait prophétisé, malgré son âge apparent. La prophétie aurait alors été retranscrite dans les libri etrusci. Ceux-ci comprenaient les livres rituels, les livres de l’haruspicine, et les livres fulguratoires. Ces livres définissaient comment les haruspices devaient exercer leurs rites, examiner les entrailles des animaux et les foudres, et quelles interprétations ils devaient en dégager (Briquel, Rivalité, p. 11). Très tôt, l’Etrusca Disciplina a séduit les Romains. Dès l’incorporation complète de l’Étrurie à Rome vers le milieu du IIIe siècle av. J-C., les haruspices ont été intégrés dans la vie religieuse officielle et officieuse. Cette forme de divination avait sur les augures l’avantage qu’elle permettait d’interpréter les signes naturels, en ce compris les événements extraordinaires. Les haruspices ne formèrent jamais à proprement parler un véritable collège. Sous ce terme se cachent d’ailleurs plusieurs fonctions bien différentes (sur les haruspices, voir la synthèse récente de Haack, 2003). À l’époque impériale, l’haruspex pouvait être l’appariteur d’un magistrat ou d’un promagistrat à l’occasion d’un sacrifice, mais il pouvait aussi y avoir des haruspices travaillant « dans le privé ». Les premiers étaient regroupés au sein de l’ordre des soixante haruspices (Scheid, 1998, p. 103-104). Si on ne sait pas très bien jusque quand fut pratiquée l’haruspicine privée, on peut se douter a priori que l’haruspicine publique cessa d’exister dans la 2e moitié du IVe siècle, après l’interdiction formelle de toute forme d’haruspicine en 346 (cf. chap. sur le Code de Théodose). Ce fut cependant l’haruspicine privée qui fut la première visée dans les actes législatifs, mais on ne sait trop si ceux-ci étaient ou non bien respectés. En revanche, lorsque Constance II interdit en 346 toute forme d’haruspicine, privée comme publique, on peut se douter que la dissolution de l’ordre des haruspices officiels fut plus commode à exécuter. Dans l’analyse des textes, on se rendra vite compte que les relations que les chrétiens entretenaient avec les haruspices étaient encore plus tendues que celles qu’ils entretenaient avec les augures. Nous tenterons de voir pourquoi.

 

La révélation sibylline était tenue en réserve pour une seule espèce de cas : la procuration des prodiges. Elle ne s’occupait pas des événements ordinaires, ni des incidents bizarres ou effrayants. On avait plus précisément recours aux livres sibyllins en cas de fléaux ou de calamités qui frappaient les imaginations et inquiétaient les consciences. Les prêtres qui allaient consulter ces livres, et qui étaient les seuls habilités à le faire, ne pouvaient le faire sans l’ordre du sénat (et de l’empereur pour l’époque impériale ; Bouché-Leclercq, Divination, p. 293). Ces prêtres étaient regroupés en un collège qui prit différents noms au cours de l’histoire, selon le nombre de membres qui le composaient : de duumvirs, on est passé à décemvirs puis à quindécemvirs (sacris faciundis). Bouché-Leclercq résume la manière dont devaient se dérouler les rites entourant les recours aux livres : « L’histoire de cet oracle ne se compose guère que d’une répétition des mêmes actes : questions monotones suivies de réponses à peu près uniformes. Les cérémonies expiatoires ordonnées par le collège étaient toujours de rite grec ». Comme leur nom l’indique, les livres sibyllins venaient de Grèce. Ce n’étaient pas à proprement parler des livres sacrés, mais leur consultation était réglementée. Ce n’était pas tant ce qui était inscrit dans les livres qui importait, mais la manière dont on interprétait ces écrits pour une situation donnée. La preuve que le contenu des livres n’était pas si capital, c’est que, lorsque les livres furent consumés lors de l’incendie du Capitole (Lact. Instit. div. I, 6, 14), le sénat décida tout simplement d’envoyer une délégation auprès des sibylles grecques pour leur demander d’en rédiger de nouveaux.

 

 

Pour bien comprendre le contexte, il faut rappeler que le monde religieux n’était pas un espace autonome à Rome, mais qu’il appartenait à « la structure profonde de l’état et de la société ». C’est-à-dire qu’on peut difficilement parler de la religion romaine sans parler un minimum du fonctionnement de l’état et du pouvoir. Le terme même de religio désigne « l’ensemble des règles formelles et objectives, léguées par la tradition » (Scheid, 1998, p. 23) ; tout ce qui n’est pas religieux, au sens romain, relève de la superstition (superstitio ; Scheid, 1985, p. 129).

 

Comme l’explique F. David (1895, p. 42), la divination avait bien résisté à bon nombre de courants philosophiques, et la raison ne l’avait empêché ni de vivre, ni de mourir. C’est le christianisme qui semble avoir mis un terme à ces pratiques ancestrales. Par l’analyse de textes, nous essaierons de voir quels furent les différents moyens utilisés et arguments avancés par les auteurs chrétiens pour tenter de terrasser la divination traditionnelle.

 

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III. La divination dans les textes chrétiens

La période couverte par l’ensemble des textes qui seront analysés ici est assez vaste. Elle commence à la fin du IIe siècle, précisément en 197, avec l’Apologétique de Tertullien, et nous avons choisi de nous arrêter au VIe siècle avec les Sermons de Césaire d’Arles. Entre ces deux auteurs et durant cette longue période, nous passerons en revue des textes de Minucius Felix (Octavius), de Lactance (Les Institutions divines, Épitomé des institutions divines, Sur la mort des persécuteurs), d’Augustin (La Cité de Dieu), d’Orose (Histoires contre les païens), de Césaire d’Arles (Sermons) et certaines mesures du Code de Théodose. Par le choix de ces passages, nous avons voulu tenter de dessiner une évolution dans le temps de la perception de la divination par les chrétiens, à travers des textes de nature très différente.

 

a. Tertullien (Quintus Septimus Florens Tertullianus – ~150/170 - ~230)

C’est dans l’œuvre de Tertullien que l’on trouve pour la première fois une vision critique de la divination et de ses sacerdoces à Rome (dans le cadre de la critique des cultes païens). C’est dans sa ville natale de Carthage que Tertullien se convertit au christianisme et qu’il déploie son activité littéraire au service de l’Église. Il s’agit de l’écrivain latin le plus prolifique avant l’époque de Constantin. Après sa conversion, il connut deux périodes dans sa vie spirituelle : une période purement catholique, où il semblait bien suivre les préceptes de l’Église, et une deuxième période qui l’a vu passer dans une secte des Montanistes (Buchwald, p. 814). Son Apologétique, qui nous intéresse ici, fut rédigée en 197, c’est-à-dire dans sa « période catholique ».

 

Les références aux pratiques divinatoires ne sont pas légion dans l’œuvre de Tertullien. Nous avions cependant relevé de très courtes références dans d’autres livres (comme dans le De anima par exemple [XIX, 47 ; XXIV, 78 ; XXVI, 12]), mais nous n’avons retenu qu’un passage de l’Apologétique, car les autres n’apportaient aucun élément critique important. Voici le passage en question (Apol. XXXV, 59 [trad. J.-P. Waltzing]) :

Si les chrétiens sont donc des « ennemis publics », c’est parce qu’ils ne rendent pas aux empereurs des honneurs vains, mensongers et téméraires, et aussi parce que, hommes d’une religion sincère, ils célèbrent les fêtes des empereurs dans l’intérieur de leur cœur plutôt que par la licence […]

Pourquoi, en effet, nous acquittons-nous de vœux pour les Césars, et célébrons-nous leurs fêtes sans cesser d’êtres chastes, sobres, modestes ? Je voudrai montrer jusqu’où vont votre bonne foi et votre sincérité, pour voir si, en ce point encore, ceux qui nous dénient la qualité de Romains et nous traitent d’ennemis des empereurs romains, ne seront pas trouvés pires que les chrétiens[…]

Ils s’acquittent des mêmes devoirs envers l’empereur, ceux-là encore qui consultent les astrologues, les haruspices, les augures, les magiciens sur la vie des Césars ! Ce sont là des sciences inventées par les anges rebelles et interdites par Dieu auxquelles les chrétiens ne recourent même pas quand il s’agit de leurs propres intérêts. Qui donc a besoin de scruter la destinée de César, sinon celui qui médite ou souhaite quelque chose contre sa vie, qui espère ou attend quelque chose après sa mort ? C’est avec des intentions différentes qu’on consulte l’avenir sur des proches ou sur ses maîtres ; autre est la curiosité d’un parent inquiet, autre celle de l’esclave qui craint.

On le voit, ce passage semble répondre à des accusations que les païens du temps de Tertullien adressaient aux chrétiens. Les Romains accusent les chrétiens d’être de mauvais citoyens parce qu’ils ne prennent pas part aux obligations sociales de l’époque. Les chrétiens, semble-t-il, auraient refusé de prendre part à des manifestations publiques d’hommages à l’empereur, qui consistaient en des fêtes grandioses. Tertullien veut répondre à ces accusations qu’il trouve injustes. Il réplique en invoquant la vanité et l’hypocrisie de telles pratiques, car les Romains ne sont pas sincères. En apparence, ils organisent des fêtes à la louange de l’empereur, mais parallèlement, ils consultent les différents devins cités pour spéculer sur la santé même de leur prince. Alors que les chrétiens, qui éprouvent un grand respect pour l’empereur et l’empire à l’intérieur leur cœur, préfèrent rester modérés dans leur façon de l’exprimer. On reconnaît bien là l’importance qu’occupe le for intérieur dans la religion chrétienne : cette notion se mariait assez mal avec les fastes et louanges publiques de la religion traditionnelle.

 

On rencontre ici, sur les sciences divinatoires, un argument qui sera souvent repris par après chez les chrétiens : les signes que les prêtres interprètent et révèlent sont des signes des anges rebelles (c’est-à-dire des démons). Donc Tertullien ne cherche pas à nier la véracité des prédictions. Peut-être croit-il réellement ce qu’il dit et voit-il dans les prédictions de véritables messages envoyés par des divinités (même si elles sont démoniaques) et interprétés justement par des prêtres païens ; peut-être aussi estime-t-il ici qu’il ne faut pas attaquer trop frontalement des coutumes de la religion traditionnelle, car il risquerait de ne plus être crédible du tout. En effet, son Apologétique était adressée aux gouverneurs des provinces de l’empire (Tert. Apol. I, 1) : s’il voulait que ceux-ci, qui avaient un pouvoir de répression envers les chrétiens, se montrent plus compréhensifs, il fallait qu’il soit lui-même diplomate vis-à-vis de leurs traditions. Cependant, cette tempérance à l’égard de la religion traditionnelle n’est que passagère dans son ouvrage.

 

Après avoir prouvé la bonne foi des chrétiens (en réponse aux païens), Tertullien renvoie l’accusation aux païens, en disant qu’ils ne sont pas moins « ennemis de l’empereur » qu’eux. Il en veut pour preuve les consultations régulières que les Romains faisaient sur la vie des Césars : il pense que si l’on désire connaître la destinée de l’empereur, c’est que l’on ambitionne quelque chose contre lui, que l’on souhaite sa perte. Donc malgré leur apparence flatteuse, les païens comploteraient contre l’empereur en recourant aux puissances démoniaques. Parallèlement à ces consultations privées portant sur la personne de l’empereur, Tertullien semble curieusement plus souple avec la divination dont l’objet porte sur une personne privé, car elle répondrait mieux à de véritables inquiétudes concernant des proches. Cela est intrigant, car dans l’esprit païen les devins non officiels étaient plutôt considérés comme des charlatans. Mais cette phrase de Tertullien ne signifie pas pour autant qu’il approuvait les pratiques de divinations privées dont l’objet avait un caractère privé, simplement qu’il les comprenait et les acceptait mieux que les autres.

 

Dans quelques autres passages de l’Apologétique, Tertullien s’arrêtera particulièrement sur l’haruspicine. Au chapitre XIII, il établira un parallèle entre la théorie évhémériste selon laquelle les dieux sont des hommes morts divinisés en raison de leurs bienfaits, et la pratique de l’haruspicine. Tertullien assimile donc les cultes divins à des cultes funéraires, et donc au culte des morts (Berger, 1999, p. 118-119). Et comme l’haruspicine se rapporte au culte des dieux, et qui plus est, qu’elle se pratique sur les entrailles des animaux morts, il se demande (Apol. XII, 7) :

quelle différence il y a entre le banquet de Jupiter et le repas funèbre… entre l’haruspicine et l’embaumeur de morts ? En effet, l’haruspice remplit aussi des fonctions auprès des morts.

Il ressort de cela que Tertullien considérait les haruspices comme des amoureux de la mort et des sacrifices sanglants. Les chrétiens ne pouvaient approuver de telles pratiques et allaient jusqu’à montrer leur désaccord en refusant de manger de la viande sacrificielle. Un peu plus loin dans son exposé (Apol. XLIII, 1), Tertullien range les haruspices, probablement privés, aux côtés des entremetteurs, des suborneurs, des souteneurs, des sicaires, des empoisonneurs, des magiciens, des diseurs de bonne aventure et des astrologues, dans la liste des métiers mal famés que les chrétiens ne doivent absolument pas fréquenter [1]. Certes, ces prêtres païens auraient de véritables pouvoirs leur permettant de comprendre le divin, mais contrairement aux prêtres chrétiens, ils mèneraient une vie immorale (Tert. Apol. XXX, 6 : Je me demande avec étonnement, quand je vois chez vous les prêtres les plus dépravés approuver les victimes, pourquoi on examine les entrailles des victimes plutôt que le cœur des sacrificateurs eux-mêmes).

 

À la fin du IIe siècle, on peut donc penser que la situation des chrétiens est toujours celle d’une minorité dominée par la tradition. Romains et chrétiens sont présentés en opposition, les premiers ne reconnaissant pas les seconds comme faisant partie des leurs, les seconds ne voulant pas participer à la barbarie des premiers. Par le biais des écrits de Tertullien, on s’aperçoit que les chrétiens regrettent leur mise à l’écart à moitié voulue, d’autant plus qu’ils ont la conscience tranquille ; de plus, il souligne l’hypocrisie des païens manifestée notamment par leurs pratiques divinatoires. Ce qui semble surtout visé ici, ce sont les pratiques visant à connaître le destin de l’empereur et de l’empire, pas forcément la divination officielle, mais la divination dont l’objet était une personnalité officielle. Tertullien ne fait d’ailleurs aucune allusion aux collèges eux-mêmes ni à leur fonctionnement, ni au déroulement de leurs célébrations. C’est donc moins au déroulement des pratiques qu’aux buts recherchés par la divination qu’il s’attaque.

 

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b. Marcus Minucius Felix (IIe- IIIe siècle)

Nous ne savons presque rien sur Minucius Felix ni sur la date de rédaction de son Octavius. Il était originaire d’Afrique du Nord et il ne se convertit au christianisme qu’à un âge fort avancé. Certains éléments de son texte nous laissent présager qu’il se serait inspiré de l’Apologétique de Tertullien pour construire une bonne part de son argumentation (voir Beaujeu, CUF, 1964).

 

L’Octavius est un dialogue de style cicéronien à trois personnages, dont le schéma d’ensemble est assez clair. L’ouvrage voulait en quelque sorte présenter le christianisme aux Romains cultivés. Trois personnages sont mis en présence lors d’une promenade sur la plage d’Ostie : il s’agit de l’auteur, Minucius Felix qui se promène en compagnie de deux amis, le chrétien Octavius Januarius et le païen Cecilius Natalis. Une discussion sur la religion s’engage entre ces deux derniers, sous l’arbitrage de Minucius Felix (Oct. I-IV). Le passage que nous avons repris est une réponse d’Octavius à Cecilius qui vantait les bienfaits et la nécessité de la divination à Rome (Min. Fel. Oct. XXV, 12-XXVI, 7).

D’ailleurs, avant les Romains, par la volonté de Dieu qui dispense les empires, les Assyriens, les Mèdes, les Perses, les Grecs même et les Égyptiens régnèrent longtemps, sans avoir ni Pontifes, ni Arvales, ni Saliens, ni Vestales, ni Augures, ni ces poulets sacrés renfermés dans une cage, dont l’appétit ou le dégoût décide du suprême intérêt de la république.

Car j’arrive maintenant à ces fameux auspices et à ces augures des Romains, dont tu as laborieusement réuni les exemples, et qu’on s’est repenti, à ce que tu assures, d’avoir négligés, et félicité d’avoir observés. Claudius, prétend-on, Flaminius et Junius ont perdu leur armée, parce qu’ils n’ont pas cru devoir attendre l’augure favorable tiré des poulets [2]. Eh quoi ! Regulus [3] n’a-t-il pas observé les augures, et ne fut-il pas fait prisonnier ? Mancinus [4] a respecté la religion : il passa sous le joug et fut livré à l’ennemi ; Paul Emile [5] aussi trouva les poulets gloutons : cependant il fut écrasé à Cannes, avec la majeure partie du peuple romain. Caius César [6] méprisa les augures et les auspices qui voulaient l’empêcher de faire passer ses navires en Afrique avant l’hiver : sa traversée et sa victoire n’en furent que plus faciles.

(…) On dira que les auspices ou les oracles ont pourtant rencontré quelques fois la vérité. On peut croire que, parmi tant de mensonges, le hasard eut parfois les apparences d’une volonté réfléchie ; mais j’essaierai de remonter jusqu’à cette source même d’erreur et de perversité, d’où sont sorties ces ténèbres, et de mettre leurs causes en pleine lumière.

Octavius commence par en appeler au bon sens de Cecilius : les collèges et les pratiques dont il parle étant d’invention relativement récente, comment les peuplades ayant précédé la fondation de Rome auraient-elles fait pour survivre en les ignorant (ce passage est une reprise de Tertullien [Apol. XXVI, 1-2 ; cf. Adv. nat. XVII, 18-19]) ? On pourrait peut-être aussi déceler une petite note d’ironie dans sa manière de parler de l’appétit des poulets : il semble demander comment il se peut que l’on en soit arrivé à scruter l’appétit des gallinacés pour décider du sort du bien commun.

 

Si Cecilius avait apporté de nombreux exemples de cas où le non-respect des auspices avait entraîné la perte des personnes consultantes, Octavius trouvera des contre-exemples : il y a eu aussi bon nombre de cas où les auspices furent respectés, ce qui ne favorisa pas le consultant. Ses exemples, comme ceux de Cecilius, sont repris dans la période républicaine. Mais il faisait allusion à des événements d’une telle ampleur – guerres puniques et guerres de Jules César – qu’ils étaient certainement connus de tout le public cultivé de l’époque (la culture cicéronienne de l’auteur lui a certainement fourni cette liste d’exemples et de contre-exemples attestant la valeur des procédures auspiciales. Voir D. Briquel, Minucius Felix, p. 125). En exposant ainsi une liste de contre-exemples à l’argumentation de Cecilius, Minucius Felix, par la bouche d’Octavius, veut par là démontrer que si les auspices ont quelquefois rencontré la vérité, c’était simplement dû au hasard. En effet, les augures ne pouvant délivrer que deux types de réponses (affirmatives ou négatives), ils avaient a priori une chance sur deux de trouver la bonne réponse. Mais pour ne pas réduire ces augures officiels à du simple charlatanisme, Minucius Felix reprend l’idée qu’ils sont inspirés par des démons, et que ceux-ci sont libres de révéler la vérité aux hommes ou bien son contraire (Oct. XXVI, 8-12 ; dans ce passage, Minucius Felix quitte l’argumentation de Cicéron pour celle de Tertullien).

 

Pour bien saisir la signification de l’Octavius, il faut savoir que l’ouvrage se termine lorsque Octavius a réussi à persuader Cecilius du bien-fondé de la religion chrétienne et que le païen promet de se convertir. On devine aisément l’intention de l’auteur : essayer d’amener les païens à prendre conscience de la vanité de leurs traditions et tenter, si possible, d’en amener certains à se convertir.

 

Si les imitations de Tertullien sont nombreuses tout au long de l’ouvrage [7], Minucius Felix s’en distingue cependant sur quelques points qui nous intéressent. Du point de vue des collèges divinatoires proprement dits, Minucius Felix attaque principalement l’augurat et la prise d’auspices à laquelle procédaient les magistrats, tandis que Tertullien s’était attaché à la critique de l’haruspicine. La controverse également est présentée de manière différente. Sur la question de la divination, Tertullien répondait principalement à des accusations et à des événements qui lui étaient contemporains ; son but était d’interpeller directement les magistrats romains responsables des massacres de chrétiens pour leur montrer que leurs accusations étaient injustes ; il en a profité au passage pour critiquer certaines pratiques de ses détracteurs. Minucius Felix, par le biais d’une histoire inventée, vise un public plus large et tente de montrer que la religion chrétienne s’avère être la meilleure, tout en contrant d’emblée les éventuelles critiques des païens.

 

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c. Lactance (Lucius Caecilius Firmianus Lactantius – 260-325)

Comme les deux auteurs précédents, Lactance est originaire d’Afrique du Nord. Avant sa conversion, il reçut de Dioclétien une chaire de rhétorique à Nicomédie, nouvellement proclamée capitale d’empire. Chrétien, il devint, à Trèves, précepteur de Crispus, un des fils de Constantin (Buchwald, p. 502). Avec Lactance, nous faisons un bond de presque un siècle par rapport aux deux écrivains précédents. La situation des chrétiens ne s’est guère améliorée et Dioclétien procédera même, au début du IVe siècle, à des persécutions en masse. Ce contexte, loin de décourager Lactance, le renforça plutôt à consolider sa foi et à condamner avec d’autant plus de force l’ignominie du pouvoir et de la religion traditionnelle.

 

Les références aux pratiques et aux sacerdoces divinatoires sont plus nombreuses et plus étoffées chez Lactance. En outre, son œuvre en général affiche une étonnante maîtrise de ces thèmes. Si, ici encore, il se soucie peu du détail des rites, trop connus pour être rappelés, on décèle cependant plus d’information à ce sujet que chez n’importe quel autre auteur chrétien jusque-là (Uda, 1999, p. 165). Nous commencerons par analyser des passages des Institutions divines et de L’Épitomé car ils sont antérieurs chronologiquement à De la mort des persécuteurs. L’extrait suivant parle des livres sibyllins et de leurs prêtres (Instit. div. I, 6, 7 ; trad. P. Monat) :

Les livres sibyllins ne sont pas l’œuvre d’une seule Sibylle, mais ils portent tous le titre unique de Livres sibyllins parce que toutes les femmes prophétesses étaient appelées Sibylles par les anciens (…)

Les prédictions de toutes ces Sibylles sont transmises et conservées, sauf celles de la Sibylle de Cumes, dont les livres sont tenus cachés par les Romains, pour qui c’est un sacrilège qu’ils tombent sous les yeux de quelqu’un d’autre que les quindécemvirs. Chacun de ces livres est l’œuvre de l’une d’entre elles : mais parce qu’ils sont mis sous le nom de la Sibylle, les gens croient qu’ils sont tous dus à une seule ; ils sont mélangés et on ne peut les distinguer, ni assigner à chacune son œuvre, sauf pour la Sibylle d’Érythrée, qui a mis son véritable nom dans ses prédictions et a proclamé qu’on l’appellerait Érythréenne, bien qu’elle fût née à Babylone. (Instit. div. I, 6, 13)

Fenestella, écrivain très soucieux d’exactitude, écrit, en parlant des quindécemvirs : « Une fois le Capitole restauré, le consul C. Curion saisit le Sénat d’une proposition demandant que l’on envoyât à Érythrée des ambassadeurs chargés de recueillir et de rapporter à Rome les oracles de la Sibylle ; à cette fin, l’on envoya P. Gabinius, M. Otacilius et L. Valerius, qui rapportèrent environ 1000 vers recopiés sur des livres appartenant à des particuliers. » (Instit. div. I, 6, 14)

Toutes les Sibylles dont j’ai parlé – sauf celle de Cumes, que seuls les Quindécemvirs peuvent lire – attestent « qu’il n’y a qu’un seul Dieu souverain, Créateur, Père, inengendré, né de lui-même, qui a été depuis des siècles et qui sera dans les siècles, et pour cette raison, il est seul à devoir être craint et honoré par tous les vivants »… Si tu désires les lire, tu n’as qu’à te reporter aux livres mêmes. (Epit. instit. div. V, 3 ; trad. M. Perrin)

Voici donc des informations concernant le dernier collège divinatoire que nous n’avions encore abordé. Dans ces quelques extraits, on remarque que Lactance attache beaucoup d’importance à préciser quelle est l’origine des livres sibyllins : ces livres ont pour lui une provenance strictement païenne. Il distingue deux types de livres sibyllins que les Romains appellent injustement de la même façon : les prédictions de la Sibylle de Cumes, que seuls les quindécemvirs peuvent consulter, et l’ensemble des prédictions de bien d’autres Sibylles, apparemment accessibles au grand public. Dans les Institutions divines, Lactance ne se tient pratiquement qu’à une description et à une petite explication historique des prédictions, sans trop se prononcer sur le bien-fondé de ce mode de divination. Mais dans l’Épitomé, nous avons été surpris de découvrir que l’auteur prenait les Sibylles comme source pour prouver l’existence du Dieu des chrétiens ! Comment se faisait-il que l’auteur chrétien reconnaisse comme valables des sources de la religion traditionnelle pour appuyer son argumentation sur la doctrine chrétienne ? La question est assez complexe et mérite quelques approfondissements.

 

On peut supposer, comme le fait M.-L. Guillaumin (1978, p. 190), que Lactance tente de battre ses ennemis en utilisant leurs propres armes. Sans doute, préfère-t-il s’appuyer sur les auteurs qui font autorité chez les adversaires du christianisme, poètes et philosophes, et surtout, étant donné les limites de ces derniers, en venir aux diuina testimonia, c’est-à-dire avant tout aux livres sibyllins. Lactance se dit peut-être qu’il aura moins de mal à prouver l’existence d’un Dieu unique s’il montre aux païens que leurs propres textes sacrés en faisaient déjà mention. La mention à la tradition des livres sibyllins sert donc ici d’argument à Lactance pour tenter de persuader les païens qu’il n’y a qu’un seul Dieu, celui des chrétiens. Mais cela ne suffit pas pour expliquer cette référence.

 

Il faut surtout se demander comment il est possible que les livres sibyllins mentionnent l’existence d’un Dieu qui ressemble comme deux gouttes d’eau au Dieu des chrétiens. Cela renvoie à l’historique même des prédictions sibyllines. La tradition sibylline ne se base pas sur des textes inchangés tout au long de son histoire. Des heurts et malheurs ont plusieurs fois obligé les autorités romaines à recommander des textes sacrés aux Sibylles. Les nouveaux textes pouvaient être radicalement différents des précédents. Seule importait aux Romains la provenance sibylline de ces vers. Dans cette évolution au niveau des textes, on trouve dès le IIe siècle des « chants sibyllins chrétiens » (Lact. Instit. div. IV, 15, 26-27) : on pouvait y décrypter la haine des auteurs envers Rome. Lactance n’ignore pas que l’on a accusé les chrétiens d’avoir forgé les textes auxquels il fait référence, mais il se retranche sans hésiter derrière Varron et Cicéron, appliquant aux documents qu’il a entre les mains ce que ceux-là disaient des Sibylles antiques. Nous ne pouvons cependant pas dire si Lactance était persuadé que les livres qu’il avait consultés étaient d’origine purement païenne ou si, tout en se rendant compte de l’empreinte chrétienne de ses sources, il voulait les faire passer pour païennes pour mieux convaincre ses adversaires.

 

Si Lactance utilise habilement les livres sibyllins en les considérant comme une source fiable [8], il est moins élogieux vis-à-vis des autres pratiques divinatoires traditionnelles (Instit. div., II, 16, 1) :

Ce sont eux [les démons] qui ont inventé l’astrologie, l’haruspicine, l’art des augures, tout ce qu’on appelle oracles, nécromancie, art magique et toutes les activités que les hommes pratiquent dans le domaine du mal, soit ouvertement, soit en secret.

Lactance reprend ici l’idée commune que les haruspices et les augures, entre autres, sont inspirés par les démons. Ses derniers mots laissent à penser qu’il désigne aussi bien les sacerdoces privés que les sacerdoces officiels dans le cadre de l’exercice des pratiques maléfiques. Mais il n’en reste pas là pour les haruspices. L’extrait suivant est particulièrement intéressant car il met directement en présence des chrétiens avec des haruspices dans le cadre de leurs activités officielles (Lact. De mort. persecut. X).

Il [Dioclétien] se trouvait dans les provinces orientales. Avec son inquiétude habituelle, il scrutait les mystères de l’avenir, immolant du bétail et cherchant des présages dans le foie des victimes.

Or certains de ses serviteurs connaissaient le Seigneur ; assistant à l’un des sacrifices, ils se signèrent le front du signe immortel et ce geste, en chassant les démons, troubla les rites païens. Trépidants, les haruspices n’apercevaient pas dans les entrailles les marques accoutumées, et, comme si le sacrifice n’avait pas eu lieu, ils le recommencèrent à plusieurs reprises. Mais les victimes nouvellement immolées continuaient à ne rien livrer. Enfin, le fameux Tagès [9], chef des haruspices, soit qu’il soupçonnât, soit qu’il eût vu quelque chose, déclara que, si les victimes interrogées ne donnaient aucune réponse, c’était que des profanes assistaient aux cérémonies divines. Dioclétien, fou de colère, ordonna de sacrifier non seulement à ceux dont c’était la fonction, mais à tous ceux qui se trouvaient dans le palais, et fit punir du fouet ceux qui s’y refuseraient.

Des chrétiens étaient donc présents dans l’assistance. Nous connaissons l’opposition des haruspices envers les chrétiens (Briquel, 1997, p. 9). En se signant, les chrétiens s’étaient probablement fait repérer par les prêtres sacrificateurs, ou bien ils avaient simplement déduit leur présence puisque le sacrifice n’avait pas fonctionné. Le signe de la croix était - c’est ici un exemple parmi d’autres - une des armes des disciples du Christ pour bloquer l’action des démons dans les processus divinatoires mis en œuvre par le paganisme [10]. Les haruspices ont donc vraisemblablement cherché à leur nuire ; sans doute les haruspices ont profité de la situation pour se débarrasser d’adversaires trop proches de l’entourage de l’empereur. Le silence des entrailles était un fait connu de l’Etrusca Disciplina : le refus des dieux de délivrer leur message aux sacrifiants sous la forme des muta exta était l’indice d’une situation très grave (Uda, 1999, p. 172).

 

Dioclétien apparaît ici comme un homme très superstitieux : Lactance en expliquera les raisons dans le chapitre XI. De la mort des persécuteurs a vraisemblablement été écrit vers 318/319, c’est-à-dire après l’édit de Milan (Briquel, 1997, p. 55) ; cela explique partiellement pourquoi Lactance parle assez librement des pratiques honteuses des haruspices. Cependant, il est toujours au service de l’empereur (il est précepteur du fils de Constantin), et si maintenant il n’a plus à se tracasser au sujet de ses convictions religieuses, il doit toujours prendre garde à ne pas égratigner la fonction impériale. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles il insiste bien sur le fait que Dioclétien était très superstitieux : s’il a commis les horribles actes de persécutions qu’on lui attribue, c’est à cause de l’influence néfaste des haruspices qui avaient le don de lui faire croire tout ce qu’ils voulaient. Ainsi, Lactance renvoie la balle aux haruspices (Haack, 2003, p. 182-186).

 

Cependant, l’auteur chrétien ne piétine pas les haruspices, on peut même déceler dans ses écrits un hommage discret à leur égard : Tagès avait deviné la présence des chrétiens dans l’assistance et ainsi la cause de l’échec du sacrifice. Lactance a donc en face de lui un ennemi digne d’attention car ses pouvoirs sont puissants : ils peuvent entrer en contact avec les démons ! De plus, ces représentants de la religion officielle disposaient d’un pouvoir efficient. L’haruspicine, encore dynamique, faisait toujours partie d’une des trois pratiques religieuses auxquelles le public croyait encore (Lact. Epitom., XXIII, 5). Loin donc de les mépriser, Lactance leur accorde toute son attention ; ils sont cependant dans le mauvais camp et ils sont voués à la défaite en toutes circonstances parce qu’ils sont le jouet de démons qui les trompent (Uda, 1999, p. 177).

 

[Plan]

d. La législation des empereurs chrétiens dans le Code de Théodose (IVe-Ve s.)

C’est à l’initiative de Théodose II qu’eut lieu l’élaboration d’un code rassemblant les constitutions impériales promulguées depuis 312. Cet important projet fut confectionné entre 435 et 438. C’est donc plus d’un siècle de textes législatifs et juridiques qui se retrouvent ainsi consignés en un seul ouvrage. Sur les quelques 3000 textes législatifs que comporte le code théodosien, douze interdisent l’exercice de la divination et de la magie. Ces douze lois apparaissent sous le titre De maleficis et mathematicis et ceteris similibus (IX, 16, 1-12). Mais certaines lois concernent aussi indirectement la divination dans la partie du code concernant la juridiction à l’égard des païens (sous le titre De paganis, sacrificiis et templis, au livre XVI, 10 du code).

 

La première loi parlant du problème de la divination est publiée en 319 par Constantin pour Maximus, préfet de la ville (Cod. Theod. IX, 16, I; trad. M.-L. Haack) :

Que nul haruspice n’approche le seuil d’autrui, même pour une autre raison [qu’une consultation d’haruspicine], mais que l’on repousse l’amitié, si ancienne soit-elle, de gens de cette sorte ; l’haruspice qui aura approché la demeure d’autrui devra être brûlé vif, et celui qui, par ses incitations ou ses cadeaux l’aura appelé, devra, après confiscation de ses biens, être déporté sur une île : ceux qui veulent rester les serviteurs de leur superstition pourront pratiquer publiquement le rite qui leur est propre. Pour ce qui est de l’accusateur de ce crime, nous estimons qu’il n’est pas un délateur mais qu’il mérite plutôt une récompense.

On voit ici que la loi repose sur des bases assez anciennes : on se méfie des pratiques privées. Ce qui heurte particulièrement, c’est l’importance des peines prônées pour ce genre de crime. Les deux peines les plus graves de l’époque sont d’application : la mort pour celui qui pratique la divination et l’exil pour celui qui la demande. Constantin veut ici vraisemblablement frapper les consciences : les haruspices privés sont des charlatans qui peuvent nuire à l’ordre public, mais ceux qui cherchent à user de leurs services sont autant, sinon plus, indignes. Au début du IVe siècle, les lois tendent de plus en plus à considérer comme crimes publics des actes paraissant avoir un caractère privé. Tout ce qui, dans les actes privés, comporte une présomption de crime public est puni au même titre qu’un crime public établi. C’est en cela que le droit du Bas-Empire reflète « l’emprise totalitaire de l’état sur les individus » (D. Grodzynski, Par la bouche de l’empereur, in Divination et Rationalité, 1974, p. 276). L’attention juridique sur les pratiques divinatoires se braquait sur deux points en particulier : l’objet sur lequel portait la consultation (affaire privée ou affaire publique) et la manière dont on consultait (en privé ou en public). Depuis Auguste, les pratiques privées étaient suspectes (Dio Cass. LVI, 25, 5 ; Suet. Tib. LXIII, 2), mais les peines capitales n’étaient pas encore d’application. Constantin marque un tournant et estime que le seul fait de consulter en privé indique que l’on complote contre l’état. Cet état d’esprit persistera pendant tout le IVe siècle.

 

Dans ses dispositions législatives, l’empereur s’adresse parfois au préfet de la ville (comme dans le texte de la loi de 319 ci-dessus), parfois aux gouverneurs de certaines provinces, mais parfois aussi à la population toute entière. Cela lui permet de cibler certaines dispositions sur certains groupes, ou au contraire d’étendre une loi à tout l’empire. L’empereur n’a, en outre, pas forcément envie de dire la même chose au peuple et aux autorités chargées de faire respecter la loi. Reprenons l’exemple de la loi de 319 adressée au préfet de Rome. Constantin édite la même année une loi destinée directement à la population et qui traite du même sujet (Cod. Theod. IX, 16, 2 ; trad. M.-L. Haack) :

Les haruspices, les prêtres et ceux qui sont habituellement au service de ce rite, nous leur interdisons d’approcher une demeure privée ou de franchir le seuil d’autrui, sous prétexte d’amitié ; une peine est prévue contre eux s’ils ont méprisé la loi. Mais, vous qui estimez que ces pratiques vous sont utiles, rendez-vous aux autels publics et dans les sanctuaires et pratiquez-y le cérémonial habituel ; nous n’interdisons effectivement pas que les obligations d’une pratique passée soient remplies au grand jour.

Nous voyons donc que ces deux textes, s’ils ont le même objet, ont des destinataires et des buts différents. Celui adressé au préfet le prévient des mesures à prendre vis-à-vis des personnes proscrites ; il y a même une note concernant le dénonciateur qu’il ne faut pas punir. Le second adressé ad populum ne rappelle pas la nature des peines mais signale qu’elles ont été prévues pour ces cas ; il signale surtout directement au peuple (usage de la deuxième personne du pluriel : uobis, uestrae, adite aras publicas) ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. En fait, c’est surtout aux haruspices eux-mêmes que la loi parle, mais comme ils sont difficilement identifiables parmi la foule, c’est à la population tout entière qu’elle s’adresse.

 

Les lois impériales ne s’attaqueront pas seulement aux charlatans du bas peuple. En 358, Constance rétablit la torture pour les personnes investies de charges officielles (jusque dans sa suite ou dans celle de César) qui se livreraient à l’art divinatoire (Cod. Theod. IX, 16, 6 ; trad. M.-L. Haack). Il aura sans doute ainsi voulu faire de ces cas des exemples.

 

L’empereur veillera notamment à ce que ses édits sur la divination ne restent pas lettre morte. C’est sans doute la raison pour laquelle bon nombre de lois du IVe siècle semblent simplement confirmer les précédentes, de manière à ce que les directives restent bien présentes dans les esprits. Si Constantin n’appliquait à la lettre ses édits que là où le paganisme faiblissait déjà, ménageant ainsi les susceptibilités dangereuses, ses fils furent moins habiles (Bouché-Leclercq, Divination, IV, p. 337 ; Haack, 2003, p. 186-194).

 

La divination officielle sera, quant à elle, peu touchée par ces lois [11]. Pour le bon fonctionnement des actes divinatoires publics, Constance II va même jusqu’à demander en 342 au préfet de la ville de protéger contre toute atteinte les temples situés hors des murs et les cérémonies traditionnelles auxquelles ils donnaient lieu ; il faut cependant noter que Constance II n’évoque pas explicitement d’actes divinatoires officiels (Cod. Theod. XVI, 10, 3).

 

Les prêtres les moins appréciés des empereurs chrétiens furent les haruspices (privés), peut-être parce qu’ils pratiquaient des sacrifices sanglants. Ces sacrifices furent petit à petit interdits. C’est Constance II qui, en 357, commença par supprimer les sacrifices nocturnes (Cod. Theod. IX, 16, 4). En 370, Valens étendit cette interdiction à tous les sacrifices, publics ou privés, diurnes ou nocturnes (Cod. Theod. IX, 16, 8). Une phrase du Code résume bien la manière dont le législateur percevait en général l’haruspicine au IVe siècle : Nec Haruspicinam reprehendimus, sed nocenter exercere uetamus (Cod. Theod. IX, 16, 9).

 

C’est sous Théodose Ier qu’eut lieu le dernier grand tournant. C’est en effet lui qui, ne voulant plus régner que sur des chrétiens, interdit le paganisme en 392, et toutes les pratiques qui en découlent, donc la divination aussi (Cod. Theod. XVI, 10, 12). Les cérémonies païennes officielles sont maintenant également proscrites et les temples ne sont plus protégés par la législation impériale.

 

Pour le législateur, l’homme viole les lois de la nature par ces pratiques. Il cherche à connaître ce qu'il ne lui est pas permis de connaître. C’est la curiositas diuinandi (Cod. Theod. IX, 16, 4) qui est condamnée, plus encore que la divination en elle-même.

 

A. Bouché-Leclerq (Divination, IV, p. 352) montre que la divination est le trait par où chrétiens et païens se ressemblent toutefois le plus. « La révélation », écrit-il, « leur paraît en effet ordinaire et indispensable de la sollicitude divine. Ce qui distingue la divination chrétienne de la divination païenne, c’est qu’elle n’a point et ne veut point avoir de méthode spéciale autre que la prière ».

 

Nous nous en sommes tenu dans cette étude aux grandes lignes de l’action impériale en la matière. Mais il serait également possible d’approfondir la vision de chaque empereur chrétien sur les sacerdoces divinatoires, de manière à dessiner une évolution plus précise dans les mentalités.

 

[Plan]

e. Augustin (Aurelius Augustinus – 354-430)

Nouvel auteur chrétien originaire d’Afrique du Nord, Augustin est né à Thagaste en Numidie. C’est le Père de l’Église latine par excellence. D’abord professeur de rhétorique, il adhéra au manichéisme, puis il se convertit au christianisme après sa découverte de la philosophie néo-platonicienne, sous l’influence de sa mère, sainte Monique, et du Père de l’Église saint Ambroise, évêque de Milan, qui le baptise en 387. Il devient successivement moine, prêtre et évêque à Hippone. Il déploya une activité particulièrement efficace principalement dans le domaine de la prédication. Il est surtout connu pour ses écrits doctrinaires (De doctrina christiana, De trinitate), pour son autobiographie (Confessiones) et pour son apologie (De ciuitate Dei). Comme nous le voyons donc, saint Augustin occupait un haut rang au sein de l’Église du Ve siècle. Il profita de sa position pour mettre de l’ordre dans la doctrine ecclésiastique. Mais il ne négligeait pas non plus le « peuple des fidèles ». Ses nombreux sermons montrent qu’il invitait les chrétiens à suivre la doctrine qu’il prônait. Il avait donc une grande aura.

 

Nous retiendrons dans le cadre de ce travail des passages des Confessions et de La Cité de Dieu. Dans les Confessions, saint Augustin relate une rencontre qu’il aurait eue avec un haruspice, alors qu’il enseignait encore la rhétorique à Carthage, c’est-à-dire entre 374 et 383 (Aug. Conf. IV, 2, 3). L’évêque d’Hippone décida un jour de concourir pour un prix de poésie dramatique. Sachant cela, un haruspice lui proposa, contre paiement, d’assurer la victoire à Augustin en sacrifiant des animaux, prétendant qu’il gagnerait par cette offrande le suffrage des démons. Mais Augustin refusa catégoriquement de participer, ne serait-ce qu’indirectement, au sacrifice de quoi que ce soit (Briquel, 1997, p. 188). Il est intéressant de noter qu’à la période où Augustin rencontra cet haruspice qui lui proposait des services à titre privé, de nombreuses lois très sévères avaient déjà été promulguées à l’encontre de ce genre de pratiques. On peut alors se poser la question de savoir comment il se fait qu’un haruspice ose venir proposer ses services aussi facilement à Augustin. N’avait-il pas peur des sanctions auxquelles il pouvait ainsi s’exposer ? Le contenu des lois était-il bien répercuté dans tout l’empire ? Étaient-elles, en outre, bien appliquées ?

 

Augustin écrit la Cité de Dieu encore bien plus tard (413-424), à une époque où la divination, qu’elle soit privée ou officielle, est proscrite, tout comme la religion païenne dans son ensemble. Quand il fait référence aux pratiques divinatoires, il parle plutôt d’exemples empruntés à l’histoire romaine. Il va rechercher des exemples assez lointains car, comme il le dit lui-même, « il y a beau temps que les Romains méprisent ces sottises » (Civ. III, 22, 4). Il va même chercher des exemples de personnes illustres de la tradition païenne pour confirmer son opinion (Civ. IV, 30, 1; trad. B. Dombart) :

Cicéron, augure lui-même, raille les augures et gourmande les gens qui règlent leurs plans de vie sur les cris d’une corneille ou d’un corbeau. Seulement, cet académicien, qui prétend que tout reste incertain, ne mérite aucune autorité en pareille matière.

Augustin cite donc l’exemple de Cicéron, augure officiel, pour se moquer de l’augurat privé. Mais il n’explique pas clairement la différence entre ces deux fonctions. On peut alors se demander si Augustin comprenait qu’il s’agissait effectivement de deux réalités différentes. Ou bien maintenait-il volontairement la confusion pour égarer le lecteur qui n’avait peut-être pas, lui, les connaissances nécessaires pour comprendre la nuance et le persuader que les auspices sont futiles. Les références d’Augustin à Cicéron sont nombreuses en ce qui concerne la divination. Nul doute que sa formation l’avait amené à bien étudier cet auteur païen. Il le cite encore pour parler des livres sibyllins à l’époque des guerres puniques (Civ. III, 27, 128 ; III, 28, 14) :

Il fallut consulter les livres sibyllins : dans ce genre d’oracle, comme le dit Cicéron, dans son « Traité de la divination », on se fie plutôt aux interprètes, qui forment des conjectures douteuses, comme ils peuvent ou comme ils veulent… Rome fut frappée de terreur, on recourait à de vains et ridicules remèdes. Sur l’autorité des livres sibyllins, on restaura les jeux séculaires dont la célébration devait avoir lieu tous les cent ans, mais qui, dans des périodes plus heureuses, avaient été oubliés et laissés de côté.

Ici, Augustin ne reprend pas l’idée de Lactance d’utiliser les livres sibyllins pour prouver l’existence d’un Dieu unique. Mais le contexte est ici tout à fait différent. La religion païenne est proscrite. Saint Augustin s’adresse maintenant à un lectorat normalement à majorité chrétienne. Il n’est donc plus nécessaire de s’appuyer sur des sources païennes pour prouver l’existence de Dieu ; ce serait peut-être même contre-indiqué, car cela voudrait dire que la religion traditionnelle avait du bon, et c’est précisément ce que la tendance du début du Ve siècle se refuse à dire. On en revient donc à la bonne vieille méthode qui veut que l’on méprise purement et simplement ces traditions honteuses. Dans la première partie de l’extrait, ce sont précisément les prêtres qui sont visés. Augustin les accuse de faire dire à peu près n’importe quoi aux textes qu’ils prétendent interpréter, selon les circonstances ou leur propre humeur. Cela est vrai, mais cette importante part de subjectivité des prêtres n’avait jamais gêné les Romains. L’évêque d’Hippone, quant à lui, trouve cela douteux. Dans la deuxième partie, il est question des livres sibyllins eux-mêmes, qui feraient autorité. Il faut ici aussi certainement comprendre que ce sont les interprétations des prêtres qui font autorité. Augustin met ici en évidence le fait que les jeux séculaires, s’ils se déroulaient au début tous les cent ans, perdirent par la suite cette périodicité, n’étant plus organisés que quand on s’en souvenait, c’est-à-dire dans les moments troublés [12]. Les allusions aux pratiques divinatoires remontent même jusqu’à la période royale (Civ. IV, 29, 8) :

Un auspice du temps de Tarquin avait prédit que Mars, Terminus et la déesse Juventas ne céderaient jamais leur place à Jupiter. Nos adversaires n’avoueront jamais que les dieux qui ne voulaient pas céder leur place à un Jupiter l’aient cédée au Christ. Mais avant que le Christ ne s’incarnât, avant que rien ne fût écrit de ce que nous citons d’après leurs livres, postérieurement toutefois à cet auspice, l’armée romaine fut, à diverses reprises, battue, mise en fuite. Ainsi se décela la fausseté de l’auspice selon lequel cette fameuse Juventas n’aurait pas cédé à Jupiter. Dans Rome même, la race de Mars fut broyée par le flot impétueux des Gaulois vainqueurs ; les limites même de l’empire se rétrécirent, quand tant de cités, faisant défection, passèrent du côté d’Hannibal. Ainsi s’évanouit la magnificence des auspices.

Augustin se fait ici une joie de dénigrer les païens sur deux points. Tout d’abord, il y a la fausseté de la prédiction de l’auspice du temps de Tarquin. Avec le recul, Augustin peut prouver le ridicule d’une telle annonce. Car au sein même du monde païen, il est notoire que Jupiter a fini par s’imposer comme roi des dieux : l’auteur africain le montre, preuves historiques à l’appui. Mais Augustin fait également référence à ceux qu’il qualifie d’« adversaires » ; il s’agit donc probablement de personnes qui lui sont contemporaines, peut-être des adeptes ou des nostalgiques de la religion traditionnelle déchue. Pour Augustin, la mauvaise foi païenne, tant ancienne que contemporaine, ne fait aucun doute : les païens ne remettront pas en cause ces prédictions, surtout s’il s’agit de reconnaître que c’est le Christ qui a été plus fort que leurs anciens dieux. Mais pour lui, cela ne fait aucun doute : les faits sont là, les auspices n’ont pas été confirmés dans les faits, et c’est le Christ qui l’a révélé au grand jour.

 

Si Augustin ne cite les pratiques divinatoires que pour les railler, il semble cependant moins virulent que ses prédécesseurs à l’encontre des prêtres. Certes, il les dénigre et tente de détourner les chrétiens auxquels il s’adresse de telles pratiques, mais tout en restant modéré. Un jour, à un chrétien [13] qui lui demande s’il ne faut pas craindre de manger de la viande, de peur qu’elle ne soit issue d’un sacrifice, Augustin répond que si on n’a pas la preuve qu’elle provient effectivement d’un sacrifice, on peut la manger ; dans le cas contraire il vaut mieux s’abstenir. De même, Augustin assure à son correspondant que ce n’est pas parce que les sacrifices répandent dans l’air des fumées démoniaques qu’il faut s’arrêter de respirer (Cl. Lepelley, 2002, p. 92-93). Il condamne donc en général tout type de divination, magie et astrologie, mais sans entrer dans le radicalisme.

 

[Plan]

f. Orose (Paulus Orosius – 390- ?)

Nous disposons de peu d’éléments biographiques concernant Orose. Prêtre d’origine espagnole, il vécut longtemps à Hippone auprès de saint Augustin. Ses Historiae aduersus paganos sont nées d’une demande circonstancielle de la part de saint Augustin. C’est une histoire universelle en sept livres, qui va de la création de l’homme jusqu’à l’époque qui lui est immédiatement contemporaine. Pour l’aspect historique, il se repose sur les grands noms de la tradition romaine (Tite-Live, Suétone, Tacite). Pour l’aspect apologétique, l’influence de saint Augustin est flagrante ; il cherche à montrer que l’humanité souffrait déjà, et bien plus vivement, avant la venue du christianisme (Buchwald, p. 634). Le parallèle avec la Cité de Dieu est particulièrement net, notamment au troisième livre, où Augustin avait établi le bilan des maux jadis soufferts par Rome, et que les dieux avaient été impuissants à détourner d’elle. Les Histoires contre les païens datent de l’époque de rédaction de la Cité de Dieu, et plus précisément de 415 à 417.

 

Concernant la divination, les exemples d’Orose sont à nouveau empruntés à la période républicaine. C’est un fait que l’auteur n’a pratiquement pas connu les pratiques divinatoires officielles. L’exemple suivant remonte à 142 av. J.-C. (Hist. adv. pag. V, 4, 8-19 ; trad. M.-P. Arnaud-Lindet) :

Sous le consulat de L. Cecilius Metellus et de Q. Fabius Maximus, un androgyne, apparu à Rome entre autres prodiges, fut noyé dans la mer sur l’ordre des haruspices. Mais la procuration du prodige par un sacrifice expiatoire impie ne servit à rien : en effet, naquit soudain une telle pestilence que, dès le début, on manqua même de personnel pour assurer les obsèques, et qu’ensuite, il n’y en avait plus… Cette expiation cruelle, et qui, par la mort d’un homme, ouvrait la route à des morts d’hommes, fit enfin connaître aux Romains, rougissant de honte au sein de leurs malheurs, combien elle était malheureuse et vaine ; car auparavant, elle fut le moyen de prévenir le désastre, et, en fait, il s’ensuivit une pestilence qui cependant s’apaisa sans aucun sacrifice expiatoire, une fois le châtiment achevé selon la mesure d’un mystérieux jugement.

Si ces fameux haruspices, artistes en tromperie, avaient par hasard accompli cette expiation, comme ils en ont la coutume, juste au moment de la régression des maladies, ils auraient sans doute revendiqué la gloire du retour à la santé pour eux, leurs dieux et leurs rites ! Ainsi, la cité, misérable et poussée pour son malheur aux sacrilèges de la superstition, était abusée par des mensonges par lesquels elle ne pouvait être délivrée. […]

Mais des hasards opportuns ne favorisaient pas toujours les haruspices, oiseleurs à l’affût des événements et bâtisseurs de supercheries.

Il s’agit ici d’un extrait illustrant une action des haruspices qui a produit les effets contraires à ceux souhaités. Il y a ici de nombreux points intéressants qui méritent que l’on s’y arrête.

 

Tout d’abord, il y a le sacrifice de cet androgyne. Selon Orose donc, les haruspices auraient pratiqué le sacrifice humain. Ce sacrifice officiel expiatoire devait servir à faire cesser des fléaux qui rongeaient la ville. Or, c’est une nouvelle calamité qui apparut en fait. De toute façon, le simple fait de mentionner la pratique de sacrifice humain devait révolter et dégoûter le chrétien. Orose montre ici combien les ordres que pouvaient donner les haruspices pouvaient être odieux et sans respect pour la condition humaine.

 

Ensuite, Orose montre l’inefficacité du pouvoir des haruspices. Leur sacrifice, si incroyable fût-il, ne fit rien pour calmer la colère de leurs dieux, dont ils étaient pourtant censés connaître le langage et la volonté. Pire, cette colère semble croître sans que l’on sache très bien pourquoi.

 

C’est alors que l’auteur propose sa vision des choses. Il pense sans doute que la divinité n’a pas besoin de l’intermédiaire des haruspices pour faire connaître sa volonté aux hommes. Même après avoir fait mourir un nombre considérable d’hommes, la divinité (celle d’Orose, qui n’est pas la même que celle des païens) montre à tous l’inutilité du sacrifice humain. Ceci expliquerait également pourquoi la pestilence s’en alla d’elle-même, sans que l’on ait eu recours à quelque sacrifice que ce soit. Quand Orose dit que le châtiment de la pestilence s’acheva « selon la mesure d’un mystérieux jugement » (Hist. adv. pag. V, 4, 10), sans doute parle-t-il du châtiment et du jugement de Dieu lui-même, mécontent des actes de folie de ces païens.

 

L’extrait se termine par une tentative d’analyse du comportement et des pratiques des haruspices. L’auteur tente de déceler ce qui a manqué aux prêtres pour que leur action soit rendue crédible. Les haruspices, qui sont bien entendu des charlatans, ont failli dans leur prestation car ils auraient été moins prudents et moins intelligents qu’à l’accoutumée. Et Orose se met à leur place pour prouver qu’il a bien compris le subterfuge qu’ils utilisent habituellement pour duper la population : il aurait fallu attendre le début de la régression de la maladie pour officier. C’est sans doute par de tels procédés honteux que les haruspices se couvraient en général de gloire. Mais dans certains cas, la situation exigeait des actions rapides et ils ne pouvaient pas toujours attendre le moment opportun. Ce n’est pas relaté ici, mais on peut imaginer que la population crédule aura sans doute pressé les haruspices de faire quelque chose pour remédier à la situation et ceux-ci, pressés par les événements, n’auraient eu d’autre choix que de pratiquer un sacrifice, espérant que le hasard leur apporterait par la suite des conséquences heureuses. Ce ne fut pas le cas. On le voit, le hasard pouvait donc réserver à ces prêtres de bonnes et de mauvaises surprises. Si le sacrifice avait été concluant, les prêtres en auraient ramené à eux toute la gloire du retour à la santé, mais Orose ne précise pas quelle fut la réaction des officiants dans ce cas précis où la cérémonie fut vaine. On se souvient du cas rapporté par Lactance où la cérémonie fut perturbée : Lactance nous y relatait la réaction des haruspices, accusant les chrétiens de l’échec de la cérémonie. Mais ici, ce n’est pas un problème dans la forme cérémoniale mais dans les conséquences. Doit-on imaginer que les haruspices gardaient le silence après ce genre de revers ? Nous manquons ici d’informations pour pouvoir l’affirmer. En tous cas, l’auteur dénigre les haruspices (ces fameux haruspices, artistes en tromperie,…). Par rapport à d’autres chrétiens, comme par exemple Minucius Felix ou Lactance, Orose aurait plus tendance à rabaisser les païens et leurs pratiques indignes. On voit qu’on se trouve ici à une époque où le christianisme est bel et bien vainqueur.

 

Orose note enfin que les Romains eux-mêmes avaient été fort déroutés par cette intervention ratée des haruspices. Ainsi, il tente de montrer que, dès la période républicaine, les Romains auraient commencé à douter de l’efficacité des pouvoirs des haruspices. Or, ce ne fut pas exactement le cas, puisque les prêtres devins étaient encore et toujours consultés en secret à l’époque d’Orose.

 

Il existe dans les Histoires contre les païens (III, 22, 5) un passage semblable illustrant un cas de recours vain aux livres sibyllins. Là aussi, une pestilence s’était emparée de la cité. Orose y écrit que des sacrifices n’avaient jamais empêché une pestilence d’arriver.

 

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g. Césaire d’Arles (Cesarius Arelianus – 469/470-542)

Après le triomphe du christianisme et la chute de l’empire romain, on pourrait croire que la religion traditionnelle romaine est belle et bien morte. Si c’est effectivement le cas dans la vie publique, les termes d’augure, d’haruspice et de devin sont loin d’être bannis du vocabulaire dans le langage courant du VIe siècle. Les écrits de Césaire d’Arles en sont la preuve. De moine, Césaire passa successivement aux rangs d’évêque d’Arles en 503 et de primat de Gaule en 514. Il lutta surtout contre les ariens, tout en défendant l’augustinisme, et il convoqua plusieurs conciles (Arles en 524, Orange et Vaison-la-Romaine en 529).

 

C’est dans ses sermons, qu’il expédiait un peu partout en Gaule, en Italie et en Espagne, qu’il plaçait le meilleur de son activité pastorale. Son éloquence était familière et vivante, tout entière tournée vers la pratique, même lorsqu’elle abordait la haute spéculation (P. de Labriolle, p. 663). On a passé le stade où l’auteur s’inspirait de ses études pour reproduire un style classique, voire cicéronien, dans ses écrits. D’ailleurs, Césaire ne s’appuie plus sur des auteurs païens pour développer son argumentation, mais sur ses prédécesseurs chrétiens, comme par exemple Augustin, Origène ou Fulgence, dont il reproduit parfois des pages entières. Césaire n’a pas retracé l’histoire de Rome et de ses institutions. Ses homélies se concentrent sur le temps présent ; il n’est pas anodin de constater que c’est dans ses sermons au peuple qu’il va faire référence aux prêtres devins païens. À l’instar d’Augustin, Césaire était un personnage important au sein de l’Église, qui faisait autorité, et ses écrits avaient un retentissement certain au sein du monde chrétien.

 

Dans les sermons de Césaire, le terme d’augure apparaît à plusieurs reprises. Il semble que le mot renvoie ici au présage et non à la personne observant les signes.

Et ceci aussi, qui ne peut le dire : nul ne doit rendre un culte aux arbres, observer les augures, s’adresser aux enchanteurs ; nul ne doit s’enquérir auprès des magiciens et des devins, nul ne doit, à la façon sacrilège des païens, prendre garde au jour où il part en voyage et au jour où il rentre chez lui, mal auquel, non seulement les laïcs, mais même un certain nombre de clercs, je le crains, succombent à cause d’une coutume sacrilège (Sermones I, 12, 36 ; trad. J. Delage)

 

Observer les augures, faire appel aux guérisseurs, recourir aux magiciens, aux tireurs de sorts, aux devins, tout cela, sans nul doute, appartient à la pompe et aux œuvres du diable. Et parce qu’il se trouve peu de gens qui puissent se vanter d’être affranchis de toutes superstitions, il faut que chacun, comme je l’ai déjà dit, en appelle à sa conscience (Sermones XII, 4, 19)

On le constate, le fond du message n’a pas réellement changé par rapport aux auteurs précédents : il faut se préserver de consulter ces devins qui sont des charlatans. Il y a cependant une grande nuance ici. Césaire s’adresse à des chrétiens et c’est à ceux-ci qu’il demande de ne pas observer les augures. La pratique aurait donc persisté, même dans la religion chrétienne. Et c’est précisément cette continuité dans l’exhortation qui interpelle et qui peut surprendre : il semble que, malgré toutes les défaites qu’avait subies la religion romaine traditionnelle et malgré la victoire du christianisme en parallèle, les aspects divinatoires de cette religion mourante, privés de toute reconnaissance institutionnelle, avaient résisté, au grand dam de Césaire.

 

La grande question est de savoir si les chrétiens observaient les augures de la même façon que leurs ancêtres païens. Césaire ne nous livre aucun détail quant à l’aspect pratique de la chose. Pour ce qui est de l’importance de ces consultations à l’époque et de leur impact sur la vie des chrétiens, l’avis de D. Briquel (1997, p. 189-190) s’est avéré fort intéressant, même si, dans le cadre de son étude, il envisageait principalement le cas des haruspices ; il semble cependant que l’on puisse l’étendre à presque toutes les pratiques divinatoires. D. Briquel considère qu’à partir du moment où les auteurs chrétiens avaient reconnu, et ce, dès Tertullien, que les divinités que les prêtres païens disaient consulter étaient en fait des démons, commença alors un lent glissement de la divination du paganisme vers le christianisme. Le fait d’utiliser le terme de « démon » rapprochait en effet la coutume païenne de la doctrine chrétienne. Certes, la consultation des démons était contre-indiquée dans la doctrine chrétienne, mais elle avait au moins le mérite d’y figurer en tant que discipline se rapportant au mal [14]. Les démons, mauvais, étaient opposés aux anges, bons. La divination est donc, peu à peu, entrée dans la sphère du christianisme, même si c’était surtout un monde souterrain (Briquel, 1997, p. 189).

 

Le recours à la divination pouvait donc être considéré, en milieu chrétien, comme une sorte de tentation. Césaire considère cet attrait pour la divination comme une gangrène au sein de l’Église, car les ministres du culte seraient aussi incriminés. L’évêque d’Arles ne précise cependant pas si les prêtres chrétiens, ou si des chrétiens en général, effectuaient en personne des actes divinatoires, ou bien s’ils recouraient à des païens pour assouvir leur curiosité en l’avenir. Ce n’est pour lui apparemment pas là le plus important, mais bien le simple fait d’avoir été tenté de chercher à connaître l’avenir d’une manière ou d’une autre. Mais Césaire sent que les hommes sont bien impuissants, car il reconnaît lui-même que très peu de gens seraient affranchis de toute superstition. Faut-il voir dans ces mots un indice qui prouverait qu’il aurait, ne serait-ce qu’une fois, cédé à cette tentation de connaître l’avenir ? Peut-être. Saint Augustin s’était bien vu proposer en son temps les services d’un haruspice. En tout cas, il semblerait que ces pratiques auraient encore été assez courantes au VIe siècle.

 

Si d’un côté Césaire condamne ceux qui consultent pour leur avenir, il félicite ceux qui rejettent les diseurs de bonne aventure (Sermones LII, 1, 14) :

Celui qui réprimande, afin qu’on ne tienne pas compte des augures, qu’on ne prenne pas sur soi d’amulettes, qu’on ne fasse appel ni aux magiciens, ni aux haruspices, il sait qu’en parlant contre ces tentations du diable, il rend témoignage pour le Christ.

Dans tous ces extraits, une constante : le rejet de la magie sous toutes ses formes (observations des augures, haruspices, magiciens, amulettes, guérisseurs, enchanteurs) permet une meilleure approche du Christ. Un peu plus loin, pour approfondir les derniers mots de ce dernier extrait, Césaire fait un petit rappel étymologique en disant que « martyr » est un mot grec qui signifie témoin. Un bon chrétien devrait donc selon lui rejeter publiquement toutes ces pratiques méphistophéliques.

 

Dans un dernier extrait que nous reproduisons ici, Césaire explique un peu plus profondément pourquoi il faut mépriser les haruspices et l’observation des augures, en lançant un vibrant avertissement à la chrétienté (Sermones LIV, 1, 1-20) :

Vous savez bien, frères très chers, que, ainsi que je vous en ai fréquemment suppliés, et avec une fraternelle sollicitude, à la fois avertis et conjurés, vous ne devriez absolument pas observer les coutumes sacrilèges des païens ; mais d’après tout ce qui parvient à moi par le récit de beaucoup, notre exhortation a eu peu d’effets auprès de certains. Si je ne vous dis pas cela, j’aurais à rendre un mauvais compte au jour du Jugement et de vous et de moi, et il me faudra par nécessité endurer les supplices éternels ; aussi, je m’absous auprès de Dieu en vous exhortant et vous conjurant tout à la fois encore et encore, afin qu’aucun de vous ne s’enquière auprès des magiciens, des devins et des faiseurs de sortilèges, ni ne les interroge pour quelque cause ou maladie que ce soit. Que nul ne recoure pour lui aux enchanteurs, car quiconque aura commis ce méfait perdra aussitôt le sacrement de baptême, devenant incontinent sacrilège et païen ; et si une large aumône et une dure et longue pénitence ne lui viennent en aide, il périra aussitôt pour l’éternité.

De même, n’observez pas les augures et, quand vous êtes en voyage, ne prenez pas garde au chant de certains petits oiseaux, et n’ayez pas l’audace d’annoncer d’après leur chants des divinations diaboliques. Qu’aucun de vous ne tienne compte du jour où il part de chez lui, du jour où il retourne, car Dieu a fait tous les jours, comme le dit l’Écriture. Dieu a fait toutes choses parfaitement bonnes.

Et ne prêtez pas attention et n’accordez pas un sens non seulement sacrilège mais aussi ridicule aux éternuements, mais, chaque fois qu’il faut vous rendre en hâte en quelque lieu que ce soit, signez-vous au nom du Christ et, en disant avec foi le Symbole et l’Oraison dominicale, mettez-vous en route, sûrs de l’aide de Dieu.

Une des caractéristiques de Césaire d’Arles, comme d’Augustin, est qu’il s’adresse presque exclusivement aux chrétiens eux-mêmes, par le biais de ses sermons (frères très chers). On sent d’ailleurs que cet auteur est plus marqué et meurtri par les pratiques qu’il dénigre, certainement parce que celles-ci sont pratiquées par ses frères. Il juge donc de son devoir de remettre les chrétiens dans le droit chemin, car il craint le Jugement dernier s’il ne le fait pas. Comme pour saint Augustin, nous sommes encore à une époque où les dogmes et la doctrine de l’Église sont encore peut-être mal assimilés par l’ensemble de la population, et l’évêque sent qu’il est de son devoir de délimiter ce qui est louable de ce qui est à rejeter dans les pratiques des chrétiens, et surtout de le faire savoir au plus grand nombre. C’est donc un désir d’endurcir les fidèles à la foi chrétienne qui anime Césaire. Il condamne les croyants ayant une « foi tiède », ceux-là ne prennent pas assez au sérieux leur foi en Dieu et ne pourront garder dans ce cas leur statut de chrétien très longtemps. C’est pourquoi il préconise l’excommunication pour tout qui se serait mis en quête de son avenir par des rites païens. Il existe cependant des moyens de se racheter : l’aumône et la pénitence. Il préfère voir un groupe réduit de personnes ayant une foi sincère, plutôt qu’un large ensemble dont les membres n’hésiteraient pas à dialoguer avec les démons. Nous pouvons donc observer chez Césaire une attitude toute différente par rapport à celle de ses prédécesseurs : il ne cherche plus à convertir le plus de païens possible vers la religion chrétienne (il ne s’adresse d’ailleurs plus aux païens), mais il cherche à épurer le monde chrétien.

 

La tâche de Césaire est ardue du fait que son discours va à l’encontre de forces et de personnes invisibles. Car ces pratiques interdites ne se faisaient certainement pas au grand jour. Comme il ne peut donc pas viser des personnes directement, il tente d’émouvoir les gens dans leur conscience, afin qu’ils se refusent à eux-mêmes d’avoir quelque lien que ce soit avec les pratiques divinatoires.

 

Une des raisons pour lesquelles il est vain de chercher à connaître l’avenir est que Dieu a fait toutes les choses parfaitement bonnes. Il n’est donc pas utile de chercher à connaître le futur, puisque Dieu l’a voulu comme il sera. C’est une pensée fataliste, mais c’est un fatalisme assez optimiste. Il n’y a donc rien à craindre, tant qu’on se signe au nom du Christ. On retrouve ici le signe de la Croix comme arme des chrétiens contre les démons, comme nous l’avons déjà vu chez Lactance.

 

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IV. Conclusion

L’analyse de tous ces extraits d’auteurs chrétiens s’est révélée particulièrement intéressante, dans la mesure où il nous a été possible de déceler une certaine évolution dans la pensée chrétienne par rapport aux pratiques divinatoires romaines traditionnelles.

 

Tout d’abord, nous voyons que les cibles des écrivains ne sont pas les mêmes durant les six siècles étudiés. On assiste à un basculement. Les premiers auteurs comme Tertullien, Minucius Felix et Lactance s’attaquent principalement à la fonction et à la personne des prêtres. Ils jugent ces métiers infâmants et ridicules et tentent d’en persuader la population romaine encore largement païenne, à l’aide de nombreux exemples repris dans l’histoire romaine. Tous ces exemples ont pour but de montrer aux Romains que leurs prêtres ne sont rien d’autre que des charlatans qui les trompent. Il est intéressant, au cours de ces premières décennies de publications d’ouvrages chrétiens, de remarquer que la population apparaît ici comme trompée et manipulée par des prêtres qui, étant fort proches du pouvoir, avaient une grande influence sur les esprits. Minucius Felix montre très bien la crédulité des païens, puisque dans son ouvrage, Octavius finit par convaincre Cecilius de se convertir au christianisme, après lui avoir exposé notamment les dérives passées des prêtres devins ; le païen avait donc un bon fond que le chrétien a su révéler au grand jour.

 

On assiste à un glissement de la cible au sein même des législations reprises dans le code théodosien. Nous avons en effet vu que des peines sont applicables tant pour les prêtres qui pratiquent la divination que pour les commanditaires. Le législateur, lui, n’estime pas que la population soit innocente et manipulée. Il semblerait donc que la personne qui demande à connaître l’avenir soit autant responsable que la personne qui interprète les signes pour le révéler. Deux grandes raisons pourraient expliquer ce changement de cap. Les empereurs sont maintenant chrétiens et invitent petit à petit la population tout entière à se tourner vers la nouvelle religion, en délaissant autant que possible les pratiques ancestrales. De plus, la position inégalable des empereurs ne les oblige pas à respecter les mêmes devoirs de réserve et de diplomatie que les auteurs précédents. Ils peuvent donc se permettre d’attaquer les païens en bloc, sans se préoccuper de l’avis de qui que ce soit. Il faut aussi noter qu’il est surtout question dans les législations (du moins dans les premières) des pratiques privées, alors que les premiers apologistes s’attaquaient surtout aux sacerdoces publics.

 

Les auteurs de la fin du IVe et du Ve siècles ont encore une autre approche du problème. S’il est bien entendu pour eux que les prêtres devins sont des charlatans, ce ne sont plus forcément eux qui sont au centre de leur critique. Ces auteurs, qui sont souvent des ecclésiastiques de haut rang, préfèrent conscientiser la population (devenue majoritairement chrétienne) et s’attaquer directement à ce qu’ils estiment être le nœud du problème : le besoin qu’ont les gens de vouloir absolument connaître leur avenir. Si ces auteurs parviennent à convaincre la population qu’il est vain de vouloir chercher à connaître ce que le futur leur réserve, bien des profiteurs n’auraient alors plus de raison d’être. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les paroles de Césaire d’Arles lorsqu’il dit que Dieu a fait toutes les choses parfaitement bonnes : dans un tel monde, il est inutile de chercher à connaître l’avenir ou de le craindre, il suffit de laisser passer le temps. Ici donc, on s’attaque directement au principe même de la divination plutôt qu’aux personnes qui l’appréhendent et aux pratiques qu’elle nécessite, comme c’était surtout le cas chez Tertullien par exemple, qui se moquait de la façon dont les prêtres tiraient des présages du vol des oiseaux et de l’appétit des poulets.

 

 

D’un côté donc, nous observons des évolutions de ton et d’objet, mais il y a également, d’un autre côté, des constantes, des sujets récurrents. C’est le cas du parallèle établi par tous les auteurs analysés, entre les divinités païennes et les démons de la tradition chrétienne. Les pratiques divinatoires sont systématiquement assimilées à des tentatives de dialogue ou d’entrée en contact avec les démons. Il y a aussi des sujets qui apparaissent seulement chez quelques auteurs, en fonction des personnalités et du contexte. C’est le cas, notamment, du signe de la Croix qui apparaît chez Lactance, Augustin et Césaire d’Arles comme une arme contre les pratiques divinatoires, dont l’efficacité a été prouvée. Il s’agissait certainement pour ces deux ecclésiastiques de faire la publicité de cette pratique de la doctrine chrétienne.

 

Nous pouvons enfin dire que les auteurs chrétiens connaissaient en général bien les pratiques qu’ils dénigraient. Ils ont tous baigné dans une époque où la divination était présente ; pour les premiers, elle s’affichait publiquement, pour les derniers elle s’effectuait en privé. Bon nombre d’entre eux ont encore eu une éducation classique et connaissaient bien l’histoire de Rome, qu’ils pouvaient ainsi mieux critiquer. Si certains relatent des événements lointains, parfois de manière imprécise, on ne peut apparemment pas leur imputer une mauvaise volonté. Ils cherchent sincèrement à montrer ce en quoi les traditions sont mauvaises. La controverse est donc au départ strictement idéologique.

 

Cette étude de la vision des chrétiens sur les prêtres devins et sur leurs pratiques nous a donc livré un bel aperçu des opinions de différents auteurs. Mais ce n’est précisément qu’un aperçu. Nous avons dû effectuer une sélection et bien d’autres avis auraient pu entrer dans notre analyse. Nous aurions pu envisager l’étude de passages d’autres auteurs chrétiens, d’autres Pères de l’Église, des personnages comme saint Jérôme, Fulgence, Origène ou Arnobe. Les actes des conciles auraient pu aussi certainement nous éclairer sur l’opinion de l’Église elle-même à l’égard de la divination romaine. L’étude de tous ces aspects pourrait apporter des éléments complémentaires ou confirmer les découvertes de ce travail.

 

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Notes

[1] Dans son édition commentée de l’Apologétique, certes un peu vieillie, J.-P. Waltzing ne semble pas faire de distinction entre les haruspices publics et les haruspices privés, ou alors cette distinction est assez floue. Il dit simplement que les haruspices (sans préciser lesquels) exerçaient un métier peu honorable, qu’ils restaient étrangers aux célébrations du sacrifice qui étaient confiées aux prêtres de l’état. Mais il ne précise pas qui étaient ces prêtres de l’état. [retour]

 

[2] Minucius Felix fait ici référence à ce qu’il a lu chez Cicéron (De div. II, 8, 20-22). Ces deux commandants perdirent leur flotte à la suite d’une défaite que leur infligèrent les Carthaginois (249 a.C.n.). [retour]

 

[3] Regulus fut fait prisonnier en 255 a.C.n. par les Carthaginois, en Afrique, au cours de la première guerre punique. J. BEAUJEU, Minucius Felix, Octavius, p. 131. [retour]

 

[4] Caius Hostilius Mancinus, fut battu par les Numantins en 137 a.C.n.. J. BEAUJEU, Minucius Felix, Octavius, p. 131. [retour]

 

[5] Lucius Paul Émile fut vaincu à Cannes en 216 a.C.n. par Hannibal. J. BEAUJEU, Minucius Felix, Octavius, p. 131. [retour]

 

[6] L’épisode date de décembre 47 a.C.n., lorsque César passa de Sicile en Afrique, pour y combattre une armée reconstituée par les Pompéiens. J. BEAUJEU, Minucius Felix, Octavius, p. 132. [retour]

 

[7] N’oublions pas non plus que, comme Tertullien, Minucius Felix a mis un certain temps avant de se convertir, ce qui explique sa bonne connaissance de la tradition païenne. Ses références à Cicéron notamment sont nombreuses. [retour]

 

[8] Car, de tradition païenne, les livres sibyllins avaient peu à peu pris une coloration chrétienne. C’est donc clairement une volonté de la part de Lactance de reprendre une source traditionnelle pour mieux argumenter son propos vis-à-vis de son public païen. [retour]

 

[9] Notons ici au passage l’ironie de Lactance quand il parle du chef des haruspices : ille Tagis. Il se peut que ce nom soit inventé par Lactance pour faire référence à l’origine de cette pratique divinatoire. [retour]

 

[10] Car ici encore, Lactance ne nie pas l’existence des dieux qu’il considère comme des démons qui trompent l’esprit des hommes par de fausses prédictions pour perdre leur âme en les détournant du vrai Dieu. On retrouve déjà la trace de cette conception chez Tertullien et chez Minucius Felix. Voir D. Briquel, 1997, p. 90. [retour]

 

[11] Si ce n’est par celle de 358 où Constance II interdit [mesure en vigueur jusqu’en 371] toute forme de divination et supprime les distinctions que son père avait établies entre les interprètes des dieux. Constance II met dans sur un même pied les maleficii, l’haruspex, l’hariolus, l’augur, le mathematicus, les interprètes des songes et les prophètes et devins. Ces distinctions seront rétablies par Valentinien Ier. [retour]

 

[12] D’un côté, des jeux se succédèrent rapidement en 263 av. J.-C. et en 249 av. J.-C. (époque de la première guerre punique), d’un autre côté il n’y eut pas de jeux entre 88 ap. J.-C. et 204 ap. J.-C. (époque où la paix romaine s’étend dans l’empire). [retour]

 

[13] Il s’agit de Publicola, qui exprimait à saint Augustin son angoisse vis-à-vis d’une « pollution » qui s’étendrait avec tout ce qui avait subi un contact quelconque avec les rites païens. Il craignait de s’empoisonner en consommant ces substances polluées. [retour]

 

[14] La divination et la consultation des démons étaient proscrites chez tous les Pères de l’Eglise, mais déjà aussi, dans l’Ancien Testament : Qu’on ne trouve chez toi personne qui fasse passer son fils ou sa fille par le feu, qui pratique la divination,… car c’est une abomination pour Iahvé celui qui fait cela… (Deutéronome, XVIII, 10-12). Mais parallèlement à ces interdictions, le Seigneur ton Dieu suscitera pour toi, parmi tes frères, un prophète (Deutéronome, 18, 14). Sur base des Écritures, les Pères de l’Église adoptent donc une double attitude ; d’une part, il condamnent la divination païenne, d’autre part, ils glorifient le prophétisme biblique qui annonce la venue du Christ. D. GRODZYNSKI, Par la bouche de l’empereur, p. 289-290. [retour]

 

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Bibliographie 

 

Sources

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Travaux

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Ø   Des Sévères à Constantin, Les écrivains du troisième siècle et l’Etrusca Disciplina. Actes de la Table ronde de Paris, 24 et 25 octobre 1997, in Caesarodunum, Supplément 66, Tours, 1999 :

J.-D. BERGER, Tertullien et l’Etrusca Disciplina, p. 113-124

D. BRIQUEL, Minucius Felix, p. 125-130

A. UDA, Lactance contre les derniers haruspices, p. 165-185

 

Ø   J.-M. VERMANDER, La polémique des apologistes latins contre les dieux du paganisme, in Recherches Augustiniennes, 17, 1982, p. 3-128

 

Ø   J.-P. VERNANT, L. VANDERMEERSCH, J. GERNET edd., Divination et Rationalité, Paris, 1974

 

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FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 9 - janvier-juin 2005

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