FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 9 - janvier-juin 2005
par
Jean-Frédéric Lespect
Doctorant à l'Université Paris IV - Sorbonne
Introduction - Texte latin et traduction française - Notes de commentaire
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Ter
ternae, uarias, cunctae, quae traditis artes, |
Vous les neuf <Muses> qui enseignez les différents arts, quittez les pentes du mont Piérus [3] et venez toutes écrire à mes côtés. C'est moi, Vespa, qui vous supplie, déesses, moi à qui souvent <déjà> vous avez été favorables dans de nombreuses villes, devant une foule de spectateurs. Je désire <aujourd'hui> écrire une uvre plus grande et en vers agréables. Elle ne sera pas que douceur, elle aura aussi du piquant [4]. |
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Contendit pistor, cocus est contrarius illi, |
Un pâtissier se querelle, il a pour adversaire un cuisinier, Vulcain est leur juge, lui qui les connaît tous deux [5]. Le pâtissier s'avance le premier pour plaider sa cause, la tête toute blanchie de farine : |
« Numina per Cereris iuro, per Apollinis
arcus ! |
« Par la divinité de Cérès et par l'arc d'Apollon, je le jure ! En réalité, je suis stupéfié - je l'avoue - et j'ai encore du mal à croire que le cuisinier que voici soit prêt à s'opposer à moi, moi qui fais de mes mains le pain qui le rassasie chaque jour, et qu'il ose lutter avec moi pour savoir qui <de nous deux> est le plus utile. |
Sunt testes anni faustae Ianique Kalendae |
J'ai pour témoins les prospères calendes du nouvel an et de Janus, et tous ceux qui connaissent mon savoir-faire lors des Saturnales, dont toujours je fais la réputation des banquets par mes préparations. Souviens-toi, Saturne, de ma contribution à tes fêtes et soutiens de ta puissance divine un homme qui met toute son ardeur à la tâche. |
Aurea coeperunt sub te quoque saecula farre ; |
Sous ton règne aussi, c'est grâce au blé qu'a débuté l'Âge d'or ; après tout, si tu ne <nous> avais pas offert les dons sacrés de Cérès, ce cuisinier passerait son temps à ronger des glands sous un chêne [6]. N'est-il pas vrai que tout le monde a besoin de pain, que personne ne s'en dégoûte ? Sans lui, quelle sorte de repas les hommes pourraient-ils servir ? C'est lui qui donne des forces, c'est lui qu'on réclame en premier, lui que sème le cultivateur et que fait pousser l'immense éther. C'est lui que le vénérable Énée a emporté en quittant les rivages troyens [7]. Sans pain, tes méchantes sauces ne valent rien, ingrat ! Je suis obligé de le dire : tu t'attaques +à un maître+, qui tient l'art de façonner les pains de Cerealis Placentinus [8], qui est bien connu en ville. |
Cunctas
qui tradidit artes, |
Ignores-tu qu'un jour Pythagore, qui a transmis toutes les connaissances, a conseillé au peuple de ne pas manger de viandes mêlées à du sang [9] ? Voici ses paroles : « Si vous égorgez les brebis, que restera-t-il pour vous vêtir ? Qu'on mette les veaux à mort, et il ne sera plus possible d'utiliser la charrue, et la terre riche en moissons ne livrera plus ses dons ! » |
At temere facio, si te, coce, conparo nobis, |
Mais, cuisinier, je suis un sot de te comparer à moi, puisque je peux faire tout ce que font les dieux dans leur puissance : Jupiter tonne, moi aussi, le pâtissier, je fais un bruit de tonnerre lorsque je fais tourner ma meule ; à la guerre, Mars soumet bien des peuples en faisant couler le sang, moi, le pâtissier, au pétrin, sans faire couler de sang, je pétris les blondes récoltes ; Cybèle a ses tambourins, les tamis sont les miens ; le dieu au thyrse a des Satyres, moi je rassasie de nombreuses personnes ; des Pans lui ouvrent la marche, pour ma part, je fabrique des pains [10]. |
Quidue etiam manibus nostris non dulce paratur ? |
Et, en outre, quelle friandise [11] n'est pas préparée par mes mains ? C'est moi qui confectionne avec amour les coptoplacentae pour le peuple, encore moi qui vous fournis les adipata et les délicieuses canopica, toujours moi qui donne les crustula à Janus et envoie les mustacia à la mariée [12]. |
50 Nouerunt
omnes pistorum dulcia facta, |
Tout le monde connaît la douceur des spécialités pâtissières, beaucoup ont fait l'expérience de la cruauté des préparations des cuisiniers : c'est ta faute si le malheureux Thyeste déjeune dans les ténèbres ; ta faute, misérable, si à son insu Térée mange son fils à dîner ; ta faute encore si le triste rossignol chante dans les bois et, sous un toit, l'hirondelle affligée gémit sur son sort [13]. |
Talia si numquam feci nec talia suasi, |
S'il est vrai que je n'ai jamais commis de tels crimes, ni engagé à en commettre, alors j'occuperai le premier rang, digne de recevoir la palme. » |
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Conticuit pistor. Coepit cocus ordine fari, |
Le pâtissier se tut. Le cuisinier prit la parole à son tour, les traits noirci spar son travail, le visage transformé par la cendre : |
60
« Si uerbis pistor damnauit iura cocorum, |
« Si les paroles du pâtissier ont blâmé les sauces des cuisiniers, il ne faut lui accorder aucun crédit, car il s'y connaît en mensonge [14], lui qui ne cesse de répéter à la ronde qu'il vend de la fumée [15], lui qui, comme un Sisyphe, s'échine à pousser une pierre [16], et qui finalement ne façonne qu'avec du miel et de la farine ces richesses dont il tire vanité. |
Nobis
quae copia dicam : |
Je dirai quelles sont mes ressources : la forêt me fournit le gibier, la mer les poissons et les airs les oiseaux, Bromius [17] me donne le vin, Pallas me procure l'olive et Calydon [18] me donne ses porcs ; souvent j'assaisonne des daims, souvent aussi j'ai une perdrix à ma disposition, ainsi qu'un oiseau de Junon, qui a l'habitude d'étaler sa queue aux plumes gemmées [19]. |
Certe quem extollit, quem laudat saepius ille, |
En tout cas, le pain que cet homme exalte et glorifie sans arrêt, +ce pain+, crois-moi, même fait de miel, ne pourra plaire seul, sans mon aide. |
Quis me non laudet sternentem pisce patellas, |
Est-il quelqu'un pour ne pas me féliciter de remplir les assiettes de poisson, lorsque je fais servir un turbot pêché en mer et cuit à point [20] ? |
Sed similem superis ego me magis esse docebo : |
Mais je vais montrer que c'est plutôt moi qui suis semblable aux dieux : Bromius a son Penthée, le buf est le mien ; Alcide est brûlé par les flammes, je me consume au fourneau. Comme chez Neptune, les flots bouillonnent dans ma casserole. Apollon sait pincer avec ardeur les boyaux de sa lyre, et mes doigts dressent si bien les andouillettes ! Et je découpe les gallinacés, comme la déesse du Bérécynte coupe ses Galles [21]. |
Partes quisque suas tollit qui cenat apud me : |
Chacun de ceux qui dînent chez moi reçoit sa part [22] : à dipe je sers un pied de cochon, à Prométhée un foie, je sers une tête <de porc> à Penthée, à Tityos je donne un foie. Isolé, Tantale implore qu'on lui passe un estomac. Actéon prend de la viande de cerf, Méléagre du sanglier, Pélias de l'agneau, le querelleur Ajax du taureau. Orphée, toi tu reçois des tripes, toi, Léandre, des maquereaux. +Philoctète a gagné des plumes+, Icare demande des ailes. Niobé me demande une vulve de truie qui n'a pas encore mis bas, Philomèle une langue. Pasiphaé réclame des quenelles de buf, Europe de même. Pour Danaé j'accommode une daurade, pour Léda un cygne [23]. |
Iam finem pugnae faciat sententia nobis ! » |
À présent, que la sentence mette un terme à notre lutte ! » |
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95 Vtque
cocus pressit uocem, sic Mulciber infit : |
Et dès que le cuisinier s'est tu, Mulciber [24] commence ainsi : « Cuisinier, tu es un homme exquis, mais toi aussi, pâtissier, tu es plein de douceur. Moi, le dieu qui vous connais bien tous deux, je vous renvoie sans vous départager. +Mettez-vous d'accord+ (il est doux de vivre sans querelle), de peur que je ne me dérobe et vous prive de ma chaleur ! » |
FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 9 - janvier-juin 2005