FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 9 - janvier-juin 2005


 

Valéria Luperca et le « maillet guérisseur falisque »
(pseudo-Plutarque, Parall. minor., 35)

 

par

 

Jacques Poucet

 

Professeur émérite de l'Université de Louvain et des Facultés universitaires Saint-Louis (Bruxelles)

Membre de l'Académie royale de Belgique

 


Article déposé sur la Toile en pre-print le 13 juin 2005 et paru dans Ollodagos. Actes de la Société belge d'études celtiques,  t. XIX (2005), p. 159-199.


 

Sommaire


Valéria Luperca est l’héroïne d’une histoire que le récit 35 des Parallèles mineurs du pseudo-Plutarque localise à Faléries. De son contenu, les spécialistes de la religion romaine ne savent trop que faire [1]. Dans un article récent [2], notre collègue Claude Sterckx a eu le grand mérite de rouvrir le dossier qui paraissait bloqué, et il l’a fait en replaçant l'anecdote dans une large perspective comparatiste.

Destinées surtout à ceux qui souhaiteraient prolonger l’enquête de Claude Sterckx, les pages suivantes [3] voudraient présenter un certain nombre de réflexions. Elles porteront d'abord sur le volet romano-falisque du dossier, ensuite sur quelques aspects plus proprement comparatifs.

  

Le volet romano-falisque

 

Dans la recherche moderne, dont s'est inspiré en grande partie Claude Sterckx, le volet romano-falisque est souvent parasité par des affirmations péremptoires mais non fondées, dont il importe de se débarrasser si l’on veut avancer. C'est sur ce point que nous voudrions d'abord insister. Mais en tout premier lieu présentons le texte.

 

Les Parallèles mineurs, 35, du pseudo-Plutarque

Valéria Luperca n'est connue dans la littérature gréco-romaine que pour le rôle que lui fait jouer à Faléries un récit des Parallèles mineurs (le numéro 35). Ce récit, le pseudo-Plutarque dit l'avoir trouvé dans le livre 19 des Italika d'Aristide et le met en parallèle avec un épisode qui se serait déroulé à Sparte. L'anecdote spartiate, censée provenir du Troisième Recueil de Fables d'Aristodème, mettait en scène Hélène. Voici la traduction française que nous proposons pour ce texte [4] :

 

Une épidémie s'était abattue sur Sparte. Le dieu rendit un oracle disant qu'elle prendrait fin si on sacrifiait chaque année une jeune fille de noble origine. Le sort désigna Hélène qui fut poussée en avant, parée pour le sacrifice, lorsqu'un aigle descendit du ciel, arracha le couteau, le transporta vers le troupeau et le laissa tomber sur une génisse. Cela amena les Spartiates à renoncer à immoler des jeunes filles. C'est ce que raconte Aristodème dans son Troisième Recueil de Fables.

 

Une épidémie s'étant abattue sur Faléries et y semant la désolation, un oracle révéla que le terrible fléau cesserait si on sacrifiait une jeune fille à Junon chaque année. La crainte superstitieuse persistant, Valéria Luperca, désignée par le sort, avait saisi le couteau (to ksiphos) ; un aigle descendu du ciel enleva le couteau et plaça sur l'autel une baguette terminée par un petit maillet (rhabdon mikran echousan sphuran). Quant au couteau (to ksiphos), l'aigle le lança sur une génisse qui paissait près du sanctuaire. La jeune fille comprit et sacrifia la génisse. Puis elle prit le maillet (tên sphuran), alla de maison en maison, en frappa doucement les malades et les faisait se lever (diêgeiren), disant à chacun d'eux de se bien porter (errhôsthai). Cela explique qu'aujourd'hui encore on accomplit cette cérémonie religieuse (to mustêrion). C'est ce que raconte Aristide au livre XIX de son Histoire d'Italie.

 

Les Parallèles Mineurs sont remplis d'anecdotes fantaisistes et d'attributions imaginaires [5]. Si plusieurs historiettes sont bien attestées ailleurs, beaucoup sont propres au pseudo-Plutarque et posent à l'utilisateur de gros problèmes : il n'est pas toujours facile de faire le départ entre ce qui est authentique et ce qui est fantaisiste. Beaucoup de notices ne représentent en effet que des altérations, des adaptations ou des répliques de motifs connus, l'auteur jouant avec la matière historique, mythologique ou folklorique. Certains récits sont même de pures inventions. Par ailleurs, les garants sont souvent fictifs. Bref, chaque cas doit être soumis à un examen particulier, qui autorise rarement d'ailleurs des conclusions solides.

Dans ces deux histoires parallèles, les lecteurs auront immédiatement reconnu des variations sur le thème, bien attesté dans la mythologie et le folklore, de la jeune fille (ou du jeune homme) qui, pour sauver son peuple, doit être sacrifiée (ou sacrifié) à une divinité ou à un monstre. Heureusement il arrive que la victime échappe par miracle à son sort fatal. Sans entrer ici dans une analyse détaillée qui nous entraînerait trop loin, on songera dans le monde grec aux Athéniennes et aux Athéniens livrés au Minotaure, on songera à Iphigénie, à Andromède, à Callirrhoé, à Alcyonée [6]. Mais - qu'on ne s'y trompe pas - le motif dépasse largement le monde grec : c'est par exemple chez les Soninkés [7], le cas de la jeune fille sacrifiée au serpent mythique Bida [8] ; c'est aussi, dans la Bible, l'épisode - combien fondateur ! - du sacrifice d'Isaac [9] ; c'est encore, dans la mythologie japonaise, l'histoire de Susano-wo (Susanno no Mikoto) et du dragon à huit têtes [10]. On connaît aussi, dans le domaine celtique, « l’histoire de la déesse Becuma, mariée à un roi d’Irlande et [qui était devenue] pour le pays une cause de stérilité. Il fallut expier par le sacrifice d’un enfant fils d’une vierge ; mais la mère obtint qu’on sacrifiât en place de l’enfant une vache, et le sacrifice obtint son effet » [11].

Une précision toutefois en ce qui concerne le volet spartiate de l'Histoire parallèle 35. La littérature classique nous a livré beaucoup d’informations sur Hélène de Sparte, mais qu'elle ait été l'héroïne d'une histoire de ce genre n'est attesté qu'ici et chez Jean le Lydien, un auteur byzantin du VIe siècle après J.-C., lequel, dans son de mensibus (IV, 147), a repris l'anecdote du pseudo-Plutarque en l'amplifiant d'ailleurs quelque peu (on en reparlera). À notre connaissance, la mythographie canonique ne propose nulle part ailleurs cette historiette qui ne nous retiendra pas. C’est de la « pure fantaisie » [12], et on se gardera donc bien de citer Hélène de Sparte parmi ces malheureuses victimes grecques qui, sur le point d'être sacrifiées pour le bonheur de leur peuple, furent sauvées in extremis par une intervention miraculeuse. Ce qui nous intéresse davantage, c'est la deuxième histoire censée s'être déroulée à Faléries.

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Le culte de Junon à Faléries et les pseudo-confirmations d'Ovide et de Denys d'Halicarnasse

On constatera que cet épisode falisque est beaucoup plus détaillé et plus précis que son correspondant spartiate, dont le but était d'expliquer la suppression à Sparte des sacrifices humains. À Faléries aussi, il est question de mettre fin à des sacrifices humains, mais l'accent est mis moins sur le miracle qui permet à Valéria Luperca d'échapper à la mort que sur le rituel de guérison qu'elle accomplit, rituel très particulier, lié au culte de Junon, censé s'être prolongé jusqu'à l'époque de l'auteur et qualifié de mustêrion. C'est le point focal de l'historiette falisque.

On notera ensuite - et c'est important - que le récit ne contredit pas les réalités religieuses de l'endroit. En effet le culte de Junon à Faléries est bien attesté à la fois par Ovide et par Denys d'Halicarnasse, dont les témoignages évoquent notamment le sacrifice d'une génisse à Junon (Ovide, Amores, III, 13, 4) et l'intervention dans le cérémonial d' « une enfant, appelée canéphore, pure de toute union » (D.H., I, 21, 2).

Mais attention ! Sur le plan de la méthode, il serait incorrect de présenter ces textes d'Ovide et de Denys d'Halicarnasse comme des « confirmations » de l'authenticité de la notice du pseudo-Plutarque. Ils sont assez longs, et nous ne les transcrirons pas ici. Mais le lecteur peut nous faire confiance : Ovide et Denys ne soufflent mot ni de l'épidémie, ni de l'oracle, ni de l'aigle, ni du maillet ; ils ne mentionnent pas Valéria Luperca ; il n’est pas question chez eux d’une quelconque jeune fille qui passerait de maison en maison pour guérir les malades. Ovide et Denys témoignent simplement de l'existence à Faléries d'une fête en l'honneur de Junon, au cours de laquelle on sacrifiait une génisse. Ce qui est déjà beaucoup d'ailleurs, et ce qui montre que le récit du pseudo-Plutarque prend appui sur la réalité d'un culte à Junon à Faléries. Les précisions présentes dans la notice sont peut-être inventées, mais elles reposent sur un terreau historique.

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Les pseudo-confirmations de la numismatique

D'autres informations permettraient-elles de « confirmer » (c’est le verbe souvent utilisé par les Modernes) les informations détaillées de la notice falisque du pseudo-Plutarque ?

On invoque parfois le témoignage de la numismatique : des deniers de Valérius Acisculus, magistrat monétaire vers 45 avant J.-C., seraient, dit-on parfois, censés représenter « Valéria Luperca et son maillet » [13].

Il s’agit là d’une interprétation qui remonte au début du XIXe siècle : elle a été lancée avec assurance en 1838 par Charles Lenormant [14] et reprise par Ernest Babelon en 1886 [15]. Ces savants prétendaient retrouver sur les revers des monnaies de L. Valérius Acisculus des illustrations du légendaire de la gens Valeria. Ainsi, pour eux, une tête féminine était censée représenter Valéria Luperca, et, dans l’image d’une femme chevauchant un animal, ils voyaient Valéria Luperca sur sa génisse. Ces interprétations ont eu une grande influence [16]. En réalité, depuis un certain temps plusieurs numismates [17] sont revenus à une vision plus saine des choses : la tête féminine est celle de la Sibylle ; et la jeune femme sur l'animal - avec ses voiles gonflés par le vent - représente Europe sur le dos du taureau. Sur certaines monnaies d’ailleurs (cfr l’illustration ci-dessous), les « attributs masculins » de l'animal en cause sont clairement visibles.

Quant au fameux maillet qu’à lire certains textes modernes on s’imaginerait placé dans la main de la jeune fille, il ne figure pas au revers près de la tête féminine ou dans la main de « la cavalière », mais toujours au droit de la monnaie. C’est en fait un acisculus, un instrument utilisé surtout par les maçons et les tailleurs de pierre, terminé d’un côté comme un marteau et de l’autre comme un pic ; il représente tout simplement la signature du magistrat monétaire, dont le cognomen, rappelons-le, était précisément Acisculus.

On trouvera ci-dessous une belle illustration d’un des deniers de ce Valerius Acisculus [Source: <http://www.wildwinds.com/> un site commercial américain, présentant une pièce qui fut vendue pour 200 $ en 2002].

 

 

Le droit présente, comme c’est très souvent le cas sur les monnaies de ce magistrat, la tête diadémée d’Apollon avec l’image de l’acisculus et son cognomen ; au revers figure Europe sur le dos du taureau. Ce magistrat monétaire, dont nous avons conservé quelques belles émissions, n’a laissé aucune trace dans les textes. Dans ces conditions, si nous pouvons imaginer facilement pourquoi il a placé l’acisculus au droit de ses pièces, nous ne savons rien de la signification précise qu’il donnait à la tête féminine de la Sibylle et à l’enlèvement d’Europe, deux motifs présents également dans des émissions d’autres magistrats et qu’il a donc repris [18]. Ce ne sont d'ailleurs pas les seuls motifs iconographiques choisis par Valérius Acisculus. Le magistrat en a utilisé d’autres, toujours au revers de ses pièces : la chouette casquée à tête humaine [19] ; le géant anguipède ou la Lune en bige pour ses deniers ; le buste de la Victoire pour ses quinaires ; la double corne d’abondance pour ses sesterces. Il semble impossible d’expliquer avec certitude le sens précis qu'il a voulu donner à toutes ces illustrations. Restons-en là.

De ce qui précède, on conclura qu’il ne peut être question d'écrire que les monnaies de Valérius Acisculus « représentent Valéria Luperca et son maillet » : on ne peut pas en saine méthode les utiliser comme une « confirmation » du récit des Histoires parallèles. Cette affaire illustre d'ailleurs fort bien la manière dont fonctionnent souvent nos disciplines. Certains chercheurs interprètent des images (muettes en l'occurrence, ici des monnaies) en faisant appel à un texte qui fait problème (le pseudo-Plutarque) ; ultérieurement d'autres chercheurs utilisent cette interprétation pour y voir une « confirmation » du texte de départ. Ce type d'argument circulaire est très fréquent.

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Des pseudo-confirmations dans les textes byzantins

Toujours pour « confirmer » le témoignage du pseudo-Plutarque, les Modernes font également appel à d’autres données, en l’espèce des passages de Lydus et de Tzetzès, deux auteurs de date byzantine. Mais les textes de ces derniers, correctement interprétés, ne prouvent rien en faveur de l’authenticité des éléments fournis par le pseudo-Plutarque.

Celui de Lydus (de mensibus, IV, 147, l. 17-20) est lacunaire, et c’est abusivement, à notre sens, qu’on le rattache à l’histoire de Luperca. Sur trois lignes de texte, il manque vingt-cinq lettres, qui doivent occuper quatre espaces vides. Aucun mot conservé ne renvoie sans ambiguïté à l’histoire de Valéria Luperca, et il n’y a d’ailleurs pas assez de place pour intégrer l’épisode falisque. Le passage lacunaire se termine par une référence à Varron ; ce qui le précède et qui n’est pas mutilé raconte l’histoire des filles d’Érechthée que leur père dut sacrifier pour obtenir la victoire sur ses ennemis. Depuis P. Mirsch qui a édité les Antiquités Romaines en 1882 [20], l’ensemble a été mis en rapport avec une scholie de Bobbio au Pro Sestio de Cicéron [21] qui fait référence à cet événement et qui se termine aussi par un renvoi à Varron. Il n’y a aucune raison de ne pas suivre cet avis.

Lydus toutefois a vraisemblablement connu et utilisé le pseudo-Plutarque, car la suite du § 147 reprend (on l’a dit plus haut) la première partie des Parallèles mineurs 35, à savoir l’histoire d’Hélène et de la substitution d’une génisse à la victime humaine. Le récit de Lydus est même amplifié par rapport à celui du pseudo-Plutarque, avec toutefois une différence significative : le récit est attribué, non pas à Aristodème, mais à Aristide. Il y a donc eu une inversion entre les deux garants du 35e Parallèle mineur.

L’autre texte, plus tardif encore, est de Tzetzès, un savant byzantin du XIIe siècle qui nous a laissé des scholies à Lycophron. Dans l'une d'elles [22], il utilise précisément le texte du pseudo-Plutarque en le résumant (4 lignes seulement) et en le transformant : ainsi il parle curieusement d'une Iulia Luperca, en ajoutant par ailleurs une légère précision : le couteau qui allait frapper Luperca est censé avoir été arraché « au prêtre officiel ».

Ces textes de Lydus et de Tzetzès ne prouvent donc qu'une seule chose : leurs auteurs connaissaient les Parallèles mineurs et les avaient utilisés, respectivement au VIe et au XIIe siècle. Mais en amont, si l’on peut utiliser ce terme, l’anecdote falisque du pseudo-Plutarque ne sort pas de son isolement. Aucune donnée textuelle ou numismatique ne peut lui être directement rapportée, et il n’est donc pas question d'avancer un quelconque élément antique qui viendrait la « confirmer », pour reprendre une expression très à la mode dans nos études, mais très souvent aussi utilisée abusivement [23].

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Mais après tout, pourquoi chercher des confirmations qui n'en sont pas ?

On ne peut évidemment pas reprocher au spécialiste de la religion romaine de chercher à « confirmer » la notice, en la recoupant par d’autres informations, mais, dans le cas présent, le comparatiste doit s’interroger sur le sens même de cette quête et sur ce qu’elle est susceptible de lui apporter.

Même s’il apparaissait que cette anecdote était mentionnée dans d’autres textes, voire illustrée par des représentations iconographiques antiques et donc « confirmée », quel sens précis pourraient revêtir des termes comme « historique », « authentique » appliqués à une notice qui relève fondamentalement du domaine de l’imaginaire ? Pour prendre un exemple voisin, cela a-t-il un sens de s’interroger sur l’ « historicité », l’ « authenticité » du prodige de l’aigle qui, lors de l’arrivée à Rome de Lucumon et de son épouse, serait venu enlever, puis remettre, le couvre-chef du futur Tarquin l’Ancien [24] ?  Ce qui relève de l’Histoire, c’est l'intégration de cette anecdote dans la légende du cinquième roi de Rome.

On raisonnerait un peu de la même manière dans l'analyse de la seconde partie du 35e Parallèle mineur. Il n'y probablement jamais eu de mystères (to mustêrion) ni donc d'initiation dans le culte de Junon à Faléries, on l'aurait su, je crois; mais ce qui est certain, c'est que ce culte avait lieu, et que, comme toujours en pareil cas, on racontait à son sujet des histoires et on proposait des étiologies. Cela n'a pas de sens de s'interroger sur leur « historicité », leur « authenticité ». Autant se demander si l’enlèvement d’Europe par Jupiter est « historique » ou « authentique ». Peu importe aussi le garant (Aristide) donné par les Parallèles mineurs; ici comme ailleurs, il est probablement fantaisiste [25]. L'essentiel est que le récit existe et qu'il soit (c'est le cas ici) relativement ancien. La seule chose importante, c'est l'histoire racontée et son contenu. L’isolement de l’anecdote falisque dans la documentation gréco-romaine n’implique pas qu’elle soit sans valeur pour le comparatiste. Une éventuelle comparaison indo-européenne peut porter valablement sur les données du récit du pseudo-Plutarque, telles qu'elles se présentent dans le texte.

Pour le dire en quelques mots, le comparatiste n’a besoin ni de Tzetzès, ni de Lydus, ni de Denys d’Halicarnasse, ni d'Ovide, ni des interprétations plus ou moins fantaisistes de certains numismates modernes. Ce sont là des éléments adventices qui - parce que contestables - risquent même de desservir sa démarche. Il suffit au comparatiste, nous semble-t-il, d'assumer le récit ancien.

Or celui-ci - sans la moindre discussion - fait état d'un maillet, descendu du ciel, et qui, dans les mains d’une jeune fille miraculeusement soustraite à un sacrifice, apporte la guérison aux victimes d’une grave épidémie. Peu importe qu’une dénommée Valéria Luperca ait ou non existé ; peu importe qu’un maillet de ce type ait ou non été en fonction à Faléries ; peu importe aussi que le culte local de Junon ait ou non connu des mystères et une initiation ; peu importe aussi le nom de celui qui a inventé ce récit. L’essentiel pour le comparatiste est que cette histoire existe et qu’elle ait été, sinon racontée à Faléries par des prêtresses de Junon, en tout cas écrite par un érudit, et cela, dans l’antiquité [26].

La question est donc : comment pourrait s'intégrer dans une perspective comparative le « maillet guérisseur » dont est censée se servir la jeune fille de Faléries. C'est en effet sur ce point beaucoup plus que sur la vérification historique du dossier romano-falisque que portait le travail de Claude Sterckx, et c'est ce qui va maintenant nous retenir.

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Le volet comparatiste

 

Nous le disions en commençant, notre savant collègue a tenté - pour la première fois à notre connaissance - de replacer le maillet de Valéria Luperca dans une large perspective comparatiste. Tout en privilégiant les éléments celtiques de la mythologie et du folklore, domaines où il excelle, il a également fait intervenir d'autres données, notamment scandinaves, étrusques, grecques et romaines.

Sur cette partie également de son travail, nous voudrions réagir. Non sans toutefois demander aux comparatistes de pardonner nos éventuelles bévues : dans ce domaine en effet nos compétences restent celles d'un amateur éclairé.

 

Des bâtons, des marteaux, des maillets et des massues

Dans la mythologie, le folklore et l’hagiographie - à l’image même de la vie courante -, ce ne sont pas les bâtons, les maillets, les marteaux et autres massues qui manquent, d’autant plus que le vocabulaire utilisé pour désigner ces instruments est relativement flou [27] et que leurs représentations iconographiques varient beaucoup.

 

Dans la mythologie

Claude Sterckx fait intervenir dans son article une série de divinités, essentiellement le Dagda irlandais, le Sucellos gaulois, le Thorr scandinave et l'Hermès grec. Chacun d'eux est doté d'un instrument assurant les « passages », généralement  « de la vie à la mort et de la non-existence à la vie » (p. 257). Il est aussi question du Charun étrusque, que nous examinerons plus loin.

En Irlande la fonction du « bâton » du Dagda, une massue à deux bouts, est clairement attestée par les textes [28] : « Le bâton que tu vois a un côté doux et un côté dur. Le premier ressuscite les morts et le second tue les vivants ». Le dieu joue « le rôle majeur de régulateur du cycle vital universel, contrôlant et assurant les passages du Non-Être à l’Être et de l’Être au Non-Être » [29]. Pour le Sucellos gaulois, qui ne bénéficie pas de témoignages écrits, il faut s'appuyer sur l'iconographie, laquelle (notamment le maillet et l'olla) permet, sans beaucoup d'hésitation, de relier cette divinité, comme le Dagda, au « cycle vital universel » de la vie et de la mort.

Le marteau de Thorr, dans la mythologie scandinave, est une arme de jet dont le dieu se sert dans les combats et qui a la propriété de revenir de lui-même dans la main de celui qui l’a lancé. Il manifeste essentiellement, pour G. Dumézil, la foudre et le tonnerre [30], formulation trop concise que nous compléterons par quelques lignes de la longue analyse de H. Renauld-Krantz : «Le marteau apparaît […] chargé d'une telle puissance sacrée qu'il “consacre” tout ce qu'il touche ; de même qu'il ressuscite les boucs en les “consacrant”, de même, en le “consacrant”, il tue le roi des géants. La même force surnaturelle s'exerce à volonté dans un sens ou dans l'autre, dispense la mort ou la vie.» [31]

Après la mythologie celtique et scandinave, passons à la mythologie grecque. Qu'en est-il d'Hermès et de sa baguette ?

Nous avouons avoir été surpris de voir la baguette d'Hermès rangée aux côtés du bâton du Dagda, du maillet de Sucellos et du marteau de Thorr. On connait l'origine légendaire du caducée, symbolisant le rôle de héraut divin propre à Hermès :  il provient de la transformation de la houlette d’or (un autre bâton !) dont Apollon se servait pour garder les troupeaux d’Admète et dont il fit cadeau à Hermès en échange de la syrinx. Nous ne pensions pas qu'il avait sa place dans le catalogue des instruments sur lesquels portait une possible comparaison, et nous n'attachions pas trop d'importance à la périphrase poétique dont Homère (Iliade, XXIV, 343-34 [32]) se sert pour l'évoquer, la fonction « endormir les éveillés et réveiller les endormis » nous paraissant secondaire.

Jusqu'au moment où notre discussion avec Claude Sterckx a attiré notre attention sur le fait qu'Hermès se servait précisément de cette baguette dans son rôle de psychopompe. C'est clairement attesté par des passages de Virgile (Énéide, IV, 242-244) :

 

Ensuite, il [= Mercure] prend sa baguette : avec elle, il fait sortir de chez Orcus des âmes livides, en envoie d'autres dans le triste Tartare, donne et retire le sommeil, dessille les yeux dans la mort [33]. (trad. A.-M. Boxus)

 

et de Prudence (Contre Symmaque, I, 89-94) :

 

On raconte que, grâce au pouvoir de la baguette qu'il [= Mercure] portait, il rappela à la lumière des vies défuntes, et brisa les lois du Cocyte et de la mort en faisant remonter promptement des ombres sur terre ; mais qu'il en condamna d'autres à la mort, et les précipita au fond du Tartare obscur [34]. (trad. M. Lavarenne, Budé, 1948)

 

ainsi que par un texte tardif, beaucoup plus explicite encore, qui figure dans le Premier mythographe du Vatican (II, 17, 2) :

 

Son père [= Jupiter] lui remit la verge dite caducée. S'il en touche quelqu'un avec la partie la plus grosse, celui-ci en meurt ; s'il en touche quelqu'un avec la partie la plus fine, celui-ci revient à la vie [35]. (trad. J. Berlioz, Budé, 1995)

 

Cette dernière citation est d'un très grand intérêt, parce qu'elle est isolée dans la littérature gréco-romaine et qu'elle fait songer aux textes irlandais, dont il a été question plus haut, évoquant le « côté dur » et le « côté doux » du bâton du Dagda. Hermès, avec sa baguette, assure donc lui aussi les passages de la vie à la mort et de la mort à la vie. Il a dès lors sa place aux côtés de Sucellos, du Dagda et de Thorr.

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Après la mythologie, le folklore

Après la mythologie, passons au folklore, et plus particulièrement au folklore celtique.

À notre sens, Claude Sterckx a parfaitement mis en évidence le rôle joué par le maillet ou ses substituts dans certaines données folkloriques qui, selon lui, conservent le souvenir de la « massue merveilleuse » du Dagda ou de Sucellos. Retenons trois des exemples qu’il a cités. Ainsi dans l’Armorique bretonne - où le maillet constituait à l'origine « l'arme de l'Ankou, c'est-à-dire de la Mort » [36] - a régné longtemps le rite - disparu aujourd’hui - de l’imposition sur le front d’un moribond du mael benniget « le maillet béni », en l’espèce là-bas une masse de pierre destinée à « lui assurer un bon passage dans l’au-delà » et qui « était conservée soit dans une chapelle du village, soit dans un arbre sacré » [37]; en Irlande, c’est sur le front des nouveau-nés qu’était imposé « le maillet béni », mais pour leur assurer vie et vitalité [38] ; tandis qu’une coutume écossaise prescrivait de baigner les malades, pour les guérir, « dans une eau où avait été immergé le maillet béni de saint Fillian » [39].

Claude Sterckx avançait encore un autre exemple : « En Angleterre, au dix-septième siècle, était encore attestée l’existence d’un holy mawle “maillet béni” conservé à l’église et servant aux fils “à casser la tête de leur père lorsque celui-là atteignait soixante-dix ans” ! » [40]

Cette information remonte à John Aubrey (1626-1697), qui, dans un ouvrage manuscrit de 1688, avait rassemblé une série de traditions locales où il voyait des survivances du paganisme et du judaïsme [41]. On se gardera évidemment de croire que, dans l’Angleterre du XVIIe siècle, les fils se débarrassaient à coups de marteau de leurs pères impotents. On n’est pas en présence d’une véritable coutume, mais d’une tradition isolée, qui, pour être correctement interprétée, doit d'ailleurs être remise dans son contexte. Et ce contexte, c’est plus que probablement - ce que suggère bien Claude Sterckx - celui du « marteau de la mort » celtique, attesté, on vient de le voir, sous la forme du « maillet béni » dans la coutume bretonne du mael benniget qu’on allait chercher, par exemple dans une chapelle, pour le placer sur la tête du moribond (cfr plus haut). Ajoutons que certains récits latins du moyen âge anglais connaissent d'ailleurs le thème du « marteau de la mort » couplé à celui du fils ingrat [42].

Bref, il semble bien que le motif du « maillet merveilleux » connaisse des survivances précises dans le folklore armoricain, écossais et anglais.

Ces données folkloriques nous éloignent bien sûr de la mythologie, mais on reste dans le même univers culturel - le monde celtique au sens large -, et force est de constater, avec Claude Sterckx, le lien qui, dans cet univers, relie entre eux toute une série de maillets, de massues ou de marteaux. Apparaissent ainsi étroitement apparentés par leurs fonctions mêmes le bâton du Dagda, la massue de Sucellos, l'arme de l'Ankou, le mael benniget de la Bretagne armoricaine, le maillet béni irlandais, voire en Angleterre le holy mawle et, en Écosse, l'eau sanctifiée par le maillet béni de saint Fillian. On notera toutefois qu'au fur et à mesure que l'on « descend » de la mythologie à des traditions livresques isolées, en passant par l'hagiographie et les coutumes populaires, on assiste à une « dégradation », à une « dilution » progressive de l'importance et du sens de l'instrument mis en cause et qui est lié aux dieux.

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Des exemples plus discutables !

Cela étant dit, nous hésiterions plus que notre savant collègue à introduire dans le dossier certaines données qui, à notre sens, risquent de le compliquer, voire de le parasiter. C'est que toutes les informations faisant état d'un maillet associé à la mort, à la vie, ou au passage de l'une à l'autre ne peuvent pas nécessairement servir.

 

    Le maillet du Charun étrusque

Aux côtés du bâton du Dagda, du maillet de Sucellos, du marteau de Thorr et de la baguette d'Hermès, Claude Sterckx cite le maillet, instrument canonique du Charun étrusque, « attribut puissamment évocateur des coups de la mort » comme l'a écrit Franz De Ruyt [43], qui a même pu dire que « Charun représente le coup de la mort » [44].

Le rapprochement nous inquiète quelque peu. D'une part nous ne sommes plus dans la mythologie celtique, scandinave et grecque; on a quitté le monde indo-européen pour changer d'univers culturel. D'autre part, et surtout, Charun fait bien passer de la vie au trépas, mais il ne fait pas revivre les morts. Sur le plan des fonctions, il n'est donc pas sur le même plan que Thorr, Sucellos, le Dagda et même Hermès. Or, en matière de comparaison, il faut tenir compte autant de l'objet que de sa fonction.

C'est donc surtout au nom de ce principe que nous hésiterions à retenir le Charun étrusque dans le dossier consacré au « mythème du maillet de la vie et de la mort » [45], qui est au coeur de la savante étude de Claude Sterckx. Le maillet de Charun ne suffit pas, pas plus que la massue d'Hercule - susceptible pourtant de donner la mort elle aussi - ne justifierait l'introduction d'Hercule dans le cercle des divinités, ou de leurs substituts humains, qui, sous une forme ou sous une autre, assurent le passage dans les deux sens, de la vie à la mort et de la mort à la vie.

Mais l'intervention de Charun ne manque pas d'intérêt. Franz De Ruyt a montré que si le nom de Charun est emprunté au grec Charon, l'iconographie du démon étrusque ne doit rien au tranquille passeur des âmes qui se pressent sur les rives du Styx. Pour la construction du personnage, il a bien évoqué une influence orientale, mais insuffisante à son sens, et indiqué une piste de recherches. «Charun, écrivait-il, […] a les traits monstrueux et horribles, comme les démons chaldéens, mais déjà sous une forme plus humaine. On ne pourrait évidemment conclure à une dérivation immédiate, car il y a des différences essentielles, notamment l'attribut principal de Charun : le maillet, que l'on n'a pas trouvé jusqu'ici en Asie, mais seulement en Gaule, comme attribut de la mort» [46]. Franz De Ruyt songeait manifestement à un emprunt, fait par les Étrusques aux Celtes avec lesquels ils ont été en contact géographique, avec, semble-t-il, une « spécialisation funéraire » de la fonction du maillet primitivement aux mains des divinités celtes. Influence indirecte et partielle donc.

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    Une notice de Tertullien

L'utilisation que fait Claude Sterckx d'une notice de Tertullien nous paraît plus discutable. Au premier livre de son ad Nationes (I, 10, 46-48), l'apologiste chrétien décrit certaines pratiques qui avaient cours dans les amphithéâtres romains :

 

(46) Sans doute, vous êtes plus religieux dans l'amphithéâtre, lieu d'exhibition des gladiateurs, où sur le sang humain, sur les traces immondes des exécutions, l'on voit aussi danser vos dieux, mimant des intrigues et des fables pour accompagner la mise à mort de malfaiteurs, à moins que ceux-ci ne soient punis dans le rôle même des dieux. (47) Nous avons vu souvent Attis châtré, ce dieu de Pessinonte ; un autre, qui était brûlé vif, avait pris la figure d'Hercule ; nous avons ri au spectacle des dieux tournés en dérision dans les jeux de midi, où le vénérable Ditis (Dis pater), frère de Jupiter, armé d'un maillet (cum malleo), emmène les dépouilles des gladiateurs, et où Mercure, muni de petites ailes sur sa tête rasée et d'un caducée ardent, éprouve de ce cautère (e cauterio) les corps déjà inanimés ou simulant la mort. (48) Tous ces spectacles, et ceux qu'on pourrait encore découvrir, pour peu qu'ils compromettent l'honneur de la divinité, qu'ils abattent la majesté divine de sa hauteur, tirent leur origine du mépris, tant de ceux qui font métier de telles représentations, que de ceux qui les admettent. [47]

 

Nous avons tenu à citer de Tertullien un contexte relativement large, mais Claude Sterckx ne s'est intéressé qu'à la seconde partie du chapitre 47, concluant du passage que la Gaule utilisait « un maillet de la bonne mort dans les combats de gladiateurs » [48].

Pareille conclusion, à notre sens, dépasse les prémisses. D'abord il n'est pas question de la Gaule dans ce témoignage : Tertullien parle des usages de l'amphithéâtre en général. Par ailleurs, l'expression « maillet de la bonne mort » est dangereuse, car elle injecte, abusivement à notre sens, dans le texte de Tertullien ce que nous a appris le folklore celtique. La méthode est discutable.

Pour notre part, nous verrions les choses d'une manière « moins engagée »,  tant sur le plan du rite que sur celui de la mythologie ou de l'iconographie.

On connaît le goût des Romains pour le spectacle et en particulier les parodies - sinistres, mesurées à l'aune de nos mentalités actuelles - qu'ils étaient capables de mettre en scène, tant au théâtre (on songera au mime et en particulier au Laureolus dont Tertullien ne parle pas ici) que dans l'amphithéâtre.

Cette seconde partie du paragraphe 47 nous entraîne dans le contexte précis des meridiani ludi, qu'on peut considérer comme des entractes. Pour occuper les spectateurs entre les « grandes représentations » du matin et de l'après-midi, on faisait combattre des paires de duellistes. Aussitôt qu'un des adversaires s'était effondré, il s'agissait de faire au plus vite « le ménage », en l'occurrence d'évacuer le corps après s'être assuré de sa mort. Cette charge était confiée à des assistants costumés en roi des enfers et en dieu psychopompe. Le gladiateur qui réagissait encore à la baguette ardente était achevé à coups de marteau, procédé expéditif mais efficace.

Pour être correctement compris, le témoignage de Tertullien doit être replacé dans son contexte. Il n'est pas question de le récuser, sous prétexte que le polémiste chrétien exagérerait dans sa critique des spectacles païens. Il rapporte certainement les pratiques de son temps : les assistants chargés de débarrasser l'arène des cadavres lors des intermèdes de midi étaient déguisés en dieux. Mais c'est sur l'imagerie et le rôle de ces dieux que la prudence s'impose. Tertullien n'écrit pas un traité de théologie, il ne décrit pas des statues antiques, il évoque une mise en scène parodique, et cette dernière, pour produire son effet, doit mêler le vrai et le faux, le sérieux et le burlesque. On ne peut pas prendre pour argent comptant les données de cette mise en scène, et en tirer des conclusions décisives sur le rôle et les attributs des dieux dont les assistants ont revêtu les oripeaux.

 C'est vrai que Mercure-Hermès, comme dieu psychopompe, est censé conduire les morts dans les enfers; c'est vrai qu'il a des ailes sur la tête; c'est vrai qu'il porte un caducée, et nous avons vu plus haut le rôle que ce bâton peut jouer. Mais ce n'est pas vrai qu'il a la tête rasée (in caluitio) et que son caducée  est chauffé au rouge. C'est vrai que Dis Pater-Pluton-Hadès est le dieu des enfers; c'est vrai qu'il est le frère de Jupiter. Mais ce n'est pas vrai qu'il porte un maillet : à notre connaissance, aucun témoignage antique, ni littéraire ni iconographique, ne permet de l'affirmer. Ce qu'on peut à la rigueur lui attribuer, c'est un sceptre, comme dans l'Ovide des Métamorphoses (V, 422).

Bref, nous sommes dans une parodie, où tous les détails n'ont pas la même portée. Prétendre, sur base de ce texte de Tertullien, que Dis Pater-Pluton-Hadès a comme attribut le maillet serait commettre la même erreur de raisonnement que d'affirmer, sur la foi du même texte, que Mercure-Hermès porte une baguette chauffée au rouge et présente le crâne d'un skinhead. Les créateurs romains de la parodie se sont adaptés aux nécessités pratiques. Pour un travail de « nettoyeurs », mieux vaut un crâne rasé qu'une longue chevelure (on se salit moins), et un solide maillet qu'un sceptre (c'est plus efficace). D'autant plus - on ne l'oubliera pas - qu'il y avait le maillet de Charun, dont la signification était bien connue dans le monde romain [49]. La mise en scène parodique a affublé le dieu des morts du maillet du Charun étrusque. Sans plus.

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    Le « casse-tête » sarde

Claude Sterckx évoque aussi une ancienne coutume sarde. Des femmes spécialisées, appelées accabaduras ou accabadoras ou agabbadoras, auraient eu la charge, dans la Sardaigne du passé, d’abréger d’un solide coup de maillet sur la tête les souffrances d’un moribond, accomplissant ainsi un acte de piété, explicitement demandé par la famille [50].

Cette coutume a fait l'objet d'une étude récente (2003) menée notamment par Alessandro Bucarelli, professeur de médecine légale à l'Université de Sassari [51]. Plusieurs indices précis, dont des témoignages du XIXe siècle et même deux rapports de carabinieri datant du XXe siècle, laissent penser qu'on est bien en présence d'une réalité : en l'espèce, comme le note la présentation de l'ouvrage, « un'antica forma di eutanasia rurale : atto pietoso nei confronti del moribondo, ma anche necessario nei casi di precaria condizione familiare ».

Cette euthanasie avant la lettre suscite beaucoup d'intérêt dans la Sardaigne actuelle. Le Museo etnografico du petit centre de Luras, en Gallura, propose même avec fierté à ses visiteurs un instrument qui passe pour avoir été utilisé à cet effet. Pièce rare, paraît-il, pour ne pas dire unique, et dont voici la photographie [52] :

 

 

Certains esprits sceptiques pourraient penser qu'il s'agit tout simplement d’un outil d’artisan. Mais à la limite peu importe. L’essentiel pour nous est de savoir si la documentation qui traite explicitement des accabaduras sardes peut être versée - et sous quelle forme - au dossier du « marteau de la mort » et du « maillet béni celtique ». Avec A. Bucarelli et son collègue, nous songerions plutôt à une forme ancienne et rustique d'euthanasie. En tout cas, l'instrument ne vient pas des dieux, et il n'assure « le passage » que dans un sens.

 

Cette coutume sarde ne pourrait-elle pas recevoir une interprétation plus large, dans la mesure où elle s'intégrerait dans un autre dossier, celui de la « liquidation des vieillards » ? C'est en tout cas dans ce cadre-là qu'elle est examinée par Georges Dumézil [53].

Nous n'ouvrirons toutefois pas ce dossier, pensant qu'il faut strictement distinguer les cas sardes d'euthanasie ante litteram des usages ou des traditions censées attester, chez certains peuples, l'élimination générale des vieillards ayant atteint un âge avancé. Et cela même si, pour la Sardaigne, des informations antiques signalent que « les Sardes sacrifiaient à Kronos leurs pères, quand ceux-ci dépassaient soixante-dix ans d'âge, en les frappant de bâtons et en les précipitant dans des ravins » [54].

À nos yeux, il serait impertinent (au sens étymologique du terme) d'introduire dans le dossier de Valéria Luperca celui de la « liquidation des vieillards », tués ou poussés au suicide dans certaines sociétés [55].

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Le marteau d’argent du pape

Continuons notre voyage par le Vatican, avec la mort des papes. « On s’assure encore aujourd’hui, écrit Claude Sterckx [56], du décès et du “bon passage” d’un pape en lui frappant trois fois le front avec un marteau en argent ».

La disparition récente de Jean-Paul II a ramené l'attention des média sur ce rituel pontifical très particulier. Nous épinglerons ci-après deux mentions intéressantes, relevées, l'une à la télévision, l'autre dans la presse.

Dans une émission intitulée « Dans le secret de l'élection du Pape » diffusée par la Radio Télévision Belge Francophone entre le décès de Jean-Paul II et le début du conclave, on interrogeait Alberto Melloni, un spécialiste italien du Vatican [57]. Voici la transcription de ce qu'il déclarait :

 

Le rite du marteau a pour but de certifier la mort du pape. Le cardinal camerlingue s'approche du pape et par trois fois lui frappe sur la tête en l'appelant par son nom en latin et en lui demandant s'il dort. Après trois coups sans réponse, le pape est déclaré mort. Aujourd'hui ce rite est accompagné d'un certificat médical. La constitution impose ce certificat médical mais le rite du marteau n'est pas interdit. Il se peut très bien que le camerlingue décide de conserver cette tradition du XVIIe siècle.

 

Et Le Monde du 1 avril 2005, dans son édition informatique, écrivait ceci :

 

Quand le pape meurt, c'est le camerlingue qui constate officiellement le décès, en présence du maître des célébrations et du chancelier de la Maison pontificale. Jusqu'à la mort de Pie XI en 1939, le cérémonial voulait qu'il frappe trois fois le front du pape et l'appelle à trois reprises par son prénom de baptême. En l'absence de réponse, il se retournait vers les assistants en disant : « Le pape est vraiment mort. » Désormais, le constat du médecin suffit. Mais ce sont le camerlingue et le chancelier de la Maison qui dressent l'acte de décès.

 

Nous n'avons pour notre part trouvé trace de ce rituel ni dans le gros Dictionnaire historique de la papauté, sous la direction de Philippe Levillain [58], ni dans l’ouvrage classique Le corps du pape d’Agostino Paravicini Bagliani [59], ni dans l’imposante publication en quatre volumes de Marc Dykmans sur Le cérémonial papal de la fin du Moyen Age à la Renaissance [60]. Nous avouons tout ignorer des raisons ayant amené l'introduction de ce rituel, qui remonterait donc au XVIIe siècle et aurait été attesté pour la dernière fois en 1939.

Bien sûr, le Vatican connaît plusieurs rites faisant intervenir un marteau en métal précieux. Par exemple, celui de l'ouverture solennelle de la Porte Sainte, toujours murée en temps normal et qui est ouverte lors de la cérémonie traditionnelle du Jubilé, la veille de Noël. Le pape en personne frappe symboliquement trois fois avec un marteau en or et en argent contre l’ouvrage en maçonnerie la camouflant. Ce sont ensuite des ouvriers qui démolissent le mur. Autre exemple : à la mort d'un pape, son anneau (« l'anneau du pêcheur » qui représente saint Pierre jetant son filet) est brisé publiquement avec un marteau et une enclume en or par le cardinal camerlingue.

Le marteau est donc un instrument rituel bien attesté dans le cérémonial vatican. L' « appel au mort » non plus n'est pas pour étonner : il pourrait en quelque sorte prolonger le cérémonial antique de la conclamatio [61]. L'application du marteau sur la tête du cadavre est plus particulier, mais peut-on envisager au XVIIe siècle l'éventualité d'un rattachement du rite du marteau pontifical aux données mythologiques et folkloriques qui nous avaient servi de point de départ ? Nous hésiterions à répondre par l'affirmative. De toute manière, nous ne pouvons souscrire à la formulation de Claude Sterckx reprise plus haut : « On s’assure encore aujourd’hui du décès et du “bon passage” d’un pape en lui frappant trois fois le front avec un marteau en argent ». Ce n'est pas un rituel pontifical contemporain, et il s'agissait de s'assurer du décès du défunt, non pas de son « bon passage ».

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Une amorce de conclusion…

 

Ainsi donc, pour ne parler que des marteaux, on en trouve beaucoup dans la mythologie, le folklore, le rituel et… la vie quotidienne. Il y a le marteau de Thorr, celui de Sucellos, celui de Charun. Il y a le mael benniget de la Bretagne armoricaine, le holy mawle de l'Angleterre du XVIIe siècle, « le maillet béni » de saint Fillian. Il y a le « marteau de la mort » des accabaduras sardes et celui qu'on utilisait dans l'amphithéâtre romain pour achever les gladiateurs. Il y a ceux en métal précieux utilisés dans certains rituels au Vatican. Il y a encore - on n'en a pas parlé - le marteau maçonnique, celui du commissaire-priseur et celui qui accompagnait la faucille dans l'emblème des anciennes Républiques soviétiques, sans parler du tristement célèbre « Marteau des Sorcières » (Malleus Maleficarum), qui a été le bréviaire des chasseurs de sorcières dans toute l'Europe pendant deux siècles [62]. Il y a donc marteau et marteau, tout comme il y a bâton et bâton, maillet et maillet. Il est impératif de classer ce matériel, de sérier les données qui s'y rapportent, certaines étant, pour la comparaison,  plus pertinentes que d'autres. Mais quels critères suivre ?

La règle de base en matière de comparaison, qu'elle soit génétique [63] ou typologique [64], c'est le rapprochement, non pas de détails, mais d'ensembles structurés. Il faut se défier des données qui n'offrent entre elles qu'une ressemblance extérieure, et donc superficielle et sans intérêt.

A. Van Gennep, en 1909 déjà, s'insurgeait contre ce qu'il appelait le « procédé folkloriste » ou « anthropologiste », qui consistait « à extraire d'une séquence divers rites, soit positifs, soit négatifs, et à les considérer isolément, leur ôtant ainsi leur raison d'être principale et leur situation logique dans l'ensemble des mécanismes » [65]. Un rite déterminé, soulignait-il aussi, ne se comprend que dans sa séquence, dans une succession d'autres rites dont il tire son sens.

Les exigences actuelles vont dans le même sens. Qu'il s'agisse de mythes et de rituels, on tend à « ne pas les disjoindre de l'ensemble de la culture dont ils font partie, ni de la religion à laquelle ils sont associés » [66]. On refuse de comparer des matériaux « réunis en fonction de ressemblances extérieures et formelles qui ne sont pas nécessairement garantes d'une même signification » [67]. La règle fondamentale de méthode est claire et simple : « on ne peut rapprocher des faits isolés, même s'ils paraissent identiques ; on ne peut comparer que des structures, c'est-à-dire des ensembles cohérents » [68]. C'est aussi - faut-il le rappeler ? - la règle d'or du comparatisme dumézilien. Sur ce point fondamental, les exigences de la comparaison typologique et de la comparaison génétique se rencontrent parfaitement.

Le dossier ouvert par Claude Sterckx respecte cette règle d'or du comparatisme, mais pour l'essentiel des données seulement : nous aurions tendance à laisser de côté certains des exemples qu'il avance.

Pour le dire en quelques mots, nous sommes sensible à la fonction de l'instrument retenu (il assure le passage « dans les deux sens »), à son origine (il est lié, directement ou indirectement aux dieux), et au milieu culturel dans lequel il intervient. Dans cette optique, les exemples fournis pour le monde celtique, scandinave et grec, nous paraissent tout à fait justifiés, compte tenu bien sûr de la « dégradation » constatée quand on passe de la mythologie au folklore. Le cas de Charun est pour nous à l'écart : avec le démon étrusque, on sort du monde indo-européen, et son maillet n'est lié qu'à la mort. Les éléments de la notice de Tertullien ne sont pas à nos yeux suffisamment fiables pour être introduits valablement dans le dossier : les conclusions que notre collègue en tire ne tiennent pas compte du contexte et sont très difficile à accepter. Le cas du « casse-tête » sarde et celui du marteau pontifical n'appartiennent pas à l'antiquité ; l'instrument n'est lié qu'à la mort et d'autre part il n'entretient aucun rapport, direct ou indirect, avec la divinité. Il reste toutefois que ces trois derniers exemples illustrent indiscutablement la large diffusion et la solidité du lien établi dans notre imaginaire entre le marteau, la tête et la mort. Ce n'est pas rien, mais  c'est autre chose que le « mythème du maillet de la vie et de la mort ».

 

Mais revenons à la Valéria Luperca falisque et au maillet qu'elle brandit. Compte tenu de tout ce qui précède, que peut-on en penser ?

Ce maillet, qui a miraculeusement pris la place du couteau sacrificiel destiné à immoler la jeune fille, guérit les malades auxquels il est imposé. Ce rôle de « maillet guérisseur », au centre du récit falisque, est - il faut le reconnaître - assez éloigné de la compétence beaucoup plus large de bien des maillets/marteaux présentés dans le solide dossier comparatif de notre collègue. Dans les exemples qu'il a rassemblés, le « maillet guérisseur », comme tel, n'intervient - et encore d'une manière indirecte - que dans l'exemple écossais, celui de l'eau qui aurait été en contact avec le maillet béni de saint Fillian. Bien sûr, un instrument qui peut donner la vie et la mort, qui peut faire passer de la mort à la vie, et réciproquement, peut aussi tout simplement guérir des malades en les faisant passer de la maladie à la santé. Qui peut le plus peut le moins ! Dans le cas de Valéria Luperca, on serait donc en présence, comme dans le cas de saint Fillian,  d'une application « fort dégradée » du « mythème du maillet de la vie et de la mort ».

On observe aussi une « dégradation » d'un autre type, pour autant que l'on puisse utiliser ce terme de « dégradation ». Dans tous les autres cas amenés dans la comparaison, les protagonistes sont des dieux ou des saints (à interpréter naturellement comme des prolongements des premiers), jamais une jeune fille. Aucun personnage féminin (déesse, jeune fille, femme, sorcière) n'intervient pour guérir un malade par l'imposition d'un maillet ou d'un bâton ; à fortiori pour stopper de cette manière une quelconque épidémie.

Un autre élément auquel nous nous déclarions plus haut sensible était le rapport du « maillet » avec la divinité. Et effectivement les grands dieux de Rome sont impliqués dans l'histoire de Valéria Luperca, même s'ils restent, si l'on peut dire, à l'arrière-plan. L'épidémie semble envoyée par Junon, puisque c'est à elle qu'on doit sacrifier des jeunes filles. Quant à l'aigle, qui vient déplacer le couteau du sacrifice et apporter le maillet, c'est par excellence  l'oiseau de Jupiter. Si l'on suppose Jupiter à l'origine de l'action de l'aigle, ce serait donc le roi des dieux qui interviendrait, non seulement pour sauver la jeune fille, mais aussi pour guérir les malades. Ce serait lui qui aurait donné à Valéria le « maillet guérisseur ».

*

Voilà donc un maillet qui est lié aux grands dieux et qui, appliqué aux malades, les guérit. Il serait effectivement fort possible que nous soyons ici en présence d'une application « dégradée » du maillet divin de la vie et de la mort, dont il existe, dans le monde indo-européen, divers exemples solidement attestés, plus nets, parce que plus complets et plus proches des versions plus anciennes.

Nous pensons donc, comme nous le disions en commençant, qu'en replaçant, sinon l’intégralité de l’anecdote, en tout cas plusieurs de ses éléments importants, dans une large perspective comparatiste, notre savant collègue a réussi à sortir l'histoire de Valéria Luperca du splendide isolement qui était jusqu'ici le sien.

Tout n'est pas réglé pour autant, même dans le volet romano-falisque. Beaucoup d’autres éléments de cette anecdote interpellent en effet le chercheur : pourquoi le cognomen Luperca ? quel rapport entretient-il avec les Luperques et les Lupercalia à Rome, où intervient également Junon [69] ?  Pourquoi le nomen Valéria ? s’explique-t-il simplement par la gens du magistrat monétaire ? y aurait-il un rapport plus profond entre le mot Valérius d'une part, la notion de « santé » et de « guérison » (ualere, ualetudo) d'autre part ? Par ailleurs, quel lien peut-il y avoir entre la gens Valéria et Faléries, entre le cognomen Acisculus, l'instrument qui s'appelle en latin acisculus et le maillet de Valéria ? Le maillet guérisseur de la jeune fille de Faléries n'est-il pas tout simplement une projection sublimée de l'acisculus ? Ce ne sont pas - on le voit - les problèmes qui manquent. Nous n'envisageons pas ici d'y apporter des solutions ; nous voulions simplement attirer l'attention sur un certain nombre de questions. Nous ne pouvons que souhaiter que d'autres chercheurs, plus compétents que nous, s'engagent sur la voie brillamment ouverte par Claude Sterckx.

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Notes

[1] On verra la brève présentation de G. Dumézil, La religion romaine archaïque, 2e éd., Paris, 1974, p. 355-356. Elle renvoie à Th. Köves, Valeria Luperca, dans Hermes, 90, 1962, p. 214-238, la seule étude un peu détaillée sur la question, où l’on trouvera d’ailleurs la bibliographie antérieure. Le travail de Th. Köves n'aborde que le volet italique du dossier.

[2] Cl. Sterckx, Sucellos et Valéria Luperca, dans Ildánach Ildírech. A Festschrift for Proinsias Mac Cana, edited by J. Carey, J. T. Koch, & P.-Y. Lambert, Andover et Aberystwyth, 1999, p. 255-261 (Celtic Studies Publications, 4).

[3] Elles ont été soumises à Claude Sterckx lui-même et à Jean Loicq, professeur émérite de l'Université de Liège, qui nous ont suggéré nombre d'améliorations précieuses. Nous les en remercions vivement, tout en assumant bien sûr l'entière responsabilité de ce qui se trouve ici publié.

[4] On trouvera le texte grec dans Plutarch's Moralia in Fifteen Volumes. IV, with an English Translation by Frank Cole Babbitt, Londres, 1962, p. 306-308 (The Loeb Classical Library).

[5] Présentation d’ensemble dans F. Jacoby, Die Überlieferung von Ps. Plutarchs « Parallela minora » und die Schwindelautoren, dans Mnemosyne, 8, 1940, p. 73-144.

[6] On verra sur tout cela les ouvrages spécialisés en mythologie grecque.

[7] Un groupe ethnique de plus de deux millions de personnes, répandu sur plusieurs pays de l'Afrique occidentale, parmi lesquels le Mali, le Burkina Faso, le Sénégal, la Gambie, la Mauritanie. Cfr Encyclopedia of African Peoples by the Diagram Group, Chicago-Londres, 2000, p. 191.

[8] « Bida est un dragon de l'Afrique de l'ouest qui apparaît dans le poème du Dausi. L'histoire dit que le roi mourant, Dinga, envoya chercher son fils le plus âgé pour lui dévoiler le secret du bateau royal. Ce fils refusa de venir. En fait, le seul fils qui vint était le plus jeune. Il s'appelait Lagarre. Son père lui demanda de trouver neuf jarres d'eau. Celui qui se lavera dedans deviendra roi. Ensuite il lui dit de trouver le tambour du Tabellion, de l'emporter dans le désert et de frapper dessus. Quand Lagarre fit cela, une cité surgit du sable encerclée par le dragon Bida. C'était la cité de Wagadoo. Lagarre fit un compromis avec Bida pour entrer dans la ville. Chaque année une fille sera donnée en sacrifice au dragon et en retour celui-ci couvrirait la ville d'or. Pendant trois générations cela se poursuivit jusqu'à ce qu'un jour le dragon fut tué par l'amoureux d'une fille qui devait être sacrifiée. » (http://www.chez.com/dragonvert/celebrite.htm).
Il existe sur la Toile un site http://forum.soninkara.com, où l'on discute notamment de l'origine des Soninkés et où l'on s'interroge sur l'authenticité de la légende du Bida. On verra aussi par exemple
 http://www.rfi.fr/fichiers/MFI/CultureSociete/635.asp.

[9] Encore que la situation ici soit différente : le sacrifice d'Isaac ne doit pas sauver le peuple auquel il appartient ; il est présenté comme une épreuve envoyée par Dieu à Abraham (Gen., XXII, 1).

[10] Cfr, dans la Kodansha Encyclopedia of Japan, Tokyo, 1983, les articles de G. Johnson, Susanno no Mikoto, Tome VII, p. 278, et A. G. Grapard, Yamata no Orochi, Tome VIII, p. 307. Son histoire est évoquée dans plusieurs sites sur la Toile. Ainsi par exemple dans        
 http://www.eleves.ens.fr/home/aze/anime/mythes/susanoo.html, l'histoire commence ainsi : « Susano-wo avait été banni du monde des dieux et était parti à l'aventure sur terre dans un corps d'humain, quand il arriva dans le district d'Izumo où tout le monde était habillé en vêtements de deuil. Il demanda ce qui se passait, et on lui répondit que tous les ans, un monstre à huit têtes et huit queues nommé Yamata No Orochi venait enlever puis dévorer une jeune fille, et que cette année, c'était la dernière fille du roi, la princesse Kusinada, qui allait être sacrifiée ». On devine la suite : Susano-wo finira par trancher les huit têtes du dragon, sauvant ainsi Kusinada qu'il épousera. Cfr aussi 
http://grenier2clio.free.fr/japon/susano.htm.

[11] H. Hubert, Les Celtes depuis l’époque de La Tène et la civilisation celtique, Paris, 1950, p. 296, renvoyant à St. Czarnowski, Le culte des héros et ses conditions sociales : Saint Patrick héros national de l’Irlande, Paris, 1919, p. 123. On trouvera encore d’autres exemples chez St. Thompson, Motiv-Index of Folk-Literature, T. V, Copenhague, 1957, p. 318-321.

[12] G. Dumézil, op. cit., 1974, p. 356.

[13] Cl. Sterckx, op. cit., 1999, p. 260.

[14] Ch. Lenormant, Nouvelles Annales publiées par la section française de l'Institut archéologique de Rome, t. II, 1838, p. 142.

[15] Ern. Babelon, Description historique et chronologique des monnaies de la République romaine, vulgairement appelées Monnaies consulaires, t. II, Paris, 1886, p. 514-518.

[16] Par exemple H. A. Grueber, Coins of the Roman Republic in the British Museum, t. I, Londres, 1910, p. 534-537 ; Th. Köves, op. cit., 1962, p. 226-229 ; Cl. Sterckx, op. cit., 1999, p. 260.

[17] Par exemple : A. Alföldi, Der neue Weltherrscher der vierten Ekloge Vergils, dans Hermes, t. 65, 1930, p. 371, et n. 2 ; M. H. Crawford, Roman Republican Coinage, t. 1, Cambridge, 1974, p. 483-485 ; V. Marek, Roman Republican Coins in the Collection of the Charles University, Prague, 1985, p. 89.

[18] Tête de la Sibylle au droit d’un denier de T. Carisius en 46 a.C.n. ; cfr Crawford, n° 464, 1. Enlèvement d’Europe au revers d’un denier de L. Volteius Strabo en 81 a.C.n. ; cfr Crawford, n° 377, 1. Le motif d'Europe sur son taureau est attesté dans le monnayage grec depuis le Ve siècle a.C.n. : on trouvera de nombreuses illustrations dans le LMIC, IV, 1988, s.v° Europe ; dans les numéros 105 et 110 par exemple, provenant respectivement de Cyzique (Ve siècle a.C.n.) et de Sidon (IIe et Ier siècle a.C.n.), le mouvement des voiles correspond étroitement à celui que l'on constate sur les deniers de Valérius Acisculus. Bref, l'interprétation de l'iconographie des pièces romaines ne peut pas faire de doute : il s'agit bien d'Europe et du taureau.

[19] Une indiscutable chouette que, soit dit en passant, Th. Köves, op. cit., 1962, p. 227-228, prenait pour un aigle, probablement pour faire correspondre davantage la monnaie au récit du pseudo-Plutarque ; on appréciera !

[20] P. Mirsch, De M. Terenti Varronis Antiquitatum Rerum Humanarum libris XXV, dans Leipziger Studien zur classischen Philologie, t. 5, 1882 ; réimpression Hildesheim, 1972, p. 85.

[21] Cicéron, Pro Sestio, XXI, 48 ; pour la scholie, cfr l'éd. P. Hildebrandt, Teubner, 1971, p. 91.

[22] Éd. E. Scheer, Berlin, II, 1908, p. 93.

[23] Comme nous avons essayé de le montrer à plusieurs reprises, par exemple, J. Poucet, Les grands travaux d'urbanisme dans la Rome «étrusque». Libres propos sur la notion de confirmation du récit annalistique par l'archéologie, dans A.V., La Rome des premiers siècles. Légende et Histoire. Actes de la Table Ronde en l'honneur de Massimo Pallottino (Paris, 3-4 mai 1990), Florence, Olschki, 1992, p. 215-234 (Istituto Nazionale di Studi etruschi e italici. Biblioteca di «Studi Etruschi», 24).

[24] Cfr par exemple Tite-Live, I, 34, 7-9.

[25] On verra les FGrH de Jacoby, où Aristeides von Milet occupe le n° 286. Tous les fragments connus de l'« Histoire d'Italie (Italika) » viennent des Parallèles mineurs. Il y a beaucoup de chances pour que cette œuvre soit fictive.

[26] Pour ma part, j’irais jusqu’à croire que cette anecdote pourrait avoir un fond de vérité, en ce sens qu’on pourrait fort bien l’avoir racontée dans le contexte du culte de Junon à Faléries. G. Dumézil, La Religion romaine archaïque, 2e éd., Paris, 1974, p. 356, estime même que « la fin peut correspondre à un rite local », une sorte de lustratio « autrement orientée qu’à Rome ».

[27] Malleus en latin et sphura en grec par exemple sont des termes génériques.

[28] Cl. Sterckx, op. cit., p. 255, n. 2, donnant les références aux textes irlandais.

[29] Cl. Sterckx, op. cit., p. 256.

[30] G. Dumézil, Les dieux souverains des Indo-Européens, Paris, 1977, p. 187.

[31] H. Renauld-Krantz, Structures de la mythologie nordique, Paris, Maisonneuve, 1972, p. 130. La discussion sur le marteau de Thorr se trouve aux p. 126-132.

[32] «La baguette au moyen de laquelle il charme à son gré les yeux des mortels ou réveille ceux qui dorment » (trad. P. Mazon).

[33] Tum uirgam capit : hac animas ille euocat Orco / pallentis, alias sub Tartara tristia mittit, / dat somnos adimitque, et lumina morte resignat (éd. J. Perret, Budé, 1981).

[34] Traditur extinctas sumptae moderamine uirgae / In lucem reuocasse animas, Cocytia leti / Iura resignasse sursum reuolantibus umbris, / Ast alias damnasse neci penitusque latenti / Inmersisse chao (éd. M. Lavarenne, Budé, 1948).

[35] Pater uero tradidit ei uirgam caduc<e>am ; qua[m] si quem ex grossiori parte a capite tangeret, moreretur ; quem uero a subtili parte, uiu[i]eret (éd. N. Zorzetti, Budé, 1995).

[36] Cl. Sterckx, op. cit., p. 257.

[37] Cl. Sterckx, op. cit., p. 256-257.

[38] Cl. Sterckx, op. cit., p. 258, utilisant P. C. Power, Sex and Marriage in Ancient Ireland, Cork, 1976, p. 35 ; réimpression 1997.

[39] Cl. Sterckx, op. cit., p. 258, utilisant G. Henderson, Survivals in Belief among the Celts, Glasgow, 1911, p. 320 ; réimpression 1977 et 1978.

[40] Cl. Sterckx, op. cit., p. 257, avec renvoi à W. J. Thoms, Anecdotes and Traditions Illustrative of Early English History and Literature, Londres, 1839, p. 84.

[41] Pour une édition moderne, cfr Aubrey John. Three Prose Works Miscellanies. Remains Of Gentilisme And Judaisme, Observations. Edited with Introduction and Notes by J. Buchanan-Brown, Southern Illinois University Press, Carbondale, Illinois, 1972, 576 p.

[42] Cfr par exemple Th. Wright, A Selection of Latin Stories, from Manuscripts of the Thirteenth and Fourteenth Centuries : A Contribution to the History of Fiction During the Middle Ages, Londres, The Percy Society, 1842. À propos du texte n° 26 (p. 28-29), la note de Th. Wright (p. 221-222) signale : « The story and the verses appear to have been popular, and I am inclined to think they have some connection with (if they are not the foundation of) a superstition not yet forgotten, which is thus told by Aubrey in his Remains of Gentilism (Thoms’s Anecdotes and Traditions, p. 84), ‘The Holy Mawle, which they fancy was hung behind the church door, which when the father was seaventie, the sonne might fetch to knock his father in the head, as effete and of no more use’ ».

[43] Fr. De Ruyt, Charun, démon étrusque de la mort, Bruxelles-Rome, 1934, p. 233 (Études de philologie, d'archéologie et d'histoire anciennes de l'Institut historique belge de Rome, 1). L'imposante monographie du savant belge conserve encore toute sa valeur, même si d'autres documents iconographiques sont venus depuis lors enrichir son catalogue.

[44] ibidem, p. 235.

[45] Cl. Sterckx, op. cit., 1999, p. 260.

[46] Fr. De Ruyt, op. cit.,1934, p. 241.

[47] (46) Plane religiosiores estis in gladiatorum cauea, ubi super sanguinem humanum, super inquinamenta poenarum proinde saltant dei uestri argumenta et historias nocentibus erogandis, aut in ipsis deis nocentes puniuntur. (47) Vidimus saepe castratum Attin deum a Pessinunte, et qui uiuus cremabatur, Herculem induerat ; risimus et meridiani ludi de deis lusum, quo Ditis pater, Iouis frater, gladiatorum exsequias cum malleo deducit, quo Mercuius in caluitio pennatulus, in caduceo ignitulus, corpora exanimata iam mortemue simulantia e cauterio probat. (48) Singula ista, quaeque adhuc investigare quis possit, si honorem inquietant diuinitatis, si maiestatis fastigium adsolant, de contemptu utique censentur, quam eorum, qui eiusmodi factitant, quam eorum, qui ista suscip<iu>nt (texte et traduction de  A. Schneider, Le premier livre « Ad nationes » de Tertullien. Introduction, texte, traduction et commentaire, Rome, 1968, p. 91-93 [Bibliotheca Helvetica Romana, 9]). On rencontre aussi un texte très proche dans l'Apologétique de Tertullien (XV, 4-5).

[48] Cl. Sterckx, op. cit., p. 257 : « L'antiquité du rituel [= l'usage du mael benniget en Armorique] est garantie par une notule de Tertullien signalant déjà en Gaule l'usage d'un maillet de la bonne mort dans les combats de gladiateurs. »

[49] La formulation de J. Carcopino (La vie quotidienne à Rome à l'apogée de l'empire, Paris, 1939, p. 278-279) s'appuie manifestement sur d'autres textes que celui de Tertullien : « aussitôt des serviteurs déguisés, soit en Charon, soit en Hermès Psychopompe, s'approchaient du gisant, s'assuraient, à coups de maillet sur son front, de la réalité de son décès et faisaient signe aux libitinarii de l'emporter sur leurs civières hors de l'arène dont on retournait en hâte le sable ensanglanté ». La lecture des pages 276-280, qui décrivent les pratiques de l'hoplomachie, est, elle aussi, intéressante.

[50] Cfr Cl. Sterckx, op. cit., p. 258, renvoyant à C. Edwardes, Sardinia and the Sardes, Londres, 1889, p. 116-117. La description de Charles Edwardes, un voyageur de la fin du XIXe siècle, est également accessible dans G. Dumézil, Quelques cas anciens de « liquidation des vieillards » : histoire et survivances, dans Mélanges Fernand de Visscher, III, Bruxelles, 1950, p. 448-449.

[51] A. Bucarelli et C. Lubrano, Eutanasia ante litteram in Sardegna. Sa femmina accabadòra. Usi, costumi e tradizioni attorno alla morte in Sardegna, Cagliari, Scuola Sarda Editrice, 2003, 104 p.

[53] Cfr l'article Quelques cas anciens, signalé supra, à la note 50. C'est le premier cas de « liquidation de vieillards » examiné par Georges Dumézil, lequel par ailleurs ne croit pas trop à cette coutume. En guise d'argument pour la rejeter, il note qu' « il ne semble pas que les contes recueillis au XIXe et au XXe siècles en Sardaigne, ni même la littérature provinciale, contiennent aucune allusion à l'usage de tuer les vieillards » (p. 449). Apparemment, on est davantage prêt aujourd'hui à l'accepter.

[54] Timée, cité dans une scholie de Tzetzès, ad Lycophr., 796. La traduction est de G. Dumézil, Quelques cas anciens, 1950, p. 447, et note 1.

[55] Pour ne pas quitter l'Europe, citons les Sardes, les Scythes, les Ibères, l'île de Céos, ainsi bien sûr que les Romains (le rituel des Argées et le proverbe sexagenarii de ponte). - Outre l'article de G. Dumézil auquel il a déjà été fait allusion, on pourra voir par exemple Fr. Delpech, L'élimination des vieillards : recherches sur quelques versions ibériques d'un cycle folklorique traditionnel, Paris, 1987, p. 433-490 ; W. Suder, La mort des vieillards, dans F. Hinard, La mort au quotidien dans le monde romain. Actes du colloque organisé par l'Université de Paris IV (Paris - Sorbonne, 7-9 octobre 1993), Paris, 1995, p. 31-45. (De l'archéologie à l'histoire). - La bibliographie sur le cas romain est démesurée et nous nous limiterons à trois titres : J.-P. Néraudau, « Sexagenarii de ponte » (Réflexions sur la genèse d'un proverbe), dans REL, t. 56, 1978, p. 159-174 ; U. Lugli, La depontazione dei sessagenari, dans Studi Noniani, XI, Gênes, 1986, p. 59-68 ; M. A. Marcos Casquero, Los « Argei » : un arcaica ceremonia romana, dans A. Bonanno [Éd.], Laurea Corona. Studies in Honour of Edward Coleiro, Amsterdam, 1987, p. 37-66.

[56] Cl. Sterckx, op. cit., p. 258.

[57] Auteur notamment d'un ouvrage sur le conclave : Il Conclave : storia di una istituzione, Bologne, 2001, 208 p. (Saggi, 543).

[58] Paris, 1994, 1759 p.

[59] Paris, 1997, 391 p.

[60] Bruxelles-Rome, 1977-85.

[61] Cfr par exemple Serv., Aen., VI, 218.

[62] Cfr par exemple H. Institoris et J. Sprenger, Le Marteau des Sorcières (Malleus Maleficarum) 1486. Traduit du latin et précédé de « L'inquisiteur et ses sorcières » par Amand Danet, Grenoble, Jérôme Million, 1990, 603 p. La dernière réimpression (1997) est épuisée, et l'éditeur en annonce une nouvelle pour mars 2005.

[63] Pratiquée par exemple par G. Dumézil et les autres indo-européanistes, qu'ils travaillent ou non dans sa mouvance.

[64] C'était celle suivie naguère par J. G. Frazer, notamment dans le célébrissime « Le Rameau d'Or » et qu'on retrouve, en matière religieuse, chez des savants comme G. Van der Leeuw (La religion dans son essence et ses manifestations. Phénoménologie de la religion, Paris, 1948, 692 p. [Bibliothèque scientifique]) ou M. Éliade (Traité d'histoire des religions, Paris, 1949, 405 p. [Bibliothèque scientifique]).

[65] A. Van Gennep, Les rites de passages, 1909, p. 127 [réimpression en 1981 de l'édition de 1909, augmentée en 1969].

[66] N. Belmont et M. Izard, Frazer et le cycle du Rameau d'Or, p. XXVII de l'introduction qu'ils ont donnée pour la réimpression de Le rameau d'Or. Le roi magicien dans la société primitive. Tabou et les périls de l'âme, Paris, 1981, 1004 p. (Bouquins).

[67] N. Belmont et M. Izard, ibidem, p. XXIII.

[68] J.-H. Michel, L'initiation et le secret à la lumière de l'ethnographie et de la sociologie, dans Visages de la Franc-Maçonnerie belge du XVIIIe au XXe siècle, édités par H. Hasquin, Bruxelles, 1983, p. 11.

[69] Fr. Blaive, Le « flamen dialis » et la liturgie des Lupercales, dans P.-A Deproost et A. Meurant, Images d'origines. Origines d'une image. Hommages à Jacques Poucet, Louvain-la-Neuve, 2004, p. 207-214.

[Sommaire]


FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 9 - janvier-juin 2005

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