FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 9 - janvier-juin 2005
Stratégies d'appropriation des conquêtes d'Alexandre :
l'exemple des « barbares » chez Quinte-Curce et chez Arrien
par
Emilia Ndiaye
Maître de conférences à l'Université d'Orléans
Ce texte reprend la communication faite sous le titre « Rêves de conquête des territoires barbares. Barbaroi et barbari chez les historiens d'Alexandre : stratégies d'appropriation », lors du colloque interdisciplinaire Territoires rêvés (2), Du territoire rêvé au rêve de territoire : stratégies d'appropriation et de domination, qui s'est tenu les 25 et 26 novembre 2004 à la Faculté des Lettres, Langues et Sciences humaines de l'Université d'Orléans. La sortie des actes de ce colloque est prévue fin 2005.
Les actes du colloque Territoires rêvés (1) qui s’est tenu en juin 2003 sont, eux, déjà disponibles. Les personnes intéressées peuvent prendre contact avec le secrétariat de l'Institut des Lettres de l'Université d'Orléans (adresse de courriel ; adresse de site).
Le présent article s'inscrit dans le domaine de recherche de Mme Ndiaye, à savoir la lexicologie latine, plus particulièrement l'étude de l'articulation entre les données linguistiques, culturelles, historiques et littéraires, dans une perspective diachronique, en appliquant les méthodes de l'analyse sémique (Pottier, Rastier) aux textes anciens.
[Note de l’éditeur - 20 avril 2005]
Plan
- Introduction
- I. Les conquêtes d'Alexandre et leur captation romaine : appropriation militaire et politique
- II. De barbaroi en grec à barbarus en latin : appropriation linguistique
- III. Premier exemple : les barbari dans L'Histoire d'Alexandre le Grand de Quinte-Curce
- IV. Deuxième exemple : les barbaroi dans L'Anabase d'Alexandre d'Arrien
- Conclusion
- Bibliographie
- Notes
Les conquêtes d'Alexandre le Grand restent, à l'aube du 21ème siècle, encore très présentes dans l'imaginaire occidental et oriental [1], à cause de leur rapidité (moins de dix ans) et de l'ampleur des territoires concernés (de la Grèce à l'Indus) par ce rêve devenu réalité. Elles ont mis en oeuvre des stratégies d'appropriation et de domination dont les modalités sont multiples, militaires, politiques, culturelles, linguistiques, etc. Nous connaissons ces conquêtes principalement par des récits tous postérieurs d'au moins trois siècles aux événements, à part quelques fragments des historiographes d'Alexandre ou des témoins de l'expédition [2]. Deux traditions, illustrées par des historiens grecs et latins, ont longtemps été considérées comme parallèles. La vulgate, élaborée à partir de la tradition orale et de Clitarque d'Alexandrie, qui n'aurait pas lui-même pris part à l'expédition mais aurait recueilli les témoignages de certains membres. Ses représentants sont, pour le grec, Diodore de Sicile et Plutarque [3], pour le latin, Trogue-Pompée [4] et Quinte-Curce [5]. Arrien [6] représente l'autre tradition, avec L'Anabase d'Alexandre, longtemps tenue pour plus fiable car s'inspirant de deux sources : les Mémoires de Ptolémée Ier, général de l'armée d'Alexandre et ceux d'Aristobule, également témoin de la conquête. Les historiens de ces dernières décennies ont tendance à rapprocher ces deux traditions en soulignant d'un côté les croisements entre les sources de la vulgate et celles d'Arrien [7], et de l'autre, la part de rhétorique ou d'imaginaire dans l'oeuvre d'Arrien [8].
Nous nous intéresserons ici à la dimension rhétorique, dans la mesure où tous ces textes sont des textes littéraires [9] : l'histoire a toujours été considérée par les Anciens comme un genre littéraire et la plupart des écrits sur Alexandre appartiennent à l'historiographie rhétorique, en particulier celle de la seconde sophistique à Rome des 1er et 2ème siècles ap. J.-C. Ils sont donc le résultat d'un travail stylistique qui met en oeuvre des procédés rhétoriques, à des degrés divers, mais toujours réels [10]. Le choix des termes, que les Latins nomment elocutio [11], relève de ce souci d'écriture, il est particulièrement significatif concernant les synonymes. Pour désigner l'ennemi étranger, les nombreux « barbares » auxquels est confronté Alexandre, plusieurs désignations sont possibles. Les occurrences de barbaroi en grec ou barbarus en latin, plutôt que l'emploi de l'ethnique-ktétique, ou des mots « ennemis », « habitants », « indigènes » par exemple, ne sont rien moins que fortuites : elles s'inscrivent dans une perspective idéologique que nous allons tenter de préciser [12].
[Plan]
I. Les conquêtes d'Alexandre et leur captation romaine : appropriation militaire et politique
Le projet d'Alexandre, hérité de son père, constitue une première stratégie de domination de territoires. Après avoir soumis la Grèce par la victoire de Chéronée en 338 av.J.-C., Philippe de Macédoine avait entrepris la conquête de l'Asie Mineure en 336, année de son assassinat, avec pour but de venger les guerres médiques et de libérer les villes grecques du joug perse [13]. La bataille du Granique permet à Alexandre de remplir cet objectif, comme en témoignerait l'inscription sur trois cents armures envoyées en Grèce : « Alexandre, fils de Philippe, et les Hellènes, à l'exception de Sparte, sur les Barbares de l'Asie » (Arrien, 1,16,7) [14]. Bientôt le projet acquiert l'ampleur qu'on lui connaît et le conquérant étend ses ambitions jusqu'à l'Indus, atteint au printemps 326, sans que l'on puisse déterminer si telle était l'intention initiale [15]. La rapidité de ses conquêtes exige, de la part du conquérant, la mise en place d'une nouvelle politique. Au pouvoir des Achéménides, d'essence divine et ethnique [16], Alexandre substitue le droit de la lance [17], le charisme de la victoire et le principe multinational [18]. L'épisode des noces de Suse ou l'adoption par le roi du costume mède seraient emblématiques d'une politique de « fusion » entre les peuples conquis et les vainqueurs - que la raison en soit pur pragmatisme politique [19] ou idéal universaliste [20]. Cette vision ne résiste pas à l'épreuve des faits économiques et sociaux du monde hellénistique qui a suivi la mort d'Alexandre. Pas de fusion mais une coexistence toujours hiérarchisée, qui assure le maintien au pouvoir d'une élite gréco-macédonienne [21]. L'appropriation des territoires se double d'une stratégie de domination politique sur le long terme.
Les Romains vont à leur tour mettre en oeuvre une stratégie d'appropriation des conquêtes du Macédonien. Cette « captation romaine d'Alexandre » [22] correspond à l'imitatio Alexandri qui se décline avec plusieurs conquérants romains dès les guerres puniques. Des Scipions à Caracalla, en passant par César, Pompée, Caligula, Néron ou Trajan, les imperatores s'identifient régulièrement à Alexandre, dont on se réclame le continuateur [23]. Le conflit entre Octavien et Antoine recouvre la double image romaine du conquérant [24] : celui qui deviendra Auguste, soutenu par le parti des sénateurs, reproche à son rival de s'orientaliser comme Alexandre s'était barbarisé [25] en adoptant la proskynèse [26] pour devenir un despote autoritaire - alors qu'Antoine revendique l'héritage prestigieux du conquérant, dont il imite les moeurs, en épousant Cléopâtre par exemple. Au-delà de cette double image d'Alexandre, l'appropriation a une fonction idéologique évidente, celle de souligner la supériorité des Romains : ils ont su, eux, organiser et surtout maintenir leurs conquêtes, structurer l'Empire en provinces [27] et garantir, par la cohérence des institutions [28], la diffusion du modèle culturel latin, bien supérieur aux modèles grec et oriental [29]. L'octroi, par la Constitutio Antoniniana de Caracalla en 212 ap. J.-C., de la citoyenneté à tous les habitants libres de l'Empire [30] est une preuve indéniable de la réussite de cette appropriation [31].
[Plan]
II. De barbaroi en grec à barbarus en latin : appropriation linguistique
Cette stratégie d'appropriation militaire et politique rejoint une stratégie d'appropriation linguistique, dont nous nous proposons de donner un aperçu par l'exemple du vocable barbarus.
Cet emprunt au grec barbaros, sans doute très ancien, dès avant l'époque de Plaute, a hérité des valeurs grecques du terme. L'étymologie généralement retenue pour barbaros est « celui qui bafouille », « dont le langage est incompréhensible », donc « qui parle une langue qu'on ne comprend pas », donc « qui ne parle pas grec », soit « étranger ». On aboutit à l'opposition binaire Grecs vs Barbares, Grecs vs non-Grecs [32]. Les guerres médiques ont précisé l'image des barbares, mèdes ou perses. Épris d'or et de luxe, adorant le Grand-Roi dont ils sont les sujets, combattant avec l'arc, ils sont « l'anti-hoplite grec » [33], qui, athénien ou spartiate, vit dans une Cité-État dont il est citoyen. Mais ces mêmes guerres ont été l'occasion pour les Grecs de chercher à s'unir dans une ligue panhellénique pour lutter contre la menace perse. Si désaccords, rivalités et difficultés de l'entreprise ont été nombreux sur le plan militaire et politique, cette alliance a eu pour conséquence de permettre aux Grecs de se définir eux-mêmes par opposition à ces barbares : on a parlé de « concept rétrospectif » [34] à propos de la notion d'hellène ou d'hellénisme, le Grec étant alors le non-Barbare. L'inscription de Delphes commémorant la « victoire commune sur le Barbare » (en 479 av. J.-C. à Platées) consacre la supériorité militaire du modèle grec de civilisation, élargissant la charge dépréciative de l'adjectif : le barbaros est non seulement « celui qui ne parle pas grec », l'étranger qui menace, c'est aussi celui qui est incapable de vaincre. L'emploi générique, neutre, serait le fait de l'élite savante d'Ionie, capable de surmonter des réflexes ethnocentristes [35], élite représentée par Hérodote, que l'on a suspecté précisément de barbarophilie [36], ou, plus largement, par les sophistes [37].
Une fois emprunté par les Latins, le terme va être l'enjeu d'une véritable stratégie d'appropriation linguistique, où Cicéron joue un rôle majeur. Englobés dans les barbaroi pour les Grecs [38], les Romains n'ont de cesse de se démarquer des barbari (et de se rapprocher des Grecs) pour faire éclater l'opposition binaire Grecs vs Barbares en une opposition ternaire (ou binaire à trois termes [39]), les Grecs et les Romains vs les Barbares. Cicéron, dans les 93 occurrences de barbarus qui se répartissent dans son oeuvre, accentue les valeurs dépréciatives, allant jusqu'à en faire une insulte à propos des Gaulois [40]. Dans un processus identique à celui mis en oeuvre par les Grecs face aux Perses, il va s'efforcer de définir ce qui fait l'humanitas des Latins face aux caractéristiques barbares. Le barbarus devient ainsi l'antithèse du Romanus, aussi bien par sa sauvagerie, ou feritas [41], que par son incompétence, ou uanitas. Le terme de feritas englobe toutes les manifestations de la sauvagerie, comprise comme un excès de violence sous toutes ses formes : barbarus est alors synonyme de menace. La uanitas englobe toutes les marques de l'inconsistance, tout ce qui signale un manque, comme le prouvent les nombreux préfixes privatifs des épithètes synonymes : incapacité à se dominer (impotens, demens) ; manque de loyauté (infidus) ; ignorance et inculture, bêtise (ignarus, indoctus, stultus) ; impiété, superstition (impius) ; incapacité à observer une règle, un ordre (incautus, temerarius, discors) ; incompétence, en particulier militaire. Barbarus est alors synonyme de faiblesse. Le Romain, lui, est humanus face au barbarus qui est in-humanus.
[Plan]
III. Premier exemple : les barbari dans L'Histoire d'Alexandre le Grand de Quinte-Curce
Cette stratégie d'appropriation porte ses fruits et Quinte-Curce fournit, quelques années après l'époque de Cicéron [42], un exemple patent de sa réussite. Chez lui, « l'histoire frôle à tout instant le roman » [43], puisqu'« il a pour la rhétorique une complaisance fâcheuse » [44]. Dans ces conditions, le choix de barbarus doit être motivé au moins autant pour ses connotations que pour ce qu'il dénote [45]. Dans les huit livres conservés sur les dix qui constituaient L'Histoire d'Alexandre, Quinte-Curce fait un recours massif au terme barbarus [46], qui désigne tous les peuples auxquels est confronté le conquérant [47] : on recense 127 occurrences, soit l'équivalent de celles de César (61) et de Tite-Live (68) réunies [48]. Le sujet s'y prête incontestablement mais les chiffres restent importants, comparés aux emplois des autres historiens. La répartition entre les valeurs sémiques du terme est également significative : sur le total des occurrences, seulement 12% (15) correspondent à l'adjectif objectif sans sème afférent, 32% (41) activent le sème /caractérisé par la feritas/, alors que 56% (71) soulignent l'incompétence de l'ennemi par le sème /caractérisé par la uanitas/ [49].
Un passage de la bataille d'Issos, en 3, 11, 14-18, est révélateur de l'usage de l'historien. Au moment où les cavaliers thessaliens attaquent les Perses, Quinte-Curce propose trois occurrences successives de barbarus [50] :
in proelium redeunt sparsosque et incompositos uictoriae fiducia Barbaros ingenti caede prosternunt. Equi pariter equitesque Persarum, serie lamnarum graue agmen, ob id genus pugnae, quod celeritate maxime constat, aegre moliebantur [...]. Hac tam prospera pugna nuntiata Alexander non ante ausus persequi barbaros utrimque iam uictor instare fugientibus coepit. [...] Agebantur ergo a tam paucis pecorum modo, et idem metus, qui cogebat fugere, fugientes morabatur. At Graeci qui in Darei partibus steterant [...] haud sane fugientibus similes euaserant. Barbari longe diuersam fugam intenderunt
ils reviennent au combat et font un immense massacre des barbares [ = /ennemis/ /étrangers//incapables-de-juger-de-la-situation/] qui, dans leur assurance de gagner, étaient épars et en désordre. Les chevaux comme les cavaliers perses, formation alourdie par les plaques des cuirasses, s'adaptaient difficilement à ce genre de combat qui demande surtout de la rapidité [...]. À l'annonce de l'heureuse issue du combat, Alexandre qui n'avait pas osé auparavant poursuivre les barbares [ = /ennemis//étrangers//incapables-de-vaincre/], désormais vainqueur des deux côtés, se mit à talonner les fuyards. [...] Ils étaient donc chassés par une poignée d'hommes, comme du bétail, et la même crainte qui les poussait à fuir, retardait les fuyards. Mais les Grecs qui s'étaient placés du côté de Darius [...] s'étaient échappés sans faire du tout figure de fuyards. Les barbares [ = /ennemis//étrangers// incapables-de-vaincre/] prirent pour fuir des directions bien diverses (3, 11, 14-18).
Désordre des troupes ennemies, incapacité à évaluer la situation, armement et tactique inadaptés, assimilation à des bêtes, et fuite qui est plutôt déroute - comme l'indique l'insistance sur les termes du réseau lexical de la fuite, que nous avons soulignés dans le texte- : autant d'indications qui reviennent comme des leitmotiv tout au long des livres de l'historien. S'y ajoute ici la distinction avec les Grecs, qui, bien que traîtres et eux aussi défaits, gardent une certaine dignité.
Le statut du barbarus se modifie au fur et à mesure des conquêtes. D'abord « étranger », il devient du fait du projet conquérant d'Alexandre, un « étranger ennemi » : même si lui n'a pas d'intentions belliqueuses a priori, il est contraint soit de combattre Alexandre soit de se soumettre - choix fait par de nombreux peuples. Une fois conquis, ces « étrangers ennemis » deviennent des « étrangers (ennemis) soumis » (même s'ils conservent leur titre royal), combattant dans les rangs macédoniens aux côtés des autres nations précédemment dominées. Ils continuent toutefois à être désignés par le terme barbarus dans l'optique de Quinte-Curce : le même terme est employé pour désigner l'étranger quand il est ennemi et quand il ne l'est plus. Le rapprochement du discours d'Alexandre à deux moments du récit, aux livres 6 et 10, est à cet égard frappant. Face aux généraux désireux de faire demi-tour, dans le premier discours qu'il prononce pour les convaincre de poursuivre l'entreprise, Alexandre insiste sur la fragilité des conquêtes :
sed in nouo et, si uerum fateri uolumus, precario imperio adhuc iugum eius rigida ceruice subeuntibus barbaris tempore, milites, opus est, dum mitioribus ingeniis inbuuntur et efferatos melior consuetudo permulcet
mais dans un empire neuf et, si nous voulons reconnaître la vérité, précaire, les barbares [ = /ennemis//étrangers//violents/] subissent le joug encore en raidissant la nuque, et il faut du temps, soldats, jusqu'à ce qu'ils adoptent des dispositions plus douces et que des habitudes meilleures adoucissent leur sauvagerie (6, 3, 6).
Le général insiste sur la raideur de ces ennemis aux moeurs rudes, qui ne sont pas faciles à dominer, acceptant difficilement les contraintes d'un pouvoir imposé. Il développe la connexion métaphorique classique avec des « bêtes sauvages » (6, 3, 8) capturées mais non encore apprivoisées, dont on peut craindre la révolte, avant d'ajouter : « car eux, ils appartiennent à une même communauté, et nous, nous sommes d'une autre origine et venons de l'extérieur » (6, 3, 10) [51].
Au livre 10, 3-5, les dernières paroles prononcées par le conquérant sur son lit de mort proposent une vision totalement autre du rapport entre Macédoniens et étrangers. Le roi rend hommage au courage (fortes uiros), à la loyauté (fidem) de ces peuples d'Asie qu'il « a incorporés parmi (ses) soldats » (10, 3, 10) ; il insiste sur l'égale dignité des moeurs perses et macédoniennes, l'égalité « entre vaincu et vainqueur », pour conclure :
Asiae et Europae unum atque idem regnum est. […] inueteraui peregrinam nouitatem ; et ciues mei estis et milites.
Asie et Europe ne forment qu'un seul et même royaume. […] ; j'ai enraciné dans un passé votre nouveauté d'étranger ; et vous êtes mes concitoyens, mes soldats (10, 3, 13).
Par une oxymore (inueterare nouitatem) l'étrangeté (peregrinus) a été annihilée : le terme barbarus n'a plus à être employé.
Il réapparaît pourtant, en 10, 5, 9, dans un commentaire de l'auteur, qui reprend la distinction entre les Macédoniens et les autres :
Macedones pariter barbarique concurrunt ; nec poterant uicti a uictoribus in communi dolore discerni
tant Macédoniens que barbares [ = /étrangers/(/ennemis/)/vaincus/] accourent ; on ne pouvait distinguer, dans la peine partagée, les vaincus des vainqueurs.
La distinction semble annulée par le pariter : tous sont réunis dans la douleur devant la mort d'Alexandre. Or la scène de lamentations relève d'un topos rhétorique des declamationes [52] et l'opinion de l'historien sur l'adoption par le Macédonien des coutumes étrangères ne permet pas le doute. L'égalité prônée par Alexandre, en 10, 3, 14, entre les moeurs perses et macédoniennes qui « revêtent une teinte identique » [53] est loin d'être approuvée par ses troupes et Quinte-Curce la dénonce à son tour [54]. L'utilisation de barbarus est donc délibérée, elle s'inscrit non pas dans une allotopie qui désignerait les étrangers par barbari au moment où ils ne le sont plus, même momentanément dans des circonstances qui autorisent une parenthèse, mais, au contraire, cette occurrence permet de rappeler la hiérarchie qui subsiste entre les Macédoniens (ou Grecs ou Romains) et les barbares [55].
Il est permis alors de conclure que l'historien latin active la charge dépréciative de barbarus en confirmant l'appropriation linguistique de l'adjectif : l'objectif est ici purement politique, les victoires d'Alexandre offrent l'occasion de donner des barbares d'Orient une image négative. Ils ont été soumis de facto par le roi de Macédoine, ils le sont logiquement également par les Romains, dont l'Empire est la preuve de leur supériorité militaire et culturelle sur ces barbari « incapables-de-vaincre » [56].
[Plan]
IV. Deuxième exemple : les barbaroi dans L'Anabase d'Alexandre d'Arrien
La quatrième appropriation que nous examinerons est celle qu'opère Arrien dans L'Anabase d'Alexandre. Il n'est pas sûr que ce soit là une stratégie concertée, peut-être l'héritage des valeurs sémiques de l'usage devenu courant. Les fonctions de ce haut dignitaire de l'Empire dans l'armée de Trajan lui donnent une bonne connaissance des faits et techniques militaires. Étant donné la célébrité dont Arrien fait état dans le texte même [57], il est probable que L'Anabase a été écrite après son cursus romain, en tout cas postérieurement à l'ouvrage de Quinte-Curce.
Longtemps considéré comme plus fiable que la vulgate, le récit d'Arrien est revisité comme témoignant également de l'historiographie rhétorique de son temps ainsi que de l'appropriation romaine de l'histoire d' Alexandre [58]. Ce texte révèle, dans un effet de miroir, l'adhésion grecque aux valeurs romaines, en particulier à la théorie de la succession des empires au profit de Rome : l'Vrbs est devenue le relais privilégié de l'hellénisme [59], les Latins s'étant approprié tout ce qu'il y avait de bon partout où s'étend leur Empire. La célèbre leçon donnée par Arrien à Alexandre sur la façon de construire un pont selon les techniques romaines en est un premier exemple [60]. Les occurrences de barbaros en fournissent un second. Leur nombre est équivalent à celui de Quinte-Curce, dans un ouvrage de longueur comparable (sept livres) : 160 occurrences, dont 33 sans sème afférent (20%) et 127 (80%) avec un trait dévalorisant - 56 avec le sème /caractérisé par la feritas/ (35%), 71 avec le sème /caractérisé par la uanitas/ (45%). Les pourcentages sont du même ordre que chez Quinte-Curce (12%, 32% et 56%) : on peut dire que les valeurs dépréciatives que les Latins avaient accentuées dans barbarus ont en retour contaminé l'original grec [61]. L'image du barbaros rejoint celle du barbarus : désormais le « barbare » est d'abord et surtout « l'ennemi-étranger-incapable-de-vaincre ».
Nous nous contenterons de deux passages. En 7, 9, 3, à ses troupes lasses et désireuses de faire demi-tour, Alexandre rappelle l'oeuvre de son père qui a permis aux Macédoniens de s'helléniser et de se rendre maîtres des barbaroi :
autôn de ekeinôn tôn barbarôn, uph'ôn prosthen êgesthe kai epheresthe autoi te kai ta umetera, êgemonas katestêsen ek doulôn kai upêkoôn,
de ces barbares mêmes [ = /étrangers//ennemis//qui se croient forts mais sont incapables de vaincre/] par lesquels vous étiez auparavant dominés et qui vous razziaient, vous et vos biens, il vous a rendus maîtres, d'esclaves et de sujets que vous étiez.
De dangereux ils sont devenus soumis, de barbares caractérisés par leur feritas, ils sont devenus des ennemis vaincus, donc caractérisés par la uanitas.
Au chapitre suivant, après avoir insisté sur l'ampleur de ses conquêtes à lui, le conquérant présente comme un scandale absolu l'hypothèse du départ des Macédoniens :
paradontes phulassein tois nenikêmenois barbarois
le laissant sous la garde des Barbares [ = /étrangers//ennemis//incapables de vaincre/] vaincus » (7, 10, 7).
Contrairement à Quinte-Curce, Arrien ne rapporte aucune parole de fusion entre les peuples vaincus et les vainqueurs : la hiérarchie est un fait incontestable, il est inutile de faire croire qu'elle ait pu être occultée.
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Conclusion
Les indices textuels dont nous avons donné un aperçu concernant l'usage de barbarus chez Quinte-Curce et de barbaros chez Arrien révèlent que l'idéologie d'une civilisation mixte entre Barbares et Macédoniens est hors de propos. Ces textes parlent au pire d'une soumission, au mieux d'une assimilation, mais toujours en réaffirmant une hiérarchie entre les peuples. Nous trouvons là confirmation que les conquêtes d'Alexandre, pour les Romains ou les Grecs de l'Empire, sont bien plus que des « territoires rêvés » ou même des « rêves de territoires » : elles servent de référence à une stratégie d'appropriation territoriale et de domination [62] sur les barbares d'Orient [63]. Ces mêmes indices textuels témoignent de la réussite d'une appropriation lexicale. L'emprunt du vocable grec barbaros a permis aux Latins de construire leur espace, de concrétiser leur « rêve de territoire », c'est-à-dire de se situer face aux barbari (et aux Grecs) en consacrant les valeurs dépréciatives du terme [64]. Et ces valeurs en rejaillissant, par un effet de boomerang, sur les emplois de l'adjectif dans le grec qu'écrivent les « aristocrates grecs sous occupation romaine » [65], leur offrent un belle revanche du latin sur la langue grecque - autre « territoire rêvé » de l'intellectuel romain…
[Plan]
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[Plan]
[1] En témoigne la sortie, fin 2004, du film Alexander d'Oliver Stone ; pour la place du conquérant dans la littérature proche-orientale, voir HARF-LANCNER 1999. [Texte]
[2] Pour le bilan sur ces sources, voir GOUKOWSKY P., Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, livre 17, (CUF), p. XI-XXXI, et GOUKOWSKY 1978, p. 136-145. [Texte]
[3] Le premier a rédigé au 1er s. av. J.-C. une histoire universelle, La Bibliothèque historique, dont le livre 17 concerne l'expédition d'Alexandre ; le second a vécu sous Trajan et s'est intéressé à Alexandre dans les Vies parallèles (« Alexandre et César ») et dans les Oeuvres morales (« La Fortune ou la vertu d'Alexandre »). [Texte]
[4] Son oeuvre, de l'époque augustéenne, Les Philippiques, n'est connue que par l'abréviateur Justin (1er ou 2ème s. ap. J.-C.). [Texte]
[5] Les dates de cet auteur sont controversées, la période généralement retenue est celle de l'empereur Claude. [Texte]
[6] Originaire de Bithynie, haut dignitaire de l'Empire romain, il a participé aux campagnes de Trajan (peut-être à la guerre parthique en 114-117 ap. J.-C.), avant d'être envoyé par Hadrien comme propréteur en Cappadoce (131-137), province du limes menacée par les Sarmates, et de terminer sa vie comme archonte à Athènes (145-146). Voir VIDAL-NAQUET P., « Flavius Arrien entre deux mondes », in : SAVINEL 1984, p. 316-318. [Texte]
[7] Voir le tableau proposé par BOSWORTH A.B., « Arrian and the Alexander vulgate », in : REVERDIN 1976, p. 35, et MOSSE 2001, p. 214-215. [Texte]
[8] Voir MOSSE 2001, p. 215 : elle souligne également la partialité des sources, en particulier la dimension encomiastique présente chez Ptolémée, p. 209. [Texte]
[9] Voir BRIANT P., « Alexandre à Babylone : images grecques, images babyloniennes », in : HARF-LANCNER 1999, p. 26, qui dénonce l'image d'Alexandre « politiquement homogène et littérairement cohérente qui s'imposa et fut longtemps reçue presque sans critique par l'historiographie » (c'est nous qui soulignons). [Texte]
[10] Les linguistes tendent à minimiser, du point de vue des effets de style, l'écart entre le texte littéraire et le langage « ordinaire », KERBRAT-ORECCHIONI 1977, p. 200, RASTIER 1987, p. 211. [Texte]
[11] Voir PERNOT L., La rhétorique dans l'Antiquité, Paris, Librairie générale française, 2000, en particulier le Thesaurus p. 283. [Texte]
[12] Sur la valeur des « lectures » interprétatives des récits d'Alexandre, voir la perspective sémiologique de GARDIN J.C., « Les récits d'Alexandre et leurs commentaires, entre histoire et littérature », in : HARF-LANCNER 1999, p. 377-378. [Texte]
[13] Voir BRUNT 1965, p. 205, qui souligne la réussite de cet accomplissement, et BASLEZ 1994, p. 192. BRIANT, op. cit., p. 26-32, écorne l' « image sainte » du conquérant libérateur. [Texte]
[14] Sur la réalité de cette inscription, voir VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 353. [Texte]
[15] Sur l'ambition du conquérant, telle que la suggère Arrien (7,1,4) voir NARAIN A.K., « Alexander and India », Greece and Rome, 1965, 12(2), p. 155, et sur son hybris, BRUNT 1965, p. 209 ; sur la détermination de son projet, BASLEZ 1994, p. 195, GOUKOWSKY 1978, p. 66-68 ; sur l'influence des circonstances dans ses décisions, MOSSE 2001, p. 146. [Texte]
[16] Les Mèdes et les Perses détiennent toutes les hautes fonctions du pouvoir. BADIAN 1965, p. 170-178, qualifie le conquérant d' « empirique, adaptable, même opportuniste » (« empirical, adaptable, even opportunist ») et souligne son absence de « dogmatisme politique » (« political dogmatism »). [Texte]
[17] Diodore en 17, 2 fait référence à l'acte de ficher sur la terre conquise sa sarisse qui, dans le droit macédonien, a valeur juridique d'appropriation de cette chôra basilikê, voir GOUKOWSKY, op. cit., ad loc., note p. 28. [Texte]
[18] Voir BASLEZ 1994, p. 198-199, PREAUX 1978, p. 183 et p. 550, et sur l'influence du « moule perse », GOUKOWSKY 1978, p. 30-32. [Texte]
[19] Voir SCHACHERMEYER F., « Alexander und die unterworfenen Nationen », in : REVERDIN 1976, p. 80-85. GOUKOWSKY 1978, p. 276 souligne l'efficacité militaire d'une politique de bienfaits plutôt que de mépris qui risquerait d'inciter à un soulèvement général. [Texte]
[20] PEREMANS W., « Égyptiens et étrangers dans l'Égypte ptolémaïque », in : SCHWABL 1962, p. 129, rappelle que selon Plutarque Alexandre se croyait le « rassembleur de tous », comme pour Strabon (1,4,9). BALDRY H.C., « The idea of the unity of mankind », in : SCHWABL 1962, p. 182, insiste sur le fait que malgré tout ce qu'a accompli Alexandre en matière d'ouverture vers d'autres civilisations reconnues comme telles, « the vast majority of the Greeks at home turned their backs on him and his achievements », « la majorité des Grecs en Grèce ne l'ont pas suivi non plus que ses réalisations ». Sur le regard dépréciatif de Plutarque, voir SCHMIDT T.S., Plutarque et les barbares, Louvain, Peeters, 1999, 374 p.v [Texte]
[21] Voir GATIER P.L., « Évolutions culturelles dans les sociétés du Proche-Orient syrien à l'époque hellénistique », in : PROST 2003, p. 100, VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 378, qui parle de « cercles concentriques », BRIANT 1982, p. 83 et p. 97, PREAUX 1978, p. 550, GOUKOWSKY 1978, p. 44 et p. 58-60, après BADIAN 1965, p. 179 et BRADFORD WELLES C., « Alexander's historical achievements », Greece and Rome, 1965, 12(2), p. 218. [Texte]
[22] VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 332. [Texte]
[23] Nous renvoyons à VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 332-343 ; voir également MOSSE 2001, p. 210-212, et SUARD 2001, p. 146-147. KAPPLER C., « Images et signes d' "un haut dessein" », in : HARF-LANCNER 1999, p. 384, évoque les nombreuses « récupérations » et « instrumentalisations ». Sur les représentations romaines d'un Alexandre « surhumain » (« superhuman »), voir BIEBER M., « The portraits of Alexander », Greece and Rome, 1965, 12(2), p. 188. [Texte]
[24] CEAUCESCU 1974, p. 167-168, conclut que cette double image « est liée aux rapports de Rome avec l'Orient ». [Texte]
[25] SUARD 2001, p. 142, parle de « persisation ». [Texte]
[26] Voir GOUKOWSKY 1978, p. 47-50, qui analyse « l'affaire de la poskynèse », et AUSTIN 1981, p. 23. [Texte]
[27] VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 341. [Texte]
[28] PAYEN P., « Dictionnaire Plutarque », in : HARTOG F., Plutarque, Vies parallèles, Paris, Gallimard, 2001, p. 1949. [Texte]
[29] Déjà Cicéron, dans La République, 2, 32-33, avait fait ressortir la prééminence de la ciuitas latine sur la polis grecque ; les structures impériales de la « super-puissance » romaine ont renforcé et élargi cette hiérarchie, ne serait-ce que par la défaite de facto des systèmes politiques des pays conquis, voir FERRARY J.L., « Rome et les monarchies hellénistiques dans l'Orient méditerranéen », in : PROST 2003, p. 409-410. Sur la diffusion du modèle culturel romain, voir GAUDEMET 1985, p. 128-130. [Texte]
[30] Sauf les pérégrins déditices. [Texte]
[31] Pour BRUNT 1965, p. 215, les Romains ont réalisé l'héritage d'Alexandre ; sur les différences entre Rome et les monarchies hellénistiques, voir GAUDEMET 1985, p. 133-143. Sur Caracalla philanlexandrotatos, voir CEAUCESCU 1974, p. 166-167. [Texte]
[32] Sur l'opposition Grecs/Barbares, voir l'analyse complète et synthétique de DUBUISSON M., « Barbares et barbarie dans le monde gréco-romain : du concept au slogan », Antiquité Classique, 2001, 70, p. 1-8. [Texte]
[33] HARTOG F., Le miroir d'Hérodote, essai sur la représentation de l'autre, Paris, Gallimard, 1991, p. 64-65. [Texte]
[34] CASEVITZ M., « Hellenismos, Formation et fonction des verbes en &emdash;izo et de leurs dérivés », in : SAID S., Hellenismos, New York-Leiden, Brill, 1991, p. 16. [Texte]
[35] Voir BALDRY, op. cit., p. 174, et p. 201. Sur la « double image du barbare » et ses contradictions, voir WEIL R., « Sur la notion de barbare en Grèce classique », in : LARES M., Colloque de Paris XIII, 1982, Villetaneuse, Annales du CESERE, 1982, 5, p. 4-10. [Texte]
[36] Il est philobarbaros pour Plutarque (Sur la malignité d'Hérodote, 857a). L'historien est prêt, selon DILLER H., « Die Hellenen-Barbaren-Antithese im Zeitalter des Perserkriege », in : SCHWABL 1962, p. 62, « à comprendre […] l'incompréhensible, le monde barbare », « Bereit […] das Unverständliche, die Barbarenwelt, zu verstehen ». Voir aussi ROMILLY (de) J., « Introduction », in : BARGUET A., ROUSSEL D., Historiens grecs, Hérodote, Thucydide, Paris, Gallimard, 1964, p. 13. LEGRAND P.E. (CUF), p. 95-113, nuance la sincérité de cette barbarophilie qui comporterait « une part de pédantisme », les érudits se plaisant à dénigrer les opinions courantes de leurs congénères pour marquer leur supériorité. [Texte]
[37] Par exemple Antiphon : « Aucun de nous n'a été distingué à l'origine comme Barbare ou comme Grec : tous nous respirons l'air par la bouche et par les narines », trad. GERNET L. (CUF), fr. 5. PREAUX 1978, p. 547, souligne que cette idée est moquée par le public au théâtre. [Texte]
[38] Encore chez Polybe, 9, 38, 5. [Texte]
[39] Selon FREYBURGER G., « Le mot barbarus dans l'oeuvre de Cicéron », in : ADLCS (Association des professeurs de lettres classiques au Sénégal), Mélanges offerts à L.S. Senghor, Dakar, Les Nouvelles Éditions Africaines, 1977, p. 150. [Texte]
[40] Par exemple dans le Pro Fonteio, 4, 23, 31 ou 33. [Texte]
[41] Nous reprenons la distinction feritas / uanitas établie par DAUGE Y.A., Le Barbare, Recherches sur la conception romaine de la barbarie et de la civilisation, Bruxelles, Latomus, 1981, p. 413-466 - tout en en modifiant l'application, voir NDIAYE E., Un nom de l'étranger : Barbarus. Étude lexico-sémantique, en latin, des origines à Juvénal, Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2003, p. 19-21. [Texte]
[42] Sur l'équilinguisme (utraque lingua) établi dès Auguste, voir ROCHETTE B., Le latin dans le monde grec, Bruxelles, Latomus, 1997, p. 337. [Texte]
[43] MARTIN R., GAILLARD J., Les genres littéraires à Rome, Paris, Nathan-Scodel, 1990, p. 129. [Texte]
[44] BAYET J., Littérature latine, Paris, A. Colin, 1965, p. 314. [Texte]
[45] Les occurrences sémantiques varient, selon l'actualisation, la virtualisation ou l'addition de tel ou tel trait sémique. Les différents sèmes que peut inclure le mot barbarus dans les emplois qui nous intéressent ici sont les suivants : /animé//humain//étranger qui parle une langue qu'on ne comprend pas, qui n'est ni grec ni romain//non résident à Rome ni Athènes// sans statut institutionnel/ + /ennemi/ + / caractérisé par la feritas/ ou / caractérisé par la uanitas/. Pour l'exposé de l'ensemble des sèmes du vocable, voir NDIAYE 2003, p. 21-27. [Texte]
[46] Le traducteur BARDON H. (CUF) utilise la plupart du temps la majuscule pour rendre l'adjectif substantivé par « les Barbares », sans que cela soit systématique. [Texte]
[47] Les notes de BARDON H. (CUF) ad loc. signalent les nombreuses erreurs dans la dénomination des peuples, ce qui limite la portée ethnographique du texte : le terme barbarus devient une sorte d'étiquette générale donc vague. [Texte]
[48] Sur un total de 722, pour la période qui va des origines au 2ème s. ap. J.-C., cela représente 18% pour ce seul auteur, proportion unique. [Texte]
[49] Pour une analyse détaillée de toutes les occurrences chez Quinte-Curce, voir NDIAYE, op. cit., p. 158-171, p. 333-351 et p. 430-435. [Texte]
[50] Nous conservons la traduction par « barbare » en ajoutant entre crochets les valeurs sémiques activées dans chaque occurrence. [Texte]
[51] illi enim eiusdem nationis sunt, nos alienigenae et externi. [Texte]
[52] Voir CIZEK 1995, p. 211. [Texte]
[53] eundem ducunt colorem. [Texte]
[54] Voir CIZEK 1995, p. 210. Sur l'aspect moralisateur du texte de Quinte-Curce, voir THERASSE 1973, p. 44-45. [Texte]
[55] BRUNT 1965, p. 213, souligne qu'Alexandre n'a jamais pensé à son Empire « comme étant autre que fondamentalement hellénique » (« as being other than fondamentally Hellenic ») ; CIZEK 1995, p. 210 présente Alexandre comme un « vainqueur absolu ». [Texte]
[56] Seuls les Parthes restent invaincus. Si Quinte-Curce a bien vécu sous le règne de Claude, qui soumettra les Bretons en 44 ap. J.-C., la proportion de barbarus avec le sème uanitas se justifie. [Texte]
[57] Voir 1, 12, 4-5, et VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 320. [Texte]
[58] Nous reprenons VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 333-335, qui, à propos du rapport de Rome avec la culture grecque dans l'Empire, parle d'une « double naturalisation » ; PAYEN, op. cit., p. 1949 emploie le terme d' « acculturation ». [Texte]
[59] Voir PAYEN, op. cit., p. 1950, HUMBERT S., « Plutarque, Alexandre et l'hellénisme », in : SAID S., Hellenismos, New York-Leiden, Brill, 1991, p. 177-180. [Texte]
[60] Arrien, 5, 7, 1-8. [Texte]
[61] Le bilinguisme d'Arrien est un facteur sans doute décisif dans cette contamination, voir ROCHETTE 1997, p. 104, p.254-255 et p. 331. [Texte]
[62] Ce qui n'exclut pas des cas individuels d'intégration de barbares hellénisés, PREAUX 1978, p. 550. [Texte]
[63] La question est envisagée différemment pour les barbares d'Occident, voir ENGEL J.M., Tacite et l'étude du comportement collectif, Lille III, Service de reproduction des thèses, 1972, p. 315-325. [Texte]
[64] Les occurrences objectives sont très peu nombreuses en latin, dans la période considérée ici, des origines au 2e s. ap. J.-C. Pour les périodes ultérieures, voir CHAUVOT A., Opinions romaines face aux barbares au IVe s. ap. J.-C., Paris, De Boccard, 1998, 525 p. et INGLEBERT H., « Citoyenneté romaine, romanités et identités romaines sous l'Empire », in : INGLEBERT H., Idéologies et valeurs civiques dans le monde romain. Hommage à Claude Lepelley, Paris, Picard, 2002, p. 241-260. [Texte]
[65] Nous transférons le titre de BOULOGNE J., Plutarque, un aristocrate grec sous l'occupation romaine, Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires de Lille, 1994, 221 p. On pourrait dire d'Arrien ce que PERNOT L., Éloges grecs de Rome, Paris, les Belles Lettres, 1997, p. 52, note d'Aristide, représentatif du « notable de l'Orient grec, dépourvu de toute trace de ressentiment envers Rome, satisfait au contraire de l'ordre qui s'est instauré et auquel il est associé ». [Texte]
FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 9 - janvier-juin 2005