FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 8 - juillet-décembre 2004


Les métamorphoses du phénix

dans le christianisme ancien

par

Paul-Augustin Deproost

Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve)

<deproost@egla.ucl.ac.be>


On trouvera ci-dessous  le texte d'une communication de Paul-Augustin Deproost prononcée lors des Deuxièmes Journées universitaires de Hérisson consacrées à « L'oiseau entre ciel et terre » (Colloque international organisé du 17 au 20 juin 2004 par les Cahiers Kubaba [Université de Paris1-Panthéon/Sorbonne] et la ville de Hérisson). Ce texte est proposé en pre-print dans l'attente de la publication imprimée dans les actes du colloque.

[Note de l'éditeur - 31 octobre  2004]


Plan


Introduction

« Sous le consulat de Paulus Fabius et de Lucius Vitellius, après une longue période de siècles, arriva en Égypte l'oiseau phénix »[1]. En évoquant incidemment cette rumeur au livre VI de ses Annales, l'historien Tacite n'avait certainement pas l'intention d'ouvrir un débat sur les résonances symboliques ou théologiques du mythe de l'oiseau phénix. Tout au plus, après en avoir résumé les principales données légendaires, se permet-il quelque perplexité eu égard à la date de l'événement qui ne correspond à aucun décompte traditionnel, sans douter un seul instant que cet oiseau apparaisse parfois en Égypte. Et pourtant, l'arrivée d'un phénix à cette date est peut-être au point de départ d'une des relectures les plus spectaculaires d'un mythe antique dans la spiritualité chrétienne. Les deux consuls ont, en effet, exercé leur charge vers la fin du règne de Tibère, précisément durant l'année 34, ce qui situe le retour du phénix en Égypte peu de temps après la vie de Jésus et les événéments qui ont marqué les débuts de l'Église, induisant ainsi une coïncidence troublante entre la renaissance du phénix et le temps de la résurrection du Christ qui inaugure une nouvelle ère dans l'histoire du salut. Dès cet instant, l'oiseau fabuleux se prête à une réception chrétienne qui en renouvelle complètement l'interprétation et, fait plus inattendu, qui enrichit aussi massivement la documentation relative à la tradition mythique désormais intégrée à l'argumentaire apologétique chrétien.

 

A. L'oiseau unique

Sans compter les variations qui affectent la typologie de l'oiseau « né de lui-même » dans les mythologies orientales, le phénix apparaît pour la première fois sous son nom grec dans un fragment du poète Hésiode où il occupe une place intermédiaire entre le corbeau et les nymphes dans l'ordre de la longévité : « La corneille babillarde vit neuf générations d'hommes florissants de jeunesse ; le cerf vit quatre fois plus que la corneille ; le corbeau vieillit pendant trois âges de cerf ; le phénix vit neuf âges du corbeau et nous vivons dix âges de phénix, nous, Nymphes aux beaux cheveux, filles de Zeus armé de l'égide[2]. » Cette première énigme chiffrée met en évidence, à l'interface du monde animal et des divinités inférieures, un des thèmes majeurs de la légende : la longévité du phénix, comptabilisée en termes de générations, qui semble induire un processus périodique et donc un temps cyclique, lié à l'idée d'un éternel recommencement.

Au VIe siècle avant Jésus-Christ, Hérodote localise le mythe en Égypte, lorsque l'oiseau revient tous les cinq cents ans dans la ville d'Héliopolis, faisant ainsi valoir ses affinités avec le culte et le symbolisme attachés à l'astre solaire qui marque le déroulement des cycles du temps. Sans évoquer encore le mystère de sa naissance et son unicité, Hérodote raconte que, lorsque son père est mort, le jeune oiseau quitte son pays d'origine, l'Arabie, pour rapporter dans le sanctuaire du Soleil la dépouille paternelle enfermée dans un œuf de myrrhe, soit une sorte d'embaumement dans une enveloppe de parfums où l'on reconnaît les pratiques égyptiennes relatives aux funérailles de l'oiseau bennu[3].

Au terme d'une évolution dont il serait trop long d'évoquer ici les détails, le mythe antique reconnaît finalement au phénix le privilège d'être un oiseau « unique » — unica semper auis ou una ales, disent Ovide et Lactance —, ou mieux encore un oiseau « unique en son genre », un oiseau « monogène » selon l'expression de Clément de Rome qui, en ce premier emploi chrétien du mythe à la fin du premier siècle, le connote déjà d'un titre christologique attesté dès l'évangile de Jean et appelé à connaître la diffusion que l'on sait dans les controverses théologiques relatives à la personne du Christ[4]. Le phénix est effectivement un oiseau d'abord « singulier », au point que, dans l'épure du mythe qu'en dresse Isidore de Séville, ce trait serait même à l'origine de son nom, car « les Arabes nomment "phénix" ce qui est singulier »[5]. Puisqu'il n'y a jamais qu'un seul phénix en vie, cet oiseau est, dès lors, capable de se reproduire sans aucun rapport sexuel, et, à ce titre, il est un modèle absolu de la sainteté solitaire notamment encouragée dans les traités sur la virginité, parmi lesquels précisément un De singularitate clericorum écrit au IIIe ou au IVe siècle par un pseudo-Cyprien. Unique, immortel et engendré de lui-même, le phénix est un être qui devient ce qu'il est, qui est en même temps son père et son fils, perpétuellement vierge, prêt à figurer la théologie chrétienne de la génération divine, la foi en la résurrection et l'idéal ascétique de la virginité consacrée. Enfin, lorsqu'il entreprend son voyage vers Héliopolis pour y honorer la dépouille de son père, le nouveau phénix est habituellement escorté d'une foule d'autres oiseaux, joyeux et recueillis, dont Lactance dit qu'ils ont perdu le souvenir de la chasse et qu'ils n'ont plus peur, comme en un rite de consensus qui accompagne l'avènement d'un nouveau souverain ou comme en une figure eschatologique de la paix retrouvée parmi les animaux[6].

Si les auteurs s'accordent généralement pour entourer le rituel palingénésique d'aromates rares, multiples et variés, les modalités de l'opération hésitent entre la crémation de l'oiseau sur un nid parfumé et sa renaissance à partir d'un ver né du corps putréfié de son père. En citant le savant sénateur romain Manilius qui, au premier siècle avant Jésus-Christ, avait consacré une monographie au phénix, Pline l'Ancien rapporte que l'oiseau meurt effectivement sur un lit de parfums et qu'un ver naît de ses restes pour former un nouvel animal ; cette tradition est bientôt relayée par Clément de Rome dans la première attestation chrétienne du mythe comme symbole de la résurrection[7]. En revanche, la tradition gréco-latine n'atteste que tardivement l'épisode de la combustion du phénix qui, nonobstant la croyance égyptienne dans l'embrasement quotidien du bennu, semble être un motif juif et chrétien. Dans l'Apocalypse du Pseudo-Baruch, composée en grec au IIe siècle de notre ère et dont les chapitres 6 à 8 constituent la plus longue description en prose de l'oiseau merveilleux, le phénix porte le secret de sa naissance sur ses ailes : « Ni la terre ne m'engendre ni le ciel : ce sont les ailes du feu qui m'engendrent[8]. » Cela étant, ce phénix juif ne meurt pas ; c'est un oiseau immense qui accompagne le soleil dans sa course pour en recevoir les rayons enflammés et protéger ainsi les hommes d'un échauffement extrême à l'ombre de ses ailes, comme en écho à l'invocation du psaume 16 : « Sub umbra alarum tuarum protege me[9]. » À l'extrême fin du IVe siècle, le phénix du poète Claudien, affaibli par l'âge et la construction de son bûcher, supplie le soleil de lui donner « le feu qui lui rendra ses forces »[10].

Mais dès le IIe siècle, le Physiologus grec, d'inspiration chrétienne, mêle les deux modes de reproduction dans un processus où le ver surgit des cendres de l'oiseau défunt. Dans son poème Sur l'oiseau phénix, Lactance ajoute que la nature a humidifié et condensé ces cendres avant d'y insuffler un germe pour les féconder et engendrer un nouvel être. La renaissance de l'oiseau illustre, de cette manière, une théorie ancienne de la création que Lactance lui-même a développée au livre II de ses Institutions divines, lorsqu'il explique, à la suite d'Ovide, que les embryons tirent leur vie d'un « accord discordant » entre les principes fondamentaux de la chaleur et de l'humidité[11]. À l'extrême fin du Ve siècle, pour décrire le spectacle de la première couvée dans le paradis terrestre, le poète africain Dracontius s'inspire de la même théorie : « Alors que la discorde règne entre l'eau et le feu s'ils sont réunis, ces éléments s'accordent pour faire éclore de nouvelles vies ; l'eau crée les oiseaux, le feu produit les oiseaux », où le poète réconcilie l'injonction divine « Producant aquae uolatile » et l'expérience naturelle de l'éclosion des œufs sous l'effet de la chaleur ; au passage, on notera que Dracontius déplace le verbe biblique « producere » sur le sujet « flamma », laissant peut-être entendre qu'il compte bien le phénix parmi les premiers oisillons du paradis[12].

Car c'est bien le feu qui donne toute sa cohérence à la naissance de l'oiseau : à la fois liée à la chaleur de la décomposition, qui réalise ce que Claude Levi-Strauss appellerait le versant « cru » du phénomène, et à la sécheresse des aromates ou parfums à brûler, qui en réalise le versant « cuit », la flamme s'impose comme la médiation capable d'unifier les deux termes contradictoires d'un mouvement unique : l'humide et le sec, la pourriture et le parfum, la mort et la vie à l'intérieur d'un même être[13]. Cela dit, le Pseudo-Baruch associe les deux versants indépendamment du feu régénérateur, car l'oiseau produit lui-même un excrément, qui n'est autre que le ver de la tradition antique, et cet excrément produit à son tour le cinnamome, un des aromates les plus souvent cités dans le mythe pour embraser le bûcher du phénix, inversant ainsi l'ordre des transformations de l'humide vers le sec[14].

Habituellement, ce schéma est immédiat : les textes ne signalent aucun intervalle entre la combustion et la renaissance du phénix. Tout au plus, chez Claudien, « le feu sépare-t-il un court instant les confins de cette double vie »[15]. Pour autant, la régénération n'exclut pas certaines étapes dans l'achèvement du processus. Les différentes versions du Physiologus les répartissent sur trois jours où le ver est successivement découvert par un prêtre du Soleil, acquiert des ailes pour former un oisillon et devient finalement l'oiseau qu'il était auparavant. Inspiré par la théorie juive selon laquelle tout retour à la vie est impossible pour un cadavre de trois jours, ce délai permet aussi à la tradition chrétienne de filigraner l'expérience du phénix de sa foi dans le Christ « ressuscité le troisième jour ».

 

B. L'oiseau rené

Car, très tôt, le phénix a été reçu dans le christianisme comme une figure éminente de la résurrection, celle de Jésus, mais aussi la résurrection personnelle de chaque homme. Dès la fin du premier siècle, Clément de Rome évoque le mythe en ce sens dans sa première Épître aux Corinthiens ; il en ignore encore le mode de reproduction par le feu, mais il connaît l'unicité de l'oiseau, le ver du phénix, ses liens avec l'Arabie et la ville égyptienne d'Héliopolis, et le cycle des cinq cents ans[16]. Chez Tertullien, le mythe est tout entier centré sur le paradoxe de son adynaton pour exprimer la « merveille » de la résurrection : « Je veux parler de cet oiseau extraordinaire de l'orient, fameux par son unicité, merveilleux par sa postérité, qui, procédant spontanément à ses funérailles, se renouvelle lui-même, dans une fin qui est une naissance décédant et se succédant, de nouveau phénix là où il n'y avait plus personne, de nouveau lui-même, lui qui n'était plus, un autre, le même. Qu'y a-t-il de plus expressif et de plus éclatant en cette matière ou pour quelle autre réalité une telle preuve ? Dieu, en effet, a dit dans ses écritures : Car tu fleuriras comme un phénix, c'est-à-dire de la mort, du cadavre, pour que tu croies que du feu aussi peut surgir la substance du corps[17] ». Là où les versions latines du psaume 91 imposeront finalement la traduction « palma » désignant ainsi le palmier, homonyme grec de l'oiseau fabuleux, Tertullien lit encore un texte qui latinise le phoînix de la Septante, et qui lui permet d'authentifier le symbole mythique dans une citation biblique pour appuyer sa foi dans la résurrection.

La démonstration de Tertullien n'est pas seulement un lieu rhétorique : elle radicalise l'épisode central de la renaissance de l'oiseau dans un jeu dialectique du même au même, qui singularise la transformation du phénix parmi les mythes de métamorphose, fondés, au contraire, sur le passage de l'autre à l'autre. La créature issue de ce processus est moins « un autre » ou « un nouveau » phénix que « le même » phénix, qui, pour autant, n'est pas non plus l'ancien. « Il est certes lui-même, mais non pas le même ; il est le même, mais non pas lui-même », dit Lactance, avant de conclure son poème sur un vers qui fixe cette dialectique sur celle de la vie et de la mort : « Il conquiert la vie éternelle par le bienfait de la mort. » Après qu'Ovide eut souligné que le phénix tire de lui-même le principe qui le fait renaître, l'identité personnelle de l'oiseau mort et de son successeur vivant est au cœur du mythe, encourageant les chrétiens à interpréter le symbole fabuleux comme le prototype parfaitement unifié du Christ ressuscité[18]. L'oiseau « monogène » ne l'est plus seulement parce qu'il est unique ni même parce qu'il est issu d'une génération particulière qui le met en dehors de l'ordre des créatures ; il l'est aussi parce que, parfaitement un, il a supprimé en lui toute division et toute altérité au point d'effacer la frontière entre la vie et la mort pour réaliser lui-même sa propre renaissance. Du reste, si le phénix figure le Christ dans sa résurrection, il partage déjà avec lui l'engagement de sa passion volontaire, jusque dans cette audacieuse appétence qui précède le « plaisir » de la souffrance ou de la mort chez Tertullien et Lactance, jusque dans l'acte, également, de « recommander son esprit », où le phénix de Lactance adresse aux parfums la dernière parole du Christ en croix à son Père[19].

Figure de la résurrection du Christ, le phénix annonce aussi celle des saints à la fin des temps. « Son exemple nous montre », dit le poète Commodien, « qu'il est possible de se relever après la mort… Le temps viendra, pour les défunts, de vivre à nouveau[20] ». Dans un développement sur les preuves de la résurrection, Dracontius précise encore que « Dieu renouvelle par le feu la jeunesse achevée du phénix » dont « la vieillesse consumée sort du tombeau dans la force de l'âge »[21]. Le mythe est ici totalement christianisé, puisque Dieu lui-même en est l'initiateur ; d'autre part, il n'est plus question d'excrément, de vermisseau ni d'oisillon, mais d'une renaissance à l'âge adulte qui semble faire écho à la théorie augustinienne de l'âge et de la perfection physique des corps ressuscités[22]. L'iconographie chrétienne confirme, enfin, le symbole de la résurrection quand elle représente notamment un phénix parmi d'autres oiseaux au sommet d'une frise qui entoure la croix placée au centre d'un ciel étoilé[23].

Accessoirement sans doute, le phénix pourrait avoir aussi inspiré les poètes chrétiens lorsqu'ils paraphrasent certains miracles de résurrection. En particulier, dans la première moitié du Ve siècle, Sédulius termine ainsi le récit de la résurrection de Lazare, non sans quelque préciosité dont il est coutumier : « Alors que l'âme rampe à travers ses propres moelles, le cadavre vivant apparaît debout devant les yeux. Et, comme recréé après les honneurs du tombeau, le mort lui-même se dresse, à la fois posthume et héritier de soi[24]. » Après une transparente allusion à un phénomène de renaissance, le dernier vers semble recouper ici à la fois le mouvement poétique et le vocabulaire d'un des derniers vers du poème de Lactance sur le phénix : « Lui-même son propre rejeton, il est son père et son héritier[25]. » Les deux poètes soulignent à la fois l'identité de celui qui renaît, dans la rencontre des mêmes pronoms en tête de vers, et sa qualité paradoxale d'héritier de lui-même, dans l'heres du dernier pied, que Claudien reconnaît aussi, du reste, à son phénix[26]. Quant à l'énigmatique postumus qui se trouve au centre du vers de Sédulius, il faut peut-être le comprendre dans son sens technique et juridique « né après la mort du père », qui serait une manière cryptée de calquer la résurrection de Lazare sur le mode de la parenté paradoxale du phénix, en même temps père et fils de lui-même. On a pu, enfin, observer que le retour de la vie dans les moelles de Lazare s'inspirait formellement d'une scène de nécromancie pratiquée par la sorcière Érictho dans la Pharsale de Lucain ; mais, pour notre propos, on serait aussi tenté d'y voir une allusion à la croyance ancienne en la renaissance spontanée des corps putréfiés, dont Ovide explique qu'elle se produit précisément par le biais des moelles, avant d'évoquer le mythe du phénix[27]. Cela étant, il faudrait bien sûr établir un inventaire plus complet et plus précis de ces paraphrases poétiques de résurrections pour conclure à un transfert typologique de l'expérience du phénix sur les corps ressuscités dans le Nouveau Testament.

 

C. L'oiseau cyclique

Dès l'antiquité, les traditions sont loin de s'accorder sur la périodicité des renaissances du phénix. Le Pseudo-Baruch évoque un affaiblissement quotidien de l'oiseau : après avoir retenu, tout le jour, les rayons du soleil, il se repose, la nuit, sans qu'il soit cependant l'objet d'une renouatio ; mais avant cela, le voyant avait entendu, au levant, les anges ouvrir les trois cent soixante-cinq portes du ciel pour laisser passer le quadrige de l'astre, liant ainsi le phénix à la mesure quotidienne et annuelle des cycles solaires. Les scholies d'Aristide disent que le phénix brûle chaque année en Égypte le cadavre de son père[28]. Les cinq siècles d'Hérodote sont la version la plus généralement admise[29]. Manilius, cité par Pline, accorde à l'oiseau une longévité de 540 ans, en lien avec la révolution sidérale de la Grande Année[30]. Tout en ne se prononçant sur aucune hypothèse, Tacite retient les cinq cents ans de la vulgate du mythe et un intervalle de mille quatre cent soixante et une années, qui correspond à une période bien connue du calendrier égyptien[31].

Un autre cycle nous intéresse plus directement ici. Ailleurs dans son Histoire naturelle, Pline connaît, en effet, la tradition d'un oiseau millénaire, à laquelle il n'accorde, du reste, aucun crédit[32]. Cette version est confirmée plus tard notamment par Lactance ; et Claudien associe même cette longévité au cycle saisonnier : « Quand le long été a mille fois fait tourner son cours et que les hivers ont, autant de fois, précipité le leur, quand mille fois le printemps, revenu à son tour, a rendu aux paysans l'ombre que l'automne leur a ravie, alors, sous le poids de multiples années, il succombe enfin, épuisé par le nombre de lustres[33]. » Cette croyance est, bien sûr, liée à l'apocalyptique millénariste des premiers siècles chrétiens, notamment professée par Lactance au livre VII de ses Institutions divines. Le cycle vital du phénix est l'image des « mille ans de bonheur » qui doivent réunir sur terre le Christ et les fidèles ressuscités avant l'ultime sursaut de l'impiété et la séparation définitive du Jugement dernier. Le phénix s'inscrit dès lors résolument dans l'ère messianique où les justes « vivront de nouveau » mille ans en un nouveau « paradis terrestre » qui doit anticiper le paradis eschatologique, l'oiseau incarnant dans le monde les « mille ans qui sont dans le paradis », selon la formule d'un texte gnostique copte étudié par Michel Tardieu[34].

 

D. L'oiseau du temps et de ses au-delà

Non sans quelque emphase amusée, Ovide a déjà pressenti les attaches du phénix avec le monde de l'au-delà lorsqu'il l'inclut dans le paradis des « oiseaux pieux » qui accueille le perroquet défunt de Corinne[35]. Lactance est cependant le premier auteur qui décrit un peu longuement le lieu où habite le phénix quand il n'est pas occupé à l'œuvre de sa renaissance. Et il s'agit bien d'un lieu de délices, d'un monde inaccessible, installé sur un haut-plateau au-delà de tout horizon, au-delà de toute hauteur, étranger au mal, aux intempéries, au déchaînement des éléments, un monde sacré dont l'oiseau est le prêtre et le gardien dans le bosquet vivace et ombragé du Soleil. Ce séjour est en Orient dans un « lieu fortuné », dont Jacques Fontaine a montré qu'il synthétise, en préliminaire à de possibles allusions bibliques, les « états de l'âme » des grands poètes classiques confrontés au mystère de l'au-delà et de ses lieux d'éternité[36].

« Est locus in primo felix oriente remotus ». L'attaque épique et virgilienne du poème situe d'emblée le paradis du phénix à l'endroit du « premier orient », qui est aussi, dans les Géorgiques de Virgile, celui du « soleil levant » ; mais il est un espace de transcendance plus italique que biblique, car il combine l'heureuse fertilité des sols virgiliens et la douceur, notamment cicéronienne, des lieux de retraite, où l'homme se repose des agitations de la cité. « La grande porte du ciel » s'ouvre ensuite sur ce paradis, en un remaniement direct de l'épitaphe composée par le vieux poète Ennius à l'intention de Scipion l'Africain, comme pour confirmer que la résidence de l'oiseau fabuleux inclut bien les espérances d'un au-delà bienheureux. Le relief de ce lieu est celui des « plaines découvertes » qui, chez Virgile ou Ovide, ignorent les accidents montagneux ou les vallées encaissées ; sa météorologie, celle d'un éternel printemps dont jouissent tous les pays merveilleux depuis les jardins d'Alcinoos dans l'Odyssée jusqu'à la Chine ou l'Inde d'Ammien Marcellin. L'endroit est aussi à l'abri des corruptions physiques et morales, de toutes les peurs, les souffrances, les deuils et les morts, en un centonage qui réorganise, pour en souligner l'absence, la théorie des chimères postées à l'entrée des enfers virgiliens ; ici encore, le point de comparaison est un au-delà antique réinvesti positivement dans le monde délicieux du phénix. Du reste, quand il sent venir l'heure de renaître, le phénix doit quitter ce « paradis » qui ne connaît pas les turbulences de la génération et de la mort, pour rejoindre « notre monde où la mort tient son royaume » ; selon Lactance, il s'agit de la Syrie, « qui reçut de l'oiseau son nom de Phénicie », dans une « forêt qui cache en ses ravins un bois plein de mystère », soit un lieu accidenté et sombre qui contraste avec le paysage ouvert et ensoleillé du paradis délaissé pour un temps[37].

Enfin jaillit au milieu du jardin une source d'eau vive qui déborde chaque mois pour irriguer le bosquet et qu'entourent des arbres au fût élevé, chargés de « fruits doux qui ne tombent jamais ». Ce dernier médaillon a souvent été compris comme une double signature biblique du paradis du phénix. Même si on ne peut l'exclure, eu égard au fleuve, aux arbres et aux fruits merveilleux de la Genèse, à la vision d'Ézéchiel sur la source du Temple, à la spiritualité johannique des eaux vives et aux douze récoltes de l'arbre de vie dans l'Apocalypse, il faut aussi admettre que ce décor rappelle d'abord un âge d'or romain qui consonne avec les sources mythologiques des Métamorphoses d'Ovide ou les « mitia poma » de la première Bucolique de Virgile.

Vers l'année 497, le poète Avit de Vienne reprend cette phraséologie pour décrire, cette fois sans aucune ambiguïté, le premier paradis de la Genèse, au premier chant De initio mundi de sa geste biblique. « Est locus eoo mundi », également : « Il est un lieu à l'orient du monde[38]. » Cette description rassemble tous les lieux communs du locus amoenus et du paysage idéal situé dans une contrée lointaine et inaccessible « par-delà les Indes, là où se rejoignent les confins de la terre et du ciel » : absence d'hiver, été tempéré, printemps fleuri et automne fruitier, abondance de végétation, fleurs et parfums, verdure permanente, brise rafraîchissante et transparente source d'eau vive. Parmi cette luxuriance, le poète observe la présence du cinnamome, « dont l'oiseau à la longue vie rassemble les branches lorsqu'il périt d'une mort qui le fait renaître ». Avit ne nomme pas le phénix, mais il s'agit bien de lui, car « consumé en son nid, il se survit à lui-même et ressuscite d'une mort volontaire ; non content de naître une seule fois selon son ordre, son corps alangui par le grand âge se renouvelle et des naissances répétées soulagent sa vieillesse incendiée ». Après que Sidoine Apollinaire, d'illustre mémoire en cette terre auvergnate, eut situé l'origine du cinnamome dans le pays de l'Aurore, « un lieu de l'Océan, tout proche de l'Inde lointaine » et qu'il eut à peu près limité à cette plante le combustible du bûcher du phénix, Avit, qui était, du reste, un parent de Sidoine, n'hésite plus à faire pousser dans le paradis biblique cet aromate qu'« à tort la tradition attribue aux habitants de Saba ». Avit conteste peut-être ici les vers de Lactance qui faisait pousser le cinnamome précisément en « terre sabéenne », mais surtout il inclut l'oiseau mythique parmi les résidents du paradis de la Genèse, ou à tout le moins il l'y fait entrer périodiquement pour y chercher la plante qui lui permet d'allumer le feu de sa régénération[39]. Habitant régulier du paradis des confins, le phénix est appelé l'oiseau des Indes par des auteurs de la seconde sophistique comme Aelius Aristide, Lucien et Philostrate, avant qu'Ausone ne le surnomme « l'oiseau du Gange », précisément issu de l'un des quatre fleuves édéniques[40].

À l'autre bout du temps, parmi la végétation du paradis eschatologique, l'iconographie chrétienne atteste largement la présence de l'arbre homonyme du phénix : le palmier, qui orne en particulier les scènes de traditio legis pour signifier le renouveau de l'alliance. Ainsi, par exemple, sur une mosaïque du baptistère napolitain de Soter, le Christ, debout sur le cercle de l'univers, donne la loi de la nouvelle Alliance à Pierre, le nouveau Moïse, au milieu des palmiers célestes qui abritent l'oiseau fabuleux. Le motif se retrouve sur de nombreux sarcophages, attestant ainsi les prolongements eschatologiques de la scène, à la différence que le Christ y est habituellement debout sur une montagne qui est en même temps celle du nouveau Sinaï et celle du paradis, parfois plantée sous le pinacle de la Cité céleste. À Ravenne, sur la mosaïque de la coupole du Baptistère des Ariens, onze palmiers ponctuent le cortège messianique des douze apôtres qui entourent le trône crucifère ; sur les parois de la nef centrale de la basilique Saint-Apollinaire-le-Neuf, ils cadencent les célèbres frises-processions des saints et des saintes, non sans rappeler que les rameaux de palmier sont un attribut des élus triomphants dans la fameuse vision d'Apocalypse, 7, 9. Plus significative encore est l'iconographie du Christ qui reçoit l'hommage de ses saints sur la montagne du paradis, au centre d'une composition entourée de deux palmiers ; au sommet de l'un d'eux est perché le phénix, tendu et surmonté d'un nimbe radié, comme l'oiseau dressé sur la même montagne dans la célèbre mosaïque d'Antioche conservée au musée du Louvre ; pour compléter la scène, une frise de douze brebis converge de la gauche et de la droite vers l'Agneau de Dieu représenté sur une petite éminence d'où s'écoulent les quatre fleuves du paradis[41].

Il ne convient pas de détailler ici tous les développements mythiques, géographiques ou historiques de ce rapprochement obligé entre le phénix et son arbre favori, au sommet duquel l'oiseau de Lactance construit, du reste, le nid de sa renaissance[42]. Tout au plus rappellerai-je que, pour les anciens, le palmier est un symbole de souplesse et de longévité et, d'autre part, que Pline l'Ancien semble implicitement reconnaître un lien entre cet arbre et la haute valeur morale des peuples qui en sont les « compagnons »[43]. Par ailleurs, quand la Bible grecque évoque le phoînix, elle le fait notamment pour lui comparer la longévité de Job et la floraison de l'homme juste, la croissance de la Sagesse et la stature de l'épouse du Cantique, toutes qualités qui impliquent peu ou prou des formes de droiture morale ou de rectitude physique et qui autorisent une confusion entre le phénix et son homonyme végétal[44]. Si l'on trouve encore le décalque phoenix dans certains témoins vieux-latins de la Bible, la Vulgate a systématiquement retenu la traduction palma, mais la confusion a laissé des traces dans les représentations du paradis des élus, où les justes apparaissent dans un univers composite, souvent pourvu des deux symboles.

Isolé jusque-là dans un paradis mythologique et inaccessible dont il était le seul habitant, le phénix devient désormais un oiseau des paradis bibliques. Présent dans le premier paradis, il en perpétue la mémoire, sinon la survie, par ses renaissances périodiques, jusqu'au millenium de l'Apocalypse. Oiseau d'origine, il est aussi oiseau de chaque jour, témoin de tous les cycles solaires, et oiseau de parousie qui assure le lien entre la cosmogonie primitive et le lieu eschatologique du rassemblement des élus autour du Christ ressuscité. Cette longévité exceptionnelle et sans cesse renouvelée donne au phénix d'avoir connu les grands événements qui ont ponctué l'histoire des hommes et du salut. Chez Lactance et Claudien, il sort indemne des deux cataclysmes primordiaux : le déluge de Deucalion et l'embrasement du monde causé par Phaéton. Dans un sermon copte sahidique sur la Vierge Marie, daté du VIe siècle, il est témoin du sacrifice d'Abel, dans le feu duquel il brûle pour la première fois, soit 500 ans après la création du monde ; il y apparaît également aux Hébreux lors de leur sortie d'Égypte, peut-être dans l'oasis d'Élim où, au début du IIe siècle avant Jésus-Christ, la tragédie grecque d'Ézéchiel sur l'Exode avait déjà attesté sa présence ; l'année de la naissance du Christ, il brûle, pour la dixième fois, sur le pinacle du Temple de Jérusalem, soit en l'an 5500 ab initio mundi, selon un comput attesté par ailleurs dans l'ancienne tradition chrétienne. Dans la logique de ce comput, la prochaine apparition du phénix devrait se situer en l'an 6000, c'est-à-dire à la fin du temps selon la division traditionnelle des six âges du monde. La longévité de l'oiseau récapitule ainsi, depuis l'origine, les trois périodes de l'histoire ante legem, sub lege, sub gratia, respectivement ponctuées par les figures d'Abel, de Moïse et de Jésus[45]. « Tu as vu tout ce qui a été », chante Claudien ; « tu fus le témoin de tous les siècles révolus »[46]. Et au milieu du VIIe siècle, Eugène de Tolède lui assigne l'éternité : « Unique, je suis le phénix, oiseau du temps sans mesure[47] ». Doté d'un tel privilège, le phénix perpétue, en quelque sorte, la mémoire du monde dans le temps chrétien, en prenant le relais des Égyptiens avec lesquels il a partie liée et que les mythes anciens avaient aussi préservés des déluges et incendies mythiques grâce à l'action bienfaisante du Nil et du soleil.

 

E. L'oiseau abstinent et chaste

Témoin de mondes inaccessibles à l'expérience ordinaire des mortels, le phénix l'est aussi par sa nourriture impalpable, qui le distingue des créatures communes. Déjà chez Ovide, l'oiseau merveilleux « ne vit ni de graines ni d'herbes, mais des larmes d'encens et du suc de l'amome »[48]. Manilius avait observé que personne n'avait jamais vu le phénix se nourrir, et, selon Lactance, « il n'y a pour lui aucun aliment dans notre monde », car « il goûte, du nectar céleste, les rosées d'ambroisie qui tombent en fines gouttes du ciel étoilé »[49]. Le phénix de Claudien se nourrit, pour sa part, « de la plus pure chaleur du soleil » et il boit « le vent nourricier de Thétys, en cueillant les sucs d'une vapeur légère »[50]. Cette abstinence exemplaire prend un tour résolument biblique quand l'oiseau du pseudo-Baruch déclare au voyant se nourrir de la manne du ciel et de la rosée de la terre[51]. Car lorsque les Hébreux ont découvert pour la première fois cet aliment qui les a nourris pendant la traversée du désert, il était effectivement caché sous une couche de rosée ; par ailleurs, la tradition scripturaire a souvent interprété ces produits comme des nourritures eschatologiques, en ce compris la « rosée de lumière » d'Isaïe qui annonce la résurrection, sans compter que, depuis le discours de Jésus sur le pain de vie, la manne est devenue pour les chrétiens un symbole eucharistique[52]. La nourriture du phénix l'associe donc à l'histoire du peuple élu, depuis les tribulations de l'Exode jusqu'à la gloire des derniers temps, mais, si l'on en croit une légende juive, l'abstinence du phénix remonte même au premier paradis : parmi les animaux de l'Éden, le phénix aurait été le seul à refuser du fruit de l'arbre de la connaissance distribué par Ève, ce qui lui aurait valu les mille ans d'éternité qu'il obtint en récompense[53]. Du reste, le poète Avit de Vienne rapporte qu'avant la faute, Adam et Ève « cherchent à manger sans qu'aucune faim les pousse », recoupant ainsi le propos de Lactance sur l'absence de la faim dans le séjour du phénix[54]. Selon le Physiologus byzantin, le phénix ne mange ni ne boit, mais il est nourri par l'Esprit-Saint, sans doute au même titre que les élus du paradis, dont Éphrem dit qu'ils se nourrissent de ses vents et de ses parfums raffinés[55]. Mieux que ne pouvait encore l'imaginer Ovide, le phénix chrétien possède décidément un « bec pur de toute souillure »[56].

L'unicité du phénix lui mérite, enfin, une dernière qualité hautement valorisée dans le christianisme primitif : la virginité. « Mâle ou femelle, ou bien ni l'un ni l'autre ou bien l'un et l'autre », comme le dit Lactance, l'oiseau unique est un être tout à la fois bisexué, qui rappelle l'androgynie de l'homme primitif « à l'image et à la ressemblance de Dieu », dans les exégèses juives du premier récit de la création, et asexué, qui profile l'idéal paulinien de la vie dans le Christ et l'état des ressuscités, car, selon Jésus lui-même, « à la résurrection, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel »[57].

Au début et à la fin des temps, le phénix illustre ainsi l'unité primordiale et définitive du genre humain, perdue par le péché puis reconquise dans l'œuvre du Christ et de la résurrection. On remarquera que Lactance ne se prononce pas sur l'état sexuel exact du phénix, refusant ainsi d'entrer dans les spéculations qui animaient alors le débat chrétien sur la place de la sexualité dans le paradis originel. Car, le phénix est, en l'occurrence, moins un modèle anthropologique qu'un modèle moral : l'état particulier de l'oiseau lui vaut d'être au-dessus des exigences et des remous de la sexualité, et de connaître ainsi la chasteté qui était celle du premier couple et qui sera celle des élus, indépendamment de toute distinction sexuelle, les deux continences étant notamment associées dans le poème d'Avit de Vienne pour expliquer la vie d'Adam et Ève[58]. Ce trait autorise, du reste, une autre confusion entre le phénix et le palmier. Pline l'Ancien atteste, en effet, l'existence d'une espèce asexuée de palmiers « eunuques » ou spadones, qui auraient orné certains jardins babyloniens, et la féconde chasteté de la communauté des Esséniens, « qui vivent dans la société des palmiers »[59]

« Heureux est-il qui n'honore pas les alliances de Vénus ; sa Vénus est la mort, dans la mort est son seul plaisir », poursuit aussitôt Lactance[60]. Le poète inaugure ainsi une longue tradition chrétienne qui considère le phénix comme un symbole de la virginité, entendue moins comme un déni que comme une transcendance du plaisir et de l'amour : le phénix continue de les connaître et de les rechercher, mais en ignorant les liens charnels qu'ils supposent. Le célibat absolu de l'oiseau a même servi certain intégrisme moral hostile au mariage et à l'union sexuelle, comme, par exemple, l'erreur encratite du IIe siècle. Persuadée que la résurrection du Christ a ouvert le temps de l'humanité réunifiée, cette doctrine interdit le mariage, en prétextant qu'il a introduit la division dans l'homme primitif par le péché originel de la sexualité ; au contraire, les temps eschatologiques consacrent le modèle de l'ascétisme solitaire, que l'Épître apocryphe de Tite illustre précisément par l'exemple du phénix : « Ô homme qui ne comprends pas les fruits de la justice : pourquoi le Seigneur a-t-il créé le divin phénix ? Pourquoi ne lui a-t-il pas associé une femelle égale, mais lui a-t-il ordonné de rester unique (singularem) ? Il est partout et ouvertement avéré que c'est pour montrer à la jeunesse l'état de virginité, à savoir que les saints ne s'allient pas une femme[61]. » La chasteté radicale de l'oiseau de Lactance, qui ne trouve son plaisir que dans la mort et qui revendique fièrement son unicité, concorde avec ce rigorisme convaincu que la sainteté ne peut être que solitaire et qu'elle doit bannir le plaisir depuis que le Christ ressuscité a vaincu la mort. L'iconographie confirme ce symbolisme de l'oiseau vierge, lorsque la mosaïque de l'abside de Sainte-Agnès-hors-les-Murs à Rome représente un phénix dans le vêtement de celle que la tradition a imposée comme le modèle de la vierge martyre.

 

Conclusion

L'oiseau de l'espérance

À l'image de l'oiseau qu'il représente, le mythe du phénix est un de ceux dont l'acte de naissance disparaît dans la nuit des temps, mais dont la légende resurgit sans cesse dans les civilisations ou les spiritualités les plus diverses, pour se nourrir d'énergies et d'images nouvelles qui contribuent à construire la vulgate de son imaginaire. En l'occurrence, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, l'oiseau fabuleux a trouvé dans le christianisme le terreau idéal pour développer toutes ses virtualités symboliques, mais aussi pour en créer de nouvelles au départ d'éléments qui étaient à peine suggérés dans les états antérieurs de la légende. En particulier, la réception chrétienne du phénix a intégré les incertitudes antiques sur la longévité de l'oiseau et les modalités de ses renaissances dans une démonstration beaucoup plus large et systématique qui prend désormais en compte tout le temps humain de son début à son terme, en passant par les spéculations sur les âges du monde et le chiffre d'une typologie christique généralisée. La longévité de l'oiseau, sa nourriture et sa sexualité confirment, par ailleurs, son appartenance commune au premier et au dernier paradis.

Réapparu en force dans les poèmes de Lactance et de Claudien, à la distance d'un siècle qui fut celui de tous les renouveaux, le phénix est un figuratif mythique qui réunit tous les hommes de ce temps autour d'une espérance commune dans les valeurs de l'immortalité. Immortalité personnelle et individuelle, dans le cadre d'une nouvelle religiosité qui considère l'au-delà non plus comme une survie crépusculaire, incertaine et vague dans des mondes souterrains, mais comme un accès au salut éternel dans un lieu céleste et solaire, à l'ombre de la lux perpetua. Immortalité politique, où, dès la deuxième moitié du IIIe siècle, certaines légendes monétaires diffusent largement l'image de l'oiseau rené comme vecteur idéologique de l'éternité de Rome placée sous la protection d'un empereur qui organise d'abord le culte du Sol Inuictus avant de se revendiquer du Sol iustitiae[62]. L'époque est résolument à la foi dans une autre vie, vers laquelle on tend de tout son être et de tout son regard. Mieux que tout autre mythe, le phénix traduit cette tension, notamment attestée dans les programmes iconographiques chrétiens. Oiseau ancien et primordial, il concentre l'expérience immémoriale de la naissance, de la vie et de la mort, tout en l'ouvrant sur la perspective divine et merveilleuse d'une immortalité dynamique. Car, dans aucune des versions de la légende, l'oiseau n'apparaît sous l'aspect d'un être immuable et statique. Même s'il n'est pas toujours appelé à mourir, inlassablement, il parcourt les cycles de la vie, il expérimente l'œuvre du temps, il est tendu vers un voyage périodique qui est le prix de sa naissance et sa raison d'être.

Totalement en phase avec cette spiritualité de l'espérance, le chrétien découvre dans le mythe du phénix une convenance intime avec le mystère central de la résurrection, dont l'oiseau est un symbole, sinon une preuve et un modèle. La résurrection du Christ, d'abord, associée à l'expérience des cycles solaires auxquels est liée la vie du phénix ; la résurrection de chaque homme, ensuite, qui, à la fin des temps, triomphera de toutes les corruptions pour renaître « à la gloire des enfants de Dieu ». Selon la belle formule qui conclut le poème de Lactance, le phénix « obtient la vie éternelle par le bienfait de la mort »[63]. On est loin du châtiment promis à Adam lorsqu'il fut chassé du paradis originel : « Tu es terre et tu retourneras à la terre ». Sans doute la mort continue-t-elle d'être le lot commun de la fragilité humaine, mais elle n'est plus maudite, car la terre d'Adam est devenue la cendre du phénix de laquelle surgit la vie. Comme le phénix qui se plonge douze fois dans l'eau avant de brûler, qui quitte son vieux corps et qui brûle au milieu des aromates, le chrétien sait qu'il doit être baptisé dans la mort du Christ pour vivre d'une vie nouvelle, qu'il doit se dépouiller du vieil homme pour revêtir l'homme nouveau, qu'il est la bonne odeur du Christ parmi les hommes[64].

Oiseau flamboyant, le phénix bat des ailes pour attirer la flamme, comme le soufflet qui attise l'étincelle[65]. Sur ce fond d'incendie, il s'est prêté à toutes les théologies de la lumière, dont celle qui a fait du souffle et du feu une des trois personnes du Dieu unique. Au début du monde, l'Esprit de Dieu planait sur les flots, avant que la lumière fût. On aimerait croire que ce premier vol était porté par les ailes de l'oiseau dont le destin serait de brûler en regardant le soleil ; surgi du Nil, et donc du « rien » latin, pour allumer le monde, le phénix serait alors, à travers le cycle de toutes ses renaissances, de la première à la dernière aurore, l'incandescent messager du Ressuscité qui proclame à la fin de l'Apocalypse : « Je suis l'étoile brillante du matin ».



 

Notes

[1].         Tac., ann. VI, 34 : « Paulo Fabio, L. Vitellio consulibus, post longum saeculorum ambitum, auis phoenix in Aegyptum uenit. » Tout au long de cette communication, qui ne prétend ni à l'exhaustivité ni à l'inédit, j'ai tiré le meilleur profit des deux ouvrages les plus essentiels sur la question du phénix : J. Hubaux - M. Leroy, Le mythe du phénix dans les littératures grecque et latine, Liège-Paris, Faculté de philosophie et lettres-Librairie E. Droz, 1939 (Coll. Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l'Université de Liège, fasc. 82) ; et R. van den Broek, The myth of the phoenix according to classical and early christian traditions, Leiden, Brill, 1972 (Coll. Études préliminaires aux religions orientales dans l'empire romain, t. 24). Voir aussi les belles pages de J. Fontaine, Lactance et la mue de l'oiseau phénix au siècle de Constantin, dans Naissance de la poésie dans l'occident chrétien. Esquisse d'une histoire de la poésie latine chrétienne du IIIe au VIe siècle, Paris, Études Augustiniennes, 1981, p. 53-66.

[2].         Hes., frg. 304 (éd. R. Merkelbach - M.L. West, Fragmenta Hesiodea, Oxford, 1967, p. 158-159), cité par Plutarque, De defectu oraculorum, XI (cf. Plin., HN VII, 153 ; Avson., eclog. IV).

[3].         Voir Hdt., II, 73. Cette pratique funèbre est relayée par Clavd., carm. min. XXVII, 75 : « Portans gramineo clausum uelamine funus. »

[4].         Cf. I Clement, 25 ; Jn, 1, 14.18 ; 3, 16.18 ; Ov., am. II, 6, 54 ; met. XV, 392 ; Lact., Phoen., 31-32. H.F. Janssens, Deux textes syriaques inédits relatifs au phénix, dans Le Muséon, t. 47 (1934), p. 61-71, édite et traduit notamment une notice de la légende qui dresse une typologie élaborée du Christ-Phénix, dans son incarnation, sa passion et sa mort, sa résurrection et son ascension (surtout p. 66-70).

[5].         Isid., orig. XII, 7, 22 : « Phoenix Arabiae auis, dicta quod colorem phoeniceum habeat uel quod sit in toto orbe singularis et unica. » À notre connaissance, seuls les Hieroglyphica d'Horapollon (II, 57), écrits à l'époque de Théodose, évoquent la présence simultanée de deux phénix, le père et le fils voyageant, en effet, ensemble vers Héliopolis où le phénix âgé meurt au lever du soleil.

[6].         Lact., Phoen., 155-158 : « Contrahit in coetum sese genus omne uolantum/ nec praedae memor est ulla nec ulla metus./ Alituum stipata choro uolat illa per altum/ turbaque prosequitur munere laeta pio. » Cf. Corr., in laudem Iustini, I, 356-358 : « Domini sic uulgus amore/ undique conueniens laetarum more uolucrum/ — Tu uincas, Iustine ! — canunt » ; et la vision messianique des animaux réconciliés en Is 11, 6-8.

[7].         Cf. Plin., HN X, 3-5 ; I Clement, 25.

[8].         III Baruch, 6-8 (éd. J.-C. Picard, Apocalypsis Baruchi Graece, Leiden, Brill, 1967, p. 61-96, en particulier p. 87-90). Pour une introduction au phénix dans la littérature intertestamentaire, voir plusieurs références dans A.-M. Denis, Introduction aux pseudépigraphes grecs d'Ancien Testament, Leiden, Brill, 1970 (Coll. Studia in Veteris Testamenti pseudepigrapha, t. 1).

[9].         Ps 16, 8.

[10].       Voir Clavd., carm. min. XXVII, 45-47 : « Hic sedet et Solem blando clangore salutat/ debilior miscetque preces ac supplice cantu/ praestatura nouas uires incendia poscit. »

[11].       Cf. Lact., Phoen., 99 sq ; inst. II, 9, 15-27 ; Ov., met. I, 430-433 ; Physiologus graecus, 7 (éd. F. Sbordone, 1936, p. 25-28).

[12].       Cf. Drac., laud. Dei I, 267-269 : « Sed cum discordent inter se elementa coacta,/ fetibus eductis concordant unda uel ignis :/ unda creat uolucres, producit flamma uolucres » ; Gn 1, 20.

[13].       Sur cette question, voir aussi M. Detienne, Les jardins d'Adonis. La mythologie des aromates en Grèce, Paris, Gallimard, 1972, p. 57-68.

[14].       III Baruch (n.8), 6.

[15].       Clavd., carm. min. XXVII, 70-71 : « Geminae confinia uitae/ exiguo medius discrimine separat ignis. »

[16].       I Clement, 25.

[17].       Tert., resurr. XIII, 2-3 : « Illum dico alitem orientis peculiarem, de singularitate famosum, de posteritate monstruosum, qui semetipsum libenter funerans renouat, natali fine decedens atque succedens, iterum phoenix ubi nemo iam, iterum ipse qui non iam, alius idem. Quid expressius atque signatius in hanc causam aut cui alii rei tale documentum ? Deus etiam in scripturis suis posuit : Et florebis enim, inquit, uelut phoenix (Ps 91, 13), id est de morte, de funere, uti credas de ignibus quoque substantiam corporis exigi posse ».

[18].       Lact., Phoen., 169-170 : « Ipsa quidem, sed non eadem est, eademque nec ipsa est/ aeternam uitam mortis adepta bono. » Ovide a déjà souligné la singularité de la naissance du phénix, en situant le mythe à la fin d'une série de légendes qui décrivent différents types de naissances d'animaux à partir d'éléments en décomposition : alors que ces naissances sont des métamorphoses d'un être en un autre, la renaissance du phénix induit une problématique de l'unité et de l'identité : voir Ov., met. XV, 391-392 : « Haec tamen ex aliis generis primordia ducunt ;/ una est, quae reparet seque ipsa reseminet, ales. »

[19].       Cf. Lact., Phoen., 93-94 : « Tunc inter uarios animam commendat odores/ depositi tanti nec timet illa fidem » ; et Lc 23, 46 : « Pater, in manus tuas commendo spiritum meum », cité en Lact., inst. IV, 26, 32 sous la forme « depono spiritum meum ». Pour le « plaisir » de la souffrance et de la mort, cf. Tert., patient. III, 9 : « Sed saginari patientiae uoluptate discessurus uolebat » , et Lact., Phoen., 165-166 : « Mors illi Venus est, sola est in morte uoluptas :/ ut possit nasci, appetit ante mori ».

[20].       Voir Comm., apol., 138-142 : « Ad illa tendamus cupidi, tota mente deuoti./ Sicut auis Phoenix meditatur a morte renasci,/ dat nobis exemplum post funera surgere posse ;/ hoc Deus omnipotens uel maxime credere suadet,/ quod ueniet tempus defunctorum uiuere rursum. ».

[21].       Voir Drac., laud. Dei I, 653 : « Fenicis exactam renouat Deus igne iuuentam/ exustusque senex tumulo procedit adultus :/ consumens dat membra rogus sine sorte sepulcri. »

[22].       Voir notamment Avg., ciu. XXII, 12 sq, et la note complémentaire 59 « L'Enchiridion et la résurrection de la chair », dans l'édition du De ciuitate Dei de la Bibliothèque augustinienne, t. 37, p. 836-838.

[23].       Comme, par exemple, la mosaïque de la coupole du baptistère de Soter, dans la basilique napolitaine de Sainte-Restitute.

[24].       Sedvl., carm. pasch. IV, 287-290 : « … anima proprias repente medullas/ cernitur ante oculos uiuens adstare cadauer./ Postque sepulchralem tamquam recreatus honorem/ ipse sibi moriens et postumus extat et heres. » Ce rapprochement avec le phénix a été évoqué récemment dans un article de M. Hoffmann, Lazarus als wiedererstandener Phönix : Sedulius, Carmen Paschale 4, 290, dans Philologus, t. 147 (2003), p. 364-366.

[25].       Lact., Phoen., 167 : « Ipsa sibi proles, suus est pater et suus heres. »

[26].       Clavd., carm. min. XXVII, 101 : « O felix heresque tui ! ». Selon C.P.E. Springer, The Gospel as epic in late antiquity. The Paschale Carmen of Sedulius, Leiden, Brill, 1988, p. 58, l'« héritier » de Sédulius a pu transiter par une paraphrase de la même péricope évangélique dans le poème De Iesu Christo Deo et homine attribué à Marius Victorinus (voir aussi e.g. Ambr., in psalm. 118 XIX, 13, 2).

[27].       Ov., met. XV, 389-390 : « Sunt qui, cum clauso putrefacta est spina sepulcro,/ mutari credant humanas angue medullas. » Plin., HN X, 4 rapporte explicitement que le ver du nouveau phénix surgit des « os et des moelles » de l'ancien. P.W.A.Th. van der Laan, Imitation créative dans le Carmen Paschale de Sédulius, dans J. den Boeft - A. Hilhorst (éd.), Early christian poetry. A collection of essays, Leiden, Brill, 1993, p. 135-166 (surtout p. 146), a fait valoir les contacts entre le récit de la résurrection de Lazare chez Sédulius et les pratiques d'Érictho au chant VI de la Pharsale.

[28].       Voir III Baruch (n.8), 6 et 8 ; schol. Ael. Aristid. XLV, 107 (éd. Dindorf, t. 3, p. 429).

[29].       Voir Hdt., II, 73, notamment confirmé par Ov., met. XV, 395, et bien d'autres auteurs.

[30].       Voir Plin., HN X, 4-5.

[31].       Voir Tac., ann. VI, 34, 4 : « Maxime uulgatum quingentorum spatium ; sunt qui adseuerent mille quadringentos sexaginta unum interici », qui correspond à la « période sothiaque » du calendrier égyptien.

[32].       Voir Plin., HN XXIX, 29 (cf. Mart., V, 7, 1-2).

[33].       Clavd., carm. min. XXVII, 27-31 : « Namque ubi mille uias longinqua retorserit aestas,/ tot ruerint hiemes, totiens uer cursibus actum,/ quas tulit autumnus, dederit cultoribus umbras,/ tum multis grauior tandem subiungitur annis/ lustrorum numero uictus. » Cf. Lact., Phoen., 59.

[34].       Voir M. Tardieu, Pour un phénix gnostique, dans Revue de l'histoire des religions, t. 183 (1973), p. 117-142 (surtout p. 121).

[35].       Voir Ov., am. II, 6, 49-58.

[36].       Pour une description du « paradis » du phénix, voir Lact., Phoen., 1-30, et l'analyse de J. Fontaine, Un « paradis » encore bien classique : le prélude du poème De aue Phoenice (v. 1-29), dans J. Granarolo (éd.), Autour de Tertullien. Hommage à René Braun, t. 2, Nice, 1990 (Coll. Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Nice, t. 56), p. 177-192.

[37].       Voir Lact., Phoen., 63-68 : « Cumque renascendi studio loca sancta reliquit,/ tunc petit hunc orbem, mors ubi regna tenet./ Dirigit in Syriam celeres longaeua uolatus,/ Phoenicis nomen cui dedit ipsa uetus,/ secretosque petit deserta per auia lucos,/ sicubi per saltus silua remota latet. »

[38].       Alc. Avit., carm. I, 193.

[39].       Voir Alc. Avit., carm. I, 238-244 : « Hic, quae donari mentitur fama Sabaeis,/ cinnama nascuntur, uiuax quae colligit ales,/ natali cum fine perit nidoque perusta/ succedens sibimet quaesita morte resurgit:/ nec contenta suo tantum semel ordine nasci,/ longa ueternosi renouatur corporis aetas/ incensamque leuant exordia crebra senectam. » Lactance cite le cinname et l'amome parmi d'autres aromates poussant notamment dans la Sabée, en Lact., Phoen., 79 sq.

[40].       La tradition mythique identifie effectivement au Gange le Physon, qui est un des quatre fleuves d'Éden (Gn 2, 11) : voir e.g. Ambr., parad. III, 14 ; Avg., gen. ad litt. VIII, 7, 13 ; Mar. Victor., aleth. I, 275-278 ; Alc. Avit., carm. I, 290. Pour la localisation du phénix dans l'Inde merveilleuse, voir e.g. Avson., griph., 16 : « Gangeticus ales » ; Sidon., carm. IX, 326 situe en Inde le bûcher du phénix ; Ael. Aristid., XLV, 107 (éd. Dindorf, t. 2, p. 144), Lvc., nau., 44, Philostr., Apoll. III, 49 appellent le phénix l'oiseau des Indes ; Clavd., carm. min. XXVII, 98 dit qu'un Indus odor monte du sanctuaire égyptien dans lequel brûle la dépouille du vieux phénix.

[41].       Cette composition est notamment attestée sur la mosaïque absidiale de la basilique romaine des saints Côme et Damien. Pour un abondant dossier iconographique sur le phénix chrétien, voir van den Broek (n.1), p. 423-464.

[42].       Voir Lact., Phoen., 69-72 : « Tum legit aerio sublimem uertice palmam,/ quae Graium phoenix ex aue nomen habet,/ in quam nulla nocens animans prorepere possit,/ lubricus aut serpens aut auis ulla rapax. » La hauteur de l'arbre le protège contre les animaux dangereux, serpents ou rapaces, qui sont autant de symboles des contagions du monde.

[43].       Ainsi, la communauté juive des Esséniens, qui vit loin des turbulences de l'amour et de l'argent, et jouit, malgré une stricte continence, d'une existence exceptionnellement longue « dans la compagnie des palmiers » : voir Plin., HN V, 73. Pour la longévité du palmier, voir e.g. Plutarque, Propos de table VIII, 4, 2.

[44].       Voir Jb 29, 18 ; Ps 91, 13 ; Si 24, 18 ; Ct 7, 7.

[45].       Ce sermon a été édité, traduit et présenté dans van den Broek (n.1), p. 33-47. Pour les apparitions bibliques du phénix, voir van den Broek (n.1), p. 119-131. La description d'Ézéchiel le Tragique nous est connue dans un fragment cité par Eusèbe, Préparation évangélique IX, 29, 15-16. Pour les deux cataclysmes primordiaux, voir Lact., Phoen., 11-14 ; Clavd., carm. min. XXVII, 105-107.

[46].       Clavd., carm. min. XXVII, 104-105 : « Vidisti quodcumque fuit. Te saecula teste/ cuncta reuoluuntur. »

[47].       Evg. Tolet., carm. XLIV, 1 (MGH AA, t. 14, p. 258) : « Vnica sum Phoenix immensi temporis ales ».

[48].       Ov., met. XV, 393-394 : « Non fruge neque herbis,/ sed turis lacrimis et suco uiuit amomi. » Sur la nourriture du phénix, voir van den Broek (n.1), p. 335-356.

[49].       Voir Lact., Phoen., 109-112 : « Non illi cibus est nostro concessus in orbe/ nec cuiquam inplumem pascere cura subest./ Ambrosios libat caelesti nectare rores,/ stellifero tenues qui cecidere polo. » Pour le témoignage de Manilius, voir Plin., HN, X, 4.

[50].       Voir Clavd., carm. min. XXVII,14-16 : « Sed purior illum/ solis feruor alit uentosaque pabula potat/ Tethyos, innocui carpens alimenta uaporis. »

[51].       Voir III Baruch (n.8), 6.

[52].       Voir Ex 16, 13-15. La manne est une nourriture eschatologique en Apc, 2, 17 ; elle est une figure eucharistique en Jn 6, 31.49.58. Pour la « rosée de lumière », voir Is 26, 19.

[53].       Voir L. Ginzberg, The Legends of the Jews, Philadelphia, t. 1, 1961, p. 32, et t. 5, 1955, p. 51 n. 151.

[54].       Cf. Avit., carm. II, 14-15 : « Sic epulas tamen hi capiunt escamque requirunt,/ compellit quod nulla fames » ; et Lact., Phoen., 19-20 : « Luctus acerbus abest et egestas obsita pannis/ et curae insomnes et uiolenta fames. »

[55].       Cf. Physiologus byzantinus, 10 (éd. F. Sbordone, 1936, p. 199-204, surtout p. 200), et Éphrem, Hymnes sur le paradis IX, 7-17.

[56].       Ov., met. XV, 397 : « Et puro nidum sibi construit ore. »

[57].       Voir Mt 22, 30 ; Ga 3, 28 ; Lact., Phoen., 163 : « Femina seu mas sit seu neutrum seu sit utrumque » : tel qu'il est édité par Hubaux-Leroy (n.1), p. XV, ce vers est une conjecture inspirée de la description ovidienne de l'hermaphrodite (Ov., met. IV, 378-9) ; cependant, Zénon de Vérone confirme bien que l'oiseau possède les deux sexes en même temps (Zeno, I, 2, 9, 20 [CC, t. 22, p. 20]), et C. Weymann, Zum Phoenix des Lactantius, dans RhMPh, t. 47 (1892), p. 640 pense qu'il dépend, sur ce point, du texte de Lactance. Pour la bissexualité du premier homme, voir e.g. Philo, de opificio mundi, 134.152 ; legum allegoriae, II, 13. Pour un exposé complet sur la sexualité du phénix, voir van den Broek (n.1), p. 357-389.

[58].       Voir Alc. Avit., carm. II, 25-30.

[59].       Voir Plin., HN XIII, 41 (pour les palmae spadones) ; V, 73 (pour la chasteté des Esséniens).

[60].       Lact., Phoen., 164-165 : « Felix, quae Veneris foedera nulla colit./ Mors illi Venus est, sola est in morte uoluptas. »

[61].       Voir Epistula Titi, 336-340 (éd. D. de Bruyne, dans Revue Bénédictine, t. 37 [1925], p. 47-72, et plus particulièrement p. 56, où je propose de corriger iuuentutis par le datif iuuentuti). Tout au long de cette lettre, les exhortations à la chasteté soulignent à l'envi l'idéal de la vie solitaire dans les expressions unicus status, singularis status, unico corpore manere, singularis manere, singularis conuersari, où l'on reconnaît les adjectifs qui expriment aussi l'unicité du phénix. Pour le phénix comme symbole de virginité, voir e.g. Ambr., in psalm. 118 XIX, 13, 2.

[62] .      Cela dit, le symbole idéologique du phénix est déjà attesté à la fin du premier siècle, dans les épigrammes de Martial, en Mart., V, 7.

[63].       Lact., Phoen., 170 : « Aeternam uitam mortis adepta bono. »

[64].       Cf. Lact., Phoen., 35-38 et Rm 6, 1-11 (baptême) ; Clavd., carm. min. XXVII, 53-54 et Eph 4, 22-24 (homme nouveau) ; pour le chrétien, « bonne odeur du Christ », voir 2Co 2, 15.

[65].       Voir Drac., Romul. X (= Medea), 107-108 : « Verberat alas/ ut flammas asciscat auis. »


FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 8 - juillet-décembre 2004

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