FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 7 - janvier-juin 2004
Le motif de la truie romaine aux trente gorets.
3ème partie : Les actualisations romaines
par
Jacques Poucet
Professeur émérite de l'Université de Louvain
L'Žpisode de la truie aux trente gorets que Virgile a mis
en scne au livre huit de l'ƒnŽide
est examinŽ sous plusieurs de ses aspects dans les trois parties de cette
Žtude. Il a ŽtŽ question dans la
premire partie de
la prŽsentation du sujet chez Virgile ainsi que chez les auteurs prŽ- et pŽrivirgiliens.
La deuxime partie a replacŽ l'Žpisode romain dans
une perspective plus large : il s'agit en effet d'une donnŽe folklorique,
celle de l'animal-guide, attestŽe dans de nombreuses cultures. La troisime
partie (ci-dessous) Žtudie plus en dŽtail la manire dont le motif a ŽtŽ
utilisŽ et transformŽ en milieu romain et notamment chez Virgile.
Chaque culture actualisant ˆ sa manire
un motif folklorique, il est donc normal de s'interroger sur les adaptations
romaines. Les dŽveloppements suivants, qui ne prŽtendent pas viser ˆ
l'exhaustivitŽ, passeront en revue un certain nombre de points avant de revenir
plus particulirement au r™le de Virgile dans l'Žvolution romaine du motif.
Et d'abord le choix de l'animal.
Pourquoi une truie ? Dans le bestiaire grec de l'animal-guide, pourtant
bien fourni on l'a dit, la truie manque ˆ l'appel dans les rŽcits de fondation.
La tradition sur les origines
lointaines, la fondation et les premiers sicles de Rome met en scne diffŽrents animaux. Il y a d'abord les rŽcits cŽlbres
comme celui des colombes indiquant ˆ ƒnŽe la position du rameau d'or (Virg., ƒn., VI, 190-211), celui de la louve qui
sauve et nourrit les jumeaux fondateurs (Tite-Live, I, 4, 6), celui de l'aigle
qui annonce ˆ Lucumon qu'il sera roi de Rome (Tite-Live, I, 34, 8-9), ou celui
de la vache dont le sacrifice assure la suprŽmatie ˆ Servius Tullius
(Tite-Live, I, 45, 3-7). Il y a aussi des rŽcits moins connus, comme celui de
la manifestation d'un loup, d'un aigle et d'un renard lors de la fondation de
Lavinium :
D.
H., 1, 59, 4-5
On
raconte aussi que durant la fondation de Lavinium se manifestrent aux Troyens
les prodiges suivants. Un incendie ayant pris spontanŽment dans la fort, un
loup transportait du bois sec dans sa gueule pour le jeter dans le feu tandis
qu'un aigle qui volait alentour entretenait la flamme du mouvement de ses
ailes. S'ingŽniant ˆ l'inverse, un renard frappait le brasier de sa queue
trempŽe dans l'eau du fleuve. Et tant™t c'Žtaient les incendiaires qui
l'emportaient, tant™t celui qui voulait Žteindre le feu. Finalement les deux
premiers eurent le dessus et l'autre s'Žloigna, rŽduit ˆ l'impuissance. (5) Ce
que voyant, ƒnŽe dŽclara que la colonie serait illustre, susciterait l'dmiration,
parviendrait ˆ une notoriŽtŽ sans pareille et qu'en s'accroissant elle
deviendrait un objet d'envie et une gne pour ses voisins, mais l'emporterait
nŽanmoins sur ses adversaires car la bonne fortune qu'elle tiendrait de la
divinitŽ serait plus forte que l'opposition envieuse des hommes. Telles sont
les indications Žvidentes qui, dit-on, furent donnŽes sur l'avenir de la citŽ.
(trad. V. Fromentin, C.U.F)
En rŽalitŽ, aucun de ces rŽcits ne relve
de la thŽmatique de l'animal-guide qui nous occupe. Pourtant, un loup, un
aigle, une colombe, un renard, une vache aurait parfaitement pu faire
l'affaire : ils Žtaient d'ailleurs utililisŽs dans le rŽpertoire
lŽgendaire grec. Pourquoi donc en milieu latin avoir songŽ ˆ la truie ?
Quoi qu'il en soit, il est indiscutable
que le porc avait une grande importance dans la rŽalitŽ quotidienne.
On dit chez nous que Ç dans le
cochon tout est bon È. C'Žtait Žgalement le cas dans le monde romain. Il
constitue la nourriture de base des armŽes, mais joue aussi un r™le important
dans la haute cuisine. Dans les prŽparations d'Apicius, il Žclipse toutes les
autres viandes ; Pline signale plus de
cinquante recettes ˆ base de porc, la plus connue Žtant le porcus Troianus, un estomac de porc farci de saucisses, de poulets
r™tis, d'Ïufs et de lŽgumes (d'aprs K. D. White, Roman Farming, Londres, 1970, p. 316 et 321 [Aspects of Greek and
Roman Life]).
La truie est d'autre part un animal
fŽcond. Les Modernes[13] nous apprennent qu'elle porte en moyenne sept
petits, que sa pŽriode de gestation est de cent quatorze jours, avec un
intervalle d'au moins vingt-et-un jours entre deux pŽriodes de rut. Les Anciens
le savaient bien, qui Žcrivaient :
Varr., R. R., II, 4, 14
L'annŽe se trouve naturellement divisŽe en deux
pour les truies, car elles mettent bas deux fois par an : ˆ chaque fois
elles portent quatre mois et nourrissent pendant deux mois. (trad. Ch. Guiraud, C.U.F.)
On
ne s'Žtonnera donc pas de voir que Varron, dans son traitŽ de re rustica, accorde une grande place ˆ l'Žlevage du porc, lui
consacrant tout le chapitre quatrime de son deuxime livre. Nous y renverrons
le lecteur intŽressŽ en nous bornant ˆ citer ici quelques phrases d'une synthse
dŽjˆ ancienne, due ˆ A. Sorlin Doriginy[14] :
Il y avait deux races de porcs (Colum., VII,
9) : les uns, vŽritables cochons domestiques, ˆ peau glabre ou ˆ soies
blanches, Žtaient choisis par les petits cultivateurs qui voulaient Žlever un
ou deux porcs avec les dŽbris de cuisine et les rŽsidus de laiterie. Les
animaux qui vivaient en troupeau, dans la montagne, ressemblaient davantage au
sanglier ; ils avaient les soies noires, dures, Žpaisses. L'ŽtŽ, ils
restaient dans les forts et s'y nourrissaient de caroubes, d'arbouses, de
cornouilles, de prunes et de poires sauvages ;
ils revenaient ˆ la fin de l'automne (Virg., Georg., II, 520) pour
passer l'hiver dans des porcheries o on leur donnait ˆ manger des glands fumŽs
ou conservŽs, soit sur des planchers, soit dans l'eau des citernes (Colum.,
VII, 9).
Il
n'Žtait donc pas anormal de trouver des porcs en libertŽ, et la rencontre
d'ƒnŽe avec une truie paressant sur la rive du Tibre n'a rien de surprenant,
pas plus probablement que le transport de pareils animaux dans un navire, o
ils servaient de provisions de bouche (cfr la version de Lycophron). Mais ce
texte moderne nous apprend autre chose encore sur la couleur de ces animaux et
sur leur apparence : ils peuvent effectivement tre tant™t blancs, tant™t
noirs, et dans ce dernier cas, ressembler davantage aux sangliers. Et cela
explique que l'animal de l'ƒnŽide soit rŽgulirement prŽsentŽ par les
commentateurs non comme une truie, mais comme une laie. En fait le mot latin sus,
comme le mot grec correspondant, dŽsigne tout ˆ la fois, au masculin le porc ou
le sanglier, au fŽminin la truie ou la laie[15]. Un adjectif comme ÇsauvageÈ viendra
Žventuellement prŽciser la nature de la bte.
Les
troupeaux domestiques pouvaient compter plusieurs centaines de btes, encore
que, selon Varron, cent reprŽsente un nombre raisonnable (Varron, R. R., II, 4, 22). Leur gestion
nŽcessitait certainement toute une organisation. Dans l'OdyssŽe d'Homre,
EumŽe, le porcher d'Ulysse, a du personnel sous ses ordres ; c'est
d'ailleurs une des rares personnes dans laquelle le hŽros a confiance. Ë Rome
aussi, la responsabilitŽ d'un troupeau de pareille taille ne devait pas tre
une sinŽcure. Dans leur rŽcit sur les origines de Rome, Denys d'Halicarnasse
(I, 79, 9) et Plutarque (Romulus, 6,
1 ; 33, 2) font de Faustulus qui recueille Romulus et RŽmus le porcher du
roi. Chez Tite-Live (I, 4, 6), qui, pour reprendre les mots de J. Heurgon, Çaime doter ses
personnages d'une dignitŽ bourgeoiseÈ, Faustulus appara”t comme Ç un haut
fonctionnaire du roi È (magister
regii pecoris). (J. Heurgon, Tite-Live.
Histoires, Livre I, Paris, 1963, p. 37 [ƒrasme, 10]).
La
place du porcin dans la vie Žconomique explique probablement son importance
dans la religion romaine, comme animal de sacrifice.
La
truie, souvent pleine, est rŽgulirement offerte ˆ Tellus et ˆ CŽrs. Elle a sa
place dans le rituel des Cerialia (par exemple Ovide, Fastes, I, 349), et dans celui des Feriae
sementiuae (Ovide, Fastes, I,
671-672) ; avant la
moisson, on immole la porca praecidanea (Caton, Agr., 134, 1). Lien Žvident entre un
animal particulirement fŽcond et la fŽconditŽ souhaitŽe pour la terre et les
champs. Que le porc ait Žgalement sa place dans le cŽrŽmonial du mariage (Varr.,
R. R., II, 4, 9-10 ; ci-dessous) relve probablement de la mme
symbolique, dans le registre humain cette fois.
Toutefois
les porcins intervenaient aussi dans d'autres contextes. Ainsi, l'agriculteur
sacrifiait un porc en expiation avant d'ouvrir une clairire dans un Çbois
sacrŽÈ (Cat., Agr., 139), un rituel qui persistera longtemps :
en 238-240 encore, sous l'empereur Gordien, lors des Ambarualia du 30 mai, Ç en raison de
l'Žmondage du bois et des travaux accomplis È dans le lucus de la Dea Dia les frres Arvales sacrifieront deux
truies pleines (cfr L'AnnŽe Žpigraphique,
1915, 0102, col. II, lignes 1-4). Pour la lustration des champs, l'agriculteur
immolait un porcelet, un agneau et un veau (suouetaurilia lactentia,
chez Cat., Agr., 141) ; pour celle du peuple, lors de la cl™ture du
lustrum, le censeur offrait un
verrat, un bŽlier et un taureau (suouetaurilia
maiora, chez Varr, R. R., II, 1,
10). Dans le rituel des fŽtiaux, un porc Žtait sacrifiŽ ˆ Jupiter, Ç garant
des traitŽs È (Liv., I, 24, 7-9)
[16].
L'importance
du porcin Žtait donc considŽrable dans la religion romaine, et Varron, dans un
sorte de texte de synthse (Varr., R. R., II, 4, 9-10), fera mme de
l'animal - ˆ tort ou ˆ raison - la bte sacrificielle originelle. Voici ce
passage :
C'est en effet avec le bŽtail porcin que la coutume
du sacrifice a, semble-t-il, pris naissance, et il en reste des traces dans le
fait que dans les rites d'initiation de CŽrs, ce sont des porcs que l'on
sacrifie et que, dans le rituel qui introduit ˆ la paix, lorsqu'un traitŽ est
conclu, c'est un porc que l'on tue ; on en trouve des vestiges aussi dans
le fait qu'au dŽbut des rites nuptiaux les anciens rois et les grands
personnages d'ƒtrurie, pour consacrer l'union nuptiale, commencent, en tant que
nouvelle Žpouse et nouveau mari, par sacrifier un porc. (10) Les premiers
Latins eux aussi, et mme les Grecs d'Italie, semblent avoir eu la mme
coutume. (trad. Ch. Guiraud, dont on verra les
notes)
L'importance de cet animal dans la vie romaine est donc considŽrable. Si le loup appartient au monde de la nature sauvage, le porc fait partie intŽgrante de la vie de tous les jours. Comme l'a Žcrit J. Heurgon, Ç Le porc ou la truie est l'animal domestique par excellence, et celui dont le sacrifice est le plus facile et le moins cožteux aux paysans È (ƒtude sur les inscriptions osques de Capoue dites Iœvilas, Paris, 1942, p. 57, n. 1).
Se
trompera-t-on beaucoup en pensant que le choix de la truie comme animal-guide
dans la fondation de la premire citŽ latine d'ƒnŽe s'expliquerait tout
simplement par l'importance du porcin dans la rŽalitŽ quotidienne ? Aprs
tout la louve de Romulus et la truie d'ƒnŽe ne symbolisent pas si mal la force
des Romains et la fŽconditŽ des Latins.
[Retour]
Cerla
dit, il ne faut pas nŽcessairement chercher trop loin, et les Modernes ont
parfois exagŽrŽ. Ainsi, E. Mayer[17] a cru
pouvoir attribuer aux populations latines un vŽritable culte de la truie,
n'hŽsitant mme pas ˆ parler de totem. On ne le suivra pas dans cette voie.
D'abord les notions de totem et de totŽmisme sont, sur le
plan thŽorique, remises en question aujourd'hui par les anthropologues[18], mais, plus concrtement, aucune donnŽe
religieuse, pour Rome ou les autres citŽs du Latium, n'oriente vers un culte
animal. Rien, dans nos informations, ne permet donc d'accrŽditer la vision
mythico-totŽmistique d'une truie, Ç mre de la tribu È (Stammmutter)
des Latins, ou celle du porc conu comme animal-totem d'Albe (das Schwein
als Totemtier von Alba).
Autre
chose est de voir dans la truie un emblme et un symbole.
La
pratique est courante dans le monde grec. Sur les monnaies, la chouette est
l'emblme d'Athnes, le poulain celui de Corinthe, la tortue celui d'ƒgine ;
le livre symbolise Messine, l'abeille ƒphse, etc. Le cas se rencontre aussi
dans le monde italique, o, pour ne prendre que deux exemples, la louve sert
d'emblme ˆ Rome, et le taureau au Samnium (cfr le dernier chapitre de D.
Briquel, Le regard des autres, Les
origines de Rome vues par ses ennemis, Besanon, 1997, p. 153-195 [Annales
LittŽraires de l'UniversitŽ de Franche-ComtŽ, 623]). Serait-il ds lors
possible que la truie ait ŽtŽ le symbole du Latium ?
Le
monnayage romain fort ancien conna”t des lingots de bronze (l'aes signatum
des spŽcialistes), proposant d'un c™tŽ la reprŽsentation d'un ŽlŽphant, et de
l'autre, celle d'une truie. Il s'agit d'une des premires formes - trs
grossire encore - de monnaie, dont les numismates s'accordent aujourd'hui ˆ
placer l'apparition Ç peu avant 289 È et la disparition quelques
dŽcennies plus tard, Çvers le milieu du IIIe sicle È[19]. Les anciens, friands d'Žtiologies, expliquaient
ce type monŽtaire par un Žpisode de la guerre contre Pyrrhus. Sachant que
l'ŽlŽphant redoute le cri du porc, les Romains auraient
lancŽ des truies enflammŽes contre les btes de Pyrrhus qui furent prises de
panique en entendant les cris[20]. Rejetant l'idŽe du stratagme, mais non la
rŽfŽrence ˆ la guerre contre Pyrrhus, les Modernes inclinent aujourd'hui vers
une interprŽtation plus gŽnŽrale : les figures prŽsentes sur les
lingots conserveraient le souvenir de l'ŽlŽphant Žpirote affrontant la truie
romano-latine[21].
Il
faut toutefois reconna”tre que nous n'avons pas d'autres informations sur ce
r™le d'emblme du Latium qu'aurait pu jouer la truie. Beaucoup d'ŽlŽments nous
Žchappent, notamment en matire de chronologie relative. Les lingots au type de
l'ŽlŽphant et de la truie datent de la premire moitiŽ du IIIe sicle ;
l'attestation du motif de la truie aux trente petits chez Lycophron est de datation
discutŽe (270 ou 197 au plus t™t). On ne peut donc pas exclure que le motif
lŽgendaire ait gŽnŽrŽ l'image de la truie comme emblme des citŽs latines, mais
il est Žgalement possible que le choix de l'animal mis en scne dans le rŽcit
traditionnel ne soit qu'une consŽquence de l'existence, indŽpendante de lui,
d'une truie comme emblme du Latium. Il semble difficile de fonder
objectivement un choix entre ces deux solutions.
Peu importe. L'essentiel pour nous est d'avoir dŽgagŽ l'importance du porcin et, aprs tout ce qui vient d'tre dit, on ne s'Žtonnera pas trop de voir l'animal-guide du folklore international incarnŽ dans le Latium par une truie.
[Retour]
L'habillage
romain ne porte pas uniquement sur la truie. Ds sa toute premire attestation
dans la tradition romaine, le motif folklorique de l'animal-guide, si courant
dans le lŽgendaire grec, se double d'un prodige, au sens technique du terme. Le
rŽcit ne se limite pas en effet, comme dans la plupart des exemples grecs, ˆ
Žvoquer un animal guidant une personne ou un groupe vers un emplacement
dŽterminŽ. Chez Lycophron dŽjˆ, la truie est accompagnŽe de trente gorets. Bien
sžr, le terme ÇprodigeÈ n'est pas prŽsent dans le texte de l'auteur grec, mais
un lecteur romain ne pouvait absolument pas s'y tromper. Il n'avait pas besoin
pour s'en convaincre du texte du De re rustica o Varron prŽcise que Ç si une truie a plus de
petits que ses mamelles ne peuvent en nourrir, il s'agit bien d'un prodige È (II, 4, 18) : pareille portŽe, tout
ˆ fait inhabituelle, est un signe prodigial. Ë Rome, le motif de la gŽsine
prodigiale vient donc se greffer, en le dŽpassant en quelque sorte, sur celui.
En forant un peu les choses, on irait jusqu'ˆ dire qu'en l'occurrence Rome ne
conna”t pas le motif de l'animal-guide, seul, ˆ l'Žtat pur.
C'est
tellement vrai que la gŽsine miraculeuse peut tre utilisŽe comme telle,
pourrait-on dire, en valeur de prodige, sans rŽfŽrence au motif de
l'animal-guide qui avait servi de point de dŽpart. C'est le cas chez Cassius
HŽmina o le miracle sert de caution ˆ un choix politique ; c'est un peu
le cas aussi au livre VIII de l'ƒnŽide
o la truie et sa portŽe sont d'abord et avant tout le signe sžr et certain que
les Troyens ont atteint la Terre Promise.
Cela
dit, un prodige doit tre interprŽtŽ, en lui-mme et dans ses ŽlŽments. Il peut
l'tre de plusieurs manires. Ce sera le cas du chiffre trente. On ne
s'Žtonnera donc pas qu'il ait reu une interprŽtation tant™t topographique (les
trente peuples du Latium), tant™t chronologique (trente annŽes sŽpareront la
fondation des deux citŽs primordiales du Latium). Deux interprŽtations
typiquement romaines.
Il
est difficile de savoir quelle est la plus ancienne, mais cela pourrait bien
tre la premire. C'est que cette vision d'ƒnŽe aux origines du nomen
Latinum, comme fondateur de l'ensemble des peuples du Latium, des triginta
populi Latini, est archa•que. Elle ne sera plus attestŽe sous cette forme
aprs Lycophron. Bien sžr le hŽros troyen sera toujours considŽrŽ comme le
grand anctre des Latins et des Romains, mais en tant que hŽros fondateur, il
ne sera plus mis en rapport qu'avec une seule citŽ, Lavinium, mme si - on l'a
vu - il avait un moment envisagŽ de fonder Albe, mme si des Žtats anciens
de la tradition en faisaient aussi le fondateur de Rome (notamment Hellanicos
de Lesbos, au Ve sicle avant JŽsus-Christ, chez D. H., I, 72, 2).
On
conoit que, dans un second temps, le chiffre trente du prodige ait pu tre
rŽinterprŽtŽ et qu'il ait renvoyŽ ˆ l'intervalle de temps sŽparant la fondation
de Lavinium de celle d'Albe. Ce n'est que progressivement en effet que s'est
mis en place dans la tradition romaine le cadre chronologique des trois citŽs
primordiales, ˆ savoir Lavinium, Albe et Rome.
Peut-tre
mme est-ce Virgile qui a mis le point final au systme, avec ce qu'on appelle
Ç la grande prophŽtie de Jupiter È, un texte cŽlbre du premier livre
de l'ƒnŽide, o le roi des dieux est censŽ expliquer ˆ VŽnus la destinŽe
des siens (Virg., ƒn., I, 254-279).
Aux
termes de cette prophŽtie, ƒnŽe, fondateur de Lavinium, gouvernera la ville
pendant trois ans. Ë sa mort, son fils Ascagne lui succŽdera : il rgnera
trente ans sur Lavinium, puis ira fonder Albe. Trois cents ans aprs, Romulus
fondera Rome. On nage dans l'arithmologie : l'addition de 3, de 30 et de
300 donne 333, un chiffre puissamment symbolique pour les Anciens ; cette
belle sŽrie arithmŽtique conduisait ˆ Romulus et ˆ Rome, dont le rgne sera
sans fin (imperium sine fine dedi). Ç Ces trois nombres, Žcrit J.
Perret (Virgile. ƒnŽide, I, 1977, p. 144, C.U.F.) dans
leur progression et dans leur somme symbolisent la durŽe illimitŽe o ils
aboutissent. È
Ainsi,
dans la prophŽtie de Jupiter, le chiffre 30 reprŽsente non pas l'intervalle
entre la fondation de Lavinium et celle d'Albe, mais le nombre d'annŽes pendant
lesquelles Ascagne, aprs la mort de son pre, a rŽgnŽ sur Lavinium qui avait
ŽtŽ construite par ƒnŽe lui-mme.
Virgile n'attribue donc pas ˆ Jupiter l'interprŽtation chronologique du
prodige des trente gorets qu'avaient donnŽe ses
prŽdŽcesseurs, une interprŽtation qu'il avait lui-mme utilisŽe dans la
prophŽtie du dieu Tibre (VIII, 47-48). Autre lŽgre Ç incohŽrence È donc ˆ
l'intŽrieur de l'ƒnŽide : la
prophŽtie du Tibre et celle de Jupiter ne co•ncident pas entirement. Jupiter
utilise le chiffre trente dans une optique diffŽrente du Tibre :
trois ans pour le rgne d'ƒnŽe ; trente ans pour celui d'Ascagne ;
trois cents ans pour celui des rois albains. Le chiffre trente pouvait donc
recevoir diverses interprŽtations, et la libertŽ des auteurs Žtait relativement
grande. En fait, les chiffres eux-mmes Žtaient souvent plus importants que
leur signification.
Mais,
pour en revenir ˆ la truie et ˆ ses gorets, pourquoi 30, et pas 20 ou 25 ?
Question difficile. On peut toutefois dire qu'il renvoie ˆ certaines rŽalitŽs.
La tradition nous apprend qu'il existait 30 peuples latins, et l'histoire que
Rome comportait 30 curies. C'est ce qui donne - on l'a dit - l'impression que
la version de Lycophron, liant la portŽe prodigiale aux 30 peuples latins, est
plus ancienne, et moins arbitraire que l'interprŽtation chronologique de la
vulgate, avec les 30 ans sŽparant la fondation de Lavinium de celle
d'Albe-la-Longue. Par rapport aux 30 citŽs latines de Lycophron, les 30 annŽes
de la vulgate ont tout l'air d'une rŽinterprŽtation.
RŽinterprŽtation dans laquelle d'ailleurs a pu jouer un modle homŽrique. Plusieurs Modernes en effet[22] rappellent ˆ ce propos le cŽlbre Žpisode d'Aulis (Hom., Iliade, II, 328), o le nombre d'animaux, prŽsents dans le prodige, est interprŽtŽ comme correspondant au nombre d'annŽes aprs lesquelles les choses devront se rŽaliser. Avant d'tre transformŽ en pierre, le serpent mange neuf passereaux : la mre et la couvŽe de huit. Calchas n'hŽsite pas : Ç Nous devons rester ˆ guerroyer un nombre tout Žgal d'annŽes, puis la dixime, nous prendrons la citŽ È.
[Retour]
Lavinium
et Albe, il en a dŽjˆ ŽtŽ question ˆ plusieurs reprises, sont deux importantes
mŽtropoles religieuses du Latium. En pleine Žpoque historique encore, Rome
allait y cŽlŽbrer des sacrifices particuliers, mettant en avant ses plus hautes
autoritŽs religieuses et politiques, d'une part dans le cŽrŽmonial des Feriae
Latinae, d'autre part dans ce qu'il est convenu d'appeler Ç le
plerinage ˆ Lavinium È. Ces cŽrŽmonies, qui sont en quelque sorte des
fossiles religieux, les historiens modernes ont pu les expliquer en montrant
que le mont Albain et Lavinium avaient l'un et l'autre jouŽ, dans la rŽalitŽ de
l'histoire, ˆ des moments et sous des formes diverses, un r™le de centre
fŽdŽrateur - religieux ou politique, voire les deux ˆ la fois - pour les
populations latines (cfr p. ex. J. Poucet, Albe
dans la tradition et l'histoire des origines de Rome, dans Fr. Decreus
& C. Deroux [ƒd.], Hommages ˆ Jozef
Veremans, Bruxelles, 1986, p. 238-258 [Collection Latomus, 193]).
Si,
revenant au motif de la truie prodigiale, on analyse les tŽmoignages conservŽs,
on constate que ce sont essentiellement ces deux centres qui sont liŽs au
prodige, Rome (avec Cassius HŽmina) et le Tibre (avec Virgile) ne jouant qu'un
r™le tout ˆ fait marginal. Mais cela dit, on constate aussi qu'Albe et Lavinium
ne sont manifestement pas sur le mme pied. Le tŽmoignage de Lycophon et celui
de Varron, qui, quelque deux sicles plus tard, vient le corroborer et le
complŽter, sont clairs. C'est sur le forum de Lavinium que se dressait une
statue de la truie et de ses petits ; c'est ˆ Lavinium que les prtres
montraient le corps de l'animal pieusement conservŽ dans la saumure. Et le fait
est que, dans la vulgate, c'est Lavinium qui triomphera comme citŽ d'ƒnŽe.
L'ancrage lavinate du motif est le plus solidement attestŽ.
Mais
il n'est pas possible de gommer l'existence d'un lien entre ƒnŽe, la truie aux
gorets et Albe. Ë une certaine Žtape de son Žvolution, la tradition aurait
effectivement connu un ancrage albain (l'animal-guide ÇmarquantÈ le mont Albain ;
ƒnŽe fondant ou envisageant de fonder Albe). Cet ancrage ne subsiste plus
directement que dans de rares passages, fragilisŽs d'ailleurs par une
transmission dŽlicate. Mais il est prŽsent indirectement dans la forme mlŽe de
la version canonique, o le prodige rŽfre ˆ la fois ˆ Lavinium et ˆ Albe. La
situation est bien rŽsumŽe par J.-Cl. Richard :
Ç Le thme de la truie miraculeuse se
caractŽrise [...] par son ambivalence (la gŽsine s'est produite sur le site de
la ville qu'il appartenait ˆ ƒnŽe de construire, mais la couleur de l'animal et
le nombre des porcelets font rŽfŽrence ˆ la fondation d'Albe) qui tient ˆ
l'existence dans le Latium des temps anciens de deux mŽtropoles religieuses,
l'une et l'autre associŽes, mais ˆ des degrŽs divers, ˆ la lŽgende des origines
troyennes. È (J.-Cl. Richard, OGR, p. 163, n. 1 ; C.U.F.).
On
pourrait mme aller plus loin et parler, pour Lavinium et Albe, de mŽtropoles
rivales. Cette rivalitŽ est attestŽe dans la tradition par l'Žpisode trs
caractŽristique des Ç statues baladeuses È dont nous n'avons pas
encore parlŽ. Denys d'Halicarnasse le racontera en dŽtail[23] (I,
67), mais il se trouvait attestŽ par d'autres textes. L'affaire concerne les
PŽnates, qui, depuis ƒnŽe, Žtaient liŽs ˆ Lavinium. Lorsque Ascagne, qui venait
de fonder Albe, voulut transporter leurs statues dans la ville nouvelle, elles
refusrent tout net de quitter Lavinium. Voici le rŽsumŽ que l'Origo gentis Romanae donne de
l'Žpisode :
OGR, XVII, 2-3
Les statues des dieux pŽnates qu'il [= Ascagne] y
[= ˆ Albe] transporta apparurent le lendemain ˆ Lavinium. RapportŽes ˆ Albe et
entourŽes de je ne sais combien de gardes, elles regagnrent une nouvelle fois
Lavinium, leur ancienne rŽsidence. (3) Aussi personne n'osa-t-il les dŽplacer
une troisime fois, comme il est Žcrit dans les Annales des Pontifes (livre quatre), chez Cincius[24] et chez CŽsar[25] (livre deux
pour chacun) ainsi que chez TubŽron[26] (livre
un). (trad. J.-Cl. Richard, C.U.F.)
Ç Miracle È, Žcrira J.-Cl. Richard dans son commentaire, qui Ç souligne la vocation religieuse de Lavinium ainsi promue au rang de ville sainte È, et qui, ˆ nos yeux, tŽmoigne dans une autre perspective de la tension entre les deux mŽtropoles. Selon nous, la tentative - avortŽe - de dŽplacer les PŽnates troyens de Lavinium ˆ Albe est ˆ mettre sur le mme pied que la tentative de remplacer l'ancrage lavinate par un ancrage albain. Dans le cas de la truie, on ne peut toutefois pas parler d'Žchec complet ; soucieuse d'harmonisation, la vulgate accueillera en effet les deux formules, puisque le prodige sera censŽ porter ˆ la fois sur Lavinium et sur Albe.
[Retour]
Revenons ˆ Virgile pour cl™turer cet exposŽ.
L'Žpisode de la truie aux trente gorets qui figure
ˆ trois reprises dans l'ƒnŽide trouve
indiscutablement son origine dans le motif folklorique de l'animal-guide,
solidement attestŽ dans le lŽgendaire grec qui l'a transmis ˆ Rome.
Toutefois le motif appara”t chez Virgile
profondŽment transformŽ et, sans le tŽmoignage des prŽdŽcesseurs et des contemporains
du pote, il serait mme trs difficile d'en retrouver l'origine et d'en
comprendre l'Žvolution en milieu romain. Ceux-ci avaient dŽjˆ introduit la
truie, et avaient dotŽ l'animal d'une portŽe hors-normes de 30 petits, ce qui
mettait en valeur la notion bien romaine de Ç prodige È et laissait
la voie libre ˆ l'interprŽtation du chiffre 30. Dans l'ensemble, ils avaient
toutefois conservŽ une caractŽristique essentielle du motif folklorique, ˆ
savoir son dynamisme : l'animal se dŽplaait et marquait, d'une manire ou
d'une autre, l'emplacement choisi par les dieux pour la fondation de la
ville. Il s'agissait tant™t d'Albe, tant™t de Lavinium, tant™t des deux citŽs.
Seul Cassius HŽmina se singularisait : chez lui, le prodige n'avait plus
de rapport direct avec l'emplacement o devait surgir une ville ; il se
produisait ˆ Rome et servait ˆ sanctionner religieusement un projet politique.
Par rapport ˆ ces versions prŽ- et
pŽrivirgiliennes, la vision de Virgile est originale ˆ plus d'un titre. D'abord
en ce qu'elle situe sur la rive du Tibre. En effet, le prodige se prŽsente ˆ
ƒnŽe lors du voyage que le hŽros entreprend en remontant le fleuve de son
embouchure vers PallantŽe. Autre nouveautŽ (partielle celle-lˆ, car Virgile
vient aprs Cassius HŽmina), la vision est statique. La truie, qui a dŽjˆ mis
bas, est entourŽe de ses trente petits. Par ailleurs, elle ne vient pas de
Troie, elle n'a pas ŽchappŽ au couteau du sacrificateur. ƒnŽe la dŽcouvre au
dŽtour de la route, mais il la sacrifiera, avec toute sa portŽe.
Fondamentalement le prodige ne signale pas l'endroit prŽcis d'une fondation ;
il dŽlivre un message et sanctionne un fait : les Troyens sont enfin
arrivŽs au terme de leur voyage ; ils pourront Žtablir leur demeure dans
la rŽgion et y installer leurs PŽnates. En fait toute rŽfŽrence ˆ une fondation
n'a toutefois pas disparu. La prŽsence des trente gorets et la couleur blanche
(sur laquelle le texte insiste) annoncent le surgissement, trente ans plus
tard, de la ville d'Albe-la-Longue.
Virgile a donc jouŽ avec un motif trs ancien dont
on conna”t maintenant la mallŽabilitŽ. Mais s'il a, ˆ son habitude, pris
beaucoup de libertŽ avec le point de dŽpart, il a toutefois su conserver une
partie importante du message traditionnel : un prodige animal, annoncŽ par
un oracle, marque ˆ la fois le terme dŽfinitif du voyage et la fondation d'une
ville, en l'occurrence Albe.
[Retour]
[13] Par
exemple W. Patterson Garrigus, Livestock and Poultry Farming, dans The
New Encyclopaedia Britannica. Macropaedia, Chicago, Londres, t. 10, 1977,
p. 1281.
[14] A. Sorlin Doriginy, Rustica res,
dans C. Daremberg, E. Saglio, E.
Pottier [ƒd.], Dictionnaire des antiquitŽs grecques et romaines,
Paris, t. 4, 1911, p. 899-927 ; la citation provient de la page 927.
[16] G. DumŽzil,
La religion romaine archa•que, Paris, 1974, p. 58 (Bibliothque
historique Payot).
[17] E.
Mayer, Das Sauprodigium und sein religionsgeschichtlicher Hintergrund,
dans Acta
Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae, t. 16, 1968, p. 197-208.
[18] Cl.
LŽvi-Strauss, Totem et caste, dans La pensŽe sauvage, Paris, 1962 ;
R. & L. Makarius, L'origine de l'exogamique et du totŽmisme,
traduction franaise, Paris, 1961.
[19] Callu
J.-P., ƒlŽphants et cochons : sur
une reprŽsentation monŽtaire d'Žpoque rŽpublicaine, dans L'Italie prŽromaine et la Rome rŽpublicaine.
MŽlanges offerts ˆ Jacques Heurgon, I, Rome, 1976, p. 89-99. (Collection de
l'ƒcole franaise de Rome, 27), en l'espce p. 89.
[20] Cfr
par exemple ƒlien, Nat. anim., I, 38, et, pour un stratagme analogue utilisŽ
par les MŽgariens pour repousser les MacŽdoniens, ƒlien, Nat. anim.,
XVI, 36.
[21] J.-P.
Callu, ƒlŽphants et cochons, 1976, Žvoquant les positions, qui ne sont pas
toutes identiques d'ailleurs, de A. Alfšldi, Timaios' Bericht Ÿber die
AnfŠnge der GeldprŠgung in Rom, dans
Mitteilungen des Deutschen ArchŠologischen Instituts (Ršmische Abteilung), 1961,
p. 72 ; de H. Zehnacker, Moneta. Recherches sur l'organisation et l'art
des Žmissions monŽtaires de la RŽpublique romaine (289-31 av. J.-C.), I, Rome, 1973, p.
204-222 (Bibliothque des ƒcoles franaises
d'Athnes et de Rome, 222) ; de H. H. Scullard, The Elephant in the Greek
and Roman World, Londres, 1974, p. 101-119 (Aspects of Greek and Roman
Life).
[22] Le
dernier en date Žtant E. Mayer, Sauprodigium, 1968, p. 202, n. 17, mais
on verra aussi B. Rehm, Das geographische Bild des
alten Italien in Vergils Aeneis, Leipzig, 1932, p. 48, n. 103 (Philologus.
Supplementband, 24, 2).
[23] Cfr
aussi Valre-Maxime (I, 8, 7): Referam nunc...
penetrales deos Aeneam Troia aduectos Lauinii collocasse: inde ab Ascanio filio
eius Albam, quam ipse condiderat, translatos pristinum sacrarium repetisse
et... relatos Albam uoluntatem suam altero transitu significasse.
[24] Probablement
(pour J.-Cl. Richard, Pseudo-AurŽlius
Victor. Les origines du peuple romain, Paris, 1983), dans son commentaire ad locum) L. Cincius Alimentus, un
annaliste qui vivait ˆ l'Žpoque de la deuxime guerre punique et qui, comme son
prŽdŽcesseur Fabius Pictor, Žcrivait encore en grec.
[25] Probablement
(pour J.-Cl. Richard, OGR, dans son
commentaire ad locum) le consul de 64 avant JŽsus-Christ.
[26] Probablement (toujours pour J.-Cl. Richard, OGR, dans son commentaire ad locum) l'annaliste Q. Aelius TubŽro, dont les Historiae sont sans doute postŽrieures aux annŽes avant JŽsus-Christ.
[Retour]
FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 7 - janvier-juin 2004