FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 7 - janvier-juin 2004


L'image du labyrinthe dans l'Enfer de Dante [1]

par

Charles Doyen

Étudiant de licence en langues et littératures classiques
Université de Louvain (Louvain-la-Neuve)


Le travail ci-dessous, réalisé à Louvain-la-Neuve sous la direction du Professeur Paul-Augustin Deproost, a été présenté en janvier 2004 dans le cadre du cours de Typologie et permanence des imaginaires mythiques dont le thème était cette année-là le labyrinthe.

Cinq autres travaux, liés à ce même cours, ont déjà été publiés dans les Folia Electronica Classica : quatre dans le fascicule 4 (2002) et un dans le fascicule 5 (2003).

[Note de l'éditeur - mars 2004]


Plan


A. Introduction 

Nel mezzo del camin di nostra vita,
mi ritrovai per una selva oscura,
ché la diritta via era smarrita.
(Inf., I, 1-3)

« Au milieu du chemin de notre vie
je me retrouvai par une forêt obscure
car la voie droite était perdue. 
» [2]

 

Désespoir. La nuit du Jeudi au Vendredi Saint de l’an 1300 [3], Dante se retrouve seul, perdu dans « un lieu effroyable, sauvage et âpre et rude » [4]. Ainsi s’ouvre la divine Comédie.

Bientôt se lèvera l’aube, et l’illusion d’avoir retrouvé un droit chemin vers la colline qui se dresse au loin. Bientôt trois fauves se feront menaçants et annihileront ce frêle espoir.

Pleurs et désolation. Alors surgit l’ombre du Mantouan, Virgile, à la fois « maître et auteur » (Inf., I, 84). Celui-ci conseille et rassure : « il te convient d’aller par un autre chemin (…) si tu veux échapper à cet endroit sauvage » (Inf., I, 91 et 93). Le chemin vers la perfection passe par les souffrances de l’Enfer et la rédemption du Purgatoire : il faudra vaincre l’infâme vallée et escalader la montagne escarpée avant d’avoir accès au Paradis. Dante accepte, pourvu que l’auguste poète lui serve de guide.

Allor si mosse, e io li tenni dietro. (Inf., I, 136)

« Alors il s’ébranla, et je suivis ses pas. »

Nous voici au seuil d’un voyage initiatique. Nous tenterons de suivre Virgile et Dante durant leur voyage infernal, parcourrons des voies inconnues des mortels et tâcherons de percer le secret de l’immonde labyrinthe qui mène au cœur de la terre, jusqu’à « l’affreux ver qui perce le monde. » (Inf., XXXIV, 108)

Nous analyserons dans un premier temps le trajet que suivent les deux poètes pour parvenir à Lucifer, ainsi que les figures liées au mythe antique du Labyrinthe qu’ils rencontrent en chemin. Nous nous attacherons ensuite à  décrypter le symbole - universellement répandu - du labyrinthe et à comprendre son rôle dans les voyages initiatiques. Cette étape nous mènera tout naturellement à nous pencher sur l’Énéide - en particulier sur le chant VI - et à décrire les rapports que la divine Comédie entretient avec l’œuvre de Virgile. Il faudra alors nous intéresser à l’image du labyrinthe à l’époque de Dante, en étudiant notamment les labyrinthes d’église. Finalement, nous proposerons une interprétation personnelle de l’Enfer basée sur une relecture du mythe antique du Labyrinthe.

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B. Sur les traces de Virgile et Dante

1. Itinéraire

L’Enfer se présente comme un gigantesque entonnoir dirigé vers le centre de la terre. Il est formé de neuf cercles concentriques, divisés en deux parties : le haut Enfer (cercles I à V) et la cité de Ditè [bas Enfer] (cercles VI à IX). Dans ces cercles sont châtiés les pécheurs, qui reçoivent une peine proportionnelle à leurs fautes et conforme à la loi du talion. Chaque cercle est gardé par un démon et accueille une catégorie spécifique de pécheurs.

Virgile et Dante, dès leur entrée dans l’Enfer, traversent le premier cercle (les limbes), où sont enfermés les esprits vertueux n’ayant pas reçu le baptême. Il traversent ensuite [5] le deuxième cercle, celui des Luxurieux. Au troisième cercle (Gourmands), ils tournent à main gauche et parcourent une certaine distance. Il traversent le quatrième cercle (Avares et Prodigues) et tournent à main gauche au cinquième cercle (le Styx, où sont plongés les Coléreux). Ils parcourent une certaine distance sur la barque de Phlégias et se dirigent vers les portes du bas Enfer, vers la cité de Ditè.

Après avoir franchi, non sans peine, les dites portes, ils prennent à main droite, longent durant un certain temps les tombeaux où sont enfermés les Hérétiques et coupent finalement ce cercle pour descendre la falaise qui sépare le sixième et le septième cercle. Le septième cercle, où sont châtiés les Violents, est divisé en trois girons concentriques : les deux poètes les traversent et parviennent à un abîme. Le huitième cercle, Malebolge, se trouve en contrebas et est formé de dix bolges concentriques : en ce lieu, les Fraudeurs expient leurs fautes. Tournant à gauche, Virgile et Dante longent quelque temps le premier bolge. Ils trouvent une série de ponts qui permettent de traverser les fossés : ils empruntent les trois premiers ponts, en s’arrêtant chaque fois au sommet de l’arche pour contempler le fossé qu’ils surplombent. Après le troisième pont, il font un crochet sur la gauche pour interroger le pape Nicolas III ; ils s’en retournent ensuite et franchissent le quatrième et le cinquième pont. Le sixième pont fut brisé lors du tremblement de terre qui suivit la mort du Christ : Virgile et Dante doivent donc tourner à gauche et longer le sixième bolge jusqu’à ce qu’ils trouvent un éboulis permettant de traverser le fossé ; après quoi, ils tournent encore à gauche et longent le septième bolge jusqu’au pont que leur a indiqué une âme bien intentionnée. Ils franchissent alors les septième, huitième, neuvième et dixième bolges et parviennent à un puits entouré de géants. Ils longent le puits sur la gauche et descendent, avec l’aide d’Antée, dans le neuvième et dernier cercle de l’Enfer, celui des Traîtres, qui est divisé en quatre zones concentriques : la Caïna, l’Antenora, la Tolemea et la Giudecca. Les poètes traversent ce cercle et parviennent jusqu’à Lucifer, qui occupe à la fois le centre de l’Enfer et celui de la Terre. Virgile prend Dante sur son dos, agrippe les poils du monstre et entame la descente. Lorsqu’ils parviennent aux hanches du monstre, Virgile se retourne et se met à monter : ils ont dépassé le centre de la terre et se trouvent dans l’hémisphère austral.

Ils remontent à la surface en suivant un sombre chemin, creusé par le Léthé. Ils parviennent enfin à la surface de l’hémisphère austral, sous les étoiles, au pied de la montagne du Purgatoire.

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2. Figures mythiques

Minos, roi de Crète, qui, après sa désobéissance envers Poséidon, avait à la fois donné naissance au Minotaure et fait enfermer le monstre dans un Labyrinthe, est la première figure mythique que les poètes rencontrent dans leur infernal voyage. Juge des âmes dans l’Hadès des Anciens, il est, dans la divine Comédie, le démon qui décide du châtiment qu’encourront les âmes des pécheurs ; il siège à l’entrée du deuxième cercle :

« Minos s’y tient, horriblement, et grogne :
il examine les fautes, à l’arrivée,
juge et bannit suivant les tours.
J’entends que quand l’âme mal née
vient devant lui, elle se confesse toute :
et ce connaisseur de péchés
voit quel lieu lui convient dans l’enfer ;
de sa queue il s’entoure autant de fois
qu’il veut que de degrés l’âme descende.
Elles se pressent en foule devant lui,
et vont l’une après l’autre au jugement : 
elles parlent, entendent et tombent. »
(Inf., V, 4-15) [6]

Thésée, héros athénien qui a jadis brisé les verrous des enfers et tenté, en compagnie de Pirithoüs, d’enlever Proserpine, est évoqué par les Erinyes qui défendent les portes du bas Enfer :

« ‘Que Méduse vienne : nous le pétrifierons,
toutes’, disaient-elles en regardant vers le bas,
‘nous avons mal vengé l’attaque de Thésée.’ » (Inf., IX, 52-54) [7]

Le troisième protagoniste n’est autre que le Minotaure, gardien peu commode du septième cercle :

« Et sur le bord de la roche effondrée
l’infamie de Crète était vautrée,
celle qui fut conçue dans la fausse vache ;
quand il nous vit, il se mordit lui-même,
comme quelqu’un qui est rongé par la colère.
Mon maître lui cria : ‘Tu crois peut-être
qu’ici se trouve le roi d’Athènes,
qui te donna la mort sur terre ?
Va-t’en, bête, cet homme-ci ne vient pas
avec les leçons de ta sœur,
mais il s’en va pour voir vos peines.’
Tel le taureau qui rompt ses liens
quand il a déjà reçu le coup mortel,
et ne sait plus marcher, mais sautille çà et là,
ainsi je vis sauter le Minotaure ;
et mon maître avisé s’écria : ‘Cours à la brèche ;
pendant qu’il rage, il est bon de descendre.’ »
(Inf., XII, 11-27)

Un peu plus loin, quand il faut sortir du septième cercle et franchir, sur le dos de Géryon, le précipice qui le sépare du huitième, c’est Dante lui-même qui évoque Icare :

« Je ne crois pas que la peur fut plus grande,
quand Phaëton abandonna les rênes,
ce qui brûla le ciel, comme on le voit encore ;
ni quand le malheureux Icare sentit ses reins
se déplumer, tandis que s’échauffait la cire,
et que son père criait : ‘Tu fais fausse route !’,
que ne fut ma frayeur quand je vis que j’étais
dans l’air de tous côtés, et que s’était éteinte
toute autre vue que celle de la bête. »
(Inf., XVII, 106-114) 

La fuite de Dédale, enfin, est évoquée dans le dixième bolge du neuvième cercle par un alchimiste d’Arezzo. C’est la dernière allusion au mythe du Labyrinthe dans l’Enfer ; on trouve, dans cette même réplique - chose remarquable - une référence à un « fils » et à Minos :

« ‘Je fus d’Arezzo, et Albert de Sienne’,
répondit l’un d’eux, ‘me fit mettre au feu
mais tu me vois ici pour autre chose.
Je lui dis, il est vrai, en parlant par jeu :
"Je saurais m’élever dans l’air en volant" ;
et lui, qui était curieux, et peu sensé,
voulut que cet art lui fût enseigné ; et comme
je ne fis pas de lui un autre Dédale,
il me fit tuer par qui l’aimait comme son fils.
Mais à la dixième des dix bolges
pour l’alchimie que j’exerçai sur terre,
Minos me condamna, qui ne peut se tromper.’ »
(Inf., XXIX, 109-120)

Ce n’est qu’au Purgatoire que nos poètes entendent parler de Pasiphaé : dans la septième corniche, deux troupes de Luxurieux, qui se purifient, les premiers pour avoir violé la loi naturelle, les seconds pour l’avoir excédée ou pervertie, se croisent et se saluent :

« Dès que cesse leur accueil affectueux,
avant que leur premier pas les sépare,
chacune d’elles s’écrie de toutes ses forces :
la nouvelle troupe : ‘Sodome et Gomorrhe !’
et l’autre : ‘Pasiphaé entre dans la vache
pour que le taureau courre à sa luxure. »
(Purg., XXVI, 37-42)

Reste Ariane, la traîtresse trahie, qui n’est pas nommée dans la Comédie. Elle y apparaît pourtant à deux reprises : une première fois, dans l’Enfer, où elle est désignée comme étant la sœur du Minotaure (Inf., XII, 20; cfr supra) ; une seconde fois, dans le Paradis, où elle est appelée « fille de Minos » (Par., XIII, 14).

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3. La Crète

Le berceau de Zeus occupe une place centrale dans l’Enfer. Le vieillard qu’elle abrite - métaphore de l’humanité - figure la décadence progressive des sociétés humaines et donne naissance aux fleuves infernaux. Au cœur de l’Enfer, Virgile décrit à Dante cette île, située au cœur du monde connu [8] :

« ‘Au milieu de la mer est un pays détruit’,
dit-il alors, ‘qui s’appelle Crète,
et sous son roi le monde jadis fut innocent.
Une montagne s’y trouve, autrefois riante
d’eaux et de plantes, qui avait pour nom Ida,
déserte à présent, comme chose passée.
Rhéa la choisit autrefois pour berceau
de son enfant, et pour mieux le cacher
quand il pleurait, elle y faisait pousser des cris.
Debout dans la montagne est un grand vieillard,
qui tourne le dos à Damiette
et regarde Rome, comme son miroir.
Sa tête est façonnée d’or fin,
ses bras et sa poitrine sont en pur argent,
puis il est de bronze jusqu’à la fourche ;
de là jusqu’en bas il est de fer trempé,
sinon que son pied droit est de terre cuite ;
et il s’appuie sur celui-là plus que sur l’autre.
Chaque partie, à part l’or, est percée
d’une blessure par où coulent des larmes,
lesquelles, en s’amassant, trouent cette grotte.
Leur cours descend de roche en roche dans la vallée ;
elles forment l’Achéron, le Styx, le Phlégéton ;
puis elles s’en vont en bas par un étroit canal,
jusqu’à ce point d’où on ne descend plus,
elles forment le Cocyte ; et quel est cet étang,
tu le verras, n’en parlons pas ici.’ »
(Inf., XIV, 94-120)

Qui a bien lu l’Enfer remarquera que les allusions au mythe antique du Labyrinthe se situent toujours à des endroits-clefs de ce cantique. L’image du labyrinthe constitue d’ailleurs un filigrane remarquable de toute la divine Comédie. En conséquence de quoi, il nous semble opportun de pousser plus loin l’analyse de ce thème.

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C. Le labyrinthe, parcours initiatique universel

J. Attali (1996), dans une étude sur l’image du labyrinthe dans les sociétés humaines, distingue quatre significations fondamentales de ce symbole (J. Attali, p. 65-68) :

1. la mort et le voyage vers l’au-delà ;

2. [par un « glissement naturel »] la traversée d’une épreuve par un individu ou une collectivité ;

3. [de là] une initiation, consciente ou inconsciente ;

4. [enfin] une résurrection, une renaissance.

Notons que J. Attali élabore son modèle explicatif à partir de civilisations totalement différentes ; la définition à laquelle il aboutit se veut dès lors universelle : « tous les mythes du labyrinthe racontent d’une façon ou d’une autre cette quadruple histoire : un voyage, une épreuve, une initiation et une résurrection » (J. Attali, p. 67).

R. Guénon (1962, p. 195-199) propose une autre définition et discerne une double fonction pour le labyrinthe - dans un contexte chrétien du moins. D’abord, « le labyrinthe permet ou interdit, selon les cas, l’accès à un certain lieu où tous ne doivent pas pénétrer indistinctement » (R. Guénon, p. 195) : le labyrinthe sert de sélection. Ensuite, le point central du labyrinthe, l’aboutissement final, est une « Terre Sainte » (au sens initiatique du terme) : le labyrinthe est un pèlerinage [9] vers la Jérusalem céleste, la « caverne », où aura lieu l’initiation. Nous préférons néanmoins, dans le cadre de l’Enfer, la lecture de J. Attali, qui ne sépare pas le voyage et l’initiation.

Nous disposons donc d’une quadruple grille de lecture pour analyser le voyage de Dante dans le premier « monde » de l’au-delà :

1. la mort et le voyage vers l’au-delà : Dante suit les traces de Virgile - et celles du Christ - ; il suit également le trajet de tout pécheur après sa mort. Le poète privilégié est d’ailleurs appelé à témoigner de ce qu’il aura vu, du voyage de la mort. Ceci constitue la lecture au premier degré de la divine Comédie ;

2. la traversée d’une épreuve : le labyrinthe infernal est déjà une épreuve en soi. Sans guide, Dante aurait été condamné à demeurer dans la forêt obscure ou à ne jamais retrouver son chemin dans l’Enfer. Par ailleurs, le voyage est truffé d’embûches que Virgile tente, tant bien que mal, de déjouer (la mauvaise volonté ou la rage des gardiens des cercles infernaux ; les portes closes de Ditè ; les évanouissements de Dante ; les passages escarpés où Virgile doit porter Dante ; les mensonges de Malacoda ; …) ;

3. l’initiation est une caractéristique constante - et, d’ailleurs, le but avoué - du voyage de Dante dans l’Enfer : le poète doit être initié pour pouvoir, à son tour, enseigner aux hommes. Le centre du labyrinthe infernal, Lucifer, n’est que la clef de voûte qui permet de structurer ce qui fut révélé à Dante tout au long de sa descente, tantôt par son patient guide et par les esprits damnés qu’il interrogeait, tantôt par tout ce qu’il a pu voir et sentir. 

4. la renaissance, enfin, se trouve au bout du chemin. Un homme qui a dû traverser à la fois une grotte, un labyrinthe et le royaume de la mort ne peut sortir de cette triple expérience d’engloutissement sans être profondément changé. Il renaît à lui-même, il renaît également à un nouveau monde, en s’extrayant de la terre « par un pertuis rond » et en découvrant les étoiles (Inf., XXXIV, 138-139).

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D. La descente d’Énée aux enfers

1. Virgile et Dante

Virgile, le monument de la littérature latine [10], le chantre de l’Empire naissant, l’émule d’Homère, occupe une grande place dans la littérature du Moyen Age (L. Gillet, 1965, p. 80-84). Nombre d’auteurs virent en lui un précurseur du christianisme, un poète inspiré par la divine providence mais ignorant - hélas ! - le salut apporté par le Christ.

Chez Dante, le Mantouan fait figure d’éternel exilé de l’au-delà. Relégué dans les limbes, il ne pourra jamais accéder au Paradis. L. Gillet (p. 83) a remarqué, à juste titre, que Virgile occupe, aux portes de l’Enfer, la même position que Dante en Italie : de même que Virgile ne pourra pas accéder au Paradis, le Florentin passera les vingt dernières années de sa vie en exil et ne reverra jamais sa chère cité. Identification symptomatique : les œuvres des deux bannis doivent être en étroite corrélation…

Certes, comme le fait remarquer L. Gillet : « rien ne ressemble moins à l’Énéide que la divine Comédie. Il y a de l’une à l’autre les mêmes différences que d’un temple gréco-romain à une cathédrale gothique. Dante lui-même s’en rend compte, et c’est ce qu’il exprime par le titre de son poème ; il lui donne le nom de Comédie (…), et réserve le nom de Tragédie au poème de Virgile. Il entend par là une différence de style et de tonalité » (L. Gillet, p. 86). Le lecteur attentif du chant VI de l’Énéide ne manquera cependant pas de repérer quelques ressemblances frappantes avec l’Enfer ; de plus, l’hésitation que formule Dante avant de pénétrer dans le gouffre infernal nous semble être un premier indice de l’influence que l’Énéide a exercée sur la Comédie :

« Mais moi, pourquoi venir ? qui le permet ?
Je ne suis ni Énée ni Paul ;
ni moi ni aucun autre ne m’en croit digne. »
(Inf., II, 31-33)

2. L’Énéide

J. Thomas (1984) et G. Cretia (1997) ont tous deux mis en évidence la portée initiatique de l’Énéide. Dans cette perspective, la descente d’Énée aux enfers, au sixième chant, constitue une étape, un épisode du Voyage initiatique.

J. Thomas s’attarde sur le thème du voyage et voit en l’Énéide à la fois le récit du voyage d’un homme, d’est en ouest - comme tous les grands voyages initiatiques en occident - et d’un voyage intérieur où le héros subit une préparation préliminaire (chants I à IV), reçoit des révélations surnaturelles (chants V à VIII) et communique aux autres la Révélation (chants IX à XII). Le sixième chant se situe dans le cycle des Révélations, il clôt également la « petite Odyssée » d’Énée et de ses compagnons : il est le chant des promesses. Le douzième chant se situe par contre dans le cycles des Réalisations et clôt la « petite Iliade » : les promesses vont devenir concrètes, le futur est assuré. La position stratégique du sixième chant dans l’Énéide nous invite à accorder beaucoup d’importance à la descente aux enfers qui y est relatée : au cœur de l’œuvre se situe le cœur de l’initiation.

G. Cretia, quant à elle, retrouve dans l’Énéide les trois « paliers initiatiques » universels : (1) l’initiation de maturité (ou de puberté) ; (2) l’initiation d’accès aux sociétés secrètes ; (3) l’initiation à la fonction de chef suprême (ou de chaman). Pour passer du statut de iuuenis (G. Cretia, p. 41-42) au degré d’initiation suprême et franchir ainsi les trois « paliers », Énée devra affronter les épreuves typiques : séparation brutale d’avec son habitat normal, résistance (au feu, à l’eau, au sommeil, …), ascèse sexuelle et alimentaire, voyage dans l’au-delà de par des itinéraires labyrinthiques, combat contre un monstre et enfin mort initiatique. G. Cretia souligne par ailleurs que « le point fort de cette initiation est constituée par la Catabase du sixième chant » (G. Cretia, p. 39) : nous retrouvons les enfers comme lieu d’initiation par excellence.

3. Le sixième chant

La catabase d’Énée vers un lieu d’initiation est, à n’en pas douter, un endroit-clef de l’œuvre. De plus, lors de cette étape initiatique, Énée ne se situe - pour reprendre l’expression utilisée par G. Cretia [11] - que nel mezzo del camin : l’exilé de Troie et le futur exilé de Florence, avant leur descente aux enfers, se trouvaient tous deux dans le même état. Voici un indice supplémentaire qui nous pousse à relire le sixième chant de l’Énéide en ayant à l’esprit les traits caractéristiques de l’Enfer.

Comme l’Enfer, le sixième chant de l’Énéide est un chemin initiatique. P.-A. Deproost (2002) a suivi pas à pas ce chemin et en a dégagé les différentes étapes. Nous prendrons appui sur son analyse pour montrer en quoi la catabase de Dante est un voyage initiatique et dans quelle mesure elle est inspirée de l’épopée virgilienne.

P.-A. Deproost (p. 211) note tout d’abord que, contrairement aux autres héros qui ont violé le royaume de Pluton, « Énée y pénètre accompagné, ou mieux, précédé d’un guide, la Sibylle ». En effet, à l’instar du bon Virgile pour Dante, la docte prêtresse accompagne et guide Énée en toutes circonstances, le presse lorsque la curiosité l’attarde auprès d’une âme damnée [12], lui explique l’architecture infernale [13] et, comme Virgile, jouera un rôle de moins en moins actif au fur et à mesure que le futur initié se montrera actif.

Autre point commun : les préliminaires au voyage. Si les préparatifs au voyage initiatique d’Énée sont clairement exprimés (la recherche du rameau d’or, les funérailles de Misène, le sacrifice aux dieux infernaux), ceux de Dante sont plus dissimulés : il s’agit de la peur, du désespoir, de la remise en question et de la confiance absolue en son guide.

Par ailleurs, le cadre et l’ambiance sont similaires : de part et d’autre, nous retrouvons une caverne taillée dans le roc, ainsi qu’une forêt effrayante, de part et d’autre, une puanteur se dégageant du gouffre des enfers et une absence totale de lumière jusqu’au lieu d’initiation.

Ensuite, le but est identique : tendre vers le lieu le plus reculé, le plus périlleux à atteindre pour pouvoir être initié totalement. Ici, les deux épopées se distinguent. Énée est principalement initié dans la grotte des Champs Elysées [14], d’abord au moyen d’un dialogue avec son père Anchise, au sujet du sort des âmes après la mort, ensuite par un long monologue d’Anchise traitant de la future nation romaine ; durant toute l’initiation, la Sibylle reste muette. Dante, par contre, est initié tout au long de sa descente par son guide et maître, Virgile, ainsi que par les damnés [15] : il apprendra ainsi à la fois l’ordonnance des enfers et le destin de Florence (et, par la même occasion, le sien) et ne recevra dans la caverne située sous Lucifer que l’ultime révélation, le dernier renseignement qui lui permettra de comprendre l’agencement général de l’Enfer [16]. Remarquons au passage que l’analyse que R. Guénon propose pour le labyrinthe, si elle ne s’accordait pas avec l’Enfer, convient fort bien dans le cadre du sixième chant de l’Énéide : en effet, en ce cas, le labyrinthe sélectionne les candidats à l’initiation et seuls ceux qui ont réussi cette épreuve ont accès à la Caverne où a lieu l’initiation [17].

La mort symbolique [18] vécue par Énée et Dante est relativement proche : le premier meurt à sa condition de Troyen pour renaître Romain, le second meurt à sa condition de Florentin pour renaître exilé. Les connotations attachées à ses deux morts sont évidemment antithétiques : Énée vit sa renaissance de manière optimiste, Dante meurt de façon pessimiste, marri de ne plus pouvoir revoir sa chère Florence. Il nous faut noter le rôle important que joue, chez Dante, la différence entre le temps d’écriture et le temps d’action. Lorsque Dante entreprend de rédiger la Comédie (c. 1307), il est exilé depuis environ cinq ans ; cependant, il situe son récit en 1300, soit deux ans avant son exil. Ainsi, les damnés ont tout le loisir de lui dévoiler son avenir et lui-même, de se préparer à sa triste mort. Ainsi, la mort initiatique de Dante ne se situe-t-elle pas tant en 1300, dans le récit, au sortir des enfers, que deux ans plus tard, dans sa propre vie, quand il est privé de sa Florence. La divine Comédie pourrait être un moyen pour Dante de conjurer son sort et d’accepter son douloureux deuil.

Le rôle de l’initié, enfin, est envisagé différemment dans l’Énéide et dans la divine Comédie : alors qu’Énée est - par volonté divine (Aen., VI, 368-370 et 533) - initié au destin de Rome afin d’être lui-même convaincu de l’importance de sa mission et de ne pas renoncer avant d’avoir amené les Pénates de Troie en terre italienne, Dante se trouve - également par volonté divine [19] - dans l’au-delà afin de relater, lors de son retour dans le monde des vivants, ce qu’il aura vu dans les contrées des morts. Pour pouvoir mener à bien sa mission, Dante prend de nombreuses notes [20] et les mises en exergue sont légion [21]. Dante est l’homme qui peut rendre célèbre les damnés [22] et doit prévenir les vivants du sort qui les attend [23] : il est l’Initié, l’intermédiaire entre les morts et les vivants.

Le mythe du Labyrinthe, qui plus est, sert également de fil d’Ariane au sixième chant de l’Énéide. Il suffit, pour s’en convaincre, de contempler avec les Troyens le temple d’Apollon à Cumes - œuvre réalisée par Dédale en exil - et de s’intéresser aux sculptures qui ornent ses portes : l’ingénieux artisan y a représenté toute son histoire, en n’omettant aucun détail, hormis la chute d’Icare. Ainsi, au milieu de l’Énéide, avant de pénétrer, avec Énée, dans le redoutable royaume de Pluton, le lecteur aperçoit d’une part le meurtre d’Androgée et la désignation de sept victimes expiatoires, d’autre part l’union de Pasiphaé avec le taureau de Poséidon, la naissance du Minotaure, la construction du Labyrinthe, le fil d’Ariane et la victoire de Thésée sur le monstre [24]. Dans les enfers, Énée rencontre d’ailleurs plusieurs protagonistes du mythe antique que Dante verra, quelque deux millénaires et demi après lui, notamment le terrifiant juge Minos (Aen., 431-433), la luxurieuse Pasiphaé (Aen., 431-447) et l’intrépide Thésée [25]. Enfin, le parcours qu’Énée doit accomplir pour accéder aux Champs Elysées est extrêmement labyrinthique [26] : la Sibylle de Cumes guide Énée, à travers les méandres et les carrefours, pour qu’il accède au centre du labyrinthe, auprès de son père [27].

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E. L’image du labyrinthe à l’époque de Dante

Selon P. Santarcangeli (1974, p. 271), « la seconde des trois périodes de floraison du labyrinthe est le Moyen Age, et en particulier les XIIe, XIIIe et XIVe siècles ». La chrétienté s’est emparé du symbole païen et a réinterprété le mythe antique : le labyrinthe est un cheminement dans l’erreur - symbole de la vie sur terre -, le Minotaure est le Malin - qui se trouve au centre du labyrinthe et au centre de nous-mêmes -, Thésée est le Christ - qui vainc le Minotaure et nous ouvre un chemin vers la lumière -, Ariane et son fil, enfin, sont tantôt l’Église, tantôt la Vierge Marie - qui se veut notre compagne et nous guide sur les traces du Christ, seule source de lumière vraie (cfr not. J. Attali, p. 78-81).

À cette époque, dans les églises italiennes (Lucques, Plaisance, Pavie, Crémone, Rome, …) et françaises (Chartres, Amiens, Saint-Quentin, Reims, Bayeux, Sens, Auxerre, Arras, Poitiers, Saint-Omer, …) apparaissent de nombreux labyrinthes, à la fois lieux de pèlerinage et symbole de la vie chrétienne [28]. Les labyrinthes d’églises sont tantôt circulaires, tantôt carrés, tantôt octogonaux ; on y représente presque indifféremment les acteurs du mythe antique [29], des personnages et des symboles bibliques et chrétiens [30] ou même des architectes et des évêques [31] ; ils portent le nom de « Lieue », « Chemin de Jhérusalem », « Méandre », « Daedale » ou « Domus Daedali ».

On le voit, le labyrinthe d’église est un symbole pré-chrétien qui cache difficilement ses origines païennes. La réinterprétation chrétienne du labyrinthe est toutefois claire : « les interminables méandres qu’il faut suivre pour se rendre de [son] entrée à [son] centre signifient les lenteurs, les retards, les travaux que le chrétien doit supporter avant de mériter la récompense éternelle et d’arriver à la ‘Jérusalem’ céleste » (A.-R. Verbrugge, p. 83).

Le renouveau du mythe se place sur deux niveaux : le labyrinthe et ses méandres symbolisent d’une part notre vie extérieure, nos interactions avec l’Église et le péché, d’autre part, notre vie intérieure, les luttes et les égarements de notre conscience face au Mal. Métaphore de la société, en même temps que de notre conscience [32].

La littérature, de même, développera « ce thème de la ‘pérégrination empêchée’, du chemin semé d’embûches, qui conduit à la mort, à la ‘bonne mort’, à la ‘Jérusalem céleste’, où se produit la regeneratio du croyant, sa renaissance à une vie de béatitude éternelle » (J. Attali, p. 278-279) : la divine Comédie est en effet un voyage initiatique et purificateur, de l’Enfer au Paradis, toujours de méandres en méandres, et toujours en compagnie d’un guide spirituel. L’Enfer constitue même une initiation en soi, puisque, arrivé au centre du labyrinthe et terrorisé par Lucifer, Dante fait l’aveu de sa « mort initiatique » :

« Je ne mourus pas, et ne restai pas vivant :
juge par toi-même, si tu as fleur d’intelligence,
ce que je devins, sans mort et sans vie. »
(Inf., XXXIV, 25-27)

Le labyrinthe ne symbolisera le Mal qu’au sortir du Moyen Age, avec l’apologie de la raison et de la ligne droite. J. Attali stigmatise bien ce basculement : « le labyrinthe n’est plus la glorieuse métaphore de la destinée humaine, mais le lieu maudit de la luxure, de l’erreur, du péché. Il n’est plus un chemin vers la liberté, mais une prison du Bien ; il n’est plus protecteur, il est l’antre du Mal. (…) La nature de l’homme est dénoncée comme naturellement labyrinthique et mauvaise. L’Enfer lui-même est décrit comme un labyrinthe : en châtiment de ses fautes, le pécheur risque de se retrouver emprisonné pour l’éternité dans un dédale dont il ne pourra être extirpé que par la grâce » (p. 92). Ce renversement de perspectives se situe précisément en Italie, au XIVe siècle : Pétarque et Boccace considèrent le labyrinthe comme un lieu de perdition.

Dante se situe entre le Moyen Age et la Renaissance. Son labyrinthe occupe une position-charnière entre le Bien et le Mal, représente à la fois le cheminement d’un Initié et l’Enfer des damnés. Le Florentin est un repère majeur dans l’histoire du mythe du Labyrinthe.

C. de Callataÿ - van der Mersch [33] offre un regard neuf et relativement complexe sur la divine Comédie, en mettant en exergue des rapports symboliques, numériques et ésotériques entre les différents chants et les trois cantiques. Son analyse permet de constater - s’il le fallait vraiment ! - que la Comédie est construite sur des rapports mathématiques très élaborés : la comparaison entre la divine Comédie et une magnifique cathédrale gothique n’est pas usurpée (cfr not. L. Gillet, p. 108-110).

C. de Callataÿ - van der Mersch considère que le huitième cercle, le Malebolge, « détient le principal du message délivré par l’Enfer : il est un labyrinthe dont il importe de trouver l’issue » (I, p. 1) ; elle souligne, par ailleurs, que « la divine Comédie conduit de la Jérusalem terrestre à la Jérusalem céleste » (I, p. 78) et met la Table d’Hermès (c’est-à-dire le labyrinthe de cathédrale) au nombre des trois « diagrammes sacrés » qui sous-tendent le poème [avec les nombres 13 (demi-circonférences) et 31 (lacets)] [34]. L’Enfer apparaît donc clairement comme un parcours initiatique et non comme une simple peinture du Mal.

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F. Le mythe réécrit

Nombre de commentaires comparent l’œuvre de Dante à une cathédrale ; nous-même sommes tenté de voir dans le labyrinthe que figure l’Enfer une exacte réplique des labyrinthes qui apparaissent du XIIe au XIVe siècle sur le sol des églises. Voie d’accès - et passage obligé - vers la Jérusalem céleste, le labyrinthe dantesque s’accorde bien avec la figure du labyrinthe médiéval. De plus, la présence de tous les protagonistes du mythe antique au sein de l’Enfer nous donne à penser qu’il faut retrouver, dans le récit de Dante, les fonctions originelles que ceux-ci occupaient.

Nous passerons ainsi en revue les principaux personnages de l’Enfer et tenterons de dégager les fonctions mythiques dont ils sont revêtus. Nous excluons d’emblée l’Église et ses représentants de cette réécriture mythique : Dante, en plaçant en Enfer de nombreux hommes d’Église (not. dans le chant XIX), exprime clairement ses doutes quant à la fonction de guide spirituel, d’Ariane, que doit exercer l’Église. Par contre, la Vierge Marie joue volontiers le rôle d’Ariane, elle qui, la première, se soucie de Dante lorsqu’il se retrouve dans la forêt obscure [supra, n. 19].

1. Dieu

Créateur du Ciel et de la Terre, Dieu est également créateur de Lucifer et de l’Enfer. Il est inventeur de l’artifice qui donnera naissance au monstre (la liberté de se Lui être fidèle ou de se rebeller [~ la vache de Pasiphaé]) et construira sa prison (les cercles infernaux [~ le Labyrinthe]). « Sublime artisan » [35], « architecte » [36], ordonnateur [37] : autant de caractéristiques de l’antique Dédale.

Dieu occupe une autre fonction mythique : d’une part roi et juge [38] par excellence, d’autre part père involontaire d’un monstre, Il reflète bien la double figure de Minos. Ce parallélisme est d’autant plus frappant que Minos occupe dans l’Enfer le rôle de substitut de Dieu : le « jugement » et la « vengeance » du Tout-Puissant ne s’expriment que par l’intermédiaire du roi de Crète, juge infaillible et implacable de l’Enfer.

2. Lucifer

Sans surprise, l’ange déchu occupe la place du Minotaure. Monstre repoussant, il est issu de Dieu [Minos] mais « osa se dresser contre son créateur » (Inf., XXXIV, 35) ; il fut précipité du haut du Ciel et s’enfonça jusqu’au centre de la Terre. Source du Mal, il occupe le centre de l’Enfer : il constitue à la fois la cause et le réceptacle de tous les péchés. Le péché est d’ailleurs la condition de vie, la Pasiphaé, de ce monstre.

Le centre du labyrinthe est occupé par cet « empereur du règne de douleur » (Inf., XXXIV, 28), qui constitue l’ultime étape avant la caverne - lieu symbolique où a lieu l’initiation totale. Les poètes doivent l’« affronter » : Virgile prend Dante sur son dos et descend le long du corps de Lucifer en s’agrippant à ses poils. Cette « Minotauromachie » singulière, face à un monstre qui ne leur prête pas la moindre attention, suscite néanmoins fatigue et angoisse chez Virgile, ainsi qu’un grand effroi chez Dante.

La vraie Minotauromachie est encore à venir : à la fin des temps, le Christ reviendra et vaincra définitivement Lucifer. Thésée tuera finalement le monstre [39].

3. Le Christ

Conformément à l’imaginaire médiéval, le Christ incarne Thésée, héros resplendissant de gloire qui doit vaincre le Mal. Le juste parmi les justes, « l’homme qui naquit et vécut sans péché » (Inf., XXXIV, 115), a déjà fait une incursion en Enfer : il a retiré des Limbes nombre d’âmes justes mais ignorantes du vrai Dieu (Inf., IV, 52-63 ; XII, 38-39) et ce premier combat a provoqué un tremblement de terre et des éboulements (Inf., XII, 40-45 ; XXI, 112-114). Son retour dans la gloire marquera la défaite définitive de Lucifer (cfr n. 39).

4. Virgile et Dante

Rôle ambigu que celui des deux poètes !

Une première lecture peut exclure leur participation au renouveau du mythe (qui ne concernerait alors que le triangle Dieu - Lucifer - Jésus). Une telle hypothèse est peu satisfaisante, eu égard à la place importante que tient le labyrinthe dans le cheminement de Virgile et Dante à travers l’Enfer.

Trois autres lectures - complémentaires - nous semblent plus plausibles.

La première voit dans Dante et son maître une transposition du couple Icare - Dédale : tous deux prisonniers des ténèbres (l’un, depuis peu de temps ; l’autre, depuis treize siècles), ils errent dans le Labyrinthe à la recherche de la lumière. Virgile - le « père », voire « plus que père » [40] - dispense des conseils éclairés à son élève, réprimande sa couardise ou sa curiosité [« Il ne faut voler ni trop bas, de peur que les plumes ne soient trempées et alourdies par les embruns, ni trop haut, pour éviter que le soleil fasse fondre la cire »], encourage ses progressions, soutient ses pas, le porte parfois. Cependant, le père n’échappe pas aux pièges de l’Enfer : il est floué par Malacoda, a peur des diables lâchés à ses trousses, est pris de fatigue et d’angoisse face à Lucifer. Cette première hypothèse place les poètes dans une position de victimes du labyrinthe.

Deuxième hypothèse, qui conserve et accentue ce rapport de force entre Virgile et Dante : Dante est Thésée, il affronte le Labyrinthe - qui se trouve aussi être son labyrinthe - avec l’aide de Virgile, son fil d’Ariane, qui a déjà accompli le chemin une fois (Inf., IX, 19-30; XXII, 61-63). Celui-ci lui indique les tours et les détours, les impasses et les chausse-trappes, la voie sûre et le chemin du salut. La comparaison entre Dante et Thésée face au Minotaure (Inf., XII, 16-21, cfr supra) est un indice en faveur de cette lecture.

Troisième hypothèse, qui est une variation de la deuxième et qui prend en compte les faiblesses du guide qui sont stigmatisées dans la première hypothèse. Virgile et Dante sont tous deux des Thésée, qui affrontent, l’un comme l’autre des épreuves [41]. Bien sûr, Virgile, qui est déjà descendu dans le dernier cercle, ne s’effraie pas pour les mêmes raisons que Dante. Cependant, les poètes partagent les mêmes combats cruciaux. Il est remarquable de noter que Dante prend de plus en plus d’assurance au fur et à mesure qu’il descend dans l’Enfer : il finit par atteindre le niveau de son maître dans le gouffre de l’Enfer : sur la montagne du Purgatoire, ils découvriront un monde nouveau, qui leur est inconnu à tous deux [42]. Dès ce moment, selon la belle formule de L. Gillet, « l’ascension de Dante, c’est aussi le crépuscule de Virgile » (L. Gillet, p. 95).

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G. Conclusion

La divine Comédie - et l’Enfer en particulier -, tout comme l’Énéide - et le sixième chant en particulier - apparaissent comme des labyrinthes initiatiques en tant que tels. Leurs arcanes numérologiques, symboliques et théologiques sont autant de méandres et d’impasses où les commentateurs non avertis se perdent allégrement. Nous ne prétendons nullement à l’exhaustivité, mais pensons avoir montré avec rigueur que le labyrinthe, en tant que chemin initiatique, se trouve au cœur de l’Enfer.

Il serait d’ailleurs extrêmement intéressant, pour étayer la démonstration, de pousser plus loin l’étude comparée du sixième chant de l’Énéide et de l’Enfer afin de montrer en quelle mesure l’image d’un labyrinthe se retrouve aussi dans l’Énéide et de comprendre exactement ce que le Florentin doit au Mantouan [43]. Il faudrait aussi, par ailleurs, appliquer au Purgatoire et au Paradis une grille de lecture similaire à celle que nous avons utilisée pour l’Enfer.

La plus belle conclusion que nous puissions proposer sur l’image du labyrinthe dans l’Enfer de Dante nous est donnée par J. Attali, dans un paragraphe qu’il intitule ‘Conseils pour un voyageur’ : « Devant l’entrée, bouche d’ombre, le profane, l’ignorant ne voit qu’un tunnel semé de pièges, sans échappée. S’il fait demi-tour, il se ferme la porte de la vie. S’il entre, s’il triomphe du vertige, des illusions, de la peur, s’il ne fait pas de nœuds en lui-même, s’il accepte de se servir de qualités très particulières, méprisées aujourd’hui, il découvrira que l’illusion initie, que la peur fortifie, que l’erreur grandit, que le vertige transfigure. Initié, il pourra même y retourner, recommencer son parcours pour aller plus loin encore, et même apprendre aux autres à traverser ; il sera devenu un maître de labyrinthe » (J. Attali, p. 159). Nous avions, dans l’Introduction, laissé Dante dans la peur et le désespoir. Nous le retrouvons Initié, maître du labyrinthe infernal, tout prêt à le décrire aux hommes. Après un long cheminement dans l’obscurité, 

Lo duca e io per quel cammino ascoso
intrammo a ritornar nel chiaro mondo ;
e sanza cura aver d’alcun riposo,
salimno sú, el primo e io secondo,
tanto ch’i’ vidi de le cose belle
che porta ’l ciel, per un pertugio tondo.
E quindi uscimmo a riveder le stelle.
(Inf., XXXIV, 133-139)

« Mon guide et moi par ce chemin caché
nous entrâmes, pour parvenir au monde clair ;
et sans nous soucier de prendre aucun repos,
nous montâmes, lui premier, moi second,
si bien qu’enfin je vis les choses belles
que le ciel porte, par un pertuis rond.
Et par là nous sortîmes, à revoir les étoiles. »

Les étoiles occupent une place toute particulière dans la divine Comédie (Cfr not. Inf., XVI, 82-82). Ainsi, le Purgatoire et le Paradis se terminent, comme l’Enfer, par le mot stelle. Trois initiations qui se clôturent par les étoiles… La locution latine « per ardua ad astra », que J. Attali (p. 216) propose comme devise pour le voyageur du labyrinthe nous semble particulièrement heureuse. Nous en proposerons néanmoins une variante, qui convient bien à l’Enfer : « per aspera ad astra ». Qu’importe ! L’essentiel n’est-il pas que cette étude s’achève comme la Comédie, en contemplant les étoiles ?

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H. Bibliographie

1. Textes

Dante, La divine Comédie. L’Enfer, texte traduit par J. Risset, Paris, GF-Flammarion, 1985.

Dante, La divine Comédie. Le Purgatoire, texte traduit par J. Risset, Paris, GF-Flammarion, 1988.

Dante, La divine Comédie. Le Paradis, texte traduit par J. Risset, Paris, GF-Flammarion, 1990.

Virgile, Énéide. Livres I-VI, texte établi par H. Goelzer et traduit par A. Bellesort, Paris, Les Belles Lettres, 1948, 6e édition.

2. Études

J. Attali, Chemins de sagesse. Traité du labyrinthe, Paris, 1996.

C. de Callataÿ - van der Mersch, Le déchiffrement de Dante : t. I : l’unité-trine, Leuven 1994 ; t. II : le livre scellé, Leuven, 1996 ; t. III : le sur-sens, Leuven, 1997.

G. Cretia, La triple initiation d’Énée, dans StudClas 28-30 (1997), p. 39-47.

P.-A. Deproost, La descente d’Énée aux Enfers - Mort symbolique et temps aboli, dans Loxias 2-3 (2002), p. 209-226.

L. Gillet, Dante, Paris, 1965, p. 80-84.

R. Guénon, Symboles de la Science sacrée, Paris, 1962.

A. Masseron, Pour comprendre la divine Comédie, Paris, 1939.

A. Michel, « Anima cortese mantovana ». Virgile poète italien, poète universel, dans BAGB (1982), p. 294-305.

P. Santarcangeli, Le livre des labyrinthes. Histoire d’un mythe et d’un symbole, Firenze, 1967 ; Paris, 1974 [M. Lacau trad.].

J. Thomas, Voyage initiatique et quête de l’absolu dans l’Énéide, dans Pallas 31 (1984), p. 41-61.

A.-R. Verbrugge, Un bien curieux monument. Le labyrinthe d’église, dans Archeologia 16 (mai-juin 1967), p. 82-84.

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Notes

[1] Ce texte fut présenté en janvier 2004 lors de l’examen du cours GLOR 2390 : Typologie et permanences des imaginaires mythiques (coord. P.-A. Deproost). Je remercie le professeur P.-A. Deproost pour les remarques bienveillantes qu’il a formulées à cette occasion. [Retour au texte]

[2] Toutes les traductions proposées dans cet exposé sont dues à J. Risset (Dante, La divine comédie. L’Enfer, texte traduit par J. Risset, Paris, GF-Flammarion, 1985 ; Dante, La divine comédie. Le Purgatoire, texte traduit par J. Risset, Paris, GF-Flammarion, 1988). [Retour au texte]

[3] Sur cette datation, cfr A. Masseron, Pour comprendre la divine Comédie, Paris, 1939, p. 7-9. [Retour au texte]

[4] A. Masseron, p. 5 ; cfr Inf., I, 4-5. [Retour au texte]

[5] Le parcours des deux poètes dans les premiers cercles est difficile à établir, et ce pour deux raisons. D’abord, Dante s’évanouit à deux reprises (avant de rentrer dans les Limbes [III, 136] et avant d’entrer dans le troisième cercle [IV, 141-142]) et est transporté durant son sommeil : il ne peut donc décrire le chemin emprunté pour se rendre dans les endroits inconnus qu’il découvre à son réveil. Ensuite, Dante ne mentionne pas s’il traverse les premiers cercles en ligne droite (comme le suggère A. Masseron, p. 24-25) ou s’il tourne systématiquement à main gauche, pour parcourir une certaine distance dans le cercle avant de passer au cercle inférieur (comme une réplique de Virgile le fait penser ; cfr Inf., XIV, 124-129 : « (…) ‘tu sais que cet espace est rond, et bien que tu aies fait déjà un long chemin, prenant toujours à gauche, dans la descente, tu n’as pas encore fait le tour du cercle ; si donc nous apparaît une chose nouvelle, elle ne doit pas frapper tes yeux d’étonnement’ »). [Retour au texte]

[6] Cfr également Inf. XIII, 94-96 ; XX, 35-36 ; XXVII, 124-129 et XXIX, 118-120 ; Purg., I, 76-77. [Retour au texte]

[7] Thésée apparaît également dans une allusion à la guerre qui l’opposa aux Centaures : cfr Purg., XXIV, 121-123. [Retour au texte]

[8] Ce discours de Virgile, relativement long, est capital et mérite d’être cité in extenso. La Crète est liée physiquement au centre de l’Enfer par les fleuves infernaux ; de même, l’Homme est physiquement lié à Lucifer par le péché. Par ailleurs, si la divine Comédie se révèle être un immense parcours initiatique - nous aborderons cette question dans la suite de l’exposé -, ce passage montre, de toute évidence, que la première initiation de Dante lors de son grand voyage dans l’au-delà n’a pas d’autre objet que l’Homme. [Retour au texte]

[9] R. Guénon fait référence aux labyrinthes qui fleurissent dans les églises et les cathédrales du XIIe au XIVe siècle. [Retour au texte]

[10] Sur les traits caractéristiques de la poésie virgilienne qui expliquent sa permanence et son succès, not. au Moyen Age, cfr A. Michel, « Anima cortese mantovana ». Virgile poète italien, poète universel, dans BAGB (1982), p. 294-305. [Retour au texte]

[11] Cfr G. Cretia, p. 43. L’usage de cette expression est remarquable, d’autant que G. Cretia l’applique au le chant V - au lieu du chant VI -, sans faire, par ailleurs, aucune référence explicite à Dante dans son article. [Retour au texte]

[12] Comparer Verg., Aen., VI, 535-547 et Dante, Inf., XXX, 130-141. [Retour au texte]

[13] Comparer Verg., Aen., VI, 317-330 et Dante, Inf., III, 121-129. [Retour au texte]

[14] Cfr Verg., Aen., VI, 703-751 [sort des âmes après la mort] et 756-892 [avenir de la nation romaine] (Énée n’interrompt qu’une seule fois son père au cours du monologue, cfr v. 860-866). [Retour au texte]

[15] Cfr not. les oracles de Ciacco (Inf., VI, 58-76), Farinata (Inf., X, 73-84), Brunetto Latini (Inf., XV, 55-78) et Vani Fucci (Inf., XXIV, 140-151), ainsi que l’avertissement de Virgile à Dante (Inf., X, 127-132) : « ‘Garde en mémoire tout ce que tu viens d’entendre contre toi’, me commanda ce sage, ‘et à présent soit attentif’, et il dressa le doigt : ‘quand tu seras devant le doux regard de celle dont les beaux yeux voient toutes choses, tu sauras d’elle tout le voyage de ta vie’ ». [Retour au texte]

[16] Notons que, chez Dante, les doublets contenus dans l’Énéide sont fusionnés : les couples auteur - héros (Virgile - Énée) et guide - initiateur (Sibylle - Anchise) se simplifient en deux personnages : Dante et Virgile. [Retour au texte]

[17] Sur cette Caverne, cfr les judicieuses remarques de J. Thomas, p. 46-47. La Caverne initiatique, contrairement à la caverne tellurique, n’inspire pas de crainte : la présence de « monstres » sert uniquement à éviter qu’entre celui qui ne peut être initié. En ce sens, les monstres ont la même fonction que le labyrinthe en lui-même chez R. Guénon : protéger la Caverne. Par ailleurs, la Caverne n’est pas obscure - comme la caverne tellurique - mais éclairée intérieurement : « on y passe de l’ombre à la lumière : nous avons là un beau symbole de la mutation spirituelle qui s’accomplit par le passage des ténèbres de l’ignorance à la lumière de la Révélation » (R. Guénon, p. 47). [Retour au texte]

[18] P.-A. Deproost (p. 222) rappelle que la mort symbolique « peut se présenter sous les aspects du sommeil ou de l’évanouissement » ; il expose par ailleurs les vues de V. Mellinghoff-Bourgerie, qui, « à l’issue d’une démonstration fort convaincante, (…) est amené à conclure que la catabase d’Énée est, en définitive, un rêve du héros » (P.-A. Deproost, p. 219) et relève les expressions faisant référence au rêve dans le sixième chant de l’Énéide (P.-A. Deproost, p. 219-221). Cette image du rêve est du reste présente chez Dante (cfr Inf., XXVI, 7), tout comme celle de l’évanouissement (cfr Inf. III, 136 ; V, 141-142). [Retour au texte]

[19] Cfr Inf., II, 52-114 : Marie, par l’intermédiaire de Sainte Lucie, demande à Béatrice de veiller sur Dante ; à son tour, Béatrice confie à Virgile la tâche de mener Dante à travers l’Enfer et le Purgatoire. [Retour au texte]

[20] Cfr not. Inf., XV, 88-90 ; XX, 103-105 ; XXII, 37-38 ; XXXII, 91-93. [Retour au texte]

[21] Cfr not. Inf., XXI, 1-3 ; XXII, 118 ; XXV, 46-48 et 143-144 ; XXVIII, 1-6 ; XXXII, 1-9 ; XXXIV, 10 et 23. [Retour au texte]

[22] Cfr not. Inf., XXXI, 124-129 ; XXXII, 91-93 et 109-111. [Retour au texte]

[23] Cfr not. Inf., XXVI, 1-9 ; XXVIII, 55-60 et 76-80. [Retour au texte]

[24] Cfr Verg., Aen., VI, 14-33. Le chant V annonçait à la fois ce thème du labyrinthe (v. 588-591 [lors des jeux troyens, la jeunesse exécute des figures équestres qui font penser au Labyrinthe crétois]) et la descente aux enfers (v. 722-740 [Anchise apparaît en songe à Énée]). [Retour au texte]

[25] Verg., Aen., VI, 393 et 617-618. Énée, comme Dante, ne rencontre pas Thésée, qui est condamné à rester assis sur un trône dans le Tartare. [Retour au texte]

[26] Les enfers sont formés de neuf « cercles », séparés par le Styx (Verg., Aen., VI, 438-439). Après les cercles, Énée et la Sibylle rencontrent un carrefour en forme de fourche : la voie de droite mène vers les Champs Elysées, celle de gauche, vers le Tartare, lieu de la damnation éternelle (Verg., Aen., VI, 540-543). Nous pouvons d’ailleurs constater un chiasme entre la descente d’Énée aux enfers et l’Enfer de Dante : la fourche, dont l’une des branches mène vers le Purgatoire, l’autre vers l’Enfer se situe au chant I de l’Enfer, tandis que la description des neuf cercles infernaux occupe les chants III à XXXIV. [Retour au texte]

[27] Il se révèlerait intéressant de comparer - mais tel n’est pas notre propos - la réécriture par Dante de passages virgiliens. Le lecteur qui veut s’en convaincre peut, notamment, lire les passages où Énée et Dante sont aux prises avec Charon (Aen., VI, 385-416, à comparer avec Inf., III, 82-129) et Cerbère (Aen., VI, 417-425, à comparer avec Inf., VI, 13-36) et analyser la manière dont leur guide les tire de ce mauvais pas. [Retour au texte]

[28] Cfr P. Santarcangeli, p. 271-301 ; A.-R. Verbrugge, Un bien curieux monument. Le labyrinthe d’église, dans Archeologia 16 (mai-juin 1967), p. 82-84. [Retour au texte]

[29] La lutte entre le Minotaure et Thésée était probablement représentée à Lucques et à Pavie, au centre d’un labyrinthe horizontal ; on trouvait également un Minotaure à Crémone - où il a été confondu avec un centaure - et à Chartres. [Retour au texte]

[30] À Orléansville (Algérie), un carré de 13 lettres de côté se trouvait au centre du labyrinthe : on pouvait y lire, en tous sens, ‘SANCTA ECLESIA’ ; à côté du labyrinthe horizontal de Pavie était dessinée la lutte entre David et Goliath ; une croix se trouvait au centre du labyrinthe de l’abbaye de Saint-Bertin. [Retour au texte]

[31] À Amiens, ainsi qu’à Reims, étaient représentés le premier évêque-donateur de la cathédrale et les maîtres d’œuvres ; à Saint-Omer étaient dessinés cinq architectes. [Retour au texte]

[32] Les psychanalystes ajouteront, quelques siècles plus tard, « métaphore de notre inconscient » (J. Attali, p. 156-157) : remarquable pérennité d’un symbole universel ! [Retour au texte]

[33] C. de Callataÿ - van der Mersch, Le déchiffrement de Dante : t. I : l’unité-trine, Leuven 1994 ; t. II : le livre scellé, Leuven, 1996 ; t. III : le sur-sens, Leuven, 1997. Le déchiffrement de C. de Callataÿ - van der Mersch permet notamment de contester le jugement qu’un L. Gillet (p. 110-112) porte sur l’Enfer : une classification peu claire des vices et surtout une mauvaise répartition des chants (si bien qu’après dix chants les poètes ont franchi les deux tiers du chemin et que Dante est forcé de multiplier « les intermèdes burlesques » et « les catégories de pécheurs ») donnerait au premier volet de la Comédie une allure bien moins achevée que celle des deux Cantiche suivants. C. de Callataÿ - van der Mersch montre qu’il n’en est rien : le huitième cercle est démesuré, certes, mais cela rentre dans un projet d’ensemble, puisque l’on retrouve les mêmes rapports numériques dans le Purgatoire et le Paradis. [Retour au texte]

[34] Le détail de l’argumentation nous plongerait dans l’Hermétisme, et tel n’est pas notre propos. Cfr néanmoins C. de Callataÿ - van der Mersch, t. I, p. 50-74. [Retour au texte]

[35] Inf., III, 4-6 : « Justice a mû mon sublime artisan, puissance divine m’a faite, et la haute sagesse et le premier amour ». [Retour au texte]

[36] Inf., XV, 10-12 : « (…) ainsi, à telle image, étaient ces remparts-ci, sinon que l’architecte, quel qu’il fût, ne les avait faits ni si hauts ni si grands ». [Retour au texte]

[37] Inf., XXIII, 55-57 : « (…) la haute providence qui les a voulus pour ministres de la cinquième fosse leur ôte à tous le pouvoir d’en sortir ». [Retour au texte]

[38] Cfr not. Inf., XII, 133 ; XX, 30 ; XXIV, 119-120. [Retour au texte]

[39] Cfr not. Inf., VI, 94-99 : « Mon guide me dit alors : ‘il ne s’éveillera plus avant le son de la trompe angélique, quand viendra la puissance ennemie : chacun retrouvera sa triste tombe, reprendra sa chair et sa figure, et entendra ce qui résonne éternellement’ ». [Retour au texte]

[40] Cfr not. Purg., XXIII, 4-6 : « Mon plus que père me dit : ‘Mon fils, viens à présent, car le temps qui nous est fixé doit être employé plus utilement ». [Retour au texte]

[41] Pour les épreuves de Virgile, cfr not. Inf. VIII, 109-130 [où les diables refusent l’accès à la cité de Ditè] ; XXIII, 128-132 (où les poètes doivent demander le chemin à un damné collaborant) ; XXIII, 138-148 (où Virgile apprend qu’il a été trompé par Malacoda) ; XXXIV, 70-84 (où Virgile entame pour la première fois la périlleuse descente le long du corps de Lucifer). Virgile a d’ailleurs des paroles héroïques : « je vaincrai l’épreuve » (Inf., VIII, 122). [Retour au texte]

[42] Comme l’a bien noté L. Gillet, p. 94-95. [Retour au texte]

[43] L’Énéide et la divine Comédie sont deux épopées religieuses et historiques. Dante se place explicitement dans les traces de Virgile : il faudrait analyser, en plus de l’image du labyrinthe, ce que Dante a puisé chez Virgile. [Retour au texte]

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FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 7 - janvier-juin 2004

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