FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 2 - juillet-décembre 2001
Perceptions chrétiennes du pontificat païen
(fin 2ème s.-5ème s.) [*]par
Françoise Van Haeperen
aspirante FNRS aux Facultés universitaires Saint-Louis
On trouvera une version plus détaillée du présent article, sous le titre Représentations chrétiennes du pontificat païen, dans Latomus, t. 64, 2005, p. 678-703. [addition du 3 mai 2006]
Durant la République et sous l'Empire, les pontifes formaient, à Rome, un collège sacerdotal auxquels appartenaient également d'autres prêtres : rex sacrorum, flamines et vestales [1]. Selon les présentations mêmes qu'en font Cicéron et Tite-Live, les pontifes étaient à la tête des sacra, des cérémonies religieuses de la Ville. Ils détenaient en effet un rôle d'experts en la matière : les pontifes répondaient ainsi aux questions que leur soumettaient, en cas de problème, le Sénat, les magistrats, d'autres prêtres mais aussi les particuliers. En outre, avec les autres prêtres de leur collège mais aussi, dans certains cas, avec des magistrats ou d'autres prêtres, ils étaient chargés de l'exécution d'un bon nombre de célébrations publiques. Par l'exercice conjoint de ces fonctions et aux côtés des autres collèges sacerdotaux, les pontifes assuraient les bonnes relations de la Ville avec ses dieux, la pax deorum. Quand celle-ci avait été brisée, ils permettaient par leurs conseils et par leur rôle cultuel de restaurer cette entente, de rétablir le soutien des dieux, indispensable, selon les Romains, à leur bien-être terrestre et à leur réussite. Les pontifes continuèrent à exercer leurs fonctions jusqu'à ce que l'empereur Théodose interdise les sacrifices sanglants en 391, signant par là l'arrêt de mort du polythéisme romain.
Je souhaite ici mettre en lumière les images du pontificat païen qu'offraient les auteurs chrétiens. On trouve des mentions de ces prêtres dans les œuvres de certains apologistes : Tertullien (fin 2ème-début 3ème s.), Minucius Felix (3ème s.), Arnobe et Lactance (début du 4ème s.), Firmicus Maternus (milieu du 4ème s.), Prudence (fin 4ème-début 5ème s.). La Cité de Dieu d'Augustin contient également diverses références aux pontifes, mais aussi certaines Vies de saints, telles celles de Cyprien, évêque de Carthage (écrite en 259 par Pontius) et de Sylvestre, évêque de Rome, dont la version la plus ancienne remonte à la fin du 4ème ou au début du 5ème s. Les œuvres d'Ambrosiaster, écrivant à Rome sous le pontificat de Damase (366-384) et de Quodvultdeus, évêque de Carthage de 437 à 454, tout comme un célèbre traité du pape Gélase (494), comportent aussi quelques mentions des pontifes païens [2]. Comment donc ces divers auteurs présentaient-ils le sacerdoce païen du pontificat, au service d'une religion qu'ils dénonçaient ? Et ce, alors que le terme pontifex, qui désignait avant tout ce prêtre romain responsable des sacra, a été utilisé dès le 3ème siècle par les chrétiens pour désigner le grand-prêtre des juifs, le Christ grand-prêtre mais aussi les évêques [3].
Divers savants se sont déjà penchés sur les visions chrétiennes du polythéisme romain, soit dans le cadre d'études relativement larges [4], soit en prenant en considération un auteur particulier [5]. C. Leveleux, pour sa part, a consacré un ouvrage aux jugements que portaient les auteurs chrétiens sur les vestales [6]. Par contre, la manière dont les chrétiens considéraient le sacerdoce romain du pontificat n'a fait l'objet d'aucune étude globale. Ceci est peu surprenant : cette prêtrise, tout comme les autres sacerdoces païens de Rome, a assez peu retenu l'attention des auteurs chrétiens ; elle ne constitue pas, en soi, une cible privilégiée des apologistes ; les références aux pontifes et aux autres prêtres romains sont relativement rares dans leurs œuvres. Les résultats obtenus par C. Leveleux pour les vestales sur une base comparable se sont cependant révélés fort intéressants : elle a ainsi montré la cohérence de l'image que les auteurs chrétiens en donnent, fruit d'une savante élaboration : les présentant comme des courtisanes dénuées de toute pudeur, ils mettent en doute leur chasteté sinon physique, du moins spirituelle et morale. Attaquant ainsi une des institutions vénérables du polythéisme romain, ils offrent comme en négatif une sorte de contre-modèle diabolisé de la virginité chrétienne, qui est pour sa part exaltée. Il vaut donc la peine, me semble-t-il, de tenter l'expérience avec les pontifes - en élargissant ici et là l'enquête aux flamines, souvent évoqués dans les mêmes passages.
Avant d'étudier les différents aspects des représentations chrétiennes du pontificat, envisageons la question de la conversion de ces prêtres païens à la nouvelle religion. Prudence n'a pas manqué de se réjouir de la conversion au christianisme de prêtres romains. Après avoir évoqué la conversion de sénateurs autrefois luperques ou flamines [7], l'auteur poursuit : « Le pontife, autrefois orné de bandelettes sacrées, vient de recevoir le signe de la croix, et dans ton sanctuaire, ô Laurent, entre la vestale Claudia » [8]. Dans une lettre écrite en 400, Jérôme, quant à lui, évoque le pontife Albinus, écoutant sa petite-fille, assise sur ses genoux, chanter des alleluias [9] ; ceci ne peut, selon l'auteur, que conduire ce grand-père à la conversion. Ces témoignages, postérieurs à l'interdiction des cultes polythéistes, peuvent être rapprochés d'une information fournie par Symmaque dans une de ses lettres, datable de 383 [10] : ce pontife se plaint à son collègue Prétextat de la difficulté à se faire désormais suppléer pour le culte ; « aujourd'hui », poursuit-il, « chez les Romains, déserter les autels est une manière de faire sa cour ». Il est donc vraisemblable qu'à cette date déjà certains prêtres se fussent détournés de la religion ancestrale, pour embrasser la religion de l'empereur. Remarquons toutefois que nous ne connaissons pas d'exemple concret de conversion de pontifes au christianisme, alors que les sources relatives aux hommes qui revêtirent ce sacerdoce sont relativement bien étoffées pour les dernières décennies de la fin du 4ème siècle.
[Plan]
I. Le pontificat dans les attaques chrétiennes contre le polythéisme romain
Les apologistes chrétiens se sont employés à démontrer l'absurdité des cultes païens, afin de mettre en valeur l'excellence de leur religion. Aux critiques que leur adressaient les païens, ils répondaient en mettant à leur tour en cause les fondements et les rouages de la religion de leurs adversaires. Dans une apostrophe rhétorique, Lactance prend ainsi à partie les prêtres romains [11] :
Qu'entrent en lice pontifes, grands et petits, flamines, augures, ainsi que les rois des sacrifices et tous ceux qui sont prêtres et desservants de leurs religions, qu'ils nous convoquent à une assemblée délibérative, qu'ils tâchent de nous convaincre d'adopter le culte des dieux ; qu'ils nous persuadent du nombre des dieux dont la volonté et la providence régissent le monde ; qu'ils nous montrent les origines et les débuts de leurs liturgies et de leurs dieux, la façon dont ils ont été révélés aux mortels, qu'ils nous présentent leur source et leur fondement rationnel, qu'ils nous exposent quelles récompenses attendent ceux qui les méprisent ; qu'ils nous disent pourquoi ceux-ci veulent être honorés par les hommes, ce que leur apporte, s'ils sont bienheureux, la piété des hommes : qu'ils nous prouvent tout cela non pas par leurs affirmations personnelles - car l'autorité d'un homme mortel n'a aucune valeur - mais par quelques témoignages divins, comme nous le faisons nous-mêmes.
Dans ce passage, Lactance a donc choisi comme défenseurs fictifs de la cause polythéiste qu'il a attaquée dans son ouvrage certains prêtres romains qu'il nomme par leur titre précis : les membres masculins du collège pontifical (grands pontifes et pontifes mineurs, flamines et roi des sacrifices) ainsi que les augures. La tâche de persuasion qu'il leur assigne revient à contrer d'importantes objections qu'opposent les apologistes chrétiens aux païens, en remettant en question les origines et les fondements même de la religion et de ses rites, ainsi que la nature des dieux. C'est souvent dans le cadre de telles critiques à l'encontre du polythéisme que l'on trouve des références au sacerdoce romain du pontificat.
[Plan]
a. Le pontificat dans les critiques des origines et des fondements de la religion romaine
Le pontificat, aux côtés d'autres prêtrises, occupe parfois une place - secondaire mais non dépourvue d'intérêt - dans les critiques virulentes que certains auteurs chrétiens opposent aux origines et aux fondements de la religion romaine.
Selon une conception romaine répandue, la piété des Romains était un signe distinctif de leur peuple ; celle-ci leur assurait la bienveillance des dieux, visible dans leurs succès [12]. Tertullien rapporte ainsi l'opinion romaine « que la meilleure preuve de l'existence des dieux, c'est que ceux-là sont les plus florissants, qui rendent le plus d'hommages aux dieux » [13]. Dans son argumentation visant à la réfuter, cet auteur insiste entre autres sur la contingence historique des empires, dont la puissance dépend du seul vrai Dieu [14]. Il resitue ensuite historiquement la puissance et la religion romaines :
Pourquoi vous abuser ainsi ? Rome est plus ancienne que plusieurs de ses dieux. Elle régna avant qu'elle construisît la magnificence du Capitole. Les Babyloniens avaient régné avant les pontifes, les Mèdes avant les quindécemvirs, les Égyptiens avant les saliens, les Assyriens avant les luperques, les Amazones avant les vestales [15].
L'apologiste entend démontrer la relativité de l'ancienneté de la religion romaine : un certain nombre de ses dieux sont plus récents que la Ville - autrement dit, ils n'ont pu contribuer à accroître sa puissance. D'autre part, avant même que ses prêtres n'existent, d'autres civilisations se sont développées : en confrontant ces nations aux sacerdoces romains considérés comme remontant aux origines de la Ville, Tertullien indique le caractère relativement récent de Rome et de ses institutions religieuses. Minucius Felix s'est vraisemblablement inspiré de Tertullien dans un passage où il développe une argumentation très proche [16]. On assiste donc à un renversement de perspectives : alors que les Romains mettaient en valeur l'ancienneté de leur système religieux dans leurs récits des origines et proclamaient son efficacité, manifestée au travers de l'histoire glorieuse de leur Ville, certains auteurs chrétiens insistent sur la relativité de cette antiquité par rapport à d'autres civilisations ; ils montrent ainsi la succession des empires, qui ont honoré d'autres dieux, et, ce faisant, remettent en cause le schéma romain de la piété religieuse garante de la prospérité [17].
Les auteurs chrétiens combattent l'idée selon laquelle les Romains doivent leur puissance à leurs dieux, en insistant précisément sur l'impuissance de ces derniers, sur leur incapacité à se protéger eux-mêmes, tout comme à assurer la défense de la Ville et de ses habitants, de ses édifices et objets sacrés, de ses prêtres. Ainsi, selon Augustin, Vesta ne put contrer l'incendie qui ravagea son temple en 241 a.C.n. [18] ; ce n'est pas à la déesse que les objets sacrés ont dû leur sauvegarde mais au grand pontife Metellus. Même ce dernier ne bénéficia pas de la protection de la divinité qu'il sauvait, puisqu'il perdit la vue dans son acte héroïque.
Les origines de la religion romaine, fondée par le roi Numa, ont également fait l'objet d'attaques des polémistes chrétiens. L'image du pieux Numa des Romains est renversée : celui-ci est décrit par les chrétiens comme un impie, responsable de la création des superstitions. Parmi les institutions que ce roi put imposer par son habileté à son peuple naïf de bergers, Lactance rappelle la création des prêtres, pontifes, flamines, saliens et augures, et la répartition des dieux par familles [19]. Augustin dénonce pour sa part les méthodes auxquelles recourut Numa - l'hydromancie et la nécromancie - pour fonder la religion : il put ainsi voir « dans l'eau les images des dieux ou plutôt les mystifications des démons et y apprendre ce qu'il devait instituer en matière de rites sacrés. (...) C'est donc par l'hydromancie que ce roi romain fort curieux apprit les cérémonies que les pontifes devaient conserver dans leurs livres et les explications de ces cérémonies qu'il voulut être seul à connaître » [20]. Les rites dont les pontifes sont garants ont donc aux yeux de l'évêque d'Hippone une origine condamnable.
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b. Le pontificat dans les attaques contre les dieux, les rites et les spectacles
À côté des critiques déployées à l'encontre des fondements et des origines de la religion romaine, les auteurs chrétiens se sont attelés à dénoncer ses dieux, honorés à travers les cérémonies et mis en scène aux spectacles. C'est essentiellement dans ces contextes qu'ils évoquent les prêtres païens.
1. Critique des dieux dont le culte est assuré par les pontifes ou suivant les « lois » des pontifes
Après avoir critiqué certains récits des poètes mettant les dieux en scène, Lactance exprime l'idée suivante, qui sera amplement développée par Augustin :
Je n'exige donc pas que l'on croie aux inventions des poètes : si quelqu'un pense qu'ils mentent, qu'il regarde les écrits des pontifes eux-mêmes, et qu'il déroule tous les volumes touchant aux cérémonies : il y trouvera peut-être plus d'éléments que nous n'en apportons, qui lui permettront de comprendre ce qu'il y a de vanité, d'ineptie et de mensonges dans tout ce qu'on tient pour saint [21].
Selon Lactance, le contenu des récits des poètes traitant des dieux, que l'on pourrait taxer d'invention, trouve confirmation dans les écrits pontificaux et dans les volumes relatifs aux sacra : leur lecture révèle autant, sinon plus, d'erreurs et démontre que tout ce que l'on considère comme saint est creux et erroné. Tout homme pourvu d'un minimum de bon sens, poursuit-il, ne peut que rire des danses des saliens ou de la course des luperques.
En un raisonnement complexe, Arnobe avait déjà émis des considérations du même type, face à ses opposants : si ceux-ci estimaient que les récits des auteurs sur les dieux n'ont aucune valeur, il ne leur resterait plus qu'à détruire les livres des théologiens, des pontifes, de certains philosophes mêmes [22]. En effet, toute leur connaissance sur les dieux proviennent de ces écrits, sans lesquels les païens ne peuvent se faire la moindre idée de leurs dieux et de leurs cérémonies.
Reprenant la division tripartite des dieux établie par le pontife Scaevola (consul en 95 a.C.n.), Augustin entreprend de la démonter. La connaissance des dieux introduits par les philosophes est superflue et même nuisible, selon ce pontife. L'évêque d'Hippone a beau jeu alors de critiquer cette conception : les vérités énoncées par les philosophes, tels que le caractère non divin de certains héros, Hercule, Esculape, Castor et Pollux et l'inexistence de représentations réelles des dieux, ne doivent pas être divulgués au peuple, d'après Scaevola. « C'est cela que le pontife ne veut pas faire connaître au peuple ; car il ne le tient pas pour faux. Il estime donc avantageux pour les cités d'être trompées en matière de religion. Et Varron lui-même n'hésite pas à le dire dans ses livres sur les choses divines ». Augustin peut dès lors s'exclamer : « Splendide religion, pour accueillir le faible en quête de salut ! Et quand, pour se sauver, il demande la vérité, on croit qu'il vaut mieux lui donner le mensonge ! » [23].
Dans les livres 6 et 7 de sa Cité de Dieu, Augustin entreprend une critique serrée de la distinction que Varron a opérée, à la suite de Scaevola, entre théologie civile et théologie fabuleuse. Cette dernière est l'œuvre des poètes et met en scène les dieux, à travers les mythes, lors des spectacles ; elle est sans valeur, selon Scaevola cité par le polémiste chrétien, « car elle comporte nombre de fictions indignes des dieux » [24]. La théologie civile, par contre, est, d'après Varron, « celle que dans les villes les citoyens et surtout les prêtres doivent connaître et mettre en pratique. On y trouve quels dieux chacun doit officiellement honorer, par quels rites et quels sacrifices » [25]. Augustin entend démontrer que ces deux théologies sont étroitement liées, que poètes et prêtres célèbrent les mêmes dieux, dans toutes leurs turpitudes. Ces prêtres sont en général qualifiés par le terme générique sacerdotes, mais Augustin précise parfois qu'il s'agit des pontifices. Suivons les étapes de son argumentation, et plus particulièrement celles où il est question de ces prêtres.
C'est donc à la théologie civile que se ramène la théologie fabuleuse, cette théologie théâtrale, scénique, toute pleine d'ignominies et de turpitudes ; et celle qu'à bon droit on juge tout entière digne d'être condamnée et rejetée n'est qu'une partie de l'autre, jugée digne d'être honorée et observée (...). Que voyons-nous en effet de différent dans ces statues, ces formes, cet âge, ce sexe, cet habillement des dieux ? Si les poètes ont un Jupiter barbu, un Mercure sans barbe, les pontifes ne l'ont-ils pas ? Cet énorme pénis attribué à Priape par les histrions, ne l'est-il pas de même par les prêtres ? [26]
Augustin affirme ici que la théologie fabuleuse, déjà rejetée par certains païens, constitue en fait une partie de la théologie civile, que ceux-ci admettaient. En effet, montre-t-il entre autres, poètes ou histrions, représentants de la première, pontifes ou prêtres, représentants de la seconde, honorent les mêmes dieux.
Le polémiste continue sur sa lancée en ridiculisant entre autres certains « petits dieux », comme ceux qui étaient préposés aux portes, aux seuils ou aux gonds. Des études récentes ont révélé que ces « petits dieux » très spécialisés constituent différents « aspects de l'action d'une divinité à laquelle ils sont associés selon le besoin ou le contexte. Ils forment le résultat de la volonté qui entend saisir tous les moments d'un processus actif en les soumettant à un pouvoir et une protection divines » [27]. Ces « petits dieux », argumente Augustin, auraient très bien pu appartenir à la théologie fabuleuse :
Or si les poètes imaginaient, si les mimes représentaient de pareilles histoires, on dirait sans aucun doute qu'elles relèvent de la théologie fabuleuse, et on estimerait qu'il faut les éliminer de la théologie civile comme contraires à sa dignité. Mais quand un si grand maître (scil. Varron) rattache ces vilenies non aux poètes mais aux peuples, non aux mimes mais aux rites sacrés, non pas aux théâtres mais aux temples, c'est-à-dire non pas à la théologie fabuleuse mais à la théologie civile, les histrions ont quelque excuse d'employer leur talent à représenter les turpitudes si grandes des dieux ; mais les prêtres n'en ont aucune quand ils essaient par des rites prétendus sacrés de prêter à ces dieux une honnêteté qu'ils n'ont pas [28].
Très subtilement, l'apologiste chrétien a donc rapproché ces « petits dieux » honorés dans les rites de ceux mis en scène par les poètes. Toutefois, ajoute-t-il, malgré leur manque de dignité, Varron a considéré qu'ils appartenaient à la théologie civile. On peut donc, selon Augustin, excuser les poètes de mettre en scène des dieux honteux, puisque même la théologie civile se complaît dans ces vilenies. Il condamne par contre les prêtres qui, dans les cérémonies, prétendent honorer des dieux honnêtes.
Augustin reprend plus loin la question de l'identification des « petits dieux » à la « bouffonnerie des mimes », en l'illustrant par de nouveaux exemples relatifs, entre autres, aux « petits dieux » qui protègent les femmes qui viennent d'accoucher et à ceux qui président aux mariages [29]. Il conclut en affirmant, une nouvelle fois, l'identité des théologies civile et fabuleuse :
Qu'ils viennent encore essayer, avec toute la subtilité dont ils sont capables, de distinguer la théologie civile de la fabuleuse, les cités du théâtre, les temples de la scène, les rites des pontifes des chants des poètes, comme on distingue l'honnête de l'ignoble, le vrai du faux, le grave du léger, le sérieux du bouffon, le désirable du méprisable ! [30]
Théologies civile et fabuleuse, présentées par les pontifes et les poètes, dans les cités ou dans les temples, qu'Augustin identifie en qualifiant les unes de théâtre, les autres de scènes, doivent donc être identifiées. « Les hommes très pénétrants et très doctes qui ont écrit sur la question » [31] en étaient conscients, poursuit l'apologiste, mais n'ont pas osé aller au bout de leur raisonnement, afin de ne pas blâmer ouvertement la théologie de la cité. Pourtant, ces deux théologies sont le fruit des mêmes dieux honteux, immondes, qui sont responsables des turpitudes qui y sont présentes, de part et d'autre.
De la sorte, tout cet ensemble est mensonger, infâme, encombré de dieux imaginaires, l'une de ses parties se trouvant dans les livres des prêtres, l'autre dans les vers des poètes. (...) Pour l'instant, j'ai suffisamment démontré, me semble-t-il, que suivant la division de Varron, la théologie de la cité et celle du théâtre appartiennent à la seule théologie civile. Par suite, comme toutes deux rivalisent de vilenies, d'absurdité, d'indignité, de fausseté, que l'homme vraiment religieux se garde d'espérer soit de la première, soit de la seconde, la vie éternelle [32].
Dans sa démonstration visant à prouver, contre Scaevola et Varron, l'identité des théologies civile et fabuleuse, Augustin cite à plusieurs reprises les prêtres ou les pontifes, en les présentant comme garants et acteurs des rites de la cité, de la théologie civile donc. S'il juge de manière très négative le contenu de ces théologies, les dieux infâmes qu'elles honorent et représentent, Augustin reste en général mesuré quand il évoque les responsables de la théologie civile. La seule critique qu'il leur adresse - mais elle est de taille - est de présenter par les rites les dieux comme s'ils étaient honnêtes, et donc, implicitement, de tromper leurs concitoyens, puisque ces dieux sont entachés de turpitudes que le polémiste s'est employé à dénoncer.
Si les prêtres-pontifes occupent donc une place relativement importante, en tant que représentants de la théologie civile, dans l'ensemble de l'argumentation développée par Augustin dans les livres 6 et 7 de sa Cité de Dieu, le rôle cultuel de ces prêtres ne constitue pas dans les autres parties de son œuvre ou chez les autres polémistes chrétiens un motif récurrent de leur démonstration. Les pontifes sont cependant parfois mentionnés à propos du culte rendu à tel ou tel dieu. Ainsi, dans un passage où il critique la divinisation de la Terre et le nombre de divinités qui s'y rapportent - Tellus, Orcus, Proserpine et des « petits dieux » - , Augustin évoque en se moquant les sacrifices offerts par les pontifes, non seulement à Tellus et Tellumno, mais encore à Altor et Rusor [33]. Au sein d'un développement sur le Palladium, Firmicus Maternus dénonce, pour sa part, le culte qui lui est rendu, selon la loi des pontifes. Ce Palladium est l'image d'une Minverve parricide, qui « arbora publiquement l'horreur » de cet acte « avec une ostentation barbare » [34] ; l'auteur continue par ces mots :
C'est le nom de cette femme qui servit - ô sacrilège ! - à sacraliser le Palladium. C'est cette Pallas qui est adorée, qui fait l'objet d'observances réglées par la loi des pontifes, et celle dont le crime aurait dû être condamné avec un surcroît de sévérité voit son image implorée avec supplication [35].
Firmicus Maternus insiste ainsi sur la nature odieuse de la déesse, qui loin d'être jugée rigoureusement pour son crime affreux, est au contraire honorée pontificali lege. Le Palladium dont il est question ici correspond selon toute probabilité à la statue de la déesse qui était conservée dans le temple de Vesta et qui comptait parmi les gages de la pérennité des Romains [36]. Celle-ci n'était, semble-t-il, visible que par les vestales, d'après les sources [37]. Il est possible que Firmicus Maternus évoque ici un rite qui aurait été accompli par ces prêtresses.
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2. Critiques de rites considérés comme dérivant de préceptes pontificaux
Les auteurs chrétiens dénoncent également parfois certaines pratiques religieuses païennes, sans évoquer les dieux à qui elles sont destinées.
Ainsi, après avoir longuement réfuté l'utilité des sacrifices, Arnobe fait une concession rhétorique, afin de reprendre la controverse à un autre niveau : admettons que la pratique sacrificielle réponde à une obligation religieuse ; il faudrait toutefois, argumente-t-il, expliquer les mysteria pontificaux présents dans les sacra [38]. Le polémiste expose et éclaire alors la signification d'un grand nombre de termes rares relatifs à la « cuisine de sacrifice ». Après un long développement, il conclut par ces mots : « Ne parlons pas de mille sortes de boudins ou de bouillies, auxquelles vous avez donné des noms obscurs pour les rendre plus augustes aux yeux du vulgaire ». Autrement dit, les mystères pontificaux, qui entourent les noms des prescriptions rituelles des sacrifices, relèvent donc en dernière analyse, selon Arnobe, « de vulgaires recettes de cuisine » [39].
D'après Orose, en 228 a.C.n., « les pontifes, mésusant de leur pouvoir, souillèrent la malheureuse cité par des sacrifices sacrilèges ; et c'est un fait que, les décemvirs, ayant réédité une coutume de la superstition archaïque, enterrèrent vivants au Forum Boarium un Gaulois et une Gauloise, en même temps qu'une Grecque » [40]. Si l'on donne au namque son sens de conjonction explicative, car, en effet, l'historien chrétien paraît, dans ce bref passage, identifier les « sacrifices sacrilèges » des pontifes à l'ensevelissement au Forum Boarium des étrangers vivants, par les décemvirs. Toutefois, l'on peut également traduire ce mot comme une particule d'affirmation, introduisant une idée nouvelle ou un autre fait. Peut-être faudrait-il donc distinguer les sacrificia des pontifes des rites des décemvirs : d'une part les pontifes auraient accompli des sacrifices sacrilèges, d'autre part, les décemvirs ont enseveli vivants des étrangers. Les sacrifices des pontifes pourraient éventuellement être identifiés avec le châtiment d'une vestale jugée coupable d'avoir failli à son obligation de chasteté ; ce rite, dans d'autres cas particulièrement critiques de l'histoire romaine, fut également accompagné de l'ensevelissement d'étrangers vivants [41]. Toutefois, aucune source n'atteste de châtiment de vestale en cette année. L'on pourrait aussi envisager tout autre sacrifice prescrit par les pontifes ou par eux accomplis, en cette époque troublée. À moins que l'auteur n'ait écrit pontifices pour éviter de répéter decemuiri ; mais cela me semble peu plausible. Quoi qu'il en soit, les pontifes sont considérés par Orose comme les auteurs de sacrifices sacrilèges, souillant la cité. Il opère ainsi un total renversement de perspectives par rapport au sens que les Romains donnaient à ce type de rite, qui avait, en période de graves menaces extérieures, un but expiatoire et qui visait à restaurer la pax deorum.
Dans son De diuinatione daemonum, écrit entre 406 et 411 [42], Augustin reproduit une conversation qu'il eut un an auparavant avec ses fidèles ; celle-ci portait essentiellement sur les prédictions païennes. On y trouve aussi une discussion sur la valeur des sacrifices païens. Elle nous permet de saisir, ce qui est peu fréquent, les opinions de simples fidèles chrétiens sur les pratiques polythéistes et d'entrevoir la manière dont ils se représentaient le pontificat [43]. Selon ceux-ci, les actes du paganisme ne peuvent pas avoir été mauvais, puisqu'ils ont été permis par Dieu. Augustin leur répond : ce n'est pas parce que Dieu laisse faire quelque chose que celle-ci est bonne. Ses interlocuteurs reprennent : les rites ont été abolis parce qu'ils ne plaisent plus à Dieu, mais tel était bien le cas auparavant ; Dieu n'aurait pas laissé s'accomplir des choses qui lui étaient désagréables. Leur évêque leur demande alors pourquoi de tels rites ont encore lieu en cachette.
Il lui fut riposté qu'à présent semblables rites n'avaient plus lieu complètement. En effet, continua mon interlocuteur, ne s'accomplissent plus ces cérémonies sacrées qui sont consignées dans les livres pontificaux. Car autrefois elles se faisaient suivant la règle, et se manifestaient alors comme agréables à Dieu, du fait qu'il leur était permis de se dérouler par le Dieu tout-puissant et juste. Mais si aujourd'hui quelque chose des sacrifices interdits s'accomplit en secret et illicitement, il ne faut pas le comparer à ce rituel pontifical des sacrifices, mais le classer de plus parmi les choses qui se font dans la nuit, alors que toutes ces façons de faire illicites sont positivement défendues, condamnées par les livres pontificaux eux-mêmes [44].
Les fidèles d'Augustin précisent à leur évêque que ne sont plus vraiment accomplis les rites autrefois permis, c'est-à-dire les sacra qui se trouvent dans les livres pontificaux ; ces cérémonies n'ont plus lieu. On ne peut comparer les rites anciens qui étaient autorisés par Dieu aux pratiques actuelles, qui sont accomplies en secret et illicitement. Une telle manière d'agir n'est d'ailleurs pas conforme au genus pontificale sacrificiorum, et est condamnée par les livres pontificaux. Les interlocuteurs d'Augustin semblent donc bien conscients du caractère public qui est constitutif des cérémonies polythéistes romaines [45] ; ils rapportent ce trait fondamental aux livres pontificaux. Ces livres, tout comme le genus pontifical de sacrifices, sont donc encore considérés comme une référence, une autorité en matière de conformité des rites polythéistes, qui ne sont pas jugés négativement : ces cérémonies faites publiquement ne pouvaient que plaire à Dieu, selon ces fidèles.
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3. Critique des dieux mis en scène aux spectacles
Les spectacles, qui étaient donnés en l'honneur des dieux et qui les mettaient en scène, constituent l'une des cibles des apologistes chrétiens : ceux-ci ne se privent pas de dénoncer l'immoralité de ces jeux scéniques et les turpitudes des dieux [46]. Les fonctions remplies par les pontifes en ce domaine sont épinglées par tel ou tel auteur : elles sont généralement jugées de manière négative, mais parfois plutôt positivement - pourvu qu'un de ces prêtres se soit opposé à ces jeux. Ou encore, comme l'illustre le passage suivant d'Arnobe, c'est l'absence de tout rôle accordé par les dieux à ces prêtres qui est mise en lumière.
Dans un récit haut en couleurs, Arnobe réinterprète l'histoire bien connue de la colère de Jupiter [47] : une erreur survenue dans la célébration des jeux en son honneur avait provoqué l'ire du souverain des dieux, qui avait laissé la peste s'abattre sur Rome comme châtiment ; il avait ensuite expliqué par un songe les raisons de son courroux à un obscur paysan, chargé d'en avertir les consuls ; les jeux furent donc recommencés. Ce récit fournit l'occasion au rhéteur de Sicca de dénoncer, en un passage dramatique, l'injustice de ce dieu, frappant de nombreux innocents. Il s'en prend ensuite au choix du messager élu par Jupiter pour lui communiquer les causes de sa colère [48] :
Si Jupiter voulait que les jeux fussent célébrés et recommencés avec plus de soin, s'il désirait rendre au peuple la santé, et ne pas prolonger et augmenter le mal qu'il avait causé, n'aurait-il pas dû, en stricte justice, aller trouver le consul lui-même ou quelque individu chargé d'un sacerdoce public - le grand pontife ou son propre flamine - et leur indiquer, durant leur sommeil, l'erreur commise par le président des jeux ainsi que la raison du malheur des temps ? Quelle raison avait donc le maître des dieux de choisir, comme interprète de ses volontés et exécuteur de la réparation qu'il exigeait, un paysan dont le nom était inconnu, qui ignorait tout des usages de la ville et qui avait peut-être même besoin d'apprendre ce qu'est un président des jeux ?
Arnobe stigmatise ainsi une nouvelle fois l'iniquité de Jupiter, qui n'a pas jugé bon d'avertir, plutôt qu'un obscur paysan, l'un des hauts responsables de la ville, consul ou prêtre public, tels le grand pontife ou le prêtre qui lui était affecté. À la suite de J.-M. Vermander, « on observera le renversement de perspective opérée par le polémiste » : alors que ce récit était destiné, dans l'optique païenne, à illustrer la bienveillance des dieux envers les Romains et, ajouterais-je, à fournir un fondement « historique » à la pratique de la répétition des jeux mal exécutés, l'auteur chrétien en retourne radicalement le sens, pour y trouver un exemple de l'injustice de Jupiter [49].
Après avoir présenté dans un autre passage de son Aduersus nationes les fictions des poètes qui insultent les dieux, Arnobe précise que les prêtres, tout comme les magistrats, assistent à ces représentations théâtrales déshonorantes : grands pontifes et grands curions, quindécemvirs, flamines de Jupiter, augures et vestales, peuple, Sénat et rois [des sacrifices] [50]. Près d'un siècle plus tard, Prudence s'offusque de la présence d'un pontife à un spectacle :
Un cygne séducteur fait le mal sur la scène ; un comédien représente Jupiter avec des cornes de taureau. Toi, tu assistes à ce spectacle en tant que grand pontife ; tu ris toi-même, et tu ne protestes pas, tu ne réfutes pas ces fables, quand on salit la réputation d'un si grand dieu ? [51]
Le poète reproduit ici le discours qu'aurait adressé le futur martyr Romain à Asclépiades, préfet d'Orient en 303 [52]. Cet hymne semble surtout, pour Prudence, prétexte à moqueries et attaques contre le paganisme [53]. On ignore si ce préfet, qualifié de pontifex summus par le poète, revêtit un sacerdoce. Selon M. Lavarenne, Prudence « oublie sans doute que Romain s'adresse à Asclépiades, et lui fait apostropher ici l'empereur » [54]. Cette hypothèse est vraisemblable mais il me semble préférable de supposer que le poète continue à s'en prendre à Asclépiades même, qu'il qualifie d'ailleurs à la ligne suivante de sacratus [55] : peu importe l'historicité du sacerdoce de ce dernier, Prudence vise avant tout à dénoncer la présence d'un pontifex aux jeux scéniques qui déshonoraient les dieux.
Les vives attaques lancées par Augustin contre les spectacles et leur manque de moralité, cause de débauche pour les Romains, contiennent de fréquentes allusions aux pontifes. D'une part, l'auteur de la Cité de Dieu accuse à diverses reprises ces prêtres d'avoir remédié aux malheurs des temps anciens en introduisant des jeux scéniques, exigés par leurs dieux honteux [56]. Ainsi, afin de faire cesser une peste ravageuse, ces jeux furent introduits à Rome, sur décision des pontifes [57]. Augustin se base vraisemblablement ici sur le récit de Tite-Live, narrant l'organisation de jeux scéniques en 364 a.C.n., destinés à apaiser les dieux et à faire cesser le fléau [58]. Pour guérir les corps, les dieux obtenaient des spectacles qui inoculeraient la peste des âmes et des mœurs, comme le souligne Orose [59], à la suite d'Augustin [60] :
Ils pourraient à cet endroit se plaindre, à mon avis, les détracteurs des temps chrétiens, si j'avais d'aventure passé sous silence par quelles cérémonies religieuses les Romains avaient alors propitié les dieux et maîtrisé les maladies ! Alors que la pestilence croissait de jour en jour, les autorités pontificales conseillèrent de célébrer des jeux scéniques, comme les dieux l'exigeaient. Ainsi, pour repousser un fléau momentané qui s'attaquait aux corps, on appela sur les âmes un mal éternel.
Tout comme l'évêque d'Hippone, Orose attribue aux pontifes la décision d'instaurer des spectacles. Il précise également que ceux-ci étaient réclamés par les dieux mêmes. Si la source de cet auteur et d'Augustin doit bien être reconnue dans le récit de Tite-Live, on remarquera que tous deux ont ajouté le rôle joué en la matière par les pontifes ; la fonction qu'ils attribuent à ces prêtres est cependant conforme à leur compétence d'experts religieux, même s'ils ne mentionnent pas leur consultation par le Sénat ou par des magistrats.
Selon Augustin, lors des guerres puniques, les Jeux séculaires furent célébrés, alors qu'on les avait négligés, en des temps plus heureux ; de même, les pontifes prescrivirent le rétablissement de jeux consacrés aux dieux infernaux, « pareillement abolis dans le passé durant les années meilleures » [61]. En l'absence de sources parallèles développées pour ces années [62], il est difficile de préciser à quel type de cérémonies Augustin fait allusion.
Alors que les Romains de l'époque républicaine avaient veillé à ce que leur nom ne puisse être diffamé par les poètes, personne ne s'est élevé, précise ailleurs Augustin, contre ces spectacles honteux dépréciant les dieux : ni les dieux, qui, en fait, s'en satisfont, ni un sénateur, ni un censeur, ni un prince, ni même un pontife [63]. Le docteur de l'Église nuance cependant cette affirmation en d'autres passages de son œuvre où il entend démontrer que certains Romains furent nettement supérieurs à leurs dieux, tel Scipion Nasica [64] :
car ces dieux ne valaient pas leur pontife. Ecoutez donc, si tant est que votre esprit, trop longtemps enivré des breuvages de l'erreur, vous permette de considérer sainement les faits ! Les dieux ordonnaient qu'on leur offrît des jeux scéniques, pour calmer la peste de vos corps. Votre pontife défendait qu'on construisît un théâtre, pour prévenir la peste de vos âmes.
Si les dieux exigeaient des jeux en leur honneur, le pontife Scipion Nasica, choisi par le Sénat comme l'homme le plus vertueux, comprit le danger que représentaient ces spectacles pour les mœurs des Romains et lutta contre l'introduction d'un théâtre en pierre [65] ; s'il avait osé s'en prendre à l'autorité de ces êtres qu'il considérait comme des dieux, continue Augustin, il aurait même interdit de telles représentations théâtrales. Mais celles-ci ont été voulues par ces dieux mauvais. Le pontife Scaevola, explique ailleurs Augustin, avait bien compris la vacuité et les dangers de la théologie fabuleuse, mettant en scène les turpitudes des dieux lors des spectacles. Il le prend ensuite à partie [66] :
Ô Scévola, grand pontife, supprime les jeux, si tu le peux ! Interdis aux peuples de rendre aux dieux immortels de pareils honneurs où ils prennent plaisir à admirer les crimes des dieux et pour autant qu'ils le peuvent, à les imiter ! Et si le peuple te répond : c'est vous, pontifes, qui avez introduit ces jeux chez nous, prie les dieux eux-mêmes, à l'instigation desquels vous avez prescrit ces jeux, d'en interdire la représentation ! Si ces spectacles sont mauvais et doivent donc être jugés absolument indignes de la majesté divine, l'injure faite aux dieux est d'autant plus grande que leurs crimes fictifs sont impunis. Mais ils ne t'écoutent pas ; ce sont des démons ; ils enseignent la corruption et se complaisent dans les turpitudes. Loin de considérer comme une injure d'être l'objet de ces fictions criminelles, ils sont incapables de supporter l'injure plus grande encore qu'on leur ferait si on ne les représentait pas lors de leurs solennités.
Par ces mots, Augustin tente de persuader ses lecteurs païens de la dépravation fondamentale de leurs dieux, déjà entr'aperçue, selon lui, par certains d'entre eux, et non des moindres, tels Scipion et Scaevola. Si, aux yeux de l'évêque d'Hippone, les pontifes sont responsables de l'introduction des jeux scéniques en l'honneur des dieux, cause selon lui de la décadence morale des Romains, il semble cependant les en excuser partiellement : ceux-ci ont agi à l'instigation de leurs dieux honteux d'une part ; d'autre part, certains d'entre eux ont tenté de lutter contre ces spectacles ou ont reconnu le caractère inutile et dangereux de ces fables.
[Plan]
II. Le pontificat romain dans des comparaisons entre realia païens et judéo-chrétiens
Les auteurs chrétiens ont parfois eu l'attention attirée par des ressemblances entre certaines composantes de leur religion et celles des religions polythéistes. Tantôt, ils notent simplement ces similitudes, tantôt ils cherchent à les expliquer ; dans les deux cas, ils posent le plus souvent un jugement de valeur sur la réalité païenne envisagée. Le pontificat figure dans quelques passages où sont comparés des realia païens et chrétiens.
Certains de ces rapprochements sont avant tout destinés à mettre en lumière la supériorité du christianisme. Ceci est par exemple évident dans certaines Vies de saints, qui étaient d'ailleurs évêques. Ainsi, dans sa Vie de Cyprien, écrite en 259, Pontius parle en ces termes de l'activité déployée par cet évêque durant la peste qui frappa Carthage, après avoir précisé que personne ne prenait soin des hommes touchés par la maladie [67] :
Ce serait un crime d'omettre ce qu'a fait durant ces événements le pontife du Christ et de Dieu, qui avait surpassé les pontifes de ce monde tant par sa pietas que par la vérité de sa religio.
En effet, poursuit le biographe, l'évêque rassembla le peuple et l'instruisit des bienfaits de la charité (bonis misericordiae) et lui montra, sur la base des Écritures comment les œuvres de piété (officia pietatis) attirent sur les fidèles la bienveillance de Dieu. Il les invite ensuite à secourir tous ceux qui en avaient besoin, non seulement les chrétiens mais aussi les autres. L'évêque chrétien, qualifié de Christi et Dei pontifex, est donc opposé par Pontius aux « pontifes de ce monde » : il leur est supérieur par sa pietas d'une part - à comprendre dans ce contexte par bonté, charité, bienfaisance [68] - , par la vérité de sa religio de l'autre. Remarquons que la pietas et la religio étaient considérées par les Romains comme des caractéristiques de leur peuple [69]. Ces termes, dont l'un au moins est chargé ici d'une signification nouvelle, sont choisis par le biographe pour distinguer les deux types de pontifes et, bien entendu, pour marquer la prééminence du prêtre chrétien.
Dans leur version la plus ancienne, qui remonte selon toute probabilité à la fin du 4ème ou au début du 5ème siècle, les Actes de Sylvestre mettent à deux reprises en scène des pontifes païens dont l'attitude est opposée à celle de l'évêque de la Ville, Sylvestre [70].
Selon l'auteur de cette vie, Constantin, encore païen, a été frappé de la lèpre par Dieu en punition des persécutions dont il s'est rendu coupable. N'ayant trouvé aucun remède, il s'adresse aux pontifes du Capitole [71]. L'expression pontifices Capitolii est une création chrétienne, que l'on rencontre dans d'autres vies de saints romains, datables du 5ème -6ème s. [72] : constatons que les pontifes païens sont ainsi caractérisés par la colline de Rome qui voyait se dresser le temple de Jupiter ; celle-ci constitue le lieu par excellence du paganisme romain dans un certain nombre de sources chrétiennes [73]. Les pontifes du Capitole recommandent à l'empereur de prendre un bain rempli du sang de jeunes enfants. S'apprêtant à exécuter cette mesure, Constantin prend conscience de l'horreur de ce geste devant la douleur des mères conduisant leurs fils aux prêtres et renonce à ce projet. À la suite d'une apparition des apôtres Pierre et Paul durant un rêve, il demande alors conseil à l'autre autorité religieuse de la Ville, à l'évêque chrétien, qui lui prescrit également un bain salutaire, cette fois dans une piscine de piété, celle du baptême. La piscine d'eau des thermes du Latran, recommandée par l'évêque, contrebalance ainsi très clairement la piscine de sang du Capitole, conseillée par les pontifes. Le baptême chrétien suggéré par l'évêque remplace le cruel moyen de guérison prôné par les prêtres païens.
Un autre épisode des Actes de Sylvestre donne lieu à une confrontation entre pontifes païens et évêque de la Ville [74]. Les exhalaisons d'un dragon, dont le culte mensuel n'est plus, comme naguère, assuré par les vestales, tuent quotidiennement nombre de Romains. Les pontifes demandent donc à l'empereur de permettre que ce rite soit à nouveau régulièrement accompli, afin que « la ville de Rome puisse se réjouir, grâce à sa piété, du salut de tous ses citoyens ». Ces prêtres sont ici qualifiés de pontifices uniuersi templorum ; identifiables aux pontifes, ceux-ci plaident pour la restauration du culte du dragon par les vestales [75], prêtresses dont leur collège est responsable. Leur argument s'articule autour de l'idée suivante : ce culte a toujours assuré le bien-être des citoyens ; on subit maintenant les conséquences de sa suspension ; son rétablissement rendra le bien-être aux habitants de la Ville. Sur les conseils de Sylvestre, Constantin refuse toutefois la requête des pontifes. Le préfet de la Ville, Calpurnius, prend à son tour la parole, en expliquant que trois cents personnes, des deux sexes et de tous âges, meurent chaque jour : le dragon veut son offrande. L'évêque rétorque en indiquant que seuls des païens en sont victimes ; en outre, ajoute-t-il, il n'y a rien de nouveau à ce que ce dragon tue des hommes ; les offrandes qui lui étaient faites avaient, selon Sylvestre, pour but de l'apaiser chaque mois, afin qu'il fasse moins de tort, mais étaient inaptes à ce qu'il ne cause jamais plus de dommage. Le préfet invite alors Sylvestre à empêcher le dragon de sévir, au moins pendant un mois ; l'évêque répond qu'il le rendra définitivement inoffensif. Si tel est le cas, pontifes et préfet assurent l'évêque qu'ils se convertiront. Ce dernier, fort de sa foi, vainc évidemment le monstre, l'empêchant de nuire pour toujours.
À nouveau, responsables des cultes païens et chrétien s'affrontent autour des solutions religieuses à apporter à un problème, qui touche ici la partie païenne de la population. Les pontifes plaident pour le rétablissement du culte traditionnel ; après avoir mis en lumière l'efficacité limitée de ce rite, incapable de faire cesser irrévocablement le dragon malfaisant, l'évêque, quant à lui, affirme la supériorité que lui confère sa religion et son Dieu : celui-ci lui permet de vaincre définitivement l'animal monstrueux : il apporte ainsi aux païens un salut bien plus appréciable que celui proposé par leurs prêtres.
Les hymnes de Prudence, chantant les passions des martyrs, comportent de nombreux traits de la littérature hagiographique, notamment dans ses oppositions entre religions païennes et chrétienne. Le poète met ainsi les mots suivants dans la bouche de Vincent, s'adressant à son juge [76] :
Toi, que ces numina soient tes maîtres ; toi, adore des pierres et du bois ; toi, sois le pontife mort de dieux morts. Mais nous, c'est le Père, créateur de la lumière, ainsi que le Christ, son fils, le seul et véritable Dieu, que nous confesserons, ô Datien.
Dans les lignes qui précèdent immédiatement, Prudence avait qualifié Vincent de « lévite de la tribu sacrée, serviteur de l'autel de Dieu, l'un des sept piliers candides », c'est-à-dire de diacre. Celui-ci compare sa foi et, en quelque sorte, son sacerdoce à ceux de son juge : Datien, affirme-t-il, est gouverné par ces dieux qu'il honore - des pierres et du bois - ; il est identifiable à un pontife mort de dieux morts. Le diacre quant à lui reconnaît le Père, créateur de la lumière et son Fils, unique vrai Dieu. Le Patrem du v. 37 semble ainsi opposé aux ista numina du v. 33, tandis que le eiusque Christum filium du v. 38 paraît contrebalancer les mots saxa et lignum du v. 34 : peut-être est-ce chercher trop loin, mais l'on pourrait même déceler dans cette opposition une comparaison entre le Christ, pierre angulaire rejetée des bâtisseurs et mort sur le bois de la croix, mais ressuscité et vivant, d'une part, et les pierres et le bois des dieux morts du paganisme d'autre part. Le juge Datien se fait pontife mort en honorant des dieux morts, tandis que le diacre, sur le point de mourir, confesse le seul vrai Dieu.
En dehors de ces Vies et passions de saints, l'on trouve également des comparaisons entre réalités chrétiennes et païennes dans le reste de la littérature chrétienne, entre autres dans les œuvres apologétiques. Quelques décennies après Pontius, Arnobe vante ainsi dans son Aduersus nationes les miracles accomplis par le Christ et souligne qu'il accorda ce même pouvoir à ses disciples, de pauvres gens. Il continue en prenant les païens à partie [77] :
Qu'en dites-vous, esprits incrédules, intraitables, endurcis ? Est-il un mortel auquel le fameux Jupiter Capitolin ait donné un pouvoir de cette sorte ? A-t-il concédé ce droit au grand curion, au grand pontife, ou mieux encore, au flamine Dialis qui est son prêtre particulier ?
Le rhéteur de Sicca ne manque pas de relever que le pouvoir de faire des miracles concédé par le Christ à ses disciples ne trouve aucun parallèle dans la religion romaine : grand curion, grand pontife et, qui plus est, flamen Dialis, prêtre de Jupiter, sont impuissants en matière de miracle ; leur dieu souverain ne leur a pas donné ce droit.
En commentant un verset de la première épître aux Corinthiens de Paul, relatif aux jugements des hommes, Ambrosiaster opère la comparaison suivante. Selon lui, Paul fait allusion « au jour divin où le Christ viendra juger », quand il affirme ne pas se soucier des sentences humaines. En effet, poursuit-il [78],
tout comme les juristes ou les pontifes, qu'ils appellent prêtres, ont décrété des jours déterminés où l'on est jugé, ainsi aussi le jour du Seigneur a été établi, où il [le Christ] viendra juger le monde.
L'exégète romain se souvient ici fort à propos des antiques compétences pontificales en matière de calendrier : plus précisément, il compare la détermination par les pontifes des jours convenant à l'exercice de la justice terrestre à la fixation du jour choisi, sous-entendu par Dieu, pour le jugement divin.
Dans son commentaire du premier psaume, Ambrosiaster confronte implicitement grand-prêtre des juifs et pontifes païens. L'auteur s'interroge sur le sens des mots suivants : Beatus uir qui (...) et in catedra pestilentiae non sedit [79]. Il identifie cette « chaire de la peste » à celle qui se situe hors de l'ordre divin, et qui produit injustice, corruption, en entraînant mort et damnation. Ce qui n'est pas le cas, poursuit-il, de la chaire de vie de Moïse, à qui ont succédé les scribes et les pharisiens : cette catedra a été voulue par Dieu. L'exégète cite ensuite un verset des actes des apôtres, reproduisant les paroles que Paul adresse au grand-prêtre : tu quidem sedes iudicans secundum legem et contra legem iubes me percuti (Act. 23, 2). Selon Ambrosiaster, comme l'apôtre « a dit "selon la loi", il a signifié l'autorité juste et salutaire de la "chaire". Mais parce qu'il a dit cela : tu ordonnes contre la loi que je sois frappé, il montre que celui-là même est un juge injuste, parce que, siégeant dans la chaire de Dieu, il juge injustement » [80]. Seul Dieu doit être craint, affirme-t-il après d'autres citations. Là où tel n'est pas le cas règne la « chaire de la peste » :
L'autorité d'un seul Dieu n'est jamais rejetée, si ce n'est chez ceux qui prêchent la crainte et le vénération de nombreux dieux ; ce sont eux qui siègent dans la chaire de la peste, parce que ce que leurs pontifes prêchent, c'est la mort. En effet, ils enseignent cela, que les adorateurs d'un seul Dieu soit sont objet de honte, comme s'ils étaient stupides et ennemis, soit qu'ils doivent être supprimés de cette vie [81].
À la différence des grands-prêtres des juifs, souvent désignés par le terme pontifices dans le verset des actes des apôtres cité par Ambrosiaster [82], les pontifes des païens siègent donc dans la « chaire de la peste », parce qu'ils refusent l'autorité du seul Dieu, prêchent la mort et le rejet des monothéistes. Remarquons toutefois qu'à l'époque où écrit Ambrosiaster, les persécutions contre les chrétiens n'ont plus cours depuis longtemps et que les partisans du polythéisme romain ne se montrent pas agressifs envers les chrétiens dans la Ville.
L'interdiction de remariage frappant certains prêtres païens constitue un motif récurrent dans l'œuvre de Tertullien ; parmi ceux-ci, il cite souvent le pontifex maximus [83]. Citons par exemple cet extrait de son Exhortation à la chasteté [84] :
Quant au fait que le grand pontife lui-même ne puisse se remarier, c'est assurément la gloire de la monogamie. Et quand Satan imite les observances consacrées par Dieu, c'est un défi qui nous est lancé, ou plutôt c'est une honte pour nous si nous hésitons à pratiquer pour Dieu la continence dont certains font preuve pour le Diable, en demeurant sans défaillance soit dans la virginité soit dans le veuvage.
Ainsi, selon lui, le pontifex maximus ou summus ne peut se marier qu'une seule fois. Il est évident que l'auteur confond ici ce prêtre avec le flamen Dialis ; Jérôme l'a d'ailleurs bien remarqué, qui reprendra certains des arguments de l'Africain, en corrigeant le nom du prêtre [85]. Reprenons les éléments de sa démonstration.
Cette caractéristique rituelle précise, la prohibition du remariage, fournit d'une part à Tertullien un exemple de la conduite que les chrétiens devraient adopter : si même les païens se soumettent à de tels interdits, a fortiori, les chrétiens devraient imiter leur attitude, afin de plaire au seul vrai Dieu. D'autre part, l'Africain éprouve dans ces passages la nécessité d'expliquer qu'une telle pratique, dont il prône la vertu pour les chrétiens, soit présente dans la religion païenne qui fait l'objet de ses attaques : c'est le diable, assure-t-il, qui a imité les prescriptions divines [86]. Cet argument sera repris et affiné au cours des siècles suivants dans l'apologétique latine [87]. Dans sa Prescription contre les hérétiques, il précise sa pensée : il commence en établissant que le rôle du diable « est de pervertir la vérité », en imitant « dans les mystères des idoles les choses de la foi divine » [88]. Tertullien poursuit en donnant des exemples : le diable a imité le baptême, le martyre, l'institution d'une virginité consacrée, l'interdiction du remariage : « Il a lui aussi ses vierges, il a lui aussi ses continents » [89]. C'est probablement parce qu'il ne peut toutefois nier l'antériorité des religions païennes par rapport au christianisme qu'il continue par ces mots [90] :
Au surplus si nous examinons les superstitions de Numa Pompilius, si nous étudions les fonctions des prêtres, leurs insignes et leurs privilèges, les cérémonies, les instruments et les vases qui servent aux sacrifices, les particularités de ces sacrifices, des expiations et des vœux, n'est-il pas manifeste que le diable a imité l'esprit minutieux de la loi judaïque ?
Ainsi, le parallèle entre pratiques païennes et chrétiennes s'explique, selon Tertullien, par l'action du diable : celui-ci a imité les pratiques chrétiennes et judaïques. S'il n'explicite pas clairement comment le diable a pu copier des institutions chrétiennes, alors que celles-ci sont postérieures à celles qu'il a mises en œuvres dans les rites païens, il esquisse peut-être une réponse en mentionnant la loi judaïque. Un siècle et demi plus tard environ, Firmicus Maternus s'attellera à expliquer ce paradoxe temporel, à propos de l'imitation diabolique des sacrements chrétiens dans le culte métroaque entre autres [91].
Selon Quodvultdeus, lorsque l'évêque de Carthage, Aurelius [92], célébra, au début du 5ème siècle [93], la première messe dans le temple de Caelestis transformé en église, quelques fidèles, dont lui, laissaient leur regard vagabonder, « à examiner avec curiosité chaque détail selon son importance » ; c'est alors, poursuit ce témoin oculaire, qu'il
se présenta à nos yeux quelque chose de merveilleux et d'incroyable : une inscription, en lettres d'airain très grandes, sur le frontispice du temple, portait : AVRELIVS PONTIFEX DEDICAVIT (Aurelius grand pontife a dédié). À cette lecture, la population s'émerveilla de l'événement que l'esprit prophétique avait jadis inspiré et qu'une disposition de la prescience de Dieu avait lié à cette fin déterminée [94].
Le temple de Caelestis à Carthage avait été détruit par un incendie en 145 p.C.n. Les témoignages littéraires et numismatiques indiquent qu'il fut restauré en 153, sous le règne d'Antonin, représenté en cette occasion par son fils adoptif. Il fut fermé en 399, à la suite des mesures frappant le paganisme. L'Aurelius de l'inscription mentionnée par Quodvultdeus serait donc le futur Marc-Aurèle, pontife depuis son accession au césarat en 139. Il est vraisemblable que l'auteur ne rapporte ici que la partie de l'inscription qui l'intéresse [95], interprétée en clé prophétique par les fidèles présents. Ceux-ci considèrent ainsi l'inscription et la dédicace du temple païen par le pontife Aurelius comme une préfiguration voulue par Dieu de l'inauguration de cet édifice, transformé en église, par l'évêque du même nom. Le pontife chrétien a remplacé le pontife païen !
Enfin, en un passage célèbre de son traité destiné à l'empereur Anastase, le pape Gélase (492-496) justifie en 494 la division entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel : pour ce faire, il compare, entre autres, divers types de pontificat [96]. Le pape rappelle d'abord à l'empereur le principe suivant : « Il y a deux choses, empereur Auguste, par lesquelles ce monde est principalement régi : l'autorité sacrée des pontifes et le pouvoir royal. Et pour les deux, les prêtres ont une tâche d'autant plus lourde qu'ils devront rendre des comptes devant Dieu pour les rois eux-mêmes » [97]. L'auctoritas sacrata pontificum correspond bien sûr ici à l'autorité des évêques, à leur suprématie en matière religieuse, tandis que la potestas regalis désigne le pouvoir temporel des empereurs, qui doivent se soumettre aux prêtres pour la religion, comme l'affirme ensuite explicitement Gélase. Conscient du fait que royauté et sacerdoce ont plus d'une fois été réunis entre les mains d'un seul au cours de l'histoire, Gélase poursuit par ces mots [98] :
Il est bien arrivé, avant la venue du Christ, que certains hommes, figures symboliques mais pourtant engagées dans des activités charnelles [entendons : personnages historiques], ont été à la fois roi et prêtre ; tel fut le saint Melchisédech, d'après ce que rapporte l'Histoire sainte. Cet exemple, le diable l'a suivi dans son domaine, lui qui toujours revendique dans un esprit tyrannique ce qui convient au culte divin, si bien que les empereurs païens étaient aussi appelés pontifes. Mais quand survint le seul qui puisse vraiment se dire roi et prêtre, l'empereur cessa dès lors de se donner le nom de pontife et le pontife de revendiquer le faste royal.
Envisageant d'abord la période qui précéda l'avènement du Christ, Gélase reconnaît que royauté et sacerdoce appartinrent parfois à un seul homme, tel Melchisédech, personnage biblique, déjà considéré dans la lettre aux Hébreux comme une préfiguration du Christ ; cette exégèse se retrouve par la suite chez de nombreux pères de l'Église. De même, ajoute le pape, les empereurs païens revêtaient aussi la charge de pontife [99] : ce parallèle païen s'explique, selon Gélase, par l'activité d'imitation déployée par le diable. Nous avons déjà évoqué cet argument, relativement fréquent dans les polémiques contre le paganisme, de la copie par le diable d'institutions judéo-chrétiennes.
Toutefois, poursuit Gélase, après l'avènement du Christ, seul vrai roi et vrai prêtre, fonctions royale et sacerdotale furent séparées : d'une part, les empereurs ne prétendirent plus au titre de pontife - le pape opère ici un raccourci, omettant que les empereurs païens et même chrétiens furent grands pontifes jusqu'à Gratien, qui abandonna ce titre en 376 vraisemblablement [100] - ; d'autre part, les pontifes, à comprendre ici comme évêques, laissèrent à d'autres qu'eux la charge royale. Il explique cette séparation de la manière suivante : bien que les chrétiens, membres du Christ, vrai roi et vrai pontife, soient d'après l'apôtre Pierre lui-même un peuple de rois et de prêtres [101], le Christ, conscient de la faiblesse des hommes,
a séparé les offices des deux pouvoirs et établi pour chacun des activités propres et des dignités distinctes, voulant que les siens se sauvent par le remède de l'humilité et ne soient pas à nouveau victimes de l'orgueil humain. Si bien que les empereurs chrétiens ont besoin des pontifes pour la vie éternelle et que les pontifes se conforment aux dispositions impériales pour le cours des choses temporelles. Ainsi les activités spirituelles ont été séparées des affaires charnelles (...), et inversement, celui qui a en charge les affaires du siècle ne doit pas apparaître comme présidant aux choses divines (...).
Gélase attribue ainsi au Christ la décision de séparer pouvoir spirituel et temporel, afin d'éviter la tentation de l'orgueil. Les empereurs chrétiens doivent donc dépendre des pontifes, c'est-à-dire des évêques, pour la vie éternelle.
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Les perceptions chrétiennes du pontificat païen, éparses et souvent fort brèves, sont indissociables des images du polythéisme romain développées par les auteurs chrétiens. Les représentations prédominantes de cette religion perçue comme adverse à la leur sont profondément dépréciatives. Tous les moyens sont mis en œuvre pour l'attaquer : ainsi, les polémistes chrétiens déforment ou inversent même parfois complètement les sens que les Romains polythéistes donnaient à leur système religieux [102]. Les fondements et les origines de la religion romaine, ses rites, la nature de ses dieux, ses mythes, sont « relus » par les chrétiens en fonction de la conscience qu'ils ont de la supériorité de leur Dieu et de leur foi. La polémique chrétienne latine antipolythéiste constitue entre autres une réponse aux objections antichrétiennes développées par les païens, comme l'a bien mis en lumière J.-M. Vermander, mais elle visait également un public chrétien confronté aux risques des tentations syncrétistes et des persécutions : il s'agissait de « détruire le paganisme dans les esprits » [103]. Ainsi, les apologistes ont cherché à démontrer l'immoralité et le caractère néfaste des dieux innombrables du polythéisme, et ce faisant, l'absurdité des religions polythéistes et de ses pratiques.
Dans un tel contexte, il est peu étonnant que la représentation dominante des pontifes païens chez les auteurs chrétiens soit marquée du sceau de la dépréciation. Ce jugement négatif porte pourtant moins sur les personnes mêmes de ces prêtres que sur les dieux qu'ils honorent, sur les rites, consignés dans leurs livres, dont ils sont acteurs et garants, sur les spectacles qu'ils ont introduits et auxquels ils assistent. À la différence de la figure de la vestale profondément transformée sous les attaques des chrétiens, au point d'en faire une courtisane impudique, le personnage du pontife ne subit pas, me semble-t-il, de déformation profonde dans l'image qu'en offrent les chrétiens. Ces derniers accentuent bien sûr certains traits servant leur cause : ils insistent ainsi sur le rôle négatif qu'ont eu les pontifes en introduisant les jeux scéniques. Toutefois, les pontifes apparaissent plutôt comme des ministres peu éclairés de dieux fondamentalement pervers, jouissant de toutes les dépravations possibles. Le grand reproche qu'on peut donc leur faire, selon Augustin, est d'avoir présenté au peuple ces dieux comme s'ils étaient honnêtes. Quelques-uns de ces prêtres bénéficient cependant d'un traitement de faveur de la part de l'évêque d'Hippone : ceux d'entre eux qui ont compris l'immoralité de leurs dieux et qui ont, éventuellement, tenté de s'y opposer, « pontifes meilleurs que leurs dieux ». Ce type d'argumentation visant à montrer que certains païens étaient notoirement moralement supérieurs à leurs dieux se retrouve chez d'autres auteurs.
Les confrontations qu'opèrent parfois les chrétiens entre realia judéo-chrétiens et païens tendent à accentuer la dévalorisation des pontifes païens. Les comparaisons effectuées entre des évêques chrétiens, qu'il s'agisse de Cyprien ou de Sylvestre, et des pontifes, font apparaître nettement la supériorité des premiers sur les seconds : la supériorité de leur Dieu, la vérité de leur religion, l'efficacité de leurs rites non sanglants apparaissent comme éclatantes. D'autre part, certains chrétiens ont eu l'attention attirée par la ressemblance manifeste entre certaines pratiques judéo-chrétiennes d'une part, païennes de l'autre, telles la prohibition du remariage pour les pontifes-flamines ou la réunion du sacerdoce et de la royauté entre les mains d'un seul homme. Cette constatation pouvait se révéler troublante puisqu'elle portait sur des institutions juives ayant existé et non condamnables ou, plus grave encore, sur des pratiques ascétiques prônées par certains chrétiens. Tertullien, et plus tard Gélase, expliquèrent ces similitudes en clé d'imitation diabolique : le diable copia des « institutions » judaïques qu'il mit en œuvre dans le paganisme ; ces auteurs dénient ainsi tout caractère légitime aux usages païens présentant des traits communs avec leur tradition. Ici aussi, les pontifes sont présentés comme dépendant de dieux, eux-mêmes asservis en dernière analyse à Satan, fondamentalement mauvais.
Au-delà des représentations largement majoritaires, dans lesquelles le polythéisme est profondément déformé et déprécié, des images plus nuancées - ou neutres - sont parfois perceptibles dans nos sources. Celles-ci apparaissent souvent comme l'écho des perceptions de simples fidèles. Très rares sont les informations où l'on trouve mention des pontifes. Nous avons vu que, au début du 5ème siècle, les pratiques dérivant des livres pontificaux sont considérées par les interlocuteurs d'Augustin comme ayant plu à Dieu, avant qu'elles n'aient été interdites. Des rites licites semblent correspondre à leurs yeux à des sacrifices qui seraient approuvés par les pontifes, toujours considérés comme garants des cultes. Vers la même époque à Carthage, dans le temple de Caelestis transformé en église, certains fidèles interprètent en clé prophétique la mention de la dédicace du temple par le pontife Aurelius. Ce dernier semble ici interprété plus comme un « précurseur » établi par Dieu que comme le prêtre d'une religion adverse.
Remarquons enfin que la reprise même du terme pontifex par les chrétiens pour désigner leur évêque indique clairement que ce mot n'était pas entaché pour eux d'une connotation exclusivement négative.
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Bibliographie
Contreras (C. A.), Paganism = Christian Views of Paganism, in ANRW, 2, 23, 2, 1980, p. 974-1022.
Dagron (G.), Empereur et prêtre = Empereur et prêtre. Étude sur le « césaropapisme » byzantin, Paris, 1996 (Bibliothèque des Histoires).
Fraschetti (A.), Conversione = La conversione. Da Roma pagana a Roma cristiana, Rome-Bari, 1999 (Collezione storica).
Inglebert (H.), Romains chrétiens = Les Romains chrétiens face à l'histoire de Rome. Histoire, christianisme et romanités en Occident dans l'Antiquité tardive (IIIe-Ve siècles), Paris, 1996 (Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité).
Le Bonniec (H.), Arnobe = Arnobe témoin et juge des cultes païens, in BAGB, 1974, p. 201-222.
Leveleux (C.), Vestales = Des prêtresses déchues : l'image des Vestales chez les Pères de l'Église latine (Fin IIe-début Ve siècle), Paris, 1995 (Travaux et recherches. Panthéon-Assas Paris II. Droit-Économie-Sciences sociales).
Vermander (J.-M.), Polémique = La polémique des apologistes latins contre les dieux du paganisme, in RechAug, 17, 1982, p. 3-128.
Weismann (W.), Schauspiele = Kirche und Schauspiele. Die Schauspiele im Urteil der lateinischen Kirchenväter unter besonderer Berücksichtigung von Augustin, Würzburg, 1972 (Cassiciacum, 27).
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Notes
* Cet article constitue la matière d'un chapitre de ma thèse de doctorat intitulée Le collège pontifical (3ème s. a.C.-4ème s. p.C.). Contribution à l'étude de la religion publique romaine. Je tiens à remercier M. le Professeur J. Poucet qui m'a suggéré d'en faire un article pour la revue électronique louvaniste, les Folia Electronica Classica.
[Ce doctorat, soutenu le 6 décembre 2001 à Bruxelles aux Facultés universitaires Saint-Louis, est maintenant intégralement publié : Fr. Van Haeperen, Le collège pontifical (3e s. a.C.-4e s. p.C.). Contribution à l'étude de la religion publique romaine, Rome, Bruxelles, 2002, 467 p. (Institut historique belge de Rome). On en trouvera une présentation de synthèse, due à Fr. Van Haeperen elle-même dans les FEC 5 (2003), sous le titre Le collège pontifical à Rome (3e s. a.C.-4e s. p.C.). [Note de l'éditeur du 16 janvier 2003]
[1] On se reportera encore avec profit à la synthèse que G. Wissowa consacra au collège pontifical (Religion und Kultus der Römer, 2ème éd., Munich, 1912, p. 501-523 [HdA, 5, 4]) ainsi qu'aux études plus récentes de J. Scheid et de M. Beard sur les prêtres à Rome (J. Scheid, Il sacerdote, in L'uomo romano, éd. A. Giardina, Rome, Bari, 1989, p. 45-79 (Storia e società) ; M. Beard, Priesthood in the Roman Republic, in Pagan Priests. Religion and Power in the Ancient World, éd. M. Beard, J. North, Londres, 1990, p. 17-48). [Retour]
[2] On trouvera les références précises des textes de ces auteurs aux endroits où ils seront cités. [Retour]
[3] Sur les sens chrétiens de pontifex, voir P. Stockmeier, Die Übernahme des Pontifex-Titels im spätantike Christentum, in Konzil und Papst. Historische Beiträge zur Frage der höchsten Gewalt in der Kirche, éd. G. von Schwaiger, Munich, 1975, p. 75-84 ; I. Kajanto, Pontifex maximus as Title of the Pope, in Arctos, 15, 1981, p. 37-52. Le premier chapitre de ma thèse, consacré aux divers sens et usages de pontifex, apporte quelques compléments aux articles cités. [Retour]
[4] C. A. Contreras, Paganism, 1980, p. 974-1022 ; J.-M. Vermander, Polémique, 1982 ; voir aussi H. Inglebert, Romains chrétiens, 1996. [Retour]
[5] A. Mandouze, Saint Augustin et la religion romaine, in RechAug, 1, 1958, p. 187-223 ; H. Le Bonniec, Arnobe, 1974, p. 201-222. [Retour]
[6] C. Leveleux, Vestales, 1995. [Retour]
[7] Prud. perist. 2, 517-520. [Retour]
[8] Prud. perist. 2, 525-528 (trad. M. Lavarenne, CUF, 1951) ; voir aussi Prud. c. Symm. 1, 547 : « Vous auriez pu voir alors exulter les sénateurs, ces lumières magnifiques du monde ; l'assemblée des vénérables Catons brûle du désir de revêtir, avec une toge plus blanche, le vêtement neigeux de la piété et de quitter les habits pontificaux » (trad. M. Lavarenne, CUF, 1948). Voir T. D. Barnes, R. W. Westall, The Conversion of the Roman Aristocray in Prudentius' Contra Symmachum, in Phoenix, 45, 1991, p. 50-62. [Retour]
[9] Hier. epist. 107, 1. [Retour]
[10] Symm. epist. 1, 51 (trad. J.-P. Callu, CUF, 1972). [Retour]
[11] Lact. inst. 5, 19, 10 (trad. P. Monat, SC, 1973). [Retour]
[12] Voir par ex. Cic. nat. deor. 3, 2, 5 ; Liv. 5, 51, 4-10 ; 5, 52, 1-2 ; 44, 1, 11 ; Tert. nat. 2, 17 ; Min. Fel. 6, 2. [Retour]
[13] Tert. apol. 25, 2 (trad. J.-P. Waltzing, 1919). [Retour]
[14] Tert. apol. 26, 1. [Retour]
[15] Tert. apol. 26, 2 (trad. J.-P. Waltzing, 1919). [Retour]
[16] Min. Fel. 25, 12. Sur l'influence de l'Ad nationes et de l'Apologeticum de Tertullien sur Minucius Felix, H. Inglebert, Romains chrétiens, 1996, p. 105-106. [Retour]
[17] J.-M. Vermander, Polémique, 1982, p. 44-45 ; C. Leveleux, Vestales, 1995, p. 44-45 ; H. Inglebert, Romains chrétiens, 1996, p. 81-82, 86, 110-111 (sur la vision de la royauté chez Tertullien ; chez Minucius Felix). [Retour]
[18] Aug. civ. 3, 18, 2. Voir C. Leveleux, Vestales, 1995, p. 40-41. [Retour]
[19] Lact. inst. 1, 22, 1-4. Voir H. Inglebert, Romains chrétiens, 1996, p. 128. [Retour]
[20] Aug. civ. 7, 35 (trad. G. Combès, BA, 1959). Voir H. Inglebert, Romains chrétiens, 1996, p. 414, 435. [Retour]
[21] Lact. inst. 1, 21, 44 (trad. P. Monat, SC, 1986). [Retour]
[22] Arn. nat. 4, 18-19. Sur ce passage et son contexte, C. A. Contreras, Paganism, 1980, p. 1014. [Retour]
[23] Aug. civ. 4, 27 (trad. G. Combès, BA, 1959). [Retour]
[24] Aug. civ. 4, 27. [Retour]
[25] Varro ap. Aug. civ. 6, 5 (trad. G. Combès, BA, 1959). [Retour]
[26] Aug. civ. 6, 7, 1(trad. G. Combès, BA, 1959). [Retour]
[27] Voir J. Scheid, Hiérarchie et structure dans le polythéisme romain. Façons romaines de penser l'action, in Archiv für Religionsgeschichte, 1, 1999, p. 200. Voir aussi G. Dumézil, La religion romaine archaïque, 2ème éd., Paris, 1974, p. 53-55. [Retour]
[28] Aug. civ. 6, 7, 3 (trad. G. Combès, BA, 1959). [Retour]
[29] Aug. civ. 6, 9, 1-3. [Retour]
[30] Aug. civ. 6, 9, 4 (trad. G. Combès, BA, 1959). [Retour]
[31] Aug. civ. 6, 8, 2 : il s'agit manifestement de Varron et de Scaevola. [Retour]
[32] Aug. civ. 6, 9, 4 (trad. G. Combès, BA, 1959). [Retour]
[33] Aug. civ. 7, 23, 2. [Retour]
[34] Firm. err. 15, 5 (trad. R. Turcan, CUF, 1982). [Retour]
[35] Firm. err. 16, 2 (trad. R. Turcan, CUF, 1982). [Retour]
[36] Sur le Palladium conservé dans le temple de Vesta, A. Dubourdieu, Les origines et le développement du culte des Pénates à Rome, Rome, 1989, p. 460-467 (Coll. EFR, 118) ; A. Fraschetti, Conversione, 1999, p. 42-47, 65-70. [Retour]
[37] Lucan. 1, 597-598. Voir aussi les sources et la bibliographie citée à ce propos par A. Dubourdieu et A. Fraschetti. [Retour]
[38] H. Le Bonniec, Arnobe, 1974, p. 218. Arn. nat. 7, 24. Voir aussi G. Rohde, Die Kultsatzungen der römischen Pontifices, Berlin, 1936, p. 164 (Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten, 25) (sur les sources d'Arnobe, qui s'appuie très vraisemblablement dans ce passage sur un auteur ayant traité des « choses sacrées », en se basant sur les archives pontificales, soit directement, soit par intermédiaire). [Retour]
[39] H. Le Bonniec, Arnobe, 1974, p. 219. [Retour]
[40] Oros. hist. 4, 13, 3 : Tertio deinceps anno miseram ciuitatem sacrilegis sacrificiis male potentes funestauere pontifices ; namque decemuiri consuetudinem priscae superstitionis egressi Gallum uirum et Gallam feminam cum muliere simul Graeca in Foro Boario uiuos defoderunt (trad. M.-P. Arnaud-Lindet, CUF, 1991). [Retour]
[41] A. Fraschetti, Le sepolture rituali del Foro Boario, in Le délit religieux dans la cité antique (Table ronde, Rome, 6-7 avril 1978), Rome, 1981, p. 51-115 (Coll. EFR, 48) ; Cl. Lovisi, Vestale, incestus et juridiction pontificale sous la République romaine, in MEFRA, 110, 2, 1998, p. 729-733. [Retour]
[42] Pour un commentaire récent de cette œuvre, K. Kühn, Augustins Schrift De divinatione daemonum, in Augustiniana, 47, 1997, p. 291-337. [Retour]
[43] Aug. div. 2, 4-6. [Retour]
[44] Aug. div. 2, 5 (trad. G. Bardy, BA, 1952). [Retour]
[45] Cette même exigence de caractère officiel d'un rite se retrouve également dans le récit de Zosime (5, 41, 1-3) consacré à la proposition des haruspices en 408, destinée à détourner de Rome les assauts d'Alaric. Voir D. Briquel, Chrétiens et haruspices. La religion étrusque, dernier rempart du paganisme romain, Paris, p. 182-186. [Retour]
[46] W. Weisemann, Schauspiele, 1972, p. 98-104, 123-195 ; R. Markus, The End of Ancient Christianity, Cambridge, 1990, p. 107-123 (essentiellement consacré aux positions d'Augustin par rapport aux banquets, jeux et spectacles avant 399). [Retour]
[47] De nombreux auteurs ont narré cette première répétition (instauratio) d'une procession et de jeux en l'honneur de Jupiter : Plut. Cor. 24-25 ; Cic. div. 1, 55 ; Liv. 2, 36, 1-7 ; 37, 1 ; Den. Hal. 7, 68, 3-6 ; 7, 69 ; 7, 73, 5 ; Val. Max. 1, 7, 4 ; Lact. inst. 2, 7, 20. Sur ces textes, voir F. Bernstein, Ludi Publici. Untersuchungen zur Entstehung und Entwicklung der öffentlichen Spiele im republikanischen Rom, Stuttgart, 1998, p. 85-96 (Historia, 119). [Retour]
[48] Arn. nat. 7, 43. Voir le commentaire de J.-M. Vermander (Polémique, 1982, p. 42-43), à qui j'emprunte la traduction de ce passage. [Retour]
[49] D'autres auteurs chrétiens utiliseront ce récit de la même manière qu'Arnobe, sans toutefois mentionner les pontifes. Lact. inst. 2, 7, 20 ; Aug. civ. 4, 26 (voir W. Weisemann, Schauspiele, 1972, p. 168-169). [Retour]
[50] Arn. nat. 4, 35. [Retour]
[51] Prud. perist. 10, 221-225 (trad. M. Lavarenne, CUF, 1951). [Retour]
[52] PLRE I, p. 114. [Retour]
[53] Prudence. Tome IV. Le Livre des Couronnes (Peristephanon Liber). Dittochaeon. Épilogue, texte établi et traduit par M. Lavarenne, 2ème tirage revu et corrigé, Paris, p. 119. Voir Prud. perist. 10, 151-310. [Retour]
[54] op. cit., p. 224. [Retour]
[55] Prud. perist. 10, 226. [Retour]
[56] Aug. civ. 1, 32 ; 2, 8 ; 3, 17 ; 4, 27 ; 8, 20. Voir W. Weisemann, Schauspiele, 1972, p. 167-173. [Retour]
[57] Aug. civ. 2, 8 ; voir aussi 1, 32 ; 4, 27. [Retour]
[58] Liv. 7, 2, 1-3. [Retour]
[59] Oros. hist. 3, 4, 4-5 (trad. M.-P. Arnaud-Lindet, CUF, 1990). [Retour]
[60] Aug. civ. 1, 32. [Retour]
[61] Aug. civ. 3, 18 (trad. G. Combès, BA, 1959). [Retour]
[62] Les Jeux séculaires sont datés par d'autres sources en 252 ou 249 (Liv. frag. 9 ; Cens. 17, 10 ; Zos. 2, 4, 1) ; la perte des livres de Tite-Live consacrés à ces années ne permet pas de confronter son récit à l'information fournie par Augustin. [Retour]
[63] Aug. civ. 2, 12. [Retour]
[64] Aug. civ. 1, 32 (trad. G. Combès, BA, 1959). [Retour]
[65] Aug. civ. 1, 31-32. [Retour]
[66] Aug. civ. 4, 27 (trad. G. Combès, BA, 1959). [Retour]
[67] Pont. vita Cypr. 9, 5. [Retour]
[68] A. Blaise, Dict. latin-français. [Retour]
[69] Cic. har. resp. 19. [Retour]
[70] W. Pohlkamp, Textfassungen, literarische Formen und geschichtliche Funktionen der römischen Silvester-Akten, in Francia, 19, 1, 1992, p. 115-196. [Retour]
[71] Voir W. Polhkamp, Kaiser Konstantin, der heidnische und die christliche Kult in den Actus Sylvestri, in FMS, 18, 1984, p. 357-400 ; voir aussi A. Fraschetti, Conversione, 1999, p. 109-115. [Retour]
[72] Voir A. Fraschetti, Conversione, 1999, p. 112-114. [Retour]
[73] Voir A. Fraschetti, Conversione, 1999, p. 109, 112-122. Sur l'usage du terme Capitolium pour désigner le templum Iouis Optimi Maximi dans les sources hagiographiques, G. De Spirito, Capitolium (in fonti agiografiche), in LTVR, 1, 1993, p. 234. [Retour]
[74] Sur ce récit et pour une édition critique des passages cités, W. Polhkamp, Tradition und Topographie : Papst Silvester I. (314-335) und der Drache vom Forum Romanum, in RQA, 78, 1983, p. 11-44. [Retour]
[75] Sur les origines païennes de cette tradition et sur son développement, W. Polhkamp, op. cit., 1983, p. 13-30 ; J.-M. Pailler, La vierge et le serpent. De la trivalence à l'ambiguïté, in MEFRA, 1997, p. 513-575. [Retour]
[76] Prud. perist. 5, 29-36 : Exclamat hic Vincentius,/ leuita de tribu sacra,/ minister altaris Dei/ septem ex columnis lacteis :/ Tibi ista praesint numina,/ tu saxa, tu lignum colas,/ tu mortuorum mortuus/ fias deorum pontifex ;/ nos lucis auctorem patrem/ eiusque Christum filium,/ qui solus ac uerus Deus,/ Datiane, confitebimur (trad. M. Lavarenne, CUF, 1963). [Retour]
[77] Arn. nat. 1, 51, 1 (trad. H. Le Bonniec, CUF, 1982). [Retour]
[78] Ambrosiast. I Cor. 4, 3, 2. [Retour]
[79] Ambrosiast. quaest. 110, 5 (ps. 1, 1). [Retour]
[80] Ambrosiast. quaest. 110, 6. [Retour]
[81] Ambrosiast. quaest. 110, 6. [Retour]
[82] Le grand-prêtre des juifs est souvent rendu par le latin pontifex dans les citations que font les auteurs chrétiens de Act. 23, 2 (voir Cypr. epist. 3, 2, 1-2 ; 59, 4, 2-3 ; 66, 3 ; Ambr. in psalm. 36, 56, 2-3 ; 61, 12, 1 ; Hier. adv. Pelag. 3, 3, 4 ; c. Ioh. 12, col. 381 ; Aug. serm. Dom. 1, 58 ; Aug. mend. 15, 27, p. 447). [Retour]
[83] Tert. uxor. 1, 7, 5 ; cast. 13, 1-2 ; monog. 17, 3 ; praescr. 40, 1-6. [Retour]
[84] Tert. cast. 13 (trad. J.-Cl. Fredouille, SC, 1985). [Retour]
[85] Hier. adv. Iovin. 1, 49, 320 ; epist. 123, 7. [Retour]
[86] Tert. uxor. 1, 7, 5 ; cast. 13 ; praescr. 40. [Retour]
[87] J.-M. Vermander, Polémique, 1982, p. 37-41. [Retour]
[88] Tert. praescr. 40, 1-2. [Retour]
[89] Tert. praescr. 40, 3-5. [Retour]
[90] Tert. praescr. 40, 6 (trad. P. de Labriolle, SC 1957). [Retour]
[91] J. Pépin, Réactions du christianisme latin à la sotériologie métroaque (Firmicus Maternus, Ambrosiaster, Saint Augustin), in La soteriologia dei culti orientali nell'impero romano, éd. U. Bianchi, M. J. Vermaseren, Leyde, 1982, p. 256-275 (EPRO, 92). [Retour]
[92] Sur ce personnage, voir A. Mandouze, Prosopographie de l'Afrique chrétienne, Paris, 1982, p. 105-127 (Prosopographie chrétienne du Bas-Empire, 1). [Retour]
[93] Pour la datation de cet événement, voir Quodvultdeus. Livre des promesses et des prédictions de Dieu, I-II, éd. trad. et comm. R. Braun, Paris, 1964, p. 72 (SC, 101-102). [Retour]
[94] Quodv. prom. 3, 38 (trad. R. Braun, SC, 1964). [Retour]
[95] Voir le commentaire de R. Braun (op. cit., 1964, p. 576). Sur la fermeture du temple en 399, sa transformation en église et sa destruction en 421 à la suite d'agitations païennes, voir Cl. Lepelley, Les Cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire. Tome I. La permanence d'une civilisation municipale, Paris, 1979, p. 354, 356-357 ; Tome II. Notices d'histoire municipale, Paris, 1981, p. 42-44. [Retour]
[96] Je suis, dans les lignes qui suivent, redevable des traductions et des interprétations de G. Dagron (Empereur et prêtre, 1996, p. 190-192, 309-312). [Retour]
[97] Trad. de G. Dagron, p. 310. Pour ce contexte politico-religieux, voir Id., Empereur et prêtre, 1996, p. 309-310. [Retour]
[98] Gelas. tract. 4 (Epist. Rom. Pont. genuinae, éd. A. Thiel, 1868, p. 557-558 ; traduction de G. Dagron, Empereur et prêtre, 1996, p. 190-191). [Retour]
[99] Remarquons qu'Isidore de Séville notera aussi dans sa définition du terme pontifex, compris dans le sens judéo-chrétien de princeps sacerdotum que les empereurs romains étaient jadis pontifices maximi (orig. 7, 12, 14-15). Il ne cherche par contre pas à expliquer cette constatation. [Retour]
[100] Sur l'abandon du grand pontificat par Gratien, voir Zos. 4, 36, 5. La datation de cet événement a fait l'objet de longues controverses. L'étude fouillée que j'ai consacrée à ce problème confirme la datation en 376 proposée par F. Paschoud (Cinq Études sur Zosime, Paris, 1975, p. 63-93 (Collection d'études anciennes). [Retour]
[101] I Petr. 2, 9. [Retour]
[102] Voir, sur ce concept d' « inversion », J.-M. Vermander, Polémique, 1982, p. 66-68 (« un monde divin "à l'envers" »). [Retour]
[103] J.-M. Vermander, Polémique, 1982, p. 68-86. [Retour]
[Plan]
FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 2 - juillet-décembre 2001