FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 2 - juillet-décembre 2001


Néron et la persécution des Chrétiens d'après Tacite, Annales, XV, 44.

I. Commentaire linguistique

par

 Marius Lavency

Professeur émérite de l'Université de Louvain [*]


Le passage est très connu et reste malaisé à interpréter. Nous en livrons ici, en deux parties, une étude qui a été présentée en 1973 lors d'une séance de recyclage organisée à Charleroi par le Groupe de Philologie classique de l'Université Catholique de Louvain. Elle a été publiée dans Humanités Chrétiennes, t. 17, janvier-février 1974, p. 280-302. Dans la première partie, éditée ci-dessous, M. Lavency commente le passage du point de vue de la langue et du style ; dans la seconde, Ludovic Wankenne propose, sur un plan plus historique, sa vision personnelle du texte, faisant état des avis exprimés sur le sujet par divers historiens.

[Note de l'éditeur]


Texte latin

Sed non ope humana, non largitionibus principis aut deum placamentis decedebat infamia quin iussum incendium crederetur. Ergo abolendo rumori Nero subdidit reos et quaesitissimis poenis adfecit quos per flagitia inuisos uulgus Christianos appellabat. Auctor nominis eius Christus Tibero imperitante per procuratorem Pontium Pilatum supplicio adfectus erat ; repressaque in praesens exitiablilis superstitio rursum erumpebat, non modo per Iudaeam, originem eius mali, sed per Vrbem etiam, quo cuncta undique atrocia aut pudenda confluunt celebranturque. Igitur primum correpti qui fatebantur, deinde indicio eorum multitudo ingens haud proinde in crimine incendii quam odio humani generis conuicti sunt. Et pereuntibus addita ludibria, ut ferarum tergis contecti laniatu canum interirent aut crucibus adfixi [aut flammandi atque] ubi defecisset dies in usum nocturni luminis urerentur. Hortos suos ei spectaculo Nero obtulerat et circense ludicrum edebat, habitu aurigae permixtus plebi uel curriculo insistens. Vnde quamquam aduersus sontes et nouissima exempla meritos miseratio oriebatur tamquam non utilitate publica sed in saeuitiam unius absumerentur.

Traduction française

« Mais ni les ressources humaines, ni les libéralités de l'empereur ou les cérémonies expiatoires ne faisaient diminuer la rumeur infamante : on croyait encore que l'incendie avait été commandé. Aussi pour couper court à ces rumeurs, Néron se trouva des coupables et il infligea des châtiments raffinés à des gens que leurs scandales rendaient odieux et que la masse appelait Chrétiens. Ce nom leur vient de Christ que le procureur Pontius Pilatus avait fait supplicier sous le règne de Tibère. Contenue pour un temps, cette superstition pernicieuse perçait à nouveau, non seulement en Judée, où ce mal avait pris naissance, mais à Rome même où tout ce qu'il y a partout d'affreux et de honteux afflue et trouve des gens pour l'accueillir. Donc on prit d'abord à partie les gens qui se manifestaient ; ensuite, sur leurs indications, une foule immense fut trouvée coupable moins du crime d'incendie que de haine contre le genre humain. Et tandis qu'on les faisait périr, on se fit un jeu de les couvrir de peaux de bêtes et de les faire mordre à mort par des chiens ou bien de les mettre en croix et à la tombée du jour de les brûler en les faisant servir de torches. Néron avait offert ses jardins pour ce spectacle et il donnait des jeux de cirque, se mêlant au peuple en habit de cocher ou debout sur son char. Dès lors, bien que ces gens fussent coupables et dignes des dernières rigueurs, on les prenait en pitié car on se disait que ce n'était pas en raison de l'intérêt public, mais pour la cruauté d'un homme qu'ils étaient massacrés. »


non ope humana, non largitionibus principis aut deum placamentis

Les termes ope, largitionibus, placamentis, en tête de phrase, reprennent les faits évoqués en 44, 1-2.

La construction syntaxique caractérisée par la séquence / ablatif sur nom d'inanimé en fonction d'agent + verbe intransitif avec au nominatif le terme sujet de l'activité signifiée par le verbe / est normale en latin. Le français préfère la tournure « active »  assignant au terme agent la fonction de sujet grammatical  : de là, la traduction : « ni les ressources humaines, ni les largesses de l'empereur... ne faisaient diminuer la rumeur... ». On observera la disposition des termes en ordre croissant avec asyndète et anaphore de non et, à l'intérieur du second membre, la coordination par aut. La corrélation aut (+ exclusive) - uel (+ choix) affirmée par la grammaire normative ne se vérifie pas chez Tacite : A. XIV, 35 : uincendum uel cadendum, et le choix de l'une et de l'autre conjonction peut résulter d'un souci de variatio : H. II, 68 : legati tribunique... seueritatem aemulantur uel tempestiuis conuiuiis gaudent ; proinde miles intentus aut licenter agit.

Deum : 31 occurrences chez Tacite contre 14 fois deorum (L. Constans, Étude sur la langue de Tacite, Paris, Delagrave, 1893, p. 12).

Placamentis. Le terme date du Ier siècle après J.-Chr. (Pline et Tacite) : Tite-Live employait placamen (VII, 2). Tacite (L. Constans, op. cit., p. 5) affectionne les formations en -mentum : eiectamentum (G. XLV, 17), imitamentum (A. III, 15 ; XIII, 4), meditamentum (A. XV, 35), uimentum (A. XII, 8).

decebat infamia quin incendium iussura crederetur

La langue de Tacite se caractérise par l'extension qu'elle accorde à des tournures peu représentées chez Cicéron, César et Tite-Live. La prose classique tend à limiter à certaines expressions la construction / quin + subjonctif / en fonction de constituant de type /id/ : non est dubium quin, non abest suspicio quin. Tacite élargit, comme ici, le paradigme. On trouve ainsi (A. XIII, I4) non abnuere se quin cuncta infelicis domus mala patefierent (« elle ne refusait pas que soient mis à jour tous les malheurs d'une malheureuse maison »). Dans d'autres constructions, quin + subjonctif en arrive à fonctionner comme doublet de sed + indicatif : A. XI, 32, gens non atrocitate, non clementia mutabatur quin bellum exerceret castrisque legionum premenda foret (« cette nation, ni la rigueur, ni la clémence ne la faisaient changer, mais elle faisait la guerre et il fallait installer des légions à demeure pour les mater »).

Iussum incendium crederetur. Tacite exploite avec un rare bonheur les ressources de la construction passive, dont la fonction stylistique fondamentale est de permettre à l'écrivain d'omettre la mention de l'agent de l'action qu'il évoque. L'anonymat de l'agent et le mystère qu'il couvre sont ainsi préservés.

abolendo rumori

La valeur sémantique de « destination » attribuée traditionnellement au monème / datif / apparaît nettement dans des énoncés tels que aliquis alicui rem aufert, qui autorisent des jeux de mots (Plaute, Aul. 634-635) en justifiant deux interprétations : « qqun enlève une chose à quun/pour qqun » ; elle est confirmée par les nombreuses alternances libres [datif/ ad + acc.] du type inutilis bello (César, B.G., 7, 78) : inutilis ad bellum (id. 77) et par les contrastes réguliers [datif : ab + abl.] comme aliquis rem ab aliquo alicui petit. L'emploi du datif d'un substantif avec adjectif verbal conjoint est connu dès Plaute : Tri. 229 : utram aetati agundae arbitrer firmiorem (« laquelle dois-je considérer comme la plus sûre dans la vie  ? ») et 232 : utra in parte plus sit uoluptatis uitae ad aetatem agundam (« de quel côté trouve-t-on plus de plaisir à vivre  ? »). Tacite utilise plus généreusement que ses devanciers cette construction, avec généralement l'adjectif verbal antéposé. L. Constans, p. 54 relève 47 exemples de pareille construction, comme A. XIII, 42 : eloquentiam tuendis ciuibus exercere (« consacrer son éloquence à protéger les citoyens »). Cette construction apparaît maintes fois comme un substitut de la proposition finale : A. XIII, 13 cubiculum offerre contegendis (= quo contegeret) quae prima aetas et summa fortuna expeterent (« offrir sa chambre pour cacher ce que la jeunesse et le plus haut rang peuvent exiger »). On observe ainsi au niveau de la langue la compatibilité régulière du datif dans les constructions [nom + adjectif verbal] d'une part, et de l'ablatif dans les constructions [nom + participe] d'autre part : dans l'un et l'autre cas sont utilisés les traits pertinents de l'opposition « datif » : « ablatif », le datif incluant la destination, l'ablatif incluant l'origine. Le remplacement de contegendis par contectis dans la phrase de Tacite A. XIII, 13 citée ci-dessus fournirait un exemple significatif des valeurs ainsi actualisables.

subdidit reos

Le sens de « mettre en remplacement » est nettement attesté : Cicéron, Dom., 85 : aliquem in locum. alicuius. Chez Tacite, A. III, 67, maiestatis crimina subdebantur (« on forgeait des accusations de lèse-majesté »). Particulièrement instructif pour l'interprétation de notre passage : A. I, 6 : metuens ne reus subderetur (« craignant d'être pris comme inculpé »).

quaesitissimis poenis

On observera du point de vue de la technique littéraire le procédé dit de la « chose jugée » : Tacite quafifie les châtiments qu'il ne décrira que plus tard.

per flagitia... per procuratorem

L'opposition ab aliquo : per aliquem, en liaison avec une construction passive permet d'actualiser la distinction (« à l'initiative de » : « par l'intermédiaire de » : Cicéron, Dom., 32 : ab improbis expulsus, per bonos restitutus (« chassé par les gens malhonnêtes, rétabli grâce aux gens honnêtes ») et Rosc. 80 : uolgo occidebantur : per quos et a quibus  ? (« on tuait en masse : qui tuait et qui faisait tuer ? »). L'extension des paradigmes n'est toutefois pas identique : ab aliquo est lié à la construction passive d'une part, à l'animé d'autre part. Per + accusatif apparaît en dehors de la construction passive et, dès l'époque classique, entre en concurrence avec la tournure à l'ablatif du nom inanimé : César, B.G., VII, 78 aetate inutiles et II,16 per aetatem inutiles (« rendus inutiles à cause de leur âge »). Tacite exploite maintes fois cette concurrence en vue de la variatio : A. I, 11 : incertum metu an per inuidiam (« on ne sait si c'est par crainte ou par haine »). Cfr encore H. I, 46 ; I, 8 ; A. II, 5.

Tiberio imperitante

Tacite affectionne les formations fréquentatives. Il crée aduectare (A. VI, 13), auctitare (A. VI, 16), redemptare (H. III, 34) (L. Constans, op. cit., p. 6). On sait que la valeur intensive se dégrade dès Plaute : Pseud. 975 me quaeritat et 978 quem tu quaeris. Le latin classique use des intensifs avec plus de réticence : Tite-Live, VII, 10 traduit par exsere le terme exsertare qu'il lit dans son modèle, Claudius Quadrigarius (Aulu-Gelle, N.A., IX, 13). Tacite, comme Salluste, tourne le dos à l'usage classique et on verra dans son attitude un recours au langage parlé dans la mesure où celui-ci tend à remplacer les formes brèves par des formes plus longues (cfr auris : auricula).

Igitur

Pratiquement inusitée chez César (un seul exemple : B.C., I, 85), régulièrement en seconde place chez Cicéron, la conjonction igitur se trouve normalement en tête d'énoncé chez Tacite et chez Salluste. On notera soigneusement que Tacite utilise igitur lorsqu'il s'agit de reprendre un récit interrompu. Parmi les très nombreux exemples cités par le Lexicon Taciteum (pp. 550-551), retenons A. XIV, 3 où il s'agit de reprendre le cours du récit interrompu par les explications du chapitre 2, ou encore XIV, 40 où l'auteur écrit Ei propinquus Valerius Fabianus capessendis honoribus destinatus subdidit testamentum adscitis Vinicio Rufino et Terentio equitibus Romanis. (« Un de ses parents, Valérius Fabianus, destiné aux honneurs, lui supposa un testament avec la complicité de Vinicius Rufinus et de Térentius Lentinus, chevaliers romains. »). Tacite identifie alors ces personnages : Illi Antonium Primum et Asinium Marcellum sociauerant. Antonius audacia promptus, Marcellus Asinio Pollione proauo clarus neque morum spernendus habebatur, nisi quod paupertatem praecipuum malorum credebat (« Ceux-ci s'étaient associé Antonius Primus et Asinius Marcellus. Antonius était plein d'audace, et Marcellus, qui devait son éclat à son bisaïeul Asinius Pollion, avait une réputation convenable, si ce n'est qu'il voyait dans la pauvreté le pire des malheurs. »). En reprenant son récit, Tacite écrit : Igitur Fabianus...

Il nous paraît clair que dans notre passage, igitur correpti... reprend, comme le suggèrent la plupart des commentateurs, le récit interrompu après la parenthèse explicative du terme « Christiani ».

Correpti qui fatebantur

C'est la crux du passage (E. Koestermann, Tacitus, Annalen, IV, p. 256).

Corripere est fréquent chez Tacite. L'équivalent français le plus obvie paraît être « saisir ». Ainsi A. XV, 66 : (miles) corripitur uinciturque (« le soldat est saisi et garrotté »). Corripere se dit de la maladie qui « saisit » les personnes (A. XIII, 66 ; XVI, 5) ou du feu qui « saisit » les choses (A. XIII, 57 ; XV, 38). Souvent employé en contexte judiciaire (A. III, 28 ; III, 49 ; IV, 19 ; IV, 66 ; XII, 42), il apparaît notamment quand il s'agit de décrire l'action des délateurs :

H. II, 84 : passim delationes et locupletissimus quisque in praedam correpti (« partout des délations, et les plus riches saisis comme une proie »).

A. III, 49 : Clutorium Priscum... corripuit delator (« Clutorius Priscus fut pris à partie par un délateur »).

A. VI, 46 : a delatoribus corripitur ob seruum adulterum, nec dubitabatur de flagitio : ergo omissa defensione finem uitae sibi posuit (« elle devint la proie des délateurs à cause de son adultère avec un esclave. Le scandale ne faisant pas de doute, elle renonça à se défendre et mit elle-même fin à ses jours »).

On notera une fois encore l'emploi de la construction passive avec omission de l'agent (cfr iussum incendium).

Qui fatebantur

On s'est souvent demandé ce que ces gens « avouaient » : le crime d'incendie ou leur appartenance à la secte chrétienne. L'indicatif imparfait surprend et le philologue se demande si les choses n'auraient pas été plus simples si Tacite avait écrit Correpti qui faterentur.

Il s'agit d'abord de préciser ce que fateri signifie chez Tacite. Cicéron distinguait confiteri, fateri et profiteri :

Caec. 24 Quid confitetur atque ita libenter confitetur ut non solum fateri sed etiam profiteri uideatur ? (« qu'avoue-t-il, et même qu'avoue-t-il si volontiers qu'il paraît non seulement le reconnaître, mais le proclamer hautement ? »)

On hésite à invoquer sans réticence ce texte de l'orateur classique, d'autant plus que Tacite aime à employer le verbe simple en lieu et place du composé : ponere pour componere (A. I, 7), propinquare pour appropinquare (H. II, 24), temnere pour contemnere (H. III, 47) (L. Constants, op. cit., p. 28 ; A. A. Dräger, Über Syntax und Stil des Tacitus, Leipzig, Teubner, 1868, p. 8).

Tacite emploie souvent fateri (Dial. 10, 17, 21 ; H. II, 76 ; IV, 31 ; IV, 41 ; V, 4 ; V, 25 ; A. I, 13 ; I, 44 ; II, 13 ; III, 54 ; IV, 71 ; VI, 8 ; VI, 26 ; XI, 2 ; XI, 31 ; XV, 10 ; XV, 44 ; XV, 56). Dans certains contextes, le sens de « reconnaître, avouer » peut convenir aisément : H. IV, 41 : Africanus neque fateri audebat neque abnuere poterat (« Africanus n'osait pas avouer et ne pouvait nier »). Cfr A. XV, 56 ; XV, 10. Dans pas mal d'autres, le sens est très proche de declarare. Ainsi

H. IV, 31 : fortunam partium praesens fatebatur (« il attestait par sa présence la fortune de son parti »).

H. V, 4 : longam olim famem crebris adhuc ieiuniis fatebantur (« ils témoignent de la longue famine de jadis par les jeûnes fréquents qu'ils observent encore aujourd'hui »).

H. V, 25 : Ventum ad extrema ni... noxii capitis poena paenitentiam faterentur (« on en était venu aux extrémités si on n'attestait pas en punissant une tête coupable la sincérité de son repentir »).

A. 11, 13 : cum... reddendam(que) gratiam in acie faterentur (« ils déclarent qu'il faut lui témoigner leur reconnaissance sur la ligne de bataille »).

Ainsi encore A. I, 13 ; IV, 71.

Le verbe fateri chez Tacite exprime donc l'action de « déclarer » et là où le contexte s'y prête, « reconnaître, faire l'aveu de », mais on voit assez que ce dernier trait n'est pas impliqué dans les constantes sémantiques du verbe. Il nous paraît donc prudent d'opter d'abord pour la valeur la plus neutre : « déclarer ».

Ceci dit, nous devons nous demander ce que les gens en question « déclaraient ». Je vois mal pour ma part que l'action répressive ait pu ne pas avoir trait au crime d'incendie, puisque c'est bien pour se laver de tout soupçon à cet égard que Néron - abolendo rumori - cherche et trouve des hommes à désigner à sa place à la vindicte publique. L'empereur, nous dit Tacite, a choisi les Chrétiens qu'il savait vulnérables à cause de la réprobation sociale dont ils étaient l'objet. Il lui fallait des Chrétiens pour avoir des coupables, en l'occurrence des incendiaires. Il lui fallait au mieux s'en prendre d'abord (primum) non pas à des gens qui viendraient déclarer (Tacite aurait alors écrit qui faterentur) qu'ils étaient Chrétiens, mais des gens qui se déclarant Chrétiens (fatebantur), étant connus comme tels dans la vie courante, seraient d'autant plus facilement chargés du crime d'incendie qu'ils passaient pour capables, voire coupables, de toutes sortes d'infamies. L'affaire s'amplifiant, le nombre des arrestations augmentant, on ne pouvait délaisser le motif officiel de la poursuite (haud proinde) mais on en vint à des reproches plus vagues, mais tout aussi efficaces, la haine du genre humain. Mais à ce moment, l'essentiel pour Néron était acquis : il était, ou presque, hors cause.

J'ai donné mon avis, j'ai donné mon choix personnel. Mais comme traducteur, je dois transcrire pour mon lecteur non pas ce que j'infère du texte de Tacite, mais ce que communique l'écrivain latin. Tacite n'a pas été explicite, le constituant /id/, l'objet de fatebantur, est omis. Si je traduis par « avouer », j'engage trop mon lecteur. Si j'opte pour « déclarer leur foi », je choisis à la place de mon lecteur. Je propose « se manifester » qui a l'avantage non pas de voiler mon incertitude, mais d'accorder à mon lecteur - maladroitement peut-être, mais honnêtement, je crois - ce plaisir subtil que Tacite réservait si volontiers à ses auditeurs quand par la breuitas qu'il aimait pratiquer dans son discours, il laissait à leur imagination la charge, mais aussi l'agrément de préciser le flou de sa narration.

pereuntibus

On parle tantôt d'ablatif absolu sans sujet (A. A. Dräger, op. cit., p. 71) soit que le terme nominal soit connu par le contexte antécédant (H. IV, 25 ; A. I, 5, etc) soit qu'il soit indéterminé (Agr. 18 ; H. I, 27, etc.). On pense aussi à un datif apparenté au dativus judicantis (type in universum aestimanti, Germ. 6). L'indifférenciation formelle des deux cas oblige à hésiter ici comme en A. XIII, 15 promittentibus tam praecipitem necem quam si ferro urgeretur, cubiculum Caesaris iuxta decoquitur uirus (« ils promettaient que la mort serait aussi rapide que s'il était frappé par le fer ; le poison est préparé près de l'appartement de l'empereur »). Le sens de l'ensemble ne pouvant être mis en péril, on optera plus facilement pour le datif si la valence syntaxique du verbe-base de l'énoncé comporte un élément à marquer par le datif.

interirent

Une nouvelle fois (cfr decedebat), le verbe intransitif avec l'ablatif du terme inanimé en fonction d'agent. Correspondant « actif » : interficere.

Nero obtulerat

L'emploi des temps doit toujours être étudié soigneusement, surtout chez Tacite. Le passage de l'imparfait au parfait traduit bien sûr le passage de la description à la narration : decedebat - subdidit - correpti - addita. Chez Tacite, on accordera une attention particulière à l'emploi du plus-que-parfait qui permet à l'écrivain tant de retours en arrière. Jeux de contrastes très fréquents chez Tacite : la narration, chez lui, ne suit guère le court rectiligne du temps.

habitu aurigae permixtus plebi uel curriculo insistens

Tacite aime les « rallonges participiales ». J.-P. Chausserie-Laprée, L'expression narrative chez les historiens latins, Paris, De Boccard, 1969, p. 135 évoque avec raison les « 4 rallonges descriptives » qui ont comme objet de distinguer une attitude, une démarche, un mouvement d'un personnage. Le procédé, sans exemple apparemment chez les premiers historiens, est connu de Tite-Live et très prisé par Tacite.

quamquam sontes

L'effipse du verbe est très fréquente chez Tacite. Non seulement esse, mais d'autres verbes peuvent être omis, notamment les verbes de mouvement : A. IV, 57 : Caesar in Campaniam (profectus). Dans la présente phrase, il n'est pas nécessaire de recourir à cette explication. Quamquam et quamuis sont souvent construits avec un adjectif, un participe (Constans, op. cit., p. 108). Ainsi A. I, 43 ut Belgarum quamquam offerentium, decus istud et claritudo sit (« que les Belges qui s'offrent pourtant, obtiennent la gloire et l'éclat de... »).


FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 2 - juillet-décembre 2001

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