FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 1 - janvier-juin 2001


Aux sources préchrétiennes de l'Occident :
Aspects de la réincarnation dans la pensée grecque

par

Daniel Donnet 
Professeur à l'Université de Louvain

[Article repris, avec l'aimable autorisation de l'éditeur, de La mort et l'au-delà, éd. P. Servais, Louvain-la-Neuve, 1999, p. 285-317 (Rencontre Orient-Occident, n° 1)]

Plan


Introduction

La doctrine de la réincarnation revêt, dans des courants fondamentaux de la spiritualité grecque, une importance qui n'a pas toujours été reconnue à sa juste mesure. Par ailleurs, on a parfois montré une hâte téméraire à suggérer que l'irruption de cette doctrine découlerait d'une influence de la pensée indienne [1]  ; or, s'il n'est pas déraisonnable de formuler pareille hypothèse pour certains penseurs de la période romaine - nous y reviendrons [2] -, on doit, par contre, reconnaître qu'elle est sans fondement pour les époques plus anciennes, telles que celles d'un Pythagore, d'un Empédocle, d'un Platon.

Il me plaisait d'ouvrir mon exposé par ces considérations de caractère périphérique, car elles sont révélatrices d'a priori liés, de manière inconsciente, au conditionnement culturel occidental : il était difficile, jusque dans un passé récent, d'admettre que cette conception de la survie fût aussi spontanée, aussi naturelle, aussi « normale » que d'autres points de vue ; et la domination du christianisme avait fait partiellement perdre de vue l'appartenance de cette conception à notre patrimoine antique.

Mais venons-en à celui-ci. Je me propose d'envisager la succession, au fil du temps, des courants « réincarnationnistes », de la période présocratique aux néopythagoriciens et néoplatoniciens de l'époque romaine, ce qui nous conduit, grosso modo, du VIe s. avant notre ère au Ve de notre ère [3] ; ce survol, de caractère historique, aura pour appendice une furtive percée dans les temps modernes pour illustrer la persistance de la croyance platonicienne ou pythagoricienne dans l'Occident chrétien, en marge et malgré l'orthodoxie qui la condamne et la combat, parfois même par le bûcher. Dans les conclusions, on essaiera, pour les matières qui s'y prêtent, de mettre en évidence ce que la pensée grecque aurait de spécifique dans l'éventail des courants prônant la réincarnation.

Deux noms émergent parmi les philosophes présocratiques, celui de Pythagore (Vle s.), ou plutôt du pythagorisme car il est extrêmement difficile de démêler les apports de la confrérie et la pensée du fondateur, et celui d'Empédocle (Ve s.). Et l'on n'oubliera pas, dès la période archaïque, l'influence de l'orphisme. Comme on le sait, ces penseurs et courants de pensée ne sont connus que par le biais de fragments. Mais il est d'autant plus rassurant pour notre propos que, nonobstant ce caractère limité de nos moyens d'investigation, la croyance en la réincarnation s'affirme sans le moindre doute.

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I. L'orphisme

Dans les textes orphiques [4], on peut lire que l'âme des humains transmigre selon les « cycles du temps », épousant même des corps d'animaux [5] et que la vie permet d'expier le poids des fautes antérieures [6] ; par ailleurs, la religion orphique instruit ses adeptes des formules qu'ils devront prononcer, à leur arrivée dans l'au-delà, après l'accomplissement de l'expiation ; il s'agit notamment de dire: je me suis envolé du cycle pénible dont pesante est l'épreuve [7]. Et malgré les défaillances de la documentation, on perçoit, en filigrane, les linéaments d'une doctrine réincarnation-punition, correspondant à une condition humaine qui est une prison [8], dont l'âme doit s'évader. S'évader pour rejoindre les demeures des bienheureux et même accéder à la condition divine [9].

Ces lambeaux de doctrine sont, sur certains points, confirmés, sur d'autres complétés, sur d'autres encore nuancés, par le témoignage du poète Pindare, que l'on sait en prise avec le courant orphique. Pour lui aussi, les délivrés reçoivent accueil parmi les dieux ; tel est le sens de Olymp., II, vv. 67 (109) et ss. :

Jouissant d'un soleil qui fait leurs nuits toujours égales, toujours égaux leurs jours, les bons reçoivent en partage une vie moins pénible ; ils n'ont pas besoin d'employer la force de leurs bras à tourmenter la terre ni l'onde marine dans l'espoir de quelques faibles ressources. Auprès des favoris des dieux, de ceux qui aimèrent la bonne foi, ils mènent une existence sans larmes ;

à condition toutefois d'avoir mené une vie absolument pure de tout mal durant un triple séjour dans l'un et l'autre monde [10] : mystique de la comptabilité dont ne manqueront pas d'user, par la suite, plusieurs penseurs grecs [11].

Mystique du nombre, mais d'un autre nombre, que l'on retrouve dans un fragment du même poète ; il s'agit cette fois d'ouvrir, après expiation, des perspectives de prospérité, mais à la faveur des réincarnations (perspectives qui, elles aussi, seront à l'honneur chez des penseurs postérieurs) [12] :

À la neuvième année, Perséphone renverra vers le soleil d'en haut les âmes de ceux qui auront acquitté la rançon payée par l'épreuve antérieure [13] ; au départ de ces âmes se développent de nobles rois, des hommes impressionnants de puissance ou l'emportant par leur science : ils sont à jamais qualifiés de héros immaculés [14].

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II. Le pythagorisme

Les fragments orphiques témoignent, à leur manière, du climat de religiosité qui présidait à la croyance en la réincarnation. Les documents relatifs au pythagorisme confirment ce dont nous venons de faire état à propos de l'orphisme ; mais ils ouvrent de surcroît l'accès aux premières justifications philosophiques. Voyons donc comment nous pourrions, à leur lecture, crayonner la doctrine.

On notera tout d'abord qu'elle a pour toile de fond une réflexion globale sur l'univers, où l'on voit prévaloir un perpétuel retour cyclique [15] : la réincarnation s'inscrit dans l'alternance du mouvement de vie et du mouvement de mort, la mort n'étant que la phase obscure, cachée, de la révolution qui prépare le retour à la vie : tout se maintient donc et se répète dans une succession apparition-disparition, comme c'est le cas pour les jours et les nuits, pour le rythme des saisons, pour la révolution des astres. On enregistre même, sur ce point, un témoignage aussi précis que pittoresque d'Eudème [16], déclarant que si l'on en croit les Pythagoriciens, il se retrouvera selon les mouvements du temps, au même endroit, en train de parler aux mêmes élèves, et dans la même situation [17].

Du point de vue « anthropologique », l'accent est mis sur la connaturalité, le caractère congénère des âmes : il faut tenir pour congénères tous les êtres animés [18], ce qui implique le passage de l'âme dans tout être vivant [19], y compris les dieux et les animaux, position justifiée par la présence d'un souffle unique traversant le cosmos et solidarisant l'homme avec le reste de l'univers :

Ils affirment qu'il y a connaturalité non seulement entre nous et avec les dieux, mais même avec les animaux. Car c'est un souffle unique qui traverse tout le cosmos, à l'instar d'une âme, et qui nous unit à eux,

déclare Sextus Empiricus à propos des Pythagoriciens, mais aussi d'Empédocle et des autres philosophes italiques [20]. Cette conception a donné prise à d'amusantes anecdotes [21]. Lien avec la cosmologie et avec l'éthique, connaturalité des âmes : voilà posés les piliers de la croyance, dès qu'elle se manifeste ; et les philosophes qui viendront par après se prendront d'intérêt pour l'approfondissement de ces questions. Mais avant de reprendre notre descente au fil des siècles, nous devons évoquer un thème pythagoricien qui n'a cessé d'intriguer : Pythagore prétendait se souvenir de ses incarnations antérieures, et pouvoir les identifier avec la plus grande précision.

Voici ce qu'en dit Héraclide le Pontique (3e s. av. J.-C.), cité par Diogène Laërce (3e s. ap. J.-C.) [22] :

(Héraclide du Pont) affirme qu'il disait de lui-même être né jadis en tant qu'Aethalide et avoir été tenu pour fils d'Hermès ; qu'Hermès lui avait dit de choisir ce qu'il voulait, sauf l'immortalité ; qu'il avait demandé de conserver, vivant comme mort, le souvenir de ce qui se passait. Dans sa vie donc, il se souvenait de tout, et lorsqu'il fut mort, il garda la même mémoire. Plus tard, il devint Euphorbe et fut blessé par Ménélas. Et Euphorbe disait qu'il avait jadis été Aethalide et qu'il avait reçu d'Hermès « le don » et il racontait le circuit effectué par son âme, dans quels végétaux et dans quels éléments vivants elle avait été, ce qu'elle avait subi en Hadès et ce que les autres âmes endurent. Lorsqu'Euphorbe mourut, son âme passa en Hermotime, qui, à titre de gage, retourna chez les Branchides, entra dans le temple d'Apollon et désigna le bouclier que Ménélas y avait déposé en ex-voto (au retour de Troie, Ménélas l'avait, disait-il, consacré à Apollon) : si ce bouclier était déjà putréfié, la marque d'identification en ivoire s'était, quant à elle, conservée. Après la mort d'Hermotime, il devint Pyrrhus, un pécheur délien. Et à nouveau, il se souvenait de tout (...) et quand Pyrrhus fut mort, il devint Pythagore, nanti du souvenir de tout ce qui a été dit.

Ce témoignage, qui n'est pas isolé [23], a causé quelque perplexité, d'autant qu'il ne s'agirait pas d'un apport tardif [24]. Nous pensons qu'il convient de l'aborder de la manière suivante : distinguer l'expérience qui pourrait être à l'origine de l'anecdote, et la forme amplifiée que celle-ci aurait prise par la suite. Pour ce qui est de l'origine, il faut rappeler que la confrérie pythagoricienne pratiquait le culte de la mémoire et s'imposait les exercices y afférents [25], et que Pythagore était connu, de la plus haute antiquité, pour sa puissance de concentration [26] ; quant à la technique mise en oeuvre par les Pythagoriciens, et dont nous pouvons prendre idée par une description recueillie par Porphyre [27], elle présente d'étroites analogies avec les méthodes pratiquées actuellement en sophrologie ou en hypnose [28] : résistance aux « pensées parasites » qui nous assiègent malgré nous, ce que notre texte appelle « purification du mental » [29], accès progressif au « déclic » sophrologique qui nous plonge dans un état de plus en plus profond de concentration [30], d'où résulte une sensation d'apaisement et de bien-être [31]. Ces méthodes et pratiques ne sont en rien dépendantes d'un degré avancé de civilisation technique ; du reste, les Yogi les connaissaient de temps immémoriaux.

Or qu'arrive-t-il lorsqu'on atteint, par la concentration, un niveau intense d'apaisement mental ? Il arrive qu'affleurent dans le champ de la conscience des éléments, des souvenirs qui auparavant étaient enfouis, cadenassés, dans le subconscient. Et il se peut parfois que certains de ces souvenirs ne puissent être logiquement reliés à la vie actuelle [32] : si cela n'implique pas de soi un renvoi à une vie antérieure, car d'autres explications sont possibles [33], il reste que pour des personnes qui baignent dans la foi en la réincarnation, c'est là une explication qu'elles vont spontanément privilégier: au demeurant, cette interprétation a encore cours à l'heure actuelle dans les régressions dans le temps en hypnose [34]. Nous proposons donc, à titre d'hypothèse plausible, qu'on trouve à la base du « miracle » mnémonique attribué à Pythagore le vécu d'une profonde intériorisation.

Vient ensuite la vulgarisation de cette expérience : le récit franchit l'enceinte du temple, et se gonfle de premières enflures ; de « Pythagore a des souvenirs remontant à des vies antérieures », on passe à « Pythagore se souvient de ses vies antérieures » ; puis viennent les inévitables « amplifications épiques » : des précisions sont apportées qui, comme par hasard, renvoient pour une bonne part au patrimoine culturel de la Grèce, trahissant notamment par là leur caractère de fiction : c'est là un problème de genre littéraire, de Formgeschichte, qui est loin d'être un cas unique dans la formation des légendes et des récits miraculeux : combien d'entre eux ne naissent-ils pas d'un fait réel, qui est à ce point recouvert d'alluvions successives, qu'il en devient méconnaissable ?

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III. Empédocle

Empédocle est le deuxième nom qui s'impose parmi les présocratiques. Si l'on n'a conservé de lui que quelques centaines de vers, nombre inférieur au dixième de son oeuvre [35], plusieurs d'entre eux témoignent sans conteste que, chez ce philosophe-poète, doublé d'un prophète auteur de miracles, la réincarnation est dans l'axe même du message. Par exemple, cet aveu autobiographique [36] résumant son curriculum... « vitarum » :

(car) j'ai été jadis un garçon et une fille, un buisson et un oiseau et un poisson écailleux de la mer ;

ces considérations esquissant une hiérarchie dans la migration des êtres [37] :

parmi les bêtes, ils deviennent des lions ayant leur couche sur le sol des montagnes ; parmi les arbres, ils deviennent des lauriers au beau feuillage ;

cette condamnation des sacrifices d'animaux [38] :

N'arrêterez-vous jamais le terrible carnage ? Ne voyez-vous pas que vous vous égorgez les uns les autres dans l'incurie de votre esprit ?

Le père, soulevant son fils qui a changé de forme, l'égorge en prononçant une prière : grand ahuri !

L'affirmation de cette croyance étant posée, nous pourrions en résumer dans les termes suivants le profil philosophique : la réincarnation va de pair avec l'ontologie professée par Empédocle, et elle est étroitement solidaire de l'éthique ; de surcroît, ce penseur affecte les principes mêmes de son ontologie d'une connotation éthique : Empédocle les désigne comme étant le neikos, la discorde, la haine, et la philotês, l'amour [39]. Sous la pression de la haine, les éléments se disloquent, sous l'action de l'amour, ils se rejoignent : de là, un incessant mouvement de formations et de destructions ; et ce que les hommes entendent par naissance et par mort correspond à des termes balisant ce mouvement [40].

Quand des éléments mélangés viennent au jour sous la forme d'un homme ou dans l'espèce des bêtes sauvages, ou des buissons ou des oiseaux, alors on dit qu'il y a naissance. Et quand les éléments se séparent [41], on parle de destin douloureux. Mais ces appellations ne se justifient pas...

Je vais t'en dire une autre : il n'y a pas de naissance pour rien qui soit mortel, et il n'y a pas de fin attachée à la mort funeste.

Ces mots de naissance et de mort n'ont point de sens dans l'absolu, pas plus que n'est fondée, aux yeux d'Empédocle, l'opposition irréductible de l'être et du devenir, de la permanence et du changement, de l'unicité et de la pluralité, car si [42]

dans la mesure où l'Un a appris à se former à partir du Multiple, et où, en sens inverse, la dispersion de l'Un provoque le Multiple, dans cette mesure-là, il y a devenir et il n'y a pas pour les êtres de durée éternelle,

par contre :

dans la mesure où ces changements sont incessants, ils subsistent toujours, immuables au cours du cycle.

La conciliation de ces principes, à première vue antinomiques, renvoie dos à dos Parménide et Héraclite. Dans le fragment suivant, le lien se marque, de façon plus explicite encore, avec la réflexion sur l'alternance de la vie et de la mort [43]

ce que je vais dire est double (= la réalité que je vais décrire s'articule en deux mouvements) : tantôt l'un se développe au départ de plusieurs éléments pour être seul, tantôt, au contraire, il se disperse pour être en pluralité au départ de l'unicité. À double face est la naissance des mortels, à double face, leur mort : la naissance, c'est le rassemblement de tous les éléments qui la provoque et en même temps la voue à la perte ; la mort, à son tour, nourrie de la dislocation, va à la dispersion.

On perçoit que le mouvement répétitif « incarnation - disparition - réincarnation » s'inscrit dans le grain même de la « physique » d'Empédocle. C'est dans la plus étroite cohérence qu'il inclut cette perspective de survie dans ses recherches sur les modalités de l'être et sur ses manifestations. Mais nous avons annoncé aussi un lien étroit avec l'éthique.

Laissons tout d'abord parler sur ce point les vers suivants [44] :

C'est un oracle [45] de l'Anankè, un antique décret des dieux, éternel, scellé par de larges serments : celui qui, dans son égarement, souille ses membres d'un meurtre, et celui qui, dans un esprit de discorde, commet le péché de parjure - daimones qui ont pour lot une longue vie [46] - ceux-là devront errer pendant trois fois dix mille saisons, loin des bienheureux. Ils naîtront avec le temps dans toutes les espèces de vies mortelles ; ils passeront d'un chemin pénible de la vie à un autre. Car la force de l'éther les rejette vers la mer, la mer les crache vers la surface de la terre, la terre les envoie vers les rayons du soleil brillant, et ce dernier les lance dans les tourbillons de l'éther. Ils les reçoivent tous à tour de rôle et les tiennent en horreur. Je suis, moi, un de ceux-là, exilé et errant loin des dieux, pour avoir obéi à la furieuse discorde.

Il y a beaucoup à détecter à fleur de texte et dans son filigrane : peut-être y trouve-t-on l'écho de la conception imagée qu'avaient de l'âme les Orphiques, à en croire Aristote [47] : une entité circulant dans l'univers extérieur et pénétrant les êtres vivants par la respiration, les vents lui servant de véhicule. On y trouve assurément la mystique de la comptabilité : 3, d'une part, 10.000, d'autre part, nombre qui vraisemblablement rend le sentiment d'une immense durée. Mais l'essentiel en est, pour notre propos, l'illustration, sous des couleurs vivaces, de la « réincarnation - punition » : c'est là une des faces de la relation entre la réincarnation et l'éthique, l'autre face, positive celle-là, se faisant jour dans d'autres passages qui font état, pour les vertueux, d'une progression dans l'échelle des naissances, puis de l'accès au monde des dieux [48] :

À la fin, ils deviennent devins, musiciens, médecins et chefs des hommes qui vivent sur terre ; ensuite, ils s'épanouissent en tant que dieux comblés d'honneurs.

Ils partagent les foyers et la table des autres immortels, coupés de l'écho des hommes.

On aura reconnu dans les textes d'Empédocle l'écho des thèmes orphiques et pythagoriciens : caractère congénère des âmes, retour périodique des éléments, solidarité avec l'éthique tant par le biais des châtiments que par les perspectives de félicité dans le monde divin ou déjà sur terre. Mais on lui reconnaîtra aussi le mérite d'une formulation originale de considérations philosophiques donnant cadre et fondement à la réincarnation.

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IV. Platon

Venons-en maintenant à Platon qui, lui aussi, hérite largement de l'orphisme et du pythagorisme : il en partage les principaux thèmes, l'âme devant, pour lui aussi, se libérer [49] d'une incarnation-punition qui, au départ résulte d'une chute [50]. Sur la question du retour cyclique, il pousse la logique jusqu'à postuler l'identité numérique du monde des vivants et du monde en attente : en effet, puisqu'il n'y a pas de véritable renouvellement, qu'une vie naît dans la mesure où une autre est entrée dans la mort, il faut en quelque sorte assurer « l'équilibre des stocks » [51].

Les vivants ne viennent pas moins des morts que les morts des vivants (...) ; s'il n'y avait pas une éternelle compensation réciproque des générations (...), la génération s'arrêterait.

Contrairement aux trois penseurs ou courants de pensée qui nous ont ouvert la voie, on a, pour interroger Platon, pleine abondance de matière. Ceci nous permet d'emblée de mesurer l'importance de la place occupée dans son oeuvre par le thème de la réincarnation : il est abordé dans le Phédon, le Ménon, le Phèdre, la République, le Timée, les Lois ; et d'autres oeuvres contiennent des considérations sur l'âme qui recoupent notre thème, entre autres, le Gorgias et le Cratyle. Il n'est cependant pas facile de reconstituer la pensée platonicienne : le recours au dialogue laisse parfois le lecteur indécis sur des positions philosophiques dont l'écrivain fait miroiter les multiples facettes, et l'utilisation du mythe suppose généralement un subtil décodage. De plus, comme pour tout écrivain qui aime, dans ses raisonnements, insérer des « histoires » ou « anecdotes », il faut veiller à prendre en compte les différents niveaux de texte. Ceci étant dit, nous actons que Platon tente pour la réincarnation l'un ou l'autre essai de preuve. Ainsi, dans le Phédon (70c-72a, passim), il lui donne pour assises, sur le plan de la logique, la dialectique des contraires [52] :

Les âmes, arrivées d'ici, sont, là-bas... elles reviennent ensuite en ce monde et naissent à partir des morts...

Eh bien, reprit Socrate, si tu veux comprendre la chose plus facilement, ne l'examine pas seulement à propos des hommes mais aussi à propos de tous les animaux et de toutes les plantes. En un mot, voyons, en étudiant tout ce qui a naissance, si tous ces êtres naissent bien de cette façon, c'est-à-dire si les contraires naissent uniquement à partir de leurs contraires. Et cela pour toutes les choses qui ont un contraire ; ainsi le beau, par exemple, est, je pense, le contraire du laid, le juste l'est de l'injuste, et de même pour des milliers d'exemples. Voici donc la question à examiner:

est-ce que nécessairement, tout ce qui a un contraire ne provient d'absolument rien d'autre que de ce qui lui est contraire ?...

Comment en serait-il autrement ?

Dès lors, reprit Socrate, nous tenons ce principe qui doit nous satisfaire : c'est bien ainsi que toutes choses naissent, les contraires à partir de leurs contraires.

Absolument...

Nous sommes donc d'accord sur ce point également : les vivants naissent des morts aussi bien que les morts viennent des vivants. Mais s'il en est ainsi, il y a sans doute, et c'est bien ce qui nous est apparu plus haut, un indice suffisant pour admettre que les âmes des défunts existent quelque part et que c'est de là qu'elles renaissent...

Dans le Ménon (81b-d), d'autre part, Platon postule la préexistence de l'âme dans des vies antérieures pour expliquer sa capacité de connaissance :

Comme l'âme est immortelle et est venue plusieurs fois à la naissance, et a vu toute chose tant ici-bas qu'en Hadès, il est exclu qu'elle n'ait rien appris. Il n'est donc pas étonnant qu'à propos de la vertu et d'autres réalités, elle puisse se souvenir de ce qu'elle savait précédemment.

Malheureusement pour la logique, on lit dans le Phédon (72e) :

Le fait d'apprendre n'est rien d'autre qu'une réminiscence. Selon cet argument aussi, c'est une nécessité qu'à une époque antérieure, nous avons appris ce dont maintenant nous nous souvenons.

Les incarnations précédentes pour expliquer la connaissance ; l'explication de la connaissance par la réminiscence renvoyant aux vies antérieures : ne frise-t-on pas le cercle vicieux ? Même si l'adhésion de Platon à la réincarnation ne laisse planer aucun doute, sa pensée n'est pas à l'abri des contradictions. On en relève également dans les considérations nouant entre elles l'éthique et la réincarnation, et notamment en réponse à la question : la réincarnation est-elle une punition, une sanction d'une vie précédente ? Voyons de plus près les réponses données par Platon à cette importante question [54].

Dans le Mythe d'Er, au Xe livre de la République (614b-621d), la prise en charge d'une vie nouvelle résulte d'un choix libre et conscient : la punition de la vie antérieure est un problème qui est réglé bien avant, par mille ans de « purgatoire » ; de plus, les grands coupables restent engloutis dans cette phase de la punition et sont écartés du circuit des réincarnations : c'est le cas du tyran sanguinaire et sacrilège de Pamphylie, Ardiée (615c-616a). Cette idée se retrouve aussi dans le Phédon (113e) :

d'autres sont jugés irrécupérables en raison de l'énormité de leurs fautes ; soit qu'ils aient multiplié les vols sacrilèges et graves, ou les meurtres contraires à toute justice et à toute légalité, ainsi que tous les forfaits du même genre ; ceux-là reçoivent le lot qui leur convient et sont précipités dans le Tartare, d'où ils ne sortent jamais.

Mais dans les oeuvres qui précèdent, et dans les Lois, qui sont postérieures à la République, il est question d'un lien précis entre la réincarnation et les actions commises dans les vies antérieures : on lit, par exemple, dans le Phèdre, dans un contexte où il est question de réincarnation, qu'à une juste vie correspond un sort meilleur, à une vie injuste, un sort pire (248e) ; on trouve une idée analogue dans le Phédon (entre autres, 81). Et dans les Lois, nous relevons deux passages, dont le sens n'est cependant pas identique : pour le premier (870d), la réincarnation continue la punition endurée chez Hadès, mais n'en tient pas lieu :

(à propos des raisons qui poussent au meurtre volontaire) : qu'on y ajoute la doctrine dont sont profondément convaincues les nombreuses personnes qui la reçoivent des spécialistes attachés à ces réalités dans les mystères : l'expiation de tels crimes a lieu chez Hadès, puis au retour sur terre, il est nécessaire de subir la peine inscrite dans l'ordre naturel, c'est-à-dire la peine de celui qui subit ce qu'il a lui-même infligé.

D'après le second (872d-e), il y aurait, semble-t-il, un lien direct et immédiat de cause à effet entre les actions commises et la qualité d'une vie nouvelle :

Ce mythe ou ce récit ou quel que soit le nom qui le désigne, a été fixé de façon claire remontant aux prêtres des temps lointains : la justice, vengeresse du sang familial, veille à l'exécution de la loi dont on vient de parler ; elle a ordonné que l'auteur d'une telle action subisse inéluctablement le méfait qu'il a infligé : si quelqu'un a tué son père, il endurera de la part de ses enfants la même violence dans un temps fixé ; s'il a tué sa mère, il renaîtra inéluctablement dans le sexe féminin et, devenu femme, perdra la vie par le fait de ses enfants dans le temps futur ; car il n'y a pas d'autre purification pour la souillure de ce sang commun ; le sang souillé ne peut être lavé tant que l'âme coupable de meurtre n'expie pas en étant semblablement tuée, de façon à endormir dans l'apaisement la colère tribale.

Dans quelle mesure Platon reprend-il à son compte, dans les Lois, ces théories archaïques venues des mystères, dont il ignore, selon ses dires, s'il s'agit de fables ou de récits vraisemblables ? C'est une question sans réponse, qui ne simplifie pas l'approche de sa pensée.

Et pourtant, il est possible, en surmontant ces obstacles, de percevoir que la théorie de la réincarnation occupe, dans la pensée de Platon, une position-clé, au carrefour des grandes tendances de sa philosophie : cette conception de la vie et de la survie nous place, en effet, à l'intersection de la psychologie platonicienne prônant la partition de l'âme, de la théorie de la contemplation, de l'éthique, de la cosmologie impliquant le statut ontologique du monde. L'incorporation de ces diverses composantes et la cohérence avec laquelle elles s'insèrent dans la construction platonicienne : voilà qui trahit bien l'importance de l'accueil réservé à cette doctrine.

Pour notre démonstration, nous partirons du constat suivant : la réincarnation se présente chez Platon selon deux voies, une voie positive, optimiste, et une voie négative, dégradante. Cette dichotomie n'est pas en soi un trait de grande originalité, mais les formulations qui en découlent, la manière de développer les thèmes qui s'y rattachent sont davantage spécifiques. Mais voyons ce qu'il en est de ces deux voies.

Dans la voie positive, la réincarnation s'inscrit dans la dynamique du perfectionnement progressif de l'être humain : c'est pour lui un tremplin nécessaire car c'est en plusieurs « sauts successifs », et non d'un seul « bond », qu'il parviendra à la délivrance vis-à-vis des liens de la matière. Ces sauts successifs, ce sont les choix qui sont faits d'une vie de réflexion philosophique: d'après le Mythe de l'attelage ailé (Phèdre, 248e-249a), le choix successif de trois vies philosophiques ou d'amour philosophique de jeunes garçons permet la déconnexion vis-à-vis du cycle des naissances et le retour à la contemplation [55]. Dans le Phédon également, c'est une faculté offerte au philosophe, sans qu'il ne faille trois choix successifs (111b-c). Et dans la République, le Mythe d'Er apporte également sa contribution à l'exploration de cette voie positive. Mais arrêtons-nous quelque peu à ce mythe, bien connu pour illustrer la croyance grecque à la réincarnation.

C'est le récit d'une personne qui revient d'une douzaine de jours passés outre-tombe, traversant et séjournant dans des endroits dont l'évocation reflète les conceptions astronomiques et cosmologiques de l'époque [56] ; il en est notamment un, où les âmes, après un séjour de 1.000 ans [57] dans le ciel ou dans les enfers selon la qualité de la vie qui a précédé, vont devoir choisir une vie nouvelle (Républ., 619-620). La leçon à tirer de ce mythe est incluse dans le message livré par Socrate (618c-d et 619d) [58] : nous devons dès maintenant nous exercer à la réflexion philosophique pour être à même, quand l'heure viendra, d'opérer un choix éclairé :

il faut vraiment veiller à ce que chacun d'entre nous, négligeant les autres études, recherche et étudie celle-là seule : peut-être sera-t-il capable de reconnaître et de découvrir qui le rendra apte et habile à discerner vie bonne et vie mauvaise pour choisir... la meilleure... ;... de la sorte... il sera capable de choisir entre la vie mauvaise et la vie bonne, appelant mauvaise celle qui conduira l'âme à devenir plus injuste, et bonne celle qui la rendra plus juste.

Et si chaque fois qu'un homme vient à la vie, il pouvait s'astreindre sainement à la philosophie, et si le sort ne lui assignait pas, pour le choix, un des derniers numéros, il aurait ses chances... non seulement d'être heureux ici-bas, mais aussi de faire le voyage de ce monde vers l'autre et de retour vers celui-ci, non par la voie chtonienne et âpre, mais par la voie lisse du ciel [59].

Il y a donc bien un lien dans ce mythe entre l'éthique et la réincarnation, mais c'est un lien d'une nature particulière : c'est un lien différé, en ce sens qu'il ne s'agit pas d'accomplir telle action pour favoriser l'obtention de telle réincarnation, mais qu'il faut s'appliquer à développer la partie noétique de l'âme pour acquérir la maîtrise éclairée du choix d'une nouvelle destinée. Voilà donc pour la voie positive.

Mais il y a l'autre voie, négative, dégradante. Cette voie cependant s'étage en paliers. Tout d'abord la dégradation venant de comportements ignorant la réflexion philosophique sans être pour autant souillés de vices. Ainsi ceux qui se sont adonnés avec excès à la musique au point d'oublier de se sustenter, et d'en périr, alimenteront l'espèce des cigales (Phèdre, 259c-d), le bouffon Thersite se « recyclera » en singe, le chantre Thamyras dans un rossignol (Rép., 620a et c), les êtres doués pour la vie sociale deviendront des animaux de même caractère, tels que les abeilles, les guêpes, les fourmis (Phédon, 82b), mais peuvent aussi renaître en tant que « braves gens » (ibidem). De même, selon un passage du Timée déjà pris avec une distance critique dans l'Antiquité [60], ceux qui observent trop le ciel deviendront des oiseaux, les moins intelligents, des poissons, etc... (90b-92c). Mais si, non contents de laisser en jachère la partie noétique de l'âme, on en développe la partie libidineuse, on voit s'accentuer davantage encore un processus de dégénérescence : c'est ce que vise notamment un passage assez pittoresque du Phédon, où l'on voit, par punition des vices entretenus dans des vies antérieures, des âmes alourdies de « corporéité » errer près des tombeaux (81d) et se réincarner dans des animaux présentant quelque affinité avec les penchants qu'elles ont satisfaits (81e-82a).

Tout cela est certes à prendre cum grano salis, d'autant que Platon lui-même n'y rationne pas le sel et se retranche parfois derrière le caractère légendaire des récits [61] Mais après avoir appliqué à ces textes une grille de lecture décodant les symboles et les métaphores, après les avoir allégés des outrances de la caricature, on restituera, à travers leur langage - et avec l'aide de Porphyre dont le commentaire nous parvient par Stobée (éd. de Wachs, I, p. 447) - le diptyque qui résume le point de vue de Platon : si l'on développe la partie intellective de l'âme, celle-ci s'allège, se libère et retourne à la contemplation originelle ; si, par contre, on se détourne de la réflexion philosophique, et qu'on développe les tendances matérielles, on est entraîné dans une sorte de transformisme qui permet la réactivation du monde sensible. Répétons-le : la thèse de la réincarnation permet donc de réaliser la jonction de secteurs importants de la pensée de Platon : ce n'est nullement chez lui une idée accessoire.

Quittons maintenant la Grèce « classique » pour aborder la période romaine [62].

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V. Les premiers siècles de l'ère chrétienne

Nombreux sont les penseurs qui, dans l'empire romain, prônent la réincarnation ; par exemple : Plutarque, Plotin [63], Porphyre, Jamblique, Salloustios le philosophe, Celse, dont on n'a conservé que la réfutation due à Origène... Il nous intéresse moins d'égrener les textes rendant témoignage de la doctrine [64] que de dégager quelques points qui nous semblent typiques de l'époque.

Tout d'abord, la montée du christianisme aura pour effet de renforcer la spécificité de la spiritualité dite païenne, et notamment les thèses pythagoriciennes et platoniciennes concernant la survie. Il faut bien saisir que, pour beaucoup de penseurs, l'opposition au christianisme est un impérieux devoir de conscience, car l'attitude des chrétiens qui prétendent détenir la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, heurte de front leur idéal de vie, non seulement parce qu'il est fondé sur la coexistence, généralement pacifique, de différentes écoles, de différentes religions, mais surtout parce qu'il privilégie l'alliance de la morale avec la réflexion philosophique, la lumière par le cheminement rationnel et non sur la base d'une foi.

Réaction à la diffusion du christianisme.

Retenons, en tout cas, que la réaction antichrétienne [65] favorise l'affirmation des doctrines antiques, que l'on sent menacées, et met notamment à l'honneur celle des réincarnations.

Mais cette attitude prend parfois un tour inattendu : dans le panorama culturel de la réincarnation, il manque le nom le plus prestigieux, celui d'Homère. Qu'à cela ne tienne : on va lui appliquer une exégèse permettant de lui imputer cette croyance. Ainsi, dans un écrit Vie et Poésie d'Homère, qui jadis fut parfois attribué à Plutarque, et qui semble être plus jeune de deux ou trois générations [66] (on le situe au 3e s.), on peut lire (§ 125) :

la doctrine de Pythagore affirmant le passage des âmes des défunts dans d'autres espèces de corps n'est nullement étrangère à la pensée d'Homère : en effet, celui-ci fait parler Hector, Antiloque, Achille, avec leurs chevaux, et ils en obtiennent réponse ; de même, si le chien d'Ulysse reconnaît son maître, c'est en fonction de la connaturalité de l'âme humaine avec celle des animaux...

On admettra que, s'il fallait imputer la croyance en la réincarnation aux poètes, conteurs et fabulistes qui prêtent aux animaux la parole et l'esprit, la recette de cette croyance serait vite assurée. Mais nous n'en avons pas terminé avec Homère. Un mythe de l'Odyssée est également l'objet d'une « relecture » : au livre X de l'Odyssée (vv. 210 et ss.), certains compagnons d'Ulysse, du genre étourdi, arrivent chez la magicienne Circé [67] ; ils découvrent (vv. 210-213) :

dans un val, en un lieu découvert, la maison de Circé aux murs de pierres lisses et tout autour, changés en lions et en loups des montagnes, les hommes qu'en leur donnant sa drogue, avait ensorcelés la perfide déesse.

Et voilà qu'ils subissent un sort analogue (vv. 234-240) :

(Circé) leur ayant battu dans son vin de Pramnos du fromage, de la farine et du miel vert, elle ajoute au mélange une drogue funeste, pour leur ôter tout souvenir de la patrie. Elle apporte la coupe : ils boivent d'un seul trait. De sa baguette alors, la déesse les frappe et va les enfermer sous les tects de ses porcs. Ils en avaient la tête et la voix et les soies. Ils en avaient l'allure ; mais en eux persistait leur esprit d'autrefois.

Ce mythe appartient, de toute évidence, à la veine littéraire des métamorphoses, promise à un vif succès dans les lettres antiques. Cependant, forçant l'interprétation des faits et glosant sur le terme Kirkê associé à egkuklios periphora, révolution circulaire [68], notre auteur y voit l'illustration d'une des facettes de la métempsycose, en vertu de laquelle « les âmes des insensés se recyclent dans des corps d'animaux » (§ 126).

Même son de cloche chez Porphyre, dont le témoignage, répétons-le, nous est parvenu par Stobée [69] : ce disciple de Plotin tient le récit homérique pour une admirable illustration des théories platoniciennes et pythagoriciennes relatives à l'âme. À ses yeux, le mythe suggère que, tout en étant indestructible par nature et éternelle, l'âme n'est pas à l'abri des vicissitudes et des changements ; ainsi elle connaît des transferts dans d'autres espèces de corps recherchant par plaisir celui qui lui est approprié par les affinités avec les habitudes de la vie (menée précédemment) [70]. Et Porphyre d'enchaîner par ces considérations qui achèvent de convaincre, si vraiment il le fallait, qu'il s'agit bien des réincarnations telles que Platon les envisageait [71] :

Là est de toute évidence l'intérêt, pour chacun, d'une formation à la philosophie : que l'âme, se souvenant des belles choses (qu'elle a contemplées) et répugnant aux plaisirs honteux et illégitimes, puisse faire preuve de maîtrise et d'attention à elle-même, et se garder de devenir, à son insu, une bête amoureuse d'un corps avili et impur pour la vertu, corps qui développe et entretient le manque de goût et d'intelligence, le désir et la passion plutôt que la sagesse. Et d'invoquer, lui aussi, l'étymologie de Circè « nom par lequel Homère a désigné le retour cyclique et la ronde de la renaissance » [72].

Laissons là Porphyre, même si le texte que nous transmet Stobée se prolonge en un abondant commentaire sur la réincarnation.

Cette tentative de situer la croyance en la réincarnation aux origines mêmes du patrimoine littéraire de l'hellénisme n'a certes qu'un intérêt anecdotique. Il nous plait cependant de souligner le parallélisme qu'offre cette attitude avec ce qui s'est produit en Occident depuis, pensons-nous, le premier quart de ce siècle [73] : on a répandu l'idée erronée que l'Église chrétienne primitive admettait, et même enseignait, cette croyance [74]. Et il est piquant de constater qu'une partie [75] de l'argumentation repose, dans ce cas-là aussi, sur une « réinterprétation » de certains passages des écritures. Ainsi un texte tel que Mathieu 17, 10-13 :

Les disciples lui firent cette question : pourquoi donc les scribes disent-ils qu'Élie doit venir premièrement ? Il répondit : « Il est vrai qu'Elie doit venir et rétablir toute chose. Mais je vous dis qu'Élie est déjà venu, qu'ils ne l'ont pas reconnu et qu'ils l'ont traité comme ils l'ont voulu. De même, le Fils de l'homme souffrira de leur part. Les disciples comprirent alors qu'il leur parlait de Jean-Baptiste.

reçoit, au mépris de sa valeur symbolique, la signification littérale de la réincarnation d'Élie en Jean-Baptiste [76]. De même encore, dans Jean 3, 3, l'expression « si un homme ne naît à nouveau » est tenue pour probante de la même croyance [77].

Du point de vue du contenu idéologique, on constate surtout que s'approfondit et parfois s'affine l'argumentation concernant des thèses ayant déjà cours dans la Grèce classique : retour cyclique ; connaturalité des âmes ; lien entre mal ou malheur, et réincarnation.

Nous savons, par la réfutation d'Origène [78], que Celse, philosophe de tendance syncrétiste vivant au temps de Marc-Aurèle (2e s.), envisageait dans son Logos alêthês, le retour périodique des mêmes personnes en relation avec la position des astres. Origène, du reste, tirait profit de cette idée, retournant l'argumentation en faveur de la doctrine de la résurrection :

Si, selon les cycles fixés, inéluctablement, ce sont toujours les mêmes choses dans la période des êtres mortels, qui ont été, sont et seront, il est évident qu'inéluctablement toujours Socrate exercera son activité philosophique et sera accusé (...) ;

ces hommes affirment qu'à la période suivante, les choses seront pareilles : Socrate de nouveau sera fils de Sophronisque et Athénien et Phénarée, mariée à Sophronisque, l'enfantera de nouveau. Donc, même s'ils ne prononcent pas le mot de résurrection, ils en indiquent du moins la réalité en disant : Socrate de nouveau surgira (...) ;

selon cette doctrine, lorsque les astres, au sortir d'une longue période, viennent à la même relation mutuelle qu'ils avaient au temps de Socrate, inéluctablement, Socrate naîtra de nouveau des mêmes parents, connaÎtra les mêmes épreuves...

La connaturalité des âmes, et surtout la possibilité pour l'âme humaine de vivre une vie animale est au centre de pas mal de débats. On sait, par exemple, que si Plotin incline à une attitude positive [79], il est, sur ce point, contredit par Porphyre [80]. Mais au-delà des prises de position, c'est la formulation philosophique qui nous intéresse. Ainsi ces textes de Plotin, Ennéades, I, 1, 11 et IV, 7, 14 :

Et les bêtes, selon quelles modalités ont-elles le principe de vie ? Si se trouvent en elles, comme on le dit, des âmes humaines fautives, ce qui est spécifique de l'âme humaine n'est pas la propriété des bêtes, mais cette âme les assiste sans leur être vraiment présente. Leur conscience atteint seulement le reflet de l'âme qui accompagne le corps ; et un tel corps est qualifié par ce reflet d'âme. Mais si ce n'est point une âme humaine qui les a pénétrés, leur principe de vie provient de l'illumination du corps au départ de l'âme universelle.

Quant à l'âme des autres vivants, celles d'entre elles qui, déchues, sont arrivées jusque dans des corps de bêtes, il va de soi qu'elles sont aussi immortelles. Et s'il y a une autre espèce d'âmes, elle ne doit pas venir d'ailleurs que de cette nature vivante, étant elle-même cause de vie pour les autres vivants, en ce compris l'âme des plantes. Toutes ont été mises en mouvement au départ du même principe, ayant une vie propre, étant intemporelles, indivisibles, et substances. Et si l'on (nous) dit que, l'âme étant en trois parties, se désintégrera [81] par le fait même qu'elle est composée, nous dirons que les âmes pures et libérées abandonneront la forme additionnelle qu'elles avaient dans le devenir, tandis que les autres resteront avec cela très longtemps. Mais l'élément inférieur ainsi abandonné ne périra pas non plus tant qu'il est là d'où il tient son principe. Car rien de ce qui est ne périra.

Clôturons ce sujet par cette concise mise au point du philosophe syncrétiste, Salloustios (IVe s.) [82], qui semble résumer, en termes clairs, l'objet des débats et leur ménager une issue conciliatrice :

Si les métempsycoses se produisent dans des êtres doués de raison, les âmes deviennent effectivement celles des corps qu'elles animent, mais si les métempsycoses se produisent dans des êtres privés de raison, les âmes (se contentent) d'escorter ces êtres de l'extérieur, comme le font les génies qui nous ont reçus par le sort (Des dieux et du monde, XX, 1) [83].

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Une influence de la pensée indienne ?

L'idée qu'une vie moralement négative appelle une mauvaise réincarnation est familière, nous l'avons vu, aux penseurs grecs. Nous croyons cependant que des accents nouveaux dans l'approfondissement de ce thème, pourraient résulter, à l'époque romaine, d'une influence de la pensée indienne [84]. On sait par Porphyre, Vie de Plotin, § 3, que Plotin voyagea pour s'informer des théories qui avaient cours en Inde. De plus, l'intérêt pour les doctrines religieuses de ce pays se laisse déduire des allusions ou exposés que l'on peut lire dans plusieurs ouvrages. Contentons-nous de deux exemples [85] : les livres II et III de la Vie d'Apollonius de Tyane [86] de Flavius Philostrate [87] et l'opuscule chrétien intitulé Réfutation de toutes les hérésies [88], dont certains passages visent manifestement le contenu des Upanishad, oeuvres de base de la philosophie brahmanique. Ce sont là des indices qui autorisent une approche positive de ce qui, bien sûr, reste une hypothèse.

Nous pensons donc qu'il n'est pas déraisonnable de démasquer la doctrine karmique derrière certains textes qui insistent sur le caractère inexorable d'une loi universelle permettant de rendre compte du conditionnement du monde et des destinées par une exigence d'ordre moral. Ainsi Plotin, notamment dans Enn., IV, 3, 16 [89] :

Les justes châtiments advenus aux méchants doivent être rapportés à cet ordre qui règle toute chose comme il faut. Mais tous les maux qui arrivent aux gens de bien en dehors de toute justice, comme la punition, la pauvreté, la maladie, ne doivent-ils pas être considérés comme provenant d'une faute antérieure ? Car ces maux, liés au cours des choses et ayant leurs signes, arrivent conformément à la raison de l'univers (...). En tout cas, il ne faut pas croire que certains événements seuls soient soumis à l'ordre, tandis que d'autres seraient sans lien et purement arbitraires. Si tout doit arriver selon des causes et des conséquences naturelles, selon une raison unique et un ordre unique, il faut croire que cet ordre et cette liaison s'étendent jusqu'aux plus petits détails. Oui, l'injustice commise par autrui est une injustice pour celui qui l'a commise, et son auteur n'est pas affranchi de sa responsabilité ; mais saisie dans l'ordre universel, elle n'est pas une injustice dans l'univers, pas même pour celui qui l'a subie : elle est un événement nécessaire.

De même chez Jamblique, Myst., IV, 5 :

Est-ce que certains, contre toute équité, subissent un mauvais traitement tout en n'étant coupables d'aucune faute antérieure ? C'est que, dans le cas d'espèce, ils ne sont pas à même de se rendre compte de quelle âme il s'agit, de ce qu'elle a comme totalité de vie, des fautes qu'elle a commises dans les vies antérieures et si vraiment elle subit ce qu'elle a précédemment fait subir.

(...) si la participation commune à la même nature, tant pour les âmes incarnées que pour les autres, crée un lien identique avec la vie du cosmos et un ordre commun, c'est inéluctablement sur l'ensemble des vies qu'est réclamée l'expiation de la peine, surtout lorsque l'importance des fautes commises précédemment par une seule âme dépasse la possibilité d'exécution, par une seule âme, du châtiment consécutif aux errements.

Résumons-nous : si influence indienne il y a, elle ne change pas la doctrine grecque [90], mais elle donne des inflexions particulières et provoque des insistances sur un aspect important de celle-ci, qu'est le lien étroit avec l'éthique.

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VI. Et ensuite...

Les doctrines pythagoriciennes ont donc trouvé, à l'époque romaine, des accents qui les confirment et les complètent. Mais le christianisme triomphe, qui éradique ce qui ne cadre pas avec son orthodoxie. Les Pères de l'Église s'en prennent, avec plus de virulence que de pertinence, à la réincarnation [91]. Augustin notamment se distingue par des réfutations dont certaines ne sont que des caricatures « rehaussées » de l'argument d'autorité : par exemple, s'il sait gré à Porphyre d'avoir, contre l'avis de Plotin, écarté les réincarnations dans des corps d'animaux, il lui reproche d'avoir quand même laissé ouverte, par des réincarnations chez les humains, la possibilité pour une mère redevenue jeune fille d'épouser son fils [92] ; ce Père de l'Église semble perdre de vue que l'on pourrait dresser contre la thèse de la résurrection des corps et de l'immortalité personnelle des objections du même ordre et du même niveau ; il suffit, pour ce faire, de privilégier la lettre plutôt que l'esprit de la théorie ; il est vrai que, pour cautionner ses propres conceptions de la survie, qu'il juge plus honnêtes (sic), il invoque, entre autres autorités, ce que nous ont appris les anges saints et véridiques [93] ! Puissante dialectique !

Cependant, çà et là, les doctrines antiques réapparaissent de temps à autre, et, d'une manière générale, lorsque le platonisme connaît un regain de faveur au détriment de l'aristotélisme thomiste. Ainsi en est-il au XVIe s. à l'Université de Padoue, avec Jérôme Cardan, dans l'Italie du Nord, avec le bouillant Giordano Bruno, victime du Tribunal de l'Inquisition ; au XVIIe s., chez certains philosophes de l'Université de Cambridge, dont Henry More, etc. Mais ce sont là des informations généralement bien connues. Pointons plutôt ce qui l'est moins, et présentons tout d'abord un traité resté longtemps dans l'oubli à l'état de manuscrit : Giannettasius, vel De animarum transmigratione pythagorica dialogus [94]. On y trouve relatée, sous la forme d'un dialogue, une discussion sur le sujet que désigne à suffisance l'intitulé. Les protagonistes en sont Séraphin Biscardi (1643-1711) et Nicolas Partenius Giannettasius (1648-1715). Survenu dans un collège de Jésuites, à Naples, vraisemblablement entre 1692 et 1707 [95], ce débat, dont l'issue penche évidemment en faveur de la conception chrétienne, témoigne de toute façon de l'intérêt que l'on prenait à un examen comparatif des modalités de la survie, et de la vivacité qui enflammait parfois les discussions.

Mais il s'agit de discussion, et non d'adhésion. Tout autre est l'attitude observée chez les représentants de ce qu'on pourrait appeler le socialisme spiritualiste, dans la ligne du réformateur Saint-Simon (1760-1825), avec ses disciples Prosper Enfantin (1796-1864), Fernand Bazard (1791-1832), Pierre Leroux (1798-1871) ; avec aussi Ballanche, auteur d'un ouvrage au titre révélateur Palingénésie sociale, et Charles Fourier (1772-1837), l'homme des phalanstères [96]. Il importe de savoir qu'à ces époques de brassage d'idées sociales révolutionnaires, dont les protagonistes n'étaient ni des athées ni des matérialistes mais des spiritualistes rejetant le dogmatisme et déçus par l'Église ou les Églises, des théories sociales ont été élaborées qui impliquaient une vision globale de la destinée humaine et développaient des perspectives eschatologiques. Et il nous intéresse au premier chef que la théorie de la réincarnation, chez tous ceux qui ont été mentionnés, ait trouvé logiquement sa place dans cette vision du monde. Il n'est pas sans comparaison avec l'actualité que cette idée, bannie de l'orthodoxie occidentale, réapparaisse entre autres dans les moments où l'on cherche autre chose que les idées traditionnelles. Dans ces périodes donc de prophétisme social [97], la réincarnation est un des vecteurs de l'amélioration de la société : elle est le véhicule spirituel de ce beau rêve qu'est une entreprise collective de perfectionnement, à répartir, par nécessité, sur l'espace de plusieurs vies. On lit déjà dans le traité intitulé Religion saint-simonienne [98] :

Le repos éternel pour l'homme après la mort, est-ce là ce que demandera l'Église de l'avenir ? Non, non, la vie est une oeuvre joyeuse, l'enfance est un agréable réveil, la vieillesse, un endormissement délicieux, et la mort, le prélude d'une vie nouvelle, d'un nouveau progrès.

De façon plus nette encore, on lit dans la Palingénésie sociale de Ballanche [99] :

La vie actuelle n'est qu'une des épreuves que nous avons à subir... (et à la suite desquelles) la substance intelligente finira par être bonne, mais d'une bonté exquise par elle-même... Les réincarnations constituent le chemin normal fait de déchéance et de réhabilitation de l'être humain en voie de réalisation.

Charles Fourier [100] abonde dans le même sens :

L'impulsion générale sur l'immortalité exige la garantie de la métempsychose... Bien qu'on soit parvenu à ridiculiser la métempsychose, elle n'est pas moins désir général... Il n'est pas un vieillard qui... ne vote à mot couvert pour la métempsychose, en disant : « il faudrait pouvoir renaître avec l'expérience qu'on a acquise ».

Cette justification par l'enrichissement progressif de l'expérience ne laisse pas de rappeler certaines considérations de Platon [101]. Et ces textes, avec d'autres [102], attestent la volonté de remettre à l'honneur une conception de la survie différente de celle que prône le christianisme.

Pour se convaincre qu'on y perçoit bien les échos de l'antique pensée grecque, on pourrait aussi ouvrir un ouvrage qui se présente comme suit : P. Enfantin, 1858 - H. Saint-Simon, 1813. Science de l'homme. Physiologie religieuse [103]. On y trouve [104] la table des matières de l'ouvrage de Saint-Simon Traité sur la gravitation universelle. Socrate, Platon, Pythagore et la métempsyc(h)ose y tiennent une place non négligeable. Et si l'on voit contester, dans cet ouvrage, certaines idées de Pythagore, et notamment sa prétention à se souvenir de ses vies antérieures [105], ces contestations elles-mêmes montrent que leurs auteurs ont à l'esprit les sources grecques. Au demeurant, lorsqu'on lit :

Quand je vous dis « Je reparaîtrai dans 2.000 ans », j'entends que les circonstances morales devant se trouver, à cette époque, à peu près les mêmes qu'aujourd'hui, il se trouvera alors un homme dans lequel des sensations à peu près semblables à celles que j'éprouve convergeront et duquel divergeront des idées de la même nature que celles dont je parlerai (dans la deuxième partie de ce discours),

on ne peut s'empêcher de penser, même si l'auteur se prévaut d'une conception différente de celle de Pythagore [106], à des textes de l'Antiquité dont nous avons fait état [107].

Il valait la peine de s'attarder quelque peu à ces documents datant grosso modo de la première moitié du 19e siècle, car ils représentent, pour la croyance en la réincarnation, le dernier sursaut d'influence de la pensée grecque sur des groupes ou courants de pensée. En effet, dès la fin du même siècle, notamment avec la fondation de la Société internationale de Théosophie (1875), ce sont davantage les doctrines de l'Extrême-Orient qui seront déterminantes. On n'oserait affirmer qu'elles aient toujours été comprises dans leur pleine originalité [108], mais on ne peut nier que l'accueil qui leur fut réservé explique, pour une large part, l'attitude positive que beaucoup d'occidentaux adoptent actuellement à l'égard de la réincarnation.

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Conclusion

Quelles constantes se dégagent de ce survol ? Pour ce qui est des lignes doctrinales, on notera que les penseurs grecs tenant l'âme pour une entité substantielle, prisonnière du corps dans le cadre d'un dualisme aux arêtes bien marquées, ils voient dans les réincarnations les migrations de cette psychè. Il s'agit donc bien de métempsycose ou métensomatose, même si ces étiquettes n'apparaissent que tardivement [109]. On est, sur ce point, aux antipodes de la conception bouddhique.

Si, d'autre part, la métaphore de la « roue des naissances » intervient fréquemment dans l'expression de diverses doctrines, il nous semble que, chez les penseurs grecs, le lien se fait plus étroit avec la conception du temps : temps cyclique différent d'une représentation linéaire invitant à l'épuisement, comme le suggère la conception du samsâra couplé au karman.

Quant à la relation avec l'éthique, - commune, en soi, à toutes les doctrines prônant une survie - elle prend, dans la pensée grecque, un tour particulier que l'on définirait volontiers comme une intellectualisation de la morale. On connaît les préoccupations des Pythagoriciens à ce sujet ; on a vu avec quelle conviction Platon et les néoplatoniciens voyaient le salut dans la philosophie. Le moment est venu d'ajouter aux textes déjà mentionnés [110], une mésaventure relatée dans le Mythe d'Er (Rép., 619d) : une âme fait un mauvais choix de nouvelle vie, alors qu'elle a pratiqué la vertu dans la vie précédente ; c'est que, précise Platon, elle fut vertueuse par habitude, sans y ajouter la philosophie.

Ce point de doctrine est sans doute à recouper avec une donnée relevant de la « sociologie religieuse » : s'il est bien vrai que la réincarnation tient une place importante dans la pensée grecque, on ne peut pas dire que, dans la Grèce archaïque et classique en tout cas, cette croyance ait été un fait de société. C'est pourquoi nous n'avons pas eu l'occasion d'invoquer des textes « profanes » [111]. Pour être plus concret encore, relevons que, lorsque des orateurs se vouent mutuellement aux gémonies ou lorsque des malédictions traversent les tragédies, ou dans d'autres circonstances du même genre, il ne s'agit pas de vouer l'adversaire à des renaissances dégradantes [112].

Si fondamentale que fût cette croyance dans le chef de certains penseurs, elle semble être restée « au chaud », dans des milieux spiritualistes assez fermés, parfois même ésotériques. Elle n'a pas imprégné la société, comme ce fut le cas dans plusieurs pays d'Extrême-Orient.

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Notes

[1] On trouvera un bref état de cette question dans H.S. Long, A Study of the Doctrine of Metempsychosis, from Pythagoras to Plato, Princeton, 1948, pp. 9-10. Signalons que, pour Hérodote (II, 123), la croyance en l'immortalité et aux réincarnations viendrait des Égyptiens (cf. aussi Diodore de Sicile, I, 98, 2). [Retour]

[2] Voir pp. 310-311. [Retour]

[3] Nous avons établi, de première main, un inventaire des principaux textes. Bon nombre d'entre eux figurent dans notre brochure La réincarnation. Anthologie grecque avec traduction et matériaux pour une approche comparative. Louvainla-Neuve, Diffusion universitaire Ciaco, 1994. Les traductions que nous présentons dans cet article sont personnelles, sauf mention contraire. Nous aurons l'occasion, chemin faisant, de soulever des points de bibliographie. Sur le thème de l'âme comme tel, mentionnons d'entrée de jeu un ouvrage ancien, mais dont l'intérêt n'a pas été supplanté : E. Rohde, Le culte de l'âme chez les Grecs et leurs croyances en l'immortalité, trad. française de A. Reymond, Paris, Payot, 1928. Pour le cadre général de l'étude de la réincarnation : A. Des Georges, La réincarnation des âmes selon les traditions orientales et occidentales, Paris, 1966. [Retour]

[4] Édition utilisée : O. Kern, Orphicorum Fragmenta, Berlin, 1922. Signalons, au passage, la réédition récente de W.K.C. Guthrie, Orpheus and Greek Religion (1952), Princeton, 1993. Malgré le caractère tardif de certains textes, ils n'en sont pas moins de bons témoins de la « tradition orphique », qui sont, de toute façon, recoupés par des témoignages plus anciens. [Retour]

[5] Cf. Kern, fgt 224b, que nous traduisons : (parce que) changeant selon les cycles du temps, l'âme des humains passe dans (ou escorte) les animaux, de l'un à 'autre ; tantôt elle naît comme cheval, tantôt comme brebis ou encore comme oiseau affreux à voir ; tantôt, d'autre part, c'est un corps de chien avec sa voix grave, et la race des serpents froids qui rampent sur la terre divine (ou : régie par Zeus). [Retour]

[6] Cf. fgt 19 : J'ai payé pour l'expiation de mes actions injustes. [Retour]

[7] Cf. fgt 18. [Retour]

[8] Cf. entre autres, le témoignage de Platon, dans Cratyle, 400c, sur cette notion orphique. [Retour]

[9] Cf. fgt 18 : Mon souhait à moi est d'être de votre race bienheureuse (ou, moins probable : je me targue d'appartenir à votre race bienheureuse) ; et en réponse :Tu seras d'essence divine au lieu d'être mortel. Fgt 20 : Tu es devenu dieu, au sortir de la condition humaine. [Retour]

[10] Ibidem, vv. 75-77 (123-127) : Ceux qui, en un triple séjour dans l'un et l'autre monde, ont eu assez d'endurance pour garder leur âme absolument pure de mal, suivent jusqu'au bout la route de Zeus qui mène au château de Cronos. Sur l'exégèse de ce passage, on lira avec intérêt D. McGibbon, Metempsychosis in Pindar, dans Phronesis, IX (l 964), pp. 5-11. [Retour]

[11] Entre autres, Platon, Rép., 615b, 621 b ; Phèdre, 249a-b. [Retour]

[12] Voir, pour Empédocle, nos citations ; de même Platon, notamment Phèdre, 248c-d. Le fragment de Pindare, cité ci-dessus, est notamment édité dans : Pindarus. Pars II: Fragmenta. Indices. Ed. H. Maehler, Leipzig, Teubner, 1989, p. 119, fgt 133 (98). Comme il s'agit d'une citation due à Platon dans Ménon, 81b, le même texte figure dans les éditions de ce dialogue philosophique. [Retour]

[13] C'est par erreur, pensons-nous, que A. Croiset et L. Bodin, Platon, t. III, 2, Gorgias, Ménon, Paris, Belles Lettres (édition consultée : 1955, 6e), traduisent, en Ménon, 81b (p. 250), palaiou pentheos (la rançon) pour leurs anciennes fautes. [Retour]

[14] De nouveau, pour une exégèse détaillée des éléments du passage, voir D. McGibbon, art. cité. [Retour]

[15] Cf. notamment Porphyre, Vie de Pythagore, ch. 19 (repris dans H. Diels et W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, Berlin, Weidmann, 1960-61 (10e éd.) - désormais cité dans cet article par le sigle FVS - t. I, n. 8a) : ce qui, aux yeux de tous, fut le plus notoire (dans la doctrine de Pythagore) revient aux points suivants : d'abord, il affirme l'immortalité de l'âme ; ensuite, que celle-ci passe dans d'autres espèces de vivants ; en outre qu'à des périodes déterminées, ce qui a été revient à nouveau et qu'il n'y a rien de franchement neuf... [Retour]

[16] Philosophe, « physicien », historien des doctrines, qui vécut au 3e s. av. J.-C. Eudème expose, dans le passage invoqué, un point de doctrine des Pythagoriciens : nous le savons par Simplicius (6e s. ap. J.-C.), commentateur de la Physique d'Aristote : se trouve commenté le livre IV, ch. 11 et 12, où il est question du temps. [Retour]

[17] Cf. FVS, t. I, 34. Littéralement : si l'on en croyait les Pythagoriciens, ce sont les mêmes choses, identiques du point de vue numérique, qui reviennent ; ainsi moi, je vous ferai mon récit, ma baguette en main, à vous assis de la même façon, et toutes les autres choses se présenteront de façon semblable... [Retour]

[18] FVS, I, 8a. [Retour]

[19] Ibid. De plus : Diodore de Sicile, I, 98, 2. [Retour]

[20] IX, 127. FVS I, 136. [Retour]

[21] Par exemple Diogène Laërce, Vie des Philosophes, VIII, 36. FVS, I, 7 : On dit qu'un jour, en passant, il manifesta sa pitié pour un jeune chien que l'on battait et qu'il eut cette parole « Cesse ; ne frappe pas, car c'est l'âme d'un ami, que je reconnais à l'audition de son timbre de voix ». [Retour]

[22] Vie des Phil., VIII, 4. FVS t. I, 8. [Retour]

[23] On trouve notamment écho de cette tradition chez Porphyre, Vie de Pythagore, ch. 45 : Il se référait à ceux qu'il avait été précédemment disant qu'il avait d'abord été Euphorbe, en deuxième lieu Aethalide, en troisième lieu Hermotime, en quatrième lieu Pyrrhus, et maintenant Pythagore. Par quoi il démontrait que l'âme est immortelle et que, chez ceux qui sont en état de purification, elle parvient au souvenir de l'ancienne vie. [Retour]

[24] D'après A. Delatte, La vie de Pythagore de Diogène Laërce, publié dans Mémoires de l'Académie Royale de Belgique, Classe des Lettres et Sciences morales et politiques, 2e série, t. XVII, 1922, pp. 154-159, cette légende est très ancienne ; elle remonterait peut-être au siècle même de Pythagore (VIe) ou à tout le moins aux Ve-IVe s. au plus tard. [Retour]

[25] Cf., entre autres, Jamblique, Vie de Pythagore, ch. 164-166 (édition utilisée : L. Deubner, Leipzig, Teubner, 1975). [Retour]

[26] Cf., entre autres, le témoignage d'Empédocle (FVS, t. I, 129), que rapporte Porphyre, Vie de Pythagore, ch. 30 : lorsqu'il se concentrait de toute la force de son esprit, il voyait avec aisance toute chose en détail, et sur l'étendue de dix et même vingt générations humaines. [Retour]

[27] Vie de Pythagore, ch. 47. [Retour]

[28] Nous avons jadis été éclairé sur ce point par le Professeur J. Dierkens (ULB et Un. Mons), à qui nous réitérons l'expression de notre gratitude. Entre-temps, nous avons nous-même pratiqué les dites méthodes, de façon à pouvoir davantage en parler avec pertinence. Nous pouvons également renvoyer à un exposé, plus explicite, paru dans notre Doctrines grecques et interrogations actuelles: la Réincarnation, pp. 35-36. [Retour]

[29] Cf. Ibidem : katharthenti. [Retour]

[30] Ibidem, 46-47. La nécessité d'une progression méthodique se marque à plusieurs reprises : guidant avec douceur... il progressait petit à petit... il exerçait progressivement l'esprit... en conduisant avec méthode. [Retour]

[31] Ibidem, 47 : il les rendait heureux. [Retour]

[32] Par souci de concision, nous renvoyons à la note bibliographique que nous donnons dans Doctrines grecques et interrogations actuelles: la Réincarnation, 1984 (Artel), p. 36, note 17. [Retour]

[33] Nous en évoquons ibidem, pp. 36-37. [Retour]

[34] Aux références que nous donnons dans Doctrines grecques et interrogations actuelles : la Réincarnation, p. 36, note 17, on ajoutera, par exemple, les ouvrages suivants (qui, à nos yeux, ne présentent pas tous des garanties scientifiques) : D. Desjardins, De naissance en naissance, Paris, Table ronde, 1977 ; La mémoire des vies antérieures, ibid., 1980. I. Pisani, Mourir n'est pas mourir. Mémoire des vies antérieures (coll. : Les énigmes de l'univers), Paris, Laffont, 1978 ; Preuves de survie, ibid., 1980. H. Wambach, La vie avant la vie (coll. : J'ai lu), trad., Paris, 1979. [Retour]

[35] On lui connaît deux grands poèmes : De la Nature et Des Purifications. Éditions utilisées : outre les FVS, celle de J. Bollack pour une partie des fragments : Empédocle. T. Il: Les origines. Édition et traduction des fragments et témoignages, Paris, Édit. de Minuit, 1969. Empedocles : the extant fragments, edited by M. R. Wright, New Haven-London, Yale Univ. Pr., 1981. Rappelons que l'oeuvre de J. Bollack comporte un premier volume: T. I : Introduction à l'ancienne physique. Et un troisième en deux tomes : T. III : Les origines. Commentaire, 1 et2 (Le sens commun), Paris, Édit. de Minuit, respectivement 1965 et 1969. Mentionnons également, en rapport avec notre thème : D. O'Brien, Empedocles' cosmic cycle, Cambridge Univ. Pr., 1969. [Retour]

[36] FVS, t. I, 117. Wright, 108. [Retour]

[37] FVS, t. I, 127. Wright, 131. [Retour]

[38] FVS, t. I, 136 et 137. Wright, 122 et 124. [Retour]

[39] Sur l'attestation de ces concepts dans la littérature archaïque, voir un récent article Pierre Judet de la Combe, Abstraction et récit dans le poème thébain de Stésichore, dans L. Dubois (éd.), Poésie et lyrique antiques (UL 3), Lille, P.U. du Septentrion, 1995, pp. 11-27. [Retour]

[40] FVS, t. I, 8 et 9. Bollack, t. 2, 53 et 56 (pp. 25 et 29), t. 3, 1, pp. 87-91 et 92-95. Wright, 12 et 13. [Retour]

[41] eute d'apokrinthôsi, dit le texte grec. La traduction de Bollack (t. 2, p. 29) : qu'ils se déprennent est indéfendable : eute est bien une conjonction marquant le temps. Le traducteur n'a-t-il pas confondu avec eithe qui serait, de toute façon, suivi de l'optatif ? [Retour]

[42] FVS, t. I, 26. Bollack, t. 2, 68 (p. 37), t. 3, 1, pp. 73-75, 126-131. Wright, 16. [Retour]

[43] FVS, t. I, 17. Bollack, t. 2, 31 (pp. 16-21 et 57) ; t. 3, 1, pp. 49-63. Wright, 8. [Retour]

[44] FVS, t. I, 115. Bollack, t. 2, 110 (p. 53) ; t. 3, 1, pp. 151-153. Wright, 107. [Retour]

[45] Telle est la traduction habituelle. À remarquer toutefois que le terme grec Xrêma, n'exclut pas la traduction : c'est l'affaire de... [Retour]

[46] Par cette traduction, on comprend les humains réincarnés, sous le terme de daimones (voir, dans ce sens, F. Buffière, Les mythes d'Homère et la pensée grecque, Paris, Belles Lettres, 1956, p. 510, note 45). Une autre interprétation consisterait à prendre l'expression grecque hoi te non pour le sens, qu'elle a souvent, de relative générale, mais pour signifiant : et ceux qui. Dans ce cas, Empédocle voudrait dire que les daimones aussi sont sujets aux réincarnations. [Retour]

[47] De l'âme, 410b, lignes 27 et ss. [Retour]

[48] FVS, t. I, 146 et 147. Wright 132 et 133. [Retour]

[49] Cf., entre autres, Gorgias 493a. [Retour]

[50] Cf., entre autres, Phèdre 248c : lorsqu'incapable de suivre, elle n'a plus cette vision (des vraies réalités), et lorsque, victime des circonstances, elle s'alourdit de vice et d'oubli, et que, sous ce poids, elle perd son plumage et tombe à terre...Voir aussi D. Mc Gibbon, The fall of the soul in Plato's Phaedrus, dans C.Q., XIV, 1964, pp. 56-63 (mise au point concluant qu'il s'agit bien d'une chute). [Retour]

[51] Phédon, 72a-b. [Retour]

[52] Les traductions du Phédon sont celles de notre regretté collègue R. Loriaux, Le Phédon de Platon. Commentaire et traduction. 2 vol., Namur, 1975 et 1981 (2e) (Bibl. Fac. Ph. et L. de Namur, t. 45 et 45bis). [Retour]

[54] Signalons, sur ce sujet, un mémoire de licence en philologie classique, que nous avons dirigé à U.C.L. : T. Rajic, Un aspect de l'éthique platonicienne : les réincarnations. Faculté de Phil. et Lettres UCL, Louvain-la-Neuve, 1982. Nous tenons à souligner que certains de nos jugements sur les conceptions platoniciennes se sont affinés à la faveur des échanges de vues liés à la direction de ce mémoire. [Retour]

[55] Voici ce passage où les 10 périodes, pour les âmes, sont de 1.000 ans (100 ans de vie terrestre, 900 dans l'au-delà) : Il faut une période de 10.000 ans pour que chaque âme revienne au point d'où elle est partie... sauf s'il s'agit de quelqu'un qui a été un loyal philosophe ou a aimé les jeunes garçons d'un amour philosophique : ces âmes-là, moyennant le maintien de ce choix de vie trois fois de suite, c'est à la troisième révolution millénaire qu'elles sont équipées d'ailes : elles repartent donc à la trois millième année. [Retour]

[56] Cf., sur ce point, notamment F. Buffière, op. cit., pp. 439-459. [Retour]

[57] Notons la nuance par rapport au Mythe de l'attelage ailé, dont nous venons de faire état : ici : 1.000 ans de séjour dans l'au-delà ; là-bas : 1.000 ans en tout : 100 sur terre, 900 dans l'au-delà. [Retour]

[58] À cet égard, l'analyse faite par F. Buffière, op. cit., pp. 508-509 « cette loi des réincarnations, on la voit jouer dans le mythe d'Er... Tel est le grand principe des réincarnations : à l'échelle des vices humains, des dégradations humaines, correspond une échelle des animaux » est sensiblement incomplète. [Retour]

[59] Pour les réalités évoquées dans ce dernier texte, on se reportera à 617d (jet de dés que les âmes ramassent pour connaître leur numéro d'ordre au moment de choisir) et 614d-e (bouches découvrant la voie céleste et la voie donnant vers la terre). [Retour]

[60] Cf. notamment le commentaire de Proclus, d'où il ressort qu'il y a là une « hyperbole » soulignant la dégradation de l'âme humaine (Procli Diadochi in Platonis Timaeum commentaria, ed. E. Diehl, Leipzig, Teubner, 1906, p. 295). [Retour]

[61] Ainsi, dans le Phèdre, 259b, l'expression lo getai, on dit... [Retour]

[62] Tenu par un souci de concision, nous ne faisons pas état du Stoïcisme qui, avant de s'incorporer des éléments d'autres courants, se tient plutôt à l'écart des doctrines nous examinons. Contentons-nous de reprendre à son sujet, les conclusions d'un mémoire que nous avons dirigé: Fl. Costanzo, Paliggenesia ou la notion de renaître : son expression dans les textes grecs. Recherches lexicales et sémantiques. UCL, Faculté de Philosophie et Lettres. 1996. Voir p. 90: « en ce qui concerne tout ce que peut contenir l'idée d'une paliggenesia dans son rapport avec l'eschatologie personnelle, il nous faut assurément distinguer deux formes de Stoïcisme : le Stoïcisme orthodoxe accorde une immortalité éphémère à l'âme la faisant survivre au corps dans les sphères célestes, sous forme d'astre, mais la faisant détruire de toute façon par la prochaine conflagration à venir (...) la croyance en la transmigration des âmes ne devait pas nécessairement y prendre place (...). Confrontée d'autre part à un fragment qui faisait allusion à une croyance stoïcienne en la métempsycose et qui est attribué à Chrysippe, nous nous sommes vu obligée de l'attribuer plutôt à un Stoïcisme plus tardif que l'on dit éclectique, ce dernier attestant bien une telle forme de croyance ». Même conclusion dans le cadre d'une solide étude d'ensemble de l'eschatologie stoïcienne : R. Hoven, Stoïcisme et Stoïciens face au problème de l'au-delà (Bibl. de la Fac. de Ph. et Lettres de Liège, CXCVII), Paris, Belles Lettres, 1971 : « quelques témoignages tardifs attribuent aux Stoïciens la croyance en la métensomatose. Si ces témoignages ne sont pas dus à une confusion avec la doctrine de la palingénésie universelle après conflagration, ils pourraient concerner des Stoïciens non-orthodoxes de la période récente » (p. 158). [Retour]

[63] Mentionnons, au passage, l'article de A.N.M. Rich, Reincarnation in Plotinus, dans Mnemosyne, s. IV, Vol. X, 1957. L'auteur déplore, à juste titre, que : there is a noticeable tendency among writers on Plotinus to minimize the importance of the doctrine of Reincarnation as it appears in the Enneads. [Retour]

[64] Nous en donnons une partie dans La Réincarnation. Anthologie grecque, pp. 49-63. [Retour]

[65] Pour une étude d'ensemble, voir P. De Labriolle, La réaction païenne. Étude sur la polémique anti-chrétienne du Ier au VIe s., Paris, 1948 (rééd. de 1934). [Retour]

[66] Voir le récent ouvrage (étude, édition et traduction anglaise) de J.J Keaney et R. Lamberton, (Plutarch) Essay on the Life and Poetry of Homer (American Philological Association, Class. St., 40). Atlanta, 1996, p. 9. Nous nous référons à cette édition. [Retour]

[67] Nous reprenons la traduction, bien connue, de V. Bérard (Belles Lettres). [Retour]

[68] Vraisemblablement par l'intermédiaire, non exprimé, de Kirkos, anneau. [Retour]

[69] Nous citons l'édition de C. Wachs, loannis Stobaei Anthologii, 2 vol., Berlin, Weidmann, 1884. Le passage en question figure ibidem, 1, 49, 60 (p. 445 et ss.). [Retour]

[70] Éd. de Wachs, p. 445, lignes 21-26. [Retour]

[71] Ibidem, p. 445, ligne 26 - 446, ligne 7. On aura reconnu, dans les premières considérations, l'écho du Phédon (81e-82b), et dans la citation qui suit, l'enseignement de Platon sur l'utilité de la philosophie pour bien mener les réincarnations (e.a. Rép., 618c, 619d ; Phédon, 114c ; Phèdre, 248c). [Retour]

[72] Éd. de Wachs, p. 446, lignes 11-12. [Retour]

[73] Précisons qu'il s'agit parfois de reprises de questions fort anciennes, telles que le débat sur Élie réincarné en Jean Baptiste : cf. à ce sujet: N. Brox, Le débat de l'Église primitive sur la migration des âmes, dans Concilium, 250, 1993, pp. 9196 (notamment, p. 93). [Retour]

[74] Pour fixer approximativement le repère chronologique, nous nous fondons sur un article publié en 1928, par L. Bukowski, dans la revue Gregorianum. Commentarii de re theologica et philosophica, vol. IX, pp. 65-91 : La réincarnation selon les Pères de l'Église. Nous n'en apprécions ni le ton dogmatique ni l'opinion péjorative que s'attire ipso facto ce qui ne relève pas de l'orthodoxie chrétienne. Mais il nous intéresse comme terminus ante quem. Ajoutons que, d'après ce théologien, cette propagande sur base de déformation serait due à l'action de la Société internationale de Théosophie (terminus post quem : fondation en 1875). Aux yeux de Bukowski, la croyance aux réincarnations commence à se répandre au cours des XVIIIe et XIXe s. (ibidem, p. 66). [Retour]

[75] Il y a d'autres textes et arguments que les deux passages dont nous faisons état. Mais il va de soi que nous nous contentons d'illustrer la réplique moderne de ce s'est passé dans l'Antiquité : une interprétation littérale, et par là déformante, de certains textes. [Retour]

[76] Voir, par exemple, E. Bertholet, La réincarnation, Paris, Éditions rosicruciennes, 1949, réédition, Lausanne, Genillard, 1978, pp. 269 : « la question d'Elie réincarné ou réincorporé en la personne de Jean-Baptiste revient à plus d'une reprise dans les Évangiles. Dans Mathieu 11, 11-15 (...) le chanoine Crampon... ne dira pas comme dans la version synodale 'Il est cet Elie qui doit venir', mais '... lui-même est Elie qui doit venir'. Ce qui est beaucoup plus clair et ne prête à aucune équivoque, et parle directement en faveur de l'idée de réincarnation. Un autre passage de Mathieu (17, 10-15) est également typique à cet égard... » Cette interprétation a encore des partisans : L.V. Thomas, L'eschatologie : permanence et mutation, dans Réincarnation, immortalité, résurrection, Publ. des FUSL, n. 45, Bruxelles, 1988, p. 6. [Retour]

[77] Cf. ibidem, p. 272. [Retour]

[78] Origène, Contre Celse. Tomes II (livres III et IV) et III (livres V et VI) Introduction, texte critique, traduction et notes par Marcel Borret (Sources chrétiennes, n. 136 et 147). Paris, 1969 : voir IV, 67 et V, 20-21. À noter qu'Origène ne s'en prend pas seulement aux Pythagoriciens mais aussi à d'autres courants, dont les Stoïciens. [Retour]

[79] Par exemple : Ennéades, III, 4, 2 ; IV, 7, 14. Pour l'étude de Plotin, nous avons utilisé l'édition de E. Bréhier, Paris, Belles Lettres, plusieurs rééditions. [Retour]

[80] Cf. le témoignage d'Augustin, Cité de Dieu, X, ch. 30. [Retour]

[81] Sur la désintégration, dans les astres, de l'âme, voir aussi Plutarque, De facie lunae, 943-945, passim. Édition consultée : W.C. Helmbold, Plutarch's Moralia, XII (Loeb Class. Libr.), Londres-Cambridge (Mass.), Harv. Univ. Pr., 1957. [Retour]

[82] Édition utilisée : G. Rochefort, Paris, Belles Lettres, 1960. [Retour]

[83] « Escorter de l'extérieur » : cf. aussi le terme « adombrer » utilisé dans certains courants modernes. [Retour]

[84] Nous employons à dessein cet adjectif, car nous ne pensons pas que « nos » anciens aient saisi, par exemple, ce qui distinguait le brahmanisme et le bouddhisme. Au demeurant, n'oublions pas qu'ils confondaient parfois judaïsme et christianisme. [Retour]

[85] Pour l'étude de l'ensemble de la question, on lira : J. Filliozat, Les relations extérieures de l'Inde : 1. Les échanges de l'Inde et de l'empire romain aux premiers siècles de l'ère chrétienne. 2. La doctrine brahmanique à Rome au IIIe s., Pondichéry, Inst. français d'indologie, 1956 (pour le 1 : cf. aussi Revue historique, 201, 1949, pp. 1-29). J. André & J. Filliozat, L'Inde vue de Rome. Textes latins de l'Antiquité relatifs à l'Inde. Paris, Belles Lettres, 1996. [Retour]

[86] Prédicateur de tendance néopythagoricienne, et thaumaturge. 1er s. de l'ère chrétienne. [Retour]

[87] Rhéteur (fin 2e et 3e s.). Éditions : C.L. Kayser, Leipzig, Teubner, 1870. F.C. Conybeare, 2 vol., Cambridge (Mass.) - Londres, Harv. Un. Pr., dernière éd. 1989 (Loeb Class. Libr. 16 et 17). [Retour]

[88] Éditions consultées : Patr. Gr. (Migne), XVIc, col. 3018-3454 et P. Wenland, Hippolytus Werke, III, Leipzig, 1916. À propos des doctrines indiennes, voir respectivement, col. 3051 et ss et I, 24. [Retour]

[89] Traduction de Bréhier. [Retour]

[90] Par exemple : en contraste avec les doctrines indiennes, il s'agit toujours bien de métempsycose, nous en traitons dans les conclusions. [Retour]

[91] Nous donnons quelques références à ce sujet dans Doctrines grecques et interrogations actuelles : la Réincarnation, p. 5. [Retour]

[92] Cf. Cité de Dieu, X, ch. 30 : et non puduit hoc credere, ubi revoluta mater in puellam filio forsitan nuberet. [Retour]

[93] Ibidem : Quanto creditur honestius quod sancti et veraces angeli docuerunt... [Retour]

[94] Édité, pour la première fois, en 1978 par L. De Franco, Florence, Nuova Italia (Pubblicazioni del « Centro di studi del pensiero filosofico del cinquecento e del seicento in relazione ai problemi della scienza ». Serie III. Testi. N. 4). Signalons un récent mémoire que nous avons dirigé sur ce dialogue : Is. Glorieux, Recherches sur Giannettasius. UCL, Faculté de Philosophie et Lettres, 1996. [Retour]

[95] Cf. De Franco, ibidem, p. 4. [Retour]

[96] On trouve mention de ce courant de pensée en relation avec la doctrine de la réincarnation dans A. Des Georges, La réincarnation des âmes selon les traditions orientales et occidentales, Paris, 1966, pp. 204-206. La croyance en la métempsycose, notamment chez les fouriéristes, a été l'objet de la dissertation doctorale de M. Nathan, L'âme et les étoiles. Pluralité des mondes et métempsycoses stellaires au XIXe s. Université de Lille-III, Service de reproduction des thèses, 1983. Cette dissertation incorpore en partie le contenu de l'ouvrage du même auteur : Le Ciel des fouriéristes. Habitants des étoiles et réincarnation de l'âme, Presses Universitaires de Lyon, 1981. [Retour]

[97] Prophétisme par opposition à « conformisme ». [Retour]

[98] Édition Leroux, 1878, Chapitre: Morale, p. 99. [Retour]

[99] Nous avons lu cette citation (Palingénésie sociale, I, 122) dans A. Viatte, Les sources occultes du romantisme, Paris, 1928, II, p. 239. Nous n'avons pas eu accès au texte original. [Retour]

[100] Théorie de l'unité universelle, éd. de 1841, réimpr. anast., Anthropos, 1966, pp. 313-314. [Retour]

[101] Voir p. 12 et ss. [Retour]

[102] On trouve d'autres références dans A. Des Georges, op. cit., pp. 206-207. Une mise au point à propos de ce qu'il dit, p. 206, de Jean Reynaud (1806-1863) : « Dans ses articles de l'Encyclopédie nouvelle, il traita des mondes habités, des Celtes, et reprit la vieille foi celtique dans la Transmigration des âmes, qu'il développa particulièrement dans son ouvrage Terre et Ciel, Paris, 1854 ». Nous avons lu cet ouvrage (3e éd., Paris, Furne et Cie, 1858). Il y est certes fait maintes références à la Gaule qui semble enfin providentiellement appelée (p. 11 ; voir aussi dans le même sens, p. 12 : le sang breton, Arthur n'est pas mort ; pp. 417-418, etc.) et plus particulièrement au druidisme (ex. p. 14 : l'ancienne trilogie Terre, Ciel et Enfer, se trouve donc finalement réduite à la dualité druidique Terre et Ciel). Sans doute l'auteur désire-t-il et pense-t-il s'en prévaloir ; mais outre le problème de l'accès à la connaissance précise du druidisme, qui n'est même pas évoqué, ses théories nous paraissent surtout s'abreuver aux sources grecques, notamment par l'insistance sur le perfectionnement progressif de l'être humain (p. 10), sur les corrélations entre les incarnations et le système astronomique (pp. 305-306, entre autres) ; au demeurant, les penseurs antiques sont l'objet de fréquentes allusions (ex. : pp. 208, 210-211, 338...). Sans avoir fait un examen suffisant pour trancher avec assurance, nous dirions plutôt qu'il s'agit d'une construction où les lacunes dans notre connaissance du druidisme sont comblées par des matériaux hérités de l'hellénisme, du déisme et du judéo-christianisme. Ceci dit, il est bien exact que l'on assiste, à cette époque, à une remise à l'honneur des conceptions religieuses des Celtes. [Retour]

[103] Édité à Paris, chez V. Masson. Nous avons consulté une édition datant de 1858. [Retour]

[104] p. 485. [Retour]

[105] Voir p. 447 et ss. [Retour]

[106] En effet, il déclare : ce philosophe envisageait les âmes comme des êtres dont l'existence était indépendante de celle des corps et dont la durée correspondait à celle de plusieurs enveloppes. Ma manière de considérer l'âme est très différente (p. 447). [Retour]

[107] Voir pp. 3 (note 16) et 16-17, les textes attribués respectivement à Eudème et à Celse. [Retour]

[108] Il est frappant, à cet égard, de lire dans A. des Georges, op. cit. : Mais voici qu'apparaissent en Europe les doctrines de l'Asie, de l'Inde en particulier ; elles vont provoquer une nouvelle curiosité pour la métempsycose (p. 207). Encore faudrait-il ajouter que la métempsycose n'a rien à voir avec la conception indienne du samsâra, qu'il s'agisse du brahmanisme ou du bouddhisme. [Retour]

[109] Il faut attendre, en effet, les commentateurs de l'époque romaine. Par ailleurs, on trouve parfois, en concurrence, le terme paliggenesia, palingénésie dont l'étymologie renvoie à « renaissance », mais qui s'applique aussi à des réalités sans rapport avec les réincarnations. Nous renvoyons sur ce point au mémoire de F. Costanzo, Paliggenesia ou la notion de renaître dans les textes grecs. Recherches lexicales et sémantiques. UCL, Faculté de Philosophie et Lettres, 1996. Ajoutons qu'à l'époque moderne, certains théoriciens ont introduit la distinction suivante : la métempsycose impliquerait le passage dans les différentes espèces de vivants, tandis que la réincarnation bornerait les migrations aux corps humains (entre autres, A. Kardec, Philosophie spiritualiste. Le livre des esprits, pp. 262-263 de l'édition que nous avons consultée, 36e, pas de date visible sur notre exemplaire ; Revue du mouvement initiatique AMORC, Rose-Croix, n. 105, printemps 1978, pp. 17-18 ; plus récemment : L.V. Thomas, L'eschatologie: permanence et permutation, dans Réincarnation, immortalité, résurrection, Publ. des FUSL, n. 45, Bruxelles, 1988, p. 4, note 3). Nous ne connaissons pas de base historique qui pourrait fonder cette distinction lexico-sémantique. [Retour]

[110] Voir p. 12 (Phédon, 111 b-c ; Rép., 618c-d et 619d). Pour les néoplatoniciens, cf., par exemple, Porphyre : témoignage de Stobée, éd. citée de Wachs, p. 445, 26-446, 2. [Retour]

[111] La mention de Pindare (cfr supra) ne contredit pas ce constat, car il s'agit d'un poète très branché sur la religion et la morale. [Retour]

[112] Le passage d'Euripide parfois invoqué dans ce sens (Hécube, 1265 et ss.) désigne en réalité un changement de forme, une métamorphose. [Retour]


FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 1 - janvier-juin 2001

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